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livre, comment les hommes devraient apprendre à se conduire, au milieu des
contrariétés diverses et nombreuses qu'ils peuvent rencontrer dans le cours de
leur existence. De là tous ces conseils de détail, ces exhortations, ces
avertissements, qui commencent par la vanité des choses visibles et finissent
par l'importance des choses invisibles.
La rapidité, et avec elle l'obscurité du récit, est augmentée par la forme
particulière que l'auteur lui a donnée. Il parle au présent des choses passées.
On le voit enthousiaste de la science (I, 12-18), livré à tous les plaisirs (II, 1-
11), aux sensualités les plus délicates, on les plus grossières, tour-à-tour social
et misanthrope, ayant la manie de bâtir, puis celle d'écrire, et tous ses goûts
aboutissant régulièrement aux plus amères déceptions. On voit tour-à-tour
l'homme de science et l'homme de plaisir, le fataliste, le matérialiste,
l'épicurien, le stoïcien, parlant chacun avec son caractère, se résumant ensuite
en quelques paroles plus sérieuses, illuminées d'une sagesse supérieure, et
s'éclaircissant tout-à-coup pour finir, des rayons les plus sublimes et les plus
purs, de l'humble et repentante confession d'un pécheur devenu croyant.
Ajoutons que le portrait qu'il trace n'est, ni un portrait de fantaisie, ni celui
d'un individu exceptionnel, mais, avec quelques nuances de détail, celui de
tous les hommes.
Les observations qui précèdent aideront à comprendre le sens de. plusieurs
passages qui, sans cela, resteraient obscurs. Il y a, en effet, à côté de
conclusions tirées par le sensualisme le plus grossier, d'autres conclusions
éminemment pures et spirituelles (V, 1-3; VII, 29; XI, 5; XII, 1, 7); d'autres, en
revanche, ne sont qu'à moitié vraies; d'autres enfin sont complètement fausses
(III, 19; II, 16; IX, 2). On a fait des efforts inutiles pour trouver l'accord de ces
dernières avec d'autres portions des Ecritures, ou pour les expliquer par
d'autres paroles de Salomon lui-même. Ce n'est pas là que se trouvera la
solution de ces difficultés. Chaque tableau est le portrait d'un mondain
intelligent et désappointé, mais éclairé des reflets d'une lumière céleste et
divine. L'Ecclésiaste est l'histoire d'espérances fantastiques et de complètes et
amères déceptions; c'est par conséquent, plus ou moins, l'histoire de chacun.