LA VIE DE
JÉSUS
CHAPITRE III
Les souffrances et la
mort de Jésus.
128. Jésus devant Pilate.
(Jean
XVIII, 28 -XIX,
16.)
Vendredi, vers quatre heures du matin, le
Sanhédrin se réunit de nouveau pour se mettre en
mesure d'exécuter la sentence de mort qu'il avait
prononcée contre Jésus. Le serment par lequel le
Sauveur avait affirmé sa qualité du Fils de Dieu,
avait fourni aux membres du Conseil suprême le
prétexte cherché pour le condamner à mort, comme
blasphémateur. Seulement, il leur était défendu
d'appliquer eux-mêmes cette peine. L'autorité
romaine s'était réservé ce pouvoir. Il fallait donc
s'adresser au gouverneur Pilate, pour obtenir
l'autorisation d'exécuter le jugement de
condamnation qui avait été prononcé. Or, il était
très douteux que Pilate consentit à exécuter une
sentence de mort basée sur une infraction à la loi
mosaïque. En tout cas, il fallait pouvoir joindre à
ce chef d'accusation, un autre grief de nature à
entraîner la peine de mort. On s'accorda sur la
nécessité de représenter Jésus comme coupable de
rébellion contre l'empereur, parce qu'il s'était
posé comme le Messie, le Roi des Juifs.ne renfermait
aucune défense à cet égard ; mais ce commandement
d'hommes, les pharisiens le mettaient bien au-dessus
de la loi de Dieu. Voilà pourquoi ils livrent à la
mort, avec sang-froid, celui auquel Moïse et les
prophètes rendent témoignage. Couler un moucheron et
avaler un chameau, telle était bien l'essence du
pharisaïsme.
Ils se rendent coupables de la même
hypocrisie, tous ceux qui célèbrent extérieurement
les jours de fête et qui laissent régner dans leurs
coeurs l'orgueil, l'avarice, la haine, le sens
charnel. Avant de participer à la sainte Cène, ils
affectent des airs d'une componction de commande ;
mais après le repas sacré, ils ne se font aucun
scrupule de vivre dans les péchés auxquels ils se
livraient auparavant. Lorsque nous voyons ce que le
Sauveur souffre entre les mains de ces saints
hypocrites, nous avons un puissant motif de veiller
et de prier, afin que tout en observant
extérieurement les formes de la piété, nous ne
crucifiions pas de nouveau le Seigneur Jésus par
notre amour du péché.
Le repas pascal, en vue duquel les
principaux sacrificateurs voulaient se conserver
purs, n'était pas celui où l'on mangeait l'agneau
pascal, car cet agneau avait été mangé déjà la
veille au soir. Il est plutôt question ici des
autres repas de la fête, dans lesquels figuraient
les pains sans levain. Les ennemis de Jésus
comptaient avec assurance que cette sanglante
affaire serait promptement terminée, et que leur
appétit pour la bonne chère qu'ils se promettaient
pendant la fête, ne serait pas gâté.Pilate
sortit donc vers eux et leur dit : Quelle accusation
portez-vous contre cet homme ?Ordinairement
le gouverneur confirmait purement et simplement la
décision du Sanhédrin, sans procéder à un nouvel
interrogatoire. Mais vis-à-vis de cet accusé, il ne
pouvait pas en être ainsi. Dès le premier coup d'oeil,
Pilate avait vu que Jésus n'était ni un criminel ni
un malfaiteur. De là sa question relativement au
délit dont il pouvait s'être rendu coupable. Les
principaux sacrificateurs étaient sans doute
préparés à ce que Pilate s'enquit de la faute de
l'accusé. Cependant ils essayent de déterminer le
gouverneur à exécuter simplement la sentence qu'ils
avaient prononcée. Si cet
homme n'était pas un malfaiteur, nous ne te
l'aurions pas amené. Ils voulaient dire :
Tu dois avoir assez de confiance en nous, pour
croire que nous n'avons pas prononcé un jugement
inique. Nous sommes tous venus à toi pour rendre
témoignage de la culpabilité de cet homme.
Toutefois Pilate ne les croit pas. Il
veut bien leur montrer de la patience et de la
complaisance. Lorsqu'une faute lui apparaît
clairement, il abrège ces longs procès et confirme
sans autres formalités la sentence du Sanhédrin.
Mais ici il a fait d'avance ses réserves. Toute la
personne de Jésus l'avait favorablement
impressionné. Il a le sentiment intime de son
innocence, et ne veut rien faire contre la voix
hautement articulée de sa conscience. Ce qu'il
aimerait le mieux, serait de rester complètement en
dehors de cette affaire, et de remettre au Sanhédrin
lui-même la charge d'exécuter la sentence qu'il a
prononcée. Prenez-le
vous-mêmes et le jugez selon votre loi.
Le gouverneur est blessé de ce que les principaux
sacrificateurs ne veulent pas même lui rendre raison
du délit de l'accusé ; et il leur explique qu'aucun
jugement ne peut être rendu sans un interrogatoire
préalable. Si, d'après la loi juive, les juges
peuvent se dispenser de faire subir cet
interrogatoire, qu'ils jugent eux-mêmes l'accusé.
Aussi s'en fallut-il de peu que la cause ne revînt
du tribunal civil au tribunal ecclésiastique.
On a peine à comprendre que les
principaux sacrificateurs n'aient pas pris avidement
Pilate au mot. Ils n'avaient réellement pas le droit
d'exécuter eux-mêmes une sentence de mort, mais
puisque cette parole avait échappé à la mauvaise
humeur du gouverneur, ils auraient très facilement
pu s'en autoriser, pour procéder rapidement à la
lapidation du condamné. Si, au lieu de cela, ils
répondent humblement : Il
ne nous est pas permis de faire mourir personne,
nous n'avons pas à considérer ces paroles comme
l'expression d'une conscience politique délicate ;
car elle ne les empêchera nullement plus tard de
mettre à mort Étienne et Jacques le Juste, sans les
faire juger par le tribunal romain. Saint Jean nous
indique le vrai et profond motif de cette
condescendance : Et ce fut
ainsi que s'accomplit ce que Jésus avait dit en
marquant de quelle mort il devait mourir.
Les principaux sacrificateurs étaient ici
desinstruments inconscients des desseins de Dieu,
d'après lesquels Jésus devait mourir sur la croix,
supplice qui n'était en usage que chez les Romains.
C'est ainsi que les ennemis de Jésus furent obligés
d'articuler un véritable chef d'accusation contre
lui. Du reste, ils y étaient préparés d'avance.Nous
avons trouvé cet homme séduisant la nation et
défendant de payer le tribut à César, et se disant
le Christ, le Roi.
Les principaux sacrificateurs laissent
prudemment de côté le vrai motif pour lequel ils ont
condamné Jésus, c'est-à-dire, parce qu'il s'était
dit Fils de Dieu ; car ils savaient bien que Pilate
n'eût jamais confirmé une sentence de mort basée sur
une telle accusation. Aussi donnent-ils à l'affaire
une tout autre tournure, comme s'il s'agissait du
salut de l'État. Ils accusent le Seigneur d'avoir
violé les lois civiles, et excité le peuple à la
désobéissance et à la rébellion contre l'autorité. À
toutes les époques de persécutions, on a adressé aux
chrétiens les mêmes reproches. Les principaux
sacrificateurs savaient parfaitement que c'était là
une pure calomnie. Jésus s'était échappé lorsqu'on
avait voulu le faire roi, et il avait dit
expressément : Rendez à
César ce qui est à César. Mais il leur
est indifférent de dire la vérité ou de mentir,
pourvu qu'ils atteignent leur but.
Pendant qu'on accusait ainsi Jésus, il
avait été conduit dans l'intérieur du prétoire pour
y être gardé. Pilate rentra donc dans le prétoire,
et ayant fait venir Jésus, il lui dit :
Es-tu le roi des Juifs ?
Pilate s'inquiétait assurément fort peu des
espérances religieuses des Juifs, mais il n'ignorait
pas qu'ils attendaient le Messie, qui devait fonder
un puissant royaume. Il devait donc être frappé au
plus haut degré de voir les chefs du peuple
s'opposer avec une telle violence à ce prétendu
Messie, sous le prétexte qu'il portait atteinte à la
domination et aux revenus de l'empereur romain.
L'affaire devenait donc intéressante pour
Pilate et il saisit volontiers l'occasion d'en
découvrir le véritable fond. Il fait donc venir le
Sauveur hors de la présence des témoins, dans
l'intérieur du prétoire, et lui dit avec étonnement
: Es-tu le roi des Juifs ?
Pilate n'a aucun pressentiment de l'importance de ce
moment où il se trouve face à face avec le Sauveur.
Mais Jésus oublie la bande desmalfaiteurs qui l'a
amené lié devant le gouverneur ; il ne pense qu'à
une chose, c'est que Pilate a une âme immortelle,
pour laquelle il est venu se livrer à la mort, et il
cherche à arriver au coeur de cet aveugle païen,
dont les mains sont souillées de tant de sang
innocent. Il répond donc à la question du gouverneur
par une autre question.Dis-tu
cela de ton propre mouvement, ou si d'autres te
l'ont dit de moi ? C'était un trait lancé
à la conscience de Pilate.« Est-ce ton coeur qui te
dicte cette question ? cherches-tu réellement un
Sauveur ? ou bien m'interroges-tu seulement
officiellement, comme juge, et pour t'assurer si je
suis en effet un personnage dangereux pour ton
empereur ? Mais un coeur non brisé ne reste pas
longtemps avec le Sauveur. Pilate pressent quelque
chose du saint amour de Jésus pour les pécheurs,
mais son orgueil étouffe ce sentiment, comme s'il
craignait que son coeur ne fut en quelque manière
impressionné par la question du Sauveur.
Suis-je Juif ?
Ta nation et les principaux sacrificateurs t'ont
livré à moi. Qu'as-tu fait ? Pilate
laisse voir tout l'orgueil d'un vieux Romain, auquel
il est impossible de s'intéresser aux questions
religieuses des Juifs. Il parle seulement comme un
juge auquel les autorités de sa nation ont livré le
Seigneur. Par sa question.Qu'as-tu fait ? il
n'a en vue que l'interrogatoire touchant les
affaires terrestres. Mais il ne se débarrasse pas si
facilement de cette main d'amour tendue vers son
âme. Le Seigneur lui dit :
Mon règne n'est pas de ce monde ; si mon règne était
de ce monde, mes gens combattraient, afin que je ne
fusse pas livré aux Juifs, mais maintenant mon règne
n'est pas d'ici-bas. Jésus calme
l'inquiétude que pouvait causer à Pilate
l'établissement du règne de Dieu, comme capable de
nuire à la stabilité de l'empire romain.
Le règne de Jésus est biendans ce
monde, et il tend à se soumettre tous les coeurs et
à pénétrer toutes les relations des hommes entre eux
; mais il n'est pas dece monde. Son origine
et toute sa constitution indiquent qu'il est de son
essence surnaturel, céleste, divin ; autrement il ne
pourrait pas transformer et glorifier le monde. Le
fait que le royaume de Jésus n'est pas de ce monde,
devait immédiatement expliquer à Pilate, cet homme
d'État éclairé, le motif pour lequel les chefs du
peuple persécutaient le« roi desJuifs » avec une
haine mortelle. Ce ne pouvait donc pas être un roi
tel qu'ils l'entendaient, ni un royaume semblable à
ceux de ce monde. - Jésus convient donc qu'il a un
royaume ; seulement ce n'est pas un royaume de ce
monde. Cette déclaration éveille l'attention de
Pilate. Il a le pressentiment qu'il y a là un
mystère extraordinaire. C'est pourquoi il dit à
Jésus avec étonnement : Tu
es donc roi ? Jésus lui répondit : Tu le dis ; je
suis roi. Jésus fait encore une fois
impression sur Pilate, qui ne peut pas rester
insensible à la noblesse et à la majesté du Sauveur
debout devant lui.
Pilate, cet homme couvert de crimes, a
étouffé les avertissements de sa conscience, dans le
tourbillon des joies mondaines. Il n'a compris ni le
profond soupir, ni l'ardente aspiration de son
coeur. Et par un merveilleux enchaînement de
circonstances, il a devant lui l'Orient d'en-haut,
le Seigneur de gloire. Et il lui est donné, pour un
instant, de jeter un regard sur ce royaume
surnaturel dont il n'a jamais eu le pressentiment.
Et le Roi de ce royaume entre en conversation avec
lui ; il heurte à la porte de son coeur, afin qu'il
la lui ouvre. Comme le scepticisme et le sens
charnel de Pilate durent être ébranlés ! Mais le
Sauveur ne veut pas lui ravir son âme dans
l'étourdissement d'un sentiment obscur et
inconscient. Il veut que le coeur du gouverneur cède
à une calme et libre conviction. C'est pourquoi il
lui vient en aide par ces paroles :
Je suis né pour cela, et je suis venu pour rendre
témoignage à la vérité.
Le but de l'incarnation du Fils de Dieu
était de délivrer l'humanité du mensonge et de la
tromperie des ténèbres, des fausses apparences et
des négations qui la séduisent. Cette parole pénètre
comme un souffle de vie dans le coeur de Pilate. 0
Pilate, ne veux-tu pas agir selon la vérité, venir à
la lumière et recevoir de ce miséricordieux Sauveur
la paix pour ta conscience troublée ? Ne veux-tu pas
te laisser arracher à l'empire des ténèbres, pour
être transporté dans le royaume de la lumière ?
Cette importante question, Jésus la jette dans
l'esprit de Pilate par ces paroles :Quiconque
est pour la vérité, écoute ma voix. - Un
coeur aveugle et mort n'a rien à désirer de plus,
sinon d'écouter la voix de Jésus. Mais c'estlà
l'indispensable condition à remplir pour avoir la
lumière de la vie. Il n'est besoin ici d'aucun art,
d'aucune étude, d'aucune bonne oeuvre, pour mériter
la faveur de Dieu. Il faut seulement un coeur qui
recherche à tout prix la vérité, et qui, dès
qu'il l'a reconnue, la laisse régner absolument sur
lui. Un coeur ainsi disposé, distingue immédiatement
la voie de la vérité qui conduit à la félicité en
Dieu.
Mais Pilate ne reconnaît, pas la grâce
qui l'a visité. Il dit à Jésus :
Qu'est-ce que la vérité ? Et
quand il eut dit cela, il sortit encore pour aller
voir les Juifs et il leur dit : Je ne trouve aucun
crime en lui. Pilate ne veut pas être
sauvé ; il ne veut pas agir selon la vérité ; il ne
veut pas venir à la lumière. C'est pourquoi il se
détourne moitié mécontent, moitié moqueur. «
Qu'est-ce que la vérité ? » La vérité ne rapporte
rien ; c'est une monnaie qui n'a pas cours chez moi.
On ne peut rien acheter avec la vérité. C'est un jeu
dangereux qui a déjà causé la mort au sage Socrate
qui la recherchait.« Qu'est-ce que la vérité ? »
Oui, il a appris d'un sage de son temps qu'il n'y a
de certain que ceci : c'est qu'il n'y a rien de
certain ! Et il pense, au moyen de cette
sagesse, être bien au-dessus du Sauveur, auquel il
semble vouloir dire :« Tu es aussi un de ces
insensés qui croient à l'existence de la vérité ! »
Tout l'orgueil d'un coeur blasé s'exprime par cette
question, qui n'est pas une question, mais une
ironique exclamation de mépris pour la vérité. Et
avec cela il se détourne de la vérité qu'il voit en
personne devant lui. Il a pris une décision et s'est
étroitement enchaîné à la puissance des ténèbres.
Ce scepticisme railleur de Pilate, qui
lui fait dire : « Qu'est-ce que la vérité ? » nous,
gens avisés du dix-neuvième siècle, nous le
connaissons ; nous savons parfaitement que la vérité
n'est rien, et nous avons infiniment mieux à faire
que de la rechercher ! Tel est le langage que tient
aujourd'hui le monde. L'Esprit du Seigneur a formé,
plus qu'il ne l'a fait auparavant, des troupes
d'évangélistes qui rendent fidèlement témoignage à
la vérité ; mais les oreilles des hommes charnels de
notre temps sont sourdes ; et les coeurs endormis
dans l'ivresse répondent à ces témoins qui tentent
de les réveiller de leur sommeil : « On ne peut être
sûr de rien. » -Pilate abandonne ainsi la lumineuse
présence du Sauveur pour s'enfoncer dans la nuit que
les Juifs font régner autour de lui. Il déclare
ouvertement qu'il tient Jésus pour innocent, mais,
n'étant pas ferme dans la vérité divine, il ne le
laisse pas aller, comme un juge doit le faire
lorsqu'il a reconnu l'innocence d'un accusé. Cette
inconséquence du gouverneur encourage les principaux
sacrificateurs, qui renouvellent avec plus de
violence leur ancien grief :
Il soulève le peuple,
enseignant par toute la Judée, ayant commencé par la
Galilée jusqu'ici.
Jésus ne répond rien à cette accusation,
tellement que Pilate étonné lui dit :
Ne réponds-tu rien ? Vois combien de choses ils
avancent contre toi. Jésus ne répond pas
davantage à cette question de Pilate. S'il avait
voulu lui répondre, il lui aurait rappelé son devoir
de le relâcher, puisqu'il l'avait déclaré innocent.
Mais Jésus ne résiste pas au méchant, et il est
disposé à subir la mort pour réconcilier le monde
pécheur avec Dieu. Le gouverneur ne demanderait pas
mieux que de se débarrasser de toute cette affaire.
C'est pourquoi il saisit avec empressement le mot de
Galilée.Il demanda
si Jésus était Galiléen. Et ayant appris
qu'il était de la juridiction d'Hérode, il le
renvoya à Hérode, qui était aussi à Jérusalem.
C'était le même Hérode qui avait fait
mettre à mort Jean-Baptiste. Ainsi un temps de grâce
est encore offert à cet adultère souillé de sang.
Jésus se tient à la porte et il frappe. Quel accueil
lui réserve Hérode ? Quand
Hérode vit Jésus, il en eut une grande joie, car il
y avait longtemps qu'il souhaitait de le voir.
Y avait-il au moins en lui un vestige de l'esprit de
Zachée, qui désirait aussi voir qui était Jésus ?
Pas du tout ! C'était précisément le contraire.
Naguère le Sauveur l'avait fait trembler d'une
terreur superstitieuse, alors qu'Hérode le prenait
pour Jean-Baptiste ressuscité des morts. Mais il
s'était rassuré. Maintenant, il se réjouit de voir
Jésus, parce qu'il espère que le Seigneur lui fera
passer quelques moments agréables. Horreur ! Comment
un homme peut-il tomber si bas ? Tous les plaisirs
du monde, Hérode les a épuisés. Tous ont peu à peu
perdu leur attrait. Sa vie n'est plus désormais
qu'un long et insupportable ennui. C'est alors qu'on
lui amène Jésus. Il l'accueille avec plaisir, dans
l'espoir de se divertir. Il le traite comme un
jongleur et un comédien qui l'amusera, lui et ses
courtisans, en opérant quelque acte merveilleux.
Parce qu'il avait entendu dire
beaucoup de choses de lui, et il espérait qu'il lui
verrait faire quelque miracle. Il lui fit donc
plusieurs questions. Nous pouvons
remercier l'évangéliste de ne nous avoir pas
conservé ces questions railleuses. Elles ne
pourraient que souiller nos coeurs. Jésus se tait.
Il ne veut pas donner les choses saintes aux chiens,
ni jeter ses perles devant les pourceaux.
Il y eut un temps où Hérode avait entendu
la vérité de la bouche de Jean-Baptiste, mais
l'amour du péché avait fermé son coeur. C'est
pourquoi le Roi de la vérité passe muet près de lui.
Si seulement il avait demandé : « Que dois-je faire
pour être sauvé ? » Il aurait reçu une réponse.
Et les principaux
sacrificateurs et les scribes étaient là, qui
l'accusaient avec une grande véhémence.
Le roi n'accorde aucune attention à ces accusations.
Leur prêter l'oreille, troublerait son plaisir. Il
veut s'amuser, voilà tout.
Mais Hérode, avec les gens de sa garde, le traita
avec mépris. Et pour se moquer de lui il le fit
revêtir d'un habit éclatant, comme on
avait l'habitude à Rome de revêtir ceux qui étaient
appelés aux suprêmes honneurs. On voulait par là
rendre ridicule cet aspirant à la couronne de Judée.Et
il le renvoya à Pilate, et de cette
manière lui donna à entendre que cet inoffensif roi
des Juifs méritait le mépris, mais non la mort.
C'est ce que Pilate comprit immédiatement.
En ce même jour,
Pilate et Hérode devinrent amis, car auparavant ils
étaient ennemis. La communauté
d'incrédulité et d'hostilité contre Jésus unit les
coeurs, comme la foi en lui. Les enfants de ce monde
se haïssent les uns les autres, ils se traitent
mutuellement en ennemis et se causent les uns aux
autres les plus amers chagrins. Mais, dès que la
Parole de Dieu veut agir avec puissance, dans la vie
du peuple, alors tous se réunissent et deviennent
les meilleurs amis, dès qu'il s'agit de s'opposer à
Christ et à son règne.
Alors Pilate,
ayant rassemblé les principaux sacrificateurs et les
magistrats du peuple, leur dit. Vous m'avez amené
cet homme comme soulevant le peuple ; et cependant,
l'ayant interrogé en votre présence, je ne l'ai
trouvé coupable d'aucun des crimes dont vous
l'accusez, ni Hérode non plus ; car je vous ai
renvoyés à lui, et on ne lui a rien fait qui marque
qu'il soit digne de mort. Ainsi, après l'avoir fait
châtier, je le relâcherai. Cet homme,
dont la mauvaise conscience est souillée de sang,
voudrait bien relâcher Jésus, car il voit clairement
que cet accusé est une victime de la haine
pharisaïque. Toutefois, bien que parfaitement
convaincu de son innocence, il n'ose pas persister
dans son dessein de le relâcher. - Misérable crainte
des hommes ! La mauvaise conscience rend toujours
lâche. Pilate ne pouvait pas oublier les paroles de
Jésus. Elles avaient pénétré dans son coeur comme
des traits acérés ; mais il ne pouvait pas non plus
agir selon la vérité, car il lui aurait fallu rompre
avec le monde, avec son idole, l'opinion publique,
avec toute sa vie passée, et c'est ce qu'il ne
voulait pas faire. Aussi son âme est-elle ballottée
çà et là, dominée tantôt par la puissance de la
lumière, tantôt par le pouvoir des ténèbres. N'ayant
pas le courage d'agir selon sa conscience de juge,
il se réfugie dans le juste-milieu. Il veut
faire châtier Jésus, puis lerelâcher.
Singulière justice ! Si Jésus est innocent, pourquoi
ne pas le relâcher ? Et s'il mérite la flagellation,
pourquoi le déclarer innocent ? Mais il pense que
c'est là le meilleur moyen de sortir d'embarras. En
relâchant le Sauveur, il satisfaisait sa conscience,
en le faisant fouetter il se maintenait dans les
bonnes grâces du peuple. Mais Dieu n'aime pas les
coeurs partagés. En présence du Seigneur, il faut
que l'homme se décide. Celui qui n'est pas tout
entier pour Jésus, sera poussé par une nécessité
intérieure à se tourner complètement contre lui.
Pilate n'ose pas agir selon le droit, en
prenant l'innocent sous sa protection ; il veut
seulement le faire châtier. Mais de cette
manière il s'engage dans une fausse voie ; il
commence à glisser, et ne s'arrêtera pas avant
d'avoir roulé jusqu'au fond de l'abîme. Afin de ne
pas avoir à se prononcer par un oui ou par un
non décisif, il imagine un nouvel et heureux
expédient. Vous avez une
coutume, que je vous relâche un prisonnier à la fête
de Pâques.
Le peuple tenait beaucoup à cette
coutume, parce qu'on établissait un rapport entre
elle et la fête de Pâques, qui était la fête du
pardon. Cette offre attire un moment l'attention du
peuple. Le tumulte s'apaise pour un instant, surtout
parce qu'il s'agit de choisir entre Jésus et
Barrabas, qui avait été condamné pour cause de
sédition et de meurtre.
Comme ils étaient assemblés, Pilate leur dit :
Lequel voulez-vous que je vous relâche ? Barrabas ou
Jésus qu'on appelle Christ ? Mais avant
que la foule se fût décidée, Pilate reçut un
avertissement fort inattendu.Pendant
qu'il était assis sur le tribunal, sa femme lui
envoya dire : N'aie rien à faire avec cet homme de
bien, car j'ai beaucoup souffert aujourd'hui en
songe à son sujet. Les Romains, en leur
qualité de païens, attachaient une grande importance
aux songes, surtout à ceux des femmes. Cet
avertissement dut donc faire impression sur Pilate.
Aussi, à partir de ce moment, résolut-il de faire
son possible pour délivrer Jésus. Il répéta donc sa
question : Jésus ou Barrabas ?Mais
les principaux sacrificateurs et les anciens
persuadèrent au peuple de demander Barrabas et de
faire crucifier Jésus. Pilate apprend
avec terreur les agissements des chefs du peuple. Le
message de sa femme le remplit d'angoisse. Une voix
retentit constamment à son oreille : « N'aie rien à
faire avec cet homme de bien ! »
Comme la foule criait toujours plus fort
: Fais mourir celui-ci et nous relâche Barrabas !
Pilate s'écria dans son angoisse :
Que ferai-je donc de Jésus
qu'on appelle Christ ? Tous lui dirent : Qu'il soit
crucifié ! Et c'est ce même peuple qui,
au commencement de la semaine, avait accueilli Jésus
avec de grandes démonstrations de joie, et s'était
écrié :« BÉNI SOIT CELUI QUI VIENT AU NOM DU
SEIGNEUR ! » D'où vient cet étonnant changement ?
Aujourd'hui« HOSANNA ! » demain« CRUCIFIE-LE,
CRUCIFIE-LE ! » Est-ce que les masses populaires ont
si promptement changé de sentiments ? Aujourd'hui
croyantes, demain incrédules ? Aujourd'hui se
donnant, de coeur et d'âme, au Sauveur des pécheurs,
demain, remplies d'une haine mortelle et d'une amère
hostilité ? Non ! En aucune façon, les coeurs n'ont
pas changé. Ils sont restés absolument les mêmes.
Après comme avant, ils étaient remplis des
espérances charnelles d'un règne messianique
terrestre. Lorsqu'ilsaccueillaient le Seigneur avec
des cris de joie, ce n'était pas au Sauveur des
pécheurs qu'ils s'adressaient, c'était au héros, au
glorieux vainqueur des Romains. Ils étaient certains
que le moment était venu où Jésus sortirait de son
obscurité, et se montrerait au monde entier comme un
monarque entouré de gloire et de magnificence. Plus
leurs espérances avaient été excitées, plus ils en
croyaient l'accomplissement rapproché, plus aussi
devait leur paraître amère la désillusion qui leur
était préparée, lorsque le matin, au point du jour,
ils furent témoins de l'événement le plus incroyable
: leur héros, leur glorieux vainqueur, devant lequel
les rois de la terre devaient se prosterner dans la
poussière, condamné comme un malfaiteur, et livré
entre les mains du gouverneur romain, qui avait le
pouvoir de le délivrer ou de le faire crucifier. Non
! un tel personnage ne pouvait pas remplir leur
attente.
Ils ne reconnurent pas ou ne voulurent
pas reconnaître qu'ils s'étaient abandonnés à de
fausses espérances. Ils s'y cramponnaient
opiniâtrement. Et ils durent s'avouer avec douleur
que Jésus n'était pas l'homme qu'ils attendaient.
Ils se croyaient trompés par lui, persuadés qu'ils
étaient que son entrée publique et triomphale dans
Jérusalem les confirmait dans leurs espérances.
Cette amère déception les remplissait d'une haine
mortelle et les transformait en aveugles instruments
des pharisiens et des chefs du peuple.Pilate
donc, voyant qu'il ne gagnait rien, et que le
tumulte augmentait de plus en plus, prit de l'eau,
et se lava les mains devant le peuple, disant : Je
suis innocent du sang de ce juste ; c'est à vous d'y
penser. Pilate proteste encore une fois
de l'innocence de Jésus, mais il ne parvient pas à
convaincre la foule. Il aurait voulu le délivrer,
mais il n'avait pas une volonté ferme, car il
voulait tout autant se ménager l'amitié des
principaux sacrificateurs et du peuple. Voilà
pourquoi tous ses efforts n'ont aucun succès.
Pilate se déclare innocent du sang « de
ce juste » et en donnant ce titre à Jésus, il montre
combien l'avertissement de sa femme :« N'aie rien à
faire avec cet homme de bien » brûlait sa
conscience. Il voulait s'innocenter devant le
peuple et devant lui-même, mais il ne tenait pas à
ce que son péché fût expié devant Dieu. Il ressemble
à ceux qui, aujourd'hui encore, cherchent à calmer
leur conscienceen niant leurs fautes, au lieu de les
confesser avec des coeurs réellement contrits.
Pilate impute au peuple la responsabilité de ce
meurtre juridique : « C'est à vous d'y penser !
»
Le peuple accepte cette responsabilité
avec un épouvantable aveuglement :
Que son sang soit sur nous et
sur nos enfants !Ils appellent sur eux
les jugements de Dieu, à cause du sang qu'ils vont
verser, et jamais une malédiction ne s'est accomplie
d'une manière aussi visible que celle-là. Car les
jugements de Dieu poursuivent ce peuple depuis des
siècles, dans sa dispersion. Les Juifs ont repoussé
celui qui est béni du Seigneur et ont choisi à sa
place la malédiction. C'est à nous de changer, par
nos prières, cette malédiction. Seigneur Jésus, toi
dont le sang crie de meilleures choses que celui
d'Abel, viens-en nous pour nous purifier de nos
péchés et pour consoler nos coeurs angoissés ! Que
ton sang soit sur nous à notre dernière heure, afin
que nous puissions vaincre toutes les tentations et
comparaître avec joie devant toi ! Que ton sang soit
sur nous, pour tuer notre amour du péché, notre
vanité et nos pensées charnelles ! Que ton sang soit
sur nous, afin que toute notre vie soit renouvelée
et que nous puissions le suivre de tout notre coeur
!
Alors Pilate
prononça que ce qu'ils voulaient fût fait, et il
leur relâcha celui qui avait été mis en prison pour
sédition et meurtre, et il abandonna Jésus à leur
volonté. Et après avoir fait fouetter Jésus, il le
leur livra pour être crucifié. Par cet
acte de suprême injustice, Pilate est ainsi, sans le
vouloir, l'instrument de la justice divine, qui
s'unit ici à la miséricorde divine. Chacun de nous
est ce Barrabas. Avec lui est représentée, devant le
tribunal de Dieu, toute l'humanité pécheresse, qui
s'est attiré la mort et les châtiments divins.
Barrabas était condamné à mort et ne pouvait éviter
cette peine que par Jésus. Ce n'est que par la mort
de Jésus qu'il pouvait avoir la vie sauve. Sa
délivrance n'est donc pas due à ses mérites, mais
uniquement à Jésus.
Il en est absolument de même de toute
l'humanité pécheresse. Par nos péchés, nous avons
mérité la mort et nous sommes des pécheurs
irrémissiblement condamnés et perdus. Le Fils de
Dieu, le Saint et le Juste, se met à notre place, se
charge de nos péchéset subit la condamnation
prononcée contre nous. Il est condamné et nous
sommes acquittés. Aussi le pécheur justifié s'écrie
avec allégresse :« Qui accusera les élus de Dieu
? Dieu est celui qui les justifie ; qui condamnera ?
Christ est celui qui est mort, et qui de plus est
ressuscité et qui intercède même pour nous.(Rom.
VIII, 33. 34). »C'est là l'incompréhensible
miracle de l'amour de Dieu, que, dans le sacrifice
du Sauveur, « la bonté et la vérité se sont
rencontrées, la justice et la paix se sont
entrebaisées. »(Ps.
LXXXV, 11.)
Le choix du peuple, qui préfère à Jésus,
Barrabas le meurtrier, nous parait horrible, et
donne le frisson, aussi longtemps que nous le
considérons comme un accident qui nous est étranger,
qui a eu lieu dans un pays éloigné, et à une époque
reculée. Dès que nous regardons la chose de plus
près, nous reconnaissons que ce qui nous a paru
horrible dans les autres, se passe chaque
jour dansnotre propre coeur. Et alors cela
nous parait beaucoup moins affreux ; presque
naturel. Chaque jour, il faut que tu choisisses
entre Jésus et Barrabas, entre le Sauveur des
pécheurs et le péché, Jésus se tient à la porte et
il frappe, te disant : « Tourne-toi vers moi et
pense aux choses qui appartiennent à la paix ! »
Mais toi, tu abandonnes le Sauveur et tu choisis le
péché. Tu tiens le sang du Fils de Dieu pour une
chose profane ; tu le foules aux pieds toutes les
fois que tu ne repousses pas le mal. Oh ! puisse le
Saint-Esprit détruire en nous l'amour du péché !
afin que nous entrions dans la communion de Jésus,
et que nous parvenions, par lui, à la paix et au
salut !
Alors Pilate fit
prendre Jésus et le fit fouetter. La
flagellation était, chez les Romains, un supplice
déshonorant, qu'on n'appliquait qu'aux esclaves et
aux criminels. On liait le coupable au pilori, et on
frappait son dos mis à nu avec un fouet composé de
fortes lanières de cuir mêlées de fil de fer. Il
arrivait souvent que le patient expirait sous les
coups, avant même que le nombre en fût complet.
C'est ainsi que Jésus fut attaché au poteau infâme,
que son dos fut dépouillé de tout vêtement, et
chaque coup du bourreau faisait jaillir le sang du
Fils de Dieu.
Le serviteur qui connaît la volonté du
Maître et ne la fait pasest digne d'un double
châtiment. Nous sommes tous ce méchant serviteur ;
nous avons mérité ce châtiment, mais Jésus présente
son dos à ceux qui le frappent. Il reçoit, par amour
pour nous, tous les coups que nous avons mérités. En
face de cet amour, notre âme s'écrie :« Je te rends
grâces pour chaque coup que tu reçois, pour chaque
goutte de sang que tu répands pour moi ! » Cette
vue nous porte à la repentance et nous excite à
crucifier et à flageller chaque jour nos passions et
nos mauvaises convoitises. Non comme les Flagellants
du moyen âge qui se prosternaient en troupes devant
l'image de Jésus flagellé, et qui se frappaient
eux-mêmes jusqu'au sang en chantant des psaumes de
pénitence. Ils croyaient par là marcher sur les
traces de Jésus ; mais ils oubliaient qu'il avait
souffert ces choses à leur place. Cette vue nous
console, lorsque nos pensées nous accusent ou
nous défendent, lorsque notre coeur nous condamne,
et que notre conscience nous parle de la colère de
Dieu. Le Sauveur flagellé nous enseigne, par son
sang répandu, que Dieu ne nous châtie plus dans sa
colère et ne nous reprend plus dans l'ardeur de son
courroux. Il nous enseigne que si nous sommes encore
frappés, c'est que Dieu nous traite comme ses
enfants, que l'instrument dont il se sert n'est plus
le fouet de son indignation, mais la verge d'un
Père, qui veut nous corriger et nous ramener à lui
par une discipline pleine de bénédictions. Il nous
enseigne que les mauvaises convoitises ne peuvent
plus régner dans nos corps mortels, attendu que leur
puissance a été brisée par la flagellation de Jésus.
Dans la pensée de Pilate, ce supplice
infligé au Sauveur était une nouvelle tentative
faite en vue de le délivrer. Il voulait montrer au
peuple qu'il était disposé à le satisfaire. Il
espérait que la foule, en voyant ces souffrances,
cette chair déchirée, n'en demanderait pas
davantage, et renoncerait au crucifiement. Mais plus
il hésite, plus la crainte des hommes domine sa
conscience. - Combien blâment Pilate à cause de son
indécision et de son inconstance, et n'agissent pas
autrement que lui ! Ils ne rejettent pas précisément
Jésus; ils refusent absolument d'être rangés au
nombre de ses ennemis ; mais ils ne veulent pas non
plus rompre avec le monde. Que ceux-là apprennent
par l'exemple de Pilate, quequiconque n'est pascomplètement
pour Jésus et ne se donne pas absolument à lui, est
poussé tôt ou tard à se séparer entièrement de lui.
Et les soldats
tressèrent une couronne d'épines, qu'ils lui mirent
sur la tête. Avec cette couronne
d'épines, Jésus porte la malédiction de toute la
postérité d'Adam, auquel Dieu avait dit : « La terre
sera maudite à cause de toi, et elle te produira des
épines et des chardons. »(Gen.
III, 17. 18.) De même, le sol de notre coeur,
qui devait être pour Dieu un jardin de délices, ne
produit plus, depuis la chute, que des épines et des
chardons. Le prophète Michée écrit (VII,
4) - « Le meilleur parmi eux est comme une
ronce, et l'homme le plus droit est pire qu'un
buisson d'épines. » Jésus a le front déchiré par la
couronne d'épines, afin de nous acquérir la couronne
de vie éternelle, si nous lui restons fidèles
jusqu'à la mort. Seulement, il est indispensable,
pour atteindre ce but, que tous ceux qui ont obtenu
le pardon de leurs péchés, par les amères
souffrances et la mort cruelle du Sauveur, arrachent
de leur coeur les épines de leurs mauvaises
passions, afin qu'elles n'étouffent pas la bonne
semence de la Parole de Dieu.
La couronne d'épines de Jésus nous prêche
la douceur. Elle nous exhorte à nous garder
de blesser notre prochain par des paroles piquantes
; et elle nous rappelle que ce sont les péchés de
langues acérées qui ont couronné Jésus d'épines.
Cette couronne nous prêche l'humilité.
Lorsqu'au moyen âge les croisés eurent pris
Jérusalem, ils voulurent couronner roi un chevalier
chrétien, Godefroy de Bouillon ; mais celui-ci
refusa de porter une couronne d'or dans le lieu où
le Sauveur avait porté une couronne d'épines. Dieu
veuille que ce sentiment règne aussi dans nos
coeurs, et étouffe toute espèce d'orgueil et
d'ambition ! -Lorsque des langues venimeuses nous
ont blessés et calomniés, puisse le regard de la
foi, dirigé sur la couronne d'épines de Jésus, non
seulement donner à nos coeurs la patience et la
force nécessaires pour rester calmes, mais encore
nous apprendre à prier pour ceux qui nous ont
offensés !
Lorsque la main de l'éternel amour nous
conduit par des voies semées d'épines,
réjouissons-nous de souffrir avec Christ.Tenons-nous
en communion avec Lui, et contentons-nous de la
grâce qu'il nous a obtenue par sa couronne d'épines.
Lorsque l'aiguillon d'une mauvaise conscience blesse
notre coeur, regardons à Golgotha. Les épines dont
la tête de Jésus est couronnée, sont les seules qui
produisent véritablement des raisins (Matth.
VII, 16).
Et l'ayant
dépouillé, ils le revêtirent d'un manteau de pourpre.
Les rois et les autorités romaines les plus élevées
portaient le manteau de pourpre comme insigne de
leur dignité. Quant au Sauveur, c'est pour se moquer
de lui qu'on le revêt d'un vieux manteau de soldat.
La couleur fanée de ce manteau est rafraîchie et
renouvelée par le sang qui coule abondamment des
blessures de celui qui le porte. Hérode, par ironie,
l'avait aussi fait couvrir d'un manteau d'une
blancheur éclatante. C'est ainsi que s'accomplit en
lui cette parole du Cantique des Cantiques (V.
10) : « Mon bien-aimé est blanc et vermeil. »Les
moqueurs ne savent pas ce qu'ils font. Au Sauveur
appartient le vêtement blanc de l'innocence et de la
justice. Sans péché ! C'est là notre consolation. Ce
n'est pas pour ses péchés, mais pour les nôtres
qu'il souffre. À lui appartient aussi le manteau de
pourpre qui le couvre d'ignominie. La pourpre royale
est due au Roi de gloire, qui a racheté ses sujets
par son sang.
Le manteau de pourpre, lavé dans le sang
sacré du Fils de Dieu, revêt l'âme de chaque
baptisé, qui est introduit par ce sacrement dans la
communion de ses souffrances et de sa mort.
Ils lui mirent
aussi un roseau dans la main droite et ils
crachèrent contre lui, et s'agenouillant devant lui,
ils se moquaient de lui en disant : Je te salue, roi
des Juifs. Un roseau au lieu d'un sceptre
d'or, comme insigne ironique de sa dignité royale.
C'est ainsi que Christ et son règne sont encore
raillés et assimilés à un roseau brisé. Mais son
vrai sceptre est sa toute-puissante Parole, avec
laquelle il paît ses brebis et frappe la tête de ses
ennemis. Jésus n'a pas honte d'avoir pour sceptre un
roseau. Ce roseau est l'image de notre coeur, que le
Sauveur tient dans sa main puissante. Il ne veut pas
briser ce roseau froissé ; il veut au contraire le
soutenir et fortifier sa foi. Le Seigneur a reçu
pour nous les génuflexions moqueuses et les hommages
dérisoiresdes soldats romains. Car c'est nous qui
devions supporter, pendant toute l'éternité, cette
honte et cette ignominie, en punition de notre
orgueil et de notre présomption. Il les supporta à
notre place. Jésus n'a pas seulement souffert les
railleries, mais il les a toutes expiées, y compris
celles que les moqueurs déversaient alors sur lui,
en sorte qu'ils auraient pu aussi être sauvés par
lui. Adorons l'abîme de ce miséricordieux amour.
Et, crachant
contre lui, ils prenaient le roseau et lui donnaient
des coups sur la tête. Ils enfonçaient
ainsi les épines dans sa tête et faisaient couler
plus abondamment son sang, tellement que son corps
sacré en était inondé. C'est ce que font encore
aujourd'hui ceux qui se servent de son sceptre
royal, de sa divine Parole, pour le frapper. Ils la
tordent et la faussent et l'emploient, non à honorer
son saint nom, mais au contraire à le couvrir
d'ignominie. Et Lui, le Roi des rois et le Seigneur
des seigneurs, il se laisse railler, traîner dans la
boue, afin de nous rendre participants de son
honneur et de sa gloire. Mais celui qui est
maintenant méprisé au dernier point, viendra un jour
sur les nuées du ciel pour juger les peuples de la
terre.
Pilate sortit
encore une fois et leur dit : Le voici, je vous
l'amène, afin que vous sachiez que je ne trouve
aucun crime en lui. Jésus donc sortit, portant la
couronne d'épines et le manteau de pourpre, et
Pilate leur dit : Voici l'homme ! La vue
de ce martyr couronné d'épines, qui porte comme un
agneau toutes nos douleurs, excite au plus haut
degré la sympathie de Pilate. Et il fait appel à
celle du peuple, pour voir s'il n'éprouverait pas un
sentiment de compassion, et ne serait pas touché à
l'aspect d'une telle souffrance. Voici l'homme !
Voyez quel homme ! Voyez comme il parait souffrant,
exténué, brisé ! N'êtes-vous pas satisfaits ? Oh !
ne poussez pas plus loin votre cruauté ! Voyez comme
il est faible et peu à craindre ! Après que Jésus a
été ainsi outragé, personne sans doute ne voudra le
faire roi. - Pilate, ce païen aveugle, ne voyait
dans cet Agneau de Dieu, couvert de sang, qu'un
innocent, qui souffrait injustement. Il ne lui
venait pas à l'esprit que ces souffrances étaient
supportées pour les autres, et qu'elles avaient la
puissance de sauver. C'est pourquoi, en disant aux
Juifs : Voicil'homme ! il ne veut qu'exciter
leur sympathie en sa faveur. Mais le Fils de Dieu ne
s'est pas fait homme pour provoquer des sympathies.
Nous ne devons donc pas compter que l'expression de
notre sensibilité à la vue de ses souffrances, soit
agréable à Dieu et attire sur nous ses faveurs.
Voici l'homme ! Sans s'en douter,
Pilate a prononcé une parole que le Saint-Esprit a
recueillie de ses lèvres, et par laquelle il dirige,
à travers les siècles, l'attention du monde sur le
Sauveur des pécheurs. Regardez-le comme les
Israélites regardaient le serpent d'airain élevé au
désert, pour être guéris des morsures empoisonnées
des serpents brûlants. Alors votre âme, mortellement
empoisonnée, sera guérie et obtiendra la vie
éternelle et bienheureuse.Voyez, voilà l'état
dans lequel vos péchés ont mis le plus beau des fils
des hommes !« Aussitôt que le Dieu saint châtie
quelqu'un à cause de son péché, il consume comme la
teigne son excellence »(Ps.
XXXIX, 12). C'est seulement parce que
l'Homme-Dieu a subi la peine qui devait frapper tous
les hommes, que le pécheur repentant peut être
sauvé. Aussi, regardez-le avec l'ardent désir d'être
réconciliés avec Dieu par Lui. Regardez Jésus, en le
priant de vous être propice par ses mérites.
Regardez-le en cherchant voire guérison dans ses
meurtrissures, votre santé dans ses souffrances,
votre honneur dans son ignominie, votre vie dans sa
mort. Regardez Jésus avec une foi pleine de
repentance, afin qu'un jour, dans l'éternité, on ne
vous montre pas du doigt en disant : Voilà un homme
qui était malade et qui n'a pas voulu être guéri,
qui était pécheur et n'a pas voulu d'un Sauveur, qui
était misérable et brisé et n'a pas voulu être
heureux.
Mais quand les
principaux sacrificateurs et les sergents le virent,
ils s'écrièrent : Crucifie-le, crucifie-le !
Ils craignaient que le peuple ne se laissât
attendrir à la vue de ce patient et sanglant Agneau
de Dieu ; c'est pourquoi ils s'efforçaient d'en
finir le plus tôt possible.
Pilate leur dit : Prenez-le
vous-mêmes et le crucifiez, car je ne trouve aucun
crime en lui. Le gouverneur est
impatient, puisque sa dernière tentative pour sauver
Jésus avait échoué contre la haine meurtrière des
principaux sacrificateurs. Les Juifs laissent
échapper le mot qui révèle tout le mystère du procès
qu'ils ont intenté à Jésus. Ce n'est pas le crime de
haute trahison qu'ils lui reprochent, c'est de
s'être fait Fils de Dieu. Ils avaient tû
jusqu'ici ce chef d'accusation, mais Pilate les
presse si fortement, qu'ils sont forcés de
l'articuler. Ils ont une loi - la loi de Dieu - ;
mais cette loi, qui condamne à mort les
blasphémateurs, ne regarde pas Jésus, puisqu'il est
réellement et véritablement le Fils unique de Dieu.
D'un autre côté, d'après la loi de Dieu, il fallait
qu'il mourût, mais cette loi est celle de la
miséricorde, en vertu de laquelle son coeur se brise
de pitié, en sorte qu'il faut qu'il pardonne.
Quand Pilate eut
entendu ces paroles, il eut encore plus de crainte.
Il rentra donc dans le prétoire et dit à Jésus :
D'où es-tu ? Pilate ne voyait assurément
pas avec les yeux de saint Jean la gloire du Fils de
Dieu, pleine de grâce et de vérité. Il n'était
cependant pas resté sans avoir reçu une certaine
impression de cette gloire. Il craignait, comme tous
les impies, lorsqu'ils se trouvent en rapport avec
la Divinité. On devrait croire que Jésus étant venu
non pour condamner le monde, mais pour le sauver, ne
pouvait effrayer personne. Mais, pour pouvoir se
réjouir de lui, il faut se confier en lui et
l'accepter comme Sauveur. Celui qui rejette ce qu'il
offre, ne peut qu'être effrayé toutes les fois qu'il
se sent dans sa proximité.
Pilate se souvient des fables païennes
qui racontent que des fils des dieux ont apparu sur
la terre sous des formes humaines, et demande à
Jésus :D'où es-tu ? Les superstitieux
habitants de Lystre adressèrent la même question à
Paul et à Barnabas. Des dieux ayant pris la forme
humaine sont descendus vers nous. (Act.
XIV, 11). Celui que les païens pressentaient,
celui que Dieu avait promis dès le commencement, et
auquel tendaient les coeurs des hommes pieux,
celui-là se trouvait, dans la plénitude de sa grâce,
en face de Pilate ; mais Pilate avait fermé son
coeur à la vérité et était aveugle. C'est pourquoi
Jésus ne lui fit aucune,
réponse. Jésus se laisse trouver par les
coeurs qui le cherchent ; il se révèle aux
misérables ; il se donne à connaître aux âmes
altérées de salut, et qui soupirent après la
consolation. Mais à Pilate, il ne répond rien. C'est
là le jugement qui frappe le gouverneur.Lorsque
Jésus lui a parlé de sa personne et de son oeuvre,
Pilate s'est détourné de lui, en demandant
ironiquement :« Qu'est-ce que la vérité ?
»Voilà pourquoi Jésus se tait maintenant. Celui qui
se détourne de la vérité lorsqu'elle se présente à
lui, ne reçoit pas de réponse lorsqu'il l'interroge.
Il ne reçoit pas de réponse, parce que son
infidélité à l'égard de la vérité qui le cherchait,
le rend incapable de demander avec droiture :D'où
es-tu ? Celui-là seul obtient une réponse, qui
sait d'où il vient lui-même, c'est-à-dire qui
reconnaît ses péchés. D'abord il faut résoudre la
première question, puis on peut résoudre la seconde.
La loi de Dieu nous montre, la justice de Dieu, sa
colère contre le péché ; elle nous en donne la
connaissance et nous presse ainsi dans les bras du
Sauveur.
Pilate ne questionne pas le Seigneur dans
l'espoir de recueillir de sa bouche une douce
consolation. Il est angoissé et espère plutôt que
Jésus lui dira : « Ne t'inquiète pas, tu n'as rien à
craindre, je ne suis pas le Fils de Dieu. » Jésus ne
peut pas remplir son attente, c'est pourquoi il ne
lui répond rien. C'est ainsi que se tait l'Écriture,
dès qu'on l'interroge avec le coeur de Pilate. À la
vérité, l'Écriture, calme et restaure, en la
conduisant à la source de la vie, toute âme qui
soupire après le Dieu vivant comme le cerf après les
eaux courantes. Mais celui qui cherche dans
l'Écriture une réponse qui le confirme dans son
incrédulité ou dans l'amour du péché, n'obtient
point de réponse. Que personne donc ne s'étonne,
quand l'Écriture ne lui répond rien. Elle est
obscure, elle est un livre scellé de sept sceaux,
elle est muette et silencieuse pour quiconque ne
veut pas se laisser reprendre par elle, et refuse le
pardon de ses péchés ; en un mot, pour quiconque
veut être juste devant Dieu. La clef qui ouvre
l'Écriture est un coeur repentant et brisé. À un
esprit froissé, le saint Livre ouvre sa bouche,
répond à toutes ses questions, et guérit toutes les
blessures de sa conscience. Jésus est dans
l'Écriture ; voilà pourquoi ce saint Livre se
comporte comme Jésus.
Alors Pilate lui
dit : Tu ne me réponds rien ? Ne sais-tu pas que
j'ai le pouvoir de te faire crucifier, et le pouvoir
de le délivrer ? Le gouverneur se vante
de son pouvoir, dont la crainte des hommes l'empêche
absolument de faire usage. Jésus fait encore une
tentative pour l'attirer et lui dit :
Tu n'aurais aucun pouvoir sur
moi, s'il ne l'avait été donné d'en-haut. C'est
pourquoi celui qui m'a livré à toi, est coupable
d'un plus grand péché. Celui qui est jugé
et condamné, compare la faute de Caïphe à celle de
Pilate, et trouve celle-ci moins grave que l'autre.
En parlant ainsi, Jésus essaye encore d'avoir prise
sur le coeur de Pilate.
Et depuis ce
moment, le gouverneur cherchait à le délivrer.
Toutes ces tentatives demeurent toutefois à l'état
de bonnes résolutions. Le gouverneur fait des
efforts, mais il ne persévère point. Le royaume des
cieux est forcé, et les violents seuls le ravissent.
Mais les Juifs s'écrient :
Si tu délivres cet homme, tu n'es pas ami de César,
car quiconque se fait roi, se déclare contre César.
- Lorsque Pilate eut entendu cette parole, il le
leur livra pour être crucifié. C'est
ainsi que Pilate, grâce à sa lâcheté, glisse sur la
pente, jusqu'au fond de l'abîme, et cela parce qu'il
place l'amitié du maître d'un royaume terrestre
au-dessus de celle du Roi dont le règne n'est pas de
ce monde. Toutefois, ce qu'il s'est efforcé de
conserver lui a cependant été ravi. Trois ans plus
tard, il fut banni en Gaule par l'empereur, et l'on
rapporte qu'à la suite de cette disgrâce, il se
suicida. Il n'y aurait rien d'étonnant à ce que
Pilate eût fini comme Judas, car il ne devait pas
pouvoir oublier que Jésus avait voulu sauver son âme
et qu'il l'avait condamné injustement. |