LA VIE DE
JÉSUS
CHAPITRE III
Les souffrances et la
mort de Jésus.
125. Jésus devant le Sanhédrin.
(Matth.
XXVI, 57-68 ;Marc
XIV, 55-65 ;Luc
XXII, 54,63-71
(Jean
XVIII, 13,19-24.)
Ceux qui avaient saisi et lié Jésus,
l'emmenèrent premièrement à
Anne, parce qu'il était beau-père de Caïphe qui
était souverain, sacrificateur cette année-là.
De Gethsémané, le Sauveur est conduit lié à travers
les rues désertes de la ville, au palais du
souverain sacrificateur, afin d'y être interrogé
judiciairement. Les membres du Sanhédrin n'avaient
pas compté sur un succès aussi prompt, et ils
dormaient profondément. Pendant qu'ils se
réunissaient à la hâte, on conduisit Jésus chez
Anne, qui était beau-père du grand prêtre Caïphe, et
qui, ayant été grand prêtre lui-même l'année
précédente, habitait avec son gendre le même palais.
Par cette prise inespérée, on voulait faire une
agréable surprise au vieux Anne, l'ennemi le plus
acharné de Jésus, et qui était en très grande
considération auprès du peuple.
Et le souverain
sacrificateur interrogea Jésus touchant ses
disciples et touchant sa doctrine. Jésus répondit :
J'ai parlé ouvertement à tout le monde. J'ai
toujours enseigné dans la synagogue et dans le
temple où les Juifs s'assemblent de toutes parts. Je
n'ai rien dit en cachette ; pourquoi m'interroges-tu
? Interroge ceux qui ont entendu ce que je leur ai
dit ; ces gens-là savent ce que j'ai dit.
Le souverain sacrificateur interroge aussi le
Seigneur touchant ses disciples ; mais Jésus garde
le silence sur ce qui les concerne. Ils doivent être
inviolablement préservés. Pierre lui-même, qui se
trouve déjà dans la cour du grand prêtre, ne doit
pas être inquiété. Ce disciple aussi est garanti par
cette parole : « Si c'est moi que vous cherchez,
laisser aller ceux-ci.- Jésus ne parle pas non plus
de sa doctrine, qui est plus élevée que le ciel et
plus profonde que la mer. Il se borne à repousser le
reproche dissimulé d'être un prédicateur clandestin
et sans mandat, enseignant une doctrine mystérieuse
et ennemie de la lumière. C'est pourquoi il insiste
sur ce qu'il n'a rien enseigné en secret ; mais
qu'il s'est toujours conformé à l'ordre établi, et a
toujours parlé publiquement à des assemblées
régulièrement formées. C'est pourquoi il peut
renvoyer ses juges à ceux qui l'ont entendu, et
repousser le reproche d'être lui-même témoin dans sa
propre cause.
Le calme et la dignité du Seigneur ont
fait impression sur le grand prêtre. Il est honteux
que sa première question manque évidemment d'à
propos et de mesure. Un de ses serviteurs le tire de
son embarras. Lorsqu'il eut
dit cela, un des sergents, qui était présent, donna
un soufflet à Jésus en lui disant : Est-ce ainsi que
tu réponds au souverain sacrificateur ? Jésus lui
répondit : Si j'ai mal parlé, fais voir ce que j'ai
dit de mal ; si j'ai bien parlé, pourquoi me
frappes-tu ? Ce valet voulait se
concilier la faveur du souverain sacrificateur. Il
ne se borne pas à frapper le Seigneur ; il lui fait
encore une leçon, comme s'il avait manqué de respect
au président du Conseil. - Qui pourrait voir sans
une profonde indignation un tel outrage infligé au
Seigneur ? Si un homme était ainsi maltraité, son
sang bouillonnerait de fureur, et chacun lui
reconnaîtrait le droit de châtier d'importance son
agresseur. Et nous pourrions voir avec indifférence
le Sauveur subir une telle ignominie ! Celui qui
peut contempler de sang-froid un tel spectacle,
tandis que ce soufflet brise le coeur de tout
chrétien, celui-là fait déjà cause commune avec le
serviteur qui a frappé Jésus. - Seulement, ce n'est
pas d'un zèle charnel que notre coeur doit brûler à
la vue de cet outrage infligé à Jésus ; car lui-même
le supporte avec patience ; mais il doit être
pénétré d'une profonde vénération pour le divin
amour qui sauve le monde en s'immolant.
Jésus ne frappe pas de paralysie la main
qui l'a frappé ; il laisse la vengeance à celui qui
juge justement. Cependant il ne laisse pas passer
cet outrage sans rendre à la vérité un témoignage
qui devait éclairer la conscience oblitérée de ce
soldat.Pourquoi me
frappes-tu ? Cette parole d'un saint
amour ferme la bouche à cet homme animé d'un zèle
aveugle, comme le Seigneur venait de fermer celle du
souverain sacrificateur. Quelles seront un jour les
dispositions de ceux qui méprisent le Fils de Dieu
et foulent aux pieds sa gloire en voulant lui
enlever la couronne de sa divine majesté ? Comme ils
auront la bouche fermée lorsqu'ils entendront cette
parole : Pourquoi me
frappes-tu ?
Du reste, le Seigneur nous montre ici,
par son exemple, comment nous devons comprendre sa
parole (Matth.
V, 39). Il n'a pas résisté au méchant, et tout
en rendant avec douceur témoignage de son innocence,
et en reprenant ce serviteur pour le tort qu'il lui
faisait, il s'est cependant toujours montré, dans la
suite, prêt à souffrir tous les coups et à se
laisser inonder par tous les torrents de la
raillerie qui passèrent sur lui.
Or, Anne l'avait envoyé à
Caïphe, le souverain sacrificateur. Les
yeux du vieux Anne avaient vu son Sauveur, mais ils
n'avaient rien découvert en lui qui leur fût
agréable. Cette rencontre avec Jésus aurait pu
sauver son âme, mais elle resta endurcie parce qu'il
ne « voulut pas. ».
VENDREDI
Pendant que ces choses se passaient, le jour
avait commencé à luire.
C'était le Vendredi. Dès qu'il fut jour, les
principaux sacrificateurs avec les sénateurs et les
scribes s'assemblèrent et leconduisirent devant le
Conseil, et ils cherchèrent quelque faux témoignage
contre Jésus, mais ils n'en trouvaient point.
Le Sanhédrin avait arrêté depuis longtemps de faire
mourir Jésus. Cet interrogatoire juridique qu'on lui
fait subir après coup, a simplement pour but de
donner à cette décision l'apparence du droit. Jésus
est le témoin fidèle et véritable. Il est lui-même
la vérité. Il n'a été trouvé aucune fraude dans sa
bouche. Tout témoignage contre lui doit donc être
mensonger. Dès lors, il n'est pas étonnant que ces
témoignages se contredisent. La vérité seule est
d'accord avec elle-même, non le mensonge.
Jésus souffre ici des faux témoignages
des hommes. Qui donc reconnaîtra véritablement
combien il a été martyrisé par les mensonges
empoisonnés de nos langues, lorsqu'elles sont
animées du feu de la géhenne ? Celui qui ne pèche
pas par sa langue est un homme parfait. Mais ce sont
seulement ceux dont la conscience a été purifiée et
rendue délicate par le Saint-Esprit, qui
reconnaissent la terrible puissance que le mensonge
exerce sur les coeurs. Qui peut savoir combien de
fois il pèche ? Dans quel état serions-nous, si
nous devions être châtiés comme nous le méritons
pour toutes les douleurs que nous avons causées par
nos péchés de langue ? Jésus est accusé par de faux
témoins, tandis que de vrais accusateurs s'élèvent
contre nous : le Dieu tout-puissant et saint que
nous avons irrité, les hommes que nous avons
offensés, la création tout entière dont nous avons
abusé. En face de pareilles accusations, et dans le
trouble qu'elles nous causent, nous apprenons ce que
nous valent les souffrances imméritées de Jésus,
quel trésor de consolations est déposé dans cette
patience avec laquelle il supporte une telle
contradiction de la part des faux témoins. Christ
est ici, qui condamnera ?
Mais le disciple n'est pas au-dessus de
son maître. Si la tête a eu à souffrir des traits
empoisonnés du mensonge, les membres doivent
supporter les mêmes maux. Dans les souffrances de
Jésus pour nous, nous puisons la force de résister à
l'aigreur, à la colère, à l'animosité, et d'imiter
le Seigneur, qui nous a dit de bénir ceux qui nous
maudissent, de prier pour ceux qui nous outragent et
nous persécutent.
Enfin deux faux
témoins s'approchèrent, qui dirent : Cet homme a dit
Je puis détruire le temple de Dieu et le rebâtir en
trois jours mais leurs dépositions ne s'accordaient
pas. Il y avait quelque chose de vrai
dans cette accusation. Après avoir purifié le temple
pour la première fois, Jésus avait dit : Détruisez
ce temple (c'est-à-dire, par votre incrédulité impie
vous détruisez ce temple) et dans trois jours je le
relèverai. Mais saint Jean ajoute cette remarque aux
paroles de Jésus :« Mais il
disait cela du temple de son corps. »Le
Seigneur parlait de sa mort et de sa résurrection.
Et les souverains sacrificateurs et les anciens du
peuple l'avaient parfaitement compris, puisqu'après
sa mort ils dirent à Pilate : Seigneur, nous nous
souvenons que lorsque ce séducteur vivait, il disait
: Je ressusciterai dans trois jours. (Matth.
XXVII, 63.) - On connaissait donc le vrai sens
des paroles du Sauveur, et on les défigure
cependant. C'est en cela que consistait le faux
témoignage. Alors le
souverain sacrificateur se leva et lui dit : Ne
réponds-tu rien ? Qu'est-ce que ces gens déposent
contre toi ? Mais Jésus se tut et ne répondit rien.
Jésus se tait en face des accusations mensongères.
Il laisse parler pour lui toute sa vie terrestre,
toutes ses oeuvres, qui le défendent sans qu'il ait
besoin d'ouvrir la bouche. Ainsi devrait-il en être
de nous. Lorsque nous sommes accusés faussement,
notre conduite devrait suffire pour nous justifier
sans que nous ayons besoin de paroles. En est-il
ainsi ?
Jésus se tait devant le tribunal
terrestre, afin que nous ne soyons pas muets devant
le tribunal de Dieu. Alors le souverain
sacrificateur veut forcer Jésus de parler, et il
exige de lui un serment. Il lui dit :Je
t'adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si tu es
le Christ, le Fils de Dieu. Et Jésus
prête le serment tel qu'il devait être prononcé dans
cette circonstance, en disant :
tu l'as dit, je le suis.
C'est ainsi qu'il s'est approprié le serment selon
toutes les formes du droit. Jésus avait maintes fois
manifesté avec éclat sa divinité. Toutefois cette
affirmation solennelle, accompagnée de serment,
confirme son témoignage, et est de nature à
fortifier puissamment notre foi. Ce témoignage que
Jésus se rend à lui-même, et qu'il confirme par
serment, réduit à sa juste valeurle verbiage insensé
de ceux qui le louent à cause de sa sagesse et de sa
charité, qui le tiennent pour le meilleur des
hommes, mais nient qu'il soit véritablement Dieu,
engendré du Père de toute éternité. Ils le regardent
comme un homme et rien de plus. Il est à leurs yeux
le meilleur et le plus noble des hommes, un homme
modèle. Mais quoi ? le meilleur des hommes a juré,
par un serment solennel, qu'il est le Fils de Dieu !
S'il n'est pas le Fils de Dieu, il n'est pas le
meilleur des hommes, car il a prêté un faux serment.
- De deux choses, l'une : ou bien Christ est
véritablement le Fils du Dieu vivant, ainsi que
Pierre l'a confessé et que tous les chrétiens le
confessent avec lui, et devant lequel le monde
entier doit se prosterner et adorer dans la
poussière ; ou bien il est un parjure et un
blasphémateur, qui s'est attribué les honneurs.
divins par un faux serment. Il n'y a pas de milieu ;
s'il n'est pas digne des suprêmes honneurs, il ne
peut que mériter le plus profond mépris. Il n'y a
qu'une légèreté incrédule qui soit capable d'une
telle aberration : faire de Jésus un homme sur la
tête duquel on accumule tous les honneurs, tout en
l'accusant de parjure et de blasphème. Encore une
fois, de deux choses l'une : ou la foi ou
l'incrédulité.
Le Seigneur poursuit :
Et même je vous dis que, ci-après, vous verrez le
Fils de l'homme assis à la droite de la puissance de
Dieu et venant sur les nuées du ciel. Le
Fils de l'homme est devant eux et ils ne le
reconnaissent pas ; mais ils apprendront à le
contempler comme le Seigneur de gloire. Celui qui ne
veut pas croire à la divinité de Christ,
devra en faire avec terreur l'expérience à
son propre détriment.
Ci-après, dit-il, c'est-à-dire bientôt
après sa mort, il révélera sa gloire divine en
envoyant son Esprit, en formant son Église, et en
confirmant la prédication de ses apôtres par les
miracles qui l'accompagneront. De plus, au jour de
sa colère, il détruira Jérusalem et la réduira en un
monceau de ruines. Le peuple de cette cité, qui a
cloué le Prince de la vie au bois maudit, sera
dispersé parmi toutes les nations de la terre ; il
sera véritablement marqué de la malédiction divine,
et réservé pour le jour où Celui qu'ils ont rejeté
reviendra pour juger les vivants et les morts.
Pour montrer son indignation à l'ouïe de
cette parole, le souverain,
sacrificateur déchira ses habits, disant : Il a
blasphémé ; qu'avons-nous plus besoin de témoins ?
Vous avez entendu son blasphème ; que vous en semble
? Ils répondirent : Il a mérité la mort.
Le déchirement du vêtement sacerdotal avait un sens
profond dont le souverain sacrificateur était loin
de se douter ; il signifiait que désormais le
sacerdoce de l'Ancien Testament était déchiré. Et le
Seigneur Dieu prononça du haut du ciel son oui et
son amen à cet acte, lorsque, dans l'après-midi du
même jour, le voile du temple se déchira depuis le
haut jusqu'en bas. Mais pour nous, que le souverain
sacrificateur Jésus a faits sacrificateurs de Dieu,
nous nous en tenons à cette parole :« Déchirez vos
coeurs et non vos vêtements, et retournez à
l'Éternel votre Dieu. »(Joël
II, 13.) Tous ceux qui regardent Jésus comme un
simple homme doivent, avec le Sanhédrin, le déclarer
digne de mort comme blasphémateur. Mais la foi
l'adore comme le vrai Dieu, engendré du Père de
toute éternité, et se console parce que Jésus a
souffert comme Fils de Dieu et que la seule cause de
ses souffrances, c'est l'affirmation de sa divinité.
Jésus innocent a été condamné par
un tribunal humain ; car il n'y avait aucun mal en
lui. Mais au tribunal divin, il est l'Agneau de Dieu
qui s'est chargé de nos péchés, qui s'est constitué
notre répondant et qui a été fait péché pour nous.
Ainsi il est en réalité, coupable, puisque nos
péchés ont mérité la mort. Le juste jugement de Dieu
l'a frappé, afin qu'au tribunal éternel de Dieu nous
puissions être acquittés. Quiconque peut encore
traiter légèrement le péché, n'a aucune part avec
celui qui a pris sur lui le châtiment de nos péchés.
Et quelques-uns
se mirent à cracher contre lui et à lui couvrir le
visage et à lui donner des coups de poing ; et ils
lui disaient : Devine qui t'a frappé. Le
jugement est prononcé et le Sanhédrin a levé la
séance. Pendant que les membres de ce Conseil se
retirent, quelques-uns des principaux sacrificateurs
donnent libre cours à leur colère contre Jésus, et
leur exemple enhardit les serviteurs du grand prêtre
auxquels le Sauveur est livré jusqu'au matin.
Conduit à l'intérieur du palais, il est gardé et
maltraité par de grossiers valets. On ne peut sans
une vive douleur et une profonde indignation
contempler le spectacle de ces odieux traitements
exercés sur le Sauveur, même lorsqu'on ne voit dans
tout cela qu'une simple souffrance humaine. Mais
nous avons devant nous, l'Agneau de Dieu qui porte
les péchés du monde, et qui nous crie constamment :
« Voilà ce que j'ai fait pour toi ! » - Il y eut une
jubilation dans l'enfer, au milieu des mauvais
esprits, lorsqu'ils virent le Seigneur de gloire
ainsi humilié. Il n'a pas caché son visage pour
éviter l'ignominie et les crachats. Au sommet de la
sainte montagne, la face du plus beau des fils des
hommes brillait des rayons de la gloire divine, et
maintenant ces méchants la couvrent de crachats.
Toutefois, ne les regarde pas, eux, regarde-toi
toi-même. Considères-tu tes traits avec complaisance
dans le miroir ? et admires-tu ton beau visage ?
Regarde à côté de toi, le visage de Jésus couvert de
crachats. Il expie toute la vanité et la frivolité
du monde. Regarde-le, et la vanité disparaîtra pour
toujours de ton coeur. -
Ils le frappèrent au visage. Qui le
frappait ? Réfléchis. Ah ! ce sont mes péchés qui
l'ont frappé ! Il a été navré pour nos forfaits et
froissé pour nos iniquités. Ils demandent en
raillant :Devine qui l'a
frappé. Un jour, ils reconnaîtront Celui
qu'ils ont frappé.
.
126. Chute et repentir de Pierre.
(Matth.
XXVI, 69-75 ;Marc
XIV, 66-72 ;Jean
XVIII, 15-48,25-27
;)
(Luc
XXII, 54-60.)
Or Simon Pierre avait
suivi Jésus de loin. D'abord il s'est
enfui avec les autres disciples ; mais il se
rappelle ses promesses, et il est honteux. Il
voudrait bien montrer au Seigneur qu'il n'est pas
aussi faible que son Maître l'a cru ; voilà pourquoi
il le suit. Quant au Sauveur, ce qui lui importe, ce
n'est pas une démarche extérieure, c'est
l'obéissance à sa parole. Après l'institution de la
sainte Cène, il avait dit à Pierre :« Tu ne peux pas
me suivre maintenant, tu me suivras plus tard. » Si
donc, malgré ces paroles, Pierre suivit Jésus, ce
n'était pas là suivre Jésus, c'était lui, désobéir.
Il suit Jésus malgré ses avertissements. C'était
tenter
Dieu. Celui qui s'expose au danger,
périra par le danger. L'origine de tous les
reniements et de tous les péchés, gît précisément
dans notre obstination à suivre nos propres pensées,
en laissant de côté la Parole de Dieu. Jean, qui est
connu du souverain sacrificateur Anne, dit un mot à
la portière en faveur de Pierre, et celui-ci est
introduit dans la cour du palais.
Alors la
portière dit à Pierre : N'es-tu pas aussi des
disciples de cet homme ? Il dit : Je n'en suis point.
Pierre s'est laissé aller à ce premier reniement
sans y penser. Il voulait se tenir caché dans la
proximité de son Maître. La question de cette
servante l'importune. Sa réponse lui échappe comme
s'il voulait lui dire : Laisse-moi tranquille. Sans
penser sérieusement à ce qu'il disait, il a renié
son Maître malgré les avertissements qu'il avait
reçus de lui. Il réussit probablement à calmer sa
conscience en se disant : Je n'ai pas eu de
mauvaises intentions. Aussi, qu'est-ce que cette
servante avait à me questionner ? Pourquoi
s'occupe-t-elle de moi ? Et cependant, il avait
renié son Maître. Et le pire était précisément qu'il
prenait la chose légèrement, comme si de rien
n'était. S'il avait regardé ce premier reniement
comme un péché, il aurait été préservé d'un
deuxième, d'un troisième reniement. Mais il
s'enfonce de plus en plus. La boule roule jusqu'au
fond de l'abîme.
Et les
serviteurs et les sergents étaient là, et ayant fait
du feu parce qu'il faisait froid, ils se chauffaient
Pierre était aussi avec eux et se chauffait, pour
voir quelle en serait la fin. Il n'est
pas mauvais de se réchauffer les membres auprès du
feu, pourvu que le coeur ne se refroidisse pas. Mais
il était dangereux pour Pierre de s'asseoir
familièrement parmi les ennemis de Jésus. Celui qui
ne veut pas se brûler, ne doit pas trop s'approcher
du feu, et celui qui se mêle au monde peut bien
difficilement résister à ses tentations et à ses
railleries.« Heureux celui qui ne marche pas selon
le conseil des méchants, qui ne s'arrête pas avec
les pécheurs, et qui ne s'assied point au banc des
moqueurs. (Ps.
I, 1). » Pierre voulait voir quelle serait la
fin. Il pouvait la connaître, car le Seigneur la lui
avait annoncée depuis longtemps.
Mais il était poussé par une curiosité
indiscrète, et avec cela il avait peur d'être
reconnu. il se mêle aux soldats, affecte un air
indifférent et ne laisse pas voir son trouble.
Cependant le Sauveur est conduit lié chez
Caïphe. Et en attendant que le Sanhédrin se
réunisse, il est gardé par les soldats dans le
vestibule du palais. Et
comme il sortait du vestibule, une autre servante
vit Pierre et dit à ceux qui étaient là : Celui-ci
était aussi avec Jésus de Nazareth. Et il le nia
encore avec serment, disant : Je ne connais point
cet homme. Le monde a l'habitude de dire
des croyants : « Ces gens-là se reconnaissent
aussitôt qu'ils se voient. » Oui, mais le monde
connaît aussi « ces gens-là. » Celui qui aime le
Seigneur Jésus, ne peut pas cacher cet amour. Le
monde le reconnaît bientôt. Tout ce qu'on reproche à
Pierre, c'est d'avoir été dans la société de Jésus
et d'être son disciple. C'est là en tout cas, aux
yeux du monde, une faute inexcusable. Le monde peut
tout supporter, excepté la piété des hommes qui se
convertissent à Christ.
Pierre se rend coupable d'un deuxième
reniement, et cette fois en présence du Seigneur.
Les feuilles de figuier n'ont certainement pas
manqué à ce disciple pour excuser sa faute.« Je n'ai
rien dit de mal contre le Seigneur ; pourquoi
m'exposerais-je au danger pour lui ? Il ne lui
servirait de rien que je dise la vérité, et la
contrevérité ne lui nuit pas. » Pierre a-t-il réussi
à se tromper lui-même, comme beaucoup de chrétiens
de nom le font aujourd'hui, en cherchant à apaiser
sa conscience par cette misérable consolation :
c'était un mensonge imposé par la nécessité ? Mais
le Saint-Esprit appelle cela un reniement, et comme
Pierre a juré, c'est un faux serment. Pierre
s'enfonce toujours plus profondément. Un péché ne
peut être caché que par un péché plus grave. Afin
d'éviter la honte de passer pour un menteur devant
les soldats, il devient parjure.
Et un peu après,
ceux qui étaient là s'approchèrent et dirent à
Pierre : Assurément tu es aussi de ces gens-là, car
ton langage te fait connaître. Alors il
se mit à faire des imprécations contre lui-même et à
jurer en disant : Je ne connais point cet homme.
Plus on s'abandonne au péché, plus il devient
impossible d'y résister. Pierre se serait-il jamais
cru capable de renier le Seigneuravec serment et
imprécations ? Au moment où Jésus se prépare à
devenir malédiction pour nous, c'est-à-dire à
prendre sur lui toutes les malédictions accumulées
sur nous, Pierre commence à faire des imprécations
contre lui-même, telles que celles-ci : « Aussi vrai
qu'il y a un Dieu au ciel, je ne connais pas cet
homme » ; ou bien :« Je veux ne pas être sauvé, je
veux n'avoir aucune part au règne de Dieu, je veux
que Dieu me punisse de la condamnation éternelle, si
je suis disciple de cet homme ! » Pauvre Pierre !
comment as-tu pu tomber si bas? Si ce qu'il a dit
lui était arrivé, il aurait été perdu éternellement.
La chute de Pierre manifeste bien notre état de
péché. Sans la grâce préservatrice de Dieu, nous
tomberions comme lui. Cette chute nous crie à tous,
même au plus fidèle : « Que celui qui croit être
debout prenne garde qu'il ne tombe ! »
Mais l'histoire du reniement de Pierre
n'est pas encore terminée.
Et au même instant, comme il parlait encore, le coq
chanta. Et le Seigneur s'étant retourné, regarda
Pierre. Et Pierre se ressouvint de la parole du
Seigneur, et comment il lui avait dit : Avant que le
coq chante, tu me renieras trois fois. Alors Pierre
sortit et pleura amèrement. C'est au
moment où Jésus devait être conduit devant le
Sanhédrin, que les épouvantables imprécations de
Pierre frappèrent son oreille et pénétrèrent comme
une épée dans son coeur. Qu'étaient les blasphèmes
de ses ennemis, les outrages et les ignominies dont
l'abreuvaient les soldats, en comparaison de la
douleur que son disciple Pierre lui causait ? Jésus
pense à son intercession en faveur de ce malheureux
: « J'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille
point. » Oui, c'est le moment de venir en aide à
celui qui est tombé et qui roule toujours plus bas
dans l'abîme. Déjà le prince des ténèbres est en
train de prendre Pierre par ses propres paroles :«
Il n'y a plus d'espoir pour toi ; tu t'es toi-même
voué à l'enfer ; tu m'appartiens. » Et Pierre
commence à enfoncer comme naguère dans le lac,
lorsque sa foi avait défailli. Là, il avait été
sauvé par la main de Jésus, maintenant il est sauvé
par son regard. Le chant du coq réveille sa
conscience endormie ; le regard de Jésus le préserve
du désespoir. Quel bonheur pour Pierre d'avoir
regardé Jésus et d'avoir compris son regard ! Le
Sauveur y avait déposé toute la profondeur de sa
douleur, mais aussi toute la profondeur de son
miséricordieux amour. Pierre y lit le mot grâce,
et peut croire que Jésus justifie les méchants et
pardonne aux pécheurs.
Du palais du souverain sacrificateur, le
coq a passé sur le clocher de nos églises, comme un
gardien qui crie :« Veillez et priez, de peur que
vous ne tombiez en tentation ! » Pierre s'éloigne de
la société mondaine, et verse des larmes amères,
provoquées par la honte de son péché. Il pleure
d'avoir si profondément affligé Jésus, qui l'a tant
aimé : c'est là la tristesse selon Dieu, qui produit
une repentance dont on ne se repent jamais. C'est
une sainte douleur, qui porte en elle-même sa
consolation. Pierre est devenu un pauvre pécheur, et
il sait maintenant ce que c'est que d'avoir un
Sauveur. Le regard de Jésus a rempli ses yeux de
larmes. C'est là que le coeur chrétien peut
apprendre ce que c'est que se repentir. Il ne
s'agit pas de livrer tel ou tel combat, de
retrancher ceci ou cela de notre vie, ou de prendre
de bonnes résolutions, afin d'émouvoir le coeur de
Dieu et de le décider à nous recevoir. Non ! de
cette manière nous n'arrivons à rien. Nous nous
repentons, lorsque Jésus nous attire par sa grâce
pour nous secourir. Et le regard que nous jetons
alors sur lui nous arrache des larmes. C'est la
douleur d'un coeur navré, mais plein d'amour, qui,
dans la plus profonde tristesse causée par ses
péchés, se sent pourtant aimé de Jésus.
.
127. Mort de Judas.
(Matth.
XXVII, 3-5.)
Alors Judas, qui avait
trahi Jésus, voyant qu'il avait été condamné, se
repentit, et reporta les trente pièces d'argent aux
principaux sacrificateurs et aux anciens, disant :
J'ai péché en trahissant le sang innocent. Mais ils
dirent : Que nous importe ? Tu y pourvoiras. Alors,
après avoir jeté les pièces d'argent dans le temple,
il se relira et alla se pendre. Jusqu'à
ce moment, la conscience de Judas avait été muette,
et son coeur comme pétrifié. Mais maintenant que
Jésus est livré aux mains des païens, les terreurs
de la conscience le saisissent. Jusqu' à ce moment,
le diable avait réussi à lui persuader que tout
irait mieux pour lui, et qu'ilserait délivré du
tourment que lui causait l'amour de Jésus. Mais
maintenant que le tentateur est devenu un
accusateur, Judas éprouve les tourments des damnés.
Il sent déjà les atteintes du feu qui ne s'éteint
point et du ver qui ne meurt point. Son repentir ne
manque ni de sérieux ni de profondeur. Sous ce
rapport, il peut rendre honteux bien des chrétiens.
Il reconnaît son péché ; et le nomme par son nom :
Il a trahi le sang innocent ! Il confesse son péché
où il l'a commis : en présence des principaux
sacrificateurs. Il prend la faute sur lui seul, sans
l'excuser, sans l'atténuer. Il rend l'argent qui
auparavant faisait sa joie, et qui est maintenant un
insupportable fardeau. Cet argent lui brûle les
mains comme des charbons ardents. Tous ces signes
montrent le sérieux de sa repentance. Et cependant
ce n'est pas la vraie repentance qui conduit au
salut, mais une tristesse mondaine qui produit la
mort.
Judas ne se repent pas d'avoir ouvert son
coeur au diable, d'avoir repoussé l'amour de Jésus,
d'avoir levé le talon contre celui dont il mangeait
le pain ; il ne se repent pas d'avoir péché, mais de
s'être attiré un pareil tourment par son péché. Il
n'est pas en peine à cause de sa faute, mais à cause
de la damnation dans laquelle cette faute le plonge.
Si elle n'était pas pour lui une source de cuisantes
douleurs, il continuerait avec plaisir à la
commettre. C'est pourquoi il veut seulement rejeter
de ses mains lesalaire du péché, mais non
arracher de son coeur l'amour du péché. Il
l'a trop laissé s'enraciner en lui pour pouvoir
maintenant s'en affranchir.
Pierre, en reniant Jésus, et Judas en le
trahissant, ont tous deux gravement péché. Qui dira
lequel des deux crimes est le plus grand ? Tous les
deux se repentent, et l'un est sauvé, tandis que
l'autre est perdu ! Qu'est-ce qui a sauvé Pierre ?
C'est que dans sa profonde douleur, il put encore
croire au miséricordieux amour de Jésus. Cette foi
manquait à Judas. S'il avait eu confiance en Jésus,
il serait allé à lui au lieu d'aller au souverain
sacrificateur, et le sang innocent qu'il avait trahi
aurait eu assez de puissance pour le purifier. Jésus
ne lui aurait pas dit :Que m'importe, tu y
pourvoiras ! La repentance de Judas ressemble à
un oeil sans prunelle. Il n'y a là aucune humilité
devant Dieu, aucune foi en la grâce propitiatoire du
Sauveur. Il ne voulait pas de la bénédiction,
aussidemeure-t-elle loin de lui. Il s'est revêtu de
malédiction comme d'un habit ; elle est entrée dans
son corps comme de l'eau, et comme de l'huile dans
ses os (Ps.
CIX, 18).
Et l'ayant fait
lier, ils l'emmenèrent et le livrèrent à Ponce
Pilate gouverneur ; et ils n'entrèrent point dans le
prétoire, de peur de se souiller, afin de pouvoir
manger la Pâque. Jésus n'avait pas à
attendre un jugement équitable de Pilate, car ce
personnage était aussi facile à corrompre que
grossièrement cruel. Dans d'autres circonstances, il
avait déjà recherché la faveur des Juifs, et il
agissait souvent contre ses propres convictions,
afin de ne pas s'exposer à être accusé auprès de
l'empereur pour sa mauvaise administration. Cette
crainte des hommes, provenant de sa mauvaise
conscience, parait clairement dans toutes ses
négociations avec les Juifs au sujet de Jésus. -
Pour ne pas se souiller dans le temps où l'on
mangeait la Pâque, les Juifs ne voulurent pas entrer
dans la maison du gouverneur païen. Or, la
loi de Dieu |