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3.1 1 La lexicologie

Au niveau lexicologique, il n'y a (pratiquement) pas deux mots venant de deux langues qui possèdent exactement les mêmes acceptions (les noms des espèces parfois font exception à cette règle). Par exemple le mot anglais "handle" peut être traduit en français par: les substantifs ‘anse’, ‘manche’, ‘poignée’, ‘queue’, ou ‘bras’; ou par les verbes ‘manier’, ‘manipuler’, ‘toucher à’, ‘toucher de la main’, ‘manoeuvrer’ ou ‘s'y prendre avec’; selon le contexte et pour certaines phrases particulières, il y a d'autres traductions encore. Le mot français "interdire" peut dire en anglais: forbid, prohibit, ban, preclude, prevent, block, not allow, bar, refrain, ou abstain.

Donc l'exégète doit être en mesure de reconnaître des tournures syntactiques spécifiques à l'hébreu (ou à l'araméen) et être ouvert à la gamme de sens que possèdent les mots de son texte. Au niveau syntactique, la "simple" conjonction ו "et" donne une idée du nombre des problèmes possibles. Même le petit lexique dépassé de SANDER et TRENEL indique les sens suivants pour cette conjonction:

Le lexique ancien mais plus scientifique, BDB, donne 11 sous sens pour "et", plus les sens verbaux et de prédication. En fait, il faut souvent ne pas le traduire du tout en français, ex. 1 R 1.1 commence avec ו comme sa première lettre./21

La lexicologie pose aussi des problèmes à l'exégète. Certaines méthodes d'argumentation lexicologique, trop utilisées par les théologiens, se sont avérées fausses selon la démonstration de BARR déjà en 1961./22 Elles ont cependant encore une place importante dans la présentation de certaines thèses aujourd'hui. Dans cet ouvrage, BARR démontre combien l'appui sur l'étymologie pour connaître le sens d'un mot dans un texte particulier est faux./23 Il donne un exemple en anglais: le mot holy ‘saint’ vient étymologiquement de la même racine que whole ou healthy ‘salubre’ ou ‘sain’, mais on ne peut pas comprendre tous les usages de holy dans un sens semblable à healthy. Dans le récit de l'appel de Moïse, a t il dû enlever ses sandales parce que la terre était saine healthy (sans ‘t’; en dépit de la possibilité d'un tel jeu de mots en français les deux mots viennent étymologiquement de sources distinctes, le latin sanctus et sanus); ou doit on parler de l'Esprit de Santé au lieu de l'Esprit Saint?

Il donne aussi des exemples d'interprétation de l'hébreu. Le premier concerne le premier mot du premier psaume אַשְׁרֵי qui veut dire "heureux" (FC & TOB). Mais le prof. SNAITH en introduisant le langage de l'A.T. a voulu l'attacher à son étymologie "Aller de l'avant" et à son sens dans d'autres langues sémitiques "un pas". BARR cite d'abord la conclusion de SNAITH:

«Tout cela montre combien ce premier mot est employé à propos. Le psaume parle du discernement entre la vraie route et la fausse. L'homme heureux est l'homme qui va droit en l'avant car, comme le dit le dernier verset, "le Seigneur connaît la route du juste", tandis que "la route du méchant se perdra".»/24

Il continue par ses propres critiques que nous citerons in extenso:

On juge donc qu'un mot est ainsi employé exceptionnellement à propos parce que d'autres mots de la même racine, et qui existent dans d'autres langues ou qui, s'ils existent dans la même langue [l'hébreu] n'y ont plus le sens étymologique (p. ex. le pronom relatif hébreu), ont ou sont censés avoir eu dans le passé le sens de «lieu» ou de «route», et parce que le thème d'ensemble du psaume concerne des routes, la bonne route et la fausse route. Il n'y a pas la moindre preuve que de telles associations se trouvaient dans l'esprit du poète; à vrai dire, certaines d'entre elles lui étaient (à lui et à ses contemporains) presque sûrement inconnues et impossibles à connaître. On recourt aux associations étymologiques, sans même se demander si elles existaient dans l'esprit de ceux qui utilisaient ce poème./25

Cette science qu'est l'étymologie, trop aimée des générations d'exégètes bibliques, n'est donc qu'un guide partiel vers le sens. HAYES et HOLLADAY dans leur manuel introductif à l'exégèse biblique fournissent cet avertissement:

Les personnages et les écrivains bibliques n'étaient pas plus conscients que les auteurs ou les orateurs actuels de l'histoire de leur langue, des mots et des expressions qu'ils utilisaient. Très peu de personnes parmi nous connaissent l'histoire des mots que nous utilisons et nous ne faisons pas d'efforts pour déterminer ‘le sens originel’ d'un mot avant de nous en servir. Sauf pour le philologue historique, de telles questions ne sont qu'autant de curiosités./26

Si l'étymologie est une source d'informations à déconseiller dans la recherche du sens, sur quoi peut on s'appuyer?

Dans la vie quotidienne, quand en lisant nous tombons sur un mot dont nous ignorons le sens, très souvent le dictionnaire n'est pas à notre portée et c'est le cotexte (le texte autour d'un énoncé; cf. ‘contexte’ la situation, du texte) du mot qui nous indique son sens. En théorie aussi l'usage d'un mot, c'est-à-dire comment il fonctionne dans son cotexte qui est la meilleure indication de sa sémantique. Les synonymes et les antonymes aident surtout à le définir.

Prochaine section: 3.1 2 En pratique


Ce manuel a été rédigé par le Dr Tim Bulkeley à l'intention des étudiants africains de théologie de l'Université protestante du Congo. Il est mis en forme électronique hypertexte par lui en 2003-4.

Toute partie de cet ouvrage peut être copiée par quelque moyen que ce soit, à la seule condition de retenir cette mention intacte sur chaque page.

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