LA VIE DE
JÉSUS
CHAPITRE III
Les souffrances et la
mort de Jésus.
117. Trahison de Judas.
Après la résurrection de Lazare, le Sanhédrin
avait décidé de faire mourir Jésus et donné
publiquement l'ordre de le saisir partout où on le
trouverait. Toutefois rien n'avait encore été résolu
quant au moment de l'exécution de ce décret. Les
puissantes paroles du Seigneur, dans le temple,
avaient attisé la haine de ses ennemis. C'est
pourquoi ils se réunirent de nouveau pour décider
quand et comment on pourrait passer de la
délibération à l'action. Tous étaient d'accord sur
un point : c'est que, vu les dispositions du peuple,
il était impossible d'agir publiquement et
violemment, et qu'il fallait chercher à s'emparer du
Sauveur en secret et par ruse. On voulait seulement
laisser passer la fête, puisque à cette occasion les
partisans de Jésus étaient nombreux à Jérusalem. Il
ne faut pas que ce soit pendant la fête, de peur
qu'il ne se fasse quelque tumulte parmi le peuple.
Telle fut la décision du Sanhédrin. Mais précisément
pendant la fête, telle avait été la décision prise
dans le conseil de Dieu, afin que Jésus fût
considéré par tout le peuple comme le véritable
Agneau pascal, qui s'est immolé pour nous. Du reste,
l'occasion la plus favorable s'offrit à eux, lorsque
Judas Iscariot leur promit de leur livrer Jésus
moyennant trente pièces d'argent.
C'est certainement une erreur de croire
que Judas fût poussé à trahir Jésus par le seul
amour de l'argent. Si tel avait été le cas,il aurait
assurément demandé une plus forte somme. Il aurait
hardiment exigé trois cents deniers, et même
davantage, et ils lui eussent été accordés. Sans
doute, l'avarice joua un rôle dans cette trahison ;
mais le vrai motif qui poussa Judas à commettre son
crime, c'était sa haine contre Jésus. Son
avarice y a contribué en ce sens qu'elle a obscurci
ses yeux et fermé sa conscience aux exhortations de
son Maître ; mais ce furent ses espérances trompées
relativement au royaume messianique, et l'aiguillon
de sa mauvaise conscience qui le déterminèrent à
commettre cette trahison. - Depuis la dernière
multiplication des pains et le discours dont elle
fut suivi à Capernaüm, Judas se convainquit qu'il
s'était fait illusion dans ses espérances ; et, à
partir de ce moment, il ne fut plus qu'à moitié,
dans la communion de Jésus et de ses disciples.
Lorsqu'il eut connu l'appel que le Sanhédrin avait
adressé, afin qu'on l'aidât à arrêter Jésus, il
pensa que la somme promise pourrait aussi lui être
utile. Cependant il ne donna pas immédiatement suite
à cette pensée. Mais après l'onction de Béthanie,
qui excita ses murmures contre Marie, et provoqua la
sévère répréhension que lui adressa Jésus en ces
termes : Vous aurez toujours des pauvres avec vous,
et toutes les fois que vous voudrez, vous pourrez
les secourir, le caissier sentit l'aiguillon
caché dans ces paroles, et le doute, bien que voilé,
relativement à sa sincérité ; et dès lors son
indifférence devint une haine consciente. - Sa
résolution est prise ; il veut se venger ; mais sans
pour cela négliger le salaire de sa trahison. C'est
là évidemment le point qui donna prise au diable sur
le coeur de Judas. D'ailleurs, que l'ennemi ait agi
en lui pour le pousser à son forfait, c'est ce que
nous montrent expressément les Évangiles (Luc
XXII, 3 ;Jean
XIII, 27). Si Judas n'avait été amené à cet acte
que par l'avarice, ce serait là un péché humain
; mais comme il voulait obéir à sa mauvaise
conscience, en sacrifiant Jésus et satisfaire sa
haine contre lui, sa trahison prend un caractère
diabolique.
Naturellement l'offre de Judas fut la
bienvenue auprès du Sanhédrin. Qu'on puisse
seulement arrêter Jésus en secret, à l'insu du
peuple, et on trouvera ensuite facilement un
prétexte pour le condamner. Il sera aisé, lorsque
l'arrestation du Sauveur sera un fait accompli,
d'exciter le peuple contre lui comme violateur de la
loi du Sabbat et contempteur du temple. Si la chose
était une fois bien en train, on espérait une issue
favorable. Judas trouva dès le lendemain l'occasion
cherchée pour consommer sa trahison.
.
JEUDI
118. Le repas pascal et l'ablution des pieds.
(Matth.
XXVI, 17-31 ;Luc
XXII, 7-23 ;Jean
XIII, 1-30.)
Jésus revint du mont des Oliviers, où il avait
passé la nuit comme il l'avait déjà fait
antérieurement. C'était le premier jour des pains
sans levain, où l'on devait tuer et manger l'Agneau
pascal. Les disciples
vinrent à Jésus et lui dirent : Où veux-tu que nous
préparions ce qu'il faut pour manger la Pâque ? Il
leur répondit : Allez à la ville et vous
rencontrerez un homme portant une cruche d'eau ;
suivez-le dans la maison ou il entrera, et dites au
maître de la maison : Mon temps est proche, le
Maître t'envoie demander : Où est le lieu où je
mangerai la Pâque avec mes disciples ? Et il vous
montrera une grande chambre haute toute meublée ;
préparez-y la Pâque. Eux donc, s'en étant allés,
trouvèrent les choses comme il leur avait dit, et
ils préparèrent la Pâque. Et quand l'heure fut
venue, il se mit à table et les douze avec lui.
La fête de Pâque avait été instituée en mémoire de
la sortie des enfants d'Israël hors d'Égypte. Cet
événement était une prédiction de la délivrance
opérée par Christ. Pour affranchir les Israélites de
la servitude d'Égypte, Dieu envoya l'ange
exterminateur, qui frappa tous les premiers-nés de
ce pays. Afin de préserver les enfants d'Israël de
ce fléau, l'Éternel leur commanda d'immoler un
agneau d'un an, sans défaut, d'arroser de son sang
les poteaux et les linteaux de leurs portes, et d'en
manger la chair en famille. Ils devaient prendre ce
repas les reins ceints, les souliers aux pieds, le
bâton à la main comme des voyageurs prêts à partir.
Partout où l'ange exterminateur verrait les poteaux
et les linteaux des portes teints de sang, il devait
passer outre sans frapper. C'est pourquoi on appela
l'agneau dont le sang avait procuré cette faveur,
l'agneau pascal. Notre agneau pascal,c'est Christ.
Car si Dieu n'a pas épargné son Fils, c'est afin que
tous ceux dont le coeur serait arrosé de son sang
fussent préservés de la colère éternelle.
La manière dont Jésus envoie ses
disciples pour préparer la Pâque, rappelle son
entrée triomphale à Jérusalem, et l'ordre qu'il
donna à ses disciples de lui amener l'ânesse.
Maintenant, comme alors, il manifeste sa
toute-science divine. Quelle immense faveur a été
accordée à ce maître de maison, auquel il a été
donné d'héberger le Sauveur pour son dernier repas !
Qui ne répéterait les paroles du pasteur Kober
lorsqu'il disait : « Il faut que mon coeur soit un
hôtel qui ne soit pas ouvert à tous. J'inscrirais
sur l'enseigne : À un seul et à nul autre. »
-« Jésus prit son repas pascal seul avec ses
disciples. Il n'y invita ni le maître de la maison
ni aucun des habitants. Car chaque famille formait
une réunion pascale particulière.
Le service qui consistait dans le lavage
des pieds traditionnel, devait être rendu par l'un
des disciples. Mais lequel s'en chargerait ? Or,
il s'éleva une contestation entre eux pour savoir
lequel était le plus grand. Aucun d'eux ne
voulait être le plus petit. Aucun ne voulait rendre
à l'autre ce service d'esclave. Jésus vit cette
disposition et se leva pour montrer à ses disciples
que l'amour ennoblit les plus humbles fonctions.
Il leur dit : J'ai fort désiré
manger cette Pâque avec vous avant que je souffre.
C'est par ces paroles que Jésus ouvrit le repas.
Quelle douleur il dut ressentir en entendant parmi
ses disciples cette contestation pour la priorité,
qui l'avait déjà si souvent affligé ! Dans une autre
occasion, il avait tenté de faire comprendre à ses
disciples, en plaçant un petit enfant au milieu
d'eux, combien une telle ambition était honteuse.
Maintenant il veut essayer d'arriver au même
résultat en leur donnant une preuve personnelle de
son amour.Comme il avait
aimé les siens qui étaient dans le monde, il les
aima jusqu'à la fin. Il les a aimés et il
nous a aimés de tout temps, et son amour se
renouvelle chaque matin. C'est ce que nous voulons
graver dans nos coeurs afin de ne jamais l'oublier.
Lorsque le péché nous parait
extraordinairement grave ; lorsque nos pensées
s'accusent entre elles et que notre coeur nous
condamne, alors il nous semble impossible que Jésus
puisse aimer d'aussi grands pécheurs. Eh bien ! même
alors nous pouvons cependant croire à son amour, car
cet amour est fidèle. Il nous aime malgré nos péchés
et pour nous délivrer de nos péchés. Le fondement de
notre foi et de notre joie, c'est que chacun peut se
dire: Jésus m'aime.
Au moment où le Seigneur se lève et
s'approche de ses disciples, il élève ses regards
vers le Père. Il assume le service de la charité
avec une pleine conscience qu'il était venu de
Dieu et s'en allait à Dieu, et que le Père lui avait
remis toutes choses entre les mains. En venant
de Dieu, il n'a pas abandonné Dieu, et en retournant
à Dieu, il ne nous a pas abandonnés. Le Fils de
Dieu, qui est dans le sein du Père et qui se prépare
à s'asseoir sur son trône éternel à la droite du
Père, celui-là va laver les pieds de ses disciples.
Tandis que les anges se disposent à l'accueillir
avec une sainte joie ; tandis que le coeur du Père
s'élance au-devant de son Fils venant reprendre
possession de sa gloire ; tandis que le prince de ce
monde, avec une grande puissance et beaucoup de
ruse, combat contre lui afin de l'empêcher de sauver
l'humanité pécheresse, il montre à ses disciples son
ancien amour et son ancienne bonté, comme si nulle
autre pensée n'occupait son esprit.
Il ôta sa robe
(le vêtement de
dessus), et ayant
pris un linge, il s'en ceignit. Ensuite il mit de
l'eau dans un bassin et se mit à laver les pieds de
ses disciples et à les essuyer avec le linge dont il
était ceint. Les disciples durent être
extrêmement étonnés en voyant Jésus s'agenouiller
devant chacun d'eux pour lui laver les pieds.
Cependant ils le laissèrent faire sans rien lui
dire. Il vint donc à Simon Pierre qui lui dit :Toi,
Seigneur, tu me laverais les pieds ! Jésus lui
répondit : Tu ne comprends pas maintenant ce que je
fais, mais tu le comprendras dans la suite.
Lorsque nous reconnaissons dans nos souffrances une
croix qui nous est imposée par le Seigneur, nous les
supportons facilement. Lorsque nous ne discernons
pas la main du Sauveur, elle nous paraît doublement
lourde. Pierre aurait bientôt compris l'acte de
Jésus, s'il avait voulu attendre quelques minutes.
Il peut arriver que les dispensations de Dieu à
notre égard nous demeurent voilées pendanttoute
notre vie, et que nous soyons obligés, pour les
connaître, d'attendre jusqu'à ce que nous les
expérimentions devant son trône.
Pierre ne fait pas attention à ce que le
Seigneur lui dit, et s'écrie :Tu
ne me laveras jamais les pieds ! Jésus
lui fait comprendre alors que le service d'amour
qu'il veut lui rendre, a une signification plus
profonde que celle qu'on attribue ordinairement à
cet acte ; que ce qu'il fait à son corps est une
image de ce qu'il veut faire à son âme. Il lui dit :
Si je ne te lave, tu
n'auras point de part avec moi. C'est là
le point essentiel du Christianisme : Jésus veut
laver nos âmes. Là où cette opération n'a pas lieu,
on ne saurait avoir de part avec lui. Notre salut
consiste en ceci : c'est que Jésus nous lave.
Lorsque nous nous sommes laissé laver par lui, alors
nous pouvons aussi lui offrir les sacrifices d'une
reconnaissance pleine d'amour.
Pierre change subitement de sentiments.
Si, pour avoir une part avec le Seigneur, il faut se
laisser laver par lui, alors,
Seigneur,
s'écrie-t-il, non seulement
les pieds, mais aussi les mains et la tête.
Cette fois le Seigneur est obligé de mettre un frein
à l'empressement de Pierre. Il lui dit :Celui
qui est lavé n'a pas besoin, sinon qu'on lui lave
les pieds, puis il est entièrement net. Or, vous
êtes nets. Lorsqu'un homme est devenu net
au moyen d'un bain, ce sont seulement ses pieds qui
peuvent encore se souiller. Et alors il n'a plus
qu'à se les laver. Le Seigneur déclare ses disciples
nets. Ils ont été purifiés par la Parole qu'il leur
a annoncée et qu'ils ont reçue par la foi. Par leur
commerce journalier avec leur Maître, leurs coeurs
ont été détachés de la vanité et se sont
complètement donnés à lui. Ils sont nets, et
cependant ils ont sans cesse besoin qu'il les
purifie (Jean
XV, 2-3).
Le Seigneur nous montre ici que nous
avons besoin d'une double purification. Nous sommes
complètement lavés dans le bain de la régénération :
mais, par notre conduite ultérieure de chaque jour
où nous nous trouvons en contact avec un monde
pécheur, la poussière du péché s'attache de nouveau
à nos pieds, et ainsi nous avons besoin que le
Seigneur nous les lave chaque jour. Quoique nous
nous rendions journellement coupables denombreux
péchés, il est disposé à nous les pardonner.- L'un
et l'autre : le bain et le lavage des pieds, la
purification dans le bain du baptême et la
purification par le pardon quotidien de nos péchés
sont l'oeuvre de Christ, et elle s'opère par la
seule puissance der son précieux sang répandu pour
nous réconcilier avec Dieu (Apoc.
I, 5). Au lavage des pieds des disciples avant
l'institution, de la sainte Cène, correspondent la
confession des péchés et l'absolution qui précèdent
la participation à ce sacrement.
Or, vous êtes
nets, mais non pas tous, car il savait quel était
celui qui le trahirait. C'est pour cela qu'il dit :
Vous n'êtes pas tous nets ; après donc qu'il leur
eut lavé les pieds et qu'il eut repris sa robe,
s'étant remis à table, il leur dit : Savez-vous ce
que je vous ai fait ? C'est encore la
question qu'il adresse à tous ceux qui se sont
donnés à lui. Et si quelqu'un l'ignorait ou l'avait
oubliée, il lui dirait : Je t'ai appelé depuis ta
jeunesse. Lorsque la vie t'apparaissait encore comme
un jeu, je t'ai attiré à moi. Lorsque tu t'es laissé
captiver par les jouissances du monde, je t'ai barré
le chemin. Lorsque tu t'es confié en moi, je t'ai
consolé. Lorsque tu t'es de nouveau tourné vers les
plaisirs terrestres, je t'ai parlé sérieusement ; je
t'ai fait comprendre qu'un coeur partagé ne me
suffit pas, et je t'ai pressé de prendre une
décision. Lorsque tu as refusé de m'écouter, j'ai
essayé de t'attirer à moi par l'affliction. Chaque
fois que tu t'es amendé, je me suis hâté d'aller
au-devant de toi, et je t'ai attiré sur mon coeur.
Chaque fois que tu t'es de nouveau détourné de moi,
je t'ai supporté avec patience. Coeur chrétien,
réfléchis à ce que ton Sauveur a fait pour toi.
Vous m'appelez
Maître et Seigneur, et vous dites vrai, car je le
suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi qui
suis le Seigneur et le Maître, vous devez aussi vous
laver les pieds les uns aux autres. Je vous ai donné
un exemple afin que vous fassiez comme je vous ai
fait. En vérité, en vérité, je vous dis que le
serviteur n'est pas plus que son Maître, ni l'envoyé
plus que celui qui l'a envoyé. Ainsi le
Seigneur veut que dans son royaume, les membres se
servent les uns les autres avec une abnégation
pleine d'amour. « Fais que je traite les autres
comme tu m'as traité toi-même. » Nous ne devons pas
seulement leur faire ce qu'il nous.a fait, mais
comme il nous l'a fait. Et ici, il ne s'agit pas
simplement de rendre des services dans les choses de
la terre, mais surtout de supporter avec patience
les faibles, de ramener avec douceur les égarés,
d'exhorter avec amour ceux qui sont tombés, de prier
fraternellement pour les âmes angoissées et brisées
et de les consoler. Que personne ne s'estime trop
haut pour rendre à son frère le service de la
charité. Servir avec amour ne déshonore personne,
quelque haut placé qu'on soit dans le monde.
Si vous savez
ces choses, vous êtes bien, heureux, pourvu que vous
les pratiquiez. La science est bonne,
mais la pratique vaut mieux. La science seule enfle.
Je ne parle point de vous
tous. Je sais qui sont ceux que j'ai choisis. Mais
il faut que celle parole de l'Écriture soit
accomplie. Celui qui mange le pain avec moi a levé
le pied contre moi. Je vous l'ai dit dès à présent,
avant que la chose arrive, afin que quand elle sera
arrivée, vous me reconnaissiez pour ce que je suis.
Quand Jésus eut dit cela, il fut troublé en son
esprit et dit ouvertement :
En vérité, en vérité, je vous
dis que l'un de vous me trahira. Et les
disciples se regardaient les uns les autres, étant
en peine de qui il parlait. Et chacun d'eux se mit à
lui dire : Maître, est-ce
moi ? Mais il répondit :
Celui qui met la main au plat
avec moi, c'est celui qui me trahira. Or,
il y avait un des disciples, celui que Jésus aimait,
qui était couché vers son sein. Simon Pierre lui fit
signe de demander qui était celui dont il parlait.
Lui donc, s'étant penché sur le sein de Jésus, lui
dit : Seigneur, qui est-ce
? Jésus lui répondit :
C'est celui auquel Je donnerai
un morceau trempé.
Et ayant trempé un morceau, il le donna à Judas
Iscariot, fils de Simon.
Pour ce qui est
du Fils de l'homme, il s'en va selon ce qui est
écrit de lui ; mais malheur à l'homme par qui le
Fils de l'homme est trahi. Il eût mieux valu pour
cet homme de n'être jamais né. Et Judas
qui le trahissait lui dit : Maître, est-ce moi ?
Jésus lui répondit :Tu l'as
dit. Et après que Judas eut pris le
morceau, Satan entra en lui. Jésus donc lui dit :Fais
au plus tôt ce que tu as à faire. Mais
aucun de ceux qui étaient à table ne comprit
pourquoi il disait cela. Car quelques-uns pensaient
que comme Judas avait la bourse, Jésus avait voulu
lui dire : Achètece qu'il faut pour la fête, ou
donne quelque chose aux pauvres.
Après donc que
Judas eut pris le morceau, il sortit : Or il était
nuit. Dans le calice que Jésus devait
vider, il n'a rien manqué de ce qu'un coeur d'homme
peut expérimenter en fait d'ingratitude, de perfide
fausseté, de profond mépris et de haine violente.
Une cuisante douleur saisit le coeur de Jésus à la
vue du traître. Il est sur le point de livrer sa vie
à la mort pour l'humanité pécheresse, et de
supporter les tourments de la condamnation. Mais sa
charité devait éprouver une douleur particulière en
voyant une âme à laquelle il avait voué tous les
soins de son amour et qui était restée fermée à
toutes ses sollicitations. Il faut même qu'il dise :
L'un de vous. La
plus poignante douleur pour celui qui était trahi,
c'est que le traître fût du nombre de ses disciples.
Lorsque le monde repousse Jésus, cela ne
lui est assurément pas indifférent. Il pleure sur
Jérusalem qui le rejette. Mais quelle immense
douleur pour lui, lorsque du milieu de ceux qui
mangent son pain et sont appelés à annoncer sa
Parole, surgissent des traîtres, qui cherchent à
renverser de fond en comble le trône de sa gloire,
et à livrer le mystère du salut par le sang de la
croix à la haine du monde ! Celui-ci aime la
trahison ; mais il hait le traître. Pour Jésus,
c'est justement le contraire. Il a en abomination la
trahison, mais il aime le traître. C'est pourquoi il
continue de frapper à la porte de son coeur, pour
voir s'il ne se repentira pas et ne confessera pas
sa faute. - Mais Judas se détourne du coeur de
Jésus, et se donne, le sachant et le voulant, au
prince des ténèbres. En revanche, les dispositions
des autres disciples sont extrêmement réjouissantes.
La terrible déclaration sortie de la bouche de Jésus
les a profondément troublés. Ils se regardent les
uns les autres, mais aucun d'eux n'ose croire
l'autre capable d'un si horrible forfait. Ils ont
parfaitement conscience que Jésus les aime, et ils
reculent effrayés à la seule pensée d'une telle
abomination. Cependant chacun d'eux sent aussi sa
faiblesse, et il tremble à l'idée qu'à l'heure de la
tentation, il pourrait faire cette terrible chute.
Ils se défient d'eux-mêmes et se tournent vers le
Sauveur, afin d'entendre de sa bouche cette
consolante parole :« Sois tranquille, ce n'est pas
toi ».
Ainsi les disciples sont bien disposés à
participer à la sainte Cène qui va être instituée.
Leurs coeurs sont pleins d'humilité, de repentance
et du sentiment de leurs péchés. Toutefois, dans
l'âme de l'un d'eux, il fait nuit, une nuit sombre,
qui donne le frisson. Il ne veut plus entendre
parler de l'amour de Jésus. Aussi le Sauveur le
laisse-t-il suivre son propre chemin et ne
cherche-t-il plus à entraver sa marche dans la voie
de la perdition. C'est un terrible jugement, plus
terrible que si la foudre avait frappé le traître.
Judas se détourne de la personne lumineuse du
Seigneur, des clartés de la communion des disciples,
et s'enfonce dans les ténèbres du dehors. Il fait
nuit, autour de lui et en lui, une nuit dans
laquelle nul rayon de soleil ne luira pendant toute
l'éternité.
.
JEUDI
119. Institution de la Sainte-Cène.
(Matth.
XXVI, 26-36 ;Jean
XIII, 31-32 ;1
Cor. XI, 23.)
Quand Judas fut sorti, Jésus dit :Maintenant
le Fils de l'homme est glorifié, et Dieu est
glorifié par lui ; il le glorifiera
lui-même et il le glorifiera bientôt. Aussitôt que
le traître est sorti, le coeur et les pensées de
Jésus se tournent vers ses souffrances. Maintenant
le Fils de l'homme est glorifié. Au lieu de frapper
Judas d'un châtiment bien mérité, il le laisse aller
et scelle ainsi lui-même son arrêt de mort. Le
Souverain Sacrificateur éternel est intérieurement
préparé à se laisser immoler comme l'Agneau de Dieu
qui porte les péchés du monde. -Telle est la
glorification de Christ, à laquelle la sortie du
traître appose un nouveau sceau. La glorification du
Fils de l'homme est triple. Il est glorifié en
lui-même, en Dieu et dans le monde. Dans
notre passage, Christ ne parle que de sa
glorification en lui-même et en Dieu. Cette
glorification de Christ en lui-même a déjà eu lieu
lors de sa transfiguration, et plus tard lors de la
visite des Grecs. Elle consiste dans une domination
complète de sa vie corporelle et humaine par sa vie
spirituelle et divine, dans le sacrifice volontaire
et plein d'amour du Fils de l'homme pour la
réconciliation du monde avecDieu et dans la
plénitude de son obéissance pour l'accomplissement
de son oeuvre de délivrance.
D'un autre côté, Dieu, dans son amour,
l'ayant envoyé dans le monde, est glorifié en lui,
en ce qu'il remplit parfaitement sa divine mission.
Il a fait briller la gloire de Dieu sur la terre, en
satisfaisant en Golgotha à la justice et à la
miséricorde divines. Si Dieu est glorifié en lui, il
sera bientôt lui-même glorifié en Dieu. C'est ce qui
aura lieu par sa résurrection, par son ascension et
par son retour dans la gloire du Père, où il portera
son corps glorifié. Sa glorification dans le monde
aura lieu par le tremblement de terre qui se
produira lors de sa résurrection, par l'effusion du
Saint-Esprit dans les coeurs, par l'union de son
corps et de son sang au pain et au vin de la sainte
Cène, par le développement de son règne dans le
monde, par la défaite de tous ses ennemis, et par sa
venue sur les nuées du ciel pour juger les vivants
et les morts.
Et comme ils
mangeaient, Jésus prit du pain et ayant rendu
grâces, il le rompit, le donna à ses disciples et
dit : Prenez, mangez, ceci est mon corps qui est
rompu pour vous. Faites ceci en mémoire de moi. De
même après avoir soupé, ayant rendu grâces, il prit
la coupe, et la leur donna en disant : Buvez-en
tous, car ceci est mon sang, le sang de la nouvelle
alliance, lequel est répandu pour plusieurs en
rémission des péchés. Faites ceci en mémoire de moi,
toutes les fois que vous en boirez. Le
Seigneur se prépare à aller au Père et à passer du
monde visible dans le monde invisible. Il ne veut
pas pour cela se séparer de ses disciples. Au
contraire, c'est seulement alors qu'il s'approchera
d'eux d'une manière ineffable. Après que Dieu aura
été glorifié en lui et qu'il aura été
glorifié en Dieu, il veut aussi se glorifier
dans ses disciples. Et cela, non seulement en ce
qu'ils pensent à lui avec un amour toujours plus
ardent, et pénètrent toujours plus avant, dans la
profondeur de son oeuvre de rédemption, mais avant
tout, en ce qu'il habite en eux par une communion
d'amour permanente et personnelle et s'unit à eux
par toute son essence divine et humaine, spirituelle
et corporelle. Cette glorification de Christ dans
les siens a lien par le sacrement de la sainte Cène.
- Toutes les fois donc, que nous nous approchons de
la Sainte-Table, soit pour entrer plus profondément
et avec adoration dans la communion de Christ, soit
pour le recevoir en nous afin de jouir de lui, nous
devons nous pénétrer de la pensée que nous sommes en
présence d'un mystère que nous pouvons bien recevoir
par la foi, que nous pouvons pressentir avec notre
esprit, mais qu'il nous est impossible de jamais
comprendre ni sonder, avant d'être parvenus là où
nous connaîtrons comme nous avons été connus.
La glorification de Christ, telle qu'elle
parait pendant toute sa carrière terrestre, et
particulièrement sur la sainte montagne, et dans la
circonstance rapportée par saint Jean (XII,
28), où une voix se fit entendre du ciel, et qui
atteignit sa perfection par le don qu'il fit de
lui-même en s'offrant en sacrifice sur la croix,
cette glorification consiste dans la pénétration de
sa nature humaine par la gloire de sa nature divine.
Par cette pénétration, la nature humaine fut élevée
au-dessus de la faiblesse qui lui est inhérente, et
rendue capable d'exercer un pouvoir miraculeux.
C'est sur ces pensées que Jésus dirige l'attention
de ses auditeurs dans la synagogue de Capernaüm
lorsqu'il se nomme le pain
de vie qui donne la vie au monde(Jean
VI, 47-58) et leur dit :«
Si vous ne mangez la chair du
Fils de l'homme et si vous ne buvez son sang, vous
n'aurez point la vie en vous-mêmes. » Celui qui
mange ma chair et boit mon sang, a la vie éternelle,
et je le ressusciterai au dernier jour ; car ma
chair est véritablement une nourriture et mon sang
est véritablement au breuvage. »
Lors donc que le Fils de l'homme
glorifié, et communiquant déjà sa gloire, prend dans
ses mains bénies le pain placé devant lui et rend
grâces, cette action de grâces n'est pas seulement
l'expression de la reconnaissance pour le pain et le
vin, mais elle contient l'assurance de la
glorification miraculeuse particulière à la sainte
Cène. Par cette action de grâces, le corps glorifié
du Seigneur s'unit dans sa main au pain ; et
lorsqu'ensuite il le rompt, un disant :Ceci est
mon corps, et lorsqu'il prend la coupe et dit :
Ceci est mon sang, il est impossible
d'attribuer à ces saintes paroles un autre sens que
celui-ci : c'est que le pain et le vin sont
réellement son corps et son sang, puisqu'il a laissé
découler dans le pain et le vin l'essence de son
corps et de son sang glorifiés.
Comment comprendre celle union du
corps et du sang de Christ avec les espèces du pain
et du vin ? Ne nous rompons. pas la tête à élucider
cette question, et tenons-nous simplement à cette
parole du Seigneur : « Ceci est mon corps, ceci est
mon sang », dans la ferme assurance que Celui auquel
a été donnée toute-puissance dans le ciel et sur la
terre, peut faire ce qu'il a dit. Nous nous bornons
à adorer l'amour incompréhensible de Dieu, qui a
bien voulu s'abaisser jusqu'à entrer avec nous,
pauvres pécheurs, dans une si intime et si heureuse
union.
Par celle parole de l'institution divine,
et par la puissance invisible que l'Homme-Dieu
exerce dans son Église, son corps et son sang
s'unissent aux espèces du pain et du vin
indépendamment de la disposition spirituelle, des
communiants. De là la possibilité, même pour les
incrédules, de recevoir, eux aussi, le don céleste
du corps et du sang de Christ. Seulement, ils le
reçoivent non pour leur salut, mais pour leur
condamnation. La foi reçoit dans le corps et le sang
de Christ, le pardon des péchés, la vie et le salut
; l'incrédulité reçoit, par le même moyen, le
jugement, l'endurcissement et la condamnation (I
Cor. XI, 29).
Par cette glorification de Christ dans la
sainte Cène s'opère corporellement et
spirituellement, dans le coeur de ceux qui croient
en lui, l'habitation de Christ, dont saint
Paul dit : « Je ne vis plus moi-même, mais Christ
vit en moi ; et si je vis encore dans ce corps
mortel, je vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a
aimé et qui s'est donné lui-même pour moi. »(Gal.
II, 20.) Cette glorification de Christ
représente aussi l'union des membres de son Église
entre eux. Car, de même que la réunion de beaucoup
de grains ne donne naissance qu'à un seul pain, et
que la réunion de beaucoup de grappes de raisin ne
produit qu'un seul vin, ainsi la communion de
plusieurs membres forme un seul corps dont
Christ est la tête.
L'institution de la sainte Cène est une
nouvelle proclamation de ses souffrances ; surtout
ces paroles :« Ceci est mon corps, qui a été rompu
pour vous ; ceci est mon sang, qui a été répandu
pour vous », et qui indiquent nécessairement une
mort violente. Ce qui n'est pas enseigné moins
clairement dans les paroles de l'institution, c'est
la signification de la mort de Christ. Il ne
succombe pas sous les coups d'une puissance
terrestre ; mais, poussé par un divin amour, il
livre sa vie à la mort, comme un sacrifice
expiatoire pour nos péchés. Sa mort est un sacrifice
de réconciliation, en ce que, comme Agneau de Dieu,
qui s'est chargé de nos péchés, il rend possible
l'exercice de la miséricorde divine pour pardonner
aux pécheurs. Il verse son sang pour la rémission
des péchés. Quiconque boit son sang dans la sainte
Cène, avec une repentance pleine de foi, obtient le
pardon de ses fautes. Ainsi, par son union
personnelle avec Christ, la foi reçoit, dans la
sainte Cène, toute la plénitude du salut que Christ
lui a acquis par ses amères souffrances et sa mort
expiatoire. |