CHAPITRE   II.


LE VOYAGE DES KYMRI EN BRETAGNE.
 

Il y a trois guides que nous pouvons appeler à notre aide lorsque nous partons à la recherche du berceau des tribus, des races et des nations qui peuplent le globe. Le premier est la philologie, c'est-à-dire la langue ; le deuxième est la mythologie, c'est-à-dire le culte ; et le troisième est la tradition, c'est-à-dire le folklore. Ce sont trois guides qui ne mentent pas et qui ne peuvent pas nous induire en erreur.
 

En ce qui concerne le premier, il n'est pas besoin d'une grande force de réflexion pour nous convaincre que, dans les premiers temps, les hommes conversaient entre eux dans une langue commune, c'est-à-dire que l'homme a commencé par parler une seule langue. Ce langage unique ne subsiste-t-il pas quelque part sur la terre, légèrement changé et modifié, peut-être, par le temps et d'autres influences, mais contenant encore les racines et les caractéristiques élémentaires de ces nombreuses langues qui sont répandues sur la terre et dont il est le parent ? Ce n'est pas une supposition, mais un fait. La philologie tient dans sa main l'indice qui lui permet de suivre toutes les langues du monde à travers le labyrinthe perplexe des diverses grammaires, idiomes et dialectes, jusqu'à la langue originelle de la race. Et lorsque nous permettons à la philologie de faire son travail, elle nous conduit à la grande plaine centrale de l'Asie, appelée Iran. Les recherches de Max Muller, Sir William Jones et d'autres, semblent avoir établi le fait que nous trouvons les ancêtres de toutes les nombreuses langues des nations, non pas dans les langues classiques de la Grèce et de Rome, ni dans les langues sémitiques plus anciennes, mais dans le langage des races indo-européennes ou aryennes. Le sanscrit possède les racines-affinités et se situe dans une relation commune avec toutes les langues de l'Orient d'une part et de l'Occident d'autre part. Il revendique fièrement la paternité des langues humaines et identifie l'Iran comme l'endroit d'où la famille humaine s'est répandue à l'étranger. « Après des milliers d'années, dit M. Dasent, la langue et les traditions de ceux qui sont allés à l'Est et de ceux qui sont allés à l'Ouest ont une telle affinité entre elles qu'elles ont établi, sans discussion ni contestation, le fait qu'ils descendent d'une souche commune »
 

Passons maintenant à la preuve, sur le point qui nous occupe, du deuxième témoin, la mythologie ou le culte. La première forme d'adoration - sans tenir compte de la seule forme divine - était l'adoration de la nature. Par culte de la nature, nous entendons l'adoration de la divinité par le biais d'un symbole terrestre. Le premier symbole du Créateur était le soleil et, par conséquent, la première forme de culte de la nature était le culte du soleil. Où et dans quelle région de la terre le premier acte d'adoration du soleil a-t-il été accompli ? Tous s'accordent à dire que cette forme de culte a pris naissance dans la région que la philologie nous a déjà fait découvrir et qu'elle a identifiée comme la terre natale de l'humanité. Dans les plaines de Shinar s'élevait la grande tour ou le temple de Bel, ou du Soleil. C'est là qu'apparut le premier foyer d'un culte qui se répandit rapidement sur la terre, multipliant sans cesse ses rites et variant ses formes extérieures, devenant toujours plus somptueux mais toujours plus grossier, mais présentant dans tous les pays et chez tous les peuples les mêmes caractéristiques séminales et les mêmes racines-affinités qui s'étaient incarnées dans le premier acte d'adoration du soleil dans la plaine chaldéenne. C'est ainsi que nous arrivons une deuxième fois dans ces grandes plaines sur lesquelles l'Ararat regarde.
 

Il y a un troisième témoin, et son témoignage va dans le même sens que celui des deux précédents. Il existe un corpus littéraire unique qui flotte dans les langues de l'Orient et de l'Occident. Il s'agit essentiellement d'une littérature populaire, composée de traditions, de fables et de contes, que l'on appelle communément folklore. Ces contes portent l'empreinte de la création d'une jeune race : ils brillent des couleurs de la romance et incarnent, sous forme d'allégories et de fables, les maximes d'une sagesse ancienne. Qu'il s'agisse de la langue celtique ou teutonique, classique ou vernaculaire, dans laquelle nous entendons ces récits, nous constatons qu'ils sont les mêmes. Ils ont la même trame de fond ou la même intrigue, bien qu'ils soient diffusés à travers le monde. Cela indique une origine commune, et en remontant jusqu'à cette origine, nous passons les langues de l'Europe moderne, nous passons les langues latines et grecques, nous arrivons à la langue parlée par les races aryennes d'Asie, et nous trouvons là la source de ces contes uniques et universels. C'est un autre lien entre l'Orient et l'Occident, entre les peuples qui ont tenu l'« aube grise » et ceux sur lesquels la « veille » du monde est destinée à descendre. Tel est le témoignage de ces trois éléments : philologie, religion, tradition. Ce sont les empreintes que la famille humaine a laissées sur le chemin qu'elle a parcouru ; et en suivant ces traces, nous sommes conduits en Iran, où vivaient les hommes qui ont été les premiers à « labourer et épandre » le sol.
 

Il y a trente ans, il aurait fallu un peu de courage pour mentionner, à moins de la répudier, l'autorité que nous sommes sur le point de citer. À cette époque, il était de bon ton de mettre en doute les premières traditions de toutes les nations. On croyait que les premiers chroniqueurs avaient la veine légendaire des sages modernes, qu'ils prenaient plaisir à garnir leurs pages de prodiges et de merveilles, plutôt que de les remplir de faits avérés. Mais cet esprit de scepticisme historique s'est depuis lors nettement amendé. Les tablettes gravées déterrées des ruines de Ninive, les trésors exhumés des monticules de Babylone et les secrets d'une époque révolue que les explorations de la plaine de Troie nous ont fait connaître, ont attesté la véracité des premiers écrivains et nous ont montré qu'au lieu de s'adonner à l'amour de la fable, ils s'attachaient scrupuleusement aux faits et s'abstenaient de tout ornement poétique, ce dont le monde, en ces derniers temps, ne leur avait pas fait crédit. Il en résulte que les premiers historiens parlent aujourd'hui avec une autorité légitimement renforcée. Cette remarque est particulièrement vraie pour les auteurs sacrés, mais aussi, dans une large mesure, pour les historiens profanes.
 

En Grande-Bretagne, nous possédons également les archives d'une époque ancienne. Ces écrits ont été conservés, non pas dans la poussière de la terre, comme les cylindres écrits et les dalles gravées de la vallée du Tigre et de l'Euphrate, mais dans les dépôts sacrés de la race aborigène dont ils prétendent rapporter l'origine. Il s'agit des « Triades galloises ». Ces documents sont les traditions reçues des premiers colons, transmises de père en fils et finalement mises par écrit par les druides, les prêtres des aborigènes. Ils sont classés par groupes, chaque groupe étant composé de trois événements analogues, le but étant évidemment de simplifier la narration et d'aider la mémoire. Nous ne revendiquons pas pour eux l'autorité de l'histoire ; nous les utilisons seulement comme jetant une lumière latérale sur les ténèbres de cette époque lointaine, et comme confirmant, ou comme illustrant, dans la mesure où il n'est pas possible de les comprendre, l'esquisse que nous avons osé tracer du peuplement de l'Europe, et du premier établissement de la Grande-Bretagne, d'après les preuves étymologiques et historiques qui nous restent.
 

La quatrième triade dit : « La nation britannique repose sur trois piliers. Le premier fut Hu le Puissant, qui amena la nation de Kymry sur l'île de Grande-Bretagne. Ils vinrent du pays de l'été, appelé Defrobani (les rives du Bosphore), et traversèrent la mer Hazy jusqu'à l'île de Grande-Bretagne et l'Armorique (la Gaule), où ils s'installèrent. Les deux autres piliers de la nation des Kymri étaient Prydain et Moelmud, qui leur donnèrent des lois et établirent la souveraineté parmi eux ».
 

La cinquième triade dit : « Il y avait trois tribus sociales sur l'île de Grande-Bretagne. La première était la tribu des Kymry qui vint sur l'île de Grande-Bretagne avec Hu le Puissant, parce qu'il ne voulait pas posséder un pays et une terre par le combat et la poursuite, mais par la justice et la tranquillité. La seconde était la tribu des Lloegrians (la Loire) qui venait de Gascogne et qui descendait de la tribu primitive des Kymry. La troisième était les Brython, qui venaient d'Armorique, et qui descendaient de la tribu primitive des Kymry, et ils avaient tous les trois la même langue et le même langage ». Cette triade offre une esquisse de deux migrations que l'on voit se diriger vers notre île, chacune par un chemin différent. L'une vient de la mer Hazy (très probablement de l'océan Germanique)1, l'autre de la Gaule, de l'autre côté de la Manche. Mais toutes deux sont issues de la même souche, les Kymri, les descendants de Gomer qui ont été les premiers à peupler l'Europe.
 

Les Triades parlent ensuite de deux arrivées ultérieures de colons par lesquels la première grande immigration en Grande-Bretagne a été suivie et complétée.2 Les deux immigrations ultérieures ont sans doute été transmises aux régions les plus éloignées et peut-être encore inhabitées de notre pays. Il est naturel de supposer que les premiers arrivants s'établirent dans les plaines fertiles et herbeuses de l'Angleterre et refusèrent, non sans raison, de céder aux nouveaux venus des terres dont ils avaient déjà établi, par la culture, le droit de propriété. Ces derniers explorateurs devront poursuivre leur route et chercher à s'établir dans les régions moins hospitalières et plus montagneuses de l'Écosse. Ceux que nous voyons aujourd'hui arriver sur notre île et se retirer sur les straths et les pentes des Grampians sont probablement les ancêtres des hommes qui ont ensuite porté le nom de Calédoniens.
 

L'histoire ne nous apprend pas à quelle époque les fils de Gomer - car il ne s'agit que de retracer leur migration - quittèrent leurs sièges d'origine à l'Est. Il est naturel de supposer qu'avant sa mort Noé donna à ses fils des indications précises sur la manière dont il entendait répartir la terre entre eux, et sur les parties du globe où ils devaient chercher leurs différentes demeures. Comme grand patriarche de l'humanité, il possédait la principauté du monde. Cette vaste souveraineté, il ne pouvait la transmettre intégralement. Comme certains grands monarques qui ont vécu depuis ce jour, il dut répartir son pouvoir entre ses successeurs ; et en cela il agit, nous n'en doutons pas, conformément aux indications qui lui avaient été données sur la volonté d'un monarque encore plus grand que lui. Car il nous est dit que « le Très-Haut répartit entre les nations leur héritage ». Mais il est peu probable que des rivalités et des conflits surgissent à l'occasion de la distribution d'un bien aussi splendide. Certains ne voudront peut-être pas s'aventurer dans les régions inconnues qui leur sont attribuées, et préféreront, au lieu d'un voyage long et incertain, rester près de leur lieu d'origine. Les collines fertiles et les vallées bien arrosées de l'Arménie, les vastes plaines du Tigre et de l'Euphrate ne seraient pas facilement abandonnées pour un climat moins hospitalier et une terre moins généreuse. Noé jugerait sans doute opportun que, de son vivant, les trois sectes en lesquelles se répartissaient ses descendants commençassent leur voyage, chacune dans la direction des biens qui lui étaient attribués.
 

Ham doit diriger ses pas vers son continent de sable à l'ouest. Japhet doit franchir les montagnes du Nord et chercher un foyer pour sa postérité sous des cieux moins cléments que ceux de l'Assyrie. Shem doit tourner son visage vers les plaines brûlantes de l'Inde. Quitter leur vallée abritée et désormais bien cultivée pour des terres inconnues dont ils devaient commencer par soumettre le sol accidenté, était une perspective loin d'être engageante. Le commandement d'aller de l'avant semblait difficile. Ils perdraient la force que donne l'union et seraient dispersés sans défense sur la surface de la terre. Et si nous lisons bien le bref récit de la Genèse, le mandat du Ciel, donné à l'humanité par l'intermédiaire de son Père commun, de se disperser et de coloniser le monde, se heurta à une résistance ouverte et organisée. Ils se révoltèrent et, en signe de révolte, construisirent leur tour dans la plaine de Shinar. Un nom se détache, hardi et distinct, dans les ténèbres qui cachent tous ses contemporains, celui même du chef de cette rébellion. Nemrod voyait dans cette forte répugnance de l'espèce humaine à se diviser en tribus et à se disperser à l'étranger, un sentiment sur lequel il pourrait appuyer son projet de monarchie universelle. Son plan consistait à maintenir la famille humaine en un seul lieu, et c'est pourquoi il encouragea l'édification de cette énorme structure, qu'il consacra au culte du Soleil, ou Bel. Cette tour située dans la plaine de Shinar devait être le grand temple du monde, le sanctuaire où la famille humaine ininterrompue se réunirait pour célébrer son culte et réaliser ainsi son unité. La tour était le symbole d'une double tyrannie, celle du despotisme politique et celle de la superstition religieuse. La politique de Nemrod était la même que celle de beaucoup d'autocrates qui, depuis, ont trouvé dans la prêtrise le meilleur allié de leur ambition et ont conclu que le moyen le plus sûr de maintenir un peuple sous son propre joug était d'abord de plier son cou à celui d'un faux dieu. C'est la politique adoptée par Jéroboam à une époque longtemps postérieure, lorsqu'il érigea ses veaux d'or à Dan et à Béthel, afin que les dix tribus n'aient pas l'occasion de se rendre à Jérusalem pour adorer, et qu'elles soient ainsi séduites pour revenir à leur allégeance à la maison de David.
 

Cette tentative audacieuse et impie se heurta à une déconfiture rapide et terrible. « Le Seigneur descendit », dit l'historien inspiré, en utilisant une forme de langage communément employée pour indiquer, non pas une apparition corporelle ou personnelle sur la scène, mais un événement qui sort tellement de l'ordinaire, une catastrophe si inattendue et si énorme qu'elle est ressentie comme étant l'œuvre de la divinité. On peut imaginer les éclairs et les tempêtes puissantes qui accompagnèrent le renversement de ce premier des temples idolâtres et du centre de ce qui devait être un despotisme mondial. Il n'était plus nécessaire de répéter l'ordre patriarcal d'aller de l'avant. Poursuivis par d'étranges terreurs, les hommes s'empressèrent de fuir une région où l'autorité du Tout-Puissant avait été défiée de façon évidente, et où elle était maintenant justifiée de façon tout aussi évidente. Si Noé survécut à cette catastrophe, comme il avait survécu à une autre plus terrible, il vit maintenant l'insurrection contre son gouvernement patriarcal réprimée, et sa postérité forcée de partir en trois grands corps ou colonies pour chercher dans les forêts primitives et les régions sauvages du monde chacun des foyers qui lui étaient assignés. Nous ne nous trompons pas beaucoup si nous fixons l'époque de ce grand exode aux environs de la trois centième année après le déluge.
 

La durée du voyage des bandes de Gomer, depuis leur point de départ jusqu'aux rivages de la Grande-Bretagne, ne dépend pas tant de l'espace à parcourir que des incidents qui peuvent survenir pour faciliter ou retarder leur voyage. Ils n'avaient pas de pionniers pour aplanir leur chemin, et ils ne pouvaient avoir de carte pour les guider dans des régions qu'ils étaient eux-mêmes les premiers à explorer. La vitesse du voyageur isolé, et même de la caravane, est rapide et ininterrompue ; les mouvements d'un million ou de deux millions d'émigrants sont pénibles et laborieux. Leurs troupeaux les accompagnent dans leur marche. Ils doivent traverser d'innombrables fleuves et rivières, franchissables seulement par des ponts extemporanés, ou dans des canoës creusés à la hâte dans de grands chênes abattus dans la forêt voisine. Ils devaient traverser des plaines marécageuses, se frayer un chemin à travers des bois enchevêtrés et se débattre dans d'étroits défilés montagneux. Une telle marche est nécessairement lente. Ils faisaient sans doute de longues haltes dans les régions les plus fertiles qui se trouvaient sur leur route. Dans ces endroits, ils pratiquaient un peu d'élevage et échangeaient leurs habitudes de nomades contre les occupations d'un mode de vie plus sédentaire ; et ce n'est que lorsque l'endroit devenait trop étroit pour leur nombre croissant qu'ils envoyaient un nouvel essaim pour épier les régions sauvages au-delà et trouver de nouvelles habitations qui devenaient à leur tour des points de rayonnement d'où des ruisseaux frais pouvaient sortir pour peupler les terres et les montagnes qui s'étendaient autour de leur piste. Leur progression présenterait l'image inverse de celle de l'armée dont l'écrivain inspiré avait si bien décrit la marche terrible. L'armée de sauterelles du prophète poursuivait son chemin avec les millions d'envahisseurs, mais pacifiques, dont nous contemplons la marche. Partout où leurs pas passaient, la terre stérile se transformait en jardin. C'est la beauté, et non la noirceur et l'incendie, qui s'étendait derrière eux. L'étang marécageux et le bois noir disparaissaient à mesure qu'ils avançaient, et derrière eux, sur leur piste, s'étendaient des champs souriants et des habitations d'hommes.
 

Quarante ans ont suffi pour conduire les Goths des rives du Danube aux rivages de l'Atlantique. Mais leurs pas étaient accélérés par leur amour de la guerre et leur soif de pillage. Aucun stimulant de ce genre n'animait la horde d'émigrants dont nous retraçons la marche, ni ne la poussait à avancer. Leur mouvement n'aurait pas manqué de ressembler à ce que nous voyons aujourd'hui en Amérique et en Australie, où l'on assiste à un exode progressif et continu des centres de population vers les régions sauvages, et où la zone de désolation et de silence recule constamment devant la face de l'homme. Des centaines d'années - nous ne savons pas combien - ont été nécessaires à ces premiers intrus dans les étendues silencieuses de l'hémisphère nord, alors qu'ils avançaient lentement et donnaient la première touche de culture à ce qui est aujourd'hui, et a longtemps été, le théâtre de beaux royaumes et de villes florissantes.3
 

Les hommes que nous voyons aujourd'hui débarquer sur nos côtes sont des bergers et des chasseurs. Ils ont appris quelque chose au cours de leur long voyage, mais ils ont oublié bien d'autres choses. Ce voyage n'a pas été propice à l'acquisition de connaissances, ni au raffinement des manières. L'épithète « barbare » s'appliquait sans doute davantage à eux à leur arrivée dans leur nouvelle demeure qu'à leur départ de leur lieu d'origine. Les compétences en matière d'élevage et d'arts qu'ils possédaient dans leurs lieux d'origine devaient être diminuées, voire presque perdues lors de leur transmission à travers les générations successives, au cours de leur vie errante et instable. Leurs combats quotidiens avec les aspérités de la terre, les tempêtes du ciel ou les bêtes de proie, fortifieraient leur corps et disciplineraient leur courage, mais ils tendraient en même temps à rendre leurs manières rudes et à donner une teinte de férocité à leur tempérament et à leurs dispositions.
 

Ils n'avaient pas d'influences contraires, telles que celles que l'émigrant moderne des anciens centres de civilisation emporte avec lui dans les régions sauvages du monde méridional ou occidental. Nous avons l'habitude de donner à la vie du berger les teintes de la poésie et à l'Arcadie les vertus de la simplicité et de l'innocence, mais lorsque nous quittons ce monde imaginaire pour contempler la vie réelle, nous sommes brutalement réveillés de notre rêve. Nous sommes choqués de trouver la brutalité et la cruauté là où nous nous étions imaginé la douceur et l'amour. Ce sont les pâturages de l'Europe qui ont envoyé ses guerriers les plus féroces. Ses tribus nomades ont été ses désolateurs les plus impitoyables. Pour prouver notre affirmation, nous pourrions faire appel au portrait qu'Hérodote dresse des Scythes de son époque, ou aux hordes ravageuses qui sortaient des rives du Borysthène ou de la Volga, ou aux hallebardiers sanguinaires qui, plus tard, sont si souvent descendus des montagnes suisses pour répandre la bataille et le carnage dans les plaines autrichiennes et italiennes. Les influences qui ont transformé ces habitants des bergeries en guerriers et en pillards agiraient, bien qu'avec une force considérablement modifiée, sur l'armée de nomades que nous voyons poursuivre leur chemin, siècle après siècle, le long de la grande pente qui mène des hauts plateaux de l'Arménie et des chaînes du Caucase jusqu'aux rives de la mer du Nord. Ils ne pouvaient guère éviter de saisir la couleur des scènes sauvages au milieu desquelles s'étendait leur piste. Il y a des âmes auxquelles l'obscurité des forêts étendues, la grandeur des sommets et l'obscurité de la tempête communiquent un sentiment d'élévation et de raffinement ; mais en ce qui concerne la majorité de l'humanité, elle est peu émue par les scènes les plus grandioses de la nature, et elle a tendance à devenir sévère et dure comme les rochers au milieu desquels elle habite.
 

La tendance de ces influences néfastes sur l'hôte dont nous retraçons le mouvement serait aggravée par d'autres circonstances inséparables de leur condition. Ils ne pouvaient emporter avec eux aucune provision de maïs. Leur nourriture quotidienne serait la chair de leurs troupeaux abattus ou des animaux pris à la chasse. C'est là un genre de régime, nous disent les médecins, qui n'est nullement propre à refroidir le sang ni à calmer les passions, mais plutôt à les rendre plus irritables l'un et l'autre. En outre, cet hôte était soumis à un processus naturel de désherbage, en vertu duquel seuls les plus hardis et les plus téméraires étaient envoyés en avant. Les moins aventureux restaient en arrière à chaque halte pour être transformés en cultivateurs du sol ou en vignerons, et ce processus de sélection, répété maintes fois, aboutissait finalement à la création d'une race singulièrement robuste dans son corps et tout aussi indomptable dans son esprit. Telles étaient sans doute les caractéristiques physiques et mentales du groupe d'immigrants qui a fini par débarquer sur notre rivage. Ils ne ressemblaient ni aux Scythes d'Hérodote, ni aux Goths de l'invasion romaine, ni aux Arabes perfides et cruels de notre époque. C'étaient des hommes occupés à la première grande mission humanisante de soumettre et de cultiver la terre. Ils n'ont pas connu la bataille tout au long du chemin, si l'on excepte les combats qu'ils ont dû livrer aux forces de la nature. Ils n'avaient pas versé de sang, si ce n'est celui du taureau ou de la bête de proie. Mais si leur long voyage leur avait enseigné les vertus pacifiques de la patience et de l'endurance, il avait engendré un goût non moins vif pour leur liberté sauvage, et robustes de corps et de cœur, ils étaient capables et prêts à défendre l'indépendance qui avait été la leur depuis le jour où ils s'étaient ralliés sous l'étendard de leur grand géniteur, et où, méprisant le double joug du despotisme et du culte du soleil que Nimrod avait tenté de leur imposer, ils avaient tourné leurs visages vers les terres libres du Nord.4
 

Notes de bas de page
 

1. Claudien appelle l'océan situé en face du Rhin le Cimbric.
 

2. Le Duan, dit Pinkerton, place les Cumri comme premiers possesseurs d'Alban, et ensuite les Pictes, II. p. 234.
 

3. « Aucun sauvage n'a encore été découvert, dit Pinkerton (vol. II, chap. I), sur l'ensemble du globe, qui n'ait pas connu la navigation. Du pôle Nord au pôle Sud, là où il y avait des hommes, il y avait des canoës. »

 


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