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EUSÈBE DE CÉSARÉE
Préparation évangélique LIVRE III Relu, corrigé et mis en page Si vous désirez le texte grec d'un paragraphe, cliquez sur le paragraphe.
LIVRE TROISIÈME.
Nous venons de voir ce que pensaient de la théologie des Grecs, tant les plus grands philosophes, que les premiers fondateurs de l'Empire romain. Ainsi, il est évident qu'ils n'admettaient pas dans les fables qui concernent les dieux, ces allégories physiques, non plus que tout ce merveilleux imaginé pour en imposer aux hommes et les tromper. Mais, puisque la suite de ce traité nous a conduit à réfuter ce système des allégories, allons plus loin, et voyons donc ce qu'il y a de si imposant et de si digne de la Divinité dans ces théories et ces interprétations arbitraires. Ici encore nous ne parlerons pas nous-même; nous citerons textuellement les auteurs grecs : c'est d'eux-mêmes que nous voulons apprendre les secrets et les merveilles de leurs mystères.
On ne manque pas aujourd'hui
de ces hommes qui prétendent au titre de philosophes, et qui ne se
sont épargné ni peines ni travaux pour créer sur la mythologie
grecque des systèmes tous différents les uns des autres, chacun
donnant pour le vrai absolu ses propres jugements et ses propres
opinions. Pour moi, je me contenterai de rapporter, pour preuves de
ce que j'ai avancé, les opinions des plus célèbres philosophes
anciens, de ceux qui sont les plus connus et qui se sont fait un nom
dans la philosophie, chez les Grecs. Citons d'abord Plutarque de
Chéronée : rapportons ses propres paroles au sujet de la question
présente, et nous verrons quel appareil de raisonnements il déploie,
pour contourner le sens des fables dans lesquelles il prétend
trouver une théologie mystérieuse. Ainsi, dans ses interprétations,
Bacchus n'est autre chose que l'ivresse: ce n'est plus cet homme
dont l'histoire fait mention et dont nous avons parlé plus haut.
Junon, qui préside aux mariages, n'est réellement que l'union
conjugale de l'homme et de la femme. Ensuite, oubliant sans doute
l'interprétation qu'il vient de donner, il invente une autre
histoire, dans laquelle Junon n'est plus ce que nous venons de voir,
mais bien la terre. Latone, c'est l'oubli et la nuit. Ailleurs,
Junon est la même que Latone. Jupiter, selon lui, n'est qu'une
allégorie de l'air et de ses propriétés. Mais à quoi bon ce
préambule? Écoutons plutôt le philosophe lui-même, dans l'ouvrage
qu'il a écrit sur les Dédales de Platée, et dans lequel il révèle
les allégories mystérieuses de la religion inconnues au vulgaire.
De la théologie naturelle des Grecs. « L'ancienne théologie des Grecs était, dit-il, une sorte de culte naturel enveloppé de fables, une théologie mystérieuse voilée sous des énigmes et des allégories. Pour la multitude, les choses qui frappent les sens sont plus à sa portée que celles qui demeurent cachées sous le voile du mystère, mais celles-ci lui imposent davantage. Ce caractère du culte ancien, nous le trouvons dans les poésies d'Orphée et dans la mythologie égyptienne et phrygienne. C'est particulièrement dans les cérémonies des initiations et dans les rites symboliques en usage dans les sacrifices, que se révèle dans tout son jour la pensée des anciens. Ainsi, par exemple, pour ne pas nous écarter de notre sujet, ils sont tellement persuadés qu'il ne peut y avoir rien de commun entre Bacchus et Junon, qu'ils veillent avec le plus grand soin à ce que les fêtes de ces deux divinités ne soient point confondues. De là vient qu'à Athènes, les prêtresses de Junon, lorsqu'elles se rencontraient, usaient d'une formule de salut qui consistait à interdire absolument le lierre dans le temple de Junon : et ce n'était point par un sentiment de vaine et frivole jalousie, mais c'est que la déesse, présidant aux noces et aux fêtes nuptiales, l'excès du vin sied mal à de nouveaux époux, et un festin nuptial ne doit jamais donner le spectacle de l'ivresse. C'est ce qu'enseigne Platon. L'excès du vin, dit-il, produit dans l'âme et dans le corps un désordre qui devient un obstacle à la fécondité, fin première du mariage. C'est pour la même raison que dans les sacrifices de Junon on ne lui offre pas le fiel de la victime, mais on l'enfouit au pied de l'autel, pour marquer que la société conjugale doit être exempte de courroux et de ressentiment, étrangère à tout sentiment de colère et d'amertume. C'est surtout dans les fables populaires que l'on trouve ces histoires symboliques. Ainsi on raconte que dans le temps que Junon encore jeune était élevée dans l'île d'Eubée, elle fut enlevée par Jupiter : le dieu la transporta dans un endroit où le Cithéron leur offrit une grotte obscure ou la nature elle-même semblait leur avoir préparé une retraite. Macris, nourrice de Junon, se mit à sa recherche, et comme elle ne voulait laisser aucun endroit de l'île sans le scruter, Cithéron s'opposa à sa sollicitude, et ne lui permit pas de pénétrer dans la grotte, sous prétexte qu'il ne fallait pas troubler les communications de Jupiter avec Latone, qui y avaient lieu en ce moment. Macris ne poursuivit donc point ses recherches, et Junon, que cette ruse avait dérobée aux yeux de sa nourrice, voulant dans la suite en témoigner sa reconnaissance à Latone, ordonna qu'on les honorât toutes deux dans un même temple et sur un même autel. De là les sacrifices de Latone appelés Mychia, d'autres disent Nychia : mais quel que soit celui des deux noms, ils indiquent l'un et l'autre quelque chose de secret et de mystérieux. D'autres disent que c'est Junon elle-même qui, dans ses amours avec Jupiter, donne à Latone le nom de Nocturne. Or. lorsque l'alliance de Jupiter et de Junon ne fut plus un mystère et qu'il fut devenu impossible de cacher les suites du commerce qu'elle avait eu au Cithéron, près de Platée, on lui donna l'épithète de Parfaite et de Pronuba. Maintenant les partisans du sens figuré trouvent à celle-ci une explication moins obscène et plus conforme à la nature. Ils font de Junon et de Latone une seule et même chose: et voici de quelle manière. Junon est la terre comme nous l'avons déjà vu. Latone est la nuit parce que la nuit produit l'oubli (léthô) dans ceux qui se livrent au sommeil : or, la nuit n'est autre chose que l'ombre de la terre. Car lorsque la terre arrive vers le couchant, elle nous dérobe le soleil, et par l'interposition de sa masse elle produit l'obscurité. C'est elle aussi qui opère la décroissance de la pleine lune ; parce qu'à mesure que la lune tourne, l'ombre de la terre se projette sur sa lumière et finit par la faire disparaître entièrement. Nous avons encore une autre preuve que Junon est la même que Latone : la voici. Nous donnons à la fille de Latone le nom de Diane, mais nous l'appelons aussi Lucine. De même Junon et Latone ne sont que deux dénominations différentes de la même divinité. De plus, le fils de Latone s'appelle Apollon, et le fils de Junon : or, ces deux noms ont la même signification. Mars ou Arès tire son nom d'un mot grec qui signifie secourir, parce qu'il guérit les blessures reçues dans les luttes et les combats. Apollon est ainsi appelé d'un autre mot qui signifie délivrer, parce qu'il délivre les hommes des maux qui affligent leurs corps. Aussi les deux astres les plus éclatants, qui approchent le plus de la nature du feu, se nomment l'un Apollon, c'est le soleil, l'autre Mars, qui offre l'aspect d'un foyer allumé. D'ailleurs, il n'y a, certes, pas d'absurdité à faire une même divinité de la déesse qui préside aux noces et de la mère de Lucine et du soleil. Car la fin du mariage c'est la naissance des enfants : or, naître c'est passer des ténèbres à la lumière du soleil, selon ce que dit très justement le poète : « Lorsque la déesse qui préside aux douleurs de l'enfantement l'eut mis au jour et qu'il vit la clarté du soleil. » C'est avec raison que le poète nous met d'abord sous les yeux les douleurs de l'enfantement ; puis il fait consister la naissance à voir le jour. C'est donc la même déesse qui préside aux mariages, et qui veut que la fin en soit la naissance des enfants. Mais peut-être faut-il donner à cette fable un tour plus simple. Junon ne voulant plus, dit-on, habiter avec Jupiter, et se cachant pour éviter tout rapport avec lui, le dieu ne savait quel moyen employer pour la ramener : enfin, dans ses courses par le monde, il rencontra un homme de la contrée, nommé Alalcomène, qui lui donna le conseil de tromper Junon, en feignant de contracter un nouveau mariage. En conséquence, de concert, ils coupèrent secrètement un très beau chêne auquel ils donnèrent la forme d'une femme et des habits de mariée ; ils l'appelèrent Dédale; puis ils chantèrent l'hymne nuptial. Épithalame. Les nymphes, filles de Triton, préparent les bains ; la Béotie retentit des sons du chalumeau ; elles apprêtent leurs festins voluptueux. Junon ne peut tenir à la vue de tout cet appareil; elle quitte les sommets de Cythéron, suivie de femmes de Platée, et vole auprès de Jupiter, l'indignation et la jalousie sur le front. Mais, instruite de la ruse, soudain son cœur change; elle accueille la fraude avec grâce et hilarité, et se charge elle-même du soin de conduire la nouvelle épouse. Elle décerna des honneurs à la statue et donna à la fête le nom de Dédale. Cependant sa jalousie ne fut satisfaite que lorsqu'elle eut brûlé ensuite le bois inanimé. Voilà la fable; en voici le sens: La discorde, d'où résulte la désunion entre Jupiter et Junon, n'est autre chose que le combat et l'incompatibilité des éléments, lorsqu'ils ne sont pas contenus dans de justes proportions entre eux. Dans cet état d'anomalie et de collision, il se fait entre les éléments une guerre terrible qui menace de destruction tous les êtres. Si la cause du mal vient de Jupiter, c'est-à-dire de la chaleur ou de l'élément igné, la terre se consume de sécheresse. Si, au contraire, la cause se trouve dans quelque injure qui excite le courroux de Junon, c'est-à-dire l'élément de l'eau et du vent, la pluie tombe par torrents et envahit l'univers. Il sera arrivé vers ces temps-là quelque déluge semblable qui abîma particulièrement la Béotie; et du jour que les plaines reparurent, après que les eaux se furent retirées, la beauté que rendit à l'univers la sérénité du temps, fut attribuée à la réconciliation et à la bonne intelligence des dieux. La première production de la terre qui laisse apercevoir son sommet au-dessus des eaux, fut le chêne, arbre chéri des mortels, parce qu'ils trouvent en lui la subsistance et le salut. Car, ce n'est pas seulement pour les hommes pieux, mais en général pour tous ceux qui échappent au fléau, que la cime de cet arbre, comme le chante Hésiode, porte le gland et que son tronc sert de retraite aux abeilles. » Voilà ce que dit Plutarque, et d'après ce peu de paroles que nous venons d'extraire de son ouvrage, nous pouvons juger s'il y a vraiment dans cette célèbre et mystérieuse théologie des Grecs, rien qui soit digne de la grandeur de la divinité, rien que l'on puisse convenablement offrir à la vénération. Ainsi, vous avez vu Junon d'abord déesse du mariage et symbole de l'union des deux sexes; vous l'avez vue ensuite devenir la terre, puis enfin l'eau. Vous avez aussi vu Bacchus devenir l'ivresse, Latone la nuit, Apollon le soleil. Jupiter lui-même l'élément du feu. Ainsi, pas plus que les fables elles-mêmes avec leurs absurdités, ce prétendu sens allégorique qu'on nous présente comme plus grave et fondé sur la nature, n'élève donc notre esprit jusqu'à un être céleste, intelligent, divin, jusqu'à une nature raisonnable, qui ne participe point à la grossièreté des corps; mais elle nous rabaisse toujours à des débauches, des obscénités, en un mot, à toutes les passions humaines, et elle réduit toutes les parties du monde au feu, à la terre, au soleil et aux autres éléments matériels, parce qu'elle ne reconnaît qu'en eux la divinité. Ce fait n'était pas ignoré de Platon: car dans son Cratyle, il affirme textuellement que les premiers hommes qui habitèrent la Grèce ne portèrent pas leurs connaissances au-delà des objets visibles, et que les seuls êtres en qui ils aient admis la divinité, furent les astres du firmament et les autres phénomènes. Voici comment il s'exprime à ce sujet: « Il me paraît démontré, dit-il, que les premiers habitants de la Grèce n'eurent pas d'autres dieux que les nations barbares, c'est-à-dire le soleil, la lune, la terre, les étoiles, le ciel. » Voilà pour la Grèce. Maintenant, arrêtons nos regards sur des fables qui remontent à une plus haute antiquité, celles des Égyptiens. On sait que leur Osiris était le soleil, Isis la lune, Jupiter l'air qui pénètre tout, et qu'ils avaient donné au feu le nom de Vulcain, à la terre celui de Gérés; qu'ils appelaient Océan, l'élément humide, et en particulier leur fleuve du Nil, auquel ils attribuaient l'honneur d'avoir donné naissance aux dieux; que Minerve n'était autre chose que l'air. Or, ces cinq dieux, savoir: l'air, l'eau, le feu, la terre et le vent, parcoururent l'univers et prirent diverses formes d'hommes ou d'animaux. Ces dieux prirent aussi des noms d'hommes que l'Égypte avait vus naître; ils appelèrent le soleil Saturne, Rhéa, Jupiter, Junon, Vulcain, Vesta. Manéthon en parle fort au long; mais nous citerons le récit plus succinct de Diodore de Sicile, qui s'exprime ainsi dans l'ouvrage auquel nous avons déjà emprunté quelques extraits. De la théologie allégorique des Égyptiens. « Ces deux divinités, dit-il, le soleil et la lune, que les Égyptiens appellent des noms d'Osiris et d'Isis, régissent tout l'univers, et dispensent à tous les êtres la nourriture et l'accroissement. Leur action est modifiée de trois manières, qui forment les trois saisons : le printemps, l'été et l'hiver; et ces trois saisons accomplissent leur cours par une succession réelle, mais insensible. Quoique d'une nature différente l'une de l'autre, elles forment par leur concours cette admirable harmonie dont se compose l'année. La plus puissante influence de ces deux divinités se manifeste dans la fécondité des animaux : dans le soleil, c'est l'élément igné combiné avec le vent; dans la lune, c'est l'élément humide combiné avec une substance solide; l'un et l'autre contiennent de l'air : c'est d'eux que toutes choses reçoivent la naissance et l'aliment. Ainsi, toute la masse des corps qui composent l'univers, subsiste par le soleil et la lune, et tout cet univers se réduit aux cinq éléments que nous venons de reconnaître, savoir : le vent, le feu, l'élément solide, l'élément humide et l'air. De même que le corps humain se compose de la tête, des mains, des pieds et d'autres membres que nous y voyons, de même l'universalité des êtres est le résultat de ces cinq éléments. Or, les premiers habitants de l'Égypte qui eurent un langage articulé, firent de chacun de ces éléments une divinité à laquelle ils donnèrent une dénomination particulière, d'après ses propriétés essentielles. Ainsi, le vent ou le souffle fut appelé Jupiter, parce que, d'après son étymologie, ce mot signifie père. Or, le souffle étant le principe de la respiration chez les animaux, cet élément fut à leurs yeux le principe de tous les êtres. Le plus renommé des poètes de la Grèce paraît avoir partagé ce sentiment, puisqu'il appelle ce dieu le père des dieux et des hommes. Ensuite ils ont personnifié le feu en lui donnant le nom de Vulcain, parce qu'il était à leurs yeux un dieu puissant, dont l'action contribuait le plus puissamment à la production et à l'entier développement des êtres. Pour la terre, comme elle était à leurs yeux une sorte de vase où prenaient naissance tous les végétaux, ils lui donnèrent le nom de mère, et par un léger changement introduit par la succession du temps, les Grecs en ont fait Déméter ou Cérès : dénomination évidemment dérivée de celle qui lui était donnée dans le principe; car on l'appelait la terre mère, ou Gê mêtêr, comme on le voit dans ce vers d'Orphée : La terre, mère de toutes choses, ou Déméter, source des richesses. L'élément humide, les anciens l'appelèrent Océan, mot qui signifie mère de la nourriture. Quelques Grecs lui ont aussi donné ce nom, car nous lisons dans un poète: L'Océan, père des dieux et Téthys, leur mère. Or, pour les Égyptiens, l'Océan, c'était leur fleuve du Nil, duquel ils faisaient venir tous les autres dieux. En effet, de toutes les parties de la terre, l'Égypte est celle qui compte le plus grand nombre de villes bâties par les anciens dieux : ainsi, elle a les villes de Jupiter, du Soleil, de Mercure, d'Apollon, de Pan, de Lucine, et de plusieurs autres dieux. L'étymologie du mot Minerve leur fit donner ce nom à l'air; ils l'ont faite vierge et fille de Jupiter, parce que, de sa nature, l'air est impérissable et occupe les régions les plus élevées du monde. C'est aussi ce qui explique pourquoi la fable la fait naître du cerveau de Jupiter. On lui donne aussi le nom de Trigène, parce que l'air prend un aspect différent à chacune des trois saisons de l'année, au printemps, dans l'été, et dans l'hiver. On l'appelle encore Glaucopée, non pas comme l'ont entendu quelques Grecs, parce qu'elle a des yeux bleus, sens qui serait d'une excessive simplicité, mais parce que l'air paraît à nos yeux sous une couleur azurée. Les Égyptiens racontent que les cinq dieux parcourent la terre, apparaissant aux hommes sous diverses formes d'animaux; quelquefois aussi, ils empruntent une forme humaine ou quelque autre apparence : et ce n'est point là, disent-ils, une assertion fabuleuse, mais très vraisemblable, puisqu'ils sont en réalité les principes de tous les êtres. Aussi le poète ayant abordé en Égypte, fut initié à ces doctrines par les prêtres du pays; et pour cela qu'il raconte dans un endroit de ses poésies, ce fait comme authentique : Les dieux révèlent mille formes diverses, et, sous ces formes empruntées, ils ont coutume de parcourir nos villes pour s'assurer par leurs yeux des vices et des vertus des hommes. Telles sont les croyances des Égyptiens au sujet des dieux célestes, c'est-à-dire des dieux auxquels ils attribuent une existence éternelle. Ils prétendent qu'ensuite ces dieux primitifs donnèrent naissance aux dieux terrestres. Ceux-ci furent d'abord de simples mortels ; mais le bon usage qu'ils firent de leur intelligence, et les bienfaits dont le genre humain leur fut redevable, leur méritèrent les honneurs de l'immortalité. Plusieurs de ces dieux du second ordre régnèrent en Égypte. En remontant à l'étymologie de leurs noms, on voit que plusieurs portèrent les mêmes que les dieux célestes ; les autres, au contraire, reçurent des dénominations particulières : le Soleil, Saturne, Rhéa. Jupiter quelquefois aussi nommé Ammon ; Junon, Vulcain, Vesta et Mercure. Le premier qui régna sur l'Egypte, fut le Soleil, ainsi appelé du nom de l'astre du jour.» Nous ne continuerons pas d'avantage de citer notre auteur ; mais voyons ce que dit Plutarque dans son ouvrage sur Isis : « Parmi ceux, dit-il, qui prétendent avoir imaginé une philosophie plus subtile, examinons le sentiment de ceux qui donnent des interprétations plus simples. De même qu'il y a chez les Grecs des philosophes qui enseignent que Saturne est un personnage allégorique qui représente le temps, et que la naissance de Vulcain est simplement l'inflammation de l'air ; de même aussi chez les Égyptiens, les philosophes dont nous parlons disent qu'Osiris est le Nil qui s'unit à Isis, c'est-à-dire à la terre, que Typhon, c'est la mer au sein de laquelle le Nil va se perdre. » Voilà ce que nous trouvons dans Plutarque, avec plusieurs choses de ce genre. Puis il applique aux démons les fables de tous ces dieux, donnant tantôt une allégorie, tantôt une autre. Mais cette explication nous met en droit de demander à tous ces philosophes, partisans du sens allégorique dans les fables, de quels dieux ils prétendent conserver les images. Sont-ce les images des démons, ou bien, celles du feu, de l'air, de la terre, de l'eau, ou ces simulacres représentent-ils des hommes ou des animaux sans raison? Car ils avouent que leurs dieux sont des mortels qui portèrent le nom du soleil ou de quelqu'un des éléments, et qui ont été divinisés. De quel nom faudra-t-il donc appeler ces images et ces figures représentées par les idoles inanimées? Sera-ce les idoles des éléments, ou bien, comme leur forme le témoigne clairement, les idoles d'hommes que la tombe a engloutis ? Qu'ils nous le disent. Mais quelle que soit leur réponse, la vérité est là qui semble emprunter une voix pour crier et proclamer bien haut que les dieux qu'ils honorent furent de misérables mortels ; et Plutarque ne nous laisse aucun doute à ce sujet, lorsque, dans son ouvrage sur Isis et les divinités égyptiennes, il nous trace ainsi en passant le portrait de leurs corps : « Les Égyptiens racontent, dit-il, que Mercure avait un bras plus court que l'autre, que le teint de Typhon était fauve, celui de Mars blanc, celui d'Osiris noir : preuve qu'ils furent hommes. » Ce sont les expressions de Plutarque. De là il résulte que tout le culte des Égyptiens consiste à honorer des hommes divinisés après leur mort ; et que les allégories qu'ils veulent nous faire voir dans ce culte sont purement imaginaires et inventées gratuitement. A quoi bon, en effet, des statues d'hommes et de femmes, pour honorer le soleil, la lune et tous les éléments, quand on a sous les yeux ces éléments eux-mêmes, pour leur offrir un culte. Puis, nous diront-ils, lesquels les hommes ou les éléments, ont eu la priorité dans ses dénominations. Ainsi, Vulcain, Minerve, Jupiter, Neptune, Junon ont-ils été dans le principe des noms d'éléments, appliqués plus tard aux hommes que nous en voyons revêtus ? Ou bien, sont-ce des hommes ainsi appelés qui ont ensuite prêté leurs noms à ces éléments ? et d'ailleurs à quoi bon ces dénominations d'hommes mortels, données aux éléments du monde ? Ce n'est pas tout encore ; ces mystères particuliers à chaque divinité, ces chants, ces hymnes, ces initiations mystérieuses, en l'honneur de qui tout cela fut-il institué dans le principe ? Est-ce en l'honneur des éléments divinisés, ou en l'honneur des mortels qui portent les noms de ces divinités? Mais ces courses errantes, ces débauches, ces amours impudiques, ces violences dont les femmes furent les victimes, ces pièges tendus aux hommes, et mille autres horreurs de ce genre, aussi honteuses qu'abominables, de quel front irait-on les imputer aux éléments, quand elles portent si évidemment les caractères des passions humaines? C'est donc une chose incontestable que toute cette théologie allégorique, dont on élève si haut les graves et admirables enseignements, n'a pas même pour elle la vraisemblance, loin d'être fondée sur la vérité et de présenter quelque chose de divin ; et qu'elle ne repose que sur des interprétations forcées et mensongères. Voyons maintenant ce qu'écrivait à ce sujet Porphyre à un Égyptien nommé Ambon. Suite du même sujet, où nous prouvons que ces interprétations métaphoriques ne conduisent pas en résumé au-delà des astres du ciel, ni plus loin que l'eau, le feu et les autres parties du monde visible. « Chérémon et les autres, dit le philosophe, n'admettent rien au-delà des mondes visibles ; car au commencement de leurs ouvrages, ils ne citent pas d'autres dieux que ceux des Égyptiens ; c'est-à-dire les astres errants. Les signes du zodiaque et tous les autres corps célestes. Ils font aussi mention des honneurs qu'on rendait aux dix astres, aux étoiles qui présidaient aux naissances, et à celles qu'on appelle les chefs, et dont on trouve dans les almanachs les noms, les guérisons, le lever, le coucher, et les prédictions de l'avenir. C'est ce que Chérémon voyait, en effet, que tous ceux qui avaient fait le soleil auteur du monde, avaient appliqué tout ce qu'on raconte d'Osiris et d'Isis, avec toutes les fables sacrées, aux astres, soit à leur lever ou à leur coucher, soit aux différentes phases de la lune, soit au cours du soleil, soit à l'hémisphère du jour ou celui de la nuit, soit au fleuve Nil ; de sorte qu'ils rapportaient tout à des causes physiques, et non à des substances vivantes et incorporelles. Plusieurs aussi ont tellement fait dépendre tout ce qui a rapport à nous, du mouvement des astres, qu'ils ont attaché notre sort comme par des liens indissolubles à une sorte de nécessité qu'ils appellent la destinée, mettant tout sous la puissance de cette divinité. Aussi ils n'ont des temples, des statues, un culte que pour ceux qui savent briser les liens de la fatalité. » Voila ce que nous voulions citer de la lettre de Porphyre. II suffira, ce me semble, pour faire voir clairement que la théologie mystique des Égyptiens ne reconnaissait pas d'autres dieux que les astres du firmament, les étoiles fixes et les planètes ; qu'elle n'attribuait la création de l'univers ni à un être incorporel et raisonnable, ni à un Dieu, ni à plusieurs dieux, ni, en un mot, à quelque puissance spirituelle et intelligente, mais uniquement au soleil visible. Aussi, comme ils plaçaient uniquement dans les astres la cause de toutes choses, ils admettaient en tout une invincible fatalité résultant du cours et du mouvement des corps célestes : opinion qui est encore aujourd'hui en vigueur chez eux. Ainsi, d'un côté, les Égyptiens, dans leurs interprétations allégoriques, ne voient que les éléments et les corps visibles; jamais ils ne s'élèvent jusqu'à un être vivant et incorporel; d'un autre côté, tous ces éléments et ces corps visibles d'après leur propre constitution, sont sans vie, sans raison, caducs et périssables. Voyez donc à quel degré d'abaissement leur théologie s'est ravalée en divinisant des êtres insensibles, des corps sans âme et sans vie, et ne sachant pas s'élever jusqu'à l'idée d'un être intelligent et incorporel, d'une intelligence et d'une raison créatrice de l'univers. Nous avons déjà prouvé que les Grecs ont emprunté leur théologie aux Égyptiens; il nous reste à faire voir que notre assertion est vraie, même pour le point qui nous occupe maintenant, et que leurs idées sont en rapport avec celles des Égyptiens, particulièrement en ce que, comme eux, ils n'ont attribué la divinité qu'à des êtres matériels. Or, nous venons de prouver, par l'extrait de l'auteur que nous avons cité, que les plus augustes divinités des Égyptiens n'étaient pas autre chose. Et le même auteur nous en fournira encore une nouvelle preuve ; car nous lisons dans le traité qu'il a composé sur l'obligation de s'abstenir de la chair des animaux : « Cette étude sur la nature divine et leur familiarité avec les dieux, les ont conduits à penser que la divinité n'avait point fixé son séjour uniquement dans l'homme ; que l'homme n'était pas seul en possession d'être la demeure de l'esprit divin, mais que la plupart des animaux avaient le même honneur. Aussi ils ont admis les animaux dans la catégorie de leurs dieux ; ils y ont fait entrer indistinctement des hommes, des animaux terrestres, des oiseaux ; car on rencontre chez eux des statues où la forme humaine règne dans toute la partie inférieure jusqu'au cou qui est couronné par une tête d'oiseau, de lion, ou de quelque autre animal. Dans d'autres, au contraire, une tête humaine surmonte un corps qui a la forme d'un animal, soit dans ses parties supérieures, soit dans ses parties inférieures. Ils veulent montrer par là que, par une volonté divine, les animaux vivent en société avec nous ; et que ce n'est pas sans une providence des dieux que les animaux sauvages s'apprivoisent et se familiarisent avec nous. Aussi ils rendent les honneurs divins au lion, et les divisions de leur territoire qu'ils appellent nomes, sont désignées par des noms d'animaux : l'une porte le nom de Léontopolis, une autre de Busirétis, une troisième de Cynopolis. Ils prétendent par là rendre hommage à la puissance souveraine que chacun des dieux exerce sur toutes choses. Ils révèrent l'eau et le feu comme les principaux des éléments, et la première source de notre conservation : on en voit la preuve dans leurs cérémonies religieuses. Ainsi à l'ouverture du temple de Sérapis, il se fait une sorte d'expiation par l'eau el le feu. Celui qui préside aux chants sacrés fait une libation d'eau et allume du feu, en se tenant sur le seuil du temple, d'où il appelle le dieu dans la langue primitive des égyptiens. Tout ce qui a quelque rapport aux choses sacrées est pour eux un objet de vénération, et cette vénération croît en proportion de la part qu'ont les substances dans les sacrifices. A ce titre, aucun être animé n'est excepté de ce culte ; car ils vont jusqu'à offrir des sacrifices et immoler des victimes en l'honneur d'un homme dans le village d'Anabis. Celui qui est l'objet de la cérémonie peut manger quelque temps après, mais seulement les choses qui conviennent à sa nature d'homme. Ils défendent donc d'user de la chair des animaux, comme de la chair humaine. Leur sublime sagesse et leur commerce avec la divinité les ont mis à la portée de reconnaître que certains animaux sont préférés aux hommes dans l'esprit des dieux. Ainsi, on sait la prédilection du soleil pour l'épervier, parce que la substance de cet oiseau est toute de sang et d'air; puis aussi, parce qu'il est plein de compassion pour l'homme, qu'il pleure sur son cadavre et le recouvre de terre. » Un peu plus loin, il ajoute: « L'escarbot n'inspire que de l'horreur à l'homme qui ignore les choses divines ; mais les Égyptiens voient en lui l'image vivante du soleil, et lui offrent leurs hommages. L'escarbot n'a point de femelle ; il dépose son germe dans un endroit fangeux, en fait de petits globules qu'il jette sur son dos, au moyen de ses pieds de derrière et attend l'accomplissement d'une lunaison. Ils savent aussi certaines particularités sur le bélier, sur le crocodile, sur le vautour, l'ibis et en général sur quelque animal que ce soit. Et cette religieuse vénération qu’ils professent pour les animaux n'a pu leur être inspirée que par leurs lumières ou plutôt pur une sagesse toute divine. » Toutes ces extravagances portent en elles-mêmes le caractère de leur condamnation. Nous venons de voir un exposé de la belle théologie des sages de l'Égypte : notre auteur nous y révèle leurs mystères : il nous apprend qu'ils révèrent l'eau et le feu; qu'ils n'admettent pas de différence entre les brutes et les êtres raisonnables, entre les corps et les âmes, et il approuve le culte divin qu'ils rendent aux animaux. Cependant n'est-ce pas vraiment le comble de la folie, que d'élever jusqu'à la nature divine, des êtres sans raison, des animaux sauvages, sous prétexte qu'ils ont une âme aussi bien que les bêtes? Il faudra donc aussi leur donner le nom d'hommes et leur faire partager la considération que mérite la nature humaine. Cependant ils ne le font pas. Les êtres qui participent à la nature et au nom des animaux, ils ne croient pas devoir les honorer du nom d'hommes, ni avoir pour eux les égards dus à la nature humaine. Mais le nom auguste du Roi de l'univers, du Dieu Créateur de toutes choses, ils l'avilissent jusqu'à le prostituer à des brutes; ils n'ont pas honte d'appeler des dieux ceux que le créateur n'a pas même voulu appeler des hommes. Vous avez aussi été initiés aux secrets de cette sagesse prétendue divine qui inspire aux admirables philosophes de l'Égypte un si profond respect pour le loup, le chien, le lion ; vous avez appris les merveilleuses perfections de l'escarbot, les qualités de l'épervier. Gardez-vous toutefois de rire; car ce n'est pas de l'hilarité, ce sont des larmes de compassion que doivent exciter l'aveuglement et la folie du pauvre genre humain. Pesez aussi attentivement, et voyez de quels biens nous sommes redevables à Jésus-Christ, ce Dieu de bonté, qui est venu nous délivrer, nous aussi bien que les peuples de l'Égypte, d'un si terrible fléau, en dissipant par la lumière de son Évangile ces antiques et profondes ténèbres. Déjà, en effet, la plupart des Égyptiens goûtent les fruits de cette heureuse délivrance. Que nous avons eu raison de préférer l'unique vraie théologie aux explications allégoriques des philosophes sur la nature des dieux. Telles étaient en effet les fables reçues chez les Égyptiens, fables qui passent pour beaucoup antérieures à celles des Grecs. Vous connaissez donc maintenant, et la théologie fabuleuse, et la théologie allégorique des Grecs et des Égyptiens, les premiers inventeurs des superstitions du polythéisme. Vous avez pu vous convaincre qu'ils n'ont pas la plus légère idée d'une nature vraiment divine, spirituelle et intelligente. Cependant, pour accorder à tous ces menteurs de systèmes imaginaires tout ce qu'ils peuvent nous demander, supposons un instant qu'il y ait de la vérité dans leurs allégories physiques : que le soleil soit, à leur gré, tantôt Apollon, tantôt Horus, tantôt Osiris ou quelque autre chose qu'il leur plaira de supposer; que la lune soit Isis, Diane ou toute autre déesse quelconque; admettons tant qu'il leur plaira que ce ne sont point là des noms d'hommes, que ce sont uniquement les astres du ciel personnifiés, il nous faudra donc adorer comme des dieux le soleil, la lune, les étoiles et toutes les autres parties du monde visible. C'est donc là que va aboutir cette belle philosophie, des Grecs, qui présente ses interprétations allégoriques comme un moyen d'élever bien haut ses pensées, et qui au contraire fait descendre si bas l'âme du sage, qu'elle ne lui montre un Dieu que dans les créatures visibles; qu'elle ne voit point la nature divine au-delà du feu et des substances qui en partagent la nature, des différentes parties du monde, des globes célestes ou, si vous voulez, de l'élément humide ou de l'élément solide ou de la formation des corps. Après cela qui n'admirerait la grandeur de l'Évangile de notre Dieu et Seigneur Jésus-Christ qui enseigna à tout le genre humain à révérer le Dieu souverain du soleil et de la lune, le Créateur de tout l'univers ; à l'honorer par des sentiments dignes de la majesté du plus grand et du plus élevé de tous les êtres; à louer non pas des éléments matériels, mais le dispensateur de la vie, de la nourriture et de tous les biens ; à trembler non pas devant Ies parties du monde visible, ni rien de tout ce que les sens corporels peuvent saisir, parce que tout cela est corruptible, mais devant une intelligence qui existe invisiblement partout, qui a créé tout l'univers avec chacune de ses parties, à confesser cette unique puissance divine qui pénètre et organise toutes choses, cette nature incorporelle, spirituelle, ou plutôt indéfinissable et incompréhensible, qui se révèle dans ses œuvres, qui pénètre tous les corps, sans avoir elle-même de corps, qui environne toutes les créatures sans se confondre avec elles, qui manifeste l'immense puissance de sa divine opération, non seulement dans les choses du ciel, mais encore dans les choses terrestres, dans les éléments de l'univers et dans chacune de ses parties, qui nous surveille tous invisiblement et d'une manière imperceptible à nos sens; enfin qui gouverne le monde par les lois d'une sagesse ineffable. Maintenant que nous avons réfuté par cette longue suite de preuves celle prétendue théologie, tant celle que l'on appelle théologie, que celle dont les Grecs et les Égyptiens font vanité, comme étant plus élevée et plus conforme à la nature, nous avons à fixer notre attention sur les belles conceptions des modernes qui veulent aussi créer une philosophie. Ils ont pour système de combiner en un seul corps, et les doctrines théologiques des anciens, et celles que Platon imagina longtemps après, et qu'il appuya sur des raisonnements plausibles, au sujet d'une intelligence créatrice de l'univers, des substances incorporelles, d'une puissance spirituelle et raisonnable; mais leurs efforts n'ont servi qu'à épaissir les ténèbres qui environnaient les fables. Nous verrons dans le chapitre suivant avec quelle emphase elle est présentée, cette philosophie, par Porphyre. Quelles explications les philosophes modernes ont ajoutées à la théologie fabuleuse, pour en découvrir les principes. « Je parlerai, dit-il, aux initiés ; loin d'ici les plus profanes. Je montrerai que c'est à une inspiration de la sagesse divine que les hommes doivent l'idée de représenter Dieu et sa puissance par des images sensibles et en rapport avec ses organes, de donner une forme visible à ce qui est invisible de sa nature ; mais ces images sont seulement pour l'usage des yeux qui savent lire des choses divines dans les statues, comme dans les livres ; car aux yeux des ignorants, une idole n'est que du bois ou de la pierre, et je ne m'en étonne pas : c'est comme les gens grossiers qui ne voient dans une colonne qu'une pierre, dans des tablettes que du bois, dans un livre qu'un tissu de papier. » Après cet exorde emphatique, il continue ainsi : « L'essence divine étant toute lumière et habitant une atmosphère de feu, inaccessible, par conséquent, à toute intelligence occupée de choses mortelles, elle se révèle et se fait connaître par l'éclat des objets matériels, comme le cristal, le marbre de Paros, l'ivoire ; par l'or, elle donne une idée de sa substance de feu et de son incorruptibilité, car l'or est incorruptible. Il y en a aussi qui ont vu dans la pierre noire une image de sa nature inaccessible aux sens. On a donné aussi aux dieux une forme humaine, parce que la raison est un attribut nécessaire de la divinité. On les représente beaux, parce que la beauté la plus parfaite est leur partage. On leur a donné diverses formes, diverses attitudes, les uns assis, les autres debout, avec des vêtements différents les uns des autres ; on ne leur a pas donné à tous le même âge; on a donné à quelques-uns le sexe masculin, à d'autres le sexe féminin ; il y a des vierges, des jeunes gens ; d'autres sont unis par le mariage, tout cela pour établir les différences qui les distinguent. Ainsi le blanc est la marque distinctive des dieux célestes ; la forme sphérique est l'emblème exclusif du monde, du soleil, de la lune, quelquefois aussi de la fortune et de l'espérance ; le cercle et toutes les formes circulaires sont l'image de l'éternité, au mouvement du ciel et des zones qui y sont tracées. Les divisions du cercle représentent les phases de la lune ; les pyramides ou les obélisques sont les attributs du feu et par la même raison des dieux de l'Olympe. On a aussi consacré la forme conique au soleil, la forme cylindrique à la terre ; on a pris pour symbole de la fécondité de l'espèce humaine des signes qui la représentent. » Telles sont les paroles de cet admirable philosophe, chez lequel l'obscénité des choses le dispute à l'emphase des termes. Se peut-il concevoir quelque chose qui révolte plus la raison, que de donner comme une image de la lumière divine, une matière inerte, comme l'or ou l'argent, ou d'autres substances de ce genre, et de vouloir en faire l'emblème d'une nature céleste et éthérée. Et cependant ce sont bien là des inventions des philosophes modernes, auxquelles n'avaient pas même songé les anciens; car ces idoles matérielles dont on exalte si fort aujourd'hui le mérite, les premiers hommes les rejetaient absolument. Si vous en voulez la preuve, lisez ce que dit Plutarque dans un endroit de ses ouvrages que nous citons ici : De la confection des statues et des idoles chez les anciens. « L'érection des idoles ou simulacres des dieux est un usage qui paraît remonter fort loin dans les siècles; car nous voyons Eresichton ériger à Délos la première statue de bois en l'honneur d'Apollon, pour être portée dans ses fêtes solennelles. Nous voyons aussi dans le même temps les peuples de l'Attique élever à Minerve, protectrice de leur ville, une idole de bois, que les Athéniens conservent encore aujourd'hui avec un soin religieux.
Callimaque nous apprend encore que les habitants de Samos avaient
une idole de bois en l'honneur de Junon. . . Longtemps avant lui, Platon était persuadé qu'il n'y a rien de vénérable, rien qui soit en rapport avec la nature divine dans l'or, l'argent, la pierre, l'ivoire ou toute autre substance matérielle et inanimée ; car voici ce que nous lisons dans son livre des Lois. « La terre, dit-il, et le foyer domestique, voilà pour tous les hommes les vrais temples des dieux. Que personne ne s'imagine donc de leur en élever d'autres. L'or et l'argent qui brillent dans les autres villes, soit chez les particuliers, soit dans les temples, ne sont qu'un objet propre à exciter la convoitise ; l'ivoire venant d'un corps qui a perdu la vie n'est pas une offrande digne de la sainteté des dieux. Le fer et l'airain sont propres à faire des armes pour les combats. » Il y a là, ce me semble, de quoi renverser les fondements du système des allégories, tel que nous l'a exposé Porphyre. Cependant, poursuivons encore l'examen de ce système; citons encore textuellement son auteur. Suite de la théologie allégorique des Égyptiens et des Grecs. « Parcourez avec moi la théologie des sages de la Grèce : pour eux Jupiter est l'âme de l'univers; lorsqu'il l'a créé, il n'a fait que produire ce qui était en lui. Dans leurs livres qui traitent de la divinité, voici ce qu'ils nous ont transmis au sujet de Jupiter, et qu'ils ont puisé dans les poésies d'Orphée. Jupiter est le premier et le dernier; il est le maître du tonnerre : il est la tête et le centre, et tout a été produit de lui. Son sexe est à la fois celui de l'homme et de la vierge pure. Il est l'appui de la terre et de la voûte éthérée ; il est le roi souverain, le principe de vie de tous les êtres. Puissance unique, esprit unique, grand monarque de toutes choses, il possède dans son être royal, le feu, l'eau, la terre, l'air, la nuit et le jour, la sagesse qui a créé toutes choses, et l'amour des douces jouissances. Tels sont les attributs de la nature du grand Jupiter, qui sème dans le ciel comme une brillante chevelure d'or, des milliers d'astres lumineux. Deux cornes dorées ornent sa tête ; en lui se lèvent les astres du ciel, en lui ils se couchent après avoir parcouru leur orbite ; ses yeux sont le soleil et la lune qui brille de l'autre côté du firmament. Il est un esprit de vérité, un esprit royal et un air incorruptible ; il contient et gouverne toutes choses : une voix, un son, un léger bruit, une parole n'échappe pas à Jupiter, le puissant fils de Saturne. Sa tête est le siège d'une pensée immortelle ; un corps resplendissant, immense, inébranlable, robuste, aux membres vigoureux et puissants, voilà sa forme, avec de larges épaules, une poitrine spacieuse, des reins puissants. De ses épaules sortent des ailes qui le portent en tous lieux. Son ventre est la terre, mère de toutes choses, avec les montagnes aux sommets élevés ; au milieu est une ceinture formée de la mer aux vagues retentissantes ; les extrémités de ses pieds sont les fondements intimes de la terre, les régions ténébreuses du Tartare, les derniers abîmes de la terre. Son sein recèle toutes choses, et son action divine les produit à la lumière. Ainsi Jupiter est le monde entier, la vie des êtres animés, la divinité résultant de la réunion de tous les dieux : il est personnifié sous le nom de Jupiter, en tant qu'il est un esprit dont les pensées ont créé et mis au jour l'univers. Les philosophes qui traitèrent de la nature divine donnent une telle idée de Jupiter, qu'il était impossible de le représenter sous un emblème qui rendit tous ses traits tels que nous venons de les exposer, et si quelqu'un eut imaginé la forme sphérique, il aurait pu donner une idée de son immortalité, mais non pas de sa vie, de son intelligence, de sa providence. Aussi on a donné à Jupiter la forme humaine, parce qu'il est un esprit, et que c'est par la force productrice de cet esprit qu'il a créé et vivifié toutes choses. Il est assis, parce que cette attitude exprime l'immobilité de sa puissance ; ses parties supérieures sont nues, parce qu'il se manifeste dans les substances intellectuelles et les corps célestes ; ses parties inférieures sont voilées, parce qu'il est invisible dans les choses que recèlent les abîmes du monde. Dans la main gauche il porte un sceptre, parce que ce côté est le siège du cœur, l'organe qui tient le premier rang parmi toutes les parties du corps, à cause de la faculté de l'intelligence et de la raison : or, c'est par son intelligence créatrice qu'il gouverne le monde. Dans la droite, il tient, ou un aigle, pour indiquer qu'il domine les dieux du ciel, comme l'aigle domine les oiseaux des airs, ou un emblème de la victoire, comme vainqueur de tous les obstacles. » Voilà ce que nous lisons dans Porphyre. Après cet exposé, il ne sera pas hors de propos de nous arrêter quelques instants à examiner quel être nous font de Jupiter les poésies qu'il nous a citées. Pour moi l'idée que je m'en forme d'après ce tableau, c'est qu'il n'est autre chose que le monde visible, avec toutes les parties qui le composent ; d'abord le ciel avec les astres, qui sont comme la tête de ce grand corps ; ensuite l'air, la terre, la mer et tout ce qu'elles renferment. Or, la terre, les montagnes, les collines sont des parties du monde visible; au milieu d'elles, la mer comme une ceinture, le feu et l'eau, la nuit et le jour, sont aussi des parties du monde. Je ne crois donc pas me tromper en pensant que le Jupiter représenté dans ces vers d'Orphée n'est autre chose que l'univers visible, un tout composé de diverses parties ; car il dit : Tout est renfermé dans le vaste corps de Jupiter. Et si vous voulez savoir ce qu'il entend par le mot tout : C'est, dit-il, le feu, l'eau, la terre, l'air, le jour et la nuit. Sa tête aux traits radieux, c'est le ciel resplendissant d'astres lumineux, comme une brillante chevelure d'or. Et le reste que nous avons vu. Puis ensuite il affirme que l'esprit de Jupiter, c'est l'air: philosophie identique avec celle des stoïciens qui placent dans le calorique la raison, directrice du monde ; qui disent que Dieu est un corps, et que le créateur n'est autre chose que la force du principe igné ; car je vois la même pensée dans ces vers : Son esprit est un air pur, royal et incorruptible, qui contient et gouverne toutes choses. N'est-ce pas enseigner clairement que le monde est une sorte de grand animal, qu'il appelle Jupiter, dont l'esprit est l'air, et le corps tous les autres êtres qui composent l'univers. C'est donc là, vraiment, le Jupiter dont le tableau nous est tracé dans les vers d'Orphée. Interprète de la pensée du poète, notre philosophe commence par souscrire à cette doctrine, en ajoutant immédiatement : Jupiter est donc le monde entier, la vie dans les êtres animés, le dieu résultant de la réunion de tous les dieux, donnant ainsi à entendre que le Jupiter divinisé par les anciens et chanté dans ces vers n'est autre chose que ce monde visible. Or, dans la doctrine des Égyptiens auxquels Orphée avait emprunté sa théologie, lorsqu'il disait que Jupiter, c'est le monde entier, ce Jupiter est formé de la réunion de plusieurs dieux ; car nous avons vu qu'ils attribuent la divinité à chacune des parties du monde. C'est là uniquement le sens des vers d'Orphée. Cependant, non content de cette première interprétation, notre auteur en imagine une seconde toute gratuite. Le Dieu créateur de toutes choses, dit-il, est cette intelligence dont le poète avait parlé antérieurement. Mais comment l'auteur, Orphée de Thrace ou quelque autre que ce soit, aurait-il parlé d’un Dieu dont il n'avait même la première idée, puisqu'il avait puisé ses doctrines sur la divinité, chez les Égyptiens ou chez les anciens peuples de la Grèce. Or, ces peuples n'avaient jamais conçu ni confessé un Dieu, substance spirituelle: jamais ils n'avaient eu l'idée d'une intelligence invisible et incorporelle, s'il faut ajouter foi au témoignage de Platon; car nous avons vu que dans Cratyle il affirme que les premiers habitants de la Grèce n'eurent pas d'autres dieux que ceux qui sont reconnus encore aujourd'hui chez un grand nombre de peuples barbares, savoir le soleil, la lune, les étoiles, le ciel. Nous venons d'entendre aussi Chérémon attester que les premiers peuples ne connaissaient rien au-delà du monde visible, et que leurs seuls dieux étaient les planètes et les autres astres ; que pour eux tous les êtres se résumaient dans les diverses parties du monde, et qu'ils ne s'étaient jamais élevés jusqu'à l'idée d'une nature spirituelle et incorporelle. Réfutation de toutes ces allégories forcées. Où, comment et auprès de quel maître, je vous le demande, un poète élevé à une pareille école aurait-il puisé, pour l'exprimer dans ses vers l'idée d'un Dieu distinct de l'univers, d'un Dieu créateur du soleil lui-même, de la lune et des autres astres, du ciel et du monde entier? D'où lui serait venue cette connaissance d'un être incorporel ? Non, il faut l'avouer, il n'en avait aucune idée. En effet, cette intelligence créatrice lui aurait-elle donné pour tête le ciel, pour corps le feu, l'eau, la terre ? Ses yeux auraient-ils été le soleil el la lune? Aurait-il formé sa poitrine, ses épaules, ses reins, son ventre, d'un air compact ou de la terre avec les montagnes aux sommets élevés ? Qui comprendra jamais que l'air puisse être l'intelligence de l'auteur de toutes choses, l'esprit d'une substance créatrice de l'univers? C'est donc là une pure fiction du philosophe, interprète des vers d'Orphée : c'est un fait qui n'a pas besoin d'une plus ample démonstration. Pour moi, il me paraît avoir proféré le plus abominable blasphème, celui qui a dit que Dieu est un tout résultant des diverses parties du monde, et plus encore celui qui a dit que Dieu et le monde sont une même chose ; mais par-dessus tout celui qui a ajouté que l'âme du monde est le créateur de l'univers; car la vraie piété démontre que l'auteur et le conservateur du monde doit être quelque chose de distinct de son ouvrage. C'est une impiété qui ne saurait se soutenir, de faire du monde une sorte d'animal auquel on donne une âme répandue dans chacune de ses parties et enveloppée dans l'univers. Qu'il soit présent à tout; que sa Providence remplisse et gouverne le monde, je le conçois ; c'est l'enseignement de nos livres sacrés, où j'aime à lire ces sentences qui n'outragent pas du moins, elles, la nature divine : « Est-ce que je ne remplis pas, moi, le ciel et la terre, dit le Seigneur ? » Et dans un autre endroit : « Dieu est au ciel, en haut, et sur la terre en bas ; » ou bien encore: « En lui nous avons le mouvement, l'être et la vie; » en lui, mais non pas comme dans une partie du monde ou comme dans l'âme de l'univers. S'il était permis d'établir une comparaison entre cette théologie et celle que nous venons d'avoir sous les yeux, voyez comme nos Écritures sacrées contiennent une doctrine infiniment plus digne de la nature divine et plus frappante de vérité, lorsqu'elles disent explicitement: « Le ciel est mon trône et la terre, l'appui de mes pieds. » Si, en effet, pour s'accommoder à la portée du langage humain, il faut donner à Dieu une forme, voyez quelle différence dans la manière dont chacune des deux théologies l'exprime ; car qui dit trône, suppose évidemment au-dessus du trône, au-delà de tous les êtres un roi tout-puissant ; mais notre prophète n'exclut pas cependant la terre de l'attention de la Providence divine; il veut qu'on sache que cette puissance providentielle y exerce aussi son action, et c'est pour cela qu'il ajoute : « Et la terre est l'appui de mes pieds. » Mais gardons-nous de chercher dans ce trône l'idée d'un corps qui est assis, ou dans ces pieds qui s'appuient, l'idée de membres d'une substance corporelle. Quant à celui qui a dit que la tête de Dieu, c'est le ciel et tout ce qu'il contient; que son intelligence est l'air, que ses membres et son corps sont les diverses parties du monde, il est évident qu'il n'avait pas la moindre notion de Dieu, ni du créateur; car il ne se serait jamais formé lui-même, et il ne pourra jamais être appelé une intelligence, l'être dont l'intelligence est l'air. Quel Dieu, en effet, que celui qui est composé de la terre et des montagnes, masse inerte et sans raison ! Comment supposer la raison dans un Dieu qui participe à la nature et à l'origine du feu, de l'air, de l'eau, substances matérielles, corruptibles, incapables de raisonnement? S'il est vrai d'un côté que l'âme de Jupiter ne soit autre chose que cet éther dont on nous a tant parlé (or cet éther est un air plus raréfié qui occupe les régions supérieures et qui est de la nature du feu : il est ainsi nommé, dit-on, d'un mot qui signifie brûler), si d'un autre côté l'éther est un corps aussi bien que l'air, voyez ce que devient l'âme de votre Jupiter. Qui voudra jamais, à moins d'avoir perdu la raison, croire à un dieu dont l'âme est une substance sans intelligence : et pourtant telle est la nature de tout corps. Aussi, en parlant de Dieu, nous mettrons en principe les propositions précisément contradictoires à celles que nous avons citées. Nous disons qu'il n'est ni le ciel, ni l'éther, ni le soleil, ni la lune, ni l'armée des astres, ni en un mot le monde entier ; car ce ne sont là que des ouvrages sortis de la main d'un créateur; encore sont-ils même petits et bornés si vous les comparez aux substances intelligentes et incorporelles ; car tout corps est sujet à la destruction, outre que jamais la raison ne peut être son partage : c'est là la condition de tout être visible. Mais au-delà de ces objets sensibles, il est des natures intelligentes, immortelles, qui vivent de la vie éternelle et bienheureuse du Dieu souverain de l'univers : celles-là sont à une distance infinie de tous les êtres visibles. Il y a donc une haute raison dans ces paroles de nos livres sacrés, par rapport aux objets sensibles : « Je verrai les cieux, ouvrage de vos doigts, la lune et les astres dont vous avez placé les fondements. » Et ailleurs: « Vous avez posé au commencement, Seigneur, les fondements de la terre et les cieux sont l'ouvrage de vos mains. » Ou bien encore : « Levez vos regards au-dessus de vous, et voyez quel est celui qui a exposé toutes ces choses à nos yeux. » Mais c'est assez sur la première interprétation donnée aux vers d'Orphée par notre auteur; passons maintenant à ce qui suit. C'est, dit-il, parce qu'il était impossible de représenter Jupiter avec les caractères tracés dans les vers d'Orphée, qu'on lui a donné la forme humaine, parce qu'il est un esprit et que c'est par la force productrice de cet esprit qu'il a créé et perfectionné toutes choses. Quoi ! il était impossible de faire de Jupiter une image qui le représentât tel que Orphée nous le dépeint et il nous le représente comme composé des différentes parties du monde visible, du ciel et des choses qu'il contient, de l'air, de la terre et des choses qu'on y voit I Mais s'il est impossible de représenter Dieu sous un emblème exprimant la réunion de toutes les parties du monde visible, parce que Dieu est un esprit, comment a-t-on pu lui donner une forme quelconque? Est-ce qu'il y aurait dans la forme du corps humain qu'on lui a donnée quelque chose de plus en rapport avec l'esprit de Dieu? Pour moi, je ne vois pas même de rapport entre cette forme et l'âme humaine; car celle-ci est incorporelle, incomplexe, simple, tandis que la statue est l'ouvrage grossier d'un forgeron, représentant un corps mortel, idole sourde et muette, formée d'une matière sans âme et sans vie, à l'image d'une chair vivante. J'avoue que l'âme humaine, esprit doué de raison, immortel, impassible, me semble avoir une vive ressemblance avec Dieu, en ce sens qu'elle est comme lui une substance immatérielle, incorporelle, intelligente, raisonnable, capable de vertu et de sagesse. Si donc il se trouvait un artiste assez habile pour me représenter la forme de l'âme humaine dans une image ou une statue, je croirais aussi à cet artiste le pouvoir de peindre une nature supérieure. Mais s'il est vrai que l'âme humaine n'a ni forme, ni apparence, ni figure, et que par conséquent la parole ne la peut exprimer, ni les sens la saisir, quel est l'homme assez insensé pour prétendre qu'une idole de forme humaine puisse jamais être l'image du Dieu suprême? Non, la nature divine, n'ayant rien de commun avec la matière corruptible, ne se manifeste qu'aux âmes pures qui la contemplent dans le silence de la pensée. Mais le Jupiter visible, que nous représente l'idole à forme humaine, n'est rien autre chose que l'image d'un homme mortel ; et que dis-je, encore d'un homme ? il lui manque pour cela la plus essentielle de ses conditions, puisqu'il n'y a pas en elle la plus légère trace de vie. Comment donc se pourrait-il faire que le Dieu suprême, cet esprit créateur de toutes choses, fût ce Jupiter d'airain ou d'ivoire inanimé? Quelle apparence que cet esprit, créateur du monde, soit ce Jupiter, père d'Hercule et de cette foule d'enfants que la fable donne à Jupiter, de tous ces hommes qui, après avoir payé à la mort le tribut commun, ont laissé à la postérité d'impérissables souvenirs de leur nature mortelle ; car les Phéniciens, les premiers qui se soient occupés de la nature divine, comme nous l'avons fait voir dans le premier livre de ce traité, nous ont transmis la mémoire d'un Jupiter phénicien d'origine, fils de Saturne, c'est-à-dire fils mortel d'un père mortel : l'Égypte revendique l'honneur d'avoir été sa patrie; mais les Égyptiens, d'accord en ce point avec les Phéniciens, en font toujours un mortel. Les Crétois montrent encore aujourd'hui son tombeau; troisième témoignage du même fait. Les Atlantiens et tous les peuples que nous avons vus jusqu'ici donner à Jupiter une place dans leur histoire, en font également un être mortel. Ils citent de lui des traits qui ne sont que d'un homme, et pas même d'un homme grave et dirigé par la sagesse; car on n'y trouve qu'infamies et turpitudes. Pour ceux qui introduisent dans les fables un sens plus élevé. Jupiter est tantôt la chaleur, le principe igné ; tantôt c'est le vent. Maintenant je ne sais comment ils en sont venus à en faire un esprit créateur de l'univers. Mais quel qu'il soit, je leur demanderai qu'ils me nomment son père, puis son aïeul; car tous les anciens théologiens, d'un commun accord, font Jupiter fils de Saturne, et nous venons de voir Orphée lui-même l'appeler le puissant fils de Saturne : or Saturne était fils d'Uranus. Je leur accorde donc que Jupiter soit le Dieu suprême, l'esprit créateur de toutes choses : mais toujours je demanderai quel fut son père : Saturne, diront-ils. Et son grand-père Uranus. Mais si Jupiter, comme créateur de toutes choses, est le premier de tous les dieux, il fallait citer ceux qui vinrent après lui et auxquels il donna l'être; car ou bien Saturne n'est autre chose que le temps et Uranus le ciel qui donna naissance au temps, ou bien Uranus est vraiment un homme, père de Saturne et antérieur au temps : dans l'un et l'autre cas, le Dieu qui est la cause première, le créateur de toutes choses, existait sans doute auparavant : donc Jupiter n'est plus qu'à la troisième génération depuis le ciel. Comment donc maintenant cet esprit, créateur de toutes choses, n'est-il placé qu'au troisième rang dans les généalogies des Égyptiens, des Phéniciens, des Grecs et des philosophes. L'hypothèse forgée par notre philosophe se détruit donc d'elle-même : elle tiendra bien moins encore après ce qu'il ajoute ensuite. Réfutation péremptoire des doctrines des Grecs. « Ils ont donné, dit-il, Junon pour épouse à Jupiter, parce qu'ils ont appelé Junon l'éther ou le principe aérien; car l'éther est la partie la plus subtile de l'air. » Plus haut nous avons vu dans les vers d'Orphée que l'âme de Jupiter était l'éther; maintenant notre auteur nous apprend ce qu'il faut entendre par cet éther. C'est, nous dit-il, la partie la plus subtile de l'air. Or l'air est un corps, par conséquent l'éther en est un aussi. Donc il faut qu'il avoue que l'âme de Jupiter est un corps bien qu'elle soit le plus subtil de tous les corps. Maintenant comprenne qui pourra comment deux natures aussi diamétralement opposées que le sont le corps et l'âme, peuvent être une même chose. Mais ce n'est pas tout: je ne sais comment il peut avoir si tôt oublié les vers de son poète, où il est dit textuellement : « Son esprit est l'air le plus pur, l'air supérieur, l'éther incorruptible par lequel il contient et gouverne toutes choses; par lui, un léger son, le plus petit bruit, une voix, rien n'échappe a Jupiter, le puissant fils de Saturne. » Voila bien clairement l'éther supposé l'esprit de Jupiter. Puis maintenant il vient nous dire que Junon est l'éther, le principe aérien. Ensuite il fait une distinction : « L'air en général, dit-il, c'est Junon dont le nom grec Ἥρα, vient de ἀήρ qui signifie l'air; mais l'air inférieur à la lune, cet air tantôt lumineux, tantôt opaque, a pour symbole Latone, c'est-à-dire l'oubli, soit parce que l'oubli s'empare de ceux qui se livrent au sommeil, soit parce que les âmes qui habitent les régions sublunaires, oublient la Divinité : voilà pourquoi aussi on en a fait la mère d'Apollon et de Diane qui sont le double flambeau qui dissipe les ténèbres. » Il dit donc que le principe producteur du soleil et de la lune est l'air sublunaire, c'est-à-dire Latone. Je demanderai comment l'air peut-être le principe de la lumière, lui qui la reçoit au lieu de la produire ; car l'action du soleil et de la lune fait subir à l'air mille vicissitudes. Ensuite il continue ainsi : « Le principe terrestre a été personnifié sous le nom de Vesta, dont la statue, sous l'emblème d'une jeune vierge, reposait auprès du foyer. Pour représenter sa fécondité, on lui avait donné la forme d'une femme jusqu'au-dessous du sein. Rhéa est le nom allégorique donné à la terre considérée sous le rapport des rochers et des montagnes; Сérès est également la terre, mais la terre fertile et propre à recevoir la culture. Il n'y a d'autre différence entre l'une et l'autre, sinon que Cérès a donné le jour à Proserpine, appelée en grec Korè, c'est-à-dire qu'elle a produit de son sein le tendre rejeton des arbustes auxquels les Grecs donnent le nom de Koros. C'est ce qui a fait couronner sa statue d'épis de blé, et c'est pour cela aussi qu'on l'environne de pavots, double symbole de sa fécondité. » Ici, admirez comment Rhéa, cette mère des dieux, de Jupiter lui-même, est abaissée jusqu'à devenir la terre ou plutôt les rochers. Voyez aussi notre auteur la confondre avec Cérès, dont elle ne diffère qu'en un seul point : c'est que Cérès a conçu de Jupiter et mis au jour Proserpine (Korè), comme la terre reçoit le germe et la semence des arbustes dont elle produit un tendre rejeton (Koros). Voilà maintenant Jupiter identifié avec la semence et le germe des arbustes. Ensuite il continue : « Comme il y a dans les semences jetées en terre une certaine vertu productive, et que le soleil quittant pendant l'hiver notre hémisphère pour échauffer l'hémisphère inférieur, entraîne en quelque sorte avec lui cette propriété des semences, on a donné le nom de Proserpine à la propriété qu'ont les semences de se conserver, et le nom de Pluton au soleil, lorsqu'il va sous la terre échauffer un monde inconnu pendant le solstice d'hiver. C'est là l'origine de la fable de l'enlèvement de Proserpine et du deuil de Cérès, pleurant sa fille ensevelie sous la terre. La propriété de produire des fruits à écale et en général tous les fruits qui naissent des plantes, est appelée Bacchus. Maintenant, voyons les emblèmes de ces divinités. Le symbole de Proserpine, ce sont des rejetons de semences qui naissent sur le sol. On a donné des cornes à Bacchus comme à Proserpine ; et il est représenté sous la forme d'une femme, pour désigner la réunion des deux sexes dans la production des fruits. Pluton, le ravisseur de Proserpine, a pour symbole un casque, qui représente le pôle invisible. Il est représenté avec un sceptre brisé, pour signifier son empire sur les morts ; et le chien qu'on remarque près de lui désigne la production des fruits, parce que le mot qui signifie chien, signifie aussi rendre fécond : et cette production des fruits a trois époques distinctes : on les sème, la terre les reçoit et les garde quelque temps, puis ils poussent ; car cette dénomination ne lui vient pas de ce qu'il dévore les âmes, mais de ce que Pluton en enlevant Proserpine lui communique la fécondité. Attis et Adonis ont aussi une certaine analogie avec les fruits. Attis représente les fleurs qui éclosent au printemps et qui tombent avant d'avoir engendré des fruits : c'est pour cela qu'on le représente honteusement mutilé, pour marquer les fruits qui ne parviennent pas à mûrir leur semence. Adonis est le symbole de la récolte des fruits au temps de leur maturité. Silène est le symbole de la force du vent, d'où résulte un grand avantage pour le monde. Les fleurs qui ornent sa tête, et l'éclat qui l'entoure sont le symbole de la révolution du ciel : la chevelure qui couvre la partie inférieure de son corps est le signe de l'air épais qui environne la terre. Enfin comme il y a dans la terre une certaine propriété divinatoire, on a donné à cette propriété le nom de Thémis, c'est-à-dire qui présage à chacun ce que le sort a fixé. Ainsi la terre était un objet de vénération par rapport à toutes ses propriétés, que nous venons d'exposer. On l'honorait comme vierge, sous le nom de Vesta, en tant qu'elle est le centre de tout ; sous celui de Mère, en tant qu'elle donne la nourriture; sous celui de Rhéa, en tant qu'elle produit les rochers et les montagnes ; sous celui de Cérès, en tant qu'elle produit les plantes ; enfin sous celui de Thémis, en tant qu'elle sert pour les présages. La vertu génératrice qu'elle contient dans son sein est représentée par Priape, dont le nom est Proserpine, lorsqu'il s'agit des fruits secs, et Bacchus lorsqu'il représente les fruits aqueux et les fruits à écale, parce qu'au temps des semailles Proserpine est enlevée par Pluton, c'est-à-dire par le soleil qui va échauffer l'hémisphère inférieur; et Bacchus, dans le premier exercice de cette vertu génératrice qui doit plus tard produire des fruits abondants, reste caché sous la terre : mais en tant qu'il s'unit à cette force qui fait tomber les fleurs, il a pour symbole Attis; et en tant qu'il s'associe au principe qui fait mûrir les fruits, il est représenté par Adonis. La puissance de l'air qui pénétra toutes choses est représentée par Silène, de même qu'on a donné la forme de bacchante à la vertu qui donne l'accroissement, et qu'on a représenté par les satyres le penchant à la volupté. Tels sont les symboles qui enveloppent les diverses propriétés de la terre. » Voilà ce que j'ai dû extraire sommairement de notre auteur; car il ne faut pas que nous passions pour ignorer les plus beaux des philosophes. Ainsi, d'après ce que nous venons de voir, Proserpine est le principe vital des graines; Bacchus, celui des fruits à écale; Attis, le symbole des fleurs du printemps; Adonis, celui des fruits en maturité. Fallait-il donc faire des divinités de toutes ces substances que l'Auteur de toutes choses a créées pour la nourriture des animaux? Pourquoi offrir quelque chose de terrestre à nos adorations, à nous qui avons reçu du Dieu souverain de l'univers une âme céleste, raisonnable, immortelle, une âme qui peut le contempler par la pure lumière de l'intelligence? Peut-on sans indignation entendre dire que Silène est la puissance de l'air, le principe qui pénètre tous les êtres. que sa tête représente la révolution du ciel, et sa barbe épaisse, la densité de l'air qui environne la terre ? La raison ne se révolte-t-elle pas en voyant refuser à celui qui doit être adoré avant tous les êtres, un culte que l'on prostitue à Adonis et à Bacchus, c'est-à-dire aux fruits qui croissent aux arbres? La patience ne vous échappe-t-elle pas, lorsque vous voyez que les satyres et les bacchantes, ne sont que des noms honnêtes inventés pour désigner les plus honteuses et les plus infâmes passions des hommes, puisque, comme nous l'avons vu, les satyres étaient le symbole du penchant à la volupté, et les bacchantes représentaient des infamies plus révoltantes encore? Mais pourquoi nous arrêter à réfuter chacune de ces absurdités? Continuons plutôt de parcourir ces allégories, tirées de la nature, pour ne rien passer sous silence de cette philosophie basée sur des explications mystérieuses. Faisons une sorte de résumé de la doctrine entière de notre auteur. Il continue ainsi de nous en faire l'exposé : « Ils ont nommé océan tout l'élément des eaux, et Thétis, l'emblème sous lequel ils le représentent; mais ils ont fait de cet élément plusieurs divisions auxquelles ils ont donné différents noms. Ils ont compris sous le nom d'Achélaüs toutes les eaux douces et potables; sous celui de Neptune toutes les eaux marines, qu'ils ont aussi désignées sous le nom d'Amphitryon, en tant qu'elles ont une vertu génératrice. Les propriétés particulières des eaux douces, ils les ont désignées sous le nom de nymphes: celles des eaux marines, sous le nom de néréides. Ils ont personnifié le principe du feu sous le nom de Vulcain, et ont donné à sa statue la forme humaine, avec une couronne d'azur, symbole de la voûte du ciel, où est le siège du feu primitif et le plus pur ; car celui que nous avons sur la terre est plus faible et manque de soutien et de base; c'est pour cela qu'il semble boiter par défaut d'appui. C'est aussi parce qu'ils avaient vu la même propriété dans le soleil, que les Grecs lui ont donné le nom d'Apollon, d'un mot qui signifie palpiter, à cause de l'oscillation apparente de ses rayons. Les neuf muses qui forment le chœur d'Apollon sont la sphère sublunaire, avec ses planètes et une étoile fixe. On lui a consacré le laurier, d'abord parce que l'élément igné est contenu en grande quantité dans cet arbrisseau, ce qui fait que les démons l'ont en horreur: ensuite la flamme qu'il produit en brûlant semble douée d'uns voix articulée, signe de la vertu prophétique attribuée au dieu. Comme le soleil, par son action bienfaisante éloigne de la terre tous les fléaux que son absence y produirait, on l'a nommé aussi Hercule, nom formé de deux mots grecs, dont l'un signifie briser, et l'autre l'air, parce que dans sa course de l'Orient à l'Occident, il semble briser l'air. Les douze travaux que la fable attribue à Hercule ne sont que le symbole des douze signes du zodiaque, division que l'on a imaginée dans l'orbe céleste. On l'a aussi armé d'une masse et revêtu d'une peau de lion : la massue est le signe de l'irrégularité des ses mouvements, et la peau de lion est l'emblème de la force avec laquelle il darde ses rayons pendant qu'il parcourt le signe du lion. Sa vertu vivifiante est personnifiée sous le nom d'Esculape. On le peint avec un bâton, pour marquer qu'il est la force et le soutient des corps affaiblis par la douleur: un serpent l'enveloppe de ses replis pour représenter sa vertu salutaire sur les corps et sur les âmes (or dans l'exposition des lois physiques, les naturalistes, voulant expliquer pourquoi certains animaux se traînent, rampant sur la terre, en donnent pour raison la matière grossière et terrestre dont ils sont formés); car le serpent est plus que tous les autres animaux, composé d'une substance toute d'esprit; il abandonne son corps exténué de faiblesse pour en revêtir un autre. La science médicale paraît même être une propriété chez lui: car il a trouvé l'art de donner à ses yeux une prodigieuse perspicacité, et il a su découvrir la plante dont le suc fait ressusciter. En raison de son mouvement circulaire et mesuré qui fait que sa chaleur donne aux fruits la maturité, le soleil reçoit le nom de Bacchus (Dionysius), non pas qu'il soit la vertu productrice des fruits aqueux, mais ce nom lui vient, ou qu'il est la cause du mouvement de toute la voûte céleste (περιδινεῖ) ou de ce qu'il accomplit lui même sa révolution (διακινεῖ) autour du ciel. Sa course autour du monde produit les saisons (ὧρας) : voilà pourquoi on le nomme aussi Horus. Comme son action vivifiante donne la fécondité à l'agriculture, source de toutes les richesses (πλούτος), on l'appelle encore Pluton, mais comme il contient en même temps une grande force de destruction, on a joint à Pluton Sérapis. Le mouvement par lequel il plonge ses rayons dans l'hémisphère inférieur est figuré par un manteau de pourpre. Un sceptre brisé par le haut est le signe de sa puissance sur les mânes. Une main disposée d'une certaine manière est le symbole de sa disparition dans des plages inconnues. On a donné trois têtes à Cerbère, parce que le soleil a trois phases sur l'horizon : l'aurore, le midi et le coucher. Au rang de leurs divinités, ils ont placé le nom de Diane (Artémis), c'est-à-dire qui fend l'air (ἀεροτόμον). Bien qu'elle soit vierge, elle préside aux accouchements, parce que la nouvelle lune exerce une heureuse influence sur les accouchements. Minerve est à la lune ce qu'Apollon est au soleil ; car la lune est le symbole de la prudence, et à ce titre elle mérite le nom de Minerve. On lui donne aussi le nom d'Hécate à cause de ses transformations successives et de ses propriétés qui changent simultanément avec sa figure. Ces propriétés nous sont représentées sous trois formes différentes. Au temps de la nouvelle lune, on lui donne une robe blanche, une chaussure d'or et des torches allumées. Dans son croissant, lorsqu'elle commence à s'élever au-dessus de l'horizon, on lui fait porter un panier en signe de la maturité des fruits dont son influence favorise l'accroissement. Enfin au temps de la pleine lune, on lui donne une chaussure d'airain. Un rameau d'olivier vous représente son principe igné ; le pavot, sa vertu génératrice et la multitude d'âmes qui l'habitent comme une ville ; car le pavot est le symbole d'une ville. Comme Diane, elle est armée d'un arc pour représenter les douleurs aiguës de l'enfantement. Les Parques peuvent aussi être regardées comme diverses modifications de sa puissance : Clotho est sa vertu fécondante, Lachésis, sa vertu nutritive, enfin Atropos, sa volonté inexorable. On la confond quelquefois avec le principe générateur des fruits, c'est-à-dire Cérès, parce qu'en effet elle lui communique sa force. On en fait aussi une seule chose avec Proserpine ou même avec Bacchus, parce que comme lui elle porte des cornes, et parce que les nuages occupent une région inférieure à celle des astres. Ayant remarqué dans la nature de Saturne quelque chose de lent, de pesant et de froid, les anciens en ont fait le dieu du temps : ils l'ont représenté debout avec une chevelure blanche, signe de la vieillesse, parce que la vieillesse est l'attribut du temps, les Curètes auxquels fut confiée l'éducation de Saturne sont l'emblème des circonstances favorables, parce que c'est par la succession de ces diverses circonstances que le temps s'écoule. Parmi les Heures, il y en a qui habitent le ciel et qui sont les compagnes du soleil ; ce sont elles qui ouvrent les portes du ciel. D'autres habitent la terre à la suite de Cérès ; elles portent une corbeille tantôt de fleurs, symbole du printemps ; tantôt d'épis, emblème de l'été. Voyant dans Mars la nature du feu, ils en ont fait le dieu de la guerre, qui aime l'effusion du sang, et ils ont attaché à sa puissance l'idée de ruine ou de salut. Supposant dans l'astre de Vénus une vertu génératrice et une grande influence sur les passions, ils en ont fait une femme pour représenter celte vertu génératrice, et lui ont donné la beauté pour attribut, parce qu'en effet Vénus ou l'étoile du soir est la plus brillante des étoiles que l'on voit au firmament. C'est pour la même raison qu'ils l'ont faite mère de l'Amour. Elle voile son sein et les autres parties de son corps qui sont les sources de la vie et de la nourriture. En signe de sa vertu génératrice, ils la font aussi naître de la mer, élément humide et chaud, agité d'un mouvement perpétuel qui produit l'écume. Mercure est le symbole de la parole qui produit tout, qui explique tout: il se tient droit pour marquer la vigueur de l'éloquence ; il figure aussi la force spermatique qui pénètre tous les êtres. Enfin l'éloquence est une sorte d'être multiple qui s'appelle Mercure dans le soleil, Hécate dans la lune, Hermopan dans l'univers : car dans toutes ces parties se trouve la vertu spermatique et productrice. Les Égyptiens l'appellent Hermanubis, mot composé du grec et de l'égyptien. Comme l'éloquence possède l'art de faire aimer les objets qu'elle présente, elle est aussi représentée par Cupidon que l'on donne pour fils à Mercure. On le peint sous la forme d'un enfant à cause de ses penchants impétueux pour la lubricité. Le symbole de l'univers a été personnifié dans Pan. On lui a donné des cornes pour représenter le soleil et la lune, et une peau de faon, comme symbole de la variété qui règne dans l'univers. Voilà l'interprétation de la théologie grecque. Notre auteur nous apprend encore quels sont les symboles de celle des Égyptiens. Voici comme il l'interprète : « Chez les Égyptiens, l'être créateur de toutes choses s'appelle Kneph : ils lui ont donné la forme humaine, un teint azuré, tirant sur le noir. Ils lui ont mis à la main une ceinture et un sceptre, sur la tête un diadème orné de plumes. Par ces divers emblèmes ils représentent ses attributs : l'un signifie que cette raison suprême habite invisible dans un secret impénétrable : un autre, qu'il est le père de tous les êtres vivants ; un autre est le signe de sa royauté; enfin le plumage qui orne sa tête est le symbole de l'agilité de son intelligence. Ils racontent que de la bouche de ce dieu sortit un œuf, d'où naquit leur dieu Phtha, le Vulcain des Grecs ; or cet œuf n'est autre chose que le monde. Ils lui ont consacré la brebis en mémoire de ce que dans le principe, les hommes se nourrissaient de lait. Pour le monde lui-même, voici sous quel emblème ils l'ont représenté : une statue de forme humaine, les pieds joints, couverte d'un manteau bigarré, descendant des épaules jusqu'aux pieds, sur la tête une sphère d'or, pour signifier, par l'attitude des pieds, l'immobilité du monde; par le manteau, la prodigieuse variété des astres ; enfin par la sphère, la forme sphérique du monde. Ils représentent le soleil sous l'emblème d'un homme montant un bateau, porté par un crocodile. Le bateau est le signe de l'élément humide au milieu duquel se meut le soleil, et le crocodile marque l'eau douce qui le porte: double symbole qui signifie que l'air, à travers lequel le soleil accomplit sa révolution, est un élément à la fois humide et doux. Ils ont donné à la terre céleste et à celle d'ici-bas le nom d'Isis, qui signifie égalité, c'est-à-dire la source de toute justice. La terre céleste, ils l'ont appelée la lune; le sol que nous habitons et qui produit les fruits se nomma simplement la terre. Isis chez les Égyptiens est la même que Cérès chez les Grecs : comme aussi la Proserpine et le Bacchus des Grecs sont l'Isis et l'Osiris égyptiens. Isis nourrit les plantes de la terre et leur donne l'accroissement. Osiris est la personnification du principe producteur des fruits: les Égyptiens lui offrent le tribut de larmes comme une sorte d'expiation de ce que la vie des fruits est sacrifiée, lorsqu'on les enterre pour les semer, ensuite lorsque l'homme les consomme pour sa nourriture. Osiris est pris aussi quelquefois pour la puissance du Nil. Ainsi lorsqu'ils veulent désigner le sol terrestre, ils prennent Osiris dans le sens du principe productif des fruits: et quand ils parlent de la terre céleste, Osiris est pris pour le fleuve du Nil qui, selon eux. prend sa source dans le ciel. Lorsqu'ils le prennent pour le Nil, ils n'en répandent pas moins des larmes en son honneur, comme pour suppléer sa puissance, qui paraît avoir des intervalles de faiblesse et d'anéantissement. Isis qu'ils donnent pour épouse à Osiris, n'est autre chose que la terre d'Égypte: elle est son égale, elle fait germer les fruits dans son sein, enfin elle les met au jour: ce qui fait dire qu'Osiris est à la fois, l'époux et le fils d'Isis. De l'idole d'Éléphantis. « La ville d'Éléphantis offre son encens à une statue assise, à la forme humaine, au teint azuré, surmontée d'une tête de bélier, avec un diadème d'où sortent deux cornes de bouc couronnées par un disque de forme circulaire. Le dieu est assis auprès d'un vase d'argile où il est supposé former les hommes. Sa tête de bélier, avec les cornes de bouc, représentent le passage simultané du soleil et de la lune au signe du bélier: la couleur azurée est le symbole de la température pluvieuse, occasionnée par cette concurrente de la lune et du soleil. La seconde apparition de la lune est l'objet du culte des habitants de la ville d'ApolIonie. Ils la représentent sous l'emblème d'un homme à la tête d'épervier, enfonçant un javelot dans les entrailles de Typhon, figuré par un hippopotame. Le teint de la statue est blanc, couleur qui exprime la pâleur de la lumière de la lune. La tête d'épervier marque qu'elle emprunte au soleil la lumière et le souffle qui l'animent: car l'épervier est consacré au soleil, et ils le prennent pour symbole de la lumière et du souffle, à cause de la rapidité de son vol, et parce qu'il s'élève jusqu'aux régions d'où vient la lumière. L'hippopotame est le symbole du pôle occidental parce qu'il engloutit tous ceux qui s'approchent de lui. La même ville rend aussi des honneurs divins à Horus. La ville de Lucine célèbre la troisième apparition de la lune sous l'emblème de la femelle du vautour : elle est représentée volant avec des ailes formées de pierres précieuses. Cet emblème du vautour représente dans la lune la propriété productrice des vents, parce que les Égyptiens n'admettent dans les vautours que le sexe féminin, et ils les croient fécondés par les vents. Dans les sacrifices d'Éleusis, c'est l'hiérophante lui-même qui représente le principe créateur : celui qui porte un flambeau est l'emblème du soleil; celui qui se tient près de l'autre est l'emblème de la lune; enfin le héraut sacré représente Mercure. Quelquefois l'homme lui-même est l'objet du culte des Égyptiens. A Anamis, village d'Égypte, on honore un homme; on lui immole et on brûle sur son autel des victimes : puis bientôt après il mange ce qui lui est présenté comme à un mortel. Que les Égyptiens ne prennent pas les animaux pour des dieux, mais qu'ils en fassent seulement les simulacres et les emblèmes de la divinité, nous en avons la preuve en ce que souvent ils consacrent des bœufs dans leurs solennités religieuses, et les immolent en l'honneur des dieux. Du sacrifice d'un bœuf offert au soleil à Hiéropolis. « Les Égyptiens ont dédié le bœuf au soleil et à la lune. Celui que la villa d'Héliopolis consacre au soleil s'appelle Mnévis : sa taille excède de beaucoup celle des autres bœufs: il est du plus beau noir, en signe de ce que Ie teint des hommes exposés au soleil contracte cette couleur. Les poils de la queue et des autres parties du corps sont couchés en sens inverse de ceux des autres bœufs, et relevés vers la tête, pour représenter la cours du soleil qui s'exécute en sens inverse du pôle. Il est pourvu de forts testicules, parce que la chaleur exerce une grande influence sur les passions, et aussi parce que le soleil féconde la nature. Le taureau, qu'ils ont consacré à la lune, se nomme Apis: il est aussi d'un noir qui efface tous les autres, et il porte à la fois le symbole de la lune et du soleil, pour marquer que la lune emprunte sa lumière du soleil. Or le symbole du soleil, c'est d'abord la couleur noire, puis un escarbot attaché au-dessous de la langue, le symbole de la lune est un disque échancré et approchant de la forme d'une demi-lune. » Voilà ce que j'ai cru devoir extraire du livre de Porphyre, afin que nous n'ignorions des mystères et de la théologie des Grecs et des Égyptiens, de cette théologie que nous avons abandonnée, de cette religion dont nous avons déserté l'étendard. Nous avouons le fait; mais nous prétendons avoir agi en cela avec sagesse et discernement : car je ne me laisserai point éblouir par cette parole fastueuse qu'il a mise en tête de son récit : « Je parle pour les initiés, loin d'ici les profanes! » Les profanes, ce n'est pas nous; ce sont ceux qui prennent pour une vraie théologie les inventions d'une mythologie absurde et dégradante, qui divinise un escarbot, et tous les animaux sans raison. « Dans leur prétention de sagesse, ils ont été convaincus de folie, dit notre grand apôtre, car ils ont transposé à l'image d'un homme corruptible des figures d'oiseaux, de quadrupèdes, de serpents, l'honneur qui n'est dû qu'au Dieu immortel. » Mais comme pour décliner le reproche d'avoir prostitué leur culte aux diverses parties du monde visible, et pour montrer que l'objet de ce culte était des natures invisibles et incorporelles, ils ont prétendu par des interprétations métaphoriques rapporter ces fables à une puissance spirituelle, examinons s'il n'est pas infiniment plus raisonnable d'adorer une seule puissance divine que d'en reconnaître une multitude. En effet parce que dans un même corps nous voyons plusieurs parties différentes, plusieurs membres distincts, pensons-nous pour cela que plusieurs âmes animent ce corps? croyons-nous qu'il soit l'ouvrage d'autant de créateurs qu’il a de membres ? Non, nous reconnaissons qu'une seule âme l'anime, que l'animal, dans son intégrité, est l'ouvrage d'une seule main créatrice. Eh bien ! pourquoi n'en serait-il pas de même de l'univers ? c'est un tout unique, formé de la même substance matérielle, divisé en plusieurs parties, mais présentant une parfaite homogénéité, une heureuse harmonie entre ses divers éléments, harmonie qui prouve que l'univers n'est qu'un seul et même monde. Pourquoi donc supposer plusieurs principes créateurs de ce tout? Pourquoi ne pas confesser un seul Créateur, la puissance et la sagesse du vrai Dieu? Mais il y a plus : c'est que notre habile philosophe s'oublie lui-même en cherchant par ses interprétations à rappeler toute cette mythologie égyptienne à des puissances incorporelles. Vous l'avez entendu nous dire que Chérémon et beaucoup d'autres philosophes ne reconnaissaient d'autres dieux que les mondes visibles, et qu'ils plaçaient au premier rang, parmi les sectateurs de cette doctrine, les Égyptiens, comme rapportant toute leur mythologie aux objets physiques, et jamais à des êtres incorporels et vivants. Si donc de leur propre aveu les Égyptiens n'élevaient pas leurs idées jusqu'à des êtres vivants et incorporels, si leurs fables, au sujet de la Divinité, ne sont que des allégories des diverses parties du monde physique, comment peut-on venir maintenant, par des hypothèses purement gratuites, nous dire ce à quoi les Égyptiens n'avaient jamais pensé, qu'ils rapportaient toute leur théologie à des puissances incorporelles? Ce raisonnement répond à toutes les assertions de notre philosophe en général. Mais réfutons chacune d'elles en particulier. Nous n'aurons pas besoin pour cela d'ailleurs d'une longue dissertation. Laissons de côté toutes les fables égyptiennes, avec toutes les folies qu'ont rêvées leurs auteurs. et jetons un coup d'œil sur des systèmes revêtus d'une plus haute considération, sur les interprétations par lesquelles les sages de la Grèce rapportent tout le culte mythologique aux objets naturels. Est-il au pouvoir d'un homme qui a le jugement droit de s'empêcher de s'inscrire en faux contre les inventeurs de pareilles explications ? Ainsi Jupiter n'est plus, comme le croyaient les anciens, au sentiment de Plutarque, le principe igné et éthéré, mais bien l'esprit d'en haut, le créateur de toutes choses, l'auteur de la vie dans les êtres animés, soit, mais qu'on me dise alors comment ce Jupiter sera le fils de Saturne, c'est-à-dire du Temps et de Rhéa qui, d'après l'interprétation que nous avons vue, n'est autre chose que les rochers et les montagnes. Je ne comprendrai jamais non plus comment Junon, qu'on dit être l'air ou plutôt l'éther, peut être en même temps la sœur et l'épouse du créateur de toutes choses, de l'auteur des êtres animés. Et Latone dont, le nom signifie oubli, quelle soit ainsi appelée, ou parce que le sommeil produit l'insensibilité chez ceux sur lesquels il s'est appesanti, ou parce que l'oubli de Dieu est le partage des âmes créées dans ce monde sublunaire; soit: mais ensuite on la fait, cette Latone qui est l'oubli personnifié, on la fait mère du soleil et de la lune en représentant ces deux astres sous les noms d'Apollon et de Diane ! On veut me taire rendre des honneurs divins à Rhéa et à Cérès, et on me dit que l'une est le symbole du sol des rochers et des montagnes, et l'autre, l'emblème de la terre végétale des campagnes ! Ils font de Proserpine un personnage allégorique qui signifie le dégoût. Qu'y a-t-il donc là qui soit digne du nom auguste de la Divinité ? Il me faudrait encore adorer la vertu spermatique et le principe producteur des fruits, sous le nom de Bacchus, les fleurs du printemps qui se fanent avant d'avoir mûri leur semence, sous le nom d'Attis; enfin sous celui d'Adonis, la récolte des fruits dans leur maturité ! Le genre humain devrait prostituer son culte à des êtres qui, dans les desseins du Dieu créateur de toutes choses, ont été destinés à son usage et au soutien de sa vie ! En partant de ces absurdités, si je passe aux autres du même genre, et que je continue à réfuter l'un après l'autre, tous les systèmes de cette théologie allégorique qu'élèvent si haut ses auteurs, n'aurai-je pas toujours facilement des arguments à opposer à des hommes qui ne rougissent pas d'appeler, par exemple, le soleil, tantôt Apollon, tantôt Hercule, puis Bacchus, puis Esculape? Il serait donc à la fois Apollon et Esculape, c'est-à-dire le père et le fils. Appeler le soleil Hercule, quand de leur propre aveu, Hercule est le fils d'une femme mortelle, d'Alcmène! Faire du soleil un furieux qui égorge ses propres enfants ! et pourtant voilà ce qu'on attribue à Hercule. Les douze travaux d'Hercule sont disent-ils, les douze signes du zodiaque, division imaginaire de l'orbite du soleil autour de la voûte céleste. Mais où est l'Eurysthée qui impose à Hercule ou plutôt au soleil ces douze travaux? Comment adapter au soleil le fait des cinquante filles de Thestius et de toute cette multitude d'esclaves, que la fable donne pour concubines à Hercule et dont il eut une foule d'enfants mortels qui lui ont laissé une longue postérité ? Quel sera le centaure dans le sang duquel Déjanire trempa la tunique d'Hercule, c'est-à-dire du soleil, pour l'en revêtir el le conduire au terme fatal que nous avons raconté. Eh bien ! non : le soleil n'est pas Hercule ; mais du moins peut-être y trouverons-nous Bacchus ? J'aurai encore des mêmes arguments à opposer à cette nouvelle allégorie. D'abord quelle sera la mère de Bacchus dans cette hypothèse ? Sera-ce la lune, sera-ce Proserpine? Ensuite Bacchus sera donc à la fois le soleil et le principe des fruits aqueux et des fruits à écale? Mais que faire de cette armée de femmes marchant sous sa conduite à une expédition? Où trouverai-je dans le soleil, l'Ariane de Bacchus ? Si Bacchus est le même que le soleil, pourquoi en faire exclusivement le père du vin? Serait-il moins le père du froment, des légumes et des autres productions de la terre? Voulez-vous maintenant que le soleil soit Esculape ? Mais comment ses gains sordides et honteux le font-ils foudroyer par Jupiter, comme nous le lisons dans les chants lyriques du poète Béotien, de Pindare? L'or qu'il vit briller l'enflamma d'ardeur pour le prix proposé : mais le fils de Saturne, armant son bras du tonnerre, étouffa le souffle dans sa poitrine, et le feu de la foudre consomma son trépas. Où trouverons-nous parmi les enfants du soleil, des Asclépiades, qui, après avoir donné à leur race une vie d'une durée prodigieuse, l'ont enfin réduite à la condition commune des mortels. Mais laissons tous ces grands philosophes jouir de tout cet échafaudage d'allégories par lesquelles ils prétendent décliner la honte de leur mythologie, en faisant remonter leur culte au soleil, à la lune et aux autres parties du monde : toujours est-il vrai que si Vulcain est le principe igné, Neptune l'élément humide, Junon l'air, Rhéa le sol des rochers et des montagnes, Cérès la terre végétale, Proserpine la vertu des semences, Bacchus le principe producteur des fruits à écale, si le soleil est personnifié dans Apollon et les autres que nous avons cités, si c'est la lune qui est appelée tantôt Diane, tantôt Minerve, puis Hécate, enfin Lucine, ils sont convaincus par là même d'avoir, pour leur malheur et au péril de leur salut, mis la créature à la place du créateur, divinisé l'œuvre au lieu de l'ouvrier. Nullement, diront-ils, car ce n'est ni le soleil, ni la lune, ni les étoiles, ni aucun corps du monde inanimé que nous avons divinisé, c'est la puissance invisible et modératrice de toutes choses, qui se trouve dans ces corps, car ils prétendent qu'il n'y a qu'un seul Dieu, manifestant dans chacun des êtres une propriété particulière, parcourant tout l'univers, présidant à tout : et c'est ce Dieu existant invisiblement dans tous les êtres et les pénétrant tous qu'ils prétendent adorer, comme nous l'avons vu. Alors pourquoi ne pas abjurer comme impies et criminelles les fables honteuses et les infamies attribuées à vos dieux ? Que n'ensevelissez-vous dans le plus profond oubli comme réceptacles de toutes les impiétés et de toutes les turpitudes les livres qui contiennent ces fables, pour adorer ingénument et sans dissimulation, et non plus sous des emblèmes honteux le seul vrai Dieu de l'univers? C'était là ce qu'ils avaient à faire, ces sages, pour rendre hommage à la vérité qui leur était connue: mais il ne fallait pas avilir le nom auguste de Dieu en le mêlant à des fables infâmes et abominables : mais ils ne devaient pas alors s'enfermer dans des grottes, dans des antres obscurs, dans des maisons bâties de la main des hommes, comme pour y trouver Dieu; il ne fallait pas prétendre honorer des puissances divines dans de vains simulacres matériels et sans vie. Il ne fallait pas voir dans des vapeurs terrestres s'exhalant d'un sang corrompu, dans des victimes immolées à des idoles, un moyen de se rendre Dieu propice. C'était le devoir de ces sages admirables qui avaient élevé si haut leurs contemplations, c'était, dis-je, leur devoir, à eux délivrés des chaînes de l'esclavage honteux de l'erreur, de ne pas priver le reste de l'humanité de ces précieuses connaissances de la nature. Ils devaient, mettant en quelque sorte à nu le fond de leur âme, crier à tout le genre humain que ce qu'ils adoraient, eux, ce n'étaient point des êtres visibles, mais le créateur de toutes les choses ; que c'était sa vertu spirituelle et invisible qui était l'objet de leur culte intérieur et spirituel : que ce n'était ni par le feu sacré, ni par des béliers et des taureaux offerts en sacrifice, ni par des couronnes, ni par des statues, ni par des temples, que les hommes devaient rendre hommage à la Divinité, mais par la pureté des pensées, par la vérité et la sainteté de la doctrine, dans le silence de l'âme, et en retraçant en eux, autant que le permet la nature humaine, l'image de ses vertus. Voilà ce qu'il fallait faire ; mais non, jamais il ne s'est rencontré un homme, soit parmi les Grecs soit parmi les Barbares, qui ait ainsi dirigé ses semblables vers la vérité. C'est là une mission de bienfaisance que notre Sauveur seul a remplie, en invitant par son Évangile toutes les nations à déserter les erreurs antiques, et leur montrant la voie qui conduit au seul vrai Dieu de l'univers, et la seule piété qui lui est agréable. Quant à tous ces sages qui faisaient ainsi vanité de leur sublime philosophie, « ayant connu Dieu, dit notre divin apôtre, ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu, et ne lui ont pas rendu hommage; mais ils se sont égarés dans leurs propres raisonnements, et leur cœur insensé s'est obscurci: ces hommes qui se disaient sages sont devenus fous: » « ils ont adoré et servi la créature au lieu du Créateur, qui est béni dans tous les siècles. » Un argument puissant contre les interprétations allégoriques, c'est que leurs auteurs contredisent leur propre doctrine par leur conduite. Nous ne les voyons pas moins en effet, ces sages, à la philosophie si imposante et si féconde, aux contemplations si élevées sur les phénomènes du ciel et ceux de la nature; nous ne les voyons pas moins, dis-je, tombant comme de ces hautes régions se précipiter dans la fange avec la multitude, et se mêler à toutes les erreurs superstitieuses du polythéisme, sacrifier aux idoles de bois, se prosterner devant elles avec Ie vulgaire, conciliant par là du crédit à ces doctrines auxquelles ils paraissaient souscrire, augmentant et fortifiant les opinions populaires sur les fables dont les dieux étaient l'objet. Faut-il donc une vue bien perçante pour s'apercevoir que chez eux toutes ces prétendues interprétations se bornaient à de belles paroles; que ces admirables génies cherchaient à déguiser sous un faux semblant de vérité des infamies et des turpitudes; mais que dans la réalité leurs œuvres confirmaient les erreurs mythologiques et les superstitions populaires. Et comment aurait-il pu en être autrement, puisque dans leurs écrits nous voyons les dieux eux-mêmes appuyer de leur approbation les récits que la fable créait sur leur compte? Voyez en effet comment Apollon, dans un hymne que lui-même a composé en son honneur, consacre le fait de sa naissance dans l'île de Délos. Puis voyez Esculape, reconnaissant qu'il est né à Tricca ; Mercure s'avouant le fils de Maïa. Nous en trouvons le témoignage dans le traité de Porphyre sur la Philosophie des oracles, où il rapporte textuellement les oracles suivants : « Ô Dieu! les délices des mortels, sortis du chaste sein d'une mère sacrée. » Puis il ajoute : « Dès que les douleurs de son enfantement divin eurent saisi Latone, douleurs cruelles causées par le double fruit qui s'agitait dans son sein, la terre s'arrêta, l'air devint immobile, l'île resta silencieuse, les flots se firent calmes : alors tu parus à la lumière, divin Lycoris, Phébus armé d'un arc, génie qui inspires tes prophètes sur le trépied sacré. » Écoutez maintenant Esculape parler de lui-même : « Je suis le dieu qui naquit à Tricca, Esculape, habile dans la médecine, roi de la sagesse, moi que ma mère enfanta à Phébus : mais pourquoi demander mon origine ? » Et Mercure : « Me voici, moi que tu invoques, Mercure, fils de Jupiter et de Maïa : j'ai quitté, pour venir, le séjour du roi des astres. » Il n'y a pas jusqu'à la forme de leurs corps dont ils ne nous aient eux-mêmes tracé les traits. Ainsi, par exemple, voici la peinture que Pan nous fait de lui-même par la voix de son oracle : « Fils d'une mortelle, j'adresse mes vœux à Pan, être divin et immortel, au dieu à la double corne, au double pied, à la forme de bélier, à ce dieu de la volupté. » Voilà ce que nous trouvons dans Porphyre, dans sa théologie mystérieuse fondée sur les oracles. Ainsi ne cherchez plus dans le dieu Pan l'emblème de l'univers: car le voilà devenu un être divin, existant réellement sous une forme dont il nous a fait lui-même la description dans son oracle. Jamais en effet ce que nous venons de rapporter ne pourra s'attribuer au monde ou a l'univers. Aussi, c'est cette divinité telle que nous venons de la voir décrite, et non pas l'univers, que les hommes ont représentée dans la statue dont les formes ont été puisées dans cet oracle. Et Mercure, comment en faire une allégorie du principe créateur et modérateur de toutes choses, quand il se donne lui-même pour le fils de Maïa, fille d'Atlas, confirmant ainsi de son propre témoignage, non pas le sens allégorique inventé par les philosophes naturalistes, mais bien la fable populaire concernant son origine? Et Esculape, comment sera-t-il le soleil, lui qui place sa naissance à Tricca, et qui confesse qu'il est né du sein d'une femme? Et d'ailleurs s'il est le soleil, il sera à la fois le soleil et le fils du soleil ; car dans le système des allégories, Phébus, père d'Esculape, n'est autre chose que le soleil. N'est-ce pas une assertion capable d'exciter la risée, que de le faire naître du soleil et d'une femme mortelle? Et son père, le soleil, dont on fait Apollon, comment peut-il être né dans l'île de Délos d'une femme nommée Latone? Et ici, observez en passant de combien d'hommes nés de femmes mortelles les Grecs ont fait des dieux, et vous aurez d'avance une raison à opposer aux blasphèmes qu'ils voudraient se permettre contre la naissance de notre Sauveur. Que d'un autre côté les dieux eux-mêmes accréditent les interprétations des philosophes et détruisent les fables par les allégories qu'ils y opposent. Les paroles que nous venons de rapporter au chapitre précédent ne sont point des fictions inventées par les poètes, mais des sentences sorties de la bouche même des dieux. Chez les poètes, dit-on, on ne rencontre que des fables absurdes attribuées aux dieux : dans les philosophes, au contraire, c'est un système d'interprétations rationnelles fondées sur la nature même des choses. D'après cela, ce qu'il y aurait donc, à faire pour un homme, ce serait de fouler aux pieds ces fictions, fruits de l'imagination des poètes, et de s'en tenir aux savantes explications des philosophes. Mais voilà que les dieux eux-mêmes déclarent la guerre aux philosophes. Or, lorsque d'un côté les dieux dans leurs oracles révèlent leur propre nature (et ils doivent la connaître), et que d'un autre côté nous voyons les philosophes mettre en avant des suppositions qu'ils ne comprennent pas, puis étayer sur ces suppositions des systèmes incohérents et sans fondement, à laquelle de ces deux autorités la raison nous commande-t-elle de donner notre assentiment, ou plutôt est-ce une chose à demander? Maintenant s'il faut chercher la vérité dans les oracles où les dieux s'attribuent à eux-mêmes les conditions de la nature humaine, tout enseignement contraire est une doctrine mensongère. Si au contraire la vérité se trouve dans les explications des philosophes, ce sont les sentences des dieux qui sont convaincues de fausseté. Mais, direz-vous, Apollon, consulté lui-même sur sa propre nature, répondit dans un de ses oracles : « Je suis le soleil, Horus, Osiris, Roi, Bacchus, Apollon, le distributeur des heures et du temps, des vents et de la pluie, le conducteur du char de l'Aurore et de la Nuit semée d'étoiles, le roi des astres lumineux, un feu immortel. » Cela prouve qu'ils favorisent à la fois les fables des poètes et les suppositions des philosophes, souscrivant ainsi à deux opinions qui se détruisent l'une l'autre. En effet, s'ils se donnent pour enfants de femmes mortelles, s'ils assignent sur la terre le lieu de leur naissance, comment peuvent-ils être ce que la philosophie nous les représente? Par exemple, qu'Apollon soit le soleil (car de quelque côté qu'ils se jettent, leurs raisonnements aboutissent toujours au même terme), comment concevoir que Délos, petite île que nous voyons encore aujourd'hui s'élever du milieu des flots, puisse être la patrie du soleil, et Latone sa mère? Et c'est cependant ce qu'atteste l'oracle que nous avons cité plus haut. Comment ce même soleil peut-il être le père d'Esculape, homme mortel, qu'il aurait engendré d'une femme mortelle? Mais c'est assez d'absurdités. Qu'il faut ranger parmi les choses impossibles, que les parties du monde ou les puissances divines soient soumises à une force magique et rendent des oracles quand on les consulte. Voici encore une autre preuve de la fausseté de l'oracle; car vous n'irez pas soutenir sans doute que le soleil descendait des hauteurs du ciel pour remplir le devin, et prononcer par sa bouche l'oracle d'Apollon. En effet, il répugne à la fois à la justice et à la raison, qu'un pareil globe soit soumis à une puissance humaine. Mais vous ne direz pas non plus que c'est sa vertu divine et intelligente qui a pénétré le devin ; car une âme humaine n'est pas capable d'une pareille entrevue. Il y aurait le même raisonnement à faire par rapport à la lune. S'ils veulent qu'elle soit Hécate, qu'elle subisse l'influence magique des enchantements, et que par la bouche de son prêtre elle rende des oracles favorables aux passions infâmes, il n'y a rien là d'étonnant, parce que Hécate présidant aux génies ou aux démons malfaisants, ce sont là des œuvres qui ne sont pas incompatibles avec son caractère. Notre auteur ne le nie pas lui-même, comme nous le montrerons en son lieu. Mais Pluton et Sérapis, comment en faire une allégorie du soleil, puisque, d'après notre philosophe, Sérapis est le prince des mauvais génies, et que Pluton et lui sont le même personnage? Comment, après avoir rapporté les oracles de Sérapis, les attribuer au soleil? Une chose reste donc démontrée; c'est qu'il est impossible de ne pas avouer que dans toutes ces allégories dont nous avons fait jusqu'ici l'exposé, il n'y a rien de vrai, rien que des systèmes sans fondements, de vaines imaginations appuyées sur des sophismes. Qu'il ne faut attribuer tous ces oracles qu'à l'artifice des démons. Quant aux agents par lesquels se rendent ces prétendus oracles, il n'y en a pas d'autres, à vrai dire, que les méchants démons, qui se plaisent à tromper les hommes par l'un et l'autre des moyens que nous avons cités. Ainsi tantôt ils rendent des oracles dans un sens favorable aux fables que le peuple croit au sujet des dieux, parce qu'ils ont intérêt à confirmer l'erreur populaire, tantôt ils sanctionnent de leur autorité les inventions de la philosophie, pour lui concilier du crédit et remplir ses sectateurs d'un sot orgueil. Dans l'un comme dans l'autre cas, ils ne peuvent échapper au reproche de supercherie.
Il est temps d'ajouter maintenant à tout ce que nous
avons dit sur les doctrines mythologiques et allégoriques des Grecs,
quelques considérations sur une troisième espèce de théologie, que
l'on trouve chez eux et qu'ils appellent théologie politique ou
légale ; car rien, à leur avis, n'est plus capable d'exciter dans
l'esprit des peuples une légitime vénération que ces oracles fameux,
ces guérisons merveilleuses opérées par leur moyen, et les
châtiments qu'ils ont infligés pour certains crimes. Comme ils ont
eux-mêmes, disent-ils, éprouvé la vérité de ces oracles, ils se
croient autorisés à révérer ces divinités. Et nous qui refusons nos
hommages à ces génies dont la puissance bienfaisante se manifeste si
évidemment, ils nous taxent de la plus monstrueuse impiété. Pour
repousser celle accusation, nous entrerons au livre suivant dans une
nouvelle série de démonstrations.
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