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3.2 1 La stylistique

La stylistique des textes vétérotestamentaires est une étude souvent négligée./30 Cependant elle est le fondement de plusieurs approches exégétiques. Comme nous le verrons, elle est nécessaire à l'analyse de genre, et à "la critique littéraire" dans le sens de l'analyse des sources, comme étude préalable. Elle partage certains de ses intérêts avec la critique rhétorique, et aurait pu être considérée en même temps qu'elle, mais la stylistique s'intéresse plus que la critique rhétorique aux questions esthétiques. Toutefois, la stylistique est une approche de la Bible plus sujette à des erreurs de compréhension dues à la différence culturelle et linguistique qui sépare l'exégète du texte; nos conclusions doivent donc être circonspectes.

La poésie:

La plus importante question de style qui se pose est de savoir si le texte est en poésie ou en prose, car la réponse conditionne les études applicables. Le critère le meilleur et le plus facile pour distinguer les deux est la présence de parallélismes dans la poésie hébraïque (car sans parallélisme cette poésie n'existe pas). L'analyse de la poésie est traitée dans un autre manuel et ne sera donc pas discutée in extenso ici./31

Fig. 19 Symétrie décoratif

L'harmonie de la poésie hébraïque se fait remarquer surtout au niveau sémantique. Tout lecteur du livre des psaumes par exemple, aura une impression de répétition. Il lui semblera souvent que chaque ligne a son écho, mais que cet écho est subtilement modifié, dans beaucoup de cas les termes sont remplacés par leur synonyme, ainsi l'écho nuance la première ligne. Cette sensation d'échos harmonieux est particulièrement remarquable pendant une récitation antiphonaire comme celle pratiquée par les moines. Lisez le Ps 95.1 5 p.ex., il y a une sorte de rime de pensée et un équilibre sémantique entre les deux éléments de chaque verset. Déjà au moyen âge, certains rabbins ont remarqué ce phénomène mais ce n'est qu'avec la publication de l'ouvrage classique de l'évêque Robert LOWTH, De Sacra Poesi Hebræorum Prælectiones Academicæ en 1753 qu'une étude systématique a commencé.

LOWTH et les autres savants de cette époque ont appelé ce phénomène Parallelismus Membrorum: le parallélisme des membres. En effet, les deux membres d'un verset ne sont pas toujours vraiment en parallèle, comme LOWTH l'a reconnu lui même (p.ex. Pr 10.1.). Malgré ce fait, le terme parallélisme a été retenu pour exprimer la relation étroite mais flexible entre les lignes d'un verset. Les trois types classiques de parallélisme sont le parallélisme synonymique, le parallélisme antithétique et le parallélisme synthétique.

Le parallélisme synonymique: Dans le parallélisme synonymique, les lignes (ou stiques/32) répètent la même pensée en d'autres termes. Le Ps 95.1-5 en donne des exemples clairs. Notez comment ici les répétitions vont ensemble avec des changements stylistiques, ex. le v.2:

כִּי אֵל גָּדוֹל יְהוָה
Car: / un Dieu / grand / (est) le SEIGNEUR /

וּמֶלֶךְ גָּדוֹל עַל־כָּל־אֱלֹהִים
/ et un roi / grand / au-dessus de tous les dieux / !

"Dieu" et "roi" n'ont pas le même sens, le nom du SEIGNEUR et la description "au dessus de tous les dieux" sont même plus différents l'un de l'autre. Le mot אֵל commence un stique mais termine l'autre; ainsi il clôture le distique et au même temps une variété s'introduit. Les deux stiques disent (plus ou moins) la même chose, mais les mots correspondants ne sont pas des synonymes strictes.

Le parallélisme antithétique: Dans le parallélisme antithétique, les stiques contrastent l'une avec l'autre ou bien leurs pensées s'opposent. Ex. Ps 2.12:

"Rendez hommage au fils ;
   sinon il se fâche, et vous périssez en chemin.
 un rien, et sa colère s'enflamme!
 Heureux tous ceux dont il est le refuge."

Il y a dans ce verset biblique deux distiques antithétiques. Le parallélisme antithétique est très fréquent dans le livre des proverbes, il l'est moins ailleurs; c'est un parallélisme caractéristique de l'enseignement des sages (cf. Pr 10.1).

Le parallélisme synthétique: Dans le parallélisme synthétique, appelé parfois constructif ou complémentaire, la pensée se prolonge d'un stique au suivant. Il ne s'agit donc pas d'un parallélisme strict, mais on utilise le terme pour simuler un parallélisme - forme obligatoire du texte poétique. En fait ce terme couvre le cas où un parallélisme grammatical ou sonore existe mais sans parallélisme sémantique. Cette sorte de "parallélisme" ne doit donc pas être le seul indice que nous avons affaire à un texte poétique.

L'art:

La question suivante que nous pouvons nous poser porte sur la nature artistique ou conventionnelle de la présentation du texte. La poésie doit être considérée d'office comme artistique, mais certains textes prosaïques peuvent aussi l'être. Le texte artistique se distingue par le soin dont il a été l'objet, par sa recherche stylistique; si un auteur écrit de manière artistique, il choisit ces effets pour composer un texte qu'il croit beau.

La présence:

sont des signes d'artifice./33 Les techniques sonores les plus utilisées en hébreu sont l'assonance, l'allitération et les jeux de mots au sons semblables, mais aux sens distincts (voir 7.22 7.23 infra pour une exposition de telles techniques).

Dans un texte artistique, les techniques sonores se trouvent souvent accompagnées d'autres signes ex. Ps 6.11:/34

"Ils sont honteux et vraiment craintifs
 tous mes ennemis,
 ils retournent, ils sont honteux, tout un coup."
יֵבֹשׁוּ וְיִבָּהֲלוּ מְאֹד
כָּל־אֹיְבָי
יָשֻׁבוּ יֵבֹשׁוּ רָגַע

La structuration/35 chiastique et le renversement des lettres de la racine entre les mots וּ רָגַע "ils retournent" et מְאֹד "ils sont honteux" sont deux manières de souligner le renversement du sort du psalmiste qui est le thème de ce verset.

Comparons le style de Am 5.4b 6a avec Dt 4.29 30:

a Cherchez moi et vous vivrez, /
b Mais ne cherchez pas à Béthel,
c au Guilgal n'entrez pas,
d à Beth Shéva ne passez pas; /
c' car le Guilgal galopera* vers l'exile,
b' et Béthel deviendra iniquité. /
a' Cherchez le SEIGNEUR et vous vivrez!

29Alors là bas, vous rechercherez le SEIGNEUR ton Dieu; / tu trouveras si tu le cherches de tout ton coeur, de tout ton être. /

30Quand tu seras dans la détresse, quand tout cela t'arrivera, dans les jours à venir, / tu reviendras jusqu'au SEIGNEUR ton Dieu, et tu écouteras sa voix.

*Il y a un jeu de mots entre Guilgal הַגִּלְגָּל et galoper גָּלֹה יִגְלֶה.

L'un des deux est bien structuré, avec jeu de mots et avec peu de mots; l'autre contient beaucoup de mots qui répètent une même idée. Le message des deux est semblable: "Cherchez Dieu / faites le en vérité / des troubles viennent / cherchez Dieu" mais les deux formes d'expression se situent aux pôles opposés de la gamme de finesse.

L'expression ample ou concise:

Certains textes et certains auteurs utilisent plus de mots pour s'exprimer ils ont une expression ample, parfois même verbeuse d'autres par contraste utilisent les mots de façon avare, ils ont une expression concise, parfois même si brève que la compréhension en devient difficile.

Comparons Dt 30.1ss avec Dt 26.5b 10a. Les deux textes parlent des bienfaits du SEIGNEUR envers Israël, et de la réponse attendue de la part d'Israël; l'un est concis et a choisi quelques mots frappants pour faire allusion à ses bienfaits, l'autre semble comme un homme qui erre de-ci de-là avant de revenir encore, de répéter pour renforcer (un style de prédicateur?). Les jugements de valeur dans de tels cas doivent dépendre de plusieurs facteurs; premièrement le genre (car chaque genre a sa situation et ses buts qui lui donnent son style approprié), et les éléments de la situation précise qui modifient ce style générique. L'auteur est aussi un facteur certains ne peuvent jamais écrire brièvement, d'autres n'ont pas l'habileté de s'exprimer amplement.

Le ton:

Chaque texte parle sur un certain ton. Les uns sont solennels et graves; d'autres légers, même humoristiques. Il serait difficile d'expliquer dans un tel manuel comment distinguer le ton d'un texte. Dans tous les cas, il faut se souvenir de la grande différence culturelle qui nous sépare de notre texte d'étude. Un exemple nous aidera cependant à comprendre ce dont on parle:

Am 2.11-12: dans le contexte d'un oracle de jugement, l'obstination du peuple qui ne veut pas même voir un homme dévoué, ni entendre la parole divine, est condamnée:

"Plus tard parmi vos fils,
   j'ai suscité des prophètes;
j'ai appelé tels de vos jeunes hommes
   à se consacrer à moi par un voeu.
N'est ce pas vrai, gens d'Israël?
   demande le SEIGNEUR.
Or vous avez fait boire du vin
   à ceux qui ne devaient pas en boire,
vous avez interdit aux prophètes
   de parler de ma part."

Jon 4.11: à la fin du livre qui contient le récit souvent humoristique du "prophète" voulant échapper à son créateur, se fâchant pour une plante qui meurt, nous lisons:

"Alors le SEIGNEUR reprit: Ecoute, cette plante ne t'a donné aucun travail, ce n'est pas toi qui l'as fait pousser. Elle a grandi en une nuit et a disparu la nuit suivante. Pourtant tu en as pitié. Et tu voudrais que moi, je n'ai pas pitié de Ninive, la grande ville, où il y a plus de cent vingt mille êtres humains qui ignorent ce qui est bon pour eux, ainsi qu'un grand nombre d'animaux?"

L'amertume de l'un et la manière de l'autre de taquiner Jonas utilisent des tons nettement différents, bien que les objectifs soient semblables, à savoir un changement de comportement.

Prochaine section: 3.2 2 Les termes


Ce manuel a été rédigé par le Dr Tim Bulkeley à l'intention des étudiants africains de théologie de l'Université protestante du Congo. Il est mis en forme électronique hypertexte par lui en 2003-4.

Toute partie de cet ouvrage peut être copiée par quelque moyen que ce soit, à la seule condition de retenir cette mention intacte sur chaque page.

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