CHAPITRE III

 

XIMÉNÈS ET ÉRASME

 

En 1505, Érasme écrivait à son ami Christophe Fisher: « Tandis que je chassais dans une antique bibliothèque (car le chasseur qui parcourt les forêts ne connaît pas de plus nobles jouissances), il tomba dans mes filets un gibier rare, les Annotations de Laurent Valla sur le Nouveau Testament.» Dès la même année 1505, Érasme publia ce livre à Paris. Les Annotations de L. Valla n'étaient encore qu'un essai bien imparfait de corriger le texte du Nouveau Testament d'après les manuscrits. Valla écrivait en 1444; il avait eu entre les mains sept manuscrits grecs de saint Jean et trois de saint Matthieu et probablement des autres Évangiles 1. Érasme, en lisant le livret du savant et généreux humaniste, comprit aussitôt qu'une grande réforme était à accomplir.

 

1. Voyez à ce sujet : A. T. RUSSEL, Memoirs of the live and works of Bp. Andrewes, p. 282-310, cité par Scrivener, et VAHLEN, Lorenzo Valla, Vienne, 1870, p. 38.

 

En saisit-il toute l'étendue ? Il est permis d'en douter; mais, avant que les circonstances et son génie critique eussent fait de lui le premier éditeur du Nouveau Testament, un grand seigneur et un prince de l'Église, qui sut allier un esprit libéral et éclairé au caractère d'un grand inquisiteur de la foi, le cardinal archevêque de Tolède, François Ximénès de Cisneros, avait entrepris la grande œuvre de publier la Bible dans les langues originales et dans les principales traductions; les premiers travaux pour la Polyglotte d'Alcala avaient commencé dès l'an 1502 1.

 

Nous voulons suivre jusque dans leur laboratoire les deux premiers éditeurs du Nouveau Testament. Les détails, quelque peu minutieux, où nous serons conduits par notre sujet, seront sans doute de nature à introduire le lecteur dans le coeur même de ces études sur le Nouveau Testament, dont la Renaissance du seizième siècle mérite de porter l'honneur.

 

Dans l'oeuvre immense qu'il avait entreprise, Ximénès était assisté par un groupe nombreux de lettrés et de théologiens ; les plus célèbres entre ses collaborateurs étaient, pour la langue grecque, Antonio de Nebrija, professeur de rhétorique à Alcala, connu comme humaniste; Fernando Nunez o' Valladolid (Nonnius Pincianus), un des savants qui ont introduit en Espagne la connaissance du grec, enfin et surtout Lopez de Zuniga (Stunica), homme d'une grande science et d'un caractère élevé. On a soutenu que Stunica avait été le principal éditeur du Nouveau Testament. M. Delitzsch, aux patientes recherches duquel on doit un commencement de lumière sur l'histoire de la Bible d'Alcala, admet qu'il a travaillé au texte des Actes et des Épîtres. Stunica parle, en plusieurs endroits, des manuscrits grecs qu'il a eus entre les mains; il n'en nomme pourtant qu'un seul, le Codex Rhodiensis, qui paraît avoir été envoyé de Rhodes au cardinal et qui contient les Épîtres; il a disparu aujourd'hui.

 

1. De rebus gestis a Fr. Ximenio, Alv. Gomecio Tolet. auctore (1560), Compl., 1569, in-fol.; VERCELLONE, Dissert. academiche, 1864, cité par Delitzsch; F. DELITZSCH, Studies on the Complutensian Polyglott (en allemand, progr. de Leipzig, 1871), London, s. d. (1872), in-4o.

 

On connaît les manuscrits hébreux qu'Alphonse de Zamora avait achetés 4,000 ducats pour le compte du cardinal. Gomez nous parle de manuscrits latins du septième ou du huitième siècle; quant aux textes grecs, Ximénès, dans le Prologue au lecteur qui précède les quatre premiers volumes, nous apprend que « le sénat de Venise lui avait envoyé une copie, faite avec un grand soin, d'un manuscrit très-correct, ayant appartenu à Bessarion ». Nous savons, en effet, que plusieurs des manuscrits de la bibliothèque de Saint-Marc ont appartenu au cardinal Bessarion, et M. Scrivener conjecture que le célèbre Vaticanus a été apporté d'Orient par ce savant prélat.

 

On a cessé depuis longtemps de croire, sur l'autorité d'un mot de Ximénès, qui parle des manuscrits que Léon X lui a envoyés ex apostolica Bibliotheca, que ce pape lui avait communiqué le manuscrit Vaticanus. Le Père Vercellone, dans sa préface à l'édition de ce manuscrit, préparée par Angelo Mai, nous dit quels sont les parchemins que la bibliothèque pontificale avait prêtés à Ximénès; ce sont deux manuscrits grecs des Septante. Léon X ne fut nommé que le 11 mars 1513, et l'impression du Nouveau Testament, qui fut terminée le 10 janvier 1514, devait être commencée à ce moment. Il est vrai que rien n'empêche de croire que les manuscrits prêtés à Ximénès l'avaient été par l'influence du futur pape Léon X, de Jules de Médicis, et quant aux secours que la bibliothèque du Vatican a pu apporter à Ximénès pour l'établissement du texte du Nouveau Testament, le dernier mot n'est pas dit encore à ce sujet.

 

M. Delitzsch a consacré à l'histoire du texte de la Polyglotte une remarquable étude. Sa monographie, écrite avec autant de finesse que d'érudition, nous instruit assez des origines de ce célèbre texte pour nous faire désirer vivement de voir le savant théologien satisfaire prochainement les impatiences éveillées par la publication de ce premier travail, entre les lignes duquel il faut savoir lire pour deviner (car la chose se peut presque faire) les conclusions que nous promet l'auteur. Nous ne voudrions pourtant pas que la science se fit trop modeste devant les belles découvertes de M, Delitzsch. La recherche des manuscrits de Ximénès est, depuis nombre d'années, l'objet des efforts persévérants des critiques, et, depuis que M. Reuss a donné, dans sa Bibliothèque du Nouveau Testament grec, la collation des principaux passages de tous les textes imprimés, il a suffi d'une comparaison quelque peu attentive des leçons de la Polyglotte avec les notes de l'édition de feu Tischendorf, pour arriver sur la voie de résultats importants. On a pu se persuader que le texte des Actes et des Épîtres est uni par un lien de parenté incontestable à plusieurs manuscrits, tels que le Laudianus 2 (ou 31) de la bibliothèque Bodléienne 1, et le Hafniensis 12, manuscrit conservé actuellement â Copenhague, qui était encore à Venise en 1699, et qui fait partie de ce groupe de manuscrits dont l'origine remonte à Théodore d'Hagios Petros 3. M. Delitzsch nous laisse entrevoir qu'il a retrouvé dans la bibliothèque de Madrid un de ces manuscrits d'Alcala, dont on avait si légèrement annoncé la destruction.

 

1. Év. 51, Act. 32, Paul 38.

2. Év. 234, Act. 57, Paul 72.

3. Ce dernier manuscrit est, au reste, de la même famille que le manuscrit Seidelianus, conservé à Francfort-sur-l'Oder (Act. 42, Paul 48, Ap. 13), et le Guelpherbytanus (Act. 69, Paul 74, Ap. 30).

 

N'avait-on pas été dire à un voyageur allemand, qui avait cru la chose, que le bibliothécaire d'Alcala avait vendu tous les manuscrits de la Bible à un artificier qui en avait fait des fusées ! Il est vrai que ce bibliothécaire, homme érudit et consciencieux, ayant fait relier les 160 manuscrits de sa bibliothèque, avait vendu les couvertures hors d'usage, como membranas inutiles....

 

M. Delitzsch nous promet de publier les découvertes importantes qu'il a faites à Rome. Nous donnera-t-il la preuve que Ximénès a eu connaissance du manuscrit du Vatican 1158 (Év. 140), du douzième siècle? La chose est possible, comme il se pourrait faire que l'on découvrît la raison de la parenté qui relie le texte des Évangiles de la Polyglotte et le groupe de manuscrits byzantins auquel appartiennent le manuscrit oncial S (Vat. 344, de l'an 949) et le manuscrit U (Nanianus, de Venise), et que l'on établît que le fameux passage des Trois Témoins (I Jean, 5, 7), qui manque dans tous les anciens textes grecs, a été emprunté par Ximénès à un manuscrit du quinzième siècle, au manuscrit ottobonien 289 1. Quant au Codex, qu'on appelle par excellence le Vaticanus (ou B), nous ne nous laisserons pas séduire par certaines apparences; il n'y a pas de raisons de croire que le cardinal l'ait connu. Il ne nous est pourtant pas défendu de nous rappeler que, peu d'années après l'impression du Nouveau Testament de Ximénès et avant qu'il fût donné au public, en 1521, Stunica était à Rome et tenait le Vaticanus entre ses mains.

 

1. Vat. Ottob. 289, Act. 162, Paul 200.

 

Le Nouveau Testament d'Alcala était achevé depuis le commencement de l'an 1544, mais; faute de la licence nécessaire, il n'avait pas été livré au public. Froben eut connaissance de la prochaine publication du Nouveau Testament, et aussitôt il se sentit ému de l'ambitieux désir de devancer l'éditeur espagnol. Le 17 avril 1515, Beatus Rhenanus écrivait, au nom de l'imprimeur bâlois, à Érasme, qui séjournait à ce moment en Angleterre : « Froben désire avoir de vous le Nouveau Testament, et il vous en donnera autant que qui que ce soit 1. » Aussitôt Érasme se mit à l'oeuvre. La première édition de son Nouveau Testament est datée de février 1516; on croirait à peine qu'il ait été possible de mener à fin, en dix mois, l'oeuvre immense de publier pour la première fois le Nouveau Testament. Jamais travail ne fut poursuivi avec plus de hâte. Érasme travaillait en même temps à son Saint-Jérôme et au moins à quatre autres livres, et cependant les imprimeurs exigeaient de lui chaque jour un ternion, c'est-à-dire une feuille et demie de format in-folio. Avec une candeur qui désarme la critique, Érasme avoue qu'il avait espéré trouver à Bâle des manuscrits corrects; il comptait sans doute pouvoir les donner sans changement à l'imprimeur. « J'eus encore, dit-il, ce surcroît de peine, d'être obligé de corriger les manuscrits avant de les remettre aux ouvriers 2. » Il ne prenait plus le temps de manger. Lui-même témoigne de la précipitation avec laquelle il dut travailler, lorsqu'il écrit à Pirkheimer le 2 novembre 1517(?): Novum Testamentum..., praecipitatum fuit verius quant editum.

 

1. Voyez DELITZSCH, Handschriftliche Funde, 2 fascic., Leipzig 1861-1862, in-8°; SCRIVENER, A plain Introduction to the criticism of the New Testament, 2d ed., Cambr. and London, 1874, in-8 0; DRUMMOND, Erasmus, London 1873, I, p. 308.

2. Accessit et illud oneris, arbitrabar Basileae haberi emendata exemplaria. Ea spes quoniam fefellit, coactus sum praecastigare codices, quibus usuri erant tupographoi (lettre à G. Budé, 1517, opp. Ill, p. 250).

 

Sans doute, Érasme n'en était pas â ses premières recherches sur le texte du Nouveau Testament. Depuis longtemps, disent ses historiens, il avait préparé des notes pour une traduction latine remaniée. Le 11 juillet 1541 (1512, selon M. Drummond), il avait déjà écrit à Colet : « J'ai achevé la collation du Nouveau Testament 1. » Mais quelle ne dut pas être la désillusion du savant de Rotterdam lorsqu'il vit quels manuscrits Bêle pouvait lui offrir ! Le manuscrit des Évangiles qu'il eut pour base de son travail 2 n'est guère plus ancien que le quinzième siècle; des religieux de Bêle l'avaient payé deux florins du Rhin, et le docte J. D. Michaèlis estime qu'ils l'avaient payé assez cher. Le Codex Amerbachiorum 3, d'après lequel il publia les Actes et les Épîtres, remonte au treizième ou au quatorzième siècle; il avait été la propriété des frères prêcheurs. M. Scrivener pense qu'Érasme a également consulté un manuscrit des Épîtres de Paul 4, appartenant de même aux dominicains de Bêle, et qui est moins connu que les précédents. Pour corriger ces manuscrits, Érasme eut entre les mains, pour sa première édition, mais sans en faire, paraît-il, un grand usage, deux autres Codices, le manuscrit 1 des Évangiles, des Actes et des Épîtres 5, qui remonte au douzième ou au treizième siècle, et le manuscrit 4 des Actes et des Épîtres, du quinzième siècle, tous deux appartenant aux dominicains; le premier, qu'Érasme appelle exemplar Capnionis, avait été prêté par les moines à Reuchlin. Aucun de ces manuscrits, on le voit, n'était réellement ancien.

 

1. Absolvi collationem Novi Testaments : nunc divum Hieronymum aggredior.

2. Év. 2, Bas. A. N. IV, 1.

3. Act. Paul 2, Bas. A. N. IV, 4.

4. Paul 7, Bas. A. N. III, 11

5. Bas. A. N. IV, 2. Le ms. 4 = A. N. IV, 5.

 

Quant au fameux Codex Capnionis, d'après lequel Érasme imprima l'Apocalypse, et qu'il avait à grand'peine obtenu de Reuchlin, la critique était d'autant plus intéressée à le retrouver, que l'Apocalypse est, dans le texte d'Érasme, le livre le plus maltraité. M. Delitzsch l'a découvert, en 1861, dans la bibliothèque du prince d'Oettingen-Wallerstein. Ce manuscrit est probablement du douzième ou du onzième siècle; le texte y est entremêlé des Commentaires d'André de Césarée; pour le faire imprimer, Érasme en avait fait prendre une copie, et cette copie est fautive. Le texte du manuscrit s'arrête au verset 16 du chapitre 22. Pour combler cette lacune, Érasme prit sur lui de retraduire, d'après le latin de la Vulgate, les cinq et demi derniers versets de l'Apocalypse. Il ne s'est point caché d'avoir ainsi « ajouté trois mots au Nouveau Testament », mais il faut dire que, lorsqu'après 1522 il eut le texte de la Polyglotte entre les mains, Érasme n'eut pas la conscience de payer sa dette envers le texte authentique de l'Apocalypse, et de faire disparaître les quelques lignes qui n'appartenaient pas à l'original. M. Delitzsch, qui le juge bien sévèrement, dit: « Érasme n'avait ni assez d'abnégation, ni assez de franchise, pour profiter de l'édition d'Alcala. » Une pareille négligence est plus blâmable que la singulière erreur de Ximénès, qui avait laissé s'introduire dans le texte de l'Épitre aux Hébreux (7, 3) une note d'Euthalius qu'il avait trouvée à la marge de son manuscrit. Quant à la valeur de l'une et de l'autre édition, M. Reuss a établi, par une sorte de calcul mathématique, qu'aucune des deux éditions ne peut prétendre l'emporter absolument sur l'autre. Le texte de la Polyglotte lui paraît pourtant supérieur, en quelque mesure, à celui de la première édition de Bâle. Tandis que la Polyglotte n'avait été tirée qu'à 600 exemplaires 1, la première édition d'Érasme fut imprimée au chiffre de 3,300. Les éditions se succédèrent avec rapidité: la deuxième parut en 1519, la troisième en 1522, la quatrième en 1527, la cinquième fut imprimée en 1535 et répétée en 1540 sans changements. Érasme a fait grand bruit des manuscrits que ses amis lui avaient envoyés de tous lieux; dans la préface de ses Annotations, édition de 1522, il les énumère avec complaisance: ce sont les deux manuscrits de la bibliothèque de Saint-Paul, à Londres, que lui a prêtés le savant humaniste Colet, doyen de cette église, c'est le Codex aureus, conservé à Malines, dont il doit la communication à son illustre protectrice, Marguerite, régente des Pays-Bas; ce sont les manuscrits du chapitre de Saint-Donatien, à Bruges. En 1527 il y ajoute deux manuscrits appartenant au chapitre de Constance, qui lui ont été communiqués par le chanoine Jean de Botzheim. Un seul des manuscrits qu'il énumère, en dehors de ceux qu'il a empruntés à Reuchlin et aux frères Amerbach, contient le texte grec, c'est le manuscrit du chapitre de Corsendonk 2, prés de Turnhout, aujourd'hui conservé à Vienne, dont il paraît qu'il a fait usage pour l'édition de 1549 3. En un mot, si nombreux que fussent les manuscrits d'Érasme, on voit que leur poids est léger.

 

1. Les premières éditions de la Bible latine avaient été tirées à un chiffre fort restreint. Le tirage de la première Bible imprimée à Rome, et sortie des presses de Sweinheim et Pannartz, ne s'élevait qu'à 225 exemplaires. (A. BERNARD, De l'Oriq. de l'impr., II, p. 154.)

2. Év. Act. Paul 3.

3. Érasme cite encore, en 1522, un manuscrit des frères mineurs d'Anvers, Nous ne connaissons pas son ras. de Théophylacte.

 

Quant aux Pères dont il énumère les témoignages, il est permis de sourire en se souvenant que de Théophylacte, archevêque des Bulgares, Érasme a fait, par une lecture trop rapide sans doute, un auteur nouveau, qu'il a appelé Vulgarius.

 

S'il est impossible de méconnaître qu'Érasme a travaillé avec une précipitation (le mot est de lui) qui n'est plus aujourd'hui dans les moeurs des savants, est-il juste d'adresser, comme on fait sans cesse, à celui qui a partagé avec Ximénès l'honneur de donner au monde le texte du Nouveau Testament, le reproche de légèreté? Nous sommes accoutumés à entendre tour à tour, en France ou en Allemagne, célébrer le vénérable Codex aureus et vilipender l'éditeur princeps de la Bible. L'auteur d'une oeuvre pareille mérite quelque justice et beaucoup d'indulgence. Érasme connaissait le célèbre manuscrit du Vatican; son ami Paul Bombasio, le secrétaire du cardinal Pucci, lui envoyait, en 1521 (8 juin), la copie de plusieurs passages de ce manuscrit (I Jean 4, 4-3; 5, 7-11); en 1535, il corrige encore un passage (Actes 27, 46) d'après cet original 1; en 1533, le 1' novembre, le célèbre humaniste Sepulveda lui écrit de Rome pour l'entretenir du manuscrit Vaticanus qu'il a collationné sur le conseil de Stunica. En 1535, dans l'Épître « contre certains moroses et indoctes », il avance, au milieu de quelques assertions assez peu pesées, ce fait qu'il y a à la bibliothèque pontificale un manuscrit corrigé sur la Vulgate. On pourrait croire qu'Érasme fait allusion au manuscrit latinisant 462, du quinzième siècle, auquel il est possible que Ximénès ait emprunté le passage des Trois Témoins.

 

1. Voyez aussi ad I Jean 5, 7; Marc 1, 2, dans l'édition de 1535.

Il n'est pourtant rien moins que certain qu'Érasme ait connu ce manuscrit, et ces quelques mots pourraient bien n'être que la marque d'un singulier malentendu. Mais ceux-là seuls lui reprocheront de n'avoir pas mieux connu le manuscrit du Vatican, qui ne savent point de quelle difficulté il était naguère encore d'y jeter un regard.

 

Ximénès, qui plaçait la Vulgate entre le texte hébreu et la Septante, ou, ainsi qu'il dit dans la préface de l'Ancien Testament, « entre la Synagogue et l'Église d'Orient, comme le Christ, c'est-à-dire l'Église romaine, entre les deux larrons, » avait imprimé en grec, peut-être sur la Foi d'un manuscrit du quinzième siècle, le fameux passage des Trois Témoins qui se lit dans l'Itala et dans la Vulgate. Érasme avait négligé ce passage d'une authenticité plus que douteuse, mais les clameurs des obscurantistes l'ont troublé. Dans sa troisième édition, datée de 1522, il a imprimé pour la première fois ce texte que personne, après Simon de Colines (1534) et jusqu'au dix-huitième siècle, n'a plus osé retrancher du Nouveau Testament, et, dans son Apologie, datée également de 1522, il a écrit à Stunica: « Ce verset s'est trouvé en Angleterre dans un manuscrit grec. C'est d'après ce manuscrit que, afin d'ôter tout prétexte à la calomnie, j'ai rétabli le passage dont on blâmait l'absence dans mon Nouveau Testament. Je n'en soupçonne pas moins que le manuscrit a été corrigé d'après les textes latins 1

 

(4) Cf. ad I Jean 5, 7, anno 1522 : Verumtamen, ne quid dissimulem repertus est apud Anglos graecus codex unus, in quo habetur quod in vulgatis deest.... Ex hoc igitur codice Britannico reposuimus, quod in nostris dicebatur deesse: ne cui sit ansa calumniandi. Tametsi suspicor ilium ad nostros esse correctum.

 

Ce manuscrit est connu, il est conservé au Trinity College de Dublin ; il porte le numéro 34 pour les Actes et les Épîtres catholiques; Th. Montfort lui a donné son nom, et plusieurs mains, du quinzième ou du seizième siècle, ont collaboré à l'écrire. M. Delitzsch a soupçonné Édouard Lee, l'adversaire d'Érasme, de l'avoir fait fabriquer pour mystifier son ennemi. Nous n'avons pas le moyen de vérifier cette hypothèse mais, quoi qu'il en soit, l'autorité dont Érasme étayait sa timidité était fragile: encore n'est-ce pas exactement d'après le Montfortianus qu'Érasme, qui avait en ce moment de tout autres scrupules que ceux de la science, a imprimé dans son Nouveau Testament de 1522 ce qui est demeuré jusqu'à nos jours le texte reçu.