HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE

 

 

 

ET FRAGMENTS RELATIFS À L'HISTOIRE GÉNÉRALE DE LA BIBLE

 

Daniel LORTSCH, Agent général de la Société Biblique Britannique et Étrangère

 

Préface de M. le pasteur Matthieu LELIÈVRE

 

1910

Quovadis partage la plupart des opinions de l’auteur, mais pas toutes.

 

 

 

Partie 6

Histoire de la Bible hors d’Europe

 

Table des matières

 

Retour à la table des matières générale de l’Histoire de la Bible de D. Lortsch

 

La Bible hors de France

 

La version Turque

 

La Bible en Russie

 

La version Laponne

 

La Bible à Madagascar

 

La Bible dans l’Ouganda

 

La Bible au Lessouto

 

Versions Chinoises

 

Coup d'oeil sur la langue

 

Les traductions

 

La version Japonaise

 

La Bible en Corée

 

Histoire

 

La langue

 

Une belle avance

 

Premiers efforts

 

La trouée

 

Progrès

 

Le témoignage des missionnaires

 

Le colportage biblique

 

Les groupes d'études bibliques

 

Les colporteurs coréens

 

Les femmes aussi

 

Tous à l'œuvre

 

Un réveil

 

Résultats globaux

 

Conclusion

 

La Bible en Inde

 

Batailles Inconnues — ou: La Traduction de la Bible

 

S'assimiler les sons

 

Étude des formes grammaticales

 

Vocabulaire

 

Nuances de style

 

Méthode et secret

 

Résultats

 

Influence de l’Ancien Testament sur la langue française

 

Mots

 

Expressions

 

Tournures hébraïques

 

Comment on fait une Bible

 

Privilèges royaux

 

Le fameux papier indien

 

Collaboration imprévue de la Chine et de l'Inde — 2.000 ou 3.000 kilomètres parcourus pour imprimer une Bible. — La fameuse guinée. — En 400 langues. — L'angle «Amen»

 

 

 

La Bible hors de France

 

La version Turque

 

Au commencement du dix-septième siècle naissait en Pologne, dans une famille Bobowski, un enfant qui reçut le nom d'Albert. Encore tout jeune, il fut enlevé dans une razzia de Tartares, et vendu comme esclave à un noble de Constantinople, qui le revendit peu après au sérail, où il passa vingt ans. Il y reçut une éducation très soignée. Arrivé à l'âge d'homme il renonça publiquement à la foi dans laquelle il était né, embrassa celle du prophète de la Mecque, et, à partir de ce moment, s'appela Ali Bey.

Il était doué d'un remarquable talent pour les langues. Il n'en comprenait pas moins de dix-sept, et parlait avec une parfaite aisance la plupart des langues européennes : l'anglais, le français, l'allemand, etc. Il était encore un tout jeune homme lorsqu'il fut nommé premier interprète du sultan Mahomet IV.

Il rencontra à la cour de ce potentat un homme qui sut non seulement découvrir ses capacités, mais encore leur donner un noble emploi. C'était Levin Warner, ambassadeur hollandais à Constantinople. À son instigation, Ali Bey entreprit ce qui devait être la grande oeuvre de sa vie, la traduction de la Bible en langue turque. On ne sait pas avec certitude s'il traduisit directement sur l'original. Toujours est-il que sa traduction est, d'un style très coulant, qui reproduit toutes les nuances de la langue. Il l'acheva en 1666. Le manuscrit fut envoyé par Levin Warner à Leyde pour y être imprimé. Toutefois, on ne sait pourquoi, il ne fut pas livré à l'impression, et resta tel quel dans la bibliothèque de l'Université de Leyde. Mais cette traduction qui devait si longtemps demeurer inutile avait déjà accompli une grande oeuvre, elle avait ramené son auteur à la foi chrétienne. Ali Bey, dit l'histoire, était décidé à rentrer dans le sein de l'Église chrétienne en recevant le baptême. La mort, malheureusement, survint avant qu'il eût accompli son dessin. Il est permis de penser que l'étude des Écritures n'était pas étrangère à sa décision.

Pendant cent cinquante ans, le manuscrit d'Ali Bey dormit à l'Université de Leyde.

En 1814, le Dr Pinkerton, secrétaire de la Société biblique britannique, examina, à la requête du comité, ce manuscrit, se convainquit de sa valeur et de l'opportunité qu'il y avait à l'imprimer. Mais qui charger de cette impression, ainsi que de la révision nécessaire?

Dieu y avait déjà pourvu. Il y avait alors à Berlin un conseiller de la Légation impériale russe, le baron von Diez, précédemment ambassadeur russe à Constantinople, où il avait acquis une connaissance approfondie de la langue turque. Au cours d'une conversation avec des amis, le Dr Pinkerton, de passage à Berlin, avait appris d'une façon tout accidentelle et l'existence du baron von Diez et de quelle manière remarquable il possédait le turc. Il avait été le voir, et s'était longuement entretenu avec lui du manuscrit d'Ali Bey et de sa publication éventuelle. Le baron s'était déclaré tout disposé à entreprendre ce travail.

Il en fut chargé par le comité, et s'y mit la même année. L'Université de Leyde consentit volontiers à prêter le manuscrit. Von Diez fut frappé de l'excellence de la traduction d'Ali Bey. «Si je continue à la trouver aussi correcte, écrivait-il, je n'exagère rien en disant qu'elle prendra rang parmi les meilleures versions du saint volume, et même que, pour bien des passages, elle les dépassera». — «De tout mon coeur, écrivait-il dans une lettre, je désire que ce travail puisse être accompli pour la gloire de Dieu et pour le bien de mes semblables. Une pensée toutefois me tourmente par moments. J'ai soixante-trois ans... et s'il plaisait à Dieu de me retirer au milieu de ce travail, je ne sais pas qui pourrait le continuer après moi. Mais je demanderai à Dieu de prolonger ma vie jusqu'à ce que j'aie pu l'achever».

Deux ans et demi après, un ami venait voir le baron von Diez et le trouvait la tête appuyée sur son bureau, presque incapable de parler. «Je conserve l'espoir, dit-il à son visiteur, que Dieu me rétablira pour que je puisse achever la publication de la Bible turque. Mais s'il en a disposé autrement, que sa volonté soit faite. Je puis dire avec Paul : «Si je vis, je vis pour le Seigneur. Si je meurs, je meurs pour le Seigneur».

Huit jours après, von Diez quittait ce monde. Il n'avait pas achevé le Pentateuque.

Comment l'entreprise allait-elle être menée à bien? Encore une fois, Dieu y avait pourvu. Jamais la parole : «Dieu enterre ses ouvriers, et il continue leur oeuvre», ne fut plus vraie. Mort au mois d'avril, von Diez avait un successeur en juillet, dans la personne de M. Kieffer.

Né à Strasbourg en 1767, M. Kieffer s'était adonné de bonne heure et avec distinction à l'étude des langues orientales et avait obtenu un emploi à Paris, au ministère des affaires étrangères. En 1796, il fut envoyé à Constantinople comme interprète et secrétaire de l'ambassade française. Peu après, la guerre éclata entre la Turquie et l'Égypte. L'influence française était prédominante dans ce dernier pays. Immédiatement, le sultan fit jeter au château des Sept Tours M. Ruffin, le chargé d'affaires français, et son secrétaire interprète M. Kieffer. Pendant plusieurs années, ils y subirent une captivité très étroite.

Le château des Sept Tours devint le cabinet de travail de M. Kieffer. Avec l'aide de son compagnon de captivité, il apprit à fond la langue. Ce n'est qu'en 1803, au bout de près de sept ans, qu'il fut autorisé à retourner à Paris pour y accompagner, à la cour de Napoléon, un ambassadeur turc; à peine arrivé, il fut comblé d'honneurs en reconnaissance soit de ses dons éminents, soit des souffrances qu'il avait endurées. Il fut nommé successivement secrétaire et interprète au ministère des affaires étrangères, professeur de turc au Collège de France, et premier secrétaire et interprète du roi pour les langues orientales.

En juillet 1817, le comité de la Société biblique britannique demanda à M. Kieffer de continuer la révision et la publication de la Bible turque. M. Kieffer accepta. L'Université de Leyde consentit de nouveau à prêter le manuscrit, et le gouvernement français leva tout droit d'entrée pour le papier et les caractères d'imprimerie qui furent envoyés de Berlin.

En 1827, M. Kieffer qui, entre temps, en 1820, était devenu le premier agent de la Société en France, achevait la révision et la publication de la version d'Ali Bey, et le précieux manuscrit reprenait sa place à l'Université de Leyde, après avoir enfin, au bout d'un siècle et demi, servi dans la maison de Dieu comme un vase d'honneur.

La Bible turque publiée par M. Kieffer a été l'objet d'une révision, faite de 1873 à 1878 par un comité qui s'est aidé de travaux partiels parus depuis 1827. Cette révision a été elle-même révisée, de 1883 à 1885, par un nouveau comité.

Pour faire comprendre l'importance de la traduction de la Bible en turc, il suffira de rappeler que le turc est parlé non seulement dans tout l'empire turc, mais encore dans la plus grande partie de la Perse, et qu'il est en outre la langue écrite comprise par les innombrables tribus tartares.

 

La Bible en Russie

 

En 862, l'année où Rurik fondait l'empire russe à Novgorod, Rostislaff, prince de la tribu morave, qui faisait partie du nouvel empire, demanda à l'empereur Michel III, à Constantinople de lui envoyer des missionnaires parlant slave, pour évangéliser les Slaves. Le choix de l'empereur tomba sur Méthodius et Cyrille, deux frères, nés d'une famille noble de Thessalonique, ville où se trouve encore aujourd'hui une église qui est l'héritière directe de celle que fonda saint Paul. Méthodius, un ancien soldat, était moine. Cyrille avait été élevé avec l'empereur lui-même. Il était prêtre. Cyrille et Méthodius, après avoir évangélisé le Kherson, les Khazares, les Bulgares, s'établirent à Welehrad en Moravie. Un de leurs premiers soins fut de traduire en slave la liturgie grecque et des fragments de l'Écriture sainte. Jamais encore la langue slave n'avait été écrite. Cyrille créa un alphabet qui était une adaptation de l'alphabet grec et, dans une mesure moindre, de l'alphabet hébreu, et dont quelques lettres étaient originales. Chaque son était représenté par une lettre. Il y avait trente-huit lettres.

On appelle cet alphabet l'alphabet cyrillique (*). L'alphabet russe et l'alphabet serbe en dérivent directement. Nous sommes ici en présence d'un de ces cas nombreux où l'alphabet a été créé en vue de la traduction de la Bible, où la traduction de la Bible, par conséquent, a ouvert la porte tout ensemble à l'Évangile et à la civilisation.

 

(*) Le fameux texte du sacre sur lequel les rois de France prêtaient serment est en caractères cyrilliques. Conservé à Reims jusqu'en 1792, il est aujourd'hui à la Bibliothèque nationale,

 

Les missionnaires de Constantinople rencontrèrent de l'opposition de la part des missionnaires de Rome. Ceux-ci alléguaient qu'il n'était pas licite de traduire la Bible en d'autres langues que l'hébreu, le grec, le latin, les trois langues employées pour l'inscription de la croix. Le pape Adrien II manda Cyrille et Méthodius à Rome pour qu'ils s'expliquassent. Ne pouvant trancher à lui seul une question aussi difficile, il réunit un conclave. Comme la dispute était vive, on entendit, raconte la légende, une voix surnaturelle s'écrier: «Que tout ce qui respire loue le Seigneur!» Peut-être cette voix venait-elle de quelque personne inconnue «invisible et présente». Quoi qu'il en soit, Adrien II permit aux deux frères de continuer leur travail en langue vulgaire. Cyrille mourut à Rome en 869. Méthodius, nommé évêque de Moravie, retourna à son champ de travail. Il acheva la traduction de la Bible. Les psaumes seuls avaient été traduits du vivant de Cyrille. Aucun exemplaire de cette traduction n'est parvenu jusqu'à nous. L'invasion tartare, au treizième siècle, dut être fatale aux documents de la littérature slave. Mais cette traduction se retrouve probablement en partie dans la traduction slave qui parut après que les Tartares eurent été repoussés.

L'imprimerie ne pénétra en Russie qu'un siècle après Gutenberg, et non sans rencontrer de l'opposition. Sous le patronage de l'empereur et avec l'approbation du métropolite de Moscou, une imprimerie fut créée à Moscou en 1563, et l'année suivante parut le premier livre imprimé en Russie, les Actes des apôtres, en slave. Le texte imprimé était en maints endroits tellement différent des manuscrits slaves de Moscou, que les imprimeurs furent accusés d'hérésie. Ils durent fuir, et leur imprimerie fut brûlée.

La première Bible complète imprimée en Russie porte le nom de «Bible d'Ostrog». Le prince d'Ostrog (Volhynie), champion décidé de l'église orthodoxe, laquelle était en lutte avec les Jésuites, s'avisa que le meilleur moyen de combattre l'erreur était de publier la Bible, et la publia. Cette Bible parut en 1581.

L'église orthodoxe adopta provisoirement cette version privée, mais avec l'intention de la réviser. Ce provisoire dura 170 ans. Plusieurs entreprises de révision n'aboutirent pas. Pierre le Grand ordonna, en 1712, une révision qui fut achevée au bout de dix ans, mais dont sa mort empêcha l'impression. Plus tard, le Saint-Synode se convainquit qu'il fallait encore réviser.

En 1744, l'impératrice Élisabeth ordonna par un ukase aux membres du Saint-Synode de travailler à la révision de la Bible d'Ostrog, tous les jours, le matin et l'après-midi, pour que tout le travail fût, si possible, achevé avant Pâques. Ce ne fut, sans doute, pas possible, et malgré un autre ukase de la même année ordonnant au Synode ou d'imprimer la révision de Pierre le Grand ou de dire pourquoi elle était insuffisante, on ne fut prêt qu'en 1750. Cette année-là, un troisième ukase ordonna l'impression de la Bible, impression qui fut achevée en 1751 à Saint-Pétersbourg. Une seconde édition parut en 1756.

Deux traits caractérisent cette Bible. D'abord pour l'Ancien Testament, elle reproduit non pas le texte hébreu, mais le texte de la version des Septante. C'est sur cette version qu'ont été faites les versions de la Bible entreprises sous les auspices de l'Église grecque (versions géorgienne, arménienne, slave). Cela s'explique par le fait que la version des Septante a été la version primitive de l'Église grecque. La version des Septante a d'ailleurs des titres à faire valoir, car elle a eu à sa base des manuscrits antérieurs de plusieurs siècles à ceux desquels procède notre texte actuel de l'Ancien Testament.

En second lieu, cette version était slave, et non russe. Le slave, qui a été le premier véhicule du christianisme en Russie, est resté la langue ecclésiastique, et c'est toujours en slave, langue morte, comme le latin, lue mais non parlée, que les Écritures sont lues au culte de l'Église grecque. Le russe, malgré tous les éléments slaves qu'il s'est assimilés, et quoiqu'il diffère moins du slave que l'italien ne diffère du latin, est néanmoins une langue distincte. Le besoin d'une Bible russe devait forcément se faire sentir, et ce fut une Société biblique russe qui entreprit de donner à la Russie une Bible russe.

La fondation de cette Société biblique russe fut due à l'influence de la Société britannique. Au commencement de décembre 1812, un délégué de la Société britannique faisait présenter au tsar Alexandre 1er un projet de société biblique russe. On était au fort de la lutte contre Napoléon 1er. Le tsar était sur le point de rejoindre l'armée. Il retarda son départ tout exprès pour examiner le projet. Belle et rare application, surtout dans de telles sphères et dans de tels moments, du «Notre Sire Dieu premier servi» de Jeanne d'Arc. Le 18 décembre, le tsar approuvait le projet. L'organisation de la Société reproduisait dans ses grandes lignes celle de la Société britannique, sauf en ceci que ses efforts devaient se confiner à l'empire russe, champ d'action assurément assez vaste. Cette Société fut accueillie avec enthousiasme. Des archevêques, des hommes d'État, en devinrent membres. Des Sociétés russes auxiliaires surgirent en grand nombre.

Trois ans après, la Société présentait à l'Empereur des exemplaires des Écritures en plusieurs des langues parlées dans l'Empire, en lette, en esthonien, en polonais, etc. Le tsar fut péniblement impressionné en voyant que parmi ces volumes il n'y avait pas de Bible russe pour «mes Russes», disait-il. En 1816, il exprima au Saint-Synode le désir de voir préparer une traduction de la Bible en russe. On obtempéra au désir impérial. En 1819, les quatre Évangiles parurent en russe avec le texte slave en regard, pour ménager les préjugés auxquels aurait pu se heurter une version russe. En 1822, le Nouveau Testament parut sous la même forme, puis en 1823 en russe seulement. On se mit à l'Ancien Testament, et les huit premiers livres avaient été traduits, lorsqu'en 1826, la Société biblique fut dissoute par un ukase de Nicolas 1er. Elle avait fait traduire les Écritures en dix-sept nouvelles langues, et avait répandu 861.000 exemplaires en trente langues environ. Pourquoi cet ukase? On ne l'a jamais su. Il est probable que des influences catholiques étaient intervenues, et aussi que l'Église russe, qui affirmait son indépendance vis-à-vis de Rome, ne voulait pas, en même temps, avoir l'air de s'inféoder au protestantisme. Depuis lors, l'Église orthodoxe s'est réservé de pourvoir ses fidèles des Écritures saintes.

Le Saint-Synode publia une révision du Nouveau Testament en 1862, et la Bible entière en 1875. La Société britannique publia la Bible en russe en 1874. Ses efforts stimulèrent certainement ceux du Saint-Synode. La Bible du Saint-Synode contient les Apocryphes. Elle est traduite sur l'hébreu, mais ajoute entre crochets tout ce qui se trouve dans le grec des Septante et non dans l'hébreu. Dans le premier chapitre de la Genèse seul, il y a une douzaine de ces additions. Le Saint-Synode ne permit pas à la Société britannique de répandre en Russie la Bible préparée par elle. En 1882, il fit imprimer la Bible synodale, sans les Apocryphes. Cette Bible ne fut pas réimprimée. Le Saint-Synode fit sanctionner deux Bibles différentes. En 1892, il y a eu rapprochement partiel entre la Société britannique et le Saint-Synode. Depuis lors, la Société achète au Saint-Synode environ 350.000 volumes chaque année.

Sous la dépendance immédiate du Saint-Synode, il y a une Société biblique russe (c'est son titre officiel) dont les imprimeurs, à Moscou, à Saint-Pétersbourg, à Kief, ont le monopole de l'impression des livres saints. Cette Société répand largement, par des agents et des colporteurs à elle, les Écritures en russe moderne et en ancien slave.

L'activité biblique de la Société britannique en Russie est plus considérable que celle du Saint-Synode. Elle répand les volumes imprimés par elle dans toutes les langues parlées dans l'Empire, sauf le slave et le russe (Tous les Russes comprennent à peu près le slave). Récemment la question de la diffusion de la Bible en d'autres langues que le russe et le slave a été soulevée au sein de la Société biblique russe.

La Société britannique est très bien vue en Russie. Le transit de ses livres sur toutes les lignes de chemins de fer est gratuit. Dès qu'une Bible a passé la frontière, elle voyage gratis. Plus d'une ligne transporte ainsi cent tonnes de livres saints par an. La gratuité du parcours est accordée à dix colporteurs sur toutes les lignes. Les compagnies de navigation de la mer Blanche, de la mer Noire, du Dniéper, du Don et du Volga, transportent gratuitement les livres et les colporteurs. Dans beaucoup de villes, les compagnies de tramways accordent également la gratuité aux colporteurs.

Enfin, l'impôt sur les livres reliés qui pénètrent dans l'Empire est supprimé pour les livres saints, et les dépôts bibliques et leurs employés sont exonérés de la taxe du commerce et de l'industrie.

Il ressort de ce qui précède que l'attitude officielle de l'Église grecque, en ce qui concerne la diffusion des Écritures, est une attitude d'approbation. Au point de vue pratique, certaines des Églises d'Orient vont, dans cette approbation, plus loin que d'autres. Les unes n'approuvent que les traductions anciennes, celles des premiers siècles, qui ont toujours servi pour l'usage ecclésiastique. Les autres en sont arrivées, dans une mesure, à approuver les traductions modernes en langue populaire. À cet égard, l'Église russe est la plus avancée. C'est certainement en grande partie grâce aux efforts de notre Société pour traduire la Bible en russe moderne que l'Église russe est entrée dans cette voie. Cette attitude de l'Église grecque vis-à-vis de la diffusion de la Bible constitue une de ses principales différences avec l'Église romaine.

 

La version Laponne

 

C'est à un forçat à vie que les Lapons doivent leur première traduction complète de la Bible.

En 1849 éclatèrent à Koutokaeino, en Laponie, des troubles religieux graves. Des exaltés se livrèrent à toutes sortes d'extravagances. Vingt-deux personnes furent emprisonnées, et la paix sembla rétablie, mais en 1852 il y eut une explosion plus terrible encore, et, sous une couleur religieuse, les passions les plus violentes se donnèrent libre carrière. Le pasteur fut maltraité, et son presbytère assiégé par une foule hurlante. Le gouverneur fut assassiné, un négociant subit le même sort, et sa maison fut pillée et livrée aux flammes. Trente-trois coupables furent arrêtés et livrés à la justice comme meurtriers, voleurs ou incendiaires. Ils furent condamnés une vingtaine environ, à la peine de mort, les autres à la prison perpétuelle. Parmi ces derniers se trouvait un jeune pêcheur du nom de Lars Haetta. Il fut transféré à la maison de correction de Christiania. Il ne savait ni lire ni écrire. Mais quand il vit que c'était pour lui la seule occupation possible, il apprit vite l'un et l'autre. Une fois qu'il sut lire, il prit grand intérêt à la lecture de la Bible. Après l'avoir étudiée pendant un an ou deux, il forma le projet d'achever de la traduire dans la langue des Lapons (*). C'était, pour un homme d'une éducation aussi imparfaite, une entreprise singulièrement difficile. Il s'y mit tout de même. Il révisa d'abord le Nouveau Testament, puis compléta la traduction de l'Ancien. Au cours de sa peine, la liberté lui fut rendue, et c'est hors de prison qu'il semble avoir achevé sa traduction, qui, revue par des hommes compétents, est devenue la Bible des Lapons norvégiens.

 

(*) Le Nouveau Testament en Lapon avait paru en 1840, en même temps qu'une histoire sainte contenant la traduction du Pentateuque et de vingt-deux psaumes. Nos documents ne nous disent pas s'il l'acheva.

 

 

La Bible à Madagascar

 

Les premiers missionnaires protestants arrivèrent à Madagascar en 1818. C'étaient David Jones et Thomas Bevan, chacun accompagné de sa femme et d'un enfant. Au bout de quelques mois, sur ces six personnes, cinq étaient mortes de la malaria, et David Jones, seul survivant, était lui-même très malade. Il se rétablit, et en 1821 fut rejoint par David Griffith, gallois comme lui.

À ce moment, il y avait peut-être en tout six Malgaches capables d'écrire leur langue, et cela en empruntant les caractères arabes. Le malgache n'existait pas comme langue écrite. En 1823, Jones et Griffith s'étaient rendu compte des règles de la grammaire et avaient créé une écriture en harmonie avec ces règles. En 1826, la Société missionnaire de Londres leur envoyait une machine à imprimer.

En janvier 1827, les missionnaires écrivaient:

 

Nous avons consacré la journée du 1er janvier à la révision finale et à l'impression du premier chapitre de Luc. Nous voulions, par ce ministère, en ouvrant sur un sol aride et desséché la fontaine des eaux vives, sanctifier cette nouvelle année de labeur missionnaire. Puissent les eaux de guérison couler bientôt en mille canaux et transformer ce pays en un jardin de l'Éternel

 

Avant la fin de l'année, les missionnaires avaient imprimé l'Évangile de Luc à 1.500 exemplaires. En 1830, le Nouveau Testament était imprimé à 3.000 exemplaires.

 

Je ne veux pas prophétiser, écrivait le missionnaire-imprimeur, mais je ne puis pas croire que la Parole de Dieu soit jamais exterminée de ce pays, ou que le nom de Jésus y soit jamais oublié.

 

La publication du Nouveau Testament excita chez les indigènes un esprit de saine curiosité. Leur Nouveau Testament à la main, ils entouraient en grand nombre la demeure des missionnaires pour se faire expliquer les passages qu'ils avaient marqués. On était étonné de voir la Parole de Dieu trouver chez eux tant d'écho. Ils comprenaient très bien tous les passages qui condamnaient l'idolâtrie et la sorcellerie. À propos du passage : Vous observez les jours et les mois, un jeune garçon fit cette remarque : «Voilà qui condamne les gens qui tuent leurs enfants parce que le jour ou le mois de leur naissance est réputé mauvais, et ceux qui s'abstiennent de faire quelque chose aux temps dits néfastes».

En mars 1835, comme l'impression de l'Ancien Testament touchait à son terme, la persécution éclata. La reine Ranavalona fit réunir tous les exemplaires des Écritures qu'on put trouver, et les fit remettre aux missionnaires comme objets prohibés. La lecture des Écritures, comme la prière, fut interdite sous peine de condamnation à la mort ou à l'esclavage. À ce moment, il restait à imprimer les livres d'Ézéchiel à Malachie, et une partie du livre de Job. Aucun indigène n'osait prêter la main à ce travail. Tout ce qui restait fut composé par le missionnaire Baker et imprimé par un artisan missionnaire, M. Kitching. Le 21 juin, la première Bible malgache était imprimée et reliée. Jamais ministère ne fut plus fécond et plus glorieux que celui qu'accomplirent ces deux hommes pendant ces trois mois. Il se prépara là bien des palmes et bien des couronnes!

Des exemplaires de la Bible furent remis aux indigènes. Ceux qui les recevaient savaient fort bien qu'en les recevant ils risquaient leur vie. Quand les missionnaires, expulsés, quittèrent l’île, en juillet 1836, il restait encore un stock de soixante-dix Bibles. Les missionnaires enterrèrent ces soixante-dix Bibles et en indiquèrent la cachette à quelques-uns de leurs convertis. Ce fut là, pour de longues années, le dépôt biblique des chrétiens malgaches. Ces Bibles, comme on l'a dit, furent le combustible qui, pendant plus d'un quart de siècle de persécution, alimenta le feu sacré à Madagascar. Plusieurs de ces Bibles existent encore. On en voit une à la bibliothèque de la Société biblique britannique.

 

Le souvenir de la persécution le plus émouvant que j'aie rapporté, racontait plus tard un missionnaire, consiste en quelques fragments des Écritures, usés, déchirés, portant des taches de terre ou de fumée qui sont les marques de leur cachette, mais soigneusement réparées : ces feuilles sont cousues entre elles par des fibres d'écorce, et leurs marges sont recouvertes de papier plus fort.

 

On comprend que ces Bibles se soient usées! Elles circulaient par fragments; on échangeait des moitiés, des quarts de Bible. Comme les exemplaires étaient rares, il circulait aussi des fragments copiés à la main. Des chrétiens se réunissaient pour méditer la Bible et prier, en particulier sur une montagne, à quelque distance de la capitale. Quand on les découvrait, ou quand on découvrait leur Bible, c'était l'esclavage ou la torture, ou une mort cruelle.

Voici une lettre écrite au milieu de cette fournaise. La persécution durait déjà depuis vingt-quatre ans. Ce sont les chrétiens persécutés de Madagascar qui écrivent à leurs frères réfugiés à l'ile Maurice.

 

Antananarivo, 17 janvier 1359.

À DAVID ANDRIANADO ET À NOS NOMBREUX FRÈRES.

Nous venons vous voir, puisque, par la bonté de Dieu, nous pouvons nous visiter les uns les autres par lettre. Dieu veuille que cette lettre vous parvienne 1 Car ici, en ce moment, nous endurons les plus lourdes afflictions. Les prisonniers déportés au désert y ont été conduits de telle façon que plusieurs ont succombé. Quant aux survivants, ils doivent continuer de porter les chaînes des morts. Les membres de ceux-ci sont coupés, et leurs fers restent suspendus aux vivants, qui seraient dans l'impossibilité d'avancer si des amis ne venaient les aider à porter leurs chaînes. Jour et nuit, on les soutient ainsi. Tel est le sort de ceux qui survivent.

Quant aux morts, ils sont heureux, parce qu'ils ont du relâche de leurs lourds fardeaux, et de beaux anges sont venus les consoler. Tandis qu'ils mouraient, ils exhortaient ceux qui restaient à s'appuyer entièrement sur Jésus. Et ils disaient : «Ne défaillez pas sous ces lourdes chaînes, car voici, la cité d'or est préparée pour nous, et Jésus, notre Frère, nous a précédés dans le chemin». Et les survivants se réjouissaient en entendant ces paroles.

Et quand les prisonniers sont allés au désert où on les chassait, cinquante fonctionnaires les conduisaient et les surveillaient. La distance qu'ils avaient à franchir était de trois journées de marche, mais leur voyage dura deux mois, à cause du grand poids de leurs chaînes.

Et voici le cantique qu'ils chantaient tout en allant:

 

Ô vous qui êtes aujourd'hui en chemin,

Nous sommes pèlerins vers Sion.

Réjouissez-vous, réjouissez-vous à jamais,

Christ notre Sauveur nous donne de la joie.

 

Bientôt, nous l'entendrons nous souhaiter la bienvenue et nous dire

«Venez, vous les bénis de mon Père,

Héritiers d'un royaume glorieux,

À vous est acquise à jamais une «maison céleste» ».

 

Là, à jamais, nous rendrons joyeusement

Des hommages toujours nouveaux à son nom de Sauveur,

Et, avec des voix mélodieuses, nous nous unirons au chant

Du cantique de Moïse et de l'Agneau.

 

Sauveur bien-aimé, daigne

Bénir maintenant ton peuple,

Et envoie dans nos cœurs qui attendent ta grâce

Ta faveur et ta paix.

 

Si le coeur de la reine est dur et enflammé contre nous, la compassion de Christ brûle d'une flamme bien plus ardente encore. Que chacun donc soit fort pour prier Christ de faire qu'il porte dignement son nom dans cette affliction. Béni soit le nom de Dieu, qui nous a montré le chemin par lequel on peut s'approcher de Lui (Matt. 11, 28-30).

Quant aux chrétiens, beaucoup font des progrès réjouissants, parce qu'ils ne sont pas abandonnés du Dieu qui est leur force, et un grand nombre prennent part aux souffrances des persécutés. C'est Dieu qu'ils aiment, et, par conséquent, ils ne craignent pas la colère de la reine. Quand on songe à la persécution ordonnée par la reine, il semble que les chrétiens de Madagascar sont abandonnés de Dieu. Mais quand, d'un autre côté, on songe aux progrès qu'ils font, et qu'on se rappelle que Dieu ne laisse pas ses quelques agneaux devenir la proie du découragement, alors on se dit qu'il est merveilleux qu'il n'abandonne pas les siens, et il semble bien qu'il n'abandonne pas Madagascar. De plus, sa Parole nous dit : «Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point». Et nous savons que sa Parole est ici à Madagascar, de sorte que nous pécheurs, nous qui souffrons, nous devons nous le rappeler. Que chacun donc demande à Dieu de nous sauver (2 Thes. 3, 1, 2; Jacques 5, 15, 16).

Et que dirai-je de la manière dont des frères affligés et persécutés ont échappé? Car jusqu'à présent on recherche très vivement les chrétiens. Chaque quinzaine on fait, dans les marchés, une proclamation qui ordonne de les découvrir. Une bonne partie de leurs biens, de leurs Nouveaux Testaments, de leurs traités, de leurs cantiques, ont été brûlés par leurs amis, à cause de la sévérité des ordres de la reine et à cause des souffrances endurées par les chrétiens. Aussi, envoyez-nous une réponse à cette lettre.

Recevez nos plus chaleureuses salutations, ô vous tous, amis et frères. Que Dieu vous bénisse!

Voilà ce que disent tous les pèlerins, tous les prisonniers, tous les frères.

Charles-Frédéric Moss.

 

Plusieurs réussirent à cacher leurs Bibles. Les uns les dissimulaient adroitement dans des troncs d'arbres, d'autres les confiaient à des cachettes pratiquées dans des endroits réputés inaccessibles, d'autres, après les avoir enveloppées, les enterraient soigneusement. Voici à quel moyen on eut recours dans le Vonizongo.

Quand la reine Ranavalona ordonna des perquisitions sévères pour faire saisir toutes les Bibles qu'il y avait à Madagascar, les chrétiens du Vonizongo se dirent : «Si nous perdons notre Bible, que deviendrons-nous?» Et ils décidèrent de cacher leur Bible dans une caverne creusée, au temps jadis, près du village de Fihaonana, pour servir d'hôpital aux varioleux. Les chrétiens malgaches bravaient, pour l'amour de leur Bible, le danger de la contamination, bien assurés que les émissaires de la reine n'auraient pas le même courage.

Les émissaires vinrent dans le village et y firent une recherche acharnée, sans rien trouver. Ils se dirigèrent ensuite vers la caverne. «Vous savez sans doute, leur dit quelqu'un, que cette caverne est l'hôpital des varioleux? — Non! répondit, sursautant avec horreur, l'un des émissaires. Pourquoi ne nous l'avez-vous pas dit plus tôt, malheureux?» Les émissaires opérèrent une prompte retraite, et la Bible fut sauvée.

 

 

Ces Bibles, on allait, aussi souvent que possible, les retirer de leur cachette, les lire en secret ou en public, selon le degré qu'atteignait la persécution, et on les replaçait bien vite en lieu sûr.

Pendant un quart de siècle, les chrétiens malgaches persécutés n'eurent d'autre missionnaire que la Bible. Et lorsque, en 1861, après la mort de Ranavalona, les missionnaires anglais revinrent, au lieu de mille adhérents et de deux cents chrétiens déclarés qu'il y avait en 1835 à Madagascar, ils trouvèrent cinq mille chrétiens déclarés. Voilà ce qu'avait fait la lecture de la Bible. La Bible est un bon missionnaire.

Le premier désir des chrétiens malgaches, dès qu'ils eurent retrouvé la liberté de lire la Bible, ce fut de la posséder tous. Les Bibles désirées arrivèrent la veille du couronnement du roi Radama II, d'où il résulta qu'il n'y avait pas, à ce moment, de porteurs disponibles, et que les caisses de Bibles furent immobilisées à la côte pendant quelques semaines. Quel exercice de patience pour les chrétiens malgaches! Certes, ils étaient heureux de voir auprès d'eux les missionnaires, mais ils ne cessaient de demander : «Où sont donc les Bibles?» Lorsque, à la fin, les caisses arrivèrent, trois journées furent fixées pour la distribution (une pour chaque église de la capitale).

 

L'affluence fut telle qu'on jugea plus prudent de fermer à clef les portes de la maison qui servait de dépôt, et de distribuer les volumes par la fenêtre.

Mais combien de chrétiens, dans les régions éloignées, ne purent pas avoir part à la distribution ! Un soir, deux malgaches se présentèrent à une station missionnaire. Ils avaient fait plus de quarante lieues. «Avez-vous une Bible?» leur demanda le missionnaire, après un moment de conversation. «Nous l'avons entendu lire, répondirent-ils, mais nous ne possédons que quelques-unes des paroles de David, et encore ne sont-elles pas à nous. Elles appartiennent à toute la famille. — Les avez-vous avec vous, ces paroles de David?» Les deux visiteurs se regardèrent, craignant qu'on ne leur ravit leur trésor. Puis, rassuré par le missionnaire, l'un d'eux tira des plis de sa tunique quelque chose qui ressemblait à un vieux chiffon roulé. C'étaient de vieilles feuilles du livre des psaumes déchirées, noircies par l'usage. Elles avaient passé de main en main, et avaient fini par tomber en morceaux.

 

«Avez-vous jamais vu les paroles de Jésus, ou de Jean, ou de Pierre?» demanda le missionnaire. «Nous les avons vues et entendues, mais nous ne les avons jamais possédées». Le missionnaire alla chercher un exemplaire du Nouveau Testament et des psaumes. «Si vous voulez, leur dit-il, me donner ces quelques paroles de David, je vous donnerai toutes les paroles de David, et par dessus le marché toutes celles de Jésus, et de Jean, et de Paul et de Pierre». Ces hommes n'en revenaient pas. Mais tout d'abord, ils voulurent voir si les paroles de David étaient bien les mêmes. Quand ils s'en furent assurés, leur joie ne connut plus de bornes. Ils laissèrent leurs pages déchirées, prirent congé du missionnaire, et partirent pour refaire leur quarante lieues, rapportant ces merveilleuses paroles aux habitants de leur lointain village.

 

En 1872, les missionnaires commencèrent à procéder à la révision de la Bible malgache. La Bible révisée fut imprimée en 1888 par la Société britannique.

 

«Nous voici en septembre 1897, écrit le missionnaire Élisée Escande en 1906, dans cette province d'Ambositra connue par un récent et magnifique réveil. Le missionnaire qui s'y installe est en proie à la plus profonde détresse. Un vent de persécution a passé sur ce district. La population presque tout entière est passée au catholicisme.

«Qu'est-ce qui va empêcher le missionnaire de se sentir vaincu avant d'entreprendre la lutte ? C'est ce qu'il apprend de l'amour des Malgaches pour leur Bible.

«Lorsque les habitants du district d'Ambositra crurent qu'ils n'avaient qu'un moyen de montrer leur soumission à la France, celui de «devenir catholiques», ils furent sollicités par le père jésuite de lui remettre leurs Bibles. Les plus peureux le firent, et quelle ne fut pas leur consternation quand ils virent le père jésuite faire brûler toutes ces Bibles! Dès ce moment, aucune Bible ne lui fut plus apportée. À l'exemple de leurs pères, ces Malgaches cachèrent leurs Bibles dans des endroits où les émissaires du père jésuite ne pouvaient les trouver. Eux aussi lisaient en secret, en cachette des voisins et de certains membres de leur famille, leur chère Bible. Ils sont venus dire au premier missionnaire protestant d'Ambositra leur honte d'avoir abandonné le protestantisme, et, comme s'ils devinaient ce qui leur concilierait le plus l'affection de celui qui venait leur montrer leur faute et les exhorter à revenir au Christ de l'Évangile, ils lui disaient : «Mais nous avons conservé nos Bibles, nous continuons à les lire en cachette, et dès que vous serez venu rouvrir la lutte dans notre village, nous tirerons nos Bibles de leur cachette, et nous nous en servirons ouvertement comme par le passé». Et l'une des joies les plus pures que ce missionnaire a éprouvées pendant les premiers mois de son ministère a été de voir ces Malgaches venant assister au culte, dans une case basse et enfumée, se tassant comme des harengs, la joie peinte sur leur figure, et leur Bible, leur chère Bible à la main. Avec quelle promptitude les passages indiqués étaient trouvés, avec quelle émotion ils étaient relus en public à haute voix, avec quel entrain parfois ils étaient commentés!»

 

En 1900 et 1901 éclata dans le Betsiléo un puissant réveil religieux au sujet duquel le missionnaire norvégien Borchgrevink a écrit ceci : «Ce qu'il y a de plus remarquable dans ce réveil, c'est qu'il faut l'attribuer non à la prédication de l'Évangile, mais à la lecture de la Bible. La Bible en a été le seul instrument».

 

La Bible dans l’Ouganda

 

L'Ouganda, le pays des sources du Nil, s'étend entre le Soudan égyptien. le lac Rodolphe, le lac Victoria Nyanza et l'État libre du Congo. Ses habitants sont au nombre de quatre millions environ. C'est un pays de lacs qui sont comme des mers, de forêts tropicales et de montagnes neigeuses plus hautes que les Alpes. Les habitants de l'Ouganda s'appellent les Baganda, et leur langue, le Louganda. Ils sont noirs, et appartiennent à la race bantoue. Avant l'arrivée des Européens, aucun peuple de noirs, en Afrique, ne s'était autant approché de la civilisation. Le premier explorateur qui a pénétré dans l'Ouganda est le capitaine Speke, en 1862.

 

Il y a vingt-cinq ans, en observant de près les Baganda qui savaient lire, on aurait remarqué que plusieurs d'entre eux ne lisaient qu'à rebours, en tenant le livre de telle manière que le haut fût en bas et le bas en haut. Cette pratique étrange était tout à l'honneur de ces noirs. Les élèves qui entouraient le missionnaire pour apprendre à lire formaient des groupes si compacts que ceux qui se trouvaient en face du missionnaire ne pouvaient voir qu'à l'envers le livre unique qui servait à enseigner. Et on était trop nombreux pour que ce livre pût circuler de main en main. Ainsi, forcément, parmi les élèves, il y en avait qui apprenaient à épeler à rebours, et qui désormais ne pouvaient plus lire autrement. Ce zèle pour apprendre à lire était le fruit de l'amour pour la Bible. Voilà ce que, dès le début de la mission, des Baganda faisaient pour la Bible. Voyons ce que la Bible a fait pour eux.

«La «Bible dans l'Ouganda» et la «Mission dans l'Ouganda», a dit l'évêque-missionnaire Tucker, sont des termes synonymes. Par la puissance de l'Esprit, la Bible a changé, dans ce pays, les coeurs et les vies de multitudes d'hommes. Son influence a pénétré la vie entière du peuple, et a accompli une réformation profonde dans les moeurs. Sur le roc imprenable des Écritures s'élève une Église qui compte dix mille communiants, une Église remplie de l'esprit missionnaire, comme le sera toute église qui procède de la Bible».

Il y a trente ans, le nom de l'Ouganda était un nom de terreur. Les armées du roi Mtesa allaient lever le tribut chez les peuples voisins. Aujourd'hui, avec la Bible pour arme, les évangélistes baganda s'en vont chez les mêmes peuples pour annoncer l'Évangile.

La Bible, dans l'Ouganda, a précédé la mission et lui a frayé la voie. Elle y a pénétré d'une manière extraordinaire. Lorsque Stanley partit pour son voyage d'exploration de 1875, il reçut de Mademoiselle Livingstone, dont il avait retrouvé le père, en 1871, une Bible magnifiquement reliée (*). Cette Bible, il ne devait pas la rapporter en Angleterre. Reçu à la cour du roi Mtesa, il lui montra le saint volume et lui en lut quelques chapitres. Le roi fut fort impressionné par cette lecture. Lorsque, quelque temps après, Stanley, continuant son voyage à travers le noir continent, allait franchir la frontière de l'Ouganda, il vit accourir un messager de Mtesa qui avait fait plus de 250 kilomètres pour le rejoindre et qui venait lui dire que le roi voulait absolument avoir «le livre». Stanley lui donna sa Bible.

 

(*) À la veille du voyage au cours duquel il devait retrouver Livingstone, un des amis de Stanley, Sir W. Mackinnon, lui dit : «Je veux vous faire un cadeau, mais je voudrais que vous le choisissiez vous-même. Peu importe le prix. Dites seulement ce que vous désirez». Et Stanley répondit: «Donnez-moi une Bible». La Bible fut bientôt entre ses mains. Plus tard, Stanley raconta lui-même ce fait à un ami, et il ajouta: «Pendant que j'étais en Afrique, j'ai lu cette Bible trois fois». Et il ne la lut pas sans profit. En effet, dans son journal de ce voyage, récemment publié, on lit ceci:

«On m'avait donné, pour empaqueter des fioles de médecine, une grande quantité de numéros du New-York Herald et d'autres journaux... Je fus souvent malade, et alors je lisais. Je lus Job, puis les Psaumes. Quand je fus mieux, je regardai les journaux. Mon sentiment à leur égard changea. La solitude me les fit envisager sous un jour tout nouveau. Il m'apparut que la lecture des journaux, sauf pour les nouvelles, leur seule raison d'être, était une perte de temps. Quant à la Bible, au noble et simple langage, je continuai à la lire, en la comprenant mieux que je n'avais jamais fait. Son langage puissant me paraissait, dans le silence du désert, avoir un sens nouveau et une influence autrement pénétrante... Seul dans ma tente, à l'insu des hommes, mon esprit travailla. Je me rappelai les secours spirituels que j'avais connus dans mon enfance, et si longtemps négligés. Je me jetai à genoux et répandis mon âme tout entière dans la prière secrète, dans la prière à Celui dont je m'étais éloigné depuis tant d'années, lui demandant de se révéler lui-même à moi, et de me révéler sa volonté. Un nouveau désir s'empara de moi de le servir sans réserve.

«Quelle différence, dans la solitude, entre la Bible et les journaux! La Bible me rappelait que sans Dieu, ma vie n'était qu'une vapeur, et elle me disait: «Souviens-toi de «ton Créateur!» Les journaux, eux, excitaient chez moi l'orgueil et la mondanité... Et je me sentais si petit dans ce désert, que mes noirs, s'ils avaient été capables de réflexion, auraient bien vu que l'Afrique me transformait».

C'est de cette action de la Bible sur Stanley, dans les solitudes de l'Afrique, qu'est née, on va le voir, la mission dans l'Ouganda.

 

De retour en Angleterre, Stanley raconta dans le Daily Telegraph du 18 novembre 1875 sa visite dans l'Ouganda, et pressa les chrétiens anglais d'y envoyer des missionnaires. En 1877 partirent les pionniers de la mission de l'Ouganda, envoyés par la Société des missions anglicanes. Parmi eux étaient les missionnaires Wilson et Alexandre Mackay. À peine furent-ils arrivés que le roi les fit chercher en secret pour s'informer s'ils avaient apporté «le livre».

Rendu très perplexe par la visite de missionnaires catholiques, Mtesa envoya, en 1880, une députation en Angleterre pour faire, sur l'état de ce pays, une enquête qui lui permit de s'orienter. Le résultat de l'enquête fut favorable à la mission, et le roi permit aux chefs et à leur entourage d'apprendre à lire. Les élèves furent très nombreux et reçurent chacun un Évangile. Les missionnaires n'avaient pas encore appris le Louganda, mais ils pouvaient utiliser les Écritures en Souhahili, cette langue étant comprise dans toute l'Afrique orientale.

En 1883 eurent lieu les premiers baptêmes. La nouvelle église comptait soixante-trois membres, parmi lesquelles une fille du roi. Cette même année, le roi mourut, et son fils, Mouanga, lui succéda. Les missionnaires purent empêcher le massacre des chefs de l'ancien roi et des frères du nouveau roi, massacre qui accompagnait toujours un changement de règne. Mais si le sang ne coula pas à l'avènement du roi, il devait couler après.

En 1885, l'évêque Hannington partait pour l'Ouganda, et, avant d'arriver, était assassiné par des émissaires du roi. D'après une vieille tradition, celui-là devait s'emparer de l'Ouganda qui y viendrait par l'orient, par Busoga, et c'est la route que Hannington avait suivie. L'oracle antique disait vrai : les missionnaires de Christ devaient s'emparer de l'Ouganda pour Christ. Un mahométan disait, il y a quelques années : «vous n'avons plus aucun avenir dans l'Ouganda. Dieu doit avoir décrété que l'Ouganda serait chrétien».

La persécution éclata. Plusieurs catéchumènes, plutôt que de renier leur foi, subirent une mort cruelle. D'autres se dispersèrent, et, comme les disciples lors de la première persécution, «allèrent de lieu en lieu, annonçant la bonne nouvelle de la Parole», formant çà et là des groupes d'auditeurs et de chrétiens.

Les loisirs que la persécution donnait aux missionnaires furent employés à imprimer l'Évangile selon saint Matthieu en Louganda. En 1887, on baptisa un jeune aveugle qui avait appris par coeur les douze premiers chapitres de cet Évangile.

La persécution, qui s'était calmée, reprit en 1887 sur le refus d'un page du roi, le jeune Apolo Kagoua, de se prêter à un acte honteux. Après des troubles intérieurs dans le détail desquels nous n'entrons pas, et pendant lesquels les missionnaires furent expulsés, Apolo Kagoua, le page héroïque qui avait su dire : Non, devint premier ministre (il l'est encore), et les missionnaires reçurent un terrain où ils purent s'établir.

Une nouvelle période de troubles, au cours de laquelle, en 1894, fut proclamé le protectorat britannique, prit fin en 1897, par la fuite de Mouanga et par la proclamation de son jeune fils Daudi Choua, sous un conseil de régence composé de deux chrétiens protestants et d'un chrétien catholique. Depuis lors, le pays a joui de la paix, et la prospérité s'est accrue.

 

En 1890, le missionnaire Mackay mourut, et le missionnaire Pilkington, un homme de grands talents, devint le principal traducteur des Écritures. L'Évangile de Matthieu fut réimprimé par la Société biblique britannique en 1888, mais les cent premiers exemplaires n'arrivèrent qu'en 1891. Pendant ce temps, on en était réduit aux exemplaires de la première édition, imprimés sur place, et à quelques feuillets portant des fragments des Écritures, qui s'achetaient à des prix fabuleux, comme du pain en temps de famine. Un seul de ces feuillets servait à tout un groupe de personnes pour apprendre à lire. D'ailleurs, on utilisait toujours les Écritures en Souahili.

Pour en finir avec ce qui concerne la traduction et l'impression des Livres saints en Louganda, disons tout de suite que six ans après son arrivée, Pilkington avait achevé la traduction de la Bible, dont les exemplaires imprimés arrivèrent en 1897. Depuis lors, la Société a imprimé en Louganda un Nouveau Testament à parallèles, puis une Bible à parallèles.

Les six premiers pasteurs indigènes furent consacrés en 1893. Deux d'entre eux étaient des chefs importants. Aujourd'hui, l'Église de l'Ouganda compte trente-sept pasteurs indigènes et deux mille évangélistes, dont plusieurs femmes.

En 1893 éclata un réveil religieux à la suite duquel le nombre des Églises s'éleva de 20 à 200, puis à 700 (en 1902) et le nombre des évangélistes indigènes de 66 à 294. Une quantité d'églises ou de salles furent construites, entièrement aux frais des indigènes, sur toute la surface du pays, pour annoncer l'Évangile à ceux qui se pressaient pour l'entendre. Un des fruits de ce réveil fut une activité missionnaire intense dans les pays adjacents, par exemple dans les pays de Toro et d'Ounyoro, dont les rois mêmes ont été gagnés à l'Évangile. Le roi de Toro, en visite à Bounyoro, où il devait rencontrer le Résident britannique, assista à une grande réunion de prière et y prit part lui-même. À cette réunion, un chrétien indigène se leva et dit : «Autrefois nous venions à vous avec l'épée et le bouclier, aujourd'hui nous venons à vous avec le Livre de Dieu qui nous a rendus heureux. Lisez-le, et vous aussi vous serez heureux». À Nyoro, lors d'une visite d'un pasteur ganda, un feu de joie fut allumé dans la cour du palais royal et brûla une demi-journée. Le ministre d'abord, puis les gens du peuple, y jetèrent leurs amulettes. Le roi contempla le feu un moment, puis fit à son tour chercher ses propres amulettes, et les jeta dans les flammes. En 1903, ce roi et son premier ministre ont été baptisés.

En 1894, plusieurs chefs vinrent demander au missionnaire Tucker ce qu'il pensait de l'esclavage. Le missionnaire leur montra comme quoi il était contraire à la Bible de faire commerce d'hommes et de femmes. Quelques jours après, il recevait une lettre signée par quarante chefs qui lui faisaient part de leur décision d'abolir l'esclavage, et l'esclavage fut en effet aboli. L'évêque Tucker n'hésite pas à affirmer que ceci eût été impossible si ces hommes n'avaient pas déjà eu les Écritures entre les mains et n'avaient pas été familiers avec leur contenu.

La vente des spiritueux a été soumise à des règles restrictives. On le voit, ce que l'Ouganda doit à la Bible échappe à toute statistique.

En 1895, à un service du dimanche matin, le missionnaire Pilkington demanda aux chrétiens présents de raconter, pour l'encouragement des autres, comment ils étaient arrivés à la -foi. Tous se levèrent l'un après l'autre, déclarant que c'était la lecture de la Parole de Dieu qui les avait éclairés sur le chemin du salut, et chacun citait, en indiquant le chapitre et le verset, les passages qui lui avaient été en bénédiction.

Beaucoup de traits touchants montrent l'amour, il vaut mieux dire la passion des Baganda pour la Bible.

En 1890, sept caisses de Nouveaux Testaments en Souahili arrivèrent de la côte à Mengo, la capitale. Les livres furent exposés pour la vente. Il y eut aussitôt, pour les acheter, un tel concours d'indigènes que la maison où se faisait la vente fut à moitié détruite C'est depuis lors, sans doute pour éviter le retour d'un même inconvénient, que la vente des livres saints se fait toujours devant la porte du dépôt biblique.

Voici ce qu'un missionnaire écrivait après la réception des Évangiles selon saint Matthieu, en 1891:

«Les gens se groupaient autour de nous en foule, jour et nuit, aussi longtemps que nous eûmes des volumes, et quand la provision fut épuisée, ils ne voulaient pas croire qu'il n'y en avait plus... En ce moment, je crois qu'il serait plus important de nous envoyer de nouveaux exemplaires des Évangiles que de nous envoyer de nouveaux missionnaires».

Cette même année, une femme cultiva tout un mois une pièce de terre pour gagner de quoi acheter un Nouveau Testament en Souahili.

En 1893, les ventes furent si formidables qu'il fallut six semaines à un homme pour compter les coquilles (*), produit de la vente, et les répartir en séries de 5.000.

 

(*) La monnaie du pays. Mille de ces coquilles font une roupie. Pour soixante coquilles, on achète un Évangile, pour cinq cents, un Nouveau Testament.

 

En 1903, un missionnaire écrivait : «On vient en foule acheter des exemplaires des Écritures. Ce n'est pas un entraînement soudain, qui passe ensuite. C'est un fleuve qui coule jour après jour... En sept semaines, nous avons vendu plus de 660 volumes par jour, et nous avons encaissé 500.000 coquilles (environ 2.800 francs). Il y a des indigènes dont les supplications vous font presque de la peine. Un homme me disait : «Je vous apporterai une vache et son veau pour acheter des livres».

Actuellement, dans l'Ouganda, la Bible et la diffusion de la Bible se sont fait dans le coeur et dans l'activité des chrétiens une place si grande, que, en dehors des deux dépôts bibliques, l'un à Mengo, l'autre à Entebbe, l'oeuvre biblique n'est pas confiée à des agents spéciaux. Tous ceux qui travaillent à l'oeuvre de Dieu, soit les Européens, soit les indigènes, sont instruits à considérer la diffusion de la Bible comme partie intégrante de leur activité. Aussi cette diffusion ne coûte-t-elle presque rien.

On vend dans l'Ouganda pour 25.000 francs de livres religieux par an.

Chaque semaine, il y a chez le Katikiro (régent et premier ministre) une réunion d'étude biblique présidée par un missionnaire. Elle est fréquentée par une trentaine des principaux chefs de l'Ouganda.

L'oeuvre biblique a eu dans ce pays un résultat qui n'est pas banal. Après les ventes extraordinaires de 1893, l'évêque catholique de l'Ouganda, voyant que la Bible pénétrait chez ses fidèles et, qu'un grand nombre la lisaient, pensa que puisqu'il ne pouvait pas les empêcher de la lire, il valait mieux leur donner une édition catholique du Nouveau Testament, pourvue de notes, et c'est ce qu'il fit. Bientôt les catholiques de l'Ouganda eurent leur version du Nouveau Testament, et un peu plus tard les Évangiles catholiques, séparés furent abondamment répandus.

 

La Bible au Lessouto

 

Les missionnaires français arrivèrent au Lessouto en 1833. Le sessouto n'avait jamais été qu'une langue orale. MM. Eugène Casalis et Émile Roland durent en faire, en vue de la traduction de la Bible, une langue écrite. En 1839, ils faisaient imprimer au Cap, à mille exemplaires, les Évangiles selon saint Marc et selon saint Luc, dont ils venaient d'achever la traduction, ainsi qu'une centaine de chapitres de l'Ancien Testament traduits par M. Arbousset, et réunis sous le titre de Seyo sa Lipelu (nourriture du coeur).

Les missionnaires présentèrent ces volumes au roi Moshesh. En les recevant, celui-ci s'écria avec émotion et bonheur : «Voilà la langue de nos pères; elle est désormais indestructible !»

En 1844, les missionnaires établirent une imprimerie à Béerséba et commencèrent l'impression du Nouveau Testament. En 1848 fut achevée, après beaucoup de difficultés, d'arrêts, d'accidents, l'impression et la reliure de 1.000 exemplaires des quatre Évangiles et des Actes des apôtres. Là-dessus l'imprimeur quitta la mission et ne put être remplacé qu'au bout de quatre ans. Ce n'est qu'en décembre 1855 que fut achevée l'impression du Nouveau Testament, traduit par MM. Casalis et Roland (*). Cette première édition fut de 6.000 exemplaires in-8.

 

(* ) Matthieu, Marc, les épîtres de Paul et les Hébreux, furent traduits par M. Casalis; Luc, Jean, les Actes, les épîtres de Jacques, de Pierre, de Jean, de Jude et l'Apocalypse, furent traduits par M. Roland.

 

«En feuilletant ces volumes, dit le missionnaire Duby, on ne peut se défendre d'une certaine émotion en songeant à la somme d'efforts et de persévérance qu'ils coûtèrent à nos devanciers et à la joie des Bassoutos de posséder enfin dans leur langue le Nouveau Testament complet qu'on leur promettait depuis de longues années».

Ce travail était à peine achevé quand éclata la guerre entre Bassoutos et Boers. La station de Beerseba, attaquée et saccagée par un détachement boer, dut être abandonnée hâtivement par les missionnaires. Les caractères d'imprimerie furent versés pêle-mêle dans un morceau de calicot et transportés à Smithfield, où M. Rolland était interné, puis à Béthesda.

En 1861 arrivait M. D. F. Ellenberger, qui avait en typographie des connaissances techniques. Il réorganisa l'imprimerie. Il fallut d'abord trier les caractères, tâche ingrate entre toutes, et remettre en état tout le matériel, qui avait énormément souffert de son brusque déménagement. Cette même année, M. Mabille put commencer l'impression de quelques livres de l'Ancien Testament au moyen d'une presse donnée par un ami. En 1863, M. Ellenberger entreprenait la composition de la Genèse.

En 1865, le travail était peu avancé, lorsque la guerre éclata à nouveau entre Bassoutos et Boers. Les missionnaires furent expulsés. Ils chargèrent sur un wagon la presse et le matériel d'imprimerie, et partirent. Le wagon était conduit par des indigènes. Ils avaient fait peu de chemin, lorsque le wagon versa, et les caisses qui contenaient les caractères furent éventrées. Effrayés par le commando boer qui passait à quelque distance, les conducteurs indigènes s'enfuirent, emmenant les boeufs, et le matériel d'imprimerie resta en détresse. Arrivèrent les soldats bassoutos. Jugeant l'occasion bonne de refaire leur provision de plomb, ils emportèrent bon nombre de paquets de caractères. Heureusement, M. Ellenberger put obtenir tôt après qu'une partie au moins de ce butin lui fût restitué. Mais quelle émotion !

Expulsé, M. Ellenberger fonda la station de Massitissi, mais, ébranlé dans sa santé, manquant d'ouvriers, il se trouva hors d'état de rien imprimer.

L'impression put recommencer en 1872. À partir de ce moment, les livres de l'Ancien Testament furent imprimés successivement et publiés séparément (*). En 1874, l'imprimerie fut transférée à Morija. En 1879, les Bassoutos possédaient la Bible complète dans leur langue.

 

(*) La Genèse et l'Exode furent traduites par M. Roland; le Lévitique et les Nombres, par M. EIIenberger; le Deutéronome par M. J. Martin; Josué et les Juges, par MM. Dyke et Mabille; Ruth, Samuel, les Rois, les Chroniques, Esdras, Néhémie, Esther, Ézéchiel, par M. Mabille; Job, les Psaumes, les Proverbes, l'Ecclésiaste, le Cantique des Cantiques, Ésaïe et Daniel, par M. Samuel Rolland ; Jérémie et les Lamentations, par M. Cochet ; les douze petits Prophètes, par M. Duvoisin.

 

Au fur et à mesure qu'ils paraissaient, les livres de l'Ancien Testament firent une grande impression sur de nombreux lecteurs et auditeurs. On les lisait partout, dans les maisons, dans les champs, dans des réunions et à l'église. Les gens étaient dans l'admiration en présence des choses merveilleuses qu'ils leur révélaient. Ils prenaient plaisir à entendre l'histoire du Déluge, d'Abraham, de Moïse, de Josué, de Gédéon, de Samson, de David, de Jérémie, de Daniel, etc. On était heureux de les voir lire avec une telle ardeur, et de les voir s'entretenir de ce qui les frappait les uns et les autres dans l'histoire du peuple d'Israël; beaucoup même venaient fréquemment demander à leurs missionnaires des explications sur tel fait ou sur tel personnage.

Aussitôt parus, les livres de l'Ancien Testament furent révisés. souvent au prix d'un grand labeur. M. Rolland était tellement désireux de terminer une nouvelle traduction des Psaumes, qu'il portait jusqu'à trois paires de lunettes pour pouvoir l'achever, car une cataracte affaiblissait considérablement sa vue...

En 1880, sur la demande de M. Mabille, présentée au nom de la Conférence du Lessouto, la Société biblique britannique et étrangère entreprit la réimpression de la Bible en sessouto. Cette réimpression fut achevée au bout de deux ans. L'édition fut de 10.000 exemplaires et coûta environ 100.000 francs. Le 7 janvier 1882, le premier exemplaire de la Bible en sessouto était présenté dans une grande réunion de missions, à Paris.

Quelques mois après le retour de M. Mabille au Lessouto en 1882, le premier envoi de Bibles étant arrivé, on fit, le 3 septembre de la même année, une fête spéciale sur toutes les stations pour souhaiter au saint volume la bienvenue. Ce fut une joie générale parmi les chrétiens, qui étaient vraiment fiers et reconnaissants de ce qu'eux, Bassoutos, avaient maintenant, comme les grandes nations, le privilège de posséder la Bible entière en leur propre langue. En ce jour-là les missionnaires, les évangélistes et les églises reçurent un exemplaire de la Bible. La joie était telle que, dans la réunion présidée à Morija par M. Dyke père, le vieux Siméone Fekon s'écria qu'il était un de ceux qui, en 1839, avaient apporté au Lessouto les premiers Évangiles imprimés au Cap, que lui et sa femme devaient tout à la Parole de Dieu, et qu'en un jour comme celui-là ils ne pouvaient pas ne pas donner une preuve tangible de leur reconnaissance. Sur ce, le vieux Mossouto et sa femme vinrent déposer sur la table de communion chacun une pièce d'or de 10 schellings, soit de 12f 50. D'autres firent plusieurs journées de voyage pour venir acheter le Buka en Molimo (le Livre de Dieu).

Lorsque l'édition de 1882 eut été épuisée, la Bible fut révisée de nouveau, et réimprimée en 1898, avec la nouvelle orthographe sessouto, aux frais de la Société britannique, sous la direction du missionnaire E. Jaccottet.

Enfin, une nouvelle édition, avec de nouvelles corrections, fut imprimée, toujours par la Société britannique, en 1903. La Bible sessouto coûte 4f 75.

La même Société a publié, en outre, deux éditions du Nouveau Testament sessouto, dont l'une, in-8, à 1f 85, et l'autre, in-32, édition de poche et à parallèles, à 60 centimes.

En 1908, la Société avait envoyé au Lessouto plus de 36.000 Bibles et plus de 126.000 Nouveaux Testaments, ne rentrant qu'en une faible mesure dans ses débours par la vente des volumes.

Le 21 octobre 1908, à l'une des principales réunions qui se tinrent au cours des fêtes célébrées à l'occasion du 75° anniversaire de la fondation de la mission au Lessouto, le Révérend G. Lowe, agent de la Société biblique britannique et étrangère, était invité à prendre la parole devant 6.000 personnes, à Morija. Il parla des efforts de la Société pour publier les Écritures en sessouto.

Le missionnaire F. Christeller répondit à M. Lowe:

 

Rien de ce qu'ont accompli les premiers missionnaires du Lessouto ne doit plus exciter notre reconnaissance que leur traduction des livres saints en sessouto. M. Lowe, mon frère, votre Société nous a aidés dans une mesure qu'il nous est impossible d'évaluer. Les fruits que nous avons moissonnés, nous les devons au Livre que votre Société a imprimé pour nous et qu'elle nous a permis de vendre à un prix si bas, que le pauvre a pu l'acheter comme le riche. Allez n'importe où dans le pays, dans les plaines ou dans les montagnes, vous verrez que dans chaque village les gens ont la Bible chez eux et la considèrent comme un trésor.

Si quelqu'un ici a droit à la première place, c'est vous!

Nous vous prions de transmettre nos remerciements, ceux de l'Église du Lessouto, ceux de tout le peuple Bassouto, à votre Société, qui nous a mis en possession d'un tel trésor.

Que Dieu la bénisse, votre Société, et lui accorde le succès dans ses efforts immenses pour donner à toute nation le livre de Dieu dans sa propre langue.

 

Les applaudissements chaleureux de l'immense auditoire montrèrent que la reconnaissance exprimée par le missionnaire était aussi celle des indigènes.

 

À l'installation d'un chef, il y a quelques années, les principaux de la tribu l'ont exhorté «à observer les lois du Grand Livre que l'homme blanc nous a apporté».

Terminons par un détail de statistique qui est singulièrement propre à montrer ce qu'un peuple, à tous les points de vue, doit à la Bible. En 1908, le chiffre de vente de l'imprimerie de Morija s'élevait à la somme de 69.200 francs. Ainsi, il se vend chaque année au Lessouto pour 70.000 francs de livres en sessouto (*).

 

(*) Parmi les livres qui sortent de l'imprimerie de Morija, citons les Morceaux choisis de l'Ancien Testament, de Kurtz, traduits par M. Coillard (trois éditions), les Morceaux choisis du Nouveau Testament, de M. Bonnefon, traduits par M. Mabille, une Introduction générale et spéciale aux livres de la Bible, de M. A. Casalis, un Dictionnaire de la Bible, des catéchismes, des géographies, des arithmétiques, etc., etc. Le chiffre de 69.200 francs, qui est celui de 1908, comparé au chiffre de 1899, qui est de 33.637 francs, montre le progrès marqué de la vente. Le chiffre de 1908 est donc certainement aujourd'hui dépassé.

Pour être exact, nous devons ajouter que, parmi les volumes vendus à l'imprimerie de Morija, il en est qui s'écoulent dans les pays voisins du Lessouto, ce qui d'ailleurs rend hommage à leur excellence.

 

Et ce chiffre augmente d'année en année. Quelle vie intellectuelle ce fait suppose au sein d'un peuple d'environ 450.000 âmes ! Et ce peuple, il y a soixante-deux ans, n'avait pas d'alphabet, ne pouvait ni lire ni écrire ! À quoi ce peuple doit-il cet immense développement intellectuel ? À la Bible. Ce sont les traducteurs de la Bible qui lui ont donné, pour pouvoir lui donner la Bible, une langue écrite.

 

Lettre d'un Mossouto (1878)

Mon missionnaire. Ce que j'ai à t'adresser par lettre, ce sont des remerciements. Oui, je te remercie pour les livres de la Bible que tu nous imprimes; je t'en suis reconnaissant. Et vous, imprimeurs de Morija, je vous salue et je vous remercie !

Il en est de ces petits livres de la Bible qu'on imprime ainsi pour nous, comme d'un ban levé par le Seigneur sur de nouveaux pâturages. Là où nous avions l'habitude de paître (comme des brebis et des agneaux) il y a encore de la pâture en abondance, car qui peut dire qu'il n'a plus à lire son Nouveau Testament, sous prétexte qu'il sait déjà ce qu'il contient? Néanmoins, les feuilles de maïs récoltées sont bonnes, et l'herbe des nouveaux pâturages est délicieuse. La nouvelle nourriture n'est rien moins qu'excellente. C'est ce qui me porte à dire: le livre des Prophètes, ainsi que celui de Job, de l'Exode, et tous les autres, sont des livres qui nous parlent des merveilles de Dieu.

Maintenant, cher imprimeur, j'en viens à une autre chose. Il vient de paraître, enfin, le livre que depuis longtemps j'attendais, celui que je désirais grandement lire dans notre langue, en sessouto. Je me demandais: mais quand donc apparaîtra-t-il? Pourquoi d'autres le devancent-ils? Et cependant y a-t-il un livre plus attrayant, plus instructif, et plus d'accord avec l'Évangile, que celui dont je parle? Le titre de Proverbes qu'on lui a donné dépasse mon savoir, je ne le comprends pas, mais son contenu me surprend par sa beauté.

On dit que ce livre a été écrit dans l'ancien temps par le roi Salomon, au pays d'Israël, fort loin de notre Lessouto. Et cependant on y trouve une foule de paroles qui décrivent ce que nous sommes, nous Bassoutos, qui montrent nos coutumes, qui font allusion à tout ce qui nous concerne, et qui nous conseillent comme il convient. Oh! livre admirable de Dieu, qui ne vieillit point, qui s'adapte aux hommes de toute nation, Bassoutos, Français, Anglais, et autres! Cette sagesse extraordinaire du roi Salomon, d'où lui venait-elle, si ce n'est de Dieu seul?

Permets-moi, mon missionnaire, de te parler encore d'une autre chose. Mais vraiment, je crains de prolonger. Je veux dire que ce qui est remarquable dans les sentences du livre, c'est qu'elles sont courtes. Elles se suivent comme les boeufs d'un troupeau qui rentrent à la file les uns des autres; ils diffèrent de pelage et de forme, il n'y en a pas deux qui se ressemblent. Ainsi m'apparaissent les Proverbes, ils se succèdent les uns aux autres, et chacun diffère des autres dans sa teneur; les paroles d'un verset diffèrent entièrement de celles de l'autre.

Puis chaque verset de ce livre est pareil au pis d'une vache, qui donne tant de lait que la main se lasse de traire et n'achève pas de le tirer. J'ai cherché à comprendre chaque verset. Ainsi, j'en lis un, et cherche à m'en rendre compte. J'y réfléchis beaucoup, et néanmoins je ne puis arriver d'une manière satisfaisante à comprendre tout ce qu'il contient. Lorsque je réfléchis au sens, je suis réjoui, étonné même de découvrir combien ce peu de paroles contient de choses profondes, pleines d'une grande sagesse, capables d'instruire un sot comme moi.

J'en suis émerveillé, mes amis, aussi je m'empresse de dire : Lisez ce livre admirable des Proverbes, couvez-le; c'est un grand trésor, un ensemble de choses qu'on n'oublie pas, qu'on garde même facilement; car il suffit de lire une ou deux fois ces courtes sentences pour les savoir de manière à ne pas les oublier. Ne vous en privez pas. Que ce livre soit lu dans les maisons; qu'il soit lu aussi par les enfants à l'école!

Mon missionnaire, reçois mes remerciements. J'apprécie grandement ce livre des Proverbes. Je termine en te saluant ainsi que les tiens et les jeunes imprimeurs.

 

Versions Chinoises

 

Quelques renseignements sur les traductions de la Bible faites pour un peuple de quatre cents millions d'âmes, qui représente un quart de la race humaine, sont bien à leur place dans un livre comme celui-ci.

Pour donner une idée de l'effort accompli, nous parlerons tout d'abord des langues chinoises. On verra que le travail biblique, en Chine, a dû se poursuivre dans des conditions uniques. Ici, la digue qui semblait devoir arrêter le fleuve était plus haute qu'ailleurs. Comme le démon de l'Évangile, l'obstacle à surmonter aurait pu dire : «Je m'appelle légion».

 

Coup d'oeil sur la langue

 

Il y a en Chine une langue spécialement littéraire, le wenli (ce mot signifie littéraire, classique). Ce n'est pas une langue parlée; c'est une langue écrite, susceptible de prononciations fort différentes. Deux Chinois, l'un de Canton, l'autre de Ning-po, lisant à haute voix la même page en wenli ne se comprendront pas l'un l'autre, parce qu'ils la liront, l'un dans la langue de Canton, l'autre dans la langue de Ning-po. C'est un peu comme nos chiffres arabes, qui, pour les yeux, sont les mêmes dans toutes les langues européennes, mais qui pour l'oreille s'expriment de manières très différentes et qui parfois n'ont aucun rapport entre elles. Quinze, fünfzehn, fifteen, pymp theg, quindichi, décapenté, piatnadziat, voilà comment on dit 15 en français, en allemand, en anglais, en gallois, en italien, en grec, en russe. C'est la même chose, et ce n'est pas la même chose.

On pourrait encore comparer le wenli à une sténographie très abrégée, qui ne représente pas la langue parlée et n'est un langage que pour les yeux. Supposons les oeuvres et la littérature françaises reproduites par un tel système de sténographie : ce serait l'équivalent du wenli.

Le wenli s'écrit au moyen, non de lettres, mais d'idéogrammes. On y représente par un signe différent chaque objet, chaque idée. C'est ainsi qu'on a commencé à écrire partout. Les Chinois ont conservé le mode primitif. Si on écrivait le français de cette manière, comme la langue compte environ 60.000 mots, l'alphabet se composerait de 60.000 signes. Le dictionnaire impérial de Kang-Hsi compte 43.496 caractères, dont 11.000 n'ont plus d'emploi. Le nombre des caractères en usage ne doit pas dépasser de 11.000 à 12.000. Avec 2.000 à 3.000 on se tire d'affaire fort honnêtement. Ceux qui en connaissent 4.600 (c'est le nombre de ceux qu'on trouve dans les classiques) passent déjà pour savants, et nul, probablement, n'en connaît plus de 6.000 à 8.000. Dans la Bible en wenli, il y a 5.150 caractères différents.

 

 

Jean 3, 16, en wenli.

 

 

Jean 3, 16, en wenli simplifié.

 

 

Le wenli est extrêmement concis, ce qui se comprend facilement d'une langue qui n'est qu'écrite. C'est une langue à la Tacite.

Cette langue littéraire a trois formes : le wenli proprement dit, le wenli ancien, ou ku-wen, et le wenli simplifié, ou siao-wen. C'est le wenli simplifié qui est la langue officielle, la langue de tous les décrets du gouvernement, la langue des affiches.

Le mandarin est, à la différence du wenli, une langue parlée, à prononciation uniforme. C'est la langue de la cour, comme l'indique son nom : Kuan-Ha. Le terme mandarin est un terme portugais. Cette langue est parlée dans toute la partie de la Chine qui se trouve au nord du Yang-tsé, c'est-à-dire par 300 millions de personnes. C'est de beaucoup la langue la plus parlée ici-bas. L'anglais n'est parlé que par 115 millions de personnes. Le mandarin est au wenli à peu près ce que le grec moderne est au grec classique. Le mandarin, s'écrit, comme le wenli, par idéogrammes, et les mêmes caractères sont employés dans le wenli et dans le mandarin. Le mandarin est beaucoup moins concis que le wenli. Tandis que le Nouveau Testament wenli contient 146.708 signes ou idéogrammes, le Nouveau Testament mandarin en contient 222.231 (*).

 

(*) Il ne s'agit pas ici, bien entendu, de signes différents, mais du nombre total des signes employés, la plupart très souvent répétés.

 

En dehors du wenli et du mandarin, répandus le premier dans la totalité, le second dans les trois quarts de l'empire chinois, il y a neuf langues provinciales qui ne sont pas des dialectes, mais des langues tout à fait distinctes, et dont quelques-unes sont parlées par des millions d'hommes. La langue de Canton est parlée par 15 à 20 millions, la langue de Changhaï par 18 millions, la langue de Hakka par 15 millions, d'autres par 10, 6, 5 millions, ou moins. En dehors de ces neuf langues on compte un grand nombre de dialectes.

Voici, sur les difficultés du chinois, l'opinion d'un des premiers traducteurs, Milne : «Pour apprendre le chinois, disait-il, il faut des hommes qui possèdent un corps d'airain, des poumons d'acier, une tête en chêne, des mains comme un ressort de métal, des yeux d'aigle, un coeur d'apôtre, une mémoire d'ange, et la vie de Mathusalem».

 

 

Fac-similé réduit d'une page du Nouveau Testament en wenli

 

 

À quelqu'un qui parlait de s'initier au chinois, un missionnaire en Chine disait, en indiquant quelques documents : «Je dois vous prévenir que, si vous commencez cette étude, vous vous embarquez sur un océan sans bord».

Une difficulté qui n'a pas encore été entièrement surmontée est venue s'ajouter à toutes celles qui sont inhérentes à l'étude même de la langue, la difficulté de trouver un terme chinois qui rende convenablement le nom de Dieu. C'est là un cas extraordinaire, unique, dans l'histoire des traductions de la Bible, et qui dépasse la compréhension de ceux qui ne sont pas initiés.

Cette difficulté n'est pas nouvelle. La controverse à laquelle elle a donné lieu dure depuis plus de deux cents ans. Au dix-septième et au dix-huitième siècle, plusieurs papes intervinrent par des décrets contradictoires. Les missionnaires protestants, à partir de 1850, ne se trouvèrent pas moins divisés sur cette question que les missionnaires catholiques. Voici un trait qui montre combien la controverse a été ardente et compliquée. En février 1901, un missionnaire bien connu commença, sur cette question, dans le Chinese Recorder, une série d'articles mensuels qui se succédèrent jusqu'au mois d'août 1902. Il avait, pendant vingt ans, réuni et catalogué plus de 13.000 passages de la littérature chinoise pour établir son opinion. Et quand il termina ses articles, il estimait n'avoir pas épuisé le sujet! Cette difficulté n'est pas spéciale au wenli et au mandarin. Elle se reproduit dans toutes les langues provinciales.

En fait, le chinois n'a pas de mot pour désigner la divinité, pas de mot qui réponde à l'Elohim hébreu. Le mot propre manquant, trois termes se sont présentés:

Schang-Ti (maître suprême), Shen (esprit), et Tien-Tchéou (Seigneur du ciel). La majorité des missionnaires anglais ont été pour le premier de ces termes, et la majorité des missionnaires américains, pour le second. Le troisième, depuis le décret papal de 1704, a été adopté par les catholiques. La raison pour laquelle la controverse sur ce sujet a été si passionnée, c'est que Shang-Ti est le nom donné à certains dieux chinois et aux empereurs déifiés. Les adversaires de ce terme ne voulaient pas donner au vrai Dieu le nom d'une idole, afin de ne pas risquer de l'abaisser au niveau des images de bois qu'on trouve dans les temples païens des villes chinoises. Les partisans de Shang-Ti répondaient que ce terme appartenait à l'époque primitive, monothéiste, antérieure au bouddhisme et au taoïsme, qu'il désignait le maître suprême du ciel et de la terre, un dieu dont les attributs rappelaient ceux du Jéhovah de l'Ancien Testament, et qu'on pouvait l'adopter comme les apôtres avaient adopté le mot Théos, qui était loin de désigner le vrai Dieu des chrétiens.

L'entente ne pouvant se faire, ni parmi les traducteurs, ni parmi les missionnaires, il fallut imprimer des éditions diverses des mêmes traductions, afin que personne ne fût choqué en trouvant dans sa Bible le nom qu'il désapprouvait.

Actuellement la controverse touche à sa fin. Les missionnaires se sont mis d'accord pour adopter, dans la version en mandarin, Shen, comme terme générique pour Dieu, et Shang-Ti pour désigner le vrai Dieu.

 

Les traductions

 

Donner la Bible à un peuple où se parlent tant de langues, et de telles langues, quelle entreprise!

Qui donna le branle, au siècle dernier (*1) ? Un obscur pasteur non conformiste de l'Angleterre, du nom de Moseley. Moseley écrivit, en 1798, un traité où il plaidait pour la fondation d'une Société qui s'occuperait de faire traduire la Bible dans la langue des nations les plus considérables de l'Orient. «Jusqu'à ce que les Écritures, disait-il, soient traduites en chinois et répandues parmi les Chinois, les 330 millions de Chinois demeureront assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort, et continueront à périr, faute de connaissance». Aussitôt les objections surgirent. On en fit une qui, aujourd'hui, parait inouïe, surtout lorsqu'on songe qu'elle était formulée par des hommes comme Sir William Jones, savant orientaliste, et par M. Charles Grant, un des directeurs les plus en vue de la Compagnie des Indes orientales : le caractère du chinois, d'après ces personnages, ne permettait pas qu'on fit dans cette langue aucune traduction. Moseley ne se laissa pas intimider par les savants; il persévéra dans son plaidoyer et dans ses recherches. Bientôt il découvrit au Musée britannique un manuscrit chinois totalement inconnu de tous, qui comprenait une harmonie des Évangiles, les Actes, et les épitres de Paul. C'était une réponse typique aux objections des savants! Ce qui était impossible à traduire était déjà traduit! La Société biblique britannique eut un moment l'idée d'imprimer ce manuscrit, mais, ne pouvant en contrôler la valeur, elle y renonça. Cependant, influencée par les appels de Moseley, la Société des missions de Londres nomma Morrison comme missionnaire pour la Chine, spécialement en vue de la traduction de la Bible. Morrison, avant de quitter l'Angleterre, étudia le chinois avec l'aide d'un Chinois. Il copia de sa main le manuscrit du Musée britannique qui, ainsi, rendit tout de même des services, quoique non imprimé, et emporta cette copie en Chine, où il arriva en septembre 1807. Il s'efforça de vivre au milieu des Chinois, adopta leur costume et porta même la queue. Néanmoins, il rencontra de grandes difficultés. Même après avoir été, au bout de deux ans, nommé traducteur de la Compagnie des Indes, il écrivait ceci : «Nous devons étudier en secret, nous avons souvent dû cacher nos livres et nos papiers. Nos aides, par peur, m'ont abandonné à réitérées fois. Les Chinois ne permettent pas qu'on apprenne leur langue. De là nos difficultés» (*2).

 

(*1) Avant le siècle dernier, plusieurs efforts avaient déjà été faits pour traduire les Écritures en chinois. Il y eut probablement une mission nestorienne en Chine dès 505. Elle dut traduire les Écritures de bonne heure. En tout cas, les Écritures étaient traduites au siècle suivant, car, d'après une inscription retrouvée en 1625, «des missionnaires nestoriens arrivèrent de Perse à Changan avec «les véritables livres sacrés». Les Écritures furent traduites pour la bibliothèque impériale, et des églises furent bâties. On pense qu'il s'agit au moins du Nouveau Testament tout entier. L'imprimerie, alors, n'était pas répandue dans toute la Chine, et il ne nous est rien parvenu de ces traductions. Mais il paraîtrait, par la relation de deux voyageurs arabes qui ont visité la Chine en 851 et en 878, que la connaissance des Écritures s'y perpétua longtemps. Le voyageur Plano Carpini, qui visita la Mongolie, envoyé par Innocent IV, écrivait en 1245 que les Chinois avaient, disait-on, l'Ancien et le Nouveau Testament.

Au quatorzième siècle, quand les Mongols eurent conquis la Chine, un moine franciscain, Jean Monte de Corvini, traduisit en langue mongole le Nouveau Testament et les Psaumes. Il écrivait en janvier 1306: «Voilà douze ans que je n'ai eu des nouvelles de l'Occident. J'ai vieilli et suis tout grisonnant, mais c'est plutôt l'effet de mes labeurs et de mes tribulations que celui de l'âge, car je n'ai que cinquante-huit ans. Je me suis rendu maitre de la langue et de la littérature tartares. J'ai traduit en cette langue le Nouveau Testament tout entier et les psaumes de David, et j'ai fait copier ma traduction avec le plus grand soin». On ne sait si cette traduction a jamais été imprimée ou publiée. Son histoire ressemble aux rivières de la Mongolie, qui se perdent dans le sable.

Il y eut plusieurs traductions partielles faites par les missionnaires catholiques aux dix-septième et dix-huitième siècles.

La première traduction protestante, chose curieuse, ne fut pas faite en Chine mais en Inde. Elle fut l'oeuvre de deux missionnaires baptistes de Sérampore, Marshman et Lassar. Ce dernier était Arménien, et il traduisait le Nouveau Testament d'après le texte arménien. Commencé en 1805, le travail fut achevé pour le Nouveau Testament en 1816. et pour l'Ancien en 1822. Cette traduction parait n'avoir qu'un intérêt historique. La traduction qui servit de base à toutes les autres fut celle de Morrison.

 

(*2) Un Chinois qui aidait Morrison dans son travail de traduction portait toujours sur lui du poison, afin de mettre fin à ses jours, s'il venait à être découvert, et d'échapper ainsi aux tortures qui lui aurait été infligées pour le concours prêté par lui à l’étranger.

 

Malgré les obstacles, Morrison publiait en 1810, trois ans après son arrivée, une traduction des Actes, et, en 1814, du Nouveau Testament. Pour la traduction de l'Ancien Testament, il fut aidé par un collègue du nom de Milne. Terminé en 1819, le manuscrit fut soumis à une révision et parut en 1823, imprimé à Malacca, où Milne résidait, à cause de l'hostilité des Chinois. L'Ancien Testament, à lui seul, formait vingt et un volumes in-12. La Société britannique contribua pour 250.000 francs à cette première publication de la Bible en chinois, faite en wenli. Cette oeuvre colossale, qui semblait à elle seule au-dessus des forces d'un homme, fut cependant accompagnée d'autres travaux gigantesques. Morrison publia une grammaire chinoise de 300 pages in-4, et en 1823, la même année que la traduction de l'Ancien Testament, il publia un dictionnaire chinois dont l'impression coûta 125.000 francs à la Compagnie des Indes. On peut dire avec le Dr Pierson : «En vérité, il y a eu des géants, même dans nos temps modernes, et ils ont fait face, intrépidement, à des ennemis plus formidables que les Anakim avec leurs chariots de fer». Morrison, par ses travaux, a jeté les bases de toute l'oeuvre de mission et de civilisation qui depuis lui s'est poursuivie en Chine. C'est un Atlas qui porte un monde.

Cette première traduction ne pouvait pas être définitive. Une révision du Nouveau Testament parut en 1837, puis une révision de la Bible entière par Gutzlaff, dont plus de dix éditions se succédèrent. Elle fut réimprimée en 1853 par les Taïpings. Sur la page de titre était imprimé le blason des armes impériales de cette dynastie (*).

 

(*) Note sur la révolte des Taïpings:

Qui n'a entendu parler de la révolte des Taïpings, vaincue par le général Gordon ? On se doute peu de son origine, et du rôle que la Bible y a joué.

Jusqu'à ces dernières années, toutes les places des fonctionnaires, en Chine, étaient mises au concours. Les examens avaient lieu dans divers centres. À Canton, 30.000 étudiants subissaient les examens au même moment. 300 seulement étaient reçus. Celui qui sortait le premier était invité à dîner chez l'empereur, qui lui remettait lui-même son diplôme. Le succès assurait de hautes places et de beaux traitements. L'aristocratie de Chine n'est pas une aristocratie d'argent, mais de lettres.

En 1850, un missionnaire baptiste américain, Assachar Roberts, offrit l'hospitalité, pendant les examens, à plusieurs de ces concurrents. Comme un grand nombre étaient déjà d'un certain âge, il y en avait de très pauvres, et l'offre de l'étranger fut accueillie avec joie. M. Roberts prévint ses hôtes que les chrétiens avaient l'habitude de lire leurs livres saints et de prier le vrai Dieu le matin et le soir. Il les invita à assister au culte, tout en les laissant parfaitement libres. Il savait toutefois que l'étiquette chinoise les amènerait à accepter son invitation. Un des étudiants, du nom de Hung, fut profondément impressionné par la lecture des Écritures. Il réussit à obtenir un diplôme. Avant de partir, il demanda à emporter un certain nombre de livres saints pour les distribuer à ses amis, afin d'arriver à une décision au sujet de leurs doctrines. Le résultat fut la conversion de Hung et de plusieurs lauréats du concours. Ces nouveaux convertis s'employèrent avec zèle à répandre la connaissance de la vérité, chacun dans son district, et le résultat fut que les temples se vidèrent. Les autorités prirent peur, craignant d'être en présence de quelque société secrète, et interdirent les réunions des chrétiens. Hung exposa la vérité, déclarant qu'ils étaient bons citoyens, qu'ils avaient simplement embrassé le christianisme. Les autorités refusèrent de le croire: il est certain que si une société secrète avait été fondée, elle n'aurait pas pu mieux s'y prendre pour se cacher que de se prétendre une société de chrétiens. Là-dessus le vice-roi de la province les menaça de s'emparer d'eux, s'ils ne renonçaient pas à leurs réunions, et envoya un régiment pour les faire prisonniers.

Les nouveaux convertis et leurs amis — ils étaient plusieurs centaines — montèrent au sommet d'une colline qui avait la forme d'un cône. Les soldats entourèrent la colline et commencèrent à gravir ses pentes. Alors l'un des assiégés s'ouvrit les veines et écrivit avec son sang un exposé clair et complet de leurs intentions (les Chinois se servent pour écrire d'une brosse en poil de chameau). Ces hommes s'agenouillèrent, demandèrent à Dieu de les guider, puis par une impulsion soudaine, ils s'ébranlèrent pour descendre avec de grands cris les pentes de la colline. Effrayés, les soldats jetèrent leurs armes et s'enfuirent pour sauver leur vie. Les nouveaux convertis s'emparèrent de ces armes, et aussitôt prêtèrent serment de renverser le gouvernement, uniquement pour établir la liberté religieuse. Ils franchirent une distance égale à celle qui sépare Paris de Moscou, incorporant en route ceux qui sympathisaient à leur dessein et les soldats impériaux qu'ils rencontraient. Hung, le chef, établit des règles parmi lesquelles celles-ci: Pas de pillage. On pouvait seulement accepter des dons volontaires. Pas d'opium. Quiconque profanerait la sainteté du foyer serait fusillé sur le champ. Et pour éclairer ceux qui le suivaient, il publia une édition spéciale des Écritures, celle dont nous parlons plus haut. Le nom de Taïping signifie grande paix. C'est le nom qui eût été donné à la nouvelle dynastie si Hung avait réussi. En 1851, il commandait 300.000 hommes. Ville sur ville était emportée d'assaut. Mais le mouvement dégénéra. Le pouvoir grisa Hung. Il y avait en lui du fanatique et du visionnaire. Il y eut des excès. On a calculé que vingt millions d'hommes périrent sous les coups de son armée. En 1864, le général Gordon triompha de la rébellion des Taïpings.

 

En 1843, après la signature du traité de Nanking, une conférence missionnaire confia la révision de la Bible à quelques délégués. Le Nouveau Testament parut en 1852 et l'Ancien en 1854. Cette Bible, traduction d'une beauté classique et savante, parut aux frais de la Société biblique britannique. La Société biblique américaine publia une autre version (Nouveau Testament 1859, Ancien Testament 1863). Les baptistes, de leur côté, en publièrent une autre (Nouveau Testament 1853, Ancien Testament 1868). Cette version, où le mot baptême est rendu par immersion, est toujours en usage.

En 1864, une mission russe à Pékin publia le Nouveau Testament. Tout ceci en wenli.

En wenli populaire, parurent les Psaumes en 1882, le Nouveau Testament en 1889, une autre version du Nouveau Testament en 1885, la même révisée en 1889 avec une partie de l'Ancien Testament (Société biblique écossaise).

En mandarin, à la suite d'une entente, un triple Nouveau Testament parut en 1870, un avec le terme Tien-Tchéou (évêque Burdon), un second avec le terme Shang-Ti (Société biblique britannique), un troisième avec le terme Chen-Shen (Société biblique américaine). En 1872, après révision, ce triple Nouveau Testament fut réédité. En 1874, parut l'Ancien Testament traduit par Schereschewsky (Société biblique américaine, puis, 1878, Société biblique britannique), et en 1879 le Nouveau Testament par un comité dont Schereschewsky faisait partie (Société biblique britannique et, 1880, Société biblique écossaise). En 1885, ce même Nouveau Testament parut en chinois et en anglais (Société biblique écossaise). En 1889, une version individuelle du Nouveau Testament et d'une partie de l'Ancien par le Dr Griffith John, dont une nouvelle édition en 1893.

En 1888 parut une édition du Nouveau Testament en caractères romains, sous les auspices de la mission de Hudson Taylor et en partie l'oeuvre de sa première femme. Depuis, d'autres portions ont paru en caractères romains, d'après des systèmes différents.

 

Il était urgent de ramener à plus d'unité les efforts pour la traduction de la Bible en chinois. Une conférence missionnaire se réunit en 1890, à Changhaï. Elle comptait treize cents membres. On semblait bien loin de l'accord sur la question de traduction. Quand le Dr Wright, délégué de la Société britannique, fit connaître qu'il venait plaider pour l'unité de traduction, les uns lui dirent : «Vous êtes venu dix ans trop tôt», et les autres : «Vous êtes venu dix ans trop tard». Néanmoins, et en grande partie grâce à l'intervention du Dr Wright, la Conférence, à l'unanimité moins une voix, décida la révision de la Bible chinoise en vue d'arriver à une seule version en wenli, une seule version en wenli populaire, une seule en mandarin. Dix-sept ans après, en 1907, la révision du Nouveau Testament était achevée et publiée en wenli, en wenli simplifié, en mandarin. Les frais de cette révision se sont élevés à 130.000 francs. On espère que, dans quelques années, la révision de l'Ancien Testament aura paru.

Il a été décidé qu'on travaillerait à fondre ensemble les traductions en wenli et en wenli populaire, soit pour le Nouveau Testament déjà paru, soit pour l'Ancien, encore à paraitre.

La Bible a été traduite, en tout ou en partie, en d'autres langues de la Chine

 

En mandarin du Sud (Nouveau Testament, 1856); dans la langue de Canton, parlée par 15 à 20 millions d'âmes (Nouveau Testament, 1886, Ancien Testament, 1894); de Changhaï, parlée par environ 18 millions (Nouveau Testament 1870, Ancien Testament partiel, 1904); de Hakka, parlée par environ 15 millions (Nouveau Testament, 1883); de Fou-tchéou, parlée par environ 8 millions (Nouveau Testament, 1864, Ancien Testament, 1894); de Ning-po, parlée par 6 ou 7 millions (Nouveau Testament, 1861, Ancien Testament, 1901) ; de Swatow, parlée par environ 5 millions (Nouveau Testament, Ancien Testament partiel, par les presbytériens, en caractères romains, 1905; Ruth, 1875; Genèse, 1879; Nouveau Testament, 1896, par les baptistes, en caractères chinois); d'Amoï, parlée par environ 10 millions, notamment à Formose (Nouveau Testament, 1873, Ancien Testament, 1902); de Hing-hoa, parlée par environ 3 millions (Nouveau Testament, 1900, Ancien Testament presque entier, 1904); de Haï-nan (Nouveau Testament, 1891, Ancien Testament partiel, 1901); de Wen-tchéou, parlée par environ 1 million (Nouveau Testament, 1901) ; de TaïHo (Nouveau Testament, 1881). Des fragments ont paru dans les langues de Hang-kéou, Kien-ning, Tchan-tchoung, Hin-hoa, Tchang-yang, Tchaoun, Miao, Tching-tschia, cette dernière parlée par environ un million d'hommes.

 

Notons encore les traductions dans les langues parlées par des peuples qui dépendent de la Chine :

 

Pour la Mongolie (1.850.000 habitants) : en mongol littéraire (Ancien Testament 1840, Nouveau Testament 1843); en Kalmouk, ou mongolien de l'ouest (Matthieu, 1815, Évangiles et Actes, 1822, Nouveau Testament, 1895); en Kalkha ou mongolien de l'est (Matthieu) ; en Buriate (Nouveau Testament, 1827, publié en partie).

Pour la Mandchourie (5.530.000 habitants) : en mandchou (Nouveau Testament, 1834).

Pour le Thibet : en thibétain (Nouveau Testament, 1885, Ancien Testament partiel); en leh, parlé par 30.000 à 40.000 habitants (Marc 1 à 4, 1904); en ladaki (Marc).

 

 

Il a donc paru en Chine et dans les pays qui dépendent de la Chine, en moins d'un siècle, 19 traductions de la Bible (dont 7 encore incomplètes en 1905, en ce qui concerne l'Ancien Testament), 16 du Nouveau Testament, 13 de fragments divers, soit 48 en tout, en 32 langues. Plusieurs de ces Bibles ou Nouveaux Testaments ont été révisés, une ou plusieurs fois. Nous n'avons noté que les premières éditions. Plusieurs sont pourvues de parallèles, de notes et de cartes.

Trouve qui voudra cette énumération monotone. Monotonie sublime, comme celle des vagues de l'Océan, quand la marée monte. Chacune de ces traductions, en effet, est comme une vague qui se lève, et qui hâte pour sa part le jour où «la terre sera remplie de la connaissance de la gloire de l'Éternel comme le fond de la mer par les eaux qui le couvrent».

Nous relevons le nom de cent trente-huit missionnaires, dont onze dames ou demoiselles, qui se sont occupés de la traduction de la Bible dans les différentes langues de la Chine. Parmi eux, il y en a un qui mérite une mention spéciale, c'est l'évêque Schereschewsky. Cette notice se terminera, comme elle a commencé, par la biographie d'un géant.

Né en 1831, en Lithuanie, de parents israélites, Schereschewsky fut élevé dans toute la sagesse des juifs, et prit ses grades à l'Université de Breslau. La lecture du Nouveau Testament traduit en hébreu le convainquit de la vérité de l'Évangile. Il se rendit aux États-Unis, y fut baptisé, y fit des études théologiques, et en 1859 il était missionnaire à Changhaï. En 1862, il s'établit à Pékin, et en 1877 fut nommé évêque à Changhaï. Supérieurement doué, connaissant l'hébreu mieux que toute autre langue, il fut promptement appelé à s'occuper de la traduction de la Bible. En collaboration avec quatre collègues, il traduisit le Nouveau Testament en mandarin. Ensuite, à partir de 1865, il traduisit seul l'Ancien Testament dans cette même langue. Cette traduction remarquable parut en 1875 et eut plusieurs éditions, dont la dernière, révisée, est de 1899. C'était déjà beaucoup. Il fit plus encore. Il traduisit la Bible entière en wenli populaire. Cette version parut, le Nouveau Testament en 1898, la Bible entière en 1902. Alors il revit ses deux traductions, les corrigeant, les améliorant. Ce n'était pas encore assez : il revit encore ses deux traductions d'un bout à l'autre pour en faire des Bibles à parallèles.

Mais le plus extraordinaire, c'est qu'il accomplit ces travaux en état d'infirmité. En 1865, six ans après son arrivée en Chine, il fut frappé d'une paralysie qui alla s'aggravant jusqu'à ce qu'elle ne lui laissât plus que l'usage du doigt du milieu de chaque main. C'est avec ces deux doigts qu'il rédigea, au moyen d'une machine à écrire, ses deux traductions. Un secrétaire les recopiait en caractères chinois. Il faut noter qu'il accomplit presque tout ce labeur hors de Chine. Quelques années après être tombé malade, il retourna en Amérique et y vécut vingt ans, après quoi il se rendit au Japon, où il termina sa carrière. Il mourut en 1906, à Kyoto, après avoir passé les vingt-cinq dernières années de sa vie immobilisé dans un fauteuil.

Le mal dont il fut frappé, tout en le mettant à une rude épreuve, servit les intérêts du règne de Dieu. Il put consacrer tout son temps à la traduction de la Bible, et exerça certainement, comme traducteur, une influence plus vaste et plus profonde que celle qu'il aurait eue comme évêque. Sa paralysie lui donna la Chine pour diocèse. Plus que beaucoup d'autres, il put dire: «Quand je suis faible, c'est alors que je suis fort».

La Bible deux fois traduite, en deux formes différentes d'une même langue, ces deux Bibles pourvues de parallèles, la parole de Dieu ainsi donnée, avec le secours des renvois, à un quart de la race humaine (*), voilà le bilan de cette vie d'un infirme. Peu d'hommes, assurément, auront exercé sur l'humanité une action plus étendue et plus profonde que ce fils d'Israël, amené à Jésus Christ par la lecture d'un Nouveau Testament hébreu.

 

(*) Le mandarin est parlé par 300 millions d'hommes (voir 6° paragraphe du point 25.11.1 du texte global = point 1.7.1. de la Partie 6 «Histoire de la Bible hors d’Europe») Le wenli populaire est compris par la grande masse du peuple chinois, qu'on estime à 400 millions.

 

Le colporteur chinois Ren, de la province de Shan-Si. Il doit son premier contact avec l'Évangile à la lecture de volumes achetés en 1882 à un colporteur biblique. Il a été amené à la foi en 1905 par la conversion et la guérison de ses trois fils, fumeurs d'opium endurcis. Il est colporteur biblique depuis 1906. Il est sourd-muet et réussit cependant à vendre beaucoup de volumes, surtout sur les marchés. Il montre un passage du doigt, et par des signes essaie d'en indiquer le sens. M. Ren est un lettré. Sur sa coiffure sont inscrits ces mots : «Venez à Jésus, vous tous qui êtes travaillés et chargés».

 

 

 

La version Japonaise

 

En novembre 1831, une jonque de cabotage, chargée de riz, quittait le port de Toba, au Japon, pour se rendre à Yeddo. Une tempête la démâta et la jeta errante en plein Pacifique. Elle était construite en sapin, très légèrement. C'est à dessein que le gouvernement japonais ne tolérait que des vaisseaux incapables de tenir la mer. Il voulait par là empêcher les Japonais de s'aventurer dans les pays étrangers. Si notre jonque ne sombra pas, ce fut comme par miracle. Pendant quatorze mois, elle flotta à la dérive, jouet des vents et des courants. L'équipage se nourrit du riz de la cargaison, et du poisson qu'on pêchait. Onze marins moururent du scorbut, et les trois survivants, «Heureux Rocher», âgé de vingt-huit ans, «Bonheur durable», âgé de quinze ans, et «Heureux Son», âgé de quatorze ans, étaient dans un véritable épuisement lorsque la jonque vint échouer près de l'embouchure du fleuve Colombia ,sur la côte de l'Orégon, aux États-Unis. Elle fut pillée par les Indiens, et les trois marins furent retenus prisonniers. Le représentant de la Compagnie de Hudson Bay les fit relâcher et rapatrier par les îles Sandwich, le cap Horn, et l'Angleterre. En décembre 1835, ils arrivaient à Macao, où ils furent confiés aux soins du célèbre missionnaire Gutzlaff.

Celui-ci profita de la présence des trois naufragés japonais pour apprendre le japonais, et, si incroyable que cela paraisse, il l'apprit assez bien pour pouvoir traduire dans cette langue une partie du Nouveau Testament, l'Évangile et les épîtres de Jean, et les Actes des apôtres, qui furent imprimés aux frais de la Société britannique. Toutefois, on n'imprima rien de plus, car ce travail manquait de l'exactitude et de l'élégance nécessaires au succès d'une traduction des livres saints. Ce qui est étonnant d'ailleurs, ce n'est pas que, avec les moyens d'étude dont il disposait, Gutzlaff n'ait pas fait mieux, c'est qu'il ait fait aussi bien. Trente ans devaient s'écouler avant que le Nouveau Testament complet parût en japonais. Mais qui dira le bien que purent accomplir pendant ces trente ans les fragments imparfaitement traduits par Gutzlaff? Comme Néhémie, ne pouvant faire mieux, il avait «bâti la muraille jusqu'à la moitié de sa hauteur» (Néhém. 4, 6).

Et les naufragés japonais? demandera-t-on. La fin de leur histoire est mélancolique, et montre combien, il y a trois quarts de siècle, le Japon était fermé à l'Évangile et à la civilisation. En 1837, Gutzlaff essaya de rendre les trois marins à leur patrie. Il les accompagna lui-même, à bord du Morrison. Quand ils arrivèrent dans la baie de Yeddo, ils furent accueillis par les canons des forts. Une lettre fut envoyée au gouverneur pour l'informer dans quel but on était venu. Pour toute réponse, on essuya le lendemain matin de nouveaux coups de canon. On essaya alors le port de Kagosima. Là, deux des marins débarquèrent. Les mandarins parurent touchés par leur histoire, et consultèrent le prince Satsuma. Une provision d'eau douce fut envoyée au Morrison. Mais, au bout de trois jours d'attente, la permission de rentrer dans leurs foyers fut refusée aux trois malheureux. Le Morrison reçut l'injonction de disparaître, et les forts commencèrent à tirer. Ainsi, après six ans d'absence, «Heureux Son», «Bonheur durable» et «Heureux Rocher», — ce dernier avait femme et enfants, — n'eurent d'autre ressource que de reprendre, avec leur protecteur, le chemin de Macao.

La traduction actuelle du Nouveau Testament japonais, qui est l'oeuvre d'un comité de missionnaires et de chrétiens japonais, a paru en 1878, après six ans de travail. La traduction de l'Ancien Testament est l'oeuvre d'un autre comité qui l'a achevée en 1888, après dix ans de travail. Les Sociétés bibliques britannique, américaine et écossaise, ont collaboré à la publication de la Bible japonaise.

 

 

La Bible en Corée

Histoire

 

La Corée (en coréen, Ko-ryu (*), c'est-à-dire : le pays des hautes montagnes et des ruisseaux qui gazouillent) est un pays de dix millions d'habitants. Tributaire de la Chine jusqu'en 1894, proclamée indépendante après la guerre du Japon et de la Chine, elle a été annexée au Japon après la guerre du Japon et de la Russie. C'est un pays rétrograde, au peuple paresseux et dégradé, à la politique corrompue. Ceci tient non à l'infériorité de la race, mais au manque de fermeté et de sagesse qui, pendant des siècles, a caractérisé le gouvernement coréen.

 

(*) Les Coréens appellent leur pays d'un nom plus ancien : Cho-sen, qui signifie : Le pays du matin calme, de la fraîcheur matinale. Beau comme le matin, disent les indigènes.

 

La Corée n'a pas toujours été un pays rétrograde. Dans l'emploi de l'imprimerie, elle a précédé l'Occident et surpassé la Chine, à laquelle elle avait emprunté cet art. Elle est le premier peuple qui ait fait usage de caractères en métal. En 1403, un tiers de siècle avant Gutenberg, un décret du roi T'si Tsang ordonnait la fonte de caractères en cuivre. En 1434, les Coréens inauguraient les caractères en plomb, alors qu'en Chine on ne connaissait encore que les planches en bois. L'alphabet coréen, inventé en 1450, est l'un des plus parfaits qui existent, sinon le plus parfait. Pourquoi ce peuple, sous l'influence de l'Évangile, ne retrouverait-il pas sa place d'autrefois dans la civilisation?

En 1871, le gouvernement coréen répondit aux ouvertures que lui faisait le gouvernement américain, en vue de la conclusion d'un traité, en bombardant la flotte de l'amiral Rodgers et en déclarant avec hauteur : «Notre civilisation de quatre mille ans nous suffit, nous n'en voulons point d'autre». Onze ans après, les choses avaient changé. Un traité fut conclu avec l'Amérique en 1882, et un autre avec la Grande-Bretagne en 1884, et depuis lors les portes du «Royaume ermite» furent ouvertes au commerce européen et à la mission. En 1884, arrivèrent d'Amérique les premiers missionnaires.

 

La langue

Avant d'aller plus loin, jetons un coup d'oeil sur la langue du pays, dans laquelle les missionnaires devaient traduire la Bible et prêcher l'Évangile.

Le coréen est une langue polysyllabique, très riche en formes.

Les noms se déclinent; ils ont neuf cas. Dans le verbe, on compte environ mille terminaisons différentes. Il y a trois formes de la langue 1° le Han-mun, écrit en caractères chinois purs. C'est la langue employée à la cour, par les lettrés et dans les écoles. Un Japonais, un Chinois et un Coréen, qui ne se comprennent pas en parlant, se comprennent en communiquant par écrit, l'emploi des caractères chinois étant commun aux trois pays; 2° le Kuk-mun, ou forme indigène, dont l'alphabet, avec ses six consonnes et ses onze voyelles, est très remarquable, comme nous l'avons dit. Cette forme est riche et simple à la fois, mais une même syllabe peut répondre à 46 caractères chinois et avoir autant de sens différents. Shin, par exemple, qui veut dire Dieu, peut vouloir dire aussi diable, soulier, foi, nouveau, etc. On écrit verticalement, non les mots, mais les syllabes, ce qui rend malaisé, soit de lire rapidement, soit de se rappeler ce qu'on a lu; 3° le Kuk-hanmun, ou combinaison des deux précédents, où le radical des mots est écrit en caractères chinois, ce qui évite la confusion inévitable dans la forme précédente. C'est dans cette dernière forme que la Bible est publiée.

 

 

Une belle avance

 

Les débuts de l'oeuvre missionnaire en Corée ne furent pas retardés, comme ailleurs, par la nécessité d'apprendre la langue. Et même on peut dire qu'en Corée, — c'est sans doute un cas unique dans l'histoire des missions, — la mission avait commencé avant l'arrivée des missionnaires. Ceci s'explique par deux raisons. D'abord par ce que nous avons dit plus haut de l'emploi des caractères chinois, compris par tous les Coréens qui ont passé par l'école. Grâce à la familiarité des Coréens avec ces caractères, la diffusion des Écritures en chinois put précéder, — et précéda en fait, — l'action missionnaire proprement dite.

De plus, des missionnaires voisins de la Corée avaient, avant le début de la mission en Corée, traduit une partie de la Bible en coréen populaire. De sorte que, quand les missionnaires s'installèrent en Corée, ils y trouvèrent les Écritures en partie traduites, imprimées et déjà répandues par des colporteurs; et eux-mêmes eurent entre les mains, aussitôt arrivés, l'instrument d'action sans lequel la mission n'est jamais que dans sa phase préparatoire. Comme s'exprime un témoin oculaire, «c'est la page imprimée qui, en Corée, a ouvert les coeurs à la vérité proclamée par le missionnaire». Nulle part l'oeuvre missionnaire n'a eu une telle avance.

 

Premiers efforts

 

Une première campagne de colportage biblique fut faite par un missionnaire écossais de Tche-fou, M. Thomas, en 1865, à la suite de circonstances étranges et providentielles : la voie lui fut ouverte par deux Coréens catholiques romains qui lui servirent de guides. Il répandit abondamment les Écritures (en caractères chinois) en Corée et en Mandchourie. Dans un second voyage, en 1866, son navire fit naufrage sur la côte occidentale de la Corée. L'équipage fut massacré par les indigènes, et M. Thomas partagea le sort des matelots. Il fut coupé en morceaux et brûlé sur les bords du latong près de Pyeng-Yang. Dans ce second voyage, comme pendant le premier, il distribua abondamment les Écritures. Plus tard, un missionnaire devait baptiser un homme dont le père avait reçu un Évangile ou un Nouveau Testament des mains de M. Thomas.

Les premiers efforts suivis, soit pour évangéliser les Coréens, soit pour traduire les Écritures dans leur langue, furent faits par les missionnaires écossais Ross et Mac Intyre, établis à Moukden, en Mandchourie, depuis 1875. Ces missionnaires ne manquaient pas d'évangéliser les Coréens que leurs affaires amenaient dans cette ville, soit en passage, soit pour s'y fixer, et il y en avait beaucoup, car Moukden est sur la grande route de Séoul à Pékin. Le trafic y est considérable. Avec l'aide d'un Coréen, ils commencèrent à traduire le Nouveau Testament. En 1882, six mille exemplaires des Évangiles de Luc et de Jean étaient imprimés par la Société biblique d'Écosse. Les autres livres furent imprimés par la Société biblique britannique. Une première édition du Nouveau Testament parut en 1887. Une seconde, révisée, en 1900. Aujourd'hui, l'Ancien Testament en entier est sur le point de paraître.

Depuis 1881, plusieurs convertis mandchouriens firent du colportage biblique dans la Corée occidentale, mais ce n'était pas encore la trouée.

 

La trouée

 

Des Coréens évangélisés par les missionnaires de Moukden, une dizaine se convertirent. C'étaient des négociants de Wifou. Quelques-uns devinrent aussitôt évangélistes ou colporteurs bibliques. Parmi ceux-ci, il y avait deux frères, dont l'aîné, So Sang Yun, mérite une mention spéciale, car c'est lui qui fut le premier colporteur coréen, le premier colporteur qui pénétra dans l'intérieur de la Corée, c'est lui qui fit, en Corée, en 1883, la première trouée biblique et missionnaire.

Aussitôt après sa conversion, So Sang Yun se sentit pressé de retourner dans son pays avec le message de l'Évangile. Quand il pensait à son peuple, il sentait comme un poids sur son coeur. Le Dr Ross lui conseilla de se munir d'un certain nombre d'exemplaires du Nouveau Testament coréen, dont la traduction venait d'être achevée. Il y avait là matière à sérieuse réflexion, car, en Corée, les Bibles, en tant que livres étrangers, étaient articles de contrebande. Si on en découvrait entre les mains de quelqu'un, ce pouvait être pour lui la prison ou la mort. MM. Ross et So prièrent à ce sujet, et enfin, six mois après avoir reçu le baptême, M. So partit avec une provision de livres, avec Séoul, la capitale de la Corée, pour objectif. Comme il approchait de la frontière, il dut s'arrêter pour soigner ses pieds meurtris par la marche, et fut rejoint par deux Coréens qui lui offrirent de se charger d'une partie de son fardeau. Apprenant que son ballot contenait des livres, ils furent frappés d'horreur, mais aidèrent néanmoins M. So à le porter. Arrivés près de la frontière, un matin, ils accoururent tout émus auprès de M. So, lui disant que l'inspecteur des douanes allait paraître, et lui conseillant d'aller plus loin et de passer la frontière comme il pourrait. Mais M. So savait que ses livres étaient de bons livres, et il déclara que, s'il y avait des risques, il les affronterait virilement. Les autres passèrent sans encombre. Quant à lui, ses livres furent confisqués. À part cela, il en fut quitte pour recevoir une sévère réprimande, et pour être obligé de laisser son adresse, afin qu'on pût le surveiller. Quand il rejoignit ses compagnons de route, ceux-ci furent tout surpris : ils s'attendaient à ce qu'il eût été, pour le moins, condamné à la bastonnade.

 

Bientôt après, à Wifou, où il s'était arrêté, on lui annonça une visite. Qu'on juge de sa surprise : c'était l'inspecteur des douanes, celui-là même qui lui avait confisqué ses livres! Il les avait lus avec intérêt et les avait trouvés excellents, si excellents qu'il fit des excuses à M. So, et que..., plongeant la main dans ses manches flottantes et dans les vastes replis de ses amples pantalons, il en retira l'un après l'autre les Nouveaux Testaments, et les plaça sur la table.

«Et c'est ainsi, dit M. So, que je rentrai en possession de mes volumes».

Voilà comment la brèche fut ouverte. M. So poussa jusqu'à Séoul et en fit son quartier général. Lorsque, deux ans après, il revint à Moukden, plus de soixante-dix convertis demandaient le baptême : c'était le résultat de ses travaux. En 1887, le missionnaire Ross écrivait : «J'ai vu s'organiser la première Église de Coréens : elle se composait presque entièrement des convertis de So».

L'année même où So, bientôt suivi par d'autres colporteurs, commençait ses travaux à Séoul, les missionnaires américains s'installèrent dans cette ville. Grâce aux campagnes de colportage biblique qui précédèrent leur arrivée ou coïncidèrent avec elle, ils trouvèrent partout un terrain ensemencé et des gens préparés à les entendre. Et eux-mêmes, trouvant les Écritures imprimées soit en chinois, soit dans le dialecte populaire, eurent en mains, aussitôt arrivés, l'instrument indispensable. Avant le début de l'action proprement missionnaire, il y avait déjà six cents candidats au baptême dans les vallées de la Corée occidentale. C'était le fruit du colportage biblique des convertis mandchouriens.

 

Progrès

 

Un des premiers villages où l'Évangile fit sentir son influence, ce fut le village de Soraï, le village natal des frères So. Ce village devint presque entièrement chrétien, et la réputation des habitants du district fut bientôt si excellente que le gouvernement en changea le nom et l'appela, au lieu du district de «la grande courbe» (allusion à sa forme géographique), le district du «grand salut».

La même année où So s'établissait à Séoul, une expédition missionnaire fut faite dans le sud par une église chinoise de Fou-chéou, toujours avec la distribution des Écritures comme premier moyen d'action. En même temps, comme s'exprime un rapport de l'époque, les Écritures pénétrèrent en Corée par divers canaux. Telle une eau pénétrant dans un vase par toutes ses fissures.

Voilà quels furent les premiers débuts d'une des plus magnifiques oeuvres missionnaires de notre temps et de tous les temps. Elle eut ses heures difficiles. Le colportage biblique ne donna pas toujours, au commencement, les résultats qu'on espérait, mais à partir de 1889, les progrès furent extraordinaires. La vente des livres saints passa, cette année-là, de 6.335 à 34.813 exemplaires (De 2.052 volumes, aux premiers débuts de l'oeuvre, elle s'est élevée, en 1909, à 162.687).

 

Le témoignage des missionnaires

Le colportage biblique

 

En Corée, l'oeuvre biblique apparaît inséparable de l'œuvre missionnaire. Tout comme dans l'Ouganda, on pourrait dire: «La Bible, c'est la Mission». Le témoignage des missionnaires est unanime.

«Ce n'est pas assez, dit l'un d'eux, en 1906, de parler de l'importance de l'oeuvre biblique dans notre district. Il faut dire qu'elle est la cause de nos développements. C'est le colporteur, avec ses livres, qui le premier éveille l'intérêt des gens, et cet intérêt est si grand qu'ils envoient chercher un évangéliste avant que nous ayons eu le temps d'y aller». «Dans aucun pays, raconte un visiteur récent, M. Ritson, secrétaire de la Société biblique britannique, la diffusion des Écritures n'a davantage contribué à l'évangélisation du peuple. À réitérées fois, dans les villages, le message écrit, sans l'aide du missionnaire, a été le moyen de former des groupes d'adorateurs du vrai Dieu. Le message écrit a été le pionnier de l'Église. Nulle part l'importance de l'oeuvre biblique n'a été plus reconnue par les missionnaires, nulle part les missionnaires ne l'ont davantage faite leur».

Voici quelques témoignages rendus par les missionnaires à l'oeuvre du colportage biblique :

«Ce qui prouve l'excellence du colportage biblique, écrit un missionnaire de Wonsan, en 1905, c'est le grand nombre de gens qui deviennent chrétiens dans toutes les régions où les colporteurs travaillent. Dans chacune de ces régions, une Église (et quelquefois plus d'une) a été bâtie, une école a été commencée, les habitants se conforment peu à peu à la discipline de l'Église, et les factions cessent».

Dans telle région où l'on ne connaissait que cinq chrétiens quand le colporteur commença à y travailler, il y a maintenant deux Églises et deux cent cinquante chrétiens. Dans un autre district, le nombre des chrétiens est monté de vingt à cent, et c'est le colporteur qui est leur père spirituel.

Un autre missionnaire écrit de Song-do : «J'envoyai un colporteur s'établir, comme pionnier, dans un village de la province de Kang-won, un village de huit cents maisons. Quatre mois après, une église de cinquante membres y était constituée. Maintenant, après neuf mois de travail, nous y avons deux cents candidats sous épreuve».

Les témoignages de ce genre ne se comptent plus.

«Les Sociétés bibliques, écrit un autre missionnaire, sont le bras droit des missions. Sans elles nous travaillerions comme des estropiés et des paralysés».

 

Les groupes d'études bibliques

 

Nées du colportage biblique, c'est à l'étude de la Bible que ces églises doivent leur puissance spirituelle.

Voici ce que disait à Édimbourg, à la Conférence universelle des missions, le Dr Moffett, missionnaire en Corée

«Je n'hésite pas à dire que, dans ma conviction profonde, ce qui a le plus contribué à la transformation spirituelle des Coréens, ce qui a fait de l'église coréenne une église missionnaire, c'est notre vaste organisation de groupes d'études bibliques. Sans doute, il n'y a pas de pays où la Bible ne soit le grand facteur de l'évangélisation, mais elle a certainement occupé une place unique dans l'oeuvre de la Corée, et l'église coréenne doit sa puissance, sa spiritualité, sa grande foi dans la prière, et sa libéralité, au fait qu'elle a été tout entière saturée en quelque sorte de la connaissance de la parole de Dieu. Ces groupes, ces écoles d'études bibliques, constituent le facteur principal dans l'éducation, le développement, l'entraînement de l'Église, en tant que corps missionnaire. C'est là que tous les membres de l'Église, jeunes et vieux, lettrés et illettrés, sont méthodiquement formés.

«Il y a des groupes centraux dans les stations missionnaires, pour tout le district, et là ce sont surtout les missionnaires qui enseignent. Il y a aussi des groupes locaux, pour un territoire plus restreint ou pour une seule église, et là ce sont surtout les évangélistes coréens qui enseignent. Le premier groupe central ne comptait que 7 participants. Maintenant celui de Séoul compte 500 participants, celui de Taïkou, 800; ceux de Chaï-Ryung, et de Pyeng-Yang, chacun 1.000, et celui de Syen-Chun, 1.300. Tous ces groupes sont des groupes d'hommes. Il y a aussi des groupes d'études bibliques de femmes, où le nombre des membres varie entre 150 et 700. Certaines femmes ont fait, pour assister à ces études bibliques, plus de 300 kilomètres. Il y a enfin des groupes d'hommes et de femmes dans la plupart des 2.506, églises du pays. Ce sont les groupes locaux. Une seule station missionnaire accuse 292 groupes avec 13.967 assistants. Dans tout le pays, le nombre des groupes s'élève à plus de 2.000, et le nombre des assistants à plus de 100.000.

«Ces groupes sont de vrais générateurs d'électricité spirituelle, d'une électricité qui se répand dans l'église entière. C'est là que l'Église a saisi la vérité, c'est là qu'elle est devenue une église de témoins. Les grandes vérités fondamentales — l'amour de Dieu, la délivrance du péché par Jésus-Christ, le Saint-Esprit consolateur, l'espérance de la résurrection et de la vie éternelle, — se sont emparées, peut-on dire, de ces Coréens, et les ont remplis d'une joie qui a transformé leur vie et toute leur manière d'être. Et ils ne sont pas prêts à renoncer à cette joie, quelles que soient les persécutions, les humiliations ou les pertes qu'ils soient appelés à subir. De leurs réunions d'études bibliques, ils partent avec un message pour les autres, et ce message, ils le délivrent sur les grands chemins et chez eux, dans leurs vallées».

 

Les colporteurs coréens

 

Faisons un peu connaissance avec les colporteurs coréens.

Voici le portrait qu'un missionnaire de Séoul nous fait de son colporteur Yee. «C'est un grand gaillard, qui, avant sa conversion, il y a sept ans, était la terreur, non seulement de sa femme et de ses enfants, mais encore de ses compagnons. Il ne connaissait que boisson, jeu, coups. Il entendit l'Évangile de la bouche d'un colporteur, et lui acheta des livres dont la lecture fit de lui un homme tout nouveau. Il gagna sa vie honnêtement, put bientôt acheter une maison et un champ de riz. Sa femme se convertit à son tour, et ce fut un foyer transformé. Ils s'étaient fait une règle de lire le Nouveau Testament avant chaque repas. Quand on lui proposa, en pleine prospérité, d'être colporteur, il répondit : «Si Dieu le veut, je le ferai». Je félicite la Société biblique d'avoir pu s'assurer les services d'un tel homme».

Voici le portrait d'un héros. Kim Goon Won, marchand ambulant, entendit l'Évangile, il y a sept ans, dans une auberge chrétienne, et se convertit avec six autres marchands. Ils commencèrent aussitôt à prier journellement ensemble, à observer le dimanche, et à collecter de l'argent entre eux au culte du dimanche, pour le remettre, à leur retour, à l'Église par le moyen de laquelle ils avaient entendu l'Évangile. Depuis lors, le vieux marchand, dans ses tournées, emportait toujours un stock d'Évangiles à vendre. Chez lui, il avait une petite boutique volante, où la Parole de Dieu était également offerte.

 

Peu après, comme l'agent de la Société avait besoin de colporteurs, Kim Goon Won s'offrit avec son fils. Dès le début, ses ventes furent phénoménales. Ses rapports faisaient penser à un chapitre du Livre des Actes. Il fut persécuté. Peu lettré, il ne pouvait pas même lire une bonne partie des livres qu'il vendait. Souvent on lui arracha ses livres. Il répondait toujours : «Gardez-les comme un présent de moi. Lisez-les, et croyez à leur doctrine». C'est lui qui supportait la perte sur son maigre salaire.

Après un mois de travail, il dut subir une opération. Il ne cessa de prier, comme en conversation avec Dieu. L'opération finie, on l'avertit qu'il avait un cancer, et que le mal reviendrait vite et l'emporterait. «Très bien, dit-il. Alors il faut que je reprenne vite mon travail, puisque j'ai peu de temps». Et avec sa tête encore enveloppée d'un bandage, il reprit le sac et partit. Il travailla jusqu'à ce que, miné dans ses forces, il dut déposer son fardeau. Dernièrement on conseilla à son fils de renoncer à une tournée de colportage, pour se trouver auprès de son père au cas où celui-ci viendrait à mourir. Mais le vieillard lui dit : «Non, n'arrête pas le travail pour moi. Que mon fils aille seulement, et qu'il travaille et pour lui et pour moi en répandant la Parole de Dieu».

 

Les femmes aussi

 

Le colportage biblique, en Corée, se fait non seulement par les hommes, mais par les femmes, ce qui a une importance considérable au point de vue de la condition de la femme dans ce pays. Cette condition est misérable, comme dans tout l'Orient. Deux traits en donneront une idée : Dans la Corée païenne, une femme ne reçoit jamais de nom. Une jeune fille n'est qu'un numéro. C'est le numéro 1, le numéro 2, ou le numéro 3, selon l'ordre de la naissance. Lorsqu'une Coréenne se convertit, elle reçoit un nom au moment de son baptême.

Autre trait : Les femmes de la bonne société restent confinées toute la journée dans leur maison, sauf vers le soir. À ce moment, une cloche se fait entendre dans les rues, pour avertir les hommes de ne pas se montrer dehors, et deux heures durant les femmes peuvent sortir, toujours accompagnées.

Que des femmes, dans un tel pays, soient appelées à un ministère, à une fonction publique, c'est une véritable révolution, et sa portée, pour la restauration de la dignité de la femme, est incalculable. Il y a dix-neuf femmes colporteurs en Corée, et non seulement elles évangélisent leurs soeurs, mais elles amènent celles-ci, une fois converties, à évangéliser à leur tour.

 

Tous à l'œuvre

 

Tous les chrétiens coréens se consacrent à l'oeuvre biblique avec une sorte de passion. «Nombre de chrétiens, écrivait un missionnaire, en 1904, achètent des Évangiles au colporteur pour les répandre. Un jour, traversant un marché, je vis un chrétien occupé à vendre des Évangiles». Un autre missionnaire écrivait : «Notre Église de Wonsan, qui compte soixante membres, a décidé d'avoir son colporteur et de l'entretenir, et c'est ce qu'ils ont fait, sans être aidés par le missionnaire, augmentant le salaire du colporteur quand ses frais ont augmenté avec les distances à parcourir. Il y a des chrétiens qui donnent plus du dixième de leur revenu pour cette oeuvre».

 

Mieux que cela, les chrétiens coréens évangélisent eux-mêmes. C'est une vraie levée en masse. Nous laissons encore la parole au Dr Moffett.

«Ils souscrivent pour des journées d'évangélisation, promettant de consacrer à l'évangélisation, l'un tant de jours, un autre tant. Il y a cinq ans que ce système est en vigueur, et c'est dans les groupes d'études bibliques dont nous avons parlé plus haut qu'il a pris naissance. Un groupe de 35 hommes souscrivit pour 900 journées, un autre pour 2.200 journées. Le mouvement n'a fait que grandir, et cette année même, une église a souscrit pour 860 journées, un groupe de 150 hommes, pour 6.428 journées, l'auditoire de l'église centrale de Pyeng-Yang, pour 22.150 journées. Du 1 er janvier au 1 er avril 1910, 76.066 journées ont été souscrites et ce chiffre est loin d'être complet, car la moitié des rapports manquaient quand le relevé a été fait. Le total s'élèverait donc à 150.000 au moins.

«C'est aussi dans un des groupes d'études bibliques qu'est née l'idée d'une société missionnaire coréenne. Actuellement, les Coréens envoient et entretiennent eux-mêmes des missionnaires parmi les 100.000 habitants de l'ile de Quelpart, parmi les 500.000 Coréens de la Sibérie, et parmi les Coréens de la Mandchourie. Les étudiants de Pyeng-Yang organisent une mission à eux à Chientao et en Chine. Et c'est une joie pour moi, ajoute le Dr Moffett, de pouvoir dire qu'un homme qui me jetait des pierres, à Pyeng-Yang, il y a une vingtaine d'années, est devenu le premier missionnaire coréen.

«C'est aussi dans ces groupes d'études bibliques que le récent réveil religieux de la Corée a eu son origine».

 

Un réveil

 

Un réveil religieux d'une puissance extraordinaire a éclaté en Corée en 1907, et dure encore. Il s'est étendu à travers le pays tout entier. On peut relever parmi les traits qui le caractérisent :

 

Un profond sentiment du péché, et la confession des péchés commis. — «En se rendant compte, dit le Dr Moffett, des conséquences terribles du péché, des souffrances que valut le péché à celui qui fut sans péché, de l'amour dont Jésus-Christ a fait preuve envers les hommes en mourant pour eux, des Coréens sans nombre sont entrés dans une véritable agonie, où quelques-uns ont pensé mourir. Quand ils ont pu croire au pardon complet, ils ont été soulagés». Le trait suivant, cité entre plusieurs autres semblables, montre que les Coréens ont compris que la grâce nous enseigne à vivre selon la justice.

Un jeune Coréen, vérificateur dans une compagnie de mines d'or, avait abusé de la confiance dont tous l'entouraient, et avait volé peu à peu une grande quantité du précieux métal. Après avoir confessé son péché devant l'Église, il alla l'avouer à ses supérieurs, sachant bien qu'il s'exposait au châtiment, à la honte et à la ruine. Il fut néanmoins conservé dans son emploi, et jouit aujourd'hui d'une confiance plus grande que jamais.

 

Le besoin de la sainteté, pour le chrétien et pour l'Église. — Un jeune homme de dix-sept ou dix-huit ans demandait le baptême. Son coeur était certainement changé, et le missionnaire était d'avis de l'admettre. Mais l'évangéliste indigène intervint et dit : «Je ne tiens pas à ce que ce jeune homme soit encore baptisé. Sa vieille mère se met quelquefois en colère et le bat, et alors il est comme fou. Je ne tiens pas à ce qu'il soit baptisé jusqu'à ce qu'il puisse recevoir les coups sans se mettre hors de lui».

 

La grande place faite à la prière. — À Pyeng-Yang, ville de 6.000 habitants, il n'était pas rare de voir un millier de personnes se réunir pendant la semaine pour une réunion de prière.

 

Le besoin d'étudier la Bible. — En 1908, soit à Pyeng-Yang, soit dans le district dont cette ville est le centre, les différentes réunions pour l'étude de la Bible ont été suivies par plus de 11.500 personnes, dont 3.500 femmes. L'édition du Nouveau Testament de poche, qui a paru la même année, a été si rapidement enlevée que les maisons d'imprimerie ne pouvaient pas suffire à la demande. À Ping-Chun, un jeune garçon aveugle a appris par coeur les quatorze premiers chapitres de l'Évangile selon saint Marc, bien résolu à ne s'arrêter que quand il aurait appris tout le Nouveau Testament.

Les élèves des classes bibliques les plus importantes en ont organisé d'autres à leur tour. L'amour et l'étude de la Bible sont à la fois une cause et un fruit du réveil.

 

Un nouvel élan dans l’oeuvre missionnaire. — Les chrétiens coréens demandent à Dieu un million de conversions. Ils se proposent de distribuer cette année parmi leurs compatriotes un million d'exemplaires de l'Évangile selon saint Marc. Au commencement de mai, 700.000 exemplaires avaient déjà été imprimés et achetés. Dans une église, à Séoul, on a acheté 15.000 exemplaires, qui seront distribués par soixante personnes. Le directeur d'un des groupes d'études bibliques de la campagne fut un jour très étonné de recevoir de la part de sa femme un envoi considérable d'Évangiles (une charge de boeuf, dit le Dr Moffett), mais il fut encore plus surpris quand, dans le groupe, on souscrivit pour 26.427 exemplaires de plus que ce qui avait été envoyé.

C'est dans les groupes d'études bibliques qu'est née la pensée de distribuer un million d'Évangiles. Et, chose remarquable, elle est née simultanément dans plusieurs de ces groupes.

 

Un nouvel élan de générosité. — En 1908, la moyenne des dons, dans les Églises de Corée, a été de 15f 60 par personne, alors que le gain de chacun est, en moyenne, de 25 francs par mois. Dans une liste de souscription pour l'érection d'un nouveau temple à Taïkou, on lit ceci : «Une femme a donné ses cheveux». C'est tout ce qu'elle avait.

Les 840 églises qui ont été bâties en Corée l'ont toutes été exclusivement aux frais des chrétiens coréens, sauf vingt, pour lesquelles un tiers de la dépense a été défrayé par de l'argent étranger. 589 bâtiments d'école ont été également construits aux frais des Coréens. Les Coréens contribuent dans une proportion de 94 % à l'entretien de leurs 1.052 évangélistes indigènes et de leur mission à l'étranger. En 1909, ils ont donné en tout plus de 675.000 francs.

 

 

Une puissance extraordinaire dans le chant. — M. Ritson, décrivant un service à Pieng-Yang, parle d'un cantique qu'il y entendit chanter : «Tu t'es donné pour moi, je me donne à toi», et dit que l'esprit de sacrifice qui régnait parmi ces chrétiens «enlevait ces paroles jusqu'au ciel».

 

La puissance d'extension. — Dans l'automne de 1907, le réveil de Corée gagna les Églises de la Mandchourie, et là aussi se manifesta avec une intensité extraordinaire et revêtit les mêmes caractères. On vit un homme qui avait pris part à une razzia de brigands, et qui, arrêté, avait été mis à la torture pendant six mois, confesser, sous l'action du Saint-Esprit, des actes de brigandage que six mois d'indicibles souffrances n'avaient pu lui faire avouer.

Un missionnaire a dit de ce réveil en Mandchourie : «Sans la Bible, un mouvement comme celui-là eût été impossible. Ce sont les paroles de la Bible qui ont apporté la paix et le repos à ces coeurs troublés».

Les missionnaires et surtout les évangélistes indigènes sont très sévères (on l'a vu plus haut) pour l'admission de nouveaux membres, qui restent candidats quelquefois pendant deux ans.

 

Résultats globaux

 

Il y a vingt-cinq ans, la page de l'histoire des missions en Corée était une page blanche : il n'y avait rien, sauf les quelques convertis de Moukden. En 1895, il y avait 400 communiants. Aujourd'hui, il y a, dans ce pays, treize sociétés missionnaires à l'oeuvre, qui comptent 60.000 communiants, 60.000 catéchumènes et candidats, et, en tout, environ 250.000 adhérents.

Il y a vingt ans, il n'y avait pas un chrétien dans la province de Pyeng-Yang. Aujourd'hui, il y a dans cette province 300 églises, dont 9 à Pyeng-Yang même, où un cinquième de la population suit les cultes. Presque tous les habitants de la province (quatre sur cinq) ont une église à moins d'une heure de marche de chez eux. À Séoul, il y a 15 églises. Il y en a 2.500 dans la Corée entière. Dans beaucoup de villages la population est en majorité chrétienne. On compte un tiers de chrétiens dans la ville de Syen-Chun.

Il y a actuellement vingt-cinq pasteurs coréens consacrés. En 1894, deux d'entre eux, Han-Suk-Chin et Kim-Chang-Sik, furent chargés de coups, mis dans les ceps, puis menacés de décapitation immédiate, s'ils ne maudissaient pas Dieu. Ils tinrent bon. À leur grande surprise, ils furent relachés. Mais ils avaient donné leur vie. Deux cent cinquante étudiants en théologie coréens étudient dans deux facultés.

Les auditoires de mille ou quinze cents personnes ne sont pas rares. L'oeuvre de Dieu en Corée, après avoir fait l'étonnement des missionnaires eux-mêmes, qui n'en croyaient pas leurs yeux et ne se réjouissaient qu'en tremblant, fait l'étonnement et l'admiration de tous ceux qui suivent de près les progrès de la mission dans le monde. M. John Mott, le secrétaire du comité de la Fédération internationale des étudiants chrétiens, après une récente visite en Corée, s'exprimait ainsi : «La première nation qui deviendra chrétienne, si l'Église sait profiter de l'heure présente, c'est la Corée». Et le missionnaire D. Couve écrivait l'année dernière : «La mission en Corée est, de l'aveu de tous, celle qui, étant partie du meilleur pied, a donné les meilleurs résultats».

 

Conclusion

 

«Partie du meilleur pied». Retenons ces mots. N'est-il pas remarquable que la mission peut-être la plus féconde en résultats de l'époque moderne, soit précisément celle où la diffusion de la Parole de Dieu et l'instruction dans la Parole de Dieu ont joué et jouent encore un tel rôle ? «C'est à l'oeuvre de la Société biblique que je dois, pour les neuf dixièmes au moins, le résultat de mon travail», dit un des missionnaires qui travaillent en Corée, et tous les autres tiennent un langage semblable. «Le caractère dominant de l'oeuvre en Corée, dit le Dr Moffett, c'est qu'on a donné la première place à la Parole de Dieu, c'est qu'avant tout et par dessus tout, et peut-être plus qu'on ne l'avait encore jamais fait ailleurs, on a instruit les chrétiens dans la Parole de Dieu, en la leur présentant comme la Parole même de Dieu, comme le véhicule de la puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit».

N'y a-t-il pas là une preuve éclatante du caractère divin des Écritures ?

 

La Bible en Inde

 

En Inde, comme partout, les pionniers de la mission ont donné la première place à la traduction de la Bible. Citons seulement le fameux «trio de Serampore» : Carey, Marshman et Ward, eux aussi des géants, comme Morrison et Schereschewsky, car, à eux seuls, ils publièrent des traductions fragmentaires de la Bible en plus de quarante langues. Quel effort! Et quelle conviction de la nécessité de donner, le plus tôt possible, la Bible aux indigènes!

Les langues parlées en Inde sont au nombre de 153. Nous disons bien les langues, et non les dialectes. Ce sont, en effet, des langues qui diffèrent l'une de l'autre au moins autant que le français diffère de l'espagnol. 45 millions d'hommes parlent le bengali; plus de 25 millions, le telinga; plus de 18 millions, le marathi; plus de 16 millions, le tamoule: 18 millions, le canara, et 100 millions environ l'hindoui, dans l'une ou l'autre de ses formes.

La Société britannique publie, pour l'Inde, la Bible entière en dix-sept langues, parmi lesquelles les six que nous venons de nommer. Elle en publie des fragments plus ou moins étendus en soixante et une autres, parlées par environ 225 millions d'hommes (*). Restent soixante-quinze langues, parlées par environ 70 millions d'Hindous, dans lesquelles la traduction de la Bible n'a pas encore été commencée.

 

(*) On trouvera dans le fragment Batailles inconnues, ou les traductions de la Bible, (point 26 du texte global = point 2 de la Partie 6 «Histoire de la Bible hors d’Europe», plusieurs renseignements sur les traductions de l'Écriture dans les langues de L'Inde.

 

L'oeuvre biblique se poursuit en Inde par environ 140 colporteurs et 400 dames-colporteurs. Celles-ci travaillent en particulier dans les zénanas, où sont enfermées les veuves hindoues, de tout âge, exclues à tout jamais, en tant que veuves, même de la vue d'un homme. Chaque année, les dames-colporteurs enseignent à lire à plus de 2.000 femmes. Quelle transformation la lecture, surtout la lecture de la Bible, apporte dans de telles existences! L'activité de la femme de la Bible ne se borne pas aux zénanas. Même dans la famille, la femme hindoue mène une vie d'isolement et d'ignorance. Toute femme qui n'est pas obligée de gagner sa vie, ne sort jamais de chez elle, et, en fait d'hommes, ne voit que ses parents. La question de la femme est, en Inde, l'une des plus actuelles. Élever la condition de la femme, l'instruire, c'est travailler à la ruine de l'idolâtrie en Inde. On estime qu'en Inde, actuellement, à peine six femmes sur cent savent lire.

Pour répandre les Écritures parmi les classes cultivées, la Société britannique les offre régulièrement aux étudiants des universités hindoues, où toute autre propagande religieuse serait impossible. À chaque étudiant, la Société offre, au début de ses études universitaires, un exemplaire des Évangiles et Actes; au milieu de ses études, le Nouveau Testament; et, quand il a passé ses examens finaux, la Bible. Les volumes offerts sont en anglais. Ce don est généralement reçu avec beaucoup de reconnaissance, et souvent les étudiants se font connaître, aussitôt leurs examens passés, pour obtenir le plus tôt possible le volume promis. La distribution a lieu soit dans une église, soit à l'Union chrétienne de jeunes gens, soit dans un collège missionnaire; elle est accompagnée de discours sur l'Évangile et sur la Bible, et généralement le chef de l'institution et les professeurs y assistent. En 1908, 4.470 volumes ont été ainsi distribués aux étudiants. Il y a telle année où on leur en a distribué près de dix mille.

Il y a quelques années, à Calcutta, quelques jeunes Hindous non chrétiens entreprirent la traduction de l'Évangile selon saint Matthieu, et la soumirent, une fois achevée, à l'appréciation de quelques chrétiens compétents de la ville.

On pourrait citer des traits sans nombre pour montrer les résultats remarquables de la diffusion de la Bible en Inde. Nous en citerons trois : l'un des plus anciens, l'un des plus curieux et l'un des plus récents.

 

Idoles abandonnées. — Il y a bien des années, des missionnaires découvrirent, près de la ville de Dacca, dans le Bengale oriental, plusieurs villages dont les habitants, des paysans, avaient abandonné le culte des idoles et étaient connus pour des gens dignes de toute confiance. Ils s'appelaient les Satya Gourou, c'est-à-dire «ceux qui cherchent le vrai Maître venu d'auprès de Dieu» (Gourou signifie maître, au point de vue religieux). Quand on leur demanda comment ils en étaient venus à renoncer aux idoles, ils répondirent : «Nous devons ce que nous sommes à un Livre», et ils montrèrent un vieux livre tout usé, qu'ils conservaient précieusement dans un coffre en bois. Nul ne pouvait dire d'où il venait. Tout ce qu'on savait, c'est qu'on le possédait depuis longtemps, et que depuis longtemps aussi on l'étudiait. Quand les missionnnaires regardèrent le volume, ils virent que c'était la première traduction faite par Carey du Nouveau Testament en bengali.

 

L'homme qui se baptisa lui-même. — Un jour, en Inde, un missionnaire, dans une de ses tournées, rencontra un homme qui habitait à une grande distance de toute station missionnaire, qui n'avait jamais vu aucun missionnaire, ni aucun catéchiste indigène, mais qui était très familier avec le texte des Évangiles. Il avait lu les Évangiles avec soin et à réitérées fois, et avait adopté pour son Gourou celui dont ils lui traçaient le portrait. Qu'en résulta-t-il ? Cet homme, saisi en voyant la bonté de son nouveau Gourou, s'était dit : «Il faut que j'obéisse à ce Gourou. Voyons ses commandements». Reprenant la lecture de l'Évangile, il trouva qu'il devait être baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Comment faire? Il ne connaissait pas d'église, il n'avait jamais assisté à un baptême. À sa manière, il obéit au commandement. Jour après jour, il descendait dans un réservoir d'eau, et là, levant les yeux vers le ciel, il disait : «Je me baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit». À chacun de ces noms, il se plongeait dans l'eau. Puis, il trouva un autre commandement, à savoir qu'il devait manger et boire en mémoire de la mort du Christ jusqu'à son retour. Dès lors, chaque jour, il prit une poignée de riz et la mangea en disant : «Je fais ceci en mémoire de Christ», puis il buvait un peu d'eau en disant : «Je fais ceci parce que Christ est mort pour moi» (Raconté par le missionnaire Henry Haigh en 1896).

 

Chez la femme d'un rajah. — Il y a peu de temps, chez les Telingas, un exemplaire de la Bible avait été donné à la femme d'un rajah. Cette Bible est devenue l'objet de la méditation constante de la princesse, et fait toute sa joie. Telle salle du palais qui, jadis, était pleine d'idoles et de peintures païennes, n'a maintenant pour ornements que la Bible et des livres chrétiens. Cette princesse a envoyé un don à la Société biblique britannique, en exprimant le désir de voir le saint volume répandu de telle sorte que chacun pût connaître la vérité qu'il annonce (Ce fait est raconté dans le rapport de 1909 de la Société biblique britannique).

 

 

 

Batailles Inconnues — ou: La Traduction de la Bible

 

Au sein de l'Église chrétienne, depuis son origine, la préoccupation de traduire la Bible dans la langue des peuples évangélisés a toujours été au premier rang.

Actuellement, en tenant compte des versions hors d'usage, des versions en langues mortes ou disparues, les Écritures ont été traduites en tout ou en partie en 537 langues. Le nombre des langues vivantes dans lesquelles on peut se procurer au moins un fragment des Écritures est supérieur à 500.

Au prix de quels labeurs ce résultat a été atteint, on l'ignore généralement. Ce n'est pas trop que de parler de batailles inconnues. Le plus souvent, le missionnaire a dû commencer par se rendre maître d'une langue non écrite, dont il a fallu successivement s'assimiler les sons et découvrir la grammaire, apprendre et comprendre les mots, et pénétrer les nuances.

 

S'assimiler les sons

 

S'assimiler les sons est déjà une tâche ardue, surtout lorsqu'on apprend les langues indo-chinoises, dont le vocabulaire, exclusivement composé de monosyllables, est très pauvre (telle langue ne compte que 2.000 mots), et où le même mot doit exprimer plusieurs sens. Ces sens divers sont indiqués par une inflexion spéciale de la voix, notée dans l'écriture par un accent différent. Ainsi, en annamite, le mot phu, selon l'accentuation et la modulation, peut signifier portefaix, coolie, femme ou ingrat, riche, opulent, gracieux, sorcier, magicien. La syllabe ba peut signifier tour à tour, dame, favori du prince, ce qu'on a jeté, le fruit dont le jus a été exprimé, trois, un soufflet, si bien que ba, bà, bâ, bá signifie, convenablement prononcé : trois dames ont souffleté le favori du prince.

 

Étude des formes grammaticales

 

Quant à l'Étude des formes grammaticales, voici quelques exemples qui donneront une idée de ses difficultés.

À Banza Mantéké, à 60 lieues de l'embouchure du Congo, vers 1890, le missionnaire Richards se met à l'étude des pluriels, et finit par découvrir seize classes de noms, avec autant de modes de formation du pluriel, qui n'affectent jamais la fin des mots. À Futuna, une des îles des Nouvelles-Hébrides, un missionnaire découvre quatre manières d'exprimer le nombre: le singulier, le duel (pour deux), le triel (pour trois), et le pluriel (pour plus de trois).

À propos de noms, il peut se présenter des complications plus grandes: dans telles langues indo-chinoises, le nom ne peut pas s'exprimer sans qu'un autre nom se fonde avec lui ; on ne peut pas parler d'un père, d'un fils, sans dire de qui c'est le père ou le fils; on ne peut pas dire : Dieu est un père.

De même, en Kanauri (près de la frontière du Thibet), il n'y a pas de mot pour frère et soeur en général. Il n'y a que des mots spéciaux pour désigner le frère aîné, le frère cadet, la soeur aînée. Aussi, quand le texte sacré parle de Marthe et Marie, il faut que le traducteur décide laquelle des deux est l'aînée. Quand deux frères sont nommés, comme c'est le cas pour Pierre et André, Jacques et Jean, il faut spécifier lequel est l'aîné et lequel est le cadet.

Les pronoms peuvent offrir de grandes difficultés. En santali (Inde), il y a deux mots pour dire nous. Nous, c'est tantôt abo, et tantôt ale, selon que celui qui dit nous comprend ou ne comprend pas dans le nous ceux auxquels il s'adresse. Si, par exemple, parlant à des chrétiens santals, je dis : «Nous sommes enfants de Dieu», je dois employer le mot abo. Mais si je dis : «Nous, Français», je dois employer le mot ale. De là des difficultés spéciales de traduction. Ainsi, dans le récit de la Transfiguration, quand Pierre dit : «Il est bon que nous demeurions ici», comprend-il ou ne comprend-il pas Jésus dans le nous? Après des hésitations, les traducteurs ont fini par adopter le mot ale.

Les noms de nombre peuvent être bien embarrassants. En sechuana, le nombre 18 se dit (ou plutôt se disait, car on a simplifié) : passé mon pied droit et mon pied gauche et ma main, plus trois. En mosquite (Amérique centrale), un se dit kumi; deux, wool; trois, yumpa. Puis, les mots manquent. Quatre se dit wolwol (deuxdeux); cinq, matasip (pleine main); six, la main mise sur la tête (c'est-à-dire sur le pouce) de l'autre; sept, huit, neuf, un, deux, trois, par-dessus six; dix, deux pleines mains; vingt notre tout, c'est-à-dire les deux mains et les deux pieds.

En Nouvelle-Calédonie, on se sert de nombres spéciaux lorsqu'on parle du flétan, sorte de plie, poisson favori des indigènes. Le premier traducteur des Évangiles, ignorant cette particularité, se servit de ces nombres lorsqu'il traduisit le passage : «Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, j'y suis au milieu d'eux». Il fit ainsi dire au texte : «Partout où il y a deux ou trois flétans, j'y suis».

Mais les complications les plus désespérantes sont évidemment celles du verbe. Le missionnaire Richards, au Congo, après avoir découvert seize classes de noms, découvrit dans le verbe dix-sept conjugaisons, et des temps beaucoup plus nombreux que les nôtres. Les verbes lubans (Afrique centrale) ont neuf temps et plusieurs groupes de verbes auxiliaires.

En 1906, la Société biblique britannique a publié l'Évangile de Marc dans la langue semba, qui appartient à la famille remarquable des langues bantoues et en présente tous les caractères. Cette langue est parlée depuis le lac Tanganajika au nord jusqu'au lac Banguelo au sud. Elle gagne de plus en plus de l'est à l'ouest. C'est un grand sujet d'étonnement que de voir des gens aussi dégradés parler une langue d'une richesse incomparablement plus grande que les nôtres.

Le verbe bantou est pour la parole un instrument d'une délicatesse extraordinaire. Ses suffixes et ses préfixes (syllabes qui suivent ou précèdent le mot) lui permettent d'exprimer des nuances que nous ne pouvons rendre que par des périphrases. Non seulement il exprime le passé, le présent, le futur, mais il rend, si l'on peut ainsi dire, avec toutes les nuances possibles, la perspective du temps et celle de l'espace. Ses formes indiquent si un événement est arrivé aujourd'hui, ou dans un passé récent, ou dans un passé éloigné, comme elles indiquent si un objet est tout près, ou simplement près, ou éloigné.

Voici quelques-unes des formes que prend, en semba, la racine pyang-a, qui signifie balayer. Na-pyanga signifie je balaie; m-pyanga, je balaie régulièrement; nim-pyanga, j'ai achevé de balayer, j'ai balayé tout à fait; nali-pyanga, j'ai balayé hier; náli-pyanga, il y a longtemps que j'ai balayé. Nale-pyanga, je balayais il y a un instant (mais je ne balaie plus); nala-pyanga, je vais balayer tout de suite; nakula-pyanga, je vais balayer régulièrement; nde-pyanga, je vais balayer bientôt; nka-pyanga, je balayerai quelque jour.

Dans ce qui précède, la racine ne varie pas, mais, par les modifications de la racine on arrive à d'autres raffinements de sens. Pola signifie se guérir; polelela, être guéri définitivement. Pwishya, finir; pwishishishya, finir tout à fait. Eba, parler; ebana, parler ensemble. Uma, battre; umana, se battre l'un l'autre. Lula, s'égarer; lulya, égarer. Enda, se promener; endeshya, se promener rapidement.

L'idée contradictoire est amenée par une forme curieuse : Kaka, veut dire lier, kakula, délier; longa, emballer, longola, déballer; lemba, écrire, lembula, effacer.

En fait, le verbe bantou peut exprimer toutes les nuances de la pensée.

Voici, pour terminer, une difficulté grammaticale qui paraitra sans doute plus déroutante encore que les autres. Les langues indiennes de l'Amérique du Nord expriment souvent une idée complexe en combinant plusieurs syllabes en un seul mot. Ainsi, en Cherokee, si l'on veut dire : Ils seront arrivés maintenant à la fin de leurs déclarations en faveur de vous et de moi, on s'exprimera ainsi : wi-ni-taw-ti-ge-gi-na-li-shaw,-lung-ta-naw-ne-le-ti-se-sti.

 

Vocabulaire

Passons à ce qui concerne le Vocabulaire. Voici comment le missionnaire Copland King et son collègue débutèrent dans l'étude du wedau, la langue d'une tribu de la Nouvelle-Guinée :

«Nous arrivâmes en Nouvelle-Guinée en 1891. Les indigènes étaient dans un état de dégradation lamentable. Les actes de cannibalisme étaient fréquents parmi eux. Notre premier travail fut d'apprendre les noms des objets. Et tout d'abord il fallut découvrir l'équivalent de cette question : «Qu'est-ce que ceci?» De loin en loin nous rencontrions un indigène qui avait eu contact avec des commerçants et qui pouvait nous comprendre un peu, en style petit nègre. En répétant souvent la question : «Quel nom ceci?» nous pûmes établir une liste de mots qui nous permit de commencer les opérations. Mais il fallait bien prendre garde à faire donner le nom exact de chaque objet. Si, par exemple, nous montrions la photographie d'un temple chinois, on pouvait répondre, ou : c'est une photographie, ou : c’est un tableau, ou : c'est un temple. Il fallait donc pour fixer le sens de chaque mot toute une série de questions et de contre-questions

«Après les noms, nous attaquâmes les verbes. Pour tout ce que nous pouvions faire, il n'y eut pas grande difficulté. Nous n'avions qu'à nous asseoir, courir, bêcher, etc., et aussitôt on nous donnait le mot correspondant. La difficulté commençait quand il s'agissait d'exprimer des idées. Toutefois, nous arrivâmes promptement à distinguer quelques phrases qui revenaient sans cesse dans la bouche des indigènes, et toujours écoutant, toujours sur le qui-vive, nous finîmes par en saisir le sens. Ainsi, nous acquîmes non seulement des mots, mais des tours de phrase, et tout cela prenait place sur le carnet de notes où nous inscrivions tout. De plus, à force de communiquer avec les indigènes et de nous servir des mots que nous connaissions, nous nous aperçûmes un jour que nous pouvions, en une mesure, nous faire comprendre, ce qui était l'essentiel. La grammaire, pour le moment, était reléguée à l'arrière-plan.

«Une fois en possession des premiers éléments, nous nous avisâmes d'un autre moyen. Nous réunissions quelques enfants, et, de notre mieux, nous leur racontions une histoire de la Bible. Naturellement ils n'y comprenaient que fort peu de chose. Nous leur faisions répéter ce qu'ils avaient retenu ou saisi, et nous mettions par écrit ce qu'ils disaient. Le jour suivant, nous leur répétions la même histoire, employant, autant que possible, leurs propres expressions. De nouveau, nous les questionnions pour voir ce qu'ils avaient compris. Dans leurs réponses, ils employaient de nouveaux mots, de nouvelles tournures, que nous notions pour nous en servir. Nous répétions la même histoire, jour après jour, pendant un mois et plus, apprenant continuellement, jusqu'à ce que les enfants nous comprissent tout à fait bien. Quand nous eûmes une école, ce fut un moyen d'apprendre de nouvelles locutions. Et, il faut bien se dire que nous n'avions pas seulement à nous rendre maîtres d'une langue, mais qu'il fallait nous rendre compte de la manière de penser des indigènes, et apprendre à nous placer à leur point de vue».

Voici quelques particularités de la langue des Scheetswas. Elles montrent quelle peut être la richesse ou l'étrangeté du vocabulaire à acquérir (les Scheetswas sont un des peuples du Mozambique. Ils sont trois millions. Leur langue est parente du zoulou).

Pour toutes les choses locales, pour le jardinage, par exemple, le scheetswa est d'une richesse extraordinaire. Pour «aller chercher de l'eau», ils n'ont pas moins de douze verbes qui expriment cette action, avec les diverses formes qu'elle peut revêtir. D'un mot, on peut donner à quelqu'un l'ordre de prendre sa hache, d'aller à la forêt, de couper du bois et de rapporter à la hutte le bois coupé. Le mot kuka veut dire tout cela. Avec le monosyllabe ka on commande à une femme (non pas à un homme — un homme ne fait jamais un ouvrage de ce genre!) de mettre une cruche sur sa tête, d'aller à la fontaine, de laver la cruche, de la remplir d'eau fraîche et de la rapporter à la hutte.

Certains mots sont de vrais explosifs. Si quelqu'un a faim, il ne dira pas tranquillement, comme fait un Européen : J'ai faim. Il appuie ses mains sur son estomac et s'écrie, comme s'il s'agissait d'une chose qu'il vient de découvrir, nyi ngupwa njala, je sens une famine!

Si quelqu'un rencontre un ami depuis longtemps absent, il ne dira pas, comme dans notre langage inexpressif : «Je suis heureux de vous revoir», mais, joignant les mains, et se mettant à sauter, il dira : nzi dabukile, je suis fendu de vous voir! Il est censé avoir été fendu en deux par la joie, comme s'il avait été frappé par la foudre.

La Nupé compte un très grand nombre de synonymes. Ainsi il n'y a pas moins de cent mots pour dire grand et pas moins de soixante pour dire petit. Le mot petit n'est pas le même si l'on parle d'un cheval ou d'une maison, car le cheval grandit, tandis qu'une maison ne grandit pas. Il y a cinquante ou soixante mots pour dire long, autant pour dire court, plus de cinquante pour mince, et autant pour beaucoup, pour fini, pour dur, pour vite. Comment cela est-il possible ? demandera-t-on. Le mot de mince s'applique pour nous également à un homme, à un arbre, à un fil, à du papier. Dans chaque cas, le Nupé a un mot différent. De même, on ne dit pas de la même manière traverser s'il s'agit d'un fleuve ou d'une route.

Les Nupé habitent sur le haut Niger, à partir de la rivière Benoué, vers le nord. Il y en a environ un million (*).

 

(*) Voici un trait qui donnera une idée de leurs moeurs. Ils ne connaissent pas la vie de famille, à peine la famille. D'après la coutume, l'aîné des oncles possède de droit tous les enfants de ses frères et soeurs. Il les prend, garçons et filles, à l'âge de quatre ou cinq ans, et le père retrouvera à leur place d'autres enfants parmi les enfants de son frère. Un foyer où père mère et enfants vivent ensemble est une grande exception. Une famille est presque toujours composée du mari, de quatre ou cinq femmes, et d'enfants qui n'appartiennent à aucune d'elles !

 

«Naturellement, dans l'acquisition d'une langue pour laquelle il n'existe ni grammaire, ni dictionnaire, les tâtonnements doivent être longs et les bévues nombreuses. Le missionnaire Richards, au Congo, frappé de l'amour des mères pour leurs enfants, cherche le mot mère, croit le trouver, et s'aperçoit plus tard que le mot qu'il emploie pour dire mère signifie homme fait.

Un missionnaire qui apprenait la langue kiluvin, parlée dans une petite île des Nouvelles-Hébrides, était arrivé à la conclusion qu'un mot appliqué à un terrain sur lequel personne ne passait signifiait saint, sacré. Il employait déjà ce mot pour traduire un cantique commençant par Saint, saint, saint,... quand il découvrit que ce mot signifiait cimetière.

 

Parfois, les missionnaires ont dû s'ingénier pour acquérir les mots de la langue qu'ils voulaient apprendre. Il leur est arrivé de se heurter à l'apathie ou à la mauvaise volonté des indigènes. Ceux-ci se refusaient à livrer les secrets de leur langue, car ils tenaient à pouvoir dire des blancs ce que bon leur semblait, sans être compris d'eux. Un missionnaire aux Nouvelles-Hébrides conclut un marché avec les jeunes gens les plus intelligents : ceux-ci allaient recueillir des mots nouveaux auprès des indigènes plus âgés, et le missionnaire leur payait chaque centaine de mots 90 centimes. Le missionnaire Crawford, qui a traduit le Nouveau Testament en luban, donnait aux indigènes, pour se faire indiquer les mots, une certaine quantité de calicot. Un jour, il se défit de ses deux dernières aunes de calicot en échange d'un verbe.

Souvent le missionnaire est longtemps avant de trouver tel mot indispensable. Le missionnaire Kitching a eu toutes les peines du monde à trouver en gang (langue parlée par des tribus qui vivent au sud du Soudan égyptien) l'équivalent de l'expression se repentir. Il employait une périphrase qui revenait à : tourner son coeur. Un jour, comme un chien qui avait volé un morceau de viande recevait une correction, un jeune indigène s'écria : «Weke : dong engut!» c'est-à-dire: «Laissez-le, il s'est repenti maintenant!

M. Kitching put s'écrier: Eureka ! Il avait enfin le mot si longtemps cherché.

Un jour, chez les A-Mbounrlous, l'un de peuples que comprend la colonie portugaise d'Angola dans l'Afrique occidentale, le missionnaire Withey cherchait l'équivalent du mot fléau. Les indigènes ne purent pas le lui dire, mais quelques jours après, ces indigènes, parlant des rats, disaient : quel didebou! Le mot était, trouvé.

Il n'y a peut-être pas, dans toutes les annales de la mission, d'incident plus émouvant que l'incident suivant, raconté par le Dr Hotchkiss, un quaker, missionnaire indépendant sur la côte orientale de l'Afrique, qui a pénétré fort avant dans l'intérieur et y a vécu pendant quatre ans parmi quelques-unes des tribus les plus sauvages de la région. Il a souvent souffert de la fièvre, il a été sauvé plusieurs fois de la dent des lions, il a vécu de n'importe quoi, depuis les fourmis jusqu'au rhinocéros, et tout ce temps, il travaillait soit à acquérir la langue, soit à créer pour elle une écriture. Il y a un mot, dit-il, que je cherchai pendant deux ans et demi. Un mot! Mais ce mot, c'était le mot qui a enveloppé notre planète d'une ceinture de louanges, le mot qui «ramène l'ordre dans notre chaos...» C'était le mot Sauveur. Ce «mot était toujours devant moi, le jour dans mes pensées, la nuit dans mes rêves».

Un jour, un indigène du nom de Kikuvi lui raconta comment il avait délivré un missionnaire des atteintes d'un lion. Allons, le mot va venir, cette fois! se disait M. Hotchkiss. Mais le récit se termina sans que le mot eût été prononcé. Nouveau désappointement, lorsque Kikuvi, d'un ton modeste, laissa tomber cette remarque Bwana nukuthaniwa ma Kikuvi (le maître a été sauvé par Kikuvi). J'aurais pu bondir de joie, dit M. Hotchkiss. Cependant, soit pour contrôler, soit pour ne pas risquer de voir ce trésor m'échapper, je commençai par mettre le verbe à l'actif, en disant . «Ukuthania Bwana?» (Vous avez sauvé le maître?) C'était correct. — «Eh bien, Kikuvi, m'écriai-je, voilà le mot que je cherche depuis «si longtemps afin de vous dire que Jésus, le Fils de Dieu, est venu pour... — Oh! oui, interrompit Kikuvi, et son visage noir s'illumina tandis qu'il s'écriait : «Je vois maintenant, je comprends! Jésus est venu pour nous kuthania de nos péchés et pour nous délivrer de la main de Muimu ! (Satan)».

Jamais mineur ne se réjouit plus de la découverte d'un filon d'or que ne fit le missionnaire solitaire lorsque, pour la première fois, il put prononcer dans une langue nouvelle ce mot incomparable : le Sauveur.

 

Heureux encore quand on peut trouver le mot ! Souvent on ne le trouve pas, par la bonne raison qu'il n'existe pas. Une langue parlée par un peuple qui n'a jamais été en communication avec le reste de l'humanité, ne saurait avoir de mots pour désigner des objets inconnus de ceux qui la parlent. Comment peut-on parler de l'Agneau de Dieu aux Esquimaux qui, en fait de quadrupède, ne connaissent que le renne?

Si riche que soit le nupé, il n'a pas de mot pour veuve. Il n'y a dans ce pays ni veuf, ni veuve, ni vieux garçon, ni vieille fille. Si une femme perd son mari, pendant trois mois elle ne se lave pas, ne change pas de vêtements, reste solitaire, puis se remarie. Pas de mot non plus pour célibataire. Toutefois, il y a un terme, littéralement Oeil rouge, par lequel on désigne un jeune homme qui est triste parce qu'il voudrait se marier, mais n'a pas assez d'argent pour acheter une femme. Pas de mot pour fils ni pour fille. On dit enfant-homme, enfant-femme.

Comme les Nupé ne connaissent pas la neige, on est obligé de dire blanc comme du coton pour blanc comme la neige.

Le mosquite manque de mots pour dire Dieu, roi, prêtre, or, prophète, ange, ciel, saint, diable, marié. Le manque de certains de ces mots, du dernier par exemple, en dit long sur l'état dans lequel les missionnaires ont trouvé les Mosquites.

En ibo (langue parlée dans le bas Niger, par trois millions d'hommes), il n'y a pas de mot pour dire père, ni soeur.

 

Encore, quand ce ne sont que les mots qui manquent, on peut en faire. En erromangain (Erromanga est l'île où fut assassiné John Williams), il n'y avait pas de mot pour dire cheval. Les missionnaires adoptèrent et simplifièrent le terme grec, et créèrent le mot ipô. Mais la difficulté grandit quand la pauvreté des mots est due à la pauvreté des idées, des concepts, au manque absolu des notions morales.

En santo, l'une des langues des Nouvelles-Hébrides, l'expression Royaume de Dieu a été extrêmement difficile à rendre. Dans cette île, on n'a pas de mot pour «royaume», parce qu'on n'a pas la chose. L'idée qui s'en éloigne le moins est celle d'un chef local influent. On voit que ce n'est pas la même chose. Le mot jugement a occupé les traducteurs pendant des semaines.

En nupé, il n'y a qu'un mot pour dire âme, esprit, conscience, c'est le mot coeur. Il n'y a pas de mot pour croire : on a dû forger un mot dans lequel on a combiné accepter et parole.

Les A-Mboundous ont un vocabulaire très riche pour les vices, très limité pour les vertus. Les missionnaires, au commencement, ne réussissaient pas à trouver l'équivalent du mot amour. Aimer se disait Ku-zola. Ku étant le signe de l'infinitif, ne pouvait-on pas laisser de côté cette syllabe et prendre zola pour amour ? Le missionnaire en fit l'essai, et voici ce qui arriva. Un jour, dans une allocution où il mettait toute son âme, il prononçait à réitérées fois ce mot-là. Les auditeurs paraissaient complètement mystifiés. «Je sais ce qu'il veut dire, s'écria tout à coup l'un d'eux. Il veut parler de ces grands hameçons de fer, vous savez?»

Le mot zola n'existait pas, ne disait rien à l'esprit des indigènes, mais par sa ressemblance avec le mot le plus voisin, dont le sens est hameçon, il finit par les faire penser à des hameçons.

Dans les îles Fidji, il était absolument impossible, au début de la mission, de traduire cette phrase qui nous paraît si simple : Étant donc justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu, car il n'y avait en fidjien ni mot pour dire foi — la notion de confiance était entièrement étrangère à ces hommes, ni mot pour dire paix — étant toujours en guerre les uns avec les autres, ils ne pouvaient parler tout au plus que d'une simple suspension d'armes, — ni mot pour dire justice, et encore moins justifier, ni mot pour dire Dieu, ni mot pour dire donc. Il fallut attendre vingt et un ans avant de pouvoir donner aux Fidjiens l'Évangile de Marc traduit dans leur langue.

En ibo, le même mot exprime l'idée de force et l'idée de droit; on ne peut pas distinguer entre l'idée de punir et l'idée de faire souffrir. La vérité doit se traduire par le terme équivalent le plus rapproché : une bonne parole. Serviteur et esclave sont synonymes. Amitié et fornication sont deux termes presque impossibles à distinguer. Espérance doit se rendre par une périphrase, et le mot conscience doit être transporté tel quel dans la langue. Le mot esprit existe, mais la superstition l'a fait en quelque sorte déchoir, et la nécessité seule a pu décider les missionnaires à l'adopter.

En kulivin, pour faire des aumônes, le missionnaire fut réduit à se servir d'un mot qui voulait dire : Engraisser un porc en lui donnant une nourriture abondante. Dans cette langue, croire se dit avaler. Nous disons quelquefois «avaler» dans le même sens. Le même mot désigne l'ennemi et l'étranger.

Pour exprimer l'idée de chair, tel traducteur, en Inde, se trouve réduit au terme viande; pour exprimer l'idée de péché, à violation de propriété; pour exprimer l'idée de pardon, à effacer une dette; pour exprimer l'idée de nouvelle naissance, à transmigration de l'âme.

Dans l'État de Maïssour (Inde méridionale), le missionnaire Haigh demandait à un chrétien indigène qui avait lu la Bible, et avec grand soin, pendant un certain temps, comment il comprenait cette expression : les désirs de la chair. L'autre répondit : «C'est très simple, Monsieur : le désir de la chair, c'est le désir qui naît en nous de manger de la viande». Une autre fois, un indigène dit au même missionnaire : «J'ai rencontré aujourd'hui un curieux passage dans votre livre : «Je ne craindrai pas ce que pourrait me faire la chair» (Ps. 56, 5, 12, traduction littérale). «Eh bien, dit le missionnaire, comment avez-vous compris cela ? — C'est bien clair, mais c'est une chose curieuse à dire, tout de même. Cela signifie évidemment : Je ne craindrais pas, lors même que, pour avoir mangé de la viande, j'aurais une indigestion» (Il était végétarien).

Souvent, quand les mots existent, on n'en est guère plus avancé, preuve en soient les difficultés que rencontrèrent les missionnaires chez les Scheetswas.

«Nous voulons traduire, je suppose, écrit le missionnaire Richards, d'Inhambane, Notre Père qui es dans les cieux. Nous demandons à un indigène: «Comment dit-on père ? Il répond : dadani. - «Comment dit-on ciel?- Tilo. - Comment dit-on: dans le ciel? - «Tilweni». Alors, Notre Père qui est dans les cieux, se dira: Dadani wa hina wa le Tilweni (Le père de nous qui est là dans les Cieux). Tout un siècle employé à étudier la langue ne nous donnera pas une traduction meilleure. Mais si nous avons réussi à traduire les mots, nous sommes loin d'en avoir traduit le sens! Ce que nous avons fait se réduit à peu près à rien. Pourquoi? Parce que le mot de père n'a pas de sens pour le Scheetswa. Mère, cela lui dit quelque chose. Il jure toujours par sa mère, ne pouvant pas jurer par le nom d'un père qu'il ne connaît pas. Pour le Scheetswa, le père c'est un vieil acariâtre assis par terre, devant lequel il ne peut se présenter qu'en tremblant. L'enfant Scheetswa ne se tient jamais devant son père, mais toujours derrière lui, et il n'est jamais aussi content que lorsqu'il est hors de son chemin. L'idée de père, et surtout de «notre père», dépasse entièrement son horizon.

Quant au ciel, l'idée spirituelle du ciel lui est inaccessible, et l'idée physique du ciel est associée dans son esprit à tout autre chose que le bonheur. Le ciel, pour lui, c'est un endroit, là-haut, aussi haut qu'on peut jeter son bâton, peut-être aussi haut que les étoiles, mais en tout cas un endroit où l'on ne saurait arriver sans se casser le cou, car il se le représente comme une calotte de métal. Impossible à un Scheetswa de comprendre comment on pourrait désirer de vivre dans un endroit pareil. L'idée que nous avons, nous, du ciel, est le fruit de l'éducation que nous avons reçue dès le berceau.

 

Nuances de style

 

L'écart de l'angle, imperceptible au croisement des lignes, peut aller jusqu'à l'infini. Il en est de même de l'écart entre deux pensées qui, exprimées par les mêmes mots, par la même image, paraissant identiques au traducteur. Cet écart peut aller jusqu'à la distance qui sépare le oui et le non. Cela se comprend : les diverses langues correspondent à divers modes de pensée. Dès lors, les mêmes mots ne signifient pas toujours les mêmes choses, et peuvent même signifier des choses contraires.

Ainsi, en indouî, on ne peut pas parler de répandre sa colère. Répandre sa colère, c'est l'apaiser. De même, cacher sa face implique l'idée de confusion, de honte, non de colère. Pour ne pas représenter Dieu comme couvert de confusion, il a fallu employer l'expression détourner sa face.

Pour la dernière traduction de l'Ancien Testament en indouî (faite entre 1892 et 1900), les traducteurs se faisaient aider par deux pundits (docteurs indous), auxquels ils soumettaient leur texte. À propos de Genèse 46, 4, qu'on avait traduit littéralement, un des deux pundits fit cette réflexion : «Je ne parviens pas à comprendre cette histoire de Joseph. Il fait l'effet d'un si bon fils. Son père l'aime tant! Comment donc se fait-il qu'ils se battent ensemble et que Joseph ayant le dessus applique à son père sur les yeux un coup si fort qu'il les lui ferme?» On dut traduire, au lieu de te fermera les yeux, conduira tes funérailles.

Parfois la méconnaissance d'une simple nuance peut donner lieu à une erreur des plus graves. Le Dr Grierson, employé supérieur de l'administration de l'Inde, raconte qu'au cours d'un séjour dans une région de ce pays, il constata un fait surprenant. Tout le monde, là, croyait que le Dieu des chrétiens est un Dieu couleur bleu de ciel. Tout ce que put leur dire le Dr Grierson ne réussit pas à les persuader de leur erreur. Ils avaient eu connaissance d'une ancienne traduction de l'Oraison dominicale dans laquelle Notre Père qui es au ciel est traduit par Notre Père céleste. Le terme choisi pour rendre le mot céleste n'était pas incorrect, mais il sert généralement à désigner les objets qui ont la couleur du ciel. Ainsi, de cette traduction à peine fautive était née une représentation singulièrement erroné, d'autant plus facilement accueillie — et d'autant plus dangereuse — que l'un des dieux de cette partie de l'Inde, Krishna, est un dieu bleu foncé.

Dans la Colombie anglaise, un missionnaire fit une fois traduire par un catéchiste indigène les mots une couronne incorruptible de gloire (1 Pierre 5, 4). Lorsqu'il sut un peu mieux la langue, il s'aperçut que le catéchiste avait rendu ces mots par ceux-ci : un chapeau qui ne s'use jamais.

Il paraît que les Indous manquent presque complètement d'imagination, ce qui fait que le sens allégorique de certaines expressions, évident pour nous, leur échappe; d'où, pour le traducteur, la nécessité de faire parfois de sa traduction une interprétation.

Ainsi, si l'on conservait l'expression à main levée (Nombres 15, 30), le passage signifierait que les Israélites sortirent d'Égypte en levant la main.

Juges 7, 15, après Gédéon adora, on est obligé d'ajouter l'Éternel, autrement le lecteur pourrait supposer qu'il adora quelqu'un d'autre.

 

Le passage Hébreux 12, 15, pour avoir un sens, doit être paraphrasé ainsi : «Que dans le champ qu'est votre assemblée aucune racine d'amertume... ne produise du trouble».

On ne peut pas dire : «Les Israélites montèrent hors d'Égypte», ni : «Un homme descendit de Jérusalem à Jéricho», car on n'emploie les mots monter et descendre que lorsqu'il s'agit, par exemple, d'un escalier ou d'une montagne. Il faut dire simplement : «Les Israélites sortirent...», «un homme vint...».

Ésaïe 23, 15, si on traduisait littéralement : «... qui secoue les mains pour ne pas accepter un présent», le lecteur pourrait penser que le juste jette le présent à terre parce qu'il n'en est pas satisfait et qu'il en désire un plus considérable. Il a fallu traduire : «... qui ne prend jamais de présent, et qui, si on lui en offre un, le jette à terre».

Ésaïe, dit un traducteur, est le livre de la Bible le plus difficile à traduire en indoui, parce qu'il est le prophète dont le langage est le plus imagé.

Les réviseurs de la Bible en urdu s'aperçurent une fois que l'expression, bien naturelle, semblait-il, d'oiseaux du ciel, était comprise par un indigène intelligent comme une métaphore poétique pour désigner les anges. Ils remplacèrent les oiseaux du ciel par les oiseaux de l'air.

Dans la révision de la traduction du Nouveau Testament en sindhi (Inde), la plus grande difficulté s'est présentée quand il s'est agi de traduire la salutation du Seigneur aux disciples : La paix soit avec vous. Le plus simple semblait d'adopter les mots Salam aleikum, qui sont la reproduction presque identique des mots araméens dont le Seigneur a dû se servir (Schâlôm alékem). Mais un des traducteurs a objecté d'abord que pour des Mahométans ces mots n'étaient qu'une expression toute banale, comme notre «comment vous portez-vous?», et ensuite que cette forme de langage était tellement spéciale aux Mahométans qu'on ne pouvait la placer dans la bouche du Seigneur sans donner aux lecteurs l'impression que le Seigneur était lui-même un mahométan. La question est encore à l'étude.

 

Méthode et secret

Dans aucune entreprise il n'y a eu plus de labeur, on peut dire plus d'héroïsme, que dans celle des traductions de la Bible. Nous sommes vraiment ici sur un champ de bataille où les serviteurs de Dieu ont dû se mesurer contre des Anakim, et où un grand nombre ont donné le meilleur de leur intelligence, de leur coeur, de leur volonté et de leur santé. Beaucoup se sont usés à la tâche (*). Robert Moffat, après vingt-neuf ans consacrés à traduire la Bible en sechuana (dix ans pour le Nouveau Testament, dix-neuf pour l'Ancien), fut tellement épuisé par l'effort accompli qu'il tomba malade et pensa mourir.

 

(*) Voir ce que nous disons de Luther comme traducteur de la Bible (Histoire de la Bible hors de France — En Allemagne — point 25.2 du texte global = point 1.2 du texte Partie 5 — La Bible en Europe), et des versions chinoises (point 25.11 du texte global = point 1.7 du texte Partie 6 — La Bible hors Europe).

 

Dans cette galerie de héros, une place d'honneur appartient à John Eliot. Ce grand missionnaire, qui travailla parmi les Indiens du Massachusetts de 1646 à 1690, jusqu'à l'âge de quatre-vingt-sept ans, traduisit la Bible dans la langue indigène. Il commença à apprendre cette langue en 1643. Vingt ans après, la Bible paraissait. Cette traduction représente un labeur inouï. Eliot composa beaucoup d'autres ouvrages en langue indienne, entre autres une grammaire indienne à la fin de laquelle il livre en quelque sorte son secret, qui est assurément celui de tous les traducteurs de la Bible :

«Si on me demandait comment j'ai découvert ces règles de grammaire, qui ne se retrouvent, à ma connaissance, dans aucune autre langue, voici en deux mots ma réponse. Tout d'abord, Dieu a mis dans mon coeur de la compassion pour ces pauvres âmes, et le désir de leur enseigner à connaître Christ et de les amener à son royaume. Un peu après, je trouvai, par la sage providence de Dieu, un jeune indigène très capable, ancien domestique dans une maison anglaise, qui comprenait assez bien notre langue, mieux qu'il ne la parlait, et qui savait fort bien sa langue à lui, et avait une prononciation très claire. Je fis de lui mon interprète. Avec son secours, je traduisis les commandements, la prière du Seigneur, et beaucoup de textes de l'Écriture, et rédigeai aussi quelques exhortations et prières. Je consignais avec soin les différences entre leur grammaire et la nôtre. Je poursuivais un mot, nom ou verbe, dès que j'en trouvais la piste, à travers toutes les variations que je pouvais imaginer. Et c'est ainsi que j'ai atteint mon but. Il ne faut pas rester assis, tranquillement, et attendre des miracles. Debout, au travail, et le Seigneur sera avec toi. Prière et labeur, par la foi en Jésus-Christ, peuvent tout» (*)

 

(*) Cette Bible n'a plus aujourd'hui un seul lecteur, la langue ayant disparu. Toutefois, comme l'a dit le Dr Pierson, cette Bible n'est pas une ruine, mais une pyramide de son sommet sublime, le Peau-Rouge a pu entrevoir les splendeurs de la Cité de Dieu.

 

Citons encore les lignes suivantes du missionnaire Copland King. Elles nous initieront à la méthode de travail qui a dû être celle de beaucoup d'autres traducteurs de la Bible. Le wedau, dans lequel ce missionnaire traduisit une partie des livres saints, était la langue d'une tribu cannibale.

«Au bout de cinq années de travail, nous commençâmes à traduire l'Évangile selon saint Luc. Le meilleur élève de l'école était devenu notre aide. Nous lui expliquions le verset que nous voulions traduire, et nous lui demandions de le rendre à sa manière. Nous écrivions sous sa dictée. Le jour suivant, nous lui donnions notre traduction à nous. Chaque phrase qui nous arrêtait, nous la discutions, en nous référant toujours aux passages parallèles. Quand l'Évangile fut achevé, nous lûmes notre manuscrit à un autre élève très intelligent, en le priant de nous signaler tout ce qu'il ne comprenait pas. Inutile de dire qu'il y eut des difficultés de détail innombrables. Beaucoup d'objets mentionnés dans l'Évangile leur étaient complètement inconnus. Par exemple, ils n'avaient jamais vu de brebis. La parabole du bon berger ne leur disait rien. Mais si à brebis nous substituions porc, ils comprenaient. Il va sans dire que nous ne nous servîmes pas du mot porc dans la traduction. Nous fîmes entrer le nouveau mot, comme bien d'autres, dans leur langue, et ainsi nous élargîmes leur horizon.

«Au commencement, ils ne comprenaient pas à quoi il pouvait servir de regarder à un papier couvert de signes, de raies noires. Ils nous demandaient souvent : «Est-ce que cela nous aidera à nous mettre de la nourriture dans la bouche?» Leur objet unique semblait de se procurer de la nourriture. Aujourd'hui, plusieurs parmi eux savent dépenser de l'argent pour acheter les Évangiles».

 

Résultats

 

Au point de vue de la traduction elle-même, tout d'abord, le résultat obtenu a été admirable. Qu'on en juge par le trait suivant.

«Un Zoulou, raconte un chrétien américain, me disait un jour : Les blancs sont bien privilégiés. Ils ont des chemins de fer, des télégraphes, des fusils qui se chargent par la culasse; ils sont habiles, ils sont riches, ils sont bien habillés. Mais il y a un avantage qui leur manque et que nous avons, nous, c'est de posséder les Évangiles en zoulou. Je lui dis: «Notre traduction anglaise est magnifique. Après l'original, il n'y a rien de mieux». Le Zoulou secoua la tête et répondit : «Elle ne peut valoir la nôtre». Je ne pensai plus à cet entretien jusqu'au jour où un Malais me dit : «Le malais est la langue la plus éloquente du monde: Regardez notre traduction de la Bible». Ceci me fit réfléchir. Mais ce n'est pas tout. Le chinois est un des plus affreux langages que l'on puisse imaginer. Je ne le parle pas, mais je donne ici l'opinion d'hommes qui le connaissent fort bien. Or, un chrétien chinois déplora un jour, en ma présence, la privation qui résulte pour les Européens du fait qu'ils n'ont pas accès à la Bible chinoise. Ceci m'éclaira encore davantage. Je suis arrivé à la conviction qu'une des choses qui font de l'Écriture un livre unique, c'est qu'elle peut supporter la traduction en une langue quelconque sans perdre de sa force».

Quant aux services rendus par les traducteurs de la Bible, ils défient toute évaluation.

 

S'agit-il de l'action missionnaire directe exercée par la lecture de la Bible? Voici un fait choisi au hasard parmi des centaines d'autres du même genre que l'on pourrait citer.

 

Sur les flancs du plus haut volcan du monde. — Un pasteur de Mexico visitait dernièrement, dans une petite ville nichée sur les flancs du Popocatepelt, une église de fondation récente. Il vit là des chrétiens pleins d'enthousiasme, qui ont une école du dimanche, une société d'activité chrétienne, une société auxiliaire de dames, et présida à la réception de trente-deux nouveaux membres.

Comment cette église avait-elle été fondée? Un habitant de la ville, humble charbonnier, était entré en possession d'une Bible, il y a quelques années, l'avait emportée sur ces hauteurs, l'avait étudiée, puis lue à d'autres. Quelques-uns apprirent à lire pour pouvoir lire la Bible eux-mêmes. Bientôt il y eut là un cercle de croyants, et peu après une église organisée.

 

Voici le témoignage d'un missionnaire wesleyen aux îles Fidji, M. Horsley, qui écrivait en 1866:

«En avril 1865, j'eus à examiner vingt-huit jeunes gens, candidats au ministère. Tandis que je les écoutais l'un après l'autre, je fus frappé de voir combien de fois revenait cette affirmation que le seul moyen employé par le Saint-Esprit pour les convaincre de leur danger et pour les conduire à l'Agneau de Dieu, avait été la lecture du Nouveau Testament. Depuis lors, j'ai noté avec soin tous les cas de ce genre, et soit dans des conversations, soit dans des examens, soit par des documents écrits, j'ai pu me rendre compte que plus des deux tiers de nos deux cents catéchistes, prédicateurs laïques, maitres d'école, ont connu le danger où ils étaient et ont obtenu la paix par la seule lecture du Nouveau Testament, sans l'intervention d'aucun ministère humain. Ces hommes pouvant être considérés comme des spécimens de tout le groupe, on peut conclure que la majorité de nos membres (nous en avons actuellement 4.260, et 432 candidats) ont été amenés à la foi de la même manière.

«Parmi le grand nombre de textes que l'Esprit de Dieu a appliqués aux consciences, celui qui a été mentionné le plus souvent comme ayant amené une âme à la repentante est celui-ci : Le salaire du péché, c'est la mort. Des âmes angoissées, par vingtaines, ont reçu la paix par le moyen de l'invitation du Sauveur : Venez à moi, vous tous qui êtes travaillés et chargés...».

 

Le chant des deux livres. — Un autre ancien missionnaire aux îles Fidji, M. Nettleton, raconte que visitant l'île de Kandavu, où régnait jadis le cannibalisme le plus féroce, et où il n'y avait des chrétiens déclarés que depuis un an, il y fut l'objet, de la part de quatre mille enfants, élèves de l'école du dimanche, d'une réception peu banale. Ces quatre mille enfants, rangés en ordre, l'accueillirent par un chant indigène, dit le chant des deux livres. À la main gauche ils tenaient une massue, et à la main droite un Nouveau Testament. Levant la massue, ils chantèrent, sur un ait, monotone, mais harmonieux, le premier couplet de leur chant:

 

En dedans, en dehors, écrivez sur le livre des païens :

Lamentation, deuil, malheur.

La veuve est étranglée, abattue par la massue, cuite, mangée:

Voilà toute notre chanson.

Ni école, ni Bible pour l'enfant,

Ni jour de culte et de repos.

La guerre, la guerre cruelle, c'est toute notre musique,

Et le sang des tués tout notre désir.

 

Puis, laissant retomber la massue, ils élevèrent de l'autre main, le Nouveau Testament, et chantèrent le second couplet :

 

Mais l'Évangile de paix a été entendu dans notre pays,

Le passé a disparu avec toute sa nuit.

Dans nos mains n'est plus la massue du sauvage,

Mais la Bible, qui apporte la lumière.

Nous chantons un nouveau chant, nous écrivons un nouveau livre,

Nous sommes dans la joie et nous apportons nos offrandes.

Paix et bienveillance ont rendu nos demeures heureuses,

Voilà pourquoi les enfants chantent.

 

Les cas où la Bible a précédé et préparé l'action des missionnaires ne se comptent pas. Son rôle pour édifier, pour consoler, pour former les chrétiens et les évangélistes indigènes est d'une importance capitale.

Voici comment s'exprimait en 1903, devant une Conférence missionnaire, le Dr Haven , représentant d'une Société qui avait à ce moment quatre-vingt-sept ans d'expérience, la Société biblique américaine :

«Quelle place les corps missionnaires doivent-ils faire à la traduction de la Bible? Ce travail doit-il être considéré comme de première importance? Les comités doivent-ils savoir permettre à leurs hommes les plus distingués de s'y adonner exclusivement pendant un temps? Faut-il s'y livrer avec diligence et enthousiasme jusqu'à ce qu'il soit achevé? Ou bien faut-il le laisser traîner indéfiniment et lui consacrer les seuls moments que l'on peut distraire de travaux urgents, tels que la construction de maisons missionnaires, la création d'écoles ou d'établissements de charité? La Société biblique, répond le Dr Haven, est convaincue que, lorsque ceux qui dirigent les entreprises missionnaires vastes comme le monde savent reconnaître l'importance du travail de la traduction de la Bible, ils assurent dans l'oeuvre missionnaire une véritable économie d'effort. Elle croit que de toutes les forces qui concourent à l'établissement du royaume de Dieu, aucune n'est plus essentielle ni plus efficace qu'une bonne traduction de la Parole divine. Oui, elle va jusqu'à croire que la Bible, traduite dans la langue du pays, a plus de valeur pour une oeuvre missionnaire que des maisons d'éducation, des hôpitaux, des asiles, et même des édifices de culte. La Bible l'emporte en efficacité sur tous les éléments d'action missionnaire, l'âme même des missionnaires étant mise à part. Ses conquêtes ne se comptent pas. Comment rendre justice à sa puissance éducatrice, à sa puissance de consolation? Oui, nous plaidons pour le ministère de la Bible, et nous vous demandons, à vous nos collaborateurs, d'avoir à coeur les intérêts du saint volume, de faire ce qui dépend de vous pour que, partout, les forces missionnaires de nos églises puissent, par les moyens les plus sages et avec le plus de rapidité possible, concourir à réaliser ce mot d'ordre: La Bible entière pour le monde entier».

Voici le témoignage pittoresque d'un païen. Un chef de la Côte d'Or disait à un missionnaire de la mission de Bâle, après que la Bible eut été traduite dans la langue de son peuple : «Maintenant, nous allons vous redouter. Avant, quand vous veniez avec la Bible dans une langue étrangère, nous n'avions pas peur de vous. Votre hache était bonne, mais le manche n'en était pas assez solide pour abattre nos arbres-fétiches. Mais maintenant vous vous êtes fait un manche avec le bois du pays, et nos arbres sacrés ne demeureront pas longtemps debout».

 

Mais l'oeuvre des traducteurs de la Bible et des Sociétés bibliques a aussi exercé une action indirecte, dont la portée est incalculable. Plus d'une fois, ceux qui ont donné la Bible à une nouvelle race d'hommes ont préparé l'unification de la langue dans les régions où se parlent plusieurs dialectes, soit en traduisant la Bible dans le dialecte prépondérant, ce qui élimine peu à peu les dialectes secondaires, soit en fondant ensemble des dialectes peu différents. Ainsi, il y a actuellement trois versions des Écritures en trois dialectes ibo. Mais on prépare une révision qui donnera une Bible unique à ce peuple. On n'y fera figurer, autant que possible, que des mots communs aux trois dialectes, et quand cela ne se pourra pas, on indiquera l'explication en marge. En unifiant la langue, l'oeuvre biblique rapproche les hommes que rien ne divise comme la diversité de langage, elle inaugure une ère d'union parmi ceux que séparent des haines séculaires. Action indirecte, mais, sans elle, combien l'action directe serait plus lente !

 

C'est surtout l'influence de la Bible pour la rénovation d'une langue que nous voudrions mettre en relief.

Les lignes suivantes de M. le missionnaire H. Dieterlen (*) laissent entrevoir ce que peut être l'influence de la Bible sur une langue.

 

(*) Journal des Missions, juillet 1907.

 

«La langue des Bassoutos — et sans doute celles de tous les autres peuples de la terre — sait s'adapter aux idées chrétiennes d'une manière étonnante. Pendant des siècles et des siècles, elle n'a eu à traiter que des sujets matériels, terre-à-terre, humains, et il semble qu'elle ne doive savoir exprimer que ceux-là, qu'elle ne possède de mots que pour ce genre de choses. Mais non! Arrive le christianisme, avec un monde d'idées nouvelles. Et voici la langue païenne qui se christianise, se convertit, si on peut dire ainsi, et s'adapte à l'esprit nouveau, pour le servir. Il faut parler de l'élasticité des mots des langues humaines. Petits d'abord, étriqués, étroits, ils se gonflent au fur et à mesure que s'élargissent la pensée, le coeur et l'âme des hommes. L'esprit du ciel qui entre dans les âmes s'insinue aussi dans les mots, étend leur sens et les enrichit d'acceptions nouvelles et supérieures. Prenez, par exemple, le mot mohaou en sessouto, qui signifie la grâce. Primitivement, que pouvait-il signifier, sinon l'indulgence avec laquelle un homme peut traiter son semblable dans les plus petites affaires de la vie quotidienne? Pourtant, il a passé dans le langage chrétien, il y est employé pour désigner la grâce de Dieu, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus sublime et de plus puissant. Je ne crois pas qu'il ait déjà acquis, dans l'esprit et l'usage des Bassoutos, toute l'ampleur qu'il comporte. Il a encore à s'élargir et à s'enrichir, et il le fera, à cause de son élasticité même, qui correspond à celle du coeur des Bassoutos. Mais que de progrès il a déjà faits, et quel bel avenir a cette langue, déjà intéressante en elle-même, mais dont le christianisme fait patiemment la plus noble éducation».

Voici quelques lignes d'un savant anglais, le Dr Barber.

«Le wenli (langue littéraire de la Chine) est une langue littéraire, concise, pittoresque, un magnifique instrument pour la pensée, qu'un Tacite aurait pu envier. Le mandarin en diffère autant que le parler de la campagne diffère du style de nos journaux. Il y a cent ans, personne n'aurait songé à écrire en mandarin autre chose que des contes grossiers ou des ballades aux airs bruyants. Quand les missionnaires vinrent, ils traduisirent d'abord la Bible en wenli, à l'intention des savants. Aussi les premiers prédicateurs durent traduire et paraphraser la Bible pour leurs auditeurs. Forcément, les missionnaires furent amenés à imiter les Wiclef et les Luther, à traduire pour le peuple. Ainsi l'on fit des versions en mandarin, pour que les humbles pussent être mis directement en contact avec la vérité. Les lettrés, à cette seule idée qu'il pût valoir la peine de lire quoi que ce fût dans une langue «qui n'avait pas de goût dans la bouche», exhalaient un mépris sans limite. Mais peu à peu la langue parlée devint consciente de sa dignité. Autour de la Bible se produisit une littérature chrétienne considérable, ce fut une vraie renaissance, et maintenant, dans ce siècle de changements, les ouvrages en mandarin sont nombreux. Ainsi, l'histoire se répète, et la langue du foyer et du marché, baptisée dans son enfance littéraire par les eaux de l'Évangile, entre dans un âge mûr plein de vigueur et de dignité.

«Ainsi, au sein même d'une civilisation et d'une culture antiques, l'avènement de la Parole de Dieu, c'est la vie dans la sphère de l'esprit. Et le temps manquerait pour parler de tant de nations barbares, sans littérature, sans histoire intellectuelle, pour lesquelles, dans notre propre siècle, le missionnaire a inventé un alphabet, auxquelles il a enseigné à lire et à écrire, et auxquelles il a donné comme base de toute leur littérature, comme fondement de toute leur pensée, ces paroles de Dieu qui furent sa vie à lui et celle de sa nation. C'est la Bible qui a fait surgir toute la vie intellectuelle qui est maintenant née dans les archipels du Pacifique, sur les hauts plateaux de l'Ouganda, dans les Kraals des Zoulous, dans les neiges du Kamtschatka. Ce n'est pas l'amour de la littérature qui aurait jamais fait envoyer des missionnaires aux iles Fidji, ou aux wigwams des Indiens!»

Le missionnaire Richards, dont on lisait plus haut quelques lignes sur l'impossibilité de trouver en sheetswa des termes convenables pour rendre les mots de Père et de ciel, ajoutait ce qui suit au récit de ces expériences décourageantes.

«On nous demandera: Si, en traduisant, vous aboutissez à un tel échec, comment la vérité qu'expriment les mots pénétrera-t-elle jamais dans l'esprit de l'indigène? Nous répondons : Aussitôt que l'indigène commence à prier, à entrer en relation avec le Père, le Père envoie son Esprit, et cet Esprit l'éclaire et accomplit ce qu'aucun être humain ne peut accomplir. Des vingtaines de fois, nous avons vu des indigènes, dont, après qu'ils avaient passé par la conversion, le regard s'éclairait, dont toute l'attitude, comme toute la vie, se transformait. Le Saint-Esprit les avait illuminés intérieurement et leur avait fait comprendre le sens des mots».

Ainsi, comme l'a écrit M. le pasteur Babut : «les Saintes Écritures, en s'appropriant un nouvel idiome, l'enrichissent et l'ennoblissent. C'est comme une alchimie spirituelle où le plomb se change en or».

On conçoit aisément que la Bible ne transforme pas ainsi la langue d'un peuple sans transformer son âme, surtout lorsqu'elle est le premier, et pendant plus ou moins longtemps le seul livre de ce peuple. La Bible devient la source et la norme de la littérature, le moule de la pensée. En purifiant la langue de ses termes violents, orduriers, en versant de l'infini, du divin, dans ce qu'elle laisse subsister et dans ce qu'elle transfigure de son vocabulaire, elle facilite, mieux que cela, elle commence la transformation du peuple lui-même. Un peuple dont la Bible a régénéré la langue, est déjà, en une mesure, un peuple régénéré.

Enfin, qu'on songe à ce que gagne un peuple, dans l'ordre purement humain, par le seul fait que sa langue devient une langue écrite. La Bible, en donnant à un peuple l'alphabet créé pour elle, lui ouvre les portes de la civilisation comme elle lui ouvre le chemin du royaume des cieux (*).

 

(*) Voir fragment La Bible au Lessouto, point 25.10 du texte global = point 1.6 d de la partie 6, La Bible hors d’Europe.

 

Si l'on songe que, sur les quatre cent cinquante langues dans lesquelles la Bible a été traduite pour la première fois depuis le commencement du dix-neuvième siècle, il y en a un grand nombre (entre cent et deux cents) qui n'existaient alors qu'à l'état oral, et qui sont devenues des langues écrites, puis imprimées, par les soins des traducteurs de la Bible, il saute aux yeux que ce que la race humaine doit, soit au point de vue religieux, soit au point de vue philanthropique, à la Bible et à ses traducteurs, tient de l'infini.

 

 

Influence de l’Ancien Testament sur la langue française

 

Qui donc se doute de tout ce que la langue française doit à la Bible, et particulièrement à l'Ancien Testament? Nous parlons tous plus ou moins hébreu. C'est ce qu'a démontré dans un gros et savant ouvrage (*) un professeur du lycée Hoche, à Versailles, M. Trénel.

 

(*) L'Ancien Testament et la langue française au moyen âge, chez Léopold Cerf.

 

Il nous montre, dès le troisième siècle, la Bible contribuant largement à la création même de notre langue (*). Dans cette langue, en partie créée par la Bible, l'élément biblique n'a pas cessé, pendant des siècles, de s'infiltrer toujours davantage, soit par les diverses traductions de la Bible qui se suivent à jet continu, soit par l'éloquence chrétienne. «Des origines à la fin du quinzième siècle, c'est un lent apport de mots qui s'acclimatent plus ou moins rapidement, d'expressions qui s'introduisent sous l'inspiration du mysticisme ou de la piété. Puis, au moment où il semble que l'action de la Bible arrive à son terme et s'épuise, éclipsée par la renaissance des lettres grecques et latines, elle trouve dans la Réforme un regain de vie, et la voilà remise en honneur par toute la pléiade des écrivains protestants, dont l'oeuvre est si profondément empreinte de l'esprit et du style de l'Ancien Testament. Dans cette crise religieuse, l'Écriture se fraie un passage, pénètre dans la langue usuelle et s'y mêle. Jamais sans doute son triomphe ne fut plus grand. Pour un temps elle menace de s'installer victorieusement dans le vocabulaire... La langue allait emprunter une parure nouvelle aux beautés de l'Ancien Testament».

 

(*) Voir points 4.1 et 4.2 du texte global et de la partie 1 «Jusqu’au 16° siècle»

 

M. Trénel consacre plus de 650 pages in-8 à faire le bilan de ce que, pendant le moyen âge seulement, notre langue a reçu de l'Ancien Testament. Il montre, toujours avec abondance de citations, que l'Ancien Testament a fourni à notre langue 272 mots (sans compter les noms propres) et 768 expressions, dont 133 proviennent des psaumes. «Depuis le quinzième siècle, pas de déchet appréciable, quatre ou cinq mots en tout». Et il y a plus. «L'Ancien Testament s'unit à la langue d'un lien plus étroit encore par le tribut qu'il lui apporte de ses formes de pensées nouvelles : tournures poétiques, images, comparaisons, sentences, et aussi de ses souvenirs historiques, ou même de quelques-unes de ses constructions grammaticales. La langue hésitera parfois devant certaines audaces de langage des prophètes. Mais qu'importe; malgré ces timidités légitimes, une source nouvelle de poésie a surgi, qui ne tarira pas». On nous saura gré de donner quelques exemples de cette véritable invasion littéraire (qui apparaîtrait autrement considérable, si on ne s'arrêtait pas au seizième siècle, et si on étudiait aussi l'influence du Nouveau Testament sur la langue).

 

Mots

Voici d'abord pour les mots (importés de l'hébreu lui-même, ou de la traduction grecque des Septante ou de la Vulgate). Comme ces mots grecs ou latins ont perdu, en passant dans les traductions, leur sens classique pour prendre un sens biblique, ils comptent à juste titre comme mots bibliques.

1) IMPORTÉS DE L'HÉBREU : Amen, chérubin, séraphin, Eden, jubilé, pâque, sabbat, samedi (sambati diem), tohu-bohu, aloès; myrrhe, nard, saphir, etc.

2) IMPORTÉS DES SEPTANTE : Cataracte, église, paradis, patriarche, prophète, scandale, genèse, exode, etc.

3) IMPORTÉS DE LA VULGATE : Abomination, adorer, angulaire, arche, bénir, confondre, consommer, convertir, déluge, émissaire, engendrer, esprit, exalter, exterminer, face, iniquité, jeûner, lapider, maudire, opprobre, péché, etc.

4) MOTS FRANÇAIS AUXQUELS LEUR EMPLOI POUR LA TRADUCTION DE LA BIBLE A AJOUTÉ LE SENS PROPREMENT BIBLIQUE

Achoppement, alliance, brebis, calice, cendre, chair, dormir, fléau, joug, pain, pasteur, récolter, moissonner, semer, vanité, voile, etc.

 

Expressions

Expressions empruntées à l'Ancien Testament.

1) EXPRESSIONS CONTENANT LE MOT DIEU : Dieu des armées, Dieu de vérité, Dieu de vengeance, Dieu vivant, Dieu frappe et il guérit, le fléau de Dieu, craindre Dieu, croire en Dieu, espérer en Dieu, Dieu soit avec vous, Dieu vous garde, Dieu m'est témoin, etc.

2) TERMES ET EXPRESSIONS LITURGIQUES : Observer la loi, transgresser la loi, faire la pâque, etc.

3) INSTITUTIONS POLITIQUFS : Les anciens, le conseil des anciens, etc.

4) EXPRESSIONS TIRÉES DE LA VIE PASTORALE : Brebis perdue, rosée du ciel, la graisse de la terre, le fruit des entrailles, sous le ciel, etc.

5) FORME CONCRÈTE D'IDÉES ABSTRAITES : La terre des vivants, effacer le nom de, l'ombre de la mort, les portes de la mort, descendre dans la tombe, dormir son sommeil, dormir du sommeil éternel, né d'une femme, n'être que poussière, tirer quelqu'un de la poussière, de la boue, la bonne, la mauvaise voie, la voie des hommes, porter sa faute, bouc émissaire, son sang est sur lui, porter l'opprobre, être couvert de confusion, effacer l'opprobre, rassasier d'opprobres, boire le calice jusqu'à la lie, abreuver de larmes, de fiel, d'amertume, la veuve et l'orphelin, mes entrailles s'émeuvent, se boucher les oreilles, joug de fer, briser le joug, briser ses fers, tirer d'esclavage, sang innocent, courber le genou, garder sa langue, ouvrir les yeux à, etc.

6) LANGUE POÉTIQUE : Enfants des hommes, enfant de sa vieillesse, maison d'Israël, cité sainte, la vie éternelle, sommeil éternel, pierre angulaire, le lys des vallées, ciel d'airain, cieux fermés, le sentier de la vie, pain de larmes, pain de douleur, jour de vengeance, tous les jours de la vie, terre de misère, vallée de larmes, lit de douleur, coeur de pierre, parler au coeur de, disperser à tous les vents, prendre le ciel à témoin, réduire en poudre.

7) EXPRESSIONS PROVERBIALES : C'est la chair de ma chair, ne faire qu'une chair, le fruit défendu, vivre autant que Mathusalem, c'est notre Benjamin, adorer le veau d'or, oeil pour oeil, dent pour dent, avoir deux poids et deux mesures, ainsi soit-il, fort comme Samson, aussi sage que Salomon, se prendre à son propre piège, aimez qui vous aime, qui donne au pauvre prête à Dieu, chaque chose a son temps, etc.

8) COMPARAISONS BIBLIQUES : Plus blanc que neige, s'évanouir comme une fumée, sécher comme l'herbe, fondre comme cire, etc.

9) FAITS HISTORIQUES, ALLUSIONS : Arbre de vie, paradis terrestre, la colombe de l'arche, la tour de Babel, l'échelle de Jacob, les plaies d'Égypte, le bouc émissaire, etc.

 

Tournures hébraïques

Enfin, les tournures hébraïques:

1) DEUX SUBSTANTIFS DÉPENDANT L'UN DE L'AUTRE, DONT LE SECOND FAIT FONCTION D'ADJECTIF : Trône de gloire, parole de vérité, souffle de vie, vent de tempête, homme de sang, esprit de vie (ces tournures devenues si françaises sont une traduction littérale de l'hébreu).

OU QUI RÉUNISSENT L'ABSTRAIT ET LE CONCRET : Source de vie, esprit de sagesse, coupe de douleur, etc.

OU QUI, L'UN RÉPÉTANT L'AUTRE, EXPRIMENT L'IDÉE DU SUPERLATIF ABSOLU: Le Roi des rois, cieux des cieux, siècles des siècles, etc.

2) PARTICULARITÉS DE SYNTAXE QUI ONT FAIT VIOLENCE À LA SYNTAXE DU GREC OU DU LATIN : Faire miséricorde, faire le bien, faire le mal, rendre le mal pour le bien, trouver grâce, être en opprobre, en bénédiction, dans l'amertume de mon âme, au nom de Dieu, de siècle en siècle, etc (*).

 

(*) Il nous parait intéressant de reproduire ici un passage de l'étude de M. Ed. Reuss sur le français des Bibles du moyen âge :

«Une idée m'a surtout frappé pendant cette étude, c'est celle du triste appauvrissement de la langue française actuelle, comparée à ce qu'elle était il y a cinq siècles. Un nombre prodigieux de mots oubliés et perdus, une allure libre et dégagée de la phrase changée en une syntaxe étroite et rigoureuse, voilà en deux mots à quoi revient la différence des deux époques, et la nôtre, en fait d'avantages réels, n'a guère à faire valoir que la fermeté de son orthographe, et les caprices de sa règle des participes.

«Pour donner une idée de cet appauvrissement de la langue, voici une série de mots tirés du seul chapitre 14 des Juges que je prends au hasard : noncer (nunciare); je queisse (quaererem); achoison (occasio); ree (favus); ee (apis); je seur, je soloie (soleo, solebam); vallet (juvenis); devinaille (énigme); souldre (solvere) ; sydoine (chemise), cote (tunique); oir (audire); blandir (blandire); ardre (ardere); espondre (exponere) ; courroucié (molestus); arer (arare)».  Revue de Théologie, IV, janvier 1852.

 

Il nous semble que cette nomenclature n'a pour un chrétien rien de sec ni de banal. Que d'autres en tirent les conclusions qu'ils voudront. Pour nous, voici la nôtre : Si Dieu n'était pas notre créateur et notre Roi, si la Bible ne nous apportait pas son message, si elle n'était pas parfaitement humaine et par conséquent vraiment divine, verrait-on ce livre façonner et pétrir ainsi les langues des hommes, faire éclater la grammaire, détruire la syntaxe de langues séculaires, les pénétrer, s'y infiltrer, les refaire à son image, aider à la création de langues nouvelles, au point qu'aujourd'hui, en France, au vingtième siècle, personne ne peut ouvrir la bouche sans parler plus ou moins la langue de la Bible? Quand nous employons, par exemple, des locutions aussi courantes que faire le bien, faire le mal, rendre le bien pour le mal, sous le ciel, c'est la langue de Moïse, c'est la langue des psaumes, c'est la langue des prophètes hébreux que nous parlons. Et que l'on songe que ce qui est vrai pour le français l'est bien davantage pour l'anglais et pour l'allemand, et davantage encore pour tant de langues dont la traduction de la Bible a été le premier livre écrit et la première littérature. Pour nous, nous ne pouvons autrement que voir dans ce règne littéraire de la Bible une des preuves et une des formes de la royauté de Jésus Christ. Déjà, dans un sens, toute langue le confesse.

 

 

Comment on fait une Bible

Privilèges royaux

Qui a le droit d'imprimer la Bible en Angleterre? — L'imprimerie de l'Université d'Oxford

En Angleterre, le souverain jouit d'un certain nombre de prérogatives dont la liste ne manque pas de variété. Ainsi, le roi a seul le droit d'exploiter les mines d'or, de chasser le héron, de disposer des baleines jetées par la mer sur le rivage, de frapper monnaie, et de publier la version autorisée de la Bible. La plupart de ces prérogatives avaient pour but d'ajouter à la dignité, à la puissance, ou à la richesse royale. Celles que le souverain ne pouvait pas exercer personnellement étaient cédées, à titre gracieux, comme faveur royale, ou affermées à des personnes qui en demeuraient responsables vis-à-vis de la couronne.

Toutefois, en réservant à la couronne le droit de faire imprimer la Bible, on avait sûrement été guidé par un sentiment de respect pour le livre saint, on tenait à ce que la Bible fût convenablement imprimée, à ce qu'elle ne devînt pas un article de commerce dont le premier spéculateur venu pût trafiquer pour son profit personnel.

La publication de la Bible fut donc entourée de toutes les garanties possibles. Le droit exclusif de l'imprimer fut concédé par le roi à certaines personnes. C'est ce qu'indiquent les mots «par privilège» que l'on voit souvent sur le titre des Bibles anglaises.

Ce droit fut accordé tout d'abord à l'imprimeur du roi. Une maison de Londres, la maison Spottiswod, à laquelle appartient ce titre, imprime encore aujourd'hui la Bible. Les Universités d'Oxford et de Cambridge, en tant que centres principaux de culture dans le royaume, reçurent des chartes royales qui leur conférèrent le même privilège. Toutefois, on imprimait déjà la Bible à Oxford depuis 1669. Les «Bibles d'Oxford» et les «Bibles de Cambridge» sont parmi les livres les plus magnifiquement imprimés du monde.

La prérogative ci-dessus ne s'applique qu'à la version autorisée, c'est-à-dire à la traduction parue en 1611. N'importe qui a le droit de publier d'autres versions. Toutefois, quant à la version révisée, les droits d'auteurs ont été achetés aux réviseurs par les Universités d'Oxford et de Cambridge.

L'imprimerie de l'Université d'Oxford a une très belle façade. Une haute colonnade corinthienne lui donne un cachet académique. Une fois qu'on a passé sous le portique d'entrée, on se trouve dans un jardin qu'entoure un vaste bâtiment quadrangulaire, et qui a, lui aussi, grâce à des arbres ombragés, une apparence académique. Ce qui n'est pas académique, par exemple, c'est l'arbre de transmission que l'on voit et que l'on entend fonctionner dans l'un des côtés du bâtiment. C'est lui qui fournit la force motrice aux pièces tournantes dont on entend également le bruit. Si quelque chose distingue l'imprimerie d'Oxford des autres imprimeries, ce sont des salles de travail plus spacieuses, une propreté plus grande dans ces salles comme dans les corridors, et un système mieux compris de barrières de protection autour des machines.

Grands halls, avec presses tournantes, longues chambres avec file de pupitres de composition, ateliers de reliure avec piles de livres en feuilles, pièces de séchage, salles pour la confection des galvanos, avec leurs bassins mystérieux, immenses magasins de dépôt — voilà l'imprimerie de l'Université.

À l'origine, un des côtés du bâtiment carré était réservé à l'impression des livres classiques et de la littérature profane. On l'avait dénommé l'aile savante. Le côté opposé était consacré à la production des Bibles, et on l'appelait l'aile biblique. C'était au temps des presses à la main. Quand la vapeur fit son apparition, ni l'économie ni le bon sens ne pouvaient permettre qu'il y eût une machine savante et une machine biblique, alors qu'une seule machine pouvait suffire. Aujourd'hui toutes les machines, machines savantes et machines bibliques, sont réunies dans la même aile, l'aile biblique, où la même machine imprimera un jour une feuille du grand dictionnaire d'Oxford et le lendemain une feuille de la Bible d'Oxford.

On imprime à Oxford avec une perfection technique extraordinaire, en même temps qu'avec un sens des affaires non moins remarquable, grâce auquel il se réalise chaque année des profits considérables.

La Bible est parmi les livres les mieux imprimés du monde, et parmi les meilleur marché. On peut avoir la Bible en anglais pour soixante centimes. D'un autre côté, on imprime à Oxford des éditions de luxe, voire somptueuses. Entre les deux, il y a toute une échelle d'éditions. L'Université d'Oxford publie à elle seule plus de 90 éditions distinctes de la Bible. Tout compté, l'imprimerie d'Oxford imprime plus de Bibles qu'aucune autre maison. Aussi est-ce surtout de cette imprimerie que nous parlerons dans ce qui suit.

 

Le fameux papier indien

L'imprimerie de l'Université d'Oxford exerce toutes sortes d'industries. Elle fabrique elle-même son papier, son encre, ses caractères, ses clichés, et les photographies en vue des illustrations. Elle fait aussi la reliure, en un mot tout ce qu'il faut pour publier un livre, sauf les machines à imprimer. En ce qui concerne la Bible, le travail d'impression, dans tous ses détails, diffère plus ou moins de ce qu'il est pour d'autres livres.

Le papier est fabriqué à environ trois kilomètres d'Oxford, dans le pittoresque village de Woolvercot. L'imprimerie y possède deux moulins qui produisent une variété infinie de papiers. La matière première employée de préférence est la vieille toile à voiles.

La grande gloire de Woolvercot, c'est le papier indien, dit d'Oxford. De tous les papiers qui existent, c'est à la fois le plus mince et le plus opaque. Les lettres ne transparaissent pas. Le procédé de fabrication de ce papier est un secret qui n'est connu que de trois personnes. C'est un secret pour les ouvriers eux-mêmes, car chacun n'est au courant que de l'un des détails de la fabrication, et encore ne le connaît-il sans doute qu'au point de vue mécanique.

On appelle ce papier papier indien, parce qu'il a été inventé pour imiter un papier très mince de l'Inde. Avant de réussir, l'inventeur passa trente ans en essais et en expériences. Depuis 1875, l'imprimerie d'Oxford est maîtresse de cette industrie extrêmement délicate.

D'autres maisons d'imprimerie ont essayé à réitérées fois de découvrir le secret du papier indien, et il est assez probable qu'un jour ou l'autre quelqu'un y réussira. Mais, pour le moment, le papier indien d'Oxford demeure sans rival.

C'est ce beau papier indien qui sert pour la confection de ces Bibles minces et légères dont le maniement et la lecture sont si agréables. Avec le papier indien, on réduit des trois quarts l'épaisseur d'un volume imprimé sur papier ordinaire. La Bible d'Oxford révisée, à parallèles, avec ses 2.690 pages, ne forme qu'un volume du poids d'environ deux kilos. Avec du papier ordinaire, il aurait fallu quatre ou cinq volumes.

Une autre Bible intéressante, c'est la Bible des deux versions, qui donne sur deux colonnes le texte de la version autorisée; dans deux marges latérales, le texte de la version révisée, pour tous les passages où elle diffère de l'autre; et, dans une colonne qui sépare les deux colonnes du texte, les parallèles. Cette Bible compte 1.416 pages avec l'index et les cartes. L'édition sur papier indien pèse 575 grammes! Cette édition coûte 27 francs. L'édition ordinaire, 8f 50.

La Bible la plus petite qui ait jamais été imprimée à Oxford est la Bible dite «Bible diamant», du nom du caractère qui a servi pour son impression. Elle compte 1.216 pages, plus cinq cartes. Elle mesure neuf centimètres de long, cinq centimètres de large, deux centimètres d'épaisseur, et pèse quatre-vingts grammes. Elle est imprimée sur papier indien, cela va sans dire. Prix : 8 francs.

On publie à Oxford une Bible plus petite encore, The Mite Bible, qui, avec ses 876 pages et ses 24 gravures hors texte, mesure moins de cinq centimètres de long, trois centimètres de large, un centimètre d'épaisseur, et pèse seize grammes. Elle coûte 3f 75. Cette Bible n'est pas imprimée, mais reproduite par la photographie (toujours sur papier indien), comme l'étaient, lors du siège de Paris, les documents dont les pigeons voyageurs emportaient la reproduction sous leurs ailes. Le texte en est si fin que seuls de très bons yeux peuvent le lire. Mais, dans une pochette pratiquée dans la couverture, se trouve une loupe de deux millimètres d'épaisseur, avec laquelle les yeux ordinaires peuvent lire sans effort. Une Bible comme celle-là eût fait le bonheur de nos pères, lors des persécutions, car elle eût été facile à cacher !

Mais le plus petit livre du monde, c'est un Nouveau Testament anglais de 419 pages, long de deux centimètres, large de dix-sept millimètres, épais de six millimètres, qui pèse moins de deux grammes. On l'appelle Midget New Testament. Prix: environ deux francs. Il est imprimé par les mêmes procédés que la Mite Bible. Ces volumes se trouvent chez David Bryce, à Glasgow. Véritables curiosités, ils montrent ce qu'on peut obtenir par la photographie et comme finesse de papier.

 

Collaboration imprévue de la Chine et de l'Inde — 2.000 ou 3.000 kilomètres parcourus pour imprimer une Bible. — La fameuse guinée. — En 400 langues. — L'angle «Amen»

L'imprimerie d'Oxford fond ses propres caractères. Elle emploie pour cela surtout le papier de plomb de vieilles boîtes à thé de Chine ou de l'Inde, soit parce que le plomb ainsi obtenu est exempt de soudures, soit parce qu'on se le procure sur place, ce qui évite les frais de transport. Il est curieux que l'Inde et la Chine fournissent ainsi l'instrument principal pour l'impression de la Bible!

La version autorisée anglaise contient, dit-on, 773.746 mots, et ces mots se composent de 3.566.482 lettres (*): Chaque lettre, naturellement, doit être prise séparément dans la casse et placée de même dans le composteur. En supposant que le composteur soit à environ un pied de la casse, la main du compositeur parcourt une distance de deux pieds pour chaque lettre, c'est-à-dire, sans compter les signes d'espacement, plus de 2.100 kilomètres avant que le volume soit achevé. Pour la Bible à parallèles, il faut environ deux millions de lettres de plus, ce qui élève la distance que doit parcourir la main du compositeur à plus de 3.200 kilomètres.

 

(*) Un Américain a consacré pendant trois ans huit heures par jour à compter les versets, mots et lettres de la Bible. Il a trouvé 31.175 versets, 773.692 mots, 3.566.450 lettres, et 6.855 fois le nom de Jéhova.

 

Dans un si long parcours, il est facile de faire un faux pas ou deux! À qui doit aligner trois millions et demi de lettres, on passera volontiers quelques erreurs. Mais les imprimeurs de la Bible d'Oxford visent à une correction absolue. Une faute d'impression, dans un livre ordinaire, est une faute, mais, dans une Bible, c'est pour l'imprimeur une sorte de déshonneur. Ce sentiment provient sans doute d'un respect jaloux pour le texte sacré, peut-être aussi est-il un héritage du passé, de ces jours où la Bible se copiait à la main.

Alors, malgré leur application, les scribes ne commettaient que trop de fautes. Heureux quand l'erreur n'était pas imputable à la tendance doctrinale du copiste!

Une récompense d'une guinée est accordée par l'imprimerie d'Oxford (et non par la Société Biblique britannique, à laquelle on la demande souvent par erreur) à quiconque signale le premier une faute d'impression dans une Bible sortie de l'imprimerie. Mais quoique des centaines d'yeux exercés soient continuellement occupés à éplucher ces Bibles, il ne se demande chaque année qu'environ cinq guinées. La plus grande Bible publiée à Oxford, un bel in-folio pour la chaire, est réputée absolument indemne de toute faute d'impression. Dans la version révisée tout entière, on n'a découvert qu'une dizaine d'erreurs sans importance.

Ce qui permet d'arriver à un tel degré d'exactitude, c'est d'abord l'habileté du compositeur, et c'est ensuite le soin extrême avec lequel sont corrigées les épreuves. Chaque édition est relue au moins cinq fois avant d'être livrée au public. De plus, chaque édition nouvelle est imprimée d'après l'exemplaire d'une édition plus ancienne, de sorte que le compositeur révise l'ancienne tout en préparant la nouvelle.

Le compositeur ne doit pas nécessairement connaître la langue dans laquelle il imprime. Il imprime alors comme s'il travaillait à quelque jeu de patience compliqué. Mais il en est autrement du correcteur. La salle des corrections à Oxford est probablement la plus polyglotte des salles de corrections du monde entier. Aucune traduction, en quelque langue que ce soit, n'est jamais l'objet d'une fin de non recevoir. L'imprimerie d'Oxford imprime la Bible, en tout ou en partie, en un grand nombre de langues ou dialectes, outre l'anglais. Elle imprime beaucoup pour la Société biblique britannique.

Quant à la reliure, ce ne sont que les éditions petit format et bon marché qui sont reliées sur place. Les autres sont reliées à Londres. Une fois achevés, les volumes sont déposés au magasin central à Londres, qui se trouve à Paternoster Row, à l'angle «Amen» (un nom bien approprié!), d'où ils sont envoyés dans toutes les parties du monde à raison d'un million par an ou plus. Pour l'Amérique seulement, il part chaque semaine de Londres cinq tonnes et demie de Bibles anglaises.

Ainsi, à tous les points de vue, la Bible est bien le livre-roi.