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8.2 2 La personnification/199

Dans la vie réelle les personnes existent et sont devant nous. Dans un récit, même quand on raconte un événement historique et sauf si les personnages sont bien connus non seulement à l'auteur mais aussi à ses lecteurs, nous devons créer une représentation des personnages à partir du texte même. Le personnage n'a d'existence que si l'auteur fournit au lecteur les éléments qui le stimule à le créer ou recréer. Les personnages d'un récit sont des construits textuels. Ils existent par un processus textuel et para-textuel que nous appelons "personnification". On peut distinguer des degrés de ce processus, entre des personnages formés jusqu'aux détails et à partir des personnages qui n'existent guère dans le récit. Semblablement mais d'une perspective différente, on peut aussi distinguer entre des personnages majeurs, qui sont importants pour le récit, et personnages mineurs, qui n'apparaissent que brièvement.

Degré de personnification:

Traditionnellement les études littéraires distinguent deux pôles du degré de personnification, entre les personnages arrondis et les personnages plats. Au premier pôle le personnage nous semble comme une personne réelle avec son propre caractère. Au deuxième il ne sert que pour remplir une certaine fonction. Le personnage plat, l'agent, sert comme fonctionnaire il n'existe pas en soi dans la narration, en fait seulement son rôle est nécessaire au récit. Cependant il est souvent utile de distinguer un troisième degré de personnification sur cette gamme entre arrondi et plat, le type. Un type n'est pas un personnage arrondi, il ne montre qu'un trait ou qualité, il n'a pas tout à fait un caractère individuel. Il n'est pas non plus un agent, il sert à plus que sa fonction, s'il est roi il sera soit un bon roi, soit un roi avare, etc. Il montre un trait ou une qualité qui lui est propre il sert de type pour le bon ou l'avare.

Les personnages mineurs dans un récit bien construit ne sont pas inutiles. Certains sont nécessaires pour que la fable marche. Ex.: 2 R 5.10 dans le récit de la guérison de Naamân le lépreux la personne qui transmet le message du prophète au chef de l'armée n'existe que pour transmettre le message, elle n'est pas même identifiée. D'autres personnages mineurs servent à la personnification des personnages majeurs. Ex.: 2 R 5.6-7 dans ce même récit, "le roi d'Israël" est aussi un personnage mineur, il n'a pas un rôle nécessaire à la fable, mais par son manque de foi il montre plus clairement la foi du prophète. Orpa a une fonction semblable dans le livre de Ruth. Simon résume la poétique biblique des personnages mineurs ainsi:

"A part leurs rôles dans la fable du récit (par conseils et aide, ou par dérangement et résistance), ils peuvent avoir un rôle expressif prononcé en aidant la personnification indirecte de l'héros ou en suggérant une évaluation de ses actions. Ceci se fait surtout par comparaison et contraste... Le personnage mineur sert aussi le renversement ironique des conventions sociales"./200

Moyens de personnification:

A part la description directe, qui est assez rare dans les narratifs bibliques,/201 ces récits se servent de plusieurs techniques indirectes pour nous présenter leurs personnages: les pensées, les paroles et les actions du personnage, d'évaluations dans la bouche d'un autre personnage, et le contraste avec un autre personnage.

Description directe:

L'A.T. est parcimonieux avec ses descriptions directes. Souvent les éléments descriptifs nous sont donnés pour faciliter l'action, p.ex. la mention de la beauté d'Absalom au 2 S 14.25 n'est pas gratuite, la phrase "de la plante des pieds au sommet de la tête" מִכַּף רַגְלוֹ וְעַד קָדְקֳדוֹ prépare pour sa mort bizarre 2 S 18.9ss "sa tête se prit dans l'arbre et il se trouva entre ciel et terre". Souvent même quand la logique des phrases semble supposer une description, elle est absente, p.ex. Am 7.7-8 "Voici ce qu'il me fit voir: mon Seigneur, debout sur une muraille d'étain, tenait de l'étain à la main. Le SEIGNEUR me dit: «Que vois tu Amos?»" mais la réponse, malgré notre curiosité sur la figure de Dieu, n'inclut aucune précision descriptive! (Est ce que cette poétique de non description est liée au fait que la religion d'Israël est anicônique?)

Dans la description directe comme dans d'autres éléments de la poétique narrative biblique un principe minimaliste semble opérer. C'est-à-dire peu de mots servent à porter un grand poids descriptif. L'exemple des premiers deux rois est éloquent.

Presque la seule description directe de Saül se trouve dans 1 S 9.2b: "...un beau garçon. Aucun des fils d'Israël ne le valait. Il dépassait tout le peuple de la tête et des épaules." Ici le narrateur prend une douzaine de mots pour faire l'éloge du jeune gars. Sa valeur réputée répond à sa taille (souvenez-vous que les rois, comme les grands héros et les dieux, étaient imagés dans l'ancien proche-orient comme plus grands de taille que les hommes normaux). Le manque de réticence du narrateur ici sert à plus que son simple plaisir de description,/202 car tout le long du récit la réalité de Saül (l'héros tragique qui manque de réussir un destin brillant potentiel) est contrastée avec cette description du jeune homme plus grand que tout autre.

Il est contrasté aussi avec le petit David. Cependant le contraste n'est pas trop simple. Car quand David est présenté le récit souligne que Dieu ne voit pas les apparences comme les hommes le font. Son voyant Samuel a fait erreur avec le grand frère de David croyant que l'apparence montre le caractère (1 S 16.6-7) et ainsi répétant l'erreur fait au sujet de Saül. Le mot "voir" est le leitmotiv de ce récit, faisant jeu de l'ironie que le voyant de Dieu voit mais ne comprend pas! Quand donc le petit arrive et on voit (par implication des yeux de Samuel) qu'il est "d'une jolie figure et d'une mine agréable", nous sommes prêts à entendre encore le SEIGNEUR qui le rejète, cependant cette fois l'extérieur semble correspondre au coeur (v. 12b, cf. 7b.). Deux cas donc où la description est plus complète que souvent mais où cette description sert à la rhétorique narrative.

La vie mentale:

La pensée des personnages est indiquée assez fréquemment comme aussi leurs connaissances ou leurs ignorances, p.ex. dans 1 S 1:

Parfois la perception d'un personnage sur la pensée d'un autre nous est indiquée, 1 S 1.8 "Anne... pourquoi as tu le coeur triste?". Dans le récit de l'onction de David, c'est à travers les pensées de Samuel que nous apprenons la leçon de regarder, comme Dieu, les coeurs plus que l'extérieur. Ainsi suivant son propre enseignement la poétique biblique est moins avare avec la vie mentale des personnages qu'avec les descriptions de leurs visages!

Les paroles et les actions:

On reconnaît le caractère d'un personnage par les descriptions et à travers ses pensées, mais le plus souvent le caractère est montré par ses paroles et ses actions. Pour sortir de l'A.T. le plus petit verset dans la Bible nous dit beaucoup sur la caractère de Jésus, quand on l'invite de venir voir là où on avait mis le corps de son ami, Lazare, "Jésus pleura." (Jn 11.35). Le personnage de Jonas ne reçoit aucune description directe dans le livre qui porte son nom. Dans Jon 1.1 on nous informe du nom de son père mais Jonas n'est pas même accordé le titre de "prophète". Cependant par ses actions on le connaît. Même si tout ce que le lecteur peut savoir à son sujet sont ses actions et ses paroles, ou même à travers ses interactions avec les autres personnages (voir infra), nous le connaissons.

Tout le monde ayant lu le récit de Jacob et Laban reconnaîtra que Laban est plus rusé que son cousin, ceci en dépit du fait que le texte ne lui a pas accordé de description, son comportement le trahit.

L'évaluation:

Soit elle dans la bouche d'un autre personnage ou soit elle donnée directement par le narrateur une évaluation décrit bien un personnage. La qualité de Ruth nous est souvent montrée de la première manière (Rt 2.7b,11; 3.11); car ses actions peuvent être mal comprises et le narrateur du livre reste largement inaperçu. Par contraste l'évaluation de Job est faite d'abord par le narrateur Jb 1.1b, renforcée par ses actions Jb 1.5, et appuyée par le personnage divin 1.8./203

Fig. 61 Moissoneur

La contraste:

Souvent on apprécie mieux un personnage à travers un contraste avec un autre, p.ex. et Ruth et Booz sont mieux décrits par contraste avec Orpa et avec le rédempteur anonyme les actions des uns ne sont pas mauvaises donc les actions des autres brillent plus par contraste. Simon cite le cas de femmes pleines de ressource qui sont contrastées avec leur mari passif, de serviteurs prudents dont les chefs en sont indignes. Il conclut:

"Car les récits bibliques ne servent pas fondamentalement à la gloire des personnes haut placées, ni des institutions sociales, ni même pour soutenir la croyance aux idées, si élevées qu'elles soient, mais ils servent à nous présenter des personnes vraisemblables qui fonctionnent comme modèles et avertissements par leur montée ou leur chute."/204

Fig. 62  מָשִׁיחַ (Messie) veut dire 'oint’

Les appellations:

La façon d'appeler quelqu'un peut aussi aider avec sa personnification, ou de celle du personnage qui utilise l'appellation. Du moins une appellation nous signale le point de vue de celui qui l'utilise. Normalement le personnage a son nom propre, parfois il n'a qu'un titre, très rarement il ne possède ni l'un ni l'autre, du moins au début du récit. Dans Gn 32.25ss ce n'est qu'au verset 31 que l'adversaire mystérieux de Jacob dévient plus qu'un pronom sans référence.

Cependant on peut aussi appeler autrement un personnage, souvent en termes de ses relations sociales. Dans 1 S 1 p.ex. on trouve au v.4 la phrase "tous les fils et les filles de Peninna" on les appelle ainsi non pas pour suggérer qu'ils n'étaient pas les enfants de leur père, Elqana, mais c'est quand même pour le distancer un peu d'eux, pour indiquer son désire aussi d'enfants par Anne cf.v.5. Le point de vue d'Elqana est déjà suggéré par cette appellation "fils et filles de Peninna". Quand Dieu parle de "mon serviteur Job" trois fois dans deux versets c'est un signe de son évaluation de Job 42.7,8, notez que le SEIGNEUR parle ainsi à l'adversaire au 1.8; 2.3 signalant sa confiance d'avance!

Prochaine section: 8.2 3 Point de vue


Ce manuel a été rédigé par le Dr Tim Bulkeley à l'intention des étudiants africains de théologie de l'Université protestante du Congo. Il est mis en forme électronique hypertexte par lui en 2003-4.

Toute partie de cet ouvrage peut être copiée par quelque moyen que ce soit, à la seule condition de retenir cette mention intacte sur chaque page.

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