LA VIE DE JÉSUS
 

CHAPITRE II

 

L'activité publique de Jésus.
B. Les Douze Apôtres.

 

Parmi les disciples qui s'étaient successivement réunis autour de lui, Jésus-Christ choisit les douze apôtres. Les premiers furent les deux couples de frères Pierre et André, Jean et Jacques (Luc VI, 4 -11). Comme Jésus était sur le bord du lac de Génézareth, il était pressé par la foule qui se jetait sur lui pour entendre la parole de Dieu. Et ayant vu deux barques au bord du lac, dont les pêcheurs étaient descendus et lavaient leurs filets, il monta dans l'une de ces barques qui était à Simon, et il le pria de s'éloigner un peu du rivage ; et s'étant assis, il enseignait le peuple de dessus la barque. Et quand il eut cessé de parler, il dit à Simon ; Avance en pleine eau et jetez vos filets pour pêcher. Ce commandement de Jésus était contraire à toutes les règles de la pèche. Aussi Simon exprime-t-il ses doutes : Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre. Toutefois, sur ta parole, je jetterai le filet. Simon connaît Jésus ; il a été témoin de ses miracles et a recueilli de sa bouche maintes paroles de vie. C'est pourquoi la parole du Seigneur est d'un si grand poids pour lui. Il a plus de confiance en cette parole qu'en son expérience de pêcheur.

Ce qu'ayant fait, ils prirent une si grande quantité de poissons que le filet se rompait, de sorte qu'ils firent signe à leurs compagnons, qui étaient dans l'autre barque, de venir leur aider ; et ils y vinrent et ils remplirent les deux barques tellement qu'elles s'enfonçaient. Simon fait avec David l'expérience que le Seigneur remplit sa coupe (Ps. XXIII, 5), que la bénédiction de l'Éternel enrichit (Prov. X, 22), et qu'on ne perd rien quand on se confie en sa parole. Si Pierre avait fait une bonne pèche pendant la nuit, il s'en serait attribué le mérite ; maintenant il est obligé de reconnaître que c'est la parole et la bénédiction du Seigneur qui lui ont valu ce succès. Aussi est-ce cette bénédiction qui le touche et non le profit de la pêche. Simon Pierre ayant vu cela, se jetta aux pieds de Jésus et lui dit : Seigneur retire-toi de moi, car je suis un homme pêcheur. Car la frayeur l'avait saisi et tous ceux qui étaient avec lui, à cause de la pêche des poissons qu'ils avaient fuite, de même que Jacques et Jean, fils de Zébédée, qui étaient compagnons de Pierre. C'était en réalité une parole insensée que celle de Simon. Il aurait dû dire : Seigneur, demeure avec moi, car je suis un homme pécheur. Car Jésus demeure volontiers auprès de ceux qui reconnaissent et sentent leurs péchés. Simon est effrayé car il s'était certainement demandé souvent si en suivant le Seigneur d'une manière permanente, il aurait toujours son pain quotidien. Le Seigneur avait reconnu cette pensée, et par une riche bénédiction il l'avait vaincue.

Elles sont rares, les âmes que les bénédictions de Dieu effrayent, qui les sentent comme des charbons ardents amassés sur leur tête, et qui sont amenées par l'expérience de la bonté divine à la connaissance de leurs péchés et de la grâce de Dieu. C'est ce qui arriva à un cultivateur qui méprisait la Parole de Dieu, s'en moquait et se faisait une gloire de n'avoir plus mis les pieds à l'église depuis de longues années. Il se rendit un dimanche après-midi dans ses champs. On se plaignait généralement de ce que la moisson serait bien maigre. C'est ce qu'il reconnut lui-même dans tous les champs qu'il traversa. Lorsqu'il arriva au sien, il vit avec étonnement qu'il avait été richement béni d'en haut. À cet aspect il s'arrête un instant, n'osant pas en croire ses yeux. Tout à coup il se frappa le front et dit à haute voix : Comment se fait-il que Dieu m'ait accordé la plus belle moisson, à moi qui suis le plus grand incrédule du village ? Il n'eut pas lieu de se faire longtemps cette question, car la bonté de Dieu le conduisit à la repentance (Rom. II, 4.)

Alors Jésus dit à Simon : N'aie point de peur ; désormais tu seras pêcheur d'hommes vivants. Et ayant ramené leur barque au bord, ils abandonnèrent tout et le suivirent. À partir de ce moment, ces quatre disciples ne se séparent plus du Seigneur. Pierre fit sa première pèche d'hommes le jour de la Pentecôte, alors que, sur le témoignage qu'il rendit de Christ, trois mille drues embrassèrent la foi. Bientôt après, eut lieu une seconde pèche plus abondante encore que la première. Cinq mille personnes se convertirent à sa prédication.

Pierre, Jean et Jacques composent le cercle intime du Sauveur. Dans différentes occasions, Jésus les honore de sa confiance particulière et les admet dans sa société, alors que les autres sont tenus éloignés. C'est ainsi qu'ils l'accompagnèrent chez Jaïrus, sur la montagne de la transfiguration et se tinrent près de lui en Gethsémané.

1. Simon Pierre est une nature énergique, ardente, promptement excitée. Son cœur brûle d'amour pour son maître, et il est toujours prêt à montrer cet amour d'une manière frappante. Plusieurs fois, nous le voyons exprimer les pensées du coeur de tous ses condisciples. Sa confession : Nous avons cru et nous avons connu que tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant, est non seulement la confession de tous les disciples, mais encore celle des chrétiens de tous les temps et de tous les lieux. Plein de courage dans son zèle charnel, Pierre frappe du glaive, et la même nuit il renie son Maître. Jésus, considérant ses dispositions naturelles, le nomme le rocher. Mais les forces naturelles sont comme la glace, quelque solide qu'elle soit, Elle ne résiste pas au feu de l'affliction, mais elle fond et s'écoule. Jésus le prend à son école, afin de faire de ce cœur de pierre, un cœur rendu solide par la grâce de Dieu. Le chemin pour atteindre ce but conduit à travers maintes chutes et maints reniements. Satan aurait voulu séparer Pierre de son Sauveur et le priver de cet instrument d'élite capable de propager le règne de Dieu, mais la prière sacerdotale de Jésus pour ses disciples empêcha la foi de Pierre de défaillir. Après une activité richement bénie parmi les Juifs et les païens, il fut probablement crucifié à Rome vers l'an 64 de notre ère. On raconte qu'il fut cloué sur la croix, la tête en bas.

2. Nous ne savons rien de particulier sur son frère André.

3. Jean, qui aime à se désigner lui-même comme « le disciple que Jésus aimait », ou comme « celui qui était couché vers le sein de Jésus », est une âme tendre et profonde, un vase rempli de l'amour de Jésus, un cœur qui cherche Dieu et qui se repose en Lui. Dès le commencement, il s'était donné tout entier au Sauveur, c'est pourquoi aucun n'a pénétré comme lui dans les profondeurs de l'essence divine. Il ne possède pas la prompte décision pratique de Pierre. C'est pourquoi le Seigneur ne le met pas à la tète de ses apôtres. Il réserve cette place à Pierre. Le matin du jour de Pâques, son ardent amour lui donne des ailes, de sorte qu'il arrive le premier au tombeau, dans le jardin de Joseph d'Arimathée, il voit le sépulcre ouvert, mais il n'y entre pas. C'est seulement lorsque l'énergique Pierre a pénétré, qu'il le suit. Et lorsque le Ressuscité bénit pour la seconde fois richement la pèche de ses disciples, c'est l'œil de Jean qui distingue le premier la gloire du Fils unique, et s'écrie : C'est le Seigneur ! Pierre le surpasse par l'énergie de son zèle ; il se jette dans la mer et tombe le premier dans les bras du Sauveur. Nous les voyons souvent ensemble ; mais toujours c'est Pierre qui est en avant et qui porte la parole.

Cependant on se ferait une idée complètement fausse de Jean si on se le figurait, d'après les représentations qu'on a faites de ce disciple, doux jusqu'à la mollesse, sentimental, presque comme une jeune fille, tendre jusqu'à la faiblesse, cédant aux contradicteurs jusqu'à méconnaître la différence entre la foi et l'incrédulité. Cette indifférence en vertu de laquelle foi et incrédulité, disciples et persécuteurs de Jésus font une même impression sur le cœur, on l'a appelée de la charité. Cette légèreté avec laquelle on juge les choses de la foi, cette tiédeur vis-à-vis de la personne de Christ, on les a décorées du titre pompeux de tolérance, et l'on a fait de Jean le héros de cette tolérance et de cette charité. Vraiment, on a peine à concevoir une telle hardiesse à dénaturer et à fausser le caractère des hommes et la signification des choses.

Cette idée qu'on se fait de Jean, ne concorde en aucun cas avec les données de l'Écriture sainte. Elle nous autorise certainement à le nommer le disciple de l'amour. Mais ce n'était pas un amour sentimental et vaporeux. C'était une étincelle, issue de la flamme de l'amour de Dieu, qui hait le péché autant qu'il aime le pécheur. L'amour de Jean pour le Seigneur et pour les siens était intime, profond, ardent. Mais cet amour s'alliait avec l'énergique résolution de repousser tout ce qui ne portait pas l'empreinte de Christ, et surtout de tout ce qui lui était opposé. Lorsqu'un jour les Samaritains refusèrent l'hospitalité à Jésus, la colère de Jean et de son frère Jacques s'enflamma tellement, qu'ils voulaient faire descendre le feu du ciel sur ces habitants inhospitaliers. Jésus fut obligé de les reprendre par ces paroles sévères : Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes animés. Car le Fils de l'homme n'est pas venu pour faire périr les hommes, mais pour les sauver (Luc IX, 55. 56). De là vint aux deux frères le surnom de « fils du tonnerre ». C'est sous l'empire de ce même zèle brûlant, que Jean défend à un homme de chasser les démons au nom de Jésus, parce qu'il ne les suit pas. Dans ce cas aussi, le Seigneur le désapprouve (Marc IX, 38).

Nous voyons le même zèle, mais sanctifié, dans son évangile, où il met en relief les contrastes les plus extrêmes et les plus profonds de la vie de l'homme : foi et incrédulité, Dieu et le diable, lumière et ténèbres, vérité et mensonge, vie et mort. Et entre ces extrêmes, il n'admet, à l'exemple de son Maître, aucun moyen terme. Dans sa deuxième épître, il défend même de saluer et de recevoir chez soi quiconque ne confesse pas Jésus-Christ venu en chair (2 Jean, 10). Précisément parce qu'il aime son Maître avec une telle ardeur, il se sépare de la manière la plus tranchée de tous les ennemis de la croix de Christ. C'est donc une entreprise absolument vaine que de vouloir faire de Jean un homme religieusement indifférent, de changer ce caractère mâle en une faiblesse féminine et de chercher une cire molle là où il n'y a que du fer et de l'acier.

4. Jacques le majeur est le plus souvent mentionné avec son frère et était aussi du nombre des amis intimes de Jésus. Il est mort par le glaive, l'an 44 de notre ère, sur l'ordre d'Hérode. On raconte que l'accusateur de Jacques, gagné à la foi par la courageuse confession de ce disciple, se serait déclaré chrétien. Tous deux furent condamnés à mort. Comme ils se rendaient au lieu du supplice, le nouveau disciple pria Jacques de lui pardonner ses péchés. L'apôtre lui répondit : La paix soit avec toi, et il lui donna le baiser fraternel. Puis tous deux furent décapités.

5. Philippe est un de ceux que Jésus avait déjà appelés à le suivre des bords du Jourdain (Jean I, 43). Il semble avoir été bon calculateur (Jean VI, 5). C'est lui qui conduisit à Jésus les Grecs qui désiraient le voir (Jean XII, 22). Il demande à voir le Père et reçoit cette réponse : Philippe, celui qui m'a vu, a vu mon Père (Jean XIV, 11).

6. Barthélemy (fils de Tholmaï), est mentionné avec son ami Philippe. Son vrai nom était Nathanaël, dont nous avons déjà eu l'occasion d'apprécier la droiture et la sincérité.

7. Thomas, surnommé Didyme, est aussi souvent nommé l'incrédule, à cause de son refus de croire à la résurrection du Seigneur. Lorsque le Sauveur se préparait à faire son dernier voyage à Jérusalem, et que tous les autres disciples l'en dissuadaient à cause des dangers qui le menaçaient, Thomas leur dit courageusement : Allons-y aussi, afin de mourir avec lui (Jean XI, 16). Lorsque Jésus parle de son retour auprès du Père, Thomas avoue franchement qu'il ne le comprend pas. Lorsqu'il refuse de croire à la résurrection de Jésus et demande à le voir, ce n'est pas chez lui incrédulité du cœur ou mauvaise volonté : il veut se prémunir contre les amères douleurs de la désillusion à laquelle une confiance trop prompte expose si souvent. Dès que le Seigneur se présente à lui, il est heureux de tomber à ses pieds, en s'écriant : mon Seigneur et mon Dieu (Jean XX, 24-28) !

8. Matthieu, dont le nom de péager était Lévi, fut aussi appelé peu de temps après que Jésus eut commencé son activité publique en Galilée. Les péagers étaient des Juifs employés au recouvrement des impôts pour le compte des Romains : ils se trouvaient ainsi souvent en rapport avec eux. De là le mépris avec lequel le peuple les traitait. Au reste, la plupart d'entre eux n'étaient ni fort honnêtes ni bien scrupuleux dans la perception des contributions qu'ils recueillaient au nom de l'empereur. C'est ainsi qu'ils s'étaient attiré la haine de leurs compatriotes. Malgré cela, ils jouissaient d'une grande influence, grâce à leurs richesses. Lorsque Jésus vit Lévi assis au bureau des impôts, (Matthieu IX, 9 ; Luc V, 27) il reconnut en lui un cœur las d'amasser de l'argent et dans lequel se livrait un combat entre le désir de le suivre et le soin de ses affaires. Comme il aurait aimé se joindre au Sauveur s'il avait pu le faire sans quitter son bureau !
De lui-même, il ne se serait jamais décidé. Mais le Seigneur lui adresse un appel bref et précis : Suis-moi. Lévi ne l'avait probablement pas attendu, mais il en fut bien réjoui, puisque cela mettait fin à ses hésitations. Et lui, quittant tout, se leva et le suivit. Lévi était préparé intérieurement, en sorte qu'il n'avait pas besoin de réfléchir longtemps. Il en devrait être de même de nous, soit que le Seigneur nous assigne une certaine oeuvre, soit qu'il nous appelle dans l'éternité.

Mais Matthieu ne veut pas se joindre à Jésus en cachette. Il veut prendre publiquement congé de ses anciens amis et collègues, auxquels il désire aussi fournir l'occasion de connaître Jésus et ses nouveaux amis. Le Seigneur ne lui défend pas une pareille démarche, parce que celui qui sonde les cœurs sait qu'elle n'expose Lévi à aucun danger. Il veut confesser sa foi en présence de ses anciens compagnons, qui étaient encore engagés dans la même voie où il avait marché lui-même. Cela n'est pas toujours facile.

Alors il prépara un grand repas, et Jésus et ses disciples d'une part, et les anciens amis de Lévi, des péagers et des docteurs de la loi, d'autre part, étaient ensemble à table. Peut-être Lévi, en prenant solennellement congé de son ancienne vocation, espérait-il amener l'un ou l'autre de ses convives à Jésus. Ceci était parfaitement conforme à la pensée du Seigneur, qui est venu chercher et sauver ce qui était perdu. Mais les scribes et les pharisiens ne l'entendaient pas ainsi. lis n'osaient pas encore s'opposer publiquement au Sauveur ; mais les reproches qu'ils adressèrent à ses disciples visaient évidemment le Maître. Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec des péagers et des gens de mauvaise vie ? Ils auraient compris que Jésus adressât à une telle assemblée quelques paroles sévères ; mais manger et boire familièrement avec eux, cela les scandalisait. Ce n'est pas la complaisance pour les péchés des péagers qui l'attire vers eux, c'est un ardent désir de les aider à revêtir d'autres sentiments. C'est pourquoi il leur répond : Ce ne sont pas ceux qui sont en santé qui ont besoin de médecin ; mais ce sont ceux qui se portent mal. Je suis venu pour appeler à la repentance, non les justes, mais les pêcheurs. Cette parole a certainement été une consolation pour Matthieu, qui était lui-même un vivant exemple de cette grâce du Sauveur.

Ce fut aussi à cette occasion que les disciples de Jean-Baptiste reprochèrent à Jésus que ses disciples mangeaient et buvaient, tandis qu'eux-mêmes et les disciples des pharisiens jeûnaient souvent. Il leur répondit, comme il l'avait déjà fait dans le sermon de la montagne, que les amis de l'Époux ne peuvent pas jeûner pendant que l'Époux est avec eux ; mais il pénètre plus avant dans la pensée des disciples de Jean-Baptiste, qui font, dans cette occasion, cause commune avec les pharisiens. Personne, leur dit-il, ne met une pièce d'un habit neuf à un vieil habit, car elle emporterait une partie de l'habit et la déchirure serait pire. On ne peut pas réformer la nature de l'homme en procédant de l'extérieur, comme si l'on voulait parer l'ancienne vie, aux yeux des hommes, au moyen de quelques bonnes oeuvres Par cette action extérieure, on ne parviendra jamais à donner au vieil homme un esprit nouveau. C'est ce que le monde essaye de faire lorsqu'il voit dans la vie des enfants de Dieu certaines choses qui lui plaisent. Il cherche à les imiter, afin d'avoir les apparences d'une foi vivante. Mais c'est en vain : quiconque ne peut pas se décider à abandonner son ancienne conduite et à revêtir de jour en jour le nouvel homme, ne parviendra jamais à l'unité de la vie intérieure, ni à la paix avec Dieu.

Les deux partis : les disciples de Jean-Baptiste et les pharisiens pouvaient répondre que cette nouvelle manière de Jésus était à la vérité plus agréable, et que s'ils ne l'adoptaient pas c'était uniquement parce que cette piété leur paraissait trop facile. Ils étaient eux, des héros de vertu, capables de se livrer à des pratiques beaucoup plus difficiles. Qui ne reconnaît pas là, la manière de voir des enfants du monde, lorsqu'ils raillent la facilité avec laquelle les croyants prétendent aller au ciel, puisque d'après leur doctrine la foi seule est nécessaire ? Mais le Seigneur ne les laisse pas dans leurs illusions. Le vin nouveau de l'Évangile est assurément plus doux et plus fortifiant que le travail accompli en vue du salut par les œuvres. Mais la douceur et la consolation de l'Évangile, celui-là seul les goûte véritablement, qui a fait l'expérience intérieure de la colère du Dieu juste et saint. C'est pourquoi tous ceux qui veulent être justes devant Dieu par leurs oeuvres et ne peuvent se décider à accepter le salut par pure grâce, craignent de descendre au fond de leur coeur. Ils sentent qu'ils ne pourraient le faire sans de douloureux combats.

Personne ne met le vin nouveau dans de vieux vaisseaux ; autrement le vin nouveau romprait les vaisseaux et se répandrait, et les vaisseaux seraient perdus. Mais le vin nouveau doit être mis dans des vaisseaux neufs, et ainsi tous les deux se conservent. Et il n'y a, personne qui, buvant du vin vieux, veuille aussitôt du nouveau, car, dit-il, le vieux est meilleur. Vivre, d'après les principes qu'on s'est posés soi-même, garantit le contentement personnel et la satisfaction que donne la vertu propre, et l'on pense : le vieux est meilleur. De bouche, on plaisante sur la piété facile des amis de Jésus. Mais en réalité, la raison pour laquelle on aime mieux persister dans l'ancienne vie, c'est qu'on fuit la foi, parce qu'elle naît des douleurs de la repentance.

9. Jacques le mineur était fils de Cléopas et de Marie, soeur de la mère de Jésus (Jean XIX, 25). Et à cause de cette parenté, on le nommait, d'après les habitudes de cette époque, le frère (cousin) de Jésus. Il fut plus tard le chef de la communauté chrétienne de Jérusalem, et désigné par Paul comme une des colonnes de l'Église avec Pierre et Jean (Gal. II, 9).

10. Simon le zélote, c'est-à-dire le zélé, dont nous ne connaissons que le nom. Jésus lui donne ce surnom pour caractériser ses dispositions naturelles et en même temps pour lui montrer le but auquel il devait tendre.

11. Nous pouvons dire la même chose de Jude, frère de Jacques, surnommé Lebbée ou Thaddée, c'est-à-dire l'enfant du cœur, le bien-aimé. Il n'est mentionné qu'une seule fois, c'est lorsqu'il fait cette question à son Maître : Seigneur, d'où viens que tu te feras connaître à nous et non pas au monde (Jean XIV, 22) ?

12. Judas Iscariot est constamment nommé le dernier parmi les apôtres. On a souvent demandé comment le Sauveur avait pu admettre ce traître dans le cercle intime de ses disciples. S'il le connaissait dès le commencement, comment a-t-il pu nourrir ce serpent dans son sein ? Et il n'était pas possible que Celui qui sait ce qui est dans l'homme ne connût pas celui-là. On peut répondre que, Jésus voyait dans Judas, à côté de maints dons qui le rendaient apte à devenir un ouvrier distingué dans sa vigne, de mauvais germes qui, s'ils n'étaient combattus, pouvaient finalement le conduire à trahir son Maître. Mais ceci n'était pas particulier à Judas. Le Seigneur connaissait aussi dans les autres apôtres de mauvaises dispositions naturelles. Par exemple, il voyait dans Pierre sa confiance en sa propre force, son inconstance et son horreur de la souffrance, dans Jacques et Jean, la violence et l'ambition. Tous ces mauvais penchants devaient être combattus et pouvaient être vaincus dans la société de Jésus. La Parole est un parfum de vie pour ceux qui se laissent châtier ; pour les autres elle est une odeur de mort.

Cette résistance continuelle de Judas au généreux amour de son Maître n'était pas inconnue de Jésus. Mais il persévéra dans l'œuvre de la délivrance de son malheureux disciple, aussi longtemps qu'il y eut quelque espoir de le sauver, jusqu'à la douloureuse plainte de Gethsémané : Judas, trahis-tu ainsi le Fils de l'homme par un baiser ? L'amour de l'argent et des espérances messianiques terrestres, conservèrent la prépondérance dans son cœur, tellement qu'il ne prêta aucune attention aux avertissements publics et pressants du Sauveur. Il ne saurait donc être question d'un décret divin en vertu duquel Judas devait nécessairement être un traître, parce que sa trahison était l'accomplissement de cette parole de l'Écriture : Celui qui mangeait mon pain a levé le talon contre moi (PS. XLI, 10). L'accomplissement d'une prophétie n'a pas lieu parce qu'elle a été écrite d'avance, et parce que Dieu serait ainsi mis en demeure de diriger les coeurs des hommes, de manière à leur faire tenir une conduite conforme à la Parole écrite. C'est le contraire qui est vrai. C'est parce que Dieu a prévu ce qui devait arriver plus tard, en vertu de la libre décision et de la pleine liberté des hommes, qu'il l'a fait connaître à ses prophètes, qui à leur tour l'ont écrit.

Quant à Judas, il a épuisé tout l'abîme du généreux amour de Jésus ; il n'a pas voulu s'amender. Lorsqu'il vit son Maître condamné à mort, il se repentit ; le souvenir de son amour lui amassait des charbons ardents sur la tète, et le salaire de sa trahison, comme des charbons ardents, lui brûlait les mains, au point qu'il le jeta loin de lui. Que ne se décida-t-il à aller à Jésus, au lieu de s'adresser au souverain sacrificateur ! Il n'aurait pas reçu la réponse : « Que nous importe ! tu y pourvoiras » ; mais le même regard, qui avait ramené Pierre dans la bonne voie après son reniement, aurait aussi rencontré les yeux de Judas, qui seraient alors devenus d'abondantes sources de larmes. Il aurait été préservé de la tristesse du monde, qui produit la mort. Mais on demande : Dans ce cas, que serait devenue la prédiction ? - Elle aurait été accomplie en quelque autre qui aurait endurci son cœur à l'amour de Jésus. Que celui qui croit être debout prenne garde qu'il ne tombe!


 

 

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