Table des matières :: Glossaire :: Auteur

9.2 1 Femmes

Nous l'avons reconnu, la Bible est souvent utilisée comme instrument servant à justifier l'oppression de l'un par l'autre. Elle a servi surtout à l'oppression des majorités humaines par les minorités. L'exemple récent du colonialisme en est éloquent. Cependant un usage particulier parmi ses usages oppressifs prime sur les autres, étant le plus répandu dans l'espace et dans l'histoire, c'est le sexisme. L'interprétation sexiste de la Bible se fonde surtout sur les récits de la création dans l'A.T. et les passages dans les épîtres prônant la supériorité de l'homme pour le N.T., appuyée par des textes un peu partout où le sexisme n'est pas ouvert mais sous tend quand même la pensée. Ces deux groupes de textes illustrent le besoin qui existe pour les deux approches de lecture féministe de la Bible.

Fig. 71 Exécution assyrienne (en derrière d'un scène d'une ville assiégée)

Face au texte dont la portée réelle est opprimante le lecteur doit se révolter. Telle est la réaction de MOSALA devant le récit de Esther./226 MOSALA étant professeur noir en Afrique du Sud, membre du Black Theology Project, ne peut que se situer dans son contexte d'oppression raciale et capitaliste. Cependant voyant que toute oppression est complice, il ne peut pas séparer sa lutte raciale classiste de la lutte des femmes contre le sexisme.

Sa procédure commence, donc, par une analyse de la nature du texte d'Esther en termes de la société qui l'aurait produit. Cette démarche ne serait pas étrange au lecteur francophone par sa similarité avec l'approche matérialiste de Belo et de Clevenot. Le texte d'Esther se situe bel et bien dans une société féodal tributaire avec laquelle il partage en grande mesure l'idéologie. MOSALA note que le texte, qui par ailleurs fournit beaucoup d'informations d'ordre socio économiques ou politiques, ne dit rien des luttes de ceux qui ne sont pas membres de la classe dirigeante.

MOSALA reconnait que le texte se concerne avec la survie nationale, mais ceci ne le disculpe pas, car le prix de la survie est double. D'abord les opprimés doivent s'identifier avec l'idéologie des dominants. Ainsi ils deviennent les complices de l'oppression des autres. Puis leur rôle d'oppresseurs devient ouvert dans la fonction assignée à Esther; à elle les sacrifices, à Mardochée les récompenses.

Le texte d'Esther est donc texte du patriarcat, texte d'oppression. Le lecteur qui l'accepte connive à l'oppression. Une lecture libératrice doit le lire à l'encontre de cette nature oppressive. Pour ce texte, du moins pour ce lecteur, une lecture féministe consiste à dévoiler le fondement et le jeu idéologique oppressifs textuels et sur ce point de s'opposer au texte!
Par contraste avec cette lecture à l'encontre, d'autres lecteurs lisant d'autres textes peuvent arriver à une lecture féministe en collaboration avec le texte. Ceci est la démarche normale d'une doyenne des exégètes féministes, Phillis TRIBLE./227 Les récits de la création, souvent l'appui des théologies anti féministes, sont disposés à une telle lecture féministe comme le reconnait KIMFUEMINA Luvuma./228 On blâme moins souvent le premier récit, que le deuxième, sur ce point. En fait il est assez net:
   "Dieu créa l'humanité/229 à son image,
       à l'image de Dieu il les créa;
       mâle et femelle il les créa" (1.27).
La femme et l'homme sont crées ensemble et ensemble sont à l'image de Dieu. Cependant le deuxième récit est plus disposé aux interprétations anti féministes. Une telle interprétation très ancienne et très influente se trouve en 1 Co 11.2-16. Cependant, ce ne sont pas uniquement des auteurs misogynes qui interprètent ce texte ainsi, l'auteur féministe le peut aussi./230

Par contre une autre lecture est possible. Cette lecture ne serait ni sexiste, ni une lecture à l'encontre du texte, mais elle mettra en évidence ce que des siècles d'oppression ont réussi à cacher. Une telle lecture "avec le texte" notera combien ce récit souligne l'égalité fondamentale de l'homme et la femme, leur partenariat et même combien l'homme a besoin d'elle pour une vie complète./231

Ainsi on voit deux approches possibles pour le lecteur révolté par les lectures patriarcales traditionnelles d'un texte. On peut lire le texte à l'encontre, ainsi produisant une lecture en opposition au texte, mais en conformité avec l'esprit biblique./232 Alternativement on lit le texte en reconnaissant des éléments ignorés par la lecture patriarcale traditionnelle, ainsi produisant une lecture réformiste non sexiste du texte./233

Le choix entre ces deux approches est parfois une question de tempérament, certains lecteurs ont tendance à être réformateurs, d'autres révolutionnaires. Cependant, le lecteur doit tenir compte non seulement de son tempérament mais aussi, et avant, de la nature du texte. Un texte qui est libérateur ne demande pas une lecture à son encontre, tandis qu'un texte oppressif ne sera pas ouvert à une lecture réformiste. En plus le lecteur qui accorde à la Bible le titre de "Parole de Dieu" ne peut lire à l'encontre du texte qu'en dernier ressort, et ça au nom de fidélité à l'ensemble de la Bible.

Prochaine section: 9.2 2 En situation du Tiers monde : l'Afrique


Ce manuel a été rédigé par le Dr Tim Bulkeley à l'intention des étudiants africains de théologie de l'Université protestante du Congo. Il est mis en forme électronique hypertexte par lui en 2003-4.

Toute partie de cet ouvrage peut être copiée par quelque moyen que ce soit, à la seule condition de retenir cette mention intacte sur chaque page.

Creative Commons License
This work is licensed under a Creative Commons License.