LA VIE DE
JÉSUS
CHAPITRE IV
suite
Résurrection et
Ascension de Jésus
137. Thomas.
(Jean
XX, 24-28.)
Or, Thomas, l'un des douze,
appelé Didyme, n'était pas avec eux lorsque Jésus y
était venu. Les autres disciples lui dirent donc :
Nous avons vu le Seigneur. Mais il leur dit : Si je
ne vois les marques des clous dans ses mains, et si
je ne mets mon doigt dans la marque des clous, et si
je ne mets ma main dans son côté, je ne croirai
point. La tristesse qui remplissait le
coeur de Thomas, l'avait poussé lui aussi dans la
solitude. C'est ainsi qu'il n'avait pas pu voir le
Ressuscité. Les autres disciples lui disent qu'ils
l'ont vu, mais il ne veut pas les croire. En réalité,
dans son profond chagrin au sujet de Jésus, il ne
demanderait pas mieux que de croire. Mais dans sa
pensée, il est impossible que Jésus, qui est mort,
soit revenu à la vie. Et, comme il sent encore la
douleur que lui a causée cette mort lui brûler le
coeur, il n'ose pas croire à la résurrection, de
peur que cette douleur ne soit encore plus vive,
s'il arrivait que tout cela ne fût qu'une illusion.
Aussi veut-il être prudent. Il faut que ses propres
yeux et ses propres mains lui fournissent la preuve
de ce qu'il doit croire. Il se dit que Marie et les
autres femmes, Pierre et Cléopas et tous les autres
peuvent s'être trompés. Il n'a de confiance qu'en
lui-même et en lui seul.
On rencontre
encore de pareilles dispositions : des esprits qui
ne veulent croire que ce qu'ils peuvent voir et
toucher. Tout ce qui ne tombe pas sous les sens, est
pour eux nul et non avenu. Ce qu'ils n'ont pas
expérimenté, ce qu'ils ne peuvent pas comprendre et
expliquer, ils le regardent tout simplement comme
chimérique et illusoire. Dans de telles
dispositions, il n'y a proprement plus de place pour
la foi. Or, on ne peut ni voir ni toucher Dieu, pas
plus que la vie éternelle. Logiquement, ceux qui
font des sens les juges de la foi, devraient rejeter
toute espèce de religion. Heureusement que, dans
certains coeurs et dans certaines consciences, la
soif du Dieu vivant est plus puissante que les
raisonnements de l'intelligence et toutes les
considérations suggérées par les sens. Tel était
aussi le cas de Thomas.
Huit jours après, comme les
disciples étaient encore dans la maison, et que
Thomas était avec eux, Jésus vint, les portes étant
fermées. Et il fût là au milieu d'eux et leur dit :
La paix soit avec vous ! Le Sauveur
apparaît de nouveau un dimanche et consacre ainsi ce
jour comme le jour du Seigneur. Les disciples sont
encore tous réunis à Jérusalem, bien que Jésus leur
ait donné rendez-vous en Galilée. C'est que les doux
souvenirs que leur ont laissés leurs expériences et
les apparitions du jour de Pâques, les enchaînent
encore dans cette ville. Thomas brisé, profondément
triste et plongé dans ses doutes, entend le salut de
paix du Seigneur. Mais il n'ose pas l'accepter pour
lui-même. Et cependant, c'est à lui aussi que Jésus
offre la paix, qu'il a acquise en Golgotha. Même
aujourd'hui, ce souhait de paix s'adresse à Thomas
plus directement qu'à tous les autres. Car le
Seigneur se tourne vers lui et lui dit :
Mets ici ton doigt, et regarde
mes mains - avance aussi ta main et la mets dans mon
côté, et ne sois plus incrédule, mais crois.
Jésus constate
l'incrédulité de Thomas, mais il constate aussi que
ce n'est pas une incrédulité froide et railleuse,
qui, à la face des disciples, se moque de leur foi.
Le Seigneur sait que Thomas ne demanderait pas mieux
que de croire. C'est pourquoi il vient à lui plein
de ménagements, dans son miséricordieux amour de
Sauveur. Il lui accorde son désir téméraire ; et par
les mêmes paroles dont Thomas s'est servi, il lui
permet de se former, au moyen de son doigt et de sa
main, une conviction que le témoignage unanime de
tous les autres disciples n'avait pas pu faire
naître. À l'ouïe de ces paroles, Thomas semble avoir
été dans les mêmes dispositions que Nathanaël
lorsque le Seigneur lui dit : « Avant que Philippe
t'appelât, je t'ai vu, lorsque tu étais sous un
figuier. »
Le Seigneur
déchire le voile qui obscurcissait l'âme de l'un et
de l'autre, lorsque, par ses paroles, il se révèle
comme le témoin invisible de toutes les actions et
de toutes les paroles, qui voit jusqu'au fond des
âmes et auquel rien n'est caché. Thomas est honteux
de son incrédulité. Il adore et s'écrie :
Mon Seigneur et mon Dieu !
Il est difficile de se figurer que Thomas, profitant
de la permission du Seigneur, ait mis la main dans
son côté. Du moins, cela n'est pas mentionné. On
peut penser que le désir de le faire disparut,
lorsque Jésus lui dit, avec une grande douceur, mais
en même temps avec un profond sérieux : Ne sois
plus incrédule, mais crois. Cela est également
rendu invraisemblable par le zèle avec lequel il
confesse son Maître, et surpasse tous les autres
disciples. Car Thomas est le premier membre de la
communauté chrétienne qui se soit écrié, en se
prosternant aux pieds de Jésus : Mon Seigneur et
mon Dieu ! Cette confession, qui serait un
blasphème si elle s'adressait à un homme, Jésus
l'accepte. Il sait que cette confession exprime non
seulement là véritable essence de sa personne, mais
encore qu'elle est l'expression fidèle et sincère de
la foi qui remplit le coeur de Thomas.
Cependant le
Seigneur ne loue pas la foi de ce disciple comme il
le fait volontiers partout où il en trouve, comme il
loue celle de la Cananéenne, celle du centenier de
Capernaüm, même celle de Simon Pierre. S'il l'avait
fait, il aurait paru approuver la voie par laquelle
Thomas y est parvenu, et c'est ce qu'il ne voulait
absolument pas faire. Au contraire, il veut montrer
que le moyen par lequel Thomas a cru, constitue une
exception, qu'il veut bien admettre dans son
miséricordieux amour. C'est pourquoi il lui dit :
Parce que tu m'as vu,
Thomas, tu as cru ; Heureux ceux qui n'ont pas vu et
qui ont cru ! La véritable voie pour
parvenir à la foi est la suivante : Se confier sans
condition à sa Parole, et s'appuyer sur celui qui
ressuscite les morts et qui appelle les choses qui
ne sont pas comme si elles étaient (Rom.
IV, 18). Ce qui sauve, ce n'est pas ce qu'on
voit des yeux du corps, mais c'est la foi, qui est
une vive représentation des choses qu'on espère, et
une démonstration de celles qu'on ne voit point.
138. Sur les bords du lac de
Tibériade.
Les disciples se
rendirent en Galilée, d'après l'ordre de Jésus.
C'est là qu'ils retrouvèrent vivant, le souvenir de
toutes les expériences qu'ils avaient faites avec le
Sauveur. La petite ville de Cana leur rappelait le
miracle du changement de l'eau en vin, par lequel le
Seigneur avait manifesté sa gloire ; Capernaüm ! -
que de miracles n'y avait-il pas opérés ! Combien de
fois n'avait-il pas enseigné dans la synagogue de
cette ville ! À Naïn, il avait ressuscité un
jeune homme. C'est sur cette colline qu'il avait
prononcé le sermon de la montagne. C'est dans ce
désert qu'il avait rassasié des milliers de
personnes avec quelques pains. Ici s'élève la
montagne de la transfiguration. Là, c'est la mer,
au bord et sur les flots de laquelle ils avaient été
témoins de sa puissance miraculeuse. C'est sur une
de ces hauteurs que le Seigneur avait donné
rendez-vous à ses apôtres et à ses disciples. Mais
le jour et l'heure n'étaient pas encore venus.
C'étaient Simon Pierre, Thomas, Nathanaël, Jacques
et Jean et deux autres qui, formant une société
particulière dans le cercle plus étendu des
disciples, devaient être aujourd'hui témoins de la
résurrection du Sauveur. Leurs coeurs étaient plus
étroitement unis les uns aux autres, par leur
expérience commune des faits divins qui s'étaient
produits dans le cours de ces trois dernières années,
et par leur commun amour pour Jésus. Dans ces
dispositions, et après de telles expériences, les
sujets de conversation ne manquaient pas entre eux,
et le temps passait rapidement.
Simon Pierre leur dit : Je
m'en vais pêcher. Ils lui dirent : Nous y allons
aussi avec toi. Ceci a pu paraître
extraordinaire à plus d'un chrétien, mais c'est une
preuve du calme et de l'humilité de ces disciples.
Ils avaient tout abandonné, même leur vocation
terrestre, pour suivre Jésus. Ils savaient qu'ils
avaient reçu un appel pour travailler à
l'établissement du royaume de Dieu. Le Seigneur le
leur avait encore rappelé le soir même de Pâques.
Mais les dernières instructions qu'ils devaient
recevoir, et la vertu d'en haut dont ils devaient
être revêtus, ne leur avaient pas encore été
communiquées. Ils attendaient donc le Seigneur
depuis quelque temps. Mais il était pénible à Pierre
de se livrer tout entier aux jouissances
spirituelles, en se faisant entretenir par une
hospitalité étrangère. Il veut gagner son pain par
le travail de ses mains.
Sa parole a
trouvé un écho sympathique dans ses compagnons.
Ils allèrent donc ensemble,
et entrèrent dans une barque, mais ils ne prirent
rien cette nuit-là. Bien qu'ils fussent
les élus de Dieu et que le Seigneur les eût choisis
pour renouveler le monde par leur moyen, ils
n'avaient pas honte de leur humble métier de
pêcheurs. D'autres se seraient peut-être demandé
s'il était convenable pour eux de se montrer aux
yeux des hommes, absorbés par une activité ayant
trait à des choses aussi minimes et aussi terrestres.
Les disciples ne planent pas sur de telles hauteurs.
Ils sont sous la croix et ils ont été rendus humbles
par la croix. Jésus ne prend pas d'abord part à leur
travail, afin de les bénir ensuite d'autant plus
richement.
Le matin étant venu, Jésus
se trouva sur le rivage, mais les disciples ne
savaient pas que c'était Lui. - Jésus se
trouve toujours au bon moment partout où l'on a
besoin de lui. Mais les disciples le prirent pour un
étranger : leurs yeux étaient retenus. Il ne fallait
pas qu'ils le reconnussent de leurs yeux, afin de
s'habituer à le reconnaître à ses oeuvres, malgré
l'obscurité qui pouvait encore l'envelopper.
Jésus leur dit : Enfants,
n'avez-vous rien à manger ? Ils lui répondirent :
Non. Il leur dit : Jetez le filet du côté droit de
la barque et vous en trouverez. Ils le jetèrent donc,
mais ils ne pouvaient plus le retirer à cause de la
grande quantité de poissons. Celui qui
s'étonne que les disciples n'aient pas reconnu Jésus
à l'ordre de jeter le filet du côté droit de la
barque, puisque cet ordre devait leur rappeler celui
d'avancer en pleine eau et de jeter leurs filets (Luc
V, 6), celui-là oublie combien le pauvre coeur
humain perd promptement le souvenir des grâces qu'il
a reçues dès qu'il est pressé par une nouvelle
épreuve.
Alors le disciple que Jésus
aimait dit à Pierre : C'est le Seigneur ! Et quand
Pierre entendit que c'était le Seigneur, il se
ceignit de sa robe de dessus, car il était nu, et il
se jeta dans la mer. Mais les autres disciples
vinrent avec la barque, tirant le filet plein de
poissons, car ils n'étaient éloignés de terre que
d'environ deux cents coudées. Avec le
coup d'oeil d'aigle de l'amour, Jean reconnaît celui
dont l'amour fait le bonheur et la gloire de sa vie.
Même dans son travail de pêcheur, le coeur de Jean
n'oublie pas l'origine de sa vie spirituelle. Voilà
pourquoi il distingue si promptement la gloire du
Fils unique du Père. Cette parole :
C'est le Seigneur,
fait aussitôt une profonde impression sur Pierre.
Elle est pour lui un trait de lumière, et
immédiatement il redevient le disciple énergique que
nous connaissons. Le court espace qui le sépare du
rivage lui parait démesurément long. Son ardent
amour le pousse vers le Bien-aimé. Il se jette dans
la mer. Jésus l'attire au rivage comme un aimant. Il
se sent pardonné. C'est pourquoi il n'y a plus dans
son coeur nulle trace de cette frayeur qui lui
faisait dire : « Seigneur, retire-toi de moi, car je
suis un homme pécheur ! »
Le pécheur reçu
en grâce se jette dans les bras de son Sauveur ; il
ne veut plus être séparé de lui. Les autres
disciples, bien qu'ils aient entendu l'exclamation
de Jean et qu'ils aient vu Pierre se jeter dans la
mer, s'approchent lentement du bord, de peur de
perdre la riche bénédiction renfermée dans leur
filet. Quelle diversité de dons dans une même grâce
! chez Jean, Pierre et les autres disciples ?
Puissions-nous cependant apprendre quelque chose de
chacun d'eux : de Jean, ce simple et limpide regard
de la foi qui reconnaît le Seigneur à ses oeuvres ;
de Pierre, cet amour actif qui se hâte au-devant du
Sauveur, avec un coeur brûlant ; - des autres
disciples, la fidélité et l'obéissance au moyen
desquelles on s'approche lentement, mais
continuellement de Jésus, par la sanctification.
C'est le
Seigneur ! Puisse le regard de la foi éclairer
nos coeurs, toutes les fois que Dieu nous bénit au-delà
de ce que nous demandons et pensons, malgré notre
infidélité, tellement que cette bénédiction nous
brûle comme des charbons ardents ! - C'est le
Seigneur ! Cette parole retentit dans nos coeurs
lorsque, après avoir fait une chute, nous pouvons de
nouveau croire au pardon de nos péchés. Le disciple
que Jésus aime l'adresse en nous au disciple que
Jésus a affligé. - C'est le Seigneur ! Puisse
cette parole se faire entendre, lorsque les obscurs
nuages de l'affliction ou des nécessités terrestres
nous voilent la face du soleil de la grâce lorsque
l'éternel amour nous blesse en réclamant de nous des
sacrifices que notre coeur ne veut pas accepter,
lorsque tout s'assombrit à nos yeux ! Puisse alors
un rayon de lumière venant du sanctuaire, pénétrer
dans nos coeurs défaillants, tellement qu'ils
puissent dire : C'est le Seigneur ! et se
sentir restaurés ! Et à notre dernière heure, puisse
le fidèle Sauveur nous envoyer un des disciples
qu'il aime, pour préparer notre âme au passage qui
la conduit à la maison du Père, en nous répétant
cette parole pleine de consolation : C'est le
Seigneur ! Que Dieu nous fasse la grâce d'être
prêts! « Les royaumes du monde sont soumis à notre
Seigneur et à son Christ, et il régnera au siècle
des siècles ! »
Quand il furent descendus à
terre, ils virent de la braise qui était là et du
poisson dessus et du pain. Il est évident
que le Seigneur ne pensait pas à ses propres besoins,
lorsqu'il demandait à ses disciples s'ils n'avaient
rien à manger. Qu'il se soit procuré ces poissons et
ce pain par sa puissance créatrice ou qu'il les ait
reçus par l'intermédiaire d'un ange, cela importe
peu. Jésus leur dit :
Apportez les poissons que vous venez de prendre.
Il faut qu'ils contribuent aussi au repas en
joignant leurs provisions à celles que le Seigneur
leur avait préparées.
Simon, Pierre remonta dans la barque et tira le
filet à terre, plein de cent cinquante-trois grands
poissons ; et quoiqu'il y en eût tant, le filet ne
se rompit point. Le Seigneur n'oublie pas
plus les siens après sa résurrection glorieuse qu'il
ne les avait oubliés dans son état d'abaissement.
Voilà ce qu'ils doivent fermement croire lorsque,
dans leur carrière future, la disette et la
nécessité les assailliront comme un homme armé.
Jésus leur dit : Venez et
mangez. Et aucun des disciples n'osait lui demander
: Qui es-tu ? sachant que c'était le Seigneur. Jésus
donc s'approcha, et prenant du pain, il leur en
donna et du poisson aussi. Les disciples
sont invités par le Seigneur en qualité d'hôtes. Ils
savent que c'est lui, mais ils n'osent pas le
questionner. Il semblerait qu'ils eussent dû le
saluer cordialement et familièrement, après l'avoir
reconnu. Mais le Sauveur leur fait sentir que les
anciennes relations ne peuvent plus exister entre
eux, mais qu'elles doivent prendre un caractère
nouveau. Bientôt ils ne pourront plus le voir de
leurs yeux ; il faudra qu'ils le reconnaissent à ses
oeuvres.
Ce fut déjà la troisième
fois que le Seigneur se fit voir à ses disciples
après sa résurrection. Jean ne veut pas
dire que c'était la troisième apparition de Jésus
après sa résurrection, mais que c'était la troisième
fois qu'il apparut à ses disciples, c'est-à-dire à
un plus grand nombre d'entre eux. Ces apparitions
dans un cercle plus étendu de ses disciples, sont au
nombre de cinq :
1° Aux dix
disciples le soir de Pâques ;
2° Aux onze disciples huit jours plus tard
3° Aux sept disciples sur le lac de Tibériade
4° Aux onze disciples avec cinq cents frères sur une
montagne de la Galilée ;
5° Aux onze disciples lors de son ascension.
Les apparitions qui furent accordées à un seul ou à
quelques-uns seulement des disciples sont aussi au
nombre de cinq
1° A Pierre ;
2° A Marie-Madeleine
3° Aux femmes Galiléennes
4° Aux deux disciples d'Emmaüs ;
5° A Jacques.
Après qu'ils eurent dîné,
Jésus dit à Simon Pierre Simon fils de Jona,
m'aimes-tu plus que ne font ceux-ci ? En
ce moment, Jésus a quelque chose de particulier à
traiter avec Pierre. Il ne le nomme plus par son nom
d'apôtre ; il l'appelle par son nom de famille. De
sa nature, il était Simon fils de Jona, et il devait
devenir toujours plus complètement, par la grâce de
Dieu, Simon Pierre. Auprès de cet autre feu, dans la
cour du palais du souverain sacrificateur, Pierre
avait renié son Maître en disant : « Je ne connais
pas cet homme, » et par là il avait perdu son nom de
disciple et sa dignité d'apôtre. La grâce du
Seigneur l'avait relevé, afin qu'il pût s'asseoir
avec joie aux pieds de son Maître avec les autres
disciples. Mais, à côté de la grâce, la vérité et la
sainteté réclament aussi leur droit. Il fallait que
les six autres disciples fussent témoins que la
plaie que Pierre s'était faite par son reniement,
était guérie et qu'il pouvait, lui aussi, goûter la
paix du Ressuscité. Il devait être évident, à la
face du ciel et de la terre, et même de l'enfer,
qu'il n'y avait plus, ni dans le coeur ni dans la
conscience de Pierre, aucun obstacle à sa
réintégration dans sa vocation d'apôtre.
Le Seigneur lui
dit : « M'aimes-tu plus que ne font ceux-ci ? »
Cette question dut immédiatement ramener l'esprit de
Pierre à cette nuit terrible et décisive du dernier
repas pascal, dans laquelle Jésus institua la sainte
Cène et prédit à ses disciples leur défection.
Quelle assurance Pierre ne montra-t-il pas alors ! «
Quand même tous les autres se scandaliseraient en
toi, je ne serai cependant pas scandalisé. » Comment
son amour s'était-il montré plus fidèle et plus
ferme que celui des autres disciples ? Comment
avait-il tenu parole ? Est-ce que son amour est plus
fort et plus constant que celui des autres disciples
? Simon aurait pu invoquer, comme preuve toute
récente de son ardent amour, l'empressement qu'il
avait montré, il y avait à peine une heure, en se
jetant dans la mer afin de rejoindre son Maître
avant tous les autres. Que pense Simon de lui-même
et de son amour ? Il ne peut parler que de celui
dont son coeur est rempli. Il ne songe pas à se
comparer aux autres, auxquels il ne pense même pas.
Il ne s'en rapporte pas non plus à son propre
sentiment, mais au seul jugement du Seigneur.
Oui, Seigneur, tu sais que
je t'aime. Et le Seigneur, qui voit la
droiture du coeur de son disciple, lui remet en main
son oeuvre de prédilection :
Pais mes agneaux.
Après la pêche
miraculeuse, qui avait eu lieu trois ans auparavant,
il avait dit à Pierre : « Désormais tu seras pêcheur
d'hommes vivants. » Par ces paroles, le Seigneur
désignait l'apostolat plutôt par son côté extérieur.
Ici, il introduit son disciple au coeur même de sa
mission, qui consistera à nourrir chaque âme en
particulier du pain de la Parole et à la lui amener.
Parmi les brebis du troupeau, qu'il s'est acquises
par son sang, et que le Père lui a données comme
prix de ses souffrances, celles qui lui tiennent le
plus au coeur, ce sont les commençants, les enfants
nouvellement nés, les pauvres en esprit, les coeurs
timides, qui n'osent pas s'approprier le salut et
qui, repentants, soupirent après le Sauveur. Ces
agneaux, y compris les moins avancés en âge, le bon
Berger les confie à ses subordonnés, afin qu'ils
prennent soin de leurs âmes.
Le Seigneur
demande une seconde fois à Pierre :
Simon, fils de Jona,
m'aimes-tu ? Dans cette question, Jésus
ne parle plus de comparaison. Il demande si Pierre
l'aime d'un amour sincère. Voilà ce dont il faut que
Simon se rende exactement compte. Cette question
pourrait paraître superflue. Il va de soi que celui
qui s'est joint au Seigneur, doit nécessairement
l'aimer. Le Sauveur ne trouve pas du tout cette
question superflue. Il l'adresse, non seulement à
Pierre, mais aussi à toi, coeur chrétien. M'aimes-tu
en vérité ? Pour un disciple, il est honteux d'être
rendu attentif à un manque d'amour, mais ce manque
ne peut être comblé que lorsqu'on se laisse
reprendre à son sujet. Ce défaut d'amour pour le
Sauveur, n'est pas seulement attesté par la froideur
ou l'inimitié, mais aussi par l'égoïsme, et
l'amour-propre.
Celui à qui il a
été beaucoup pardonné, aime beaucoup. Dès lors, il y
a manque d'amour, dès qu'on ne se réfugie pas chaque
jour auprès de Jésus, avec la foule des péchés qu'on
a commis, dès qu'on ne lave pas chaque jour ses
vêtements dans le sang de l'Agneau. C'est pourquoi
ceux-là seuls aiment avec ardeur, qui, dans le
sentiment de leurs péchés, ne vivent que de grâce.
C'est aussi pourquoi Simon peut hardiment regarder
le Seigneur en face et lui dire :
Oui, Seigneur, tu sais que je
t'aime, car, dans cette nuit terrible,
lorsqu'il sortit et pleura amèrement, il se sentit
un pauvre pécheur. Il lui
dit : Pais mes brebis. Non seulement ceux
qui commencent à croire, mais tout le troupeau de
l'Évêque des âmes est confié à la garde fidèle et
aux soins diligents de Pierre.
Jésus lui demande
pour la troisième fois :
Simon, fils de Jona, m'aimes-tu ?
Celui-là seul est capable de remplir les fonctions
de berger, qui aime Jésus de tout son coeur. Ce que
le Seigneur exige de Pierre, c'est un coeur brûlant
d'amour pour lui, et une vie qui lui soit absolument
consacrée. C'est ce que Pierre est prêt à donner.
Mais, lorsque le Sauveur lui demande pour la
troisième fois s'il l'aime, cette question lui
rappelle douloureusement sa triple infidélité,
pendant cette nuit où les assurances qu'il avait
données de son amour pour son Maître avaient si
ignominieusement tourné à sa confusion.
Pierre fut attristé de ce
qu'il lui avait dit pour la troisième fois :
M'aimes-tu ? Il aurait pu lui répondre :
Je t'aime, mais pas autant que je voudrais t'aimer.
Il sent qu'après cette chute profonde, les
protestations d'amour que sa bouche prononce, n'ont
plus guère de valeur. C'est pourquoi il en appelle à
l'infaillible jugement du Seigneur lui-même. Il lui
dit : Seigneur, tu sais
toutes choses ; tu sais que je t'aime.
Ce qui lui avait
été enseigné naguère, non par la chair et le sang,
mais par le Père qui est dans le ciel, répand de
nouveau une brillante lumière dans son coeur,
maintenant qu'il s'est douloureusement aperçu que
Jésus veut lui rappeler exactement tous les détails
de sa chute. Tu sais toutes
choses. Par ces paroles, Pierre rend le
même témoignage que Thomas rendit par cette
exclamation : Mon Seigneur et mon Dieu ! Le
triple reniement devait être suivi d'une triple
protestation d'amour. C'est ainsi que Jésus l'entend,
et il lui confère pour la troisième fois la mission
de lui amener les âmes :
Pais mes brebis.
Cette mission du
Crucifié impose une lourde croix et conduit sur un
chemin qui répugne absolument à la nature. Pierre en
a appelé à la toute-science du Seigneur, et le
Seigneur lui en donne immédiatement une nouvelle
preuve. En vérité, en
vérité je te dis, lui dit-il, - et Pierre
ne doutera pas une seconde fois de l'infaillibilité
de cette parole, - lorsque
tu étais jeune, tu te ceignais toi-même et tu allais
où tu voulais ; mais lorsque tu seras vieux, tu
étendras les mains, et un autre le ceindra et te
mènera où tu ne voudrais pas. Jésus lui dit cela,
pour marquer de quelle mort Pierre devait glorifier
Dieu. Avant que ses forces naturelles
fussent brisées, Pierre suivait sa propre voie, et
bien que le Seigneur lui eût dit : « Tu ne peux pas
me suivre maintenant », il l'avait cependant suivi.
La volonté propre, attestée par cette démarche,
devait être détruite. Lorsque Pierre mourut sur la
croix, il étendit ses mains dans la libre obéissance
de la foi, se laissa ceindre et conduire d'une
manière qui répugnait à la nature. Mais la grâce lui
donna la force de sceller de son sang le témoignage
d'amour qu'il rendit au Seigneur.
Après avoir ainsi
parlé, Jésus lui dit :
Suis-moi. Si Pierre n'avait pas bien
compris la parole : « Tu étendras les mains », le «
Suis-moi » dut la lui expliquer. Cet ordre devait
immédiatement lui rappeler cette autre parole :
Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à
soi-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me
suive. Il dut lui rappeler aussi ce que Jésus
lui avait dit à lui-même la nuit de la Passion :
Tu me suivras ci-après. Et Pierre a suivi
l'Agneau de Dieu sur le chemin du martyre. Celui qui
eut part aux souffrances de Christ et qui en fut
témoin, n'a rien de commun avec l'éclat mondain et
la pompe de ceux qui se disent les successeurs de
Pierre.
Et Pierre s'étant retourné,
vit venir à lui le disciple que Jésus aimait, celui
qui, pendant le souper, était penché sur le sein de
Jésus et lui avait dit : Seigneur, qui est celui qui
te trahira ? Pierre donc l'ayant vu, dit à Jésus :
Seigneur, et celui-ci, que lui arrivera-t-il ?
Pierre ne comprend évidemment pas que son amour pour
le Seigneur doive être si rudement éprouvé, tandis
que Jean devait avoir une vie plus douce. En
comparant son avenir avec celui de Jean, il
craignait sans doute que le martyre qu'on lui
annonçait, ne fût encore un châtiment de son
reniement. Il y avait en tout cas, dans cette
question, quelque chose qui n'était pas né de la
grâce. C'est pourquoi le Seigneur le reprend en lui
disant : Si je veux qu'il
demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ?
Toi, suis-moi. Le Seigneur repousse avec
une sévérité inattendue cette question de son
disciple. Il est probablement mû par le même motif
qui l'avait porté à signifier à sa mère, aux noces
de Cana, de se renfermer dans la sphère de son
humanité. La doctrine de la primauté de Pierre, avec
toutes les prétentions qu'on a fondées sur elle,
semblerait appuyée sur l'Écriture, si le Seigneur
avait révélé à ce disciple l'avenir de saint Jean !
Le fait que Jésus a repoussé celle question
indiscrète relativement à ses desseins, et cette
immixtion téméraire dans son gouvernement, ce fait
contredit directement cette doctrine anti-biblique,
d'après laquelle Pierre serait le représentant de
Christ sur la terre.
Ce qui fit courir le bruit
parmi les frères que ce disciple ne mourrait point.
Cependant Jésus n'avait pas dit : Il ne mourra
point, mais il avait seulement dit : Si je veux
qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que
t'importe ? Même parmi les frères, qui
cependant aimaient la vérité, la parole du Seigneur
avait été mal interprétée. L'apôtre a rectifié cette
erreur en écrivant son Évangile. Nous voyons par là,
combien la parole écrite est plus sûre que la
tradition orale. À la vérité, le Seigneur parle
conditionnellement : Si je veux. Mais Jean
s'approprie par la foi cette expression de son
Maître, et est convaincu qu'il demeurera jusqu'à ce
que le Seigneur vienne. En effet, Pierre avait
depuis longtemps terminé sa carrière, que Jean
demeurait encore. Il demeurait, lorsqu'aucun des
apôtres n'existait plus. Il ne demeura pas jusqu'à
ce que le Seigneur vint sur les nuées du ciel pour
juger les vivants et les morts, mais il vit le
premier et terrible signe de son avènement : la
destruction de Jérusalem. Il demeura jusqu'à ce que
le Seigneur vint à lui dans l'île de Pathos, et lui
révéla l'avenir de son Église, afin qu'il en tendit
témoignage à ses frères.
139. Sur la montagne, en Galilée.
Dans les
apparitions dont le Seigneur avait jusqu'ici
favorisé ses disciples, il avait seulement pour but
de les convaincre de la réalité de sa résurrection.
Déjà le soir de Pâques, il leur avait parlé de leur
mission future ; plus tard, sur le lac de Tibériade,
il avait expressément réintégré Pierre dans sa
charge d'apôtre. Cependant, une ordination
solennelle, par laquelle il les consacrait comme ses
envoyés, n'avait pas encore en lieu. De plus, le
Seigneur ne s'était pas encore montré vivant à la
foule des croyants. Cette ordination devait avoir
lieu en Galilée, où il avait donné rendez-vous à
tous ses disciples. En présence de plus de cinq
cents frères, le Seigneur investit ses apôtres de
leur charge, et les consacre solennellement pour
leur mission, afin que tous les considèrent comme
ses messagers. Le Sauveur avait un grand peuple en
Galilée. Il veut se présenter publiquement à tous
ceux qui ont cru en lui, afin de les consoler et les
réjouir. Et les onze
disciples s'en allèrent en Galilée, sur la montagne
où il leur avait ordonné d'aller ; et quand ils le
virent, ils l'adorèrent, même ceux qui avaient douté.
Aussitôt que la multitude des croyants le vit, elle
tomba à ses pieds, comme naguère Thomas, pour
l'adorer.
Quelques-uns
avaient douté, non de la réalité de la résurrection
de Jésus, mais de l'identité de leur Jésus avec
celui qu'ils voyaient maintenant de leurs yeux. Il
n'y avait plus désormais en eux aucun doute
provenant de l'incrédulité, mais les disciples ne
pouvaient pas immédiatement se ressaisir en présence
de cette merveilleuse alliance d'une gloire céleste,
unie à une bienveillance et à une affabilité tout
humaines qu'ils trouvaient en Jésus. C'est pourquoi
le Seigneur ne les blâme point. Il s'approche d'eux,
leur parle et leur dit :
Toute-puissance m'a été donnée dans le ciel et sur
la terre. Cette toute-puissance au ciel
et sur la terre, il la partageait comme Fils de Dieu,
de toute éternité, avec le Père. Mais maintenant,
son humanité, inséparablement unie à sa divinité,
est aussi en possession de cet attribut.
La toute-puissance
divine de Christ remplit d'une douce et bien
heureuse consolation tous ceux qui l'adorent du fond
de leur coeur comme leur Seigneur et leur Dieu.
Allez donc et instruisez
toutes les nations (allez vous-en par tout le monde
et prêchez. l'Évangile à toute créature) les
baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Ce n'est pas seulement aux brebis perdues de la
maison d'Israël, que les disciples sont envoyés pour
leur annoncer l'Évangile, mais au monde entier ; car
c'est pour toute l'humanité pécheresse que le Bon
Berger a donné sa vie et versé son sang. Les
disciples de Jésus doivent se répandre sur toute la
surface de la terre, et le devoir de chacun d'eux
est de faire de tous les peuples des disciples de
Christ.
Les apôtres rempliront leur mission par ce triple
travail :
1° prêcher
l'Évangile,
2° recevoir tous les peuples dans la communion du
Père, du Fils et du Saint-Esprit par le baptême, et
3° enseigner tout ce que Christ leur a commandé.
Il faut que tout pécheur entende la Bonne Nouvelle.
Le Dieu saint pardonne les péchés par le sang de son
Fils. Mais les pensées de paix dont Dieu est animé
envers les hommes, vont plus loin. Il ne veut pas
seulement exempter du châtiment les pécheurs
croyants ; il ne veut pas seulement les traiter
selon la grâce et non selon la justice ; il veut
encore leur conférer l'adoption, c'est-à-dire non
seulement les considérer comme ses enfants, mais
faire d'eux véritablement ses enfants par la
nouvelle naissance d'eau et d'Esprit. Il veut les
introduire dans la communion du nom et de l'essence
du Dieu Père, Fils et Saint-Esprit. Seulement, il
faut que ceux qui sont devenus enfants de Dieu par
leur baptême, se montrent enfants de Dieu par leur
conduite. C'est pourquoi ils doivent être instruits
dans la doctrine et dans les commandements de
Christ.
Le Seigneur
ajoute au triple commandement une triple promesse.
Celui qui croira et sera
baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croira point,
sera condamné. Le Seigneur, qui préside
aux destinées de son Église, est en tout temps
fidèle à sa parole. Partout où le baptême est
administré conformément à son institution, le
Seigneur agit par les mêmes moyens de grâce qu'il
promet ici. Le sacrement opère le pardon des péchés,
la délivrance de la mort, et du diable, et donne la
vie éternelle à tous ceux qui croient.
L'incrédulité de
ceux qui sont baptisés ne peut que changer la
bénédiction du baptême en malédiction et en
condamnation, mais elle ne peut pas l'anéantir. Ceux
qui ont reçu le baptême sans la foi, ont néanmoins
reçu la puissance régénératrice du sacrement par
laquelle ils auraient pu être amenés à la foi ; mais,
parce qu'ils n'ont pas voulu croire, ils en
recevront une plus grande condamnation. De même que
la foi seule sauve sans les oeuvres, ainsi
l'incrédulité seule précipite dans la condamnation.
Nos transgressions et nos mauvaises oeuvres ne nous
condamneront pas si nous cherchons un refuge par la
foi dans la grâce du Fils de Dieu. Mais toute notre
honorabilité, toute une vie d'honnêteté ne peuvent
nous préserver de la condamnation, si par
incrédulité nous méprisons Jésus et le sang qu'il a
versé pour nous.
La deuxième
promesse est la suivante:
Voici les miracles qui accompagneront ceux qui
auront cru : Ils chasseront les démons en mon nom ;
ils parleront de nouvelles langues, ils chasseront
les serpents ; quand ils auront but quelque breuvage
mortel, il ne leur fera pas de mal : ils imposeront
les mains aux malades et ils seront guéris.
Ces miracles étaient destinés à légitimer les
apôtres aux yeux du monde, afin qu'ils fussent
reconnus et respectés comme les messagers du
Seigneur, lorsqu'il ne serait plus visiblement avec
eux. Même pendant sa vie, les soixante-dix
disciples, après leur tournée d'évangélisation,
s'étaient réjouis en disant : « Seigneur, les démons
même nous sont assujettis par ton nom. » À Philippes,
saint Paul commande à l'esprit de Python qui s'était
emparé d'une servante, en lui disant : « Je
t'ordonne, au nom du Seigneur Jésus-Christ, de
sortir de cette fille, » et il en sortit au même
instant, et elle fut affranchie de la puissance de
cet esprit. - Le jour de la Pentecôte, les disciples
parlèrent diverses langues. - Nous lisons au livre
des Actes des Apôtres que saint Paul, se trouvant
dans l'île de Malte, une vipère s'attacha à sa main,
tellement que ceux qui étaient présents
s'attendaient à ce qu'il enflât et tombât mort. Et,
voyant qu'il n'en éprouvait aucun mal, ils
s'écrièrent avec étonnement : « C'est un dieu ! »
Paul n'était pas un dieu, mais, comme apôtre de
Jésus-Christ, il marchait dans la force en la
promesse de son Dieu Sauveur. - Quant à des
guérisons de malades opérées par les apôtres au nom
de Jésus, les Actes en rapportent presque à chaque
page. Le Seigneur leur a fidèlement tenu sa promesse,
et il s'est manifesté dans leur prédication et dans
leurs prières. Car il
opérait lui-même avec eux et confirmait leur parole
par les miracles qui l'accompagnaient.
Mais le Sauveur
n'a pas promis aux apôtres seuls le pouvoir d'opérer
des miracles : il l'a fait à tous ceux qui
croiraient en lui, c'est-à-dire à toute son Église.
Aussi longtemps que l'Église de Christ persiste dans
la foi, elle peut compter avec assurance sur cette
promesse. Mais dès que la foi des apôtres disparaît,
les miracles opérés par les apôtres disparaissent
naturellement avec elle. C'est pourquoi il n'y a
rien d'étonnant à ce que de nos jours il s'opère si
peu de miracles. Ils ne sont pas complètement
supprimés, mais ils sont rares, parce que la foi qui
regarde à Jésus avec simplicité est rare. Cependant,
l'oeil de la foi distingue beaucoup plus de miracles
que l'incrédulité ne le voudrait. Ils se produisent
là où l'on porte la connaissance du nom de Dieu au
delà de l'ancienne chrétienté ; là où l'on fonde de
nouvelles églises parmi les païens ; là où il faut
arracher l'Église à une décadence générale pour la
remettre sur son fondement primitif. Seulement, ces
miracles suivent ceux qui ont cru en Jésus ; ils ne
précèdent pas la foi. Quiconque cherche les miracles
avant de croire en Jésus, ou qui cherche Jésus pour
pouvoir opérer des miracles, ne trouvera ni Jésus ni
les miracles.
En 1540, Frédéric
Myconius gisait mourant sur son lit dans la ville de
Meissen, tellement que chaque jour on attendait sa
fin. Lorsqu'il sentit approcher le dernier moment,
il écrivit d'une main tremblante à son ami Luther un
cordial adieu. Luther, après avoir lu la lettre,
s'écria : « A Dieu ne plaise ! » Et s'étant
immédiatement assis à son bureau, il écrivit les
lignes suivantes à son ami expirant : « Non ! un
ouvrier zélé comme toi dans l'oeuvre du Seigneur, ne
peut pas encore mourir. Au nom de Jésus-Christ,
je t'ordonne de vivre, parce que tu es encore
trop utile pour le relèvement de l'Église. M.
LUTHER. » Post-scriptum : « Que le Seigneur ne
permette pas que j'apprenne ta mort pendant ma vie ;
mais qu'il fasse que tu me survives, voilà ce que je
demande instamment. » Et il lui fut fait selon sa
foi. Myconius avait déjà perdu l'usage de la parole,
lorsque cette lettre lui parvint et lui fut lue. Dès
ce moment, il se trouva mieux ; il guérit et vécut
encore six ans. Il mourut deux mois après Luther.
Et voici, je suis toujours
avec vous jusqu'à la fin du monde. Telle
est la troisième précieuse promesse du Seigneur.
Elle n'est pas faite seulement à ceux qui
l'entendirent les premiers de la bouche de Jésus,
sur la montagne de Galilée, car ils sont morts et
n'ont pas vécu jusqu'à la fin du monde. Cette
promesse est sans doute faite aux apôtres et aux
premiers disciples du Sauveur ; mais elle est faite
aussi à tous ceux qui demeurent fermes dans la
doctrine des apôtres. Le Seigneur est en tout temps
présent dans son Église, par sa protection et par
l'efficace de sa puissance ; mais il promet ici
d'être personnellement présent. Sa présence
perpétuelle au milieu de son Église est un gage
assuré qu'elle ne sera jamais ébranlée. « Les
ruisseaux du fleuve réjouiront la ville de Dieu, qui
est le lieu saint des tabernacles du Très-Haut. Dieu
est au milieu d'elle : elle ne sera point ébranlée.
Dieu la secourra en tournant son visage vers elle
dès le matin. » (Ps.
XLVI, 5.) La présence permanente de Christ dans
son Église, la rend capable d'être et de rester ce
qu'elle doit être, c'est-à-dire son corps. Aussi
chaque manifestation de la vie de l'Église est une
manifestation de la vie de Christ, qui veut se
servir d'elle pour accomplir sa propre oeuvre. Par
eux-mêmes, les serviteurs de Christ sont aussi
impuissants que tous les autres membres de l'Église.
L'action puissante et mystérieuse de Dieu, par la
Parole et les sacrements, est due non aux serviteurs,
mais à Christ lui-même, présent et vivant au milieu
des siens.
Voici, je suis toujours
avec vous jusqu'à la fin du monde.
Lorsque Dieu nous conduit par des chemins obscurs,
où nos yeux sont pleins de larmes, et où nous
marchons solitaires, privés des consolations de
l'amour fraternel ; lorsque nous sommes vaincus dans
nos luttes contre le péché et que nos amis et nos
frères s'éloignent de nous, parce qu'ils doutent de
la sincérité de notre foi ; lorsque notre propre
coeur nous condamne et que tout se tourne contre
nous, que l'ennemi de nos âmes nous plonge dans un
désespoir semblable à celui de Caïn ; lorsque tout
espoir s'effondre et que toute consolation nous est
refusée ; qu'à notre dernière heure, notre âme est
écrasée, et que les traits du Tout-Puissant nous ont
transpercés ; que notre coeur saigne par toutes ses
blessures ; lorsqu'enfin tout en nous est ébranlé,
alors il nous reste comme unique rocher la promesse
du Témoin fidèle et véritable :
Voici, je suis toujours avec
vous jusqu'à la fin du monde. Heureux
celui qui a jeté son ancre sur ce rocher !
140. Ascension de Jésus.
De la montagne de
Galilée, les disciples sont envoyés par le Sauveur à
Jérusalem. C'est là qu'il leur apparaîtra pour la
dernière fois. il s'est montré pendant quarante
jours, et leur a donné plusieurs preuves de sa
résurrection.
Et les ayant assemblés, il
leur commanda de ne point partir de Jérusalem, mais
d'y attendre la promesse du Père, laquelle dit-il,
vous avez ouïe de moi. Car Jean a baptisé d'eau,
mais vous serez baptisés du Saint-Esprit dans peu de
jours. Eux donc, étant assemblés, lui demandèrent :
Seigneur, sera-ce dans ce temps-là que tu rétabliras
le royaume d'Israël ? Mais il leur dit : Ce n'est
pas à vous de connaître les temps et les moments
dont le Père a réservé la disposition à sa propre
puissance. Mais vous recevrez la vertu du
Saint-Esprit, qui descendra sur vous, et vous me
servirez de témoins, tant à Jérusalem que dans toute
la Judée et la Samarie et jusqu'aux extrémités de la
terre. Lorsque les disciples interrogent
le Seigneur au sujet de l'établissement de son
royaume, il ne faut pas croire qu'ils eussent en vue
un royaume messianique terrestre. Le Seigneur les en
eût repris. Or, il ne le fait pas. Depuis sa
résurrection, il leur a plusieurs fois parlé du
règne de Dieu et leur a promis de le fonder
lui-même. Mais lorsqu'ils veulent connaître le temps
auquel ce royaume sera établi, il leur répond que le
Père a réserve à sa propre puissance la disposition
des temps et des moments. Avant de paraître dans la
gloire, il faut que ce règne paraisse comme règne de
grâce, et renouvelle le monde pécheur par la Parole
et les sacrements.
Avant que le
Seigneur revienne sur les nuées du ciel, il faut que
les apôtres soient ses témoins en prêchant la
repentance et la rémission des péchés par la
puissance du Saint-Esprit.
Et après qu'il eut dit ces
paroles, il les mena hors de la ville, jusqu'à
Béthanie ; puis, levant les mains, il les bénit. Et
il arriva, comme il les bénissait, qu'il se sépara
d'eux et fut enlevé au ciel pendant qu'ils le
regardaient. Une nuée l'emporta de devant leurs yeux
et il fut enlevé au ciel et s'assit à la droite de
Dieu. Le Seigneur conduit ses disciples
par le chemin qu'ils avaient suivi la nuit où il fut
trahi. C'est alors qu'avant de franchir le torrent
de Cédron, il avait prononcé sa prière sacerdotale,
dans laquelle il avait demandé la bénédiction de
Dieu pour lui-même, pour ses disciples et pour toute
l'humanité. Le Père a exaucé cette prière. - Aux
lieux mêmes qui avaient été témoins de ses plus
cruelles souffrances, où son âme avait été saisie de
tristesse jusqu'à la mort, où il avait crié,
tremblé, pleuré, en ces mêmes lieux devait se
révéler sa gloire. Si le Seigneur choisit, pour
opérer son Ascension, le théâtre de son plus profond
abaissement, c'est pour montrer à ses disciples et à
tous les croyants, que notre chemin nous conduit par
les souffrances à la gloire. C'est en bénissant que
Jésus est monté au ciel. Il nous apprend par là que
de même qu'il a vécu et souffert pour nous, qu'il
est mort et ressuscité pour nous, de même il vit et
prie pour nous dans le ciel. Le Seigneur a été élevé
au ciel aux yeux de ses disciples. Ils étaient dés
lors certains que les apparitions dont ils avaient
été favorisés depuis les fêtes de Pâques, devaient
cesser. Ils n'attendaient plus désormais aucune
nouvelle révélation du Ressuscité. Ils n'attendaient
plus que la réalisation de la promesse du
Saint-Esprit, qui devait avoir lieu dans peu de
jours.
Le Seigneur est
monté au ciel. Ce terme ne désigne pas la
voûte azurée qui s'étend au-dessus de nos têtes, car
il est expressément dit qu'il est monté par-dessus
tous les cieux, et qu'il est plus élevé que les
cieux. Il ne saurait être non plus exclusivement
question de la participation de son humanité
glorifiée à la majesté, à la puissance, à la gloire
divines, car cette participation est caractérisée
par l'expression : être assis à la droite de Dieu,
ce qui a lieu par l'ascension. Le ciel, c'est la
maison du Père, où il y a plusieurs demeures ; la
cité de Dieu vivant, où des milliers d'anges
chantent avec adoration les louanges de Dieu Père,
Fils et Saint-Esprit, et où l'assemblée des
bienheureux régénérés et rachetés par le sang de
l'Agneau, contemplent leur Roi face à face dans
toute sa beauté.
Quelle joyeuse
fête a dû être célébrée dans le ciel, lorsque le
Fils de l'homme glorifié reprit possession de la
gloire qu'il avait eue auprès du Père avant que le
monde fût fait ! Lorsque l'enfant prodigue revint
dans la maison paternelle, le père lui fit une fête,
car, dit-il, mon fils était mort et il est revenu à
la vie ; il était perdu et il est retrouvé. - Comme
les anges durent saisir leurs harpes d'or, lorsque
le Fils unique de Dieu revint vers son Père, après
avoir accompli le rachat des enfants prodigues et
leur avoir frayé le chemin de la maison paternelle !
Un chant de triomphe retentit alors, qui n'a pas
encore cessé de se faire entendre, et résonnera
pendant toute l'éternité.
Et les disciples
adorèrent le Seigneur s'élevant au ciel.
Et comme ils avaient les yeux
attachés au ciel pendant qu'il y montait, deux
hommes se présentèrent devant eux en vêtements
blancs et leur dirent : Hommes galiléens, pourquoi
vous arrêtez-vous à regarder au ciel ? Ce Jésus, qui
a été élevé d'avec vous dans le ciel, en reviendra
de la même manière que vous l'y avez vu monter.
De même que les disciples ont vu le Ressuscité
monter au ciel avec son corps glorifié, pour
s'asseoir à la droite de Dieu, de même aussi le Fils
de l'homme reviendra avec une grande puissance et
une grande gloire pour juger les vivants et les
morts.
Et eux étant partis,
prêchèrent partout, le Seigneur opérant avec eux et
confirmant leur parole par les miracles qui
l'accompagnaient. Le Seigneur est fidèle.
Il accomplit sa promesse : Voici, je suis
toujours avec vous jusqu'à la fin du monde. Et
sa présence au milieu des siens n'est pas un repos,
c'est un travail agissant constamment avec toutes
les forces du Tout-Puissant ; car Celui qui opère
avec eux est assis à la droite du Père ! Lui-même,
non pas seulement ses oeuvres, sa Parole, ses
pensées, mais lui-même, personnellement, agit dans
les siens et par les siens. Lui même, le Seigneur,
qui marche au milieu des sept chandeliers d'or.
Lui-même conduit et gouverne son Église. Il lui
fraye le chemin, afin qu'elle puisse marcher en
avant jusqu'à la fin du monde.
Ainsi l'ascension
du Seigneur n'est pas seulement la fin et le
couronnement de son activité terrestre : elle est
aussi le commencement de son activité céleste. Elle
n'est pas seulement un adieu à la terre : elle est
aussi le signal de son avènement auprès des siens.
L'ascension du Seigneur ne consiste pas dans un
changement de séjour, car elle ne l'empêche pas
d'être toujours avec nous jusqu'à la fin du monde.
Sa présence au milieu de nous n'a pas lieu malgré
son ascension, mais au contraire, grâce à son
ascension. Le monde terrestre n'est point fermé au
Seigneur qui est assis à la droite de Dieu ; il lui
est au contraire largement ouvert. Il n'est lié à
aucun espace, et par conséquent, il est partout en
même temps. Revêtu de son essence divine et rentré
dans sa gloire divine, il agit dans le ciel et sur
la terre en vertu de sa toute-présence et de sa
toute-puissance divines. Et comme c'est pour nous
qu'il est monté au ciel, et que son humanité
glorifiée a été reçue dans le sein de la Trinité
divine, son ascension est le gage le plus assuré de
l'ascension de ceux qui croient en lui.
Nous faisons donc
cette confession avec toute la chrétienté qui est
sur la terre :
Je crois en Jésus-Christ
Fils unique de Dieu, notre Seigneur, qui a été conçu
du Saint-Esprit et est né de la Vierge Marie ; il a
souffert sous Ponce-Pilate ; il a été crucifié ; il
est mort ; il a été enseveli ; il est descendu aux
enfers ; le troisième jour, il est ressuscité des
morts ; il est monté au ciel ; il s'est assis à la
droite de Dieu, le Père tout-puissant ; de là il
viendra pour juger les vivants et les morts.
Amen. |