LA VIE DE
JÉSUS
CHAPITRE II
L'activité publique de
Jésus.
D. Activité de
Jésus en Samarie.
74. Envoi des soixante-dix disciples.
(Luc
X, 1-24.)
Dès le commencement de son ministère, Jésus avait
trouvé plusieurs âmes croyantes en Samarie (Jean
IV, 42). Depuis lors, il n'avait pas fait de
séjour prolongé dans cette contrée. Il l'avait
touchée en se rendant à Jérusalem pour la fête des
tabernacles, mais il avait été mal accueilli. À
partir de ce moment, il s'était voué exclusivement à
l'évangélisation de son peuple ; et même en envoyant
les douze apôtres, il leur avait dit : N'allez dans
aucune ville des Samaritains. Maintenant, après
avoir si richement favorisé la Galilée par ses
enseignements et ses miracles, après s'être fait
connaître à Jérusalem, il veut visiter encore une
fois la Samarie. C'est, ou bien à la fin de son
séjour à Jérusalem, ou bien en se rendant en
Samarie, qu'il choisit
encore soixante-dix autres disciples et il les
envoya deux à deux devant lui, dans toutes les
villes et dans tous les lieux où il devait aller
lui-même.
Depuis longtemps déjà, Jésus avait réuni
autour de lui un certain nombre de disciples, outre
les douze. C'est parmi eux qu'il en choisit
soixante-dix, pour les envoyer devant lui, dans les
localités de la Samarie qu'il devait visiter. Leur
mission n'avait pas un caractère permanent comme
celle dont les douze étaient chargés. Lorsqu'ils
eurent traversé la Samarie et rejoint les autres
disciples, il n'est plus fait aucune mention d'eux.
En envoyant les soixante-dix, Jésus n'avait pas
seulement l'intention de faire annoncer l'Évangile
dans un plus grand nombre de lieux, pendant le laps
de temps fort limité dont il disposait, puisqu'il
voulait se trouver à Jérusalem pour la fête de la
dédicace ; mais il tenait aussi à exercer leur foi
et à leur fournir l'occasion de la confesser. De
plus, par cet envoi des soixante-dix en Samarie, le
Sauveur avait aussi en vue d'incliner les coeurs de
tous ses disciples vers ces autres brebis « qui
n'étaient pas de labergerie » afin de les mettre en
mesure de combattre plus tard l'étroitesse judaïque,
qui s'opposait à l'entrée des païens dans l'Église
chrétienne. Les instructions qu'il donna aux
soixante-dix sont essentiellement les mêmes que
celles des douze, ce qui était naturel, puisque les
deux missions étaient identiques.
Lorsque les soixante-dix furent de
retour, ils dirent avec joie à leur Maître :
Seigneur, les démons mêmes
nous sont assujettis par ton nom ! En les
envoyant, le Sauveur leur avait bien donné le
pouvoir de guérir les malades (9).
Mais il n'avait pas fait une mention expresse des
expulsions de démons. C'est pourquoi les disciples
se réjouissaient d'autant plus que leur Maître leur
eût permis de faire ces miracles en son nom. Leur
joie était d'autant plus vive, qu'ils avaient vu les
douze eux-mêmes incapables de guérir le jeune
lunatique. Jésus leur confirme, ainsi qu'à tous les
croyants, leur pouvoir sur les démons, dont la
puissance est désormais brisée par son oeuvre
expiatoire. Toutefois, la joie que leur causaient
leurs succès n'était pas complètement pure. Ils
oubliaient qu'ils n'avaient été que les instruments
du nom de Jésus, et commençaient à s'enorgueillir.
Jésus pourvoit à ce que le démon qu'ils ont chassé
des autres, ne pénètre pas dans leurs coeurs par la
porte de cette joie.Ne vous
réjouissez pas seulement de ce que les démons vous
sont assujettis, mais réjouissez-vous encore plus de
ce que vos noms sont écrits dans le livre de vie.
Si le Seigneur ne nous reconnaît pas pour siens, il
ne nous sert de rien d'avoir chassé les démons. À la
joie que nous causent nos dons et nos oeuvres, il se
mêle trop facilement de l'impureté et de l'ambition.
C'est pourquoi, ce qui doit nous réjouir, c'est que
nous sommes de pauvres pécheurs qui avons un
Sauveur. Ce qui nous rend heureux, ce ne sont pas
nos dons, ce ne sont pas nos oeuvres, c'est
uniquement notre foi.
.
75. Le bon Samaritain.
(Luc
X, 25-37.)
Le Sauveur n'était pas encore fort éloigné de
Jérusalem, lorsqu'un docteur lui demanda, pour
l'éprouver : Maître, que
faut-ilque je fasse pour hériter de la vie éternelle
? Une pareille question, eût été
réjouissante, si celui qui l'adressait à Jésus
n'avait pas en pour but de l'éprouver. Le Seigneur
le renvoie à la loi. Le scribe en donne parfaitement
le résumé. Tu aimeras le
Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton
âme, de toute ta force, de toute la pensée, et ton
prochain comme toi-même. Les paroles de
Jésus durent singulièrement sonner à ses oreilles
lorsqu'il lui dit :Fais
cela et tu vivras. Il s'effraye et se
sent repris. Comme docteur, il savait fort bien que
ce commandement avait été donné pour être observé,
mais il ne s'était jamais demandé sérieusement s'il
l'avait observé. C'est pourquoi, voulant paraître
juste, il demanda à Jésus :
Qui est mon prochain ?
Il était persuadé de n'avoir jamais manqué d'amour
pour Dieu ; quant à l'amour du prochain, il ne
savait pas à quoi s'en tenir, attendu que la loi ne
dit pas qui est le prochain. La parabole du
Samaritain compatissant sera une réponse suffisante
à sa question : Qui est mon prochain ?
Un homme
descendait de Jérusalem à Jéricho, et tomba entre
les mains des voleurs qui le dépouillèrent, et après
l'avoir blessé de plusieurs coups, ils s'en
allèrent, en le laissant à demi-mort. Or, il se
rencontra qu'un sacrificateur passa par ce
chemin-là, et ayant vu cet homme, il passa outre. Un
lévite étant venu, dans le même endroit, et l'ayant
vît, passa outre. Il est possible que ces
deux hommes vinssent directement de Jérusalem, après
avoir rempli leurs fonctions dans le temple. Là, ils
avaient assurément jeté un regard dans le coeur de
la miséricorde éternelle et avaient appris à exercer
la miséricorde. Mais non, leurs coeurs demeurent
froids. Ils ne connaissent pas ce malheureux. Il est
d'ailleurs couvert de sang. Qui voudrait risquer de
se souiller en le touchant ? Et puis les brigands
peuvent encore se trouver dans le voisinage, il faut
donc se hâter de se mettre soi-même en sûreté.
Quiconque se détourne froidement de son prochain
dans la peine, a abdiqué les sentiments humains et
n'est plus qu'un monstre. Il y en a beaucoup qui
prennent plus de soins de leur bête souffrante que
de leur voisin malade. Ils se disent pour s'excuser
: « Cela ne me regarde pas, qu'il pourvoie à ce qui
le concerne ! » Sacrificateurs et lévites et tous
ceux qui ont les mêmes sentiments se tiennent
pourinnocents, du moment où ils n'ont pas levé
eux-mêmes une main meurtrière. Ils oublient qu'ils
violent le sixième commandement, dès qu'ils
négligent de secourir leur prochain et de lui être
utile dans tous ses besoins.
Un Samaritain,
passant par ce chemin, vint vers cet homme et fut
touché de compassion. Les Samaritains et
les Juifs se haïssaient mutuellement. Les Juifs
regardaient les Samaritains presque comme des
païens. Un Samaritain, en passant par ce chemin,
voit cet homme demi-mort et baigné dans son sang.
Dès lors il oublie toute haine ; il n'a plus qu'une
pensée : secourir ce malheureux. Il a certainement
des affaires pressantes, et s'il veut prendre soin
de cet homme, il sera obligé de s'arrêter longtemps.
N'importe, il a devant lui une affaire plus
pressante que toutes les autres. Personne ne peut
l'aider dans ce lieu désert ; il se met lui-même
courageusement à l'oeuvre. D'abord il s'approche du
moribond. De même, si tu veux remplir les devoirs de
la charité envers ton prochain, n'envoie pas tes
enfants ou tes domestiques. Va toi-même auprès de
lui. Et puis il banda ses
plaies et y versa de l'huile et du vin.
Il n'avait à sa disposition ni médecin ni
pharmacien. Il se sert de ce qu'il a sous la main.
Il s'était muni d'huile et de vin pour son propre
usage, mais la charité sait se priver de quelque
chose en faveur de ceux qui souffrent. Ne crois pas
que tu sois tenu de donner seulement de ton superflu
: le don est beaucoup plus doux lorsque, pour le
faire, il a fallu se restreindre un peu soi-même.
Il le mit sur sa
monture, le mena dans une hôtellerie et prit soin de
lui. Il fallait conduire ce malheureux
dans une maison et le coucher dans un lit. Le
Samaritain le plaça donc sur sa monture, et marcha à
côté d'elle, en soutenant celui qu'il avait mis à sa
place. On donne assez volontiers pour les pauvres ;
mais celui qui aime véritablement met
personnellement la main à l'oeuvre. Il pose des
compresses froides sur les plaies ; il donne au
malade brûlé par la fièvre un breuvage
rafraîchissant. Le
lendemain, en partant, il tira deux deniers d'argent
et les donna à l'hôtelier et lui dit : Aie soin de
lui, et tout ce que tu dépenseras de plus, je te le
rendrai à mon retour. Ses affaires
l'appelaient plus loin, mais il n'oublia pas
sonmalade. Il enjoignit à l'hôtelier de ne le
laisser manquer de rien. Voilà un précieux exemple
d'amour du prochain. Et le plus beau, c'est que le
Samaritain n'a pas même fait connaître son nom. Mais
il est écrit au ciel ; car cet homme charitable
était bien connu du Seigneur Jésus. On ignore
généralement aujourd'hui cette manière de donner, où
la main gauche ne sait pas ce que fait la droite.
Lorsqu'on fait quelque chose pour les pauvres ou
pour le règne de Dieu, on a bien soin de faire
figurer son nom dans un journal.
Alors Jésus demande au docteur de la loi
: Lequel donc de ces trois
hommes te semble avoir été le prochain de celui qui
était tombé entre les mains des voleurs ? Le docteur
dit : C'est celui qui a exercé la miséricorde envers
lui. Le Seigneur tourne sa question en
prévision de la réponse. Il montre que l'amour ne
commence pas par peser exactement les droits du
prochain, mais qu'il remplit avec un réel plaisir
ses devoirs envers lui, et qu'il ne faut pas
demander qui est digned'amour, mais qui a
besoin d'amour. Ton prochain, c'est tout homme
qui a besoin de toi. Et Jésus lui dit : Va et fais
la même chose. Il veut dire : Tu as demandé qui est
ton prochain. Tu as toi-même parfaitement répondu à
ta question. Ton prochain est celui dont tu es
toi-même le prochain, c'est-à-dire quiconque a
besoin de ton secours.
Celui dans le coeur duquel cette parole
de Jésus : Va et fais de
même serait gravée en lettres d'or,
ressemblerait de jour en jour davantage au
Samaritain compatissant. Mais cela ne se fait pas si
facilement, et chez les hommes remplis de leur
propre justice, cela ne se fait pas du tout.
Il faut avoir des yeux qui voient pour se
reconnaître soi-même dans cet homme à demi-mort, et
dans le bon Samaritain, le Seigneur Jésus lui-même,
l'éternelle miséricorde. Le chemin de Jérusalem à
Jérichoreprésente la vie de l'homme et de
l'humanité. De la ville où il vivait dans une intime
communion d'amour avec son Dieu, il est descendu
dans les profondeurs du péché et dans toutes les
misères qu'il engendre. Celui qui est meurtrier dès
le commencement, est venu et l'a frappé. Il l'a
dépouillé de son vêtement d'innocence et de
sainteté, et l'a abandonné saignant de mille
blessures. Quiconque veut marcher selon la vérité et
soutenir lesaccusations de la loi et de sa
conscience, se sent bientôt brisé, délaissé, et ses
blessures brûlantes lui font souffrir
d'insupportables élancements. Celui qui, dans une
telle extrémité, a vainement cherché du secours
auprès des hommes, auprès des sacrificateurs et des
lévites, élève les yeux vers Jésus, le véritable
Samaritain compatissant.
Son coeur a été ému de compassion. C'est
pourquoi il est descendu du ciel et est tombé
lui-même entre les mains des brigands, « afin que
nous ayons la guérison par ses meurtrissures ». Pour
de telles blessures, il n'y a ni plantes ni baume ;
elles ne peuvent être guéries que par sa Parole, par
son vin et son huile, par la loi et l'Évangile. Pour
prendre soin de nous, il nous porte dans
l'hôtellerie de sa sainte Église. Mais les plaies ne
se cicatrisent pas si vite. L'ancien mal se fait
sentir plus d'une fois de nouveau. Mais le bon
Samaritain le soigne d'une main douce et légère et
ne s'impatiente jamais. Il nous prie sans cesse,
avec le plus ardent amour, de nous laisser traiter
par lui. Nous nous demandons alors naturellement
d'où lui vient cet amour pour nous. Qu'est-ce qui
l'a décidé à quitter sa gloire pour s'approcher de
nous ? En quoi pouvons-nous l'avoir intéressé ?
Qu'a-t-il revu de nous ? Pourquoi se fatigue-t-il et
se travaille-t-il à cause de nos péchés ? Et il ne
se laisse pas rebuter, même lorsque nos blessures
semblent ne pas devoir guérir. En effet, nous nous
fatiguons de ses soins et nous l'empêchons de nous
les prodiguer, et d'un autre côté nous nous
plaignons et nous lamentons de ce qu'il ne nous
guérit pas assez promptement. Mais son amour ne
s'aigrit point ; il ne cesse de nous soigner. Coeur
chrétien, connais-tu cet amour du Jésus ? Tes yeux
se sont-ils arrêtés sur cette main ? Heureux les
yeux qui voient ces choses ! Heureux les coeurs qui,
guéris par les soins du Seigneur, apprennent à
bander les plaies des autres ! On use de miséricorde
quand on a obtenu miséricorde.
Alors, va et fais la même
chose.
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76. Marthe et Marie.
(Luc
X, 38-48.)
En se rendant en Samarie, Jésus passa par
Béthanie, bourgade entourée de montagnes et de
collines, et située à trois quarts de lieue de
Jérusalem. C'est de là qu'il montait ordinairement
dans cette ville, chaque fois qu'il voulait y faire
un séjour un peu prolongé. Pendant la journée, il
enseignait dans la capitale, et, le soir, il se
retirait à Gethsémané ou à Béthanie, pour se reposer
et se restaurer dans un entretien intime avec les
trois membres dont se composait cette famille qu'il
aimait à visiter : Lazare et ses deux soeurs, Marthe
et Marie. On croit que Marthe était veuve et avait
recueilli chez elle son frère et sa soeur.
Une femme nommée Marthe le
reçut dans sa maison.
Oh ! heureuse maison où l'on te reçoit,
Seigneur, et où, de tous les hôtes qui y entrent, tu
es le plus fêté et le mieux reçu ! Il en était ainsi
dans la paisible maison de Béthanie. Marie n'était
certainement pas une personne paresseuse et rêveuse.
En temps ordinaire, elle se mettait promptement et
courageusement au travail ; mais dès que le Seigneur
est là et ouvre la bouche pour enseigner, alors elle
abandonne tout pour l'écouter.
Elle se tenait assise aux
pieds de Jésus et écoutait sa parole. Une
seule chose enflammait son coeur : c'était
d'entendre ce que son Maître avait à lui dire. Comme
cet amour la rendait heureuse ! Marthe aussi aimait
le Seigneur, mais son amour n'avait pas la
profondeur de celui de Marie. Elle voulait montrer
cet amour à Jésus par son activité. C'est pourquoi
elle se donne tant de peine pour bien le recevoir.
L'amour de Marie, qui est complètement
concentré sur la personne du Seigneur, Marthe ne le
comprend pas. Elle s'étonne de ce que Jésus ne
parait nullement remarquer le zèle avec lequel elle
s'efforce de tout faire, pour lui préparer un bon
repas. Il semble presque qu'elle veuille lui en
faire un reproche.
Seigneur, ne considères-tu point que ma soeur me
laisse servir toute seule ? dis-lui donc qu'elle
m'aide aussi. Aux yeux de Marthe, Marie
manque d'égards envers le Sauveur, parce qu'elle ne
se donne aucune peine pour bien le recevoir. Il lui
semble que sa soeur veuille plutôt se faire servir
par lui. Et de fait, il en était réellement ainsi.
Jésus est venir pour servir. Il a dressé une table
devant Marie et a rempli sa coupe.
Quel ne doit pas être l'étonnement de
Marthe, lorsque le Sauveur lui dit :
Marthe, Marthe, tu te mets en
peine et t'embarrasses de plusieurs choses ; mais
une seule chose est nécessaire ; or, Marie a choisi
la bonne part, qui ne lui sera point ôtée.
Jésus comprend que c'est pour lui que
Marthe déploie toute cette activité. Mais cette
agitation recèle un danger. C'est pourquoi il
l'avertit, et prend Marie sous sa protection. «
Marthe, coeur inquiet, ce qui peut te calmer, ce
n'est pas ton amour pour moi, mais bien mon amour
pour toi. Marthe, ce qui te rendra heureuse, ce
n'est pas l'oeuvre que tu fais pour moi, c'est
l'oeuvre que je fais pour toi. » Marie a choisi la
bonne part ; elle a reçu Jésus dans son coeur, et ce
trésor lui restera.
Une seule chose
est nécessaire. Ah ! Seigneur,
apprends-moi à la connaître ! telle doit être
aujourd'hui notre fervente prière. Les nécessités de
la vie spirituelle et corporelle nous sollicitent de
toutes parts. Partout les besoins sont pressants.
L'amour a une vaste carrière de travaux pour le
Seigneur : soins à donner aux pauvres et aux malades
; éducation des enfants abandonnés ; sollicitude
pour les prisonniers ; compassion pour ceux qui sont
tombés ; mission intérieure et mission extérieure ;
que d'oeuvres de charité ne s'offrent pas à nous ?
On voudrait doubler, décupler le nombre des mains
qui s'en occupent - et ne serait pas encore assez.
Mais que tous ceux qui s'occupent de bonnes oeuvres
fassent sans cesse attention à cet avertissement du
Seigneur : Marthe, Marthe ! rassemble les pensées
distraites, résume toute ton activité dans la
recherche de la seule chose nécessaire. Dans tous
les travaux de notre vocation ici-bas, dans l'Église
comme dans nos maisons, au jardin comme dans les
champs, au bureau comme à l'atelier, le danger des
distractions est très grand, précisément pour le
travailleur zélé. Et quiconque veut conserver la
paix de son coeur, ne doit pas négliger de faire
sérieusement cette prière Prends-moi dans tes bras ;
les distractions me sont funestes maintiens moi dans
un profond recueillement :
Une seule chose est nécessaire ! Le
recueillement continuel auprès de Jésus, telle est
la source cachée de tout travail béni dans le
royaume de Dieu. C'est pourquoi, après le travail de
la journée, assieds-toi à ses pieds, fixe tes yeux
sur lui, écoute-le, laisse aller tout le reste, et
saisis toujours la seule part bonne et nécessaire.
Qu'on rende grâces à Dieu lorsqu'on s'oublie
soi-même pour ne plus penser qu'à une seule chose,
c'est qu'on a un Sauveur. Quelle délicieuse clôture
de la journée !
.
77. Avertissement contre l'avarice. Exhortation à la
vigilance.
(Luc
XII, 13-50.)
Alors, quelqu'un de la
troupe lui dit : Maître, dis à mon frère qu'il
partage avec moi notre héritage. Ce frère
semble être un disciple de Jésus et un auditeur
attentif de sa parole ; mais il veut se servir de
l'un et de l'autre pour obtenir l'argent qu'il
prétend lui appartenir. Le Seigneur lui répond :
0 homme, qui est-ce qui m'a
établi pour être votre juge et faire vos partages ?
Cet homme ne cherchait pas Jésus comme Sauveur ; il
voulait seulement qu'il l'aidât dans un désagréable
procès. Le Seigneur refuse de se mêler des affaires
terrestres, qui sont du ressort des rois ou des
juges, et, par ce refus, il avertit son Église de
tous les temps, de ne jamais mêler le spirituel avec
le temporel. Cependant il rend à cet homme un
service de charité, lorsqu'il lui montre au fond de
son coeur la cause de la contestation dans laquelle
il est engagé avec son frère.
Gardez-vous avec soin de
l'avarice, car, quoique les biens abondent à un
homme, il n'a pas la vie pas ces biens.
On ne comprendrait pas cet avertissement
du Seigneur si, en l'entendant parler d'avarice, ou
pensait aussitôt à l'avare qui se tient constamment
devant la porte de son coffre-fort, qui garde son
argent avec des griffes de vautour, qui repousse
froidement de sa porte les pauvres et les
malheureux, qui laisse dans le besoin ses plus
proches parents et se refuse à lui-même le
nécessaire, parce qu'il ne veut pas se séparer de
son cher trésor. Lorsque l'avarice atteint un tel
degré, elle devient visible pour l'oeil le moins
perspicace, et tombe sous le mépris public. Mais on
n'y arrive que peu à peu, semblable à l'arbre
puissant qui est sorti d'un grain de semence. Cette
semence est dans l'inclination terrestre du coeur,
qui, dans ses craintes, dans ses joies, dans ses
espérances, compte, non sur le Dieu vivant, mais sur
sa fortune. Celui qui garde son argent quand Dieu le
lui demande, est déjà un avare. Celui qui s'estime
lui-même et qui estime les autres, non d'après ce
qu'ils sont, mais d'après ce qu'ils ont, est aussi
un avare. En un mot, celui-là est avare, qui croit
que ses biens lui assurent la vie corporelle,
peut-être même la vie éternelle. Gardez-vous avec
soin d'attacher votre coeur aux biens de la terre !
Là-dessus, le
Seigneur proposa, une parabole. Les terres d'un
homme riche avaient rapporté avec abondance.
Ainsi cet homme était devenu riche par la
bénédiction de Dieu, et il était honoré de tout le
monde. Mais, dans sa richesse, il oublia qu'il était
l'économe de Dieu, et que par ses richesses mêmes
Dieu lui avait confié une mission.
Et il se disait en, lui-même : Que ferai-je ? Car je
n'ai pas assez de place pour serrer toute ma
récolte. Voici, dit-il, ce que je ferai : J'abolirai
mes greniers et j'en bâtirai de plus grands, et j'y
amasserai toute ma récolte et tous mes biens puis je
dirai à mon âme : Mon âme, tu as beaucoup de biens
en réserve pour plusieurs années, repose-toi, mange,
bois et te réjouis. La Parole de Dieu lui
répondait : « Romps ton pain avec celui qui a faim,
conduis dans ta maison ceux qui sont errants »(Ésaïe
LVIII, 7). Mais cette réponse ne lui plut pas ;
il avait de meilleurs projets. Pauvre âme trompée,
qui se nourrit de ce qui va dans les entrailles !
Comme elle doit être cuirassée contre toute
impression du monde invisible ! Les richesses de cet
homme doivent lui assurer la vie, le repos, la
jouissance pour de longues années ; mais il a compté
sans son hôte, car Dieu lui dit :
Insensé, cette nuit même ton âme te sera redemandée,
et ce que tu as amassé, pour qui sera-t-il ? Il en
est ainsi de celui qui amasse des biens pour
lui-même, et qui n'est point riche en Dieu.
C'est donc une insigne folie, lorsqu'un homme met
son espoir dans ces richesses trompeuses et non dans
le Dieu vivant (1
Tim. VI, 17), et fonde le bonheur de sa vie sur
les biens terrestres.
Mais que celui qui a mis son coeur là où
est son trésor, qui a trouvé les richesses par
excellence, se garde d'oublier cette exhortation :
Veillez ! Que vos reins
soient ceints et vos lampes allumées ! Soyez comme
ceux qui attendent que leur maître revienne des
noces, afin que quand il reviendra et heurtera à la
porte, ils lui ouvrent incontinent. De
même que les enfants d'Israël devaient avoir leurs
reins ceints, leurs souliers aux pieds et leur bâton
à la main lorsqu'ils quittèrent à la hâte l'Égypte
pour se diriger vers le pays de Canaan, de même il
faut que les chrétiens, ayant ceint les reins de
leur esprit et recueilli toutes les forces de leur
volonté, toute leur énergie morale, poursuivent,
comme des étrangers et des voyageurs, leur course
vers le ciel, et tiennent leurs lampes allumées pour
aller au-devant du Seigneur. Veillez ! Cela
signifie : maintenez allumée la lampe de la foi ; et
le meilleur moyen d'éviter le sommeil, c'est la
prière.
Je suis venu
mettre le feu sur la terre ; et combien je voudrais
qu'il fût déjà allumé ? Je dois être baptisé d'un
baptême, et combien ne suis-je pas pressé jusqu'à ce
qu'il s'accomplisse ! Jésus parle du feu
qu'il alluma le soir de Pâques, dans le coeur des
deux disciples allant à Emmaüs. « Notre coeur ne
brûlait-il pas au-dedans de nous, pendant qu'il nous
parlait en chemin ? »C'est ce même feu qu'il
répandit du ciel le jour de la Pentecôte sur la
communauté réunie dans la chambre haute, afin
d'enflammer leurs coeurs et de les rendre capables
d'aimer leur Sauveur, de le confesser et de souffrir
pour lui. Mais, avant de pouvoir envoyer le feu du
Saint-Esprit, il faut que lui-même, pénétré d'un
ardent amour pour les pécheurs, se laisse consumer
en Golgotha par le feu de la colère de Dieu. Les
coeurs vigilants attendent le Seigneur chaque jour
et à chaque heure, et ne seront jamais surpris
lorsqu'il les appellera. Et si leur lampe reste
allumée jusqu'à la fin, ils seront heureux et
pourront entrer dans la salle du festin.
Je vous dis en vérité que leur
maître se ceindra, qu'il les fera mettre à table et
qu'il viendra les servir. Heureux ces serviteurs-là
!
Les coeurs qui ont conservé leurs lampes
allumées feront l'expérience que, même dans la
gloire, Jésus est encore l'amour qui sert, et que
là-haut comme aux noces de Cana, ce qui est servi
endernier lieu est ce qu'il y a de meilleur. Une
vieille négresse avait appelé la petite maison qui
lui avait été donnée après sa libération : « Je n'y
aurais pas pensé. » C'est un beau nom à donner aux
tabernacles éternels lorsque, délivrés de tout lien,
nous serons comme des gens qui rêvent.
Vous savez que
si un père de famille était averti à quelle heure de
la nuit un larron doit venir, il veillerait et ne
laisserait pas percer sa maison. Vous donc aussi,
soyez prêts, car le Fils de l'homme, viendra à
l'heure que vous ne penserez point. Si un
homme. s'efforce de conserver ses biens terrestres,
le disciple de Jésus doit encore davantage être prêt
et veiller ! Une seule heure de sommeil peut
nous faire perdre la félicité céleste !
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78. Exhortation à la repentance. Mort des Galiléens.
(Luc
XIII, 1-5.)
Le gouverneur romain Pilate avait fait égorger un
certain nombre de Galiléens qui étaient venus offrir
leurs sacrifices, en sorte que leur sang avait été
mêlé à celui de leurs victimes. Ce meurtre fut
rapporté au Sauveur. On croyait généralement qu'un
malheur exceptionnel était un jugement de Dieu pour
des péchés exceptionnellement graves, commis par
ceux qui avaient été frappés. Jésus enseigne le
contraire. Pensez-vous,
dit-il, que ces Galiléens fussent plus coupables que
les autres, parce qu'ils ont souffert ces choses ?
Non, vous dis-je, mais si vous ne vous amendez, vous
périrez tous aussi bien qu'eux. Ou pensez-vous que
ces dix-huit personnes sur lesquelles la tour de
Siloé est tombée et qu'elle a écrasées, fussent plus
coupables que tous les autres habitants de Jérusalem
? Non, vous dis-je, mais si vous ne vous amendez,
vous périrez tous aussi bien qu'eux. Le
Sauveur ne nie pas que la souffrance ne soit un
châtiment que l'homme s'est attiré par ses péchés.
Au contraire, il remet expressément cette vérité
devant les yeux de ceux qui refusent de se repentir.
Quiconque souffre, doit donc se frapper la poitrine
et confesser qu'il est l'artisan de ses propres
maux. Lorsqu'un homme fait cette confession, le
Sauveur s'approche de lui avec ses promesses. Mais
gardons-nous de porter un jugement sur les épreuves
des autres ! Dieu ne mesure pas la grandeur du
châtiment sur la gravité du péché : autrement il
faudrait admettre que les impies que Dieu a exclus
de sa discipline et qu'il abandonne, sont les plus
grands saints.
Lorsque nous sommes témoins des
souffrances des autres, rentrons en nous-mêmes,
pensons à nos propres péchés, et prions pour que la
bonté de Dieu qui nous épargne, nous conduise à la
repentance. C'est là que Jésus voulait amener ses
auditeurs. Malheureusement, la grande majorité ne se
convertit pas, et il arriva, lors de la ruine de
Jérusalem, ce dont le Seigneur avait menacé les
habitants : c'est que leur sang serait répandu par
l'épée des Romains, et que leurs cadavres seraient
ensevelis sous les ruines de leur ville.
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79. Le figuier stérile.
(Luc
XIII, 6-9.)
Le Sauveur est obligé de menacer la foule, des
jugements de Dieu, pour l'amener à la repentance. La
sévérité de ces jugements sera d'autant plus grande,
que le temps de la patience aura été plus prolongé.
Il leur proposa donc cette similitude :
Un homme avait planté un
figuier dans sa vigne ; il y vint chercher des
fruits, et n'y en trouva point. Ce
figuier est le peuple d'Israël, que Dieu avait
choisi d'entre tous les peuples, et dont il avait
fait l'éducation avec un amour tout paternel. Il
avait déjà eu l'occasion de se plaindre de lui par
la bouche du prophète Ésaïe. « J'ai nourri des
enfants et je les ai élevés, mais ils se sont
rebellés contre moi. » En dernier lieu, il avait
envoyé le vigneron, son propre Fils, auquel le
figuier appartenait. Et il lui dit :
Voici déjà trois ans que je
viens chercher des fruits à ce figuier et je n'y en
trouve point. Coupe-le ; pourquoi occupe-t-il la
terre inutilement ? Jésus, le vigneron,
s'occupe de ce figuier depuis trois ans ; il a
appelé ces enfants rebelles ; il a averti et menacé
; il leur a montré son amour par toutes sortes
d'oeuvres de bienfaisance, afin de les ramener à la
maison et au coeur du Père, mais ils n'ont pas
voulu.
Le figuier n'a pas porté les fruits qu'on
était en droit d'attendrede lui. Cependant le
vigneron répondit :
Seigneur, laisse-le encore cette année, jusqu'à ce
que je l'aie déchaussé et que j'y aie mis du fumier
; s'il porte du fruit, à la bonne heure, sinon tu le
couperas. La hache, déjà levée pour
abattre le figuier, n'a été retirée que sur
l'intercession du vigneron. Les jugements de Dieu
sont prêts à fondre sur le peuple qui a refusé de
revenir au coeur paternel de son Créateur. Ce n'est
que la prière du souverain sacrificateur Jésus qui
lui procure encore un temps de grâce. S'il néglige
de profiter de ce répit, le jugement le frappera.
Toi aussi, coeur chrétien, tu es ce
figuier. Pendant plus de trois ans, pendant ta vie
entière, Jésus t'a aimé ; il a pris soin de toi et
t'a attiré à lui. A-t-il déjà vu du fruit de ce
travail, de la repentance, de la foi, le don de
toi-même ? Qui sait si la cognée n'est pas déjà mise
à la racine de l'arbre ? L'intercession de Jésus la
retient. Mais ce temps de grâce durera-t-il encore
longtemps ?
.
80. Guérison d'une femme le jour du sabbat.
(Luc
XIII, 10-17.)
Jésus enseignait dans une synagogue un jour de
sabbat, selon son habitude.
Il se trouva là une femme
possédée d'un esprit qui la rendait malade depuis
dix-huit ans, et qui était courbée, en sorte qu'elle
ne pouvait du tout point se redresser. Jésus la
voyant, l'appela et lui dit : Femme, tu es délivrée
de ta maladie. Il faut qu'il y ait eu des
motifs particuliers pour que Jésus vint au secours
de cette femme sans en être prié. Ordinairement il
ne s'offre pas ; il attend qu'on s'adresse à lui.
Cette pauvre femme, atteinte d'une difformité
corporelle, avait peut-être déjà souvent été en
butte à des railleries à cause de son infirmité.
Elle était devenue craintive et timide et de plus ne
pouvait pas se redresser. Elle ne voit pas Jésus,
mais Jésus la voit. Il connaît le pesant fardeau
sous lequel elle soupire et il l'appelle. Comme nous
sommes heureux, et comme il est consolant pour nous
d'avoir un tel Sauveur ! Avant que nous le priions,
il nous entend ; sans que nous le voyions, il nous
regarde, et il nous tend sa main puissante toujours
prête à nous secourir.
Et il lui imposa
les mains ; à l'instant elle fut délivrée, et elle
donna gloire à Dieu. Ce coeur abattu est
affermi, et cette femme loue à haute voix la
puissance de Dieu qui s'est manifestée en elle. Sans
doute la communauté réunie pour la prière, s'associe
à cette action de grâces et se réjouit de cette
miséricordieuse intervention de Dieu. Un seul homme
demeure froid et jette sur cette femme un regard
courroucé. Cette nouvelle glorification de Jésus lui
est désagréable, et la louange donnée à son action
l'irrite. C'est le chef de la synagogue, qui dit :
Il y a six jours pour travailler, venez donc ces
jours-là pour être guéris, et non pas le jour du
sabbat. Il prétexte la gloire de Dieu pour couvrir
ses sentiments hostiles.
Mais le Seigneur ne se laisse pas
tromper. Hypocrite,
lui dit-il,chacun de vous
ne détache-t-il pas son boeuf ou son âne de la
crèche le jour du sabbat et ne le mène-t-il pas à
l'abreuvoir ? Et ne fallait-il pas, quoique en un
jour de sabbat, délier cette fille d'Abraham que
Satan tenait liée depuis dix-huit ans ?
Ces paroles simples et claires, accompagnées de ce
glorieux acte de puissance, produisirent une
profonde impression.Tous
ses adversaires furent confus, et tout le peuple se
réjouissait de toutes les choses glorieuses qu'il
faisait. |