CHAPITRE VI.


NINIAN RETOURNE EN BRETAGNE-VISITE MARTIN DE TOURS-CONSTRUIT UNE ÉGLISE À WHITHORN.
 

NINIAN est retourné en Grande-Bretagne avant que la tempête n'éclate. Il se trouve une fois de plus au milieu des scènes de sa jeunesse. Ce sont les marées argentées du Solway, et non les vagues jaunes du Tibre, qui passent devant lui ; et au-dessus de lui s'étend la voûte brumeuse qui encercle les landes brunes de son pays natal, et non la voûte de lumière saphir qui est suspendue au-dessus des collines bordées de vignes et des villes de marbre de l'Italie. Cet éclat de la terre et de l'air, il l'a laissé derrière lui lorsqu'il a traversé les Alpes. Mais Ninian sait qu'il existe une meilleure lumière que celle qui embrase les paysages des pays du sud, et le souhait suprême de son coeur est de diffuser cette lumière sur sa Grande-Bretagne natale, et de la porter dans toutes les huttes de boue et les habitations en torchis de son Galloway bien-aimé ; et s'il y parvient, il n'enviera pas à l'Italie ces splendeurs naturelles dans lesquelles elle baigne, et qui transcendent tellement les plaines crépusculaires de sa terre natale.
 

On peut considérer comme vraie l'affirmation selon laquelle Ninian a rendu visite à Martin de Tours lors de son retour en Grande-Bretagne. Ce médecin était sans aucun doute un homme à l'intelligence généreuse, aux conceptions larges et audacieuses, à la volonté résolue et, nous pouvons l'ajouter, à la piété fervente. Son génie a marqué non seulement son époque, mais aussi celles qui l'ont suivie. Il visait à élever la société en lui présentant un modèle nouveau, grandiose et frappant d'abnégation. Nous devons cependant nous permettre de mettre en garde nos lecteurs lorsque nous parlons de ces grands pères, en leur demandant de garder à l'esprit que leur grandeur était relative plutôt qu'absolue. À cette époque, le niveau général de connaissance et de piété était faible, et des hommes comme Martin se distinguaient donc d'autant plus de leurs semblables. Leurs contemporains étaient quelque peu enclins à vénérer ce qui leur paraissait si loin au-dessus d'eux. Il nous incombe aujourd'hui, en prenant la mesure réelle de ces géants, tels qu'ils apparaissaient aux hommes de leur époque, et plus encore aux chroniqueurs des siècles suivants, de réfléchir au fait que nous les voyons à travers les nuages mythiques et grossissants du Moyen-Âge ; et l'effet d'une telle vision peut être jugé équitablement lorsque nous disons que le biographe de Martin, Sulpicius Severus, raconte qu'il a été nommé évêque de Tours (A. D. 371) pour la bienveillance de l'Église catholique. D. 371) pour l'acte bienveillant qu'il a accompli en ressuscitant deux hommes. Le christianisme était alors jeune, et il a insufflé son esprit d'enthousiasme juvénile à certains de ses disciples. Il y avait de la place à cette époque pour des expériences audacieuses, originales et inédites, et c'est ainsi que Martin de Tours a mis en avant ses grands pouvoirs et a cherché à faire du bien à son époque.
 

Après Jérôme, Martin de Tours fut le grand mécène et promoteur du monachisme en Occident. Il lui semblait que c'était le seul remède au grand mal de son époque. Il ne pouvait s'empêcher d'opposer la vie complaisante et facile des chrétiens d'Occident aux austérités pratiquées par les anachorètes, au milieu des sables de Nubie ou des rochers d'Arabie Pétrée ; et il cherchait, en transplantant le système monastique en Gaule, à restaurer le ton moral de la société. Martin aurait mieux réussi s'il avait restauré la pureté du culte de l'église et la vigueur de sa discipline primitive, dont le déclin avait entraîné le laxisme et la corruption universels qu'il déplorait. Au lieu de cela, il a greffé sur l'église un ordre inconnu des temps primitifs. Il ne transplanta cependant pas le monachisme de la Thébaïde en Occident sans le modifier très matériellement. En Orient, l'érémitisme était une chose tout à fait inutile. L'ermite n'aurait pas pu être moins utile au monde si, au lieu de se retirer dans sa cellule, il s'était retiré dans sa tombe. L'érémitisme oriental était encore plus oisif que l'oisiveté à laquelle Martin voulait remédier. Le monachisme de la Gaule n'était pas reclus et solitaire, mais social et opératif. Les membres des nouvelles confréries travaillaient ensemble à la diffusion du christianisme ou à sa revitalisation dans les localités particulières où se trouvaient leurs branches ou leurs maisons. Dans une société chaque jour plus démoralisée, elles étaient, dans certains cas, des instituts missionnaires, dans d'autres, des écoles de lettres et de philosophie, et dans d'autres encore, des exemples et des modèles d'industrie agricole, et non rarement, les trois à la fois[1].
 

Martin, tout naturellement, pouvait communiquer ses vues à Ninian ; et Ninian s'en remettait tout aussi naturellement au grand docteur alors au zénith de sa renommée. Le missionnaire de Galloway se convertit au monachisme comme moyen de combattre la corruption et de dissiper l'ignorance de l'époque. C'est dans cette optique qu'il travaillera désormais à son retour dans son pays natal. C'est pourquoi, avant de quitter Tours, il s'entendit avec Martin pour que des maçons le suivent en Écosse et lui construisent un sanctuaire dans lequel il pourrait célébrer le culte avec plus de solennité que par le passé. N'y avait-il pas d'ouvriers de la pierre en Écosse ? Il y en avait sans doute, mais ils n'étaient pas qualifiés pour l'architecture d'édifices tels que ceux dont Ninian avait besoin pour le culte des Britanniques. Une église de bardeaux l'avait déjà satisfait, mais il s'était rendu à Rome, et il fallait que son culte s'inspire un peu plus du modèle italien. Il s'était assis aux pieds du pape Damas, et bien qu'il n'ait pas changé la substance de son christianisme, il avait quelque peu modifié les formes extérieures de son expression. Sa piété avait désormais une saveur romaine. Les experts arrivèrent de Tours en temps voulu et la construction commença. Elle s'élève à Whithorn, sur la rive nord de la Solway, sur un promontoire rocheux qui s'avance hardiment dans la mer d'Irlande[2]; elle est construite en pierre blanche, d'où son nom, Candida Casa, la maison blanche. Martin de Tours mourut alors qu'elle était en cours d'édification, ce qui fixe sa date à l'an 397 de notre ère[3]. Elle fut dédiée à Martin et on pense qu'il s'agit du premier édifice en pierre construit pour le culte de Dieu en Écosse.
 

Ninian n'aurait pas pu choisir un meilleur site pour poursuivre ses travaux missionnaires. Son champ d'action s'étendait à l'intérieur des deux murs. C'était le territoire, de tous les autres en Grande-Bretagne, le plus exposé aux tempêtes de l'invasion et de la guerre. Ce sont les Pictes et les Écossais qui descendent du nord pour piller les champs des provinciaux, et ce sont les Romains qui arrivent en hâte du sud pour repousser les hordes de pillards et sauver les vies et les biens des indigènes sans défense. Il est difficile de dire si ce peuple sans esprit a souffert davantage des ravages des Pictes ou de leur allié romain. Lorsque la bataille faisait rage, Ninian pouvait se retirer sur son promontoire et y trouver refuge ; une fois la tempête passée, il ressortait et reprenait son travail. En effet, bien que le promontoire de Galloway fasse partie de la terre contestable, il en est réellement exclu, en ce qui concerne les incursions des armées de pillards. Il s'étendait au sud-ouest, jusqu'aux marées du canal d'Irlande, et était entouré de tous côtés par la mer, sauf au nord, où il rejoint la terre ferme. Ses côtés sud et ouest présentent un mur de falaises abruptes, inaccessibles à l'envahisseur, bien qu'elles s'ouvrent sur des criques dans lesquelles un bateau, pressé par la tempête, peut trouver refuge. L'éloignement et la difficulté de la localité lui ont permis d'échapper aux incursions de la guerre, bien que les échos des batailles retentissent presque continuellement dans ses solitudes. Les Romains, dans leur progression vers le nord, sont passés à côté, ne voyant rien dans cette avancée solitaire recouverte de bois qui puisse les faire dévier de leur ligne de marche ; et lorsque les montagnards sont descendus pour voler les récoltes et les basses-cours de ses voisins, ils ont sans doute conclu qu'il n'y avait rien dans ce promontoire stérile qui puisse récompenser une visite prédatrice, et ils l'ont donc également laissé intouché. Lorsque Ninian en prit possession, le promontoire était encore dans son état naturel. Il était couvert d'épaisses forêts, au milieu desquelles vivait une tribu de bretons autochtones, à laquelle Ptolémée donne le nom de Novantes, et dont il nous dit qu'elle avait construit deux villes, défrichant sans doute un espace dans la forêt, et construisant leurs maisons avec le bois qui avait poussé sur le site. Les noms des deux villes étaient Rerigonium et Leucopibia[4].
 

Rappelons la scène telle qu'elle s'est présentée aux yeux de l'apôtre de Galloway lors de ses allers et retours dans ses tournées missionnaires. Du point le plus élevé du promontoire, la vue est étendue et imposante. À nos pieds, les eaux du canal d'Irlande s'étendent tout autour du promontoire, sauf au nord où il s'étend sur le continent. De l'autre côté d'une étroite bande de mer, on aperçoit les montagnes de l'île de Man, qui s'élèvent devant nous dans l'océan. En se tournant vers le nord, l'œil tombe sur les promontoires successifs de Galloway, alignés le long de la côte, et qui s'étendent jusqu'aux environs de Portpatrick. En suivant leurs sommets accidentés, l'œil se pose sur les collines des comtés de Wigtown, Kirkcudbright et Dumfries, que l'on voit, crête après crête, s'élever depuis les rives de la Solway. La vue vers l'est complète le tableau. Devant nous s'étend la côte du Cumberland, avec ses baies nichées et ses maisons blanches qui brillent sur la plage ; et derrière, la ligne ondulante et pittoresque de ses collines bleues. Telle était la retraite choisie par Ninian. Ses vêtements n'étaient pas aussi riches qu'à notre époque. Il était naturellement sauvage et accidenté, mais la beauté panoramique variée de l'océan et de la baie, du promontoire et de la montagne était la même à l'époque qu'aujourd'hui.
 

Nous voyons donc Ninian établir son quartier général et fonder un collège ou une école de missionnaires, ou de moines, comme on commençait à les appeler, bien qu'il faille veiller à ne pas les confondre avec la classe qui a porté ce nom par la suite. Nous ne pouvons pas douter que Ninian ait continué à travailler à la cause de la chrétienté de son pays, mais le changement d'opinion qu'il avait subi a été suivi, sans aucun doute, d'un changement dans ses méthodes de travail. Ses méthodes étaient désormais plus histrioniques. Il avait moins recours à l'enseignement oral et comptait davantage sur la célébration des services religieux pour obtenir des résultats, selon le modèle qu'il avait vu à l'étranger. Il était allé à Rome pour être mieux instruit sur les Saintes Écritures. Sa signification était-elle plus claire à présent ? S'ouvrait-elle, comme jamais auparavant, et révélait-elle des trésors cachés de grâce et de sagesse ? Ou plutôt, n'y avait-il pas maintenant une ombre sur la page de la Bible qui obscurcissait sa lumière et faisait croire à Ninian qu'il regardait dans des profondeurs plus profondes alors qu'il ne regardait qu'à travers un médium plus obscur ? Nous craignons fort qu'il en ait été ainsi, en partie, pour l'apôtre de Galloway, après son retour de Rome ; car lorsque les papes et les synodes sont acceptés comme interprètes de la Bible, l'Esprit, qui est l'interprète divin, se retire.
 

Notes de bas de page
 

I. Guizot, Hist. de la Civilisation en France, t. i., p. 110.
 

2. Bède, Eccl. Hist., lib. iii. cap. 4.
 

3. L'année précise est contestée ; mais toutes, ou presque toutes les autorités, placent la mort entre l'an 397 et l'an 401. L'église Saint-Martin de Tours a été détruite lors de la première révolution française. Son tombeau se trouvait derrière le grand autel, une simple érection, s'élevant à trois pieds du sol, et sans figures-Tillemont, Mémoires; Le Brun des Marettes, Voyage Liturgigues de France, Paris, 1757.
 

4. Les trois, Leucopibia, ou Leucoikidia, Candida Casa, et Whithern, sont identiques dans leur signification, signifiant Maison Blanche. Le premier est d'origine grecque, le second latine et le troisième saxonne, de ærn, maison.


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