considération exceptionnelle, que l'on retrouve déjà dans larecommandation donnée
par Paul et par Timothée de «garder lesordonnances qui ont été décrétées par les
apôtres» (Ac 16:4).Mais si l'on voulait, avec la notion catholique, inférer de là queles
Douze furent les seuls fondateurs de l'Église (Batiffol), ilserait aisé de répondre que,
dans les recommandations de Paul et deTimothée, les Anciens de Jérusalem sont
aussi bien que les Douze lesauteurs des ordonnances qu'il s'agit de garder. Les Douze
devaientbien moins que l'apôtre Paul évangéliser «jusqu'aux extrémités de laterre»; et
Batiffol lui-même est obligé de concéder que «les Douzeont synthétisé une prédication
qui avait été l'oeuvre collectived'apôtres peut-être plus nombreux». (cf. Lu 10:1-17)
Nous n'endemandons pas davantage. D'ailleurs le contenu du N.T. et le fait queplus
des deux tiers des livres qui le composent ont été écrits pard'autres que par les Douze,
montrent avec évidence que Jésus neconfia pas à ceux-ci le privilège exclusif de poser
le fondementdoctrinal (Symbole des Apôtres) et de donner l'investiture épiscopaledans
l'Église apostolique (imposition des mains). Ceci constaté, il est juste de reconnaître
que très vite, et dèsle II e siècle avec Ignace, l'Église, par souci d'unité etd'autorité,
manifesta la tendance de tout ramener aux douzecompagnons de Jésus-Christ. Ainsi
la Didachè s'intitulera:
Doctrinedu Seigneur aux nations par les douze apôtres.
Il n'en
demeure pasmoins que Paul et Barnabas ne firent point partie des Douze, et ceseul
fait suffit pour maintenir le bien-fondé de tout ce que nousavons exposé plus haut. La
tradition, dont l'évolution à travers lessiècles-a donné l'Église romaine, a créé un état
de choses que leN.T. n'introduit ni ne légitime. Sans doute la nécessité de l'ordre
amena bien vite la sociétéchrétienne, sous ses formes diverses, à exiger que les
ministres duChrist fussent instruits, éprouvés et consacrés serviteurs de leursfrères
par les corps constitués de l'Église, mais ce n'est pas à uneprérogative, à une
succession dite apostolique qu'ils doivent leurcrédit ni leur puissance; ce sont leurs
oeuvres vivantes quimanifestent qu'ils sont marqués du sceau divin. Harnack dit
avecraison que «le caractère charismatique n'exemptait personne de voirson mandat
reconnu et contrôlé par la communauté». Jésus lui-même est appelé «l'Apôtre» par
l'auteur de l'épître auxHébreux (Heb 3:1) parce qu'il a parfaitement représenté Dieu
surla terre. En la quittant, il a légué à ses disciples non un systèmede dogmes, une
législation, un monopole sacerdotal, mais la charge etla force de continuer sa vie.
Dans la mesure où un chrétien reproduitparmi les hommes le Christ qu'il prêche, il est
un apôtre. Il est enmême temps le continuateur de la vraie tradition chrétienne; car
ici,tradition (du latin
tradere
=transmettre, passer de main en main)suppose la
communication d'une vie: comment communiquerait-on unevie, si soi-même on ne la
possède pas? Et si on ne la possède pas,s'imaginerait-on la recevoir magiquement par
une imposition desmains, une ordination quelle qu'elle soit? Toute la morale
del'Évangile s'oppose à une telle conception. Il est exact de dire quela seule Église
authentiquement chrétienne est l'Église apostolique,à condition de se souvenir qu'on
affirme par là que l'Église est unesociété dirigée non par une caste sacerdotale qui