HISTOIRE SECRÈTE DES JÉSUITES
EDMOND PARIS
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FONDATION DE L'ORDRE DES JÉSUITES •5 LES PRIVILÈGES DE LA COMPAGNIE
LES JÉSUITES EN EUROPE AUX XVIe ET XVIIe SIÈCLES
•2 LES AMÉRIQUES: L'ÉTAT JÉSUITE DU PARAGUAY
LES JÉSUITES DANS LA SOCIÉTÉ EUROPÉENNE •1 L'ENSEIGNEMENT DES JÉSUITES •4 RÉSURRECTION DE LA SOCIÉTÉ DE JÉSUS AU XIXe SIÈCLE •5 LE SECOND EMPIRE ET LA LOI FALLOUX LA GUERRE DE 1870 •6 LES JÉSUITES A ROME LE SYLLABUS •7 LES JÉSUITES EN FRANCE DE 1870 A 1885 •8 LES JÉSUITES ET LE GENERAL BOULANGER - LES JÉSUITES ET L'AFFAIRE DREYFUS
•1 LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE •2 PRÉPARATION DE LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE •3 LES AGRESSIONS ALLEMANDES ET LES JÉSUITES AUTRICHE - POLOGNE - TCHÉCOSLOVAQUIE YOUGOSLAVIE •4 L'ACTION JÉSUITE EN FRANCE AVANT ET PENDANT LA GUERRE 1939-1945 •5 LA GESTAPO ET LA COMPAGNIE DE JÉSUS •6 LES CAMPS DE LA MORT ET LA CROISADE ANTISÉMITE •7 LES JÉSUITES ET LE COLLEGIUM RUSSICUM •8 LE PAPE JEAN XXIII JETTE LE MASQUE
Les Jésuites, ces serpents venimeux et fils du diable, sont, depuis le temps de la Réforme jusqu'à nos jours, les ennemis les plus dangereux du Christianisme Authentique et de la pure Parole de Dieu. Ils ont contribué puissamment à répandre la croyance à la magie et à la sorcellerie; et ils portent la responsabilité de la mort de millions de personnes, victimes innocentes de l'Inquisition.
Comme des nids d'insectes venimeuses, toutes sortes d'organisations et d'associations pullulent au sein de l'Église Catholique: les Augustins, les Bénédictins, les Capucins, les Dominicains ou Chiens de Dieu, les Illuminatis ou Illuminés du Serpent, l'Opus Dei, le Club de Rome, les Chevaliers de Colomb, etc. Nous pouvons même y compter ses affiliations secrètes avec l'Islamisme, le Sionisme, la Maçonnerie, la Mafia dont le Pape est le Parrain (Godfather), la Banque Internationale, le mouvement Nouvel Age, et le mouvement Évangélique moderne (voir: Les Jésuites, espions et assassins du Vatican).
Les Bénédictins furent fondé vers l'an 540, par l'Italien Benoît de Nursie, qui érigea un monastère au Mont Cassin, au début du 6e, siècle. Un moine Bénédictin devait à son abbé une obéissance aveugle comme s'il était Dieu même, et cela sans aucun délai dans l'exécution d'un ordre. Chaque branche avait des milliers, et même, des dizaines de milliers de membres. Mentionnons les Augustins par exemple, qui, du temps que Martin Luther en faisait parti, avaient environ 35,000 membres. Chaque organisation existe dans un but spécifique et est sous l'ordre direct du Pape. Ils envahissent toutes les nations de la terre et forment l'armée militante de la Papauté. Les Jésuites prédominent sur toutes ces organisations infernales, à un tel point que le général des Jésuites, surnommé souvent "le Pape Noir", les surpasse toutes en autorité.
Environ 35 ans après que Luther cloua ses thèses sur la porte de la cathédrale de Wittenberg, et s'attaqua aux erreurs et à la corruption de Rome, la Réforme était solidement enracinée. Le facteur principal de ce soulèvement spirituel fut la traduction Allemande du Nouveau Testament Grec d'Érasme ou Texte Reçu par Luther. Éveillée de sa léthargie, la Papauté réalisa qu'en très peu de temps la Réforme s'était emparé de presque tout l'Europe. Consternée, elle cherchait de l'aide dans toutes les directions. Si les Jésuites ne s'auraient pas présenté pour offrir au Pape de régler la situation, l'Église Catholique n'existerait plus aujourd'hui. Quelle fut l'offre et quelles furent les armes des Jésuites qu'ils forgèrent dans le feu de l'enfer ?
Le fondateur des Jésuites fut un Espagnol du nom de Ignace de Loyola (1491-1556), que l'Église Catholique canonisa comme un de ses saints fictifs. Dévoué à la vie militaire, il combattit dans la guerre que le roi Ferdinand livra en Espagne contre les forces Islamiques, au temps que Colomb découvrit l'Amérique. A la suite d'une blessure, ses pensées se tournèrent vers des conquêtes spirituelles, et il voua sa vie au mysticisme et au service du Pape. Il consacra plusieurs années à des études et à un ascétisme terrible d'une rigidité sévère. Ses concepts d'entraînement militaire spirituel se trouvent dans son livre intitulé "Exercices Spirituels" où nous voyons son mysticisme fanatique. Ce livre fit plus que n'importe quel autre pour favoriser et établir l'infaillibilité du Pape. En 1540, le pape Paul III promulgua la Bulle d'institution du nouvel ordre, appelé "Compagnie de Jésus", terme militaire des forces mobiles de la Gestapo de la Papauté, et chaque membre devait faire un vœu d'obéissance absolue au Pape.
Ayant, avec son ordre, fait vœu de pauvreté et d'humilité perpétuelle, Loyola ne recherchaient la fortune et le pouvoir que pour les faire servir à la suppression du Protestantisme et au rétablissement de la suprématie papale sur le monde entier. L'un des principes fondamentaux de cette horde de scorpions est que "la fin justifie les moyens". En vertu de ce principe, le mensonge, le vol, la parjure, la torture et le meurtre étaient non seulement pardonnables, mais méritoire quand ils servaient les intérêts de l'Église et du Pape.
Lorsque Loyola se présenta au Pape pour lui offrir ses services, il lui dit en substance: "Que les Augustins continuent à faire des monastères pour que les esprits contemplatifs s'y retirent; que les Bénédictins continuent à se donner à l'œuvre littéraire; que les Dominicains maintiennent la responsabilité de l'Inquisition; mais nous, les Jésuites, nous allons capturer les collèges et les universités. Nous prendrons le contrôle de l'instruction sur la loi, la médecine, la science, l'éducation, ainsi nous extirperons tous les livres d'instruction injurieux à Rome. Nous moulerons les pensées et les idées de la jeunesse. Nous nous engagerons comme des prédicateurs Protestants et des professeurs dans les diverses croyances du Protestantisme. Tôt ou tard, nous réussirons à faire discréditer l'autorité du Nouveau Testament Grec d'Érasme (Texte Reçu Grec), ainsi que les traductions de l'Ancien Testament qui osent s'opposer à la Tradition. De même nous déprécierons la Réforme Protestante".
Le succès des Jésuites fut fulgurant et dévastateur. En très peu de temps les grands intellectuels de l'Église Catholique se retrouvent tous à l'intérieur de cette Société diabolique. Vers 1582, lorsque la Bible Jésuite fut produite pour détruire la version anglaise de Tyndale et la version française d'Olivetan, les Jésuites dominaient sur 287 collèges et universités à travers l'Europe. Leur système d'éducation et d'entraînement rigoureux était comparé, dans leur Constitution, à réduire un membre comme "un cadavre maniable"; ainsi ils pouvaient tous être manipulé et assujetti à la volonté de leurs supérieurs. Ainsi nous dit, J.M. Nicole (Précis d'Histoire de l'Église)": "Pour être admis dans la société, il faut d'abord passer par un noviciat sévère, ensuite faire des études prolongées comme "scolastique", puis être un certains temps "coadjuteur spirituel". Après cela seulement, le candidat prononce le quatrième vœu, prend le titre de "profès" et est initié aux "règles secrètes". Les profès sont organisés hiérarchiquement; chacun a "une autorité illimitée" sur ses subordonnés et doit être "docile comme un cadavre" en face de ses supérieurs. A la tête de l'organisation se trouve un général nommé à vie, appelé parfois "le pape noir" à cause de son influence, et qui d'ailleurs est étroitement espionné par d'autres Jésuites ... Par l'ordre des Jésuites, Rome pouvait ainsi opposer au Protestantisme conquérant une forme de Catholicisme tout aussi enthousiaste et tout aussi expansif".
Sous des déguisements divers, les Jésuites s'insinuaient dans les bureaux de l'État et devenaient conseillers des rois et des chefs des nations et en dirigeaient la politique, comme ils le font encore d'ailleurs aujourd'hui. Ils fondaient des collèges pour les fils des princes et des nobles et, pour le peuple, des écoles, où ils attiraient les enfants de parents protestants, qu'ils accoutumaient à observer les rites de l'Église Catholique. "Cette pratique existe encore dans notre temps moderne, particulièrement ici au Québec". L'ordre des Jésuites se répandit rapidement, comme des "sauterelles" qui se répandant sur la terre; et partout on assistait une renaissance du papisme. Il n'est pas surprenant de voir que la description des Jésuites correspond exactement au symbolisme de l'Apocalypse:
"…des sauterelles qui sortent du puits de l'abîme, qui furent donnés le pouvoir des scorpions de la terre; et qui ont au-dessus d'elles, l'ange de l'abîme appelé Abaddon et Apollyon, l'Exterminateur", (Apo. 9:1-11).
Les Jésuites sont les agents les plus discrets et les plus efficaces de la Papauté; ils sont les champions de sa politique et de l'unité Catholique, des maîtres de la déception, l'armée secrète du Vatican. Ils justifient pleinement le terme choisi par le pape Paul III pour décrire cet ordre: "Regimen Ecclésiae Militantis", le Régiment Ecclésiastique Militaire de la Papauté.
Par les "Exercices Spirituels" de Loyola, les Jésuites devinrent des experts dans la distorsion de la volonté. Ce système de mysticisme témoigne de toutes sortes de phénomènes occultes étranges. Les mystères, la méditation, les visions, les apparitions qui proviennent des sensations d'illuminations y jouent un grand rôle. Ce fut cette forme de mysticisme qui fut infiltrée au sein de groupes de réveils d'un christianisme contrefait (Irvingistes, Méthodistes, Pentecôtistes, Charismatiques) avec des dons ou capacités surnaturels ou spirites fortement en vague de nos jours.
On sait que les Jésuites forment l'une des armées secrètes du Pape. Leur devise est bien connue : "La fin justifie les moyens," toujours "pour la plus grande gloire de Dieu" !
Par ailleurs, il faut rappeler que les relations du Pape avec les Jésuites se sont dégradées depuis 1967 et le Concile de Vatican II. En effet, les Jésuites étaient devenus les principaux partisans du courant "libéral" au sein de l'Église Catholique, en opposition au courant "traditionaliste" qui s'est imposé par la suite, en la personne du Pape Jean-Paul II et, actuellement, de Benoît XVI. Aujourd'hui, si l'on veut étudier une source de subversion mondiale réelle au service inconditionnel du Pape, il suffit de s'intéresser aux activités de l'Opus Dei.
L'Opus Dei a sans doute pris la succession de l'Ordre des Jésuites, comme fer de lance de la Contre-Réforme engagée par Rome. Nous espérons avoir l'occasion de vous présenter un jour plus en détail l'organisation et les activités de l'Opus Dei. Nous savons toutefois que ces suppôts de Satan travaillent présentement dans le secret pour préparer la troisième guerre mondiale qui utilisera des armes nucléaires pour décimer des grandes multitudes en les réduisant en cendres. Ce qui est incontestable, c'est qu'une organisation comme l'Église Catholique, puissance temporelle, financière et politique tout autant que religieuse, sert non pas la Vérité de la Parole de Dieu, mais le mensonge de sa propre Tradition infernale. Elle ne peut compter sur le soutien du Seigneur Jésus pour étendre son action, puisque son seigneur est le Diable. Il lui faut donc mettre en place des rouages nombreux et compliqués, et de solides courroies de transmission, pour faire fonctionner son énorme machine. D'où la nécessité, pour tout le clergé Catholique, de prononcer des vœux d'obéissance absolue au Pape. Ces vœux s'accompagnent souvent de serments solennellement prononcés, assortis de malédictions en cas de manquements. Ces serments sont prononcés au mépris de l'enseignement de Jésus-Christ, qui a dit clairement que tout serment était diabolique (Matthieu 5 :37).
Tout ce système oppressif crée de nombreux et profonds liens spirituels parmi tout le peuple Catholique. Seule la grâce et la miséricorde de Jésus-Christ peuvent briser des liens aussi puissants. Le Seigneur libère toujours par la Vérité. Si nous voulons donc aider les Catholiques et autres à se défaire de ce joug spirituel pour entrer dans la liberté du Seigneur, nous devons nous-mêmes connaître, vivre, et proclamer hardiment la Vérité de Dieu, incarnée dans Sa Parole, et dans le Personne du Seigneur Jésus-Christ !
NOTE: Il est dommage que l'édition française de «L'Histoire secrète des Jésuites» manque la rigueur et la précision de l'édition anglaise. Toutefois elle est précise dans son contexte historique et demeure utile pour l'étude des principes infernaux des Jésuites, l'armée secrète de la papauté, et des manigances du Vatican dans la politique des nations.
Jean leDuc Février 2018
Un auteur du siècle dernier, Adolphe Michel, a rappelé que Voltaire évaluait à six mille environ le nombre des ouvrages publiés de son temps sur la Compagnie des Jésuites. «A quel chiffre, demandait Adolphe Michel, sommes-nous arrivés un siècle plus tard ?» Mais c'était pour conclure aussitôt: «N'importe. Tant qu'il y aura des Jésuites il faudra faire des livres contre eux. On n'a plus rien à dire de neuf sur leur compte, mais chaque jour voit arriver de nouvelles générations de lecteurs... Ces lecteurs iront-ils chercher les livres anciens ?»(1)
La raison ainsi invoquée serait suffisante déjà pour justifier la reprise d'un sujet qui peut paraître rebattu.
On ne trouve plus, en effet, en librairie, la plupart des ouvrages de fond qui retracent l'histoire de la Compagnie des Jésuites. Ce n'est guère que dans les bibliothèques publiques qu'on peut encore les consulter, ce qui les met hors de portée pour le plus grand nombre des lecteurs. Un compendium extrait de ces ouvrages nous a donc paru nécessaire afin de renseigner succinctement le grand public.
Mais une autre raison, non moins bonne, vient s'ajouter à la première. En même temps que de «nouvelles générations de lecteurs, sont venues au jour de nouvelles générations de Jésuites. Et celles-ci poursuivent aujourd'hui la même action tenace et tortueuse qui provoqua si souvent dans le passé les réflexes de défense des peuples et des gouvernements. Les fils de Loyola demeurent de nos jours - et plus que jamais, peut-on dire - l'aile marchante de l'Église romaine. Aussi bien masqués que jadis, sinon mieux, ils restent les «ultramontains» par excellence, les agents discrets mais efficaces du Saint-Siège à travers le monde, les champions camouflés de sa politique, l'«armée secrète de la papauté».
DE ce fait, on n'aura jamais tout dit sur les Jésuites et, si abondante que soit déjà la littérature qui leur a été consacrée, chaque époque sera tenue d'y ajouter encore quelques pages pour marquer la continuité de l'œuvre occulte entamée depuis quatre siècles «pour la plus grande gloire de Dieu», c'est-à-dire, en définitive, du pape. Car, en dépit du mouvement général des idées dans le sens d'une «laïcisation» sans cesse plus complète, malgré les progrès inéluctables du rationalisme, qui réduit un peu plus chaque jour le domaine du «dogme», l'Église romaine ne saurait renoncer sans se renier elle-même au grand dessein, qu'elle s'est fixé dès l'origine, de rassembler sous sa houlette tous les peuples de l'univers. Cette «mission», vrai travail de Sisyphe, doit se poursuivre coûte que coûte chez les «païens» comme chez les chrétiens «séparés». LE clergé séculier ayant particulièrement la charge de conserver les positions acquises (ce qui ne laisse pas d'être assez malaisé aujourd'hui), c'est à certains ordres réguliers qu'échoit le soin, plus malaisé encore, d'augmenter le troupeau des fidèles par la conversion des «hérétiques» et des «païens». Mais qu'il s'agisse de conserver ou d'acquérir, de se défendre ou d'attaquer, à la pointe du combat il y a cette aile marchante de la Compagnie des Jésuites - dénommée «Société de Jésus» --- qui n'est à proprement parler ni séculaire, ni régulière aux termes de ses Constitutions, mais une façon de compagnie légère intervenant là et quand il convient, dans l'Église et hors de l'Église, enfin «l'agent le plus habile, le plus persévérant, le plus hardi, le plus convaincu de l'autorité pontificale...», comme l'a écrit l'un de ses meilleurs historiens(2).
Nous verrons comment fut constitué ce corps de «janissaires», quels services sans prix il rendit à la papauté. Nous verrons aussi comment tant de zèle, et si efficace, devait le rendre indispensable à l'institution qu'il servait et lui assurer de ce fait sur cette institution une influence telle que son Général put être surnommé à bon droit le «pape noir», tant il devint de plus en plus difficile de distinguer, dans le gouvernement de l'Église, l'autorité du pape blanc de celle de son puissant coadjuteur.
C'est donc à la fois une rétrospective et une mise à jour de l'histoire du «jésuitisme», qu'on trouvera dans ce volume. La majorité des ouvrages consacrés à la Compagnie ne traitant pas de la part primordiale qui lui revient dans les événements qui ont bouleversé le monde depuis cinquante ans, nous avons jugé qu'il était temps de combler cette lacune, ou, plus précisément, de donner le branle, par notre modeste contribution, à des études plus serrées sur la matière, et ceci, sans nous dissimuler les obstacles que rencontreront les auteurs non apologistes en voulant rendre publics des écrits sur ce sujet brûlant.
De tous les facteurs qui sont entrés en jeu dans la vie internationale au cours d'un siècle riche en bouleversements, un des plus décisifs - et des plus méconnus néanmoins --- réside dans l'ambition de l'Église romaine. Son désir séculaire d'étendre son influence vers l'Orient, en a fait l'alliée «spirituelle» du pangermanisme et sa complice dans la tentative d'hégémonie qui, par deux fois, en 1914 et en 1939. apporta la mort et la ruine aux peuples d'Europe(2 bis).
Cependant, les responsabilités écrasantes assumées par le Vatican et ses Jésuites dans le déclenchement des deux guerres mondiales restent à peu près ignorées du public - anomalie qui peut trouver en partie son explication dans la gigantesque puissance financière dont disposent le Vatican et ses Jésuites, depuis le dernier conflit notamment. Soyez assurés qu'ils déclencheront aussi la troisième guerre mondiale dans laquelle sera utilisée des armes thermonucléaires qui réduiront en cendre de grandes multitudes.
De fait, le rôle qu'ils ont tenu dans ces circonstances tragiques n'a guère été mentionné jusqu'à présent, sinon par des apologistes empressés à le travestir. C'est pour combler cette lacune et rétablir la vérité des faits, que nous avons étudié, tant dans nos précédents écrits que dans le présent ouvrage, l'activité politique du Vatican à l'époque contemporaine - activité qui se confond avec celle des Jésuites.
Cette étude appuie sa démonstration sur des documents d'archives irréfutables et des publications dues à des personnalités politiques de premier plan, à des diplomates et des ambassadeurs, à des écrivains éminents, catholiques pour la plupart, voire cautionnés par «l'imprimatur».
Ces documents mettent en pleine lumière l'action secrète du Vatican et la perfidie dont il use pour susciter entre les nations des conflits qu'il juge favorables à ses intérêts. Nous avons montré en particulier, en nous appuyant sur des textes probants, les responsabilités de l'Église dans la montée des régimes totalitaires en Europe. L'ensemble de ces documents et témoignages constitue un réquisitoire accablant - qu'aucun apologiste, d'ailleurs, n'a entrepris de réfuter.
C'est ainsi que le «Mercure de France» du 1er mai 1938 rappelait en ces termes, la démonstration qu'il avait faite quatre ans plus tôt: «Le Mercure de France du 15 janvier 1934 a montré --- et personne ne l'a contredit --- que c'était Pie XI qui «avait fait» Hitler, car ce dernier, si le Zentrum (parti catholique allemand) n'avait pas été influencé par le pape, n'aurait pu accéder au pouvoir, au moins par la voie légale... Le Vatican juge-t-il avoir commis une erreur politique en ouvrant ainsi la voie du pouvoir à Hitler ? Il ne le semble, pas...» Non certes, il ne le semblait pas à l'époque où cela fut écrit, c'est-à-dire au lendemain de l'Anschluss qui réunit l'Autriche au III - Reich - et il ne semble pas davantage par la suite, quand les agressions nazies se multiplièrent, non plus que durant toute la deuxième guerre mondiale. Le 24 juillet 1959, n'a-t-on pas vu le pape Jean XXIII, successeur de Pie XII, confirmer dans ses fonctions honorifiques de camérier secret son ami personnel Franz Von Papen, espion aux États-Unis pendant la première guerre mondiale et grand responsable de la dictature hitlérienne et de l'Anschluss ? En vérité pour ne pas comprendre, il faudrait être affligé d'un singulier aveuglement.
M. Joseph Rovan, auteur catholique, commente ainsi l'instrument diplomatique intervenu le 8 juillet 1933 entre le Vatican et le Reich nazi: «Le Concordat apportait au pouvoir national-socialiste, considéré un peu partout comme un gouvernement d'usurpateurs, sinon de brigands, la consécration d'un accord avec la puissance internationale la plus ancienne (le Vatican). C'était un peu l'équivalent d'un brevet d'honorabilité internationale». (Le catholicisme politique en Allemagne, Paris 1956, p. 231, Ed. du Seuil).
Ainsi, le pape, non content d'avoir donné son appui «personnel» à Hitler, accordait la caution morale du Vatican au Reich nazi !
De même se trouvait tacitement acceptée - voire approuvée - la terreur que faisait régner outre-Rhin la «peste brune» des SA. ou Sections d'assaut hitlériennes, avec les 40.000 personnes déjà détenues dans les camps de concentration et les pogroms qui se multipliaient aux accents de cette marche nazie: «Lorsque le sang juif du couteau ruisselle, nous nous sentons à nouveau mieux». (Horst-Wessel-Lied).
Mais dans les années suivantes le pape - en la personne de Pie XII - devait voir bien pire encore sans s'émouvoir. Il n'est pas surprenant qu'ainsi encouragées par le Magistère romain les sommités catholiques de l'Allemagne aient rivalisé de servilité envers le régime nazi. Il faut lire les dithyrambes échevelés et les acrobaties casuistiques des théologiens opportunistes, tels que Michael Schmaus, dont Pie XII fit plus tard un prince de l'Église et que «La Croix» (2 septembre 1954) qualifiait de «grand théologien de Munich» ou encore certain recueil intitulé Katholisch-Konservatives Erbgut, dont on a pu écrire: «Cette anthologie qui réunit des textes des principaux théoriciens catholiques de l'Allemagne, de Gôrres à Vogelsang, arrive à nous faire croire que le national-socialisme serait parti purement et simplement des données catholiques.» (Günther Buxbaum, «Mercure de France», 15 janvier 1939).
Les évêques, tenus par le Concordat à prêter serment de fidélité à Hitler, renchérissaient de protestations de dévouement: «Sans cesse dans la correspondance et dans les déclarations des dignitaires ecclésiastiques nous trouverons, sous le régime nazi, l'adhésion fervente des évêques». (Joseph Rovan, op. cit. p. 214).
Ainsi, en dépit de l'évidente opposition entre l'universalisme catholique et le racisme hitlérien, ces deux doctrines avaient été «harmonieusement conciliées», selon les termes de Franz von Papen - et il exprimait la raison profonde de cette scandaleuse entente quand il s'écriait: «Le nazisme est une réaction chrétienne contre l'esprit de 1789».
Revenons à Michaele Schmaus, professeur à la Faculté de Théologie de Munich, qui écrit: «Empire et Église» est une série d'écrits qui doit servir à l'édification du IIIe Reich par les forces unies de l'État national-socialiste et du christianisme catholique... «Entièrement allemandes et entièrement catholiques, c'est dans ce sens que ces écrits veulent examiner et favoriser les relations et les rencontres entre l'Église catholique et le national-socialisme et montrer ainsi les voies d'une coopération féconde, telle qu'elle se dessine dans le fait fondamental du Concordat... «Le mouvement national-socialiste est la protestation la plus vigoureuse et la plus massive contre l'esprit des XIXe et XXe siècles... Le national socialisme place au point central de sa conception du monde l'idée du peuple formé par le sang... C'est par un «oui» général que devra répondre à cette question tout catholique qui observe les instructions des évêques allemands... les tables de la loi national-socialiste et celles de l'impératif catholique indiquent la même direction...» (Beqegnungen zwischen Katholischem Christentum und nazional-sozialistischer weltanschauung Aschendorff, Münster 1933).
Ce document démontre le rôle primordial joué par l'Église catholique dans l'avènement du Führer Hitler, on peut dire qu'il s'agissait d'une harmonie préétablie. Il illustre d'une façon profonde le caractère monstrueux de cet accord entre le catholicisme et le nazisme. Une chose en ressort fort claire: la haine du libéralisme, et c'est la clé de tout.
Dans son livre «Catholiques d'Allemagne», M. Robert d'Harcourt, de l'Académie française, écrit: «Le point essentiellement vulnérable de toutes les déclarations épiscopales qui succèdent aux élections triomphales du 5 mars 1933, nous le trouvons dans le premier document officiel de l'Église réunissant les signatures de tous les évêques d'Allemagne. Nous voulons parler de la lettre pastorale du 3 juin 1933. Ici, nous avons affaire à la première manifestation engageant collectivement tout l'épiscopat allemand. «Comment se présente le document ? Et d'abord comment débutera-t-il ? Sur une note d'optimisme, et par une déclaration d'allégresse: «Les hommes qui sont à la tête de l'État nouveau ont, à notre grande joie, donné l'assurance formelle qu'ils placent leur œuvre et qu'ils se placent eux-mêmes sur le terrain du christianisme. Déclaration d'une solennelle franchise qui mérite la sincère reconnaissance de tous les catholiques» (Paris, Plon, 1938, p. 108).
Plusieurs papes ont occupé le trône pontifical depuis qu'éclata la première guerre mondiale, et leur attitude fut invariablement la même envers les deux camps qui s'affrontèrent en Europe. Nombreux sont les auteurs catholiques qui n'ont pu cacher leur surprise - et leur peine - d'avoir à constater l'indifférence inhumaine avec laquelle le pape Pie XII assista aux pires atrocités commises par ceux qui jouissaient de sa faveur. Entre bien des témoignages nous citerons un des plus mesurés dans la forme, porté par le correspondant du «Monde» auprès du Vatican, M. Jean d'Hospital: «La mémoire de Pie XII s'entoure d'un malaise. Posons tout de suite en clair une question que les observateurs de toutes les nations - et jusque dans l'enceinte de la cité du Vatican - ont inscrite sur leurs tablettes: a-t-il eu connaissance de certaines horreurs de la guerre voulue et conduite par Hitler ? «Lui, disposant en tout temps, en tous lieux, des rapports périodiques des évêques... pouvait-il ignorer ce que les grands chefs militaires allemands n'ont pu prétendre ignorer sans être confondus: la tragédie des camps de concentration, des déportés civils, les massacres froidement exécutés de «gêneurs», l'épouvante des chambres à gaz, où, par fournées administratives, des millions de juifs ont été exterminés ? Et s'il l'a su, pourquoi, dépositaire et premier chantre de l'Évangile, n'est-il pas descendu sur la place en bure blanche, les bras en croix, pour dénoncer le crime sans Précédent ? Pour crier : non !... «Car les âmes pieuses ont beau fouiller dans les encycliques, les discours, les allocutions du pape défunt, il n'y a nulle part une trace de condamnation de la «religion du sang» instituée par Hitler, cet Antéchrist... vous n'y trouverez pas ce que vous cherchez: le fer rouge. La condamnation de l'injure notoire à la lettre et à l'esprit du dogme qu'a représenté le racisme, vous ne la trouverez pas». «Rome en confidence» (Grasset, Paris 1962, pp. 91 ss).
Dans son ouvrage «Le silence de Pie XII», édité par les Éditions du Rocher, Monaco 1965, l'écrivain Carlo Falconi écrit notamment: «L'existence de telles monstruosités (exterminations en masse de minorités ethniques, de prisonniers et de déportés civils) comporte un tel bouleversement des critères du bien et du mal, un tel défi à la dignité de la personne humaine et de toute la société, qu'ils obligent à les dénoncer tous ceux qui ont la possibilité d'influer sur l'opinion publique, qu'il s'agisse de simples citoyens ou d'autorité d'État. «Le silence, en présence de tels excès, équivaudrait en effet à une véritable collaboration, car il stimulerait la scélératesse des criminels, en excitant leur cruauté et leur vanité. Mais si tout homme a le devoir moral de réagir devant de tels crimes, c'est un devoir encore plus urgent et plus inconditionnel qui s'impose aux sociétés religieuses et à leurs chefs, et donc plus qu'à tout autre, au chef de l'Église catholique... «Pie XII n'a jamais formulé une condamnation explicite et directe de la guerre d'agression, et moins encore des violences inqualifiables exercées par les Allemands ou par leurs complices en raison de l'état de guerre. «Pie XII ne s'est pas tu parce qu'il ignorait ce qui arrivait: il était au courant de la gravité des faits, depuis le début, peut-être mieux que tout autre chef d'État au monde...» (pp. 12 ss) -
Il y a mieux encore ! Comment méconnaître l'aide directe que le Vatican apportait à la perpétration de ces atrocités, en «prêtant» certains de ses prélats pour en faire des agents pro-nazis tels que Mgr Hlinka, des gauleiters tels que Mgr Tiso ? En envoyant son propre légat en Croatie - le R.P. Marcone - surveiller, avec Mgr Stepinac, le «travail» de Ante Pavelitch et de ses oustachis ? Car enfin, de quelque côté que les regards se portent, c'est le même spectacle «édifiant» qu'on découvre. Et pour cause. Car, nous l'avons assez montré, ce n'est pas seulement une partialité, une complaisance, si monstrueuses soient-elles, que l'on peut reprocher au Vatican. Son crime inexpiable, c'est la part déterminante qu'il a prise dans la préparation des deux guerres mondiales(3).
Écoutons M. Alfred Grosser, professeur à l'Institut d'Études Politiques de l'Université de Paris: «Le volume terriblement précis de Guenter Lewy «The Catholic Church and Nazi Germany» (New York McGrawhill-1964) dont on ne peut que souhaiter une prochaine traduction française en France... Tous les documents concordent pour montrer l'Église catholique coopérant avec le régime hitlérien... «Au moment où le Concordat imposait aux évêques, en juillet 1933, un serment d'allégeance au gouvernement nazi, celui-ci avait déjà ouvert des camps de concentration... la lecture des citations accumulées par Guenter Lewy est véritablement accablante. On y trouve des textes terribles de personnalités telles que le cardinal Faulhaber ou le Père jésuite Gustav Gundlach(4).
En vérité. nous ne voyons pas ce que l'on pourrait opposer - si ce n'est de vaines paroles - à ce faisceau serré, de preuves qui établit la culpabilité du Vatican et celle de ses Jésuites. Dans l'ascension foudroyante d'Hitler, l'appui du Vatican et des Jésuites constitue le facteur décisif, Mussolini, Hitler, Franco ne furent malgré les apparences, que de simples pions de guerre manœuvrés par le Vatican et ses Jésuites. Les thuriféraires dit Vatican peuvent se voiler la face quand un député italien s'écrie: «Les mains du pape ruissellent de sang»; (Discours de Laura Diaz, député de Livourne, Prononcé, le 15 avril 1946 à Ortona) et quand les étudiants de l'University College de Cardiff prennent pour thème d'une conférence: «Le pape doit-il être mis en jugement comme criminel de guerre ? («La Croix», 2 avril 1946).
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Voici dans quels termes le pape Jean XXIII s'exprimait à l'adresse des Jésuites: «Persévérez, chers fils, à ces activités qui vous ont déjà acquis des mérites signalés... Ainsi réjouirez-vous l'Église et grandirez-vous avec une ardeur infatigable la voie des justes est comme la lumière de l'aurore... «Que grandisse donc cette lumière et qu'elle éclaire la formation des adolescents... C'est ainsi que vous prêterez le secours de vos mains à ce qui est le vœu et la sollicitude de Notre esprit... «Notre Bénédiction Apostolique, Nous la donnons de tout cœur à votre Supérieur Général, à vous, à vos coadjuteurs et à tous les membres (le la Société de Jésus».(5).
Et le pape Paul VI: «Votre famille religieuse, dès sa restauration, jouit de la douce assistance de Dieu et elle s'enrichit très vite d'heureux développements... les membres de la Compagnie accomplirent de nombreuses et très grandes choses, toutes à la gloire divine et au bénéfice de la religion catholique... l'Église a besoin de valeureux soldats du Christ, armés dune foi intrépide, prêts à affronter les difficultés... Aussi plaçons-Nous de grands espoirs dans l'aide qu'apportera votre activité... que la nouvelle ère de la Compagnie se maintienne exactement et honorablement dans la ligne de son passé... «Donné à Rome près Saint-Pierre, le 20 août 1964, seconde année de Notre Pontificat».(6).
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Le 29 octobre 1965, «l'Osservatore Romano» annonçait: «Le Très-Révérend Père Arrupe, Général des jésuites, a célébré la Sainte Messe du Concile Vatican II, le 16 octobre 1965». Et voici l'apothéose de l'«éthique papale»: l'annonce simultanée du projet de la béatification de Pie XII et de Jean XXIII. «Et pour Nous raffermir dans cet effort de renouveau spirituel, Nous décidons d'ouvrir les procès canoniques de béatification de ces deux Pontifes, si grands, si pieux et qui Nous sont très chers»(7). Pape Paul VI.
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Puisse ce livre révéler à ceux qui le liront le vrai visage de ce Magistère romain aussi «melliflue» en paroles que féroce dans son action secrète.
FONDATION DE L'ORDRE DES JÉSUITES Le fondateur de la Société de Jésus, le Basque espagnol don Inigo Lopez de Recalde, né au château de Loyola, dans la province de Guipuzcoa, en 1491, est une des plus curieuses figures de moine-soldat qu'ait engendré le monde catholique, et de tous les fondateurs d'ordres religieux, celui peut-être dont la personnalité a le plus profondément marqué l'esprit et le comportement de ses disciples et successeurs. De là cet «air de famille», ou, comme on dit plutôt, cette «estampille» qui leur est unanimement reconnue et va jusqu'à la ressemblance physique. M. Folliet conteste ce point(1), mais il a contre lui maints documents qui établissent la permanence d'un type «jésuite» à travers le temps et les lieux, mais le plus amusant de ces témoignages, on le trouve au musée Guimet, dans certain paravent à fond d'or, datant du XVIe siècle, où un artiste japonais a représenté avec tout l'humour de sa race le débarquement des Portugais, et plus spécialement des fils de Loyola, dans les îles nippones. On ne peut s'empêcher de sourire, tant le coup de pinceau a fidèlement restitué la stupeur de cet amant de la nature et des fraîches couleurs devant ces longues silhouettes noires, aux visages funèbres, où se fige l'orgueil des dominateurs fanatiques. De l'artiste extrême-oriental du XVIe siècle à notre Daumier de 1830, la concordance est probante.
Comme beaucoup de saints, Inigo - qui romanisa plus tard son prénom sous la forme d'Ignace - ne paraissait nullement destiné à l'édification de ses contemporains(2), à en juger par les écarts (on parle même de «crimes très énormes») de son orageuse jeunesse: «Il est perfide, brutal, vindicatif», dit un rapport de police. Au reste, tous ses biographes sont d'accord pour reconnaître qu'il ne le cédait à aucun de ses compagnons d'aventures et de plaisirs quant à la violence des instincts, chose assez commune en son temps. «Solda' déréglé et vain», dit de lui l'un de ceux qui ont reçu ses confidences, - «particulièrement déréglé dans le jeu, les affaires de femmes et le duel», renchérit Polanco son secrétaire(3). «C'est ce que nous rapporte un de ses fils spirituels, le R.P. Rouquette, non sans une certaine complaisance pour cette chaleur du sang qui devait tourner finalement «ad majorem Dei gloriam».
Mais pour cela - et c'est encore le cas de nombreux héros - de l'Église romaine - il a fallu un choc violent, et d'abord tout physique. Page du trésorier de Castille, puis, après la disgrâce de celui-ci, gentilhomme au service du vice-roi de Navarre, le jeune homme, qui a jusque-là mené la vie de cour, va commencer une carrière de guerrier en défendant Pampelune contre les Français commandés par le comte de Foix. C'est au cours du siège de cette ville qu'il reçoit la blessure qui va décider de sa vie à venir. Une jambe brisée par un boulet, il est transporté par les Français vainqueurs dans le château familial de Loyola, chez son frère Martin Garcia. Et c'est le martyre de l'opération chirurgicale, alors qu'on ne connaît encore aucun anesthésiant, martyre recommencé un peu plus tard, car le travail a été mal fait. C'est la jambe à nouveau cassée, puis remise. Ignace n'en restera pas moins boiteux. Mais on comprend qu'il n'en faille pas plus pour déterminer chez le patient un ébranlement nerveux - si ce n'est une véritable lésion - qui modifiera profondément sa sensibilité. «Le don des larmes», où ses pieux biographes veulent voir une grâce d'en-haut - et qu'il reçut dès lors «en abondance», nous dit-on - n'a peut-être pas d'autre cause que l'hyper-émotivité dont il est désormais affecté.
Pour toute distraction, sur son lit de douleur, il lit une «Vie du Christ» et une «Vie des saints», seuls volumes qu'on ait pu trouver dans ce manoir. Dans ce cerveau à peu près inculte et qui vient de subir une terrible commotion, ces images douloureuses de la Passion et du martyre vont s'imprimer d'une façon indélébile et, par leur obsession, orienter dans le sens de l'apostolat toutes les énergies du guerrier devenu infirme. «Il ferme les beaux livres. Il rêvasse: il présente en effet un cas très net de rêverie éveillée. C'est le prolongement dans l'âge adulte du jeu de fabulation de l'enfant... Si cette fabulation envahit toute la vie psychique. c'est la névrose et l'aboulie; on est sorti du réel»(4). En d'autres mots, Ignace de Loyola souffrait d'une psychose très avancée qui le portait à prendre ses délires pour la réalité, ce qui caractérisera sa vie de mystique, ses visions, ses expériences extra-sensorielles, ses exercices spirituelles ou spirites.
Le fondateur d'un ordre aussi actif que celui des Jésuites semble échapper, de prime abord, au diagnostic «d'aboulie», ainsi d'ailleurs que bien d'autres «grands mystiques», créateurs d'ordres religieux, et dont on vante les hautes capacités d'organisateurs. Mais c'est que chez eux la volonté n'est impuissante qu'à résister aux images dominatrices. Elle demeure entière, et même augmentée, quant aux réalisations que celles-ci inspirent. Il s'agit ici d'un sérieux dérèglement de conscience commun à un malade mental dangereux pour qui l'irréel devient réel.
Le même auteur s'exprime ainsi à ce sujet: «Je veux maintenant signaler ce qui découle par voie logique de ce contraste frappant entre certaines intelligences brillantes et la pratique du mysticisme. Si le simple débile réceptif est déjà un danger, il ne l'est que par sa masse inerte de cristal intaillable; mais le mystique intelligent va offrir un bien autre danger, celui-là même qui dérive de son activité intellectuelle qu'il va mettre incessamment au service du mythe... Le mythe, recteur de l'intelligence active, est généralement du fanatisme, maladie de la volonté dont il est une sorte d'hypertrophie partielle: «hyperboulie»(5).
C'est ce «mysticisme actif» et cette «hyperboulie» dont Ignace de Loyola allait fournir un exemple fameux. Toutefois, la transformation du gentilhomme guerrier en «général» de l'ordre le plus combatif de l'Église romaine ne devait se faire que lentement, à travers toutes les démarches hésitantes d'une vocation qui se cherche. Ce n'est pas notre propos de le suivre dans toutes les phases de cette réalisation. Rappelons seulement l'essentiel. Au printemps de 1522, il quitta le château ancestral, bien décidé à devenir un saint, comme ceux dont il avait lu les édifiants exploits dans le gros volume «gothique». D'ailleurs, la Madone elle-même ne lui était-elle pas apparue, une nuit, tenant dans ses bras l'Enfant Jésus ? Nous avons donc dans cette vison l'évidence de ses délires mystiques. Après une confession générale au monastère de Montserrat, il comptait partir pour Jérusalem. La peste qui régnait à Barcelone et avait suspendu tout trafic maritime, l'obligea à s'arrêter à Manresa, où il resta presque une année, priant, s'abîmant en oraisons, s'exténuant de jeûnes, se flagellant, pratiquant toutes les formes de macération, et jamais las de se présenter au «tribunal de la pénitence», alors que la confession de Montserrat, qui avait duré trois jours entiers, nous dit-on, eût pu paraître suffisante à un pécheur moins scrupuleux. On juge assez bien par cela de l'état mental et nerveux de l'homme. Enfin délivré de cette obsession du péché par l'idée que ce n'était là qu'une ruse du diable, il put se livrer désormais sans réserve aux visions et illuminations abondantes autant que diverses, qui hantaient son cerveau enfiévré.
«C'est par une vision, nous dit H. Boehmer, qu'il fut amené à manger de nouveau de la viande; c'est toute une série de visions qui lui révéla les mystères du dogme catholique, et le fit vraiment vivre le dogme. C'est ainsi qu'il contemple la Trinité sous la forme d'un clavicorde à trois cordes; le mystère de la création du monde sous la forme d'un je ne sais quoi de vague et de léger qui sortait d'un rayon lumineux; la descente miraculeuse du Christ dans l'eucharistie sous la forme de traits de lumière descendant dans l'hostie au moment même où le prêtre l'élève en priant; la nature humaine du Christ et de la Sainte Vierge sous la forme de corps d'une éclatante blancheur; enfin Satan sous une forme serpentine et chatoyante, semblable à une foule d'yeux étincelants et mystérieux(6)». Ne voit-on pas poindre déjà toute l'imagerie jésuitique et saint-sulpicienne ?
M. Boehmer note encore les illuminations par lesquelles ce favorisé de la grâce se trouvait initié, par intuition transcendantale, au sens profond des dogmes: «Beaucoup de mystères de la Foi et de la science lui devinrent tout à coup clairs et lumineux, et plus tard il prétendait n'avoir pas autant appris par toutes ses études, qu'il avait fait en ce peu d'instants. Et cependant il ne lui était pas possible de dire quels étaient les mystères qu'il avait ainsi pénétrés. Il ne lui en restait qu'un obscur souvenir, une impression miraculeuse, comme si, dans cet instant, il fût devenu «un autre homme avec une autre intelligence».(7). On reconnaît là, produit probablement par un dérèglement névrotique, le phénomène mille fois décrit d'hypertrophie du «moi» chez les mangeurs de haschich. et les fumeurs d'opium, l'illusion d'outrepasser le domaine des apparences et de planer dans la splendeur du Vrai - sensation fulgurante, et dont il ne reste au réveil que le souvenir d'un éblouissement. Visions béatifiques ou illuminations ont accompagné ce mystique, en un cortège familier, au cours de toute sa carrière: «Il n'a jamais mis en doute la réalité de ces révélations. Il chassait Satan avec un bâton, comme il aurait fait d'un chien enragé; il causait avec le Saint-Esprit comme avec une personne qu'il aurait vue de ses yeux; il soumettait ses résolutions à l'approbation de Dieu, de la Trinité, de la Madone, et, au moment de leur apparition, il se répandait en larmes de joie. Dans ces moments-là, il éprouvait un avant-goût des béatitudes célestes Le ciel s'ouvrait pour lui. La Divinité s'inclinait vers lui, sensible, visible(8). Il est clair que la base du jésuitisme est la folie et que les jésuites sont des gens mentalement détraqués aux yeux vitrés et à l'apparence fiévreuse. Cela explique pourquoi ils sont à la source des mouvements charismatiques, toutes vagues confondues, avec leur baptême d'esprit mystique et leurs dons de puissances spirites de délires psychotiques, et leurs exorcismes de démons chimériques. Les vagues de démences charismatiques engendrent le fanatisme d'une frénésie extravagante de doctrines absurdes et de comportements bizarres qui altèrent la personnalité et le psyché de ceux qui en sont victimes.
N'est-ce pas le type parfait de l'halluciné ? Mais cette Divinité sensible, visible, ce sera aussi celle que les fils spirituels d'Ignace ne se lasseront pas de proposer au monde - et non pas seulement par calcul politique, pour s'appuyer, en le flattant, sur le penchant à l'idolâtrie toujours vivace au cœur de l'homme, mais d'abord en toute conviction, par l'effet de leur formation «loyolesque» Dès l'origine, le mysticisme médiéval n'a cessé de régner dans la Société de Jésus, et il en est toujours le grand animateur, nonobstant l'aspect mondain, intellectuel et savant volontiers affecté par cet Ordre à l'activité protéiforme. «Se faire tout à tous» est l'axiome fondamental. Mais arts, lettres, sciences et philosophie même, n'ont le plus souvent été pour lui que des moyens, des filets à prendre les âmes, tout comme l'indulgence excessive de ses casuistes, ce «laxisme» qu'on leur a si souvent reproché. En bref, il n'est pas, pour cet Ordre, de domaine où l'humaine faiblesse ne puisse être sollicitée et infléchie vers la démission de l'esprit et de la volonté, vers l'abandon de soi dans le retour à une piété enfantine et, par là même, reposante. Ainsi travaille-t-on à instaurer le «royaume de Dieu» selon l'idéal ignacien: un grand troupeau sous la houlette du Saint-Père. Si étrange que puisse paraître cet idéal anachronique chez des hommes instruits, et dont certains sont de haute culture, force est bien de le constater, et d'y voir la confirmation de ce fait trop souvent méconnu: la primauté de l'élément affectif dans la vie de l'esprit. Kant d'ailleurs, ne disait-il pas que toute philosophie n'est que l'expression d'un tempérament ?
A travers les modalités individuelles, le «tempérament» ignacien, semble bien uniforme chez les Jésuites. «Un mélange de piété et de diplomatie, d'ascétisme et d'esprit mondain, de mysticisme et de froid calcul: tel avait été le caractère de Loyola, telle fut la marque de l'Ordre»(9). C'est que par ses dispositions naturelles, d'abord, du fait qu'il a choisi cette Congrégation, par les épreuves sélectives qu'il subit, et par un dressage méthodique qui ne dure pas moins de quatorze années, chaque Jésuite devient réellement un «fils» de Loyola. Ainsi s'est perpétué depuis quatre cents ans le paradoxe de cet Ordre qui se veut «intellectuel», mais qui, simultanément, a toujours été dans l'Église romaine et dans la société le champion du plus étroit absolutisme.
Ignace, cependant, lorsqu'il put enfin quitter Monresa, était loin de prévoir le destin qui lui échoirait, mais le souci de son propre salut ne l'absorbait plus tout entier, et c'est en missionnaire, et non en simple pèlerin, qu'il s'embarqua pour la Terre Sainte en mars 1523. Il arriva le premier septembre à Jérusalem, après bien des aventures, mais pour en repartir bientôt, sur l'ordre du provincial des Franciscains qui ne se souciait pas de voir compromettre, par un prosélytisme inopportun, la paix précaire qui régnait entre les chrétiens et les Turcs. Le missionnaire ainsi déçu passa par Venise, Gênes, Barcelone, et commença enfin à l'université d'Alcala des études théologiques, non sans pratiquer déjà la «cure d'âmes» auprès d'auditeurs bénévoles. «On se rend compte de l'énergie avec laquelle il appliquait sa méthode religieuse, même au sexe faible, en voyant que les évanouissements constituaient une des manifestations de piété les plus habituelles dans ces conventicules. On comprend qu'une propagande aussi ardente ait éveillé la curiosité, puis les soupçons des inquisiteurs... «En avril 1527, l'Inquisition mit Ignace en prison, pour entamer contre lui un procès formel d'hérésie. L'instruction s'occupa, non seulement des singuliers accidents provoqués chez les dévotes, mais aussi des singulières assertions de l'accusé au sujet de la puissance merveilleuse que lui conférait sa chasteté, et de ses bizarres théories sur la différence entre les péchés mortels et les péchés véniels, théories qui ont des affinités frappantes avec les distinctions fameuses des casuistes jésuites de l'époque ultérieure(10).
Relaxé, mais avec interdiction de tenir des réunions, Ignace passe à Salamanque, y reprend la même activité, excite les mêmes soupçons chez les inquisiteurs, est de nouveau emprisonné, puis remis en liberté avec défense de continuer son activité de directeur des âmes. C'est alors qu'il se rend à Paris, pour y poursuivre ses études au Collège de Montaigu. Ses efforts pour endoctriner ses camarades selon sa méthode particulière lui valent encore des démêlés avec l'Inquisition. Devenu plus prudent, il se contente de réunir autour de lui six de ses condisciples, dont deux seront des recrues de haute valeur: Salmeron et Lainez. «Qu'y avait-il en lui qui attirât si puissamment les jeunes âmes vers ce vieil étudiant ? C'était son idéal, et un charme qu'il portait avec lui: un petit livre, un livre minuscule, qui, malgré sa petitesse, est du nombre des livres qui ont décidé du sort de l'humanité, qui a été imprimé à un nombre infini d'exemplaires, et a été l'objet de plus de 400 commentaires, le livre fondamental des Jésuites, et en même temps le résumé du long développement intérieur de leur maître: les «Exercices spirituels»(11).
«Ignace, dit plus loin M. Boehmer, a compris, plus clairement qu'aucun des conducteurs d'âmes qui l'ont précédé, que le meilleur procédé pour élever un homme conformément à un certain idéal, c'est de se rendre maître de son imagination. On fait ainsi «pénétrer en lui des forces spirituelles qu'il lui serait ensuite bien difficile d'éliminer», des forces qui sont plus résistantes que tous les principes et que les meilleures doctrines, qui, sans même qu'on les évoque, resurgissent souvent après des années des profondeurs les plus secrètes de l'âme, s'imposent à la volonté avec une telle puissance qu'elle est contrainte de ne plus tenir aucun compte des mobiles ou des raisonnements qui pouvaient leur faire obstacle, pour suivre leur irrésistible impulsion»(12). Les jésuites sont ainsi devenus, avec le temps, maîtres dans l'art de la manipulation et de la séduction et ils y excellent encore grandement. On le voit surtout dans leurs infiltrations du protestantisme et du mouvement évangélique moderne, où ils deviennent des maîtres enseignants et des pasteurs imposteurs, dont la doctrine primaire est celle du libre-choix qui devient la fondation de tous les autres enseignements. La doctrine du libre-arbitre de la volonté dans son libre-choix de croire ou non, est la doctrine Antichrist qui a son représentant à Rome dans la papauté de l'ancien culte Solaire Mithriaque. Les jésuites sont les rats d'égouts de sa majesté satanique qui apportent la peste de la contagion du catholicisme dans toutes les nations de la terre sous déguisement chrétien.
Ainsi toutes les «vérités» du dogme catholique devront être non seulement méditées, mais traduites en représentations sensibles, par celui qui se livre à ces «Exercices», avec l'aide d'un «directeur». Il convient pour lui d'«assister au mystère comme s'il y était présent», de le revivre en quelque sorte avec toute l'intensité possible. La sensibilité du postulant s'imprègne ainsi d'images-forces dont la persistance dans sa mémoire, et plus encore dans son subconscient, sera à la mesure de l'effort qu'il aura fourni pour les évoquer et les assimiler. Outre la vue, ce sont encore les autres sens, l'ouïe, l'odorat, le goût et le toucher, qui doivent concourir à l'illusion. En somme, c'est de l'autosuggestion dirigée. La révolte des anges, Adam et Ève chassés du Paradis, le tribunal de Dieu, puis les scènes évangéliques et les phases de la Passion, revivent ainsi quasiment en présence réelle, devant les illusions du retraitant. Les tableaux suaves et béatifiques alternent avec les plus sombres, suivant une proportion et un rythme habilement dosés. Mais il va sans dire que l'Enfer a la plus large part dans ce défilé de lanterne magique, avec sa mer de flammes où se débattent les damnés, l'affreux concert des hurlements, l'atroce puanteur du soufre et de la chair grillée. Cependant, le Christ est toujours là pour soutenir le visionnaire, qui ne sait comment lui rendre grâces de n'avoir pas été encore précipité dans la géhenne pour le prix de ses péchés passés. «Or, a écrit Edgar Quinet, ce ne sont pas les visions seules qui sont ainsi imposées; ce que vous ne supposeriez jamais, les soupirs même sont notés, l'aspiration, la respiration est marquée, les pauses, les intervalles de silence sont écrits d'avance comme sur un livre de musique. Vous ne me croiriez pas, il faut citer: «Troisième manière de prier en mesurant d'une certaine façon les paroles et les temps de silence». Ce moyen consiste à omettre quelques paroles entre chaque souffle, chaque respiration; et un peu plus loin: «Que l'on observe bien les intervalles égaux entre les aspirations, les suffocations et les paroles». (Et paria anhelituum ac vocum interstitia observet); ce qui veut dire que l'homme inspiré ou non, n'est plus qu'une machine à soupirs, à sanglots, qui doit gémir, pleurer, s'écrier, suffoquer à l'instant précis, et dans l'ordre où l'expérience a démontré que cela était le plus profitable».(12 bis). Telle est la puissance d'endoctrinement des jésuites qui sont instruit à être comme des cadavres entre les mains de leurs directeurs.
On comprend qu'après quatre semaines consacrées à ces Exercices de haute école, et de haute tension, dans la seule compagnie de son directeur, le postulant soit suffisamment mûr pour le dressage subséquent. C'est ce que constate encore Quinet, quand il dit du créateur de cette méthode hallucinatoire: «Savez-vous ce qui le distingue de tous les ascètes du passé ? c'est qu'il a pu froidement, logiquement s'observer, s'analyser dans cet état de ravissement, qui chez tous les autres exclut l'idée même de réflexion. Imposant à ses disciples, comme opérations, des actes qui, chez lui, ont été spontanés, trente jours lui suffisent pour briser, par cette méthode, la volonté, la raison, à peu près comme un cavalier qui dompte son coursier. Il ne demande que trente jours «triginta dies», pour réduire une âme. Remarquez, en effet, que le jésuitisme se développe en même temps que l'inquisition moderne; pendant que celle-ci disloquait le corps, les Exercices spirituels disloquaient la pensée sous la machine de Loyola»(12 ter).
Au reste, on ne saurait trop approfondir sa vie «spirituelle», même si l'on n'a pas l'honneur d'être Jésuite, et la méthode ignacienne est à recommander aux ecclésiastiques en général aussi bien qu'aux fidèles, comme le rappelle, entre autres commentateurs, le R.P. Pinard de la Boullaye, s.j., auteur de «L'Oraison mentale à la portée de tous», inspirée de saint Ignace - petit guide-âme fort précieux, mais dont le titre, à ce qu'il nous semble, serait plus explicite encore si l'on y substituait «aliénation» à «oraison».
C'est dans une chapelle de Notre-Dame de Montmartre, le jour de l'Assomption, en 1534, que se constitua la Société de Jésus. Cette année-là, Ignace avait quarante-quatre ans. Après avoir communié, l'animateur et ses compagnons ont fait vœu d'aller en Terre Sainte, aussitôt achevées leurs études, pour convertir les Infidèles. Mais l'année suivante, à Rome, le pape, qui organisait alors, avec l'Empereur d'Allemagne et la République de Venise, une croisade contre les Turcs, leur démontra en conséquence l'impossibilité de réaliser leur projet. Ignace décida donc de se vouer, lui et ses compagnons, à la mission en terre chrétienne. A Venise, son apostolat suscita encore les soupçons de l'Inquisition, et ce fut seulement en 1540 que fut confirmée à Rome, par Paul III, la constitution de la Compagnie de Jésus, qui se mettait à la disposition du pape en s'engageant envers lui à une obéissance sans condition. L'enseignement, la confession, la prédication, l'activité charitable constituaient le champ d'action du nouvel Ordre, mais la mission étrangère n'en était pas exclue puisque, en 1541, François Xavier s'embarquait à Lisbonne avec deux compagnons, pour aller évangéliser l'Extrême-Orient. Enfin, en 1546, allait commencer la carrière politico-religieuse de la Compagnie, par le choix que fit le pape, de Lainez et de Salmeron, pour le représenter au Concile de Trente, en qualité de «théologiens pontificaux».
«L'Ordre, écrit M Boehmer, n'était donc encore employé comme «Compagnie du pape» que d'une manière temporaire. Mais il s'acquittait de ses fonctions avec tant de promptitude et d'habileté, que, déjà sous Paul Ill, il s'implanta solidement dans tous les genres d'activité qu'il avait choisis, et, déjà sous Paul III, il avait gagné pour toujours la confiance de la Curie»(12 quater).
Cette confiance était amplement justifiée, car les Jésuites, et Lainez en particulier, se montrèrent, avec leur ami dévoué, le cardinal Morone, les champions aussi habiles qu'inlassables de l'autorité pontificale et de l'intangibilité du dogme, durant les trois périodes du Concile, qui ne prit fin qu'en 1562. Par leurs savantes manœuvres, autant que par leur dialectique serrée, ils réussirent à mettre en échec l'opposition et à faire repousser toutes les prétentions «hérétiques»: mariage des prêtres, communion sous les deux espèces, usage de la langue vulgaire dans le service divin, et, surtout, réforme de la papauté. Seule fut retenue la réforme des couvents. Lainez même, par une vigoureuse contre-attaque, soutint le dogme de l'infaillibilité pontificale, qui devait être promulgué trois siècles plus tard par le Concile du Vatican<2.html#13">(13). Grâce à l'action persévérante des Jésuites, le Saint-Siège sortait renforcé de la crise où il avait failli sombrer. Ainsi se vérifiaient les termes par lesquels Paul III avait désigné le nouvel Ordre, dans sa bulle d'autorisation: «Regimen Ecclesiae militantis».
Ce caractère combatif allait s'affirmer de plus en plus, par la suite, en même temps que l'activité des fils de Loyola se concentrerait, outre les missions étrangères, dans la «direction» des âmes, particulièrement celles des classes dirigeantes -- c'est-à-dire dans la politique, puisque tous les efforts de ces «directeurs» tendent vers la soumission du monde à la papauté, et qu'à cet effet il s'agit d'abord de conquérir les «têtes». Pour réaliser cet idéal, deux armes principales: la confession des grands et des gens en place et l'éducation de leurs enfants. Ainsi tiendra-t-on le présent tout en préparant l'avenir.
Le Saint-Siège a vite compris quelle force lui apportait l'Ordre nouveau. Il avait d'abord limité à soixante le nombre de ses membres, mais cette restriction a été promptement levée. Quand Ignace meurt, en 1556, ses fils sont à l'œuvre chez les païens, aux Indes, en Chine, au Japon, dans le Nouveau Monde, mais aussi et surtout en Europe: en France, en Allemagne du Sud et de l'Ouest, où ils luttent contre l'«hérésie», en Espagne, au Portugal, en Italie, et jusqu'en Angleterre, où ils pénètrent par l'Irlande - et leur histoire, abondante en vicissitudes, sera celle du réseau «romain» qu'ils s'efforceront de tendre sur le monde, avec ses mailles incessamment déchirées et reprises.
«Ne l'oublions pas, écrit le R.P. jésuite Rouquette, historiquement, l'«ultramontanisme» a été l'affirmation pratique de l'«universalisme»... Cet universalisme nécessaire reste un vain mot, s'il ne se traduit pas par une cohésion pratique de la chrétienté, c'est-à-dire par une obéissance: c'est pourquoi Ignace a voulu que son équipe soit à la disposition du pape... Elle sera le champion de l'unité catholique, unité qui ne peut être assurée que par la soumission effective au vicaire du Christ(13 bis)». Cet absolutisme monarchique qu'Ils entendaient imposer dans l'Église romaine, les Jésuites n'ont pas moins travaillé à en assurer le maintien dans la société civile, puisque, en bons «intégristes», ils devaient considérer les souverains comme des mandataires au temporel du Saint-Père, véritable chef de la chrétienté; ils furent toujours les plus fermes soutiens des monarques, à la condition, toutefois, que ceux-ci témoignassent, envers leur suzerain commun, d'une entière docilité.
Mais, dans le cas contraire, les princes «rebelles» trouvaient en eux les plus redoutables ennemis. «Partout où en Europe les intérêts de Rome exigeaient qu'on excitât le peuple à se soulever contre son roi, que l'on combattît par l'intrigue, la propagande et, au besoin, par la révolte ouverte, les décisions gênantes pour l'Église prises par un prince temporel, la Curie savait qu'elle ne pouvait trouver plus habiles, plus sûrs et plus hardis que les Pères de la Compagnie de Jésus»(14).
Nous avons vu par l'esprit des «Exercices» combien le fondateur de la Compagnie apparaît, dans son mysticisme simpliste, en retard sur son siècle. Il ne l'était pas moins en matière de discipline ecclésiastique et, d'une façon générale, dans sa conception de la subordination. Les «Constitutions», qui sont, avec les «Exercices», le monument fondamental de la pensée ignacienne, ne laissaient aucun doute à ce sujet. Quoi qu'en aient pu dire - aujourd'hui surtout - ses disciples, pour ne pas heurter de front les idées modernes en cette matière, l'obéissance tient dans ce compendium des règles de l'Ordre une place toute particulière, et, sans contredit, la première. M. Folliet peut prétendre n'y voir que «l'obéissance religieuse» tout court, nécessaire à toute congrégation; le R.P. Rouquette peut écrire audacieusement: «Loin d'être une diminution de l'homme, cette obéissance, intelligente et voulue, est le sommet de la liberté... elle est une libération de l'esclavage de nous-mêmes...», il suffit de se reporter aux textes pour saisir le caractère outrancier et même monstrueux de cette soumission de l'esprit et de l'âme imposée aux Jésuites, et qui en a toujours fait non seulement des instruments dociles dans les mains de leurs supérieurs, mais encore, par leur formation même, les ennemis naturels de toute liberté.
Le fameux «perinde ac cadaver» (comme un cadavre entre les mains du laveur de morts), peut bien se retrouver «dans toute la littérature spirituelle «comme le dit M. Folliet, et même en Orient, dans la Constitution des Haschichins, ainsi que bien d'autres comparaisons célèbres tirées de la même source ignacienne: «comme un bâton qui obéit à toutes les impulsions, comme une boule de cire qui peut être modelée ou étirée dans tous les sens, comme un petit crucifix qu'on peut élever et mouvoir à sa volonté»; ces aimables formules n'en restent pas moins révélatrices, et les commentaires et éclaircissements de la main même du créateur de l'Ordre ne laissent aucun doute sur le plein sens qu'il convient de leur attribuer. D'ailleurs, chez les Jésuites, ce n'est pas seulement la volonté, mais aussi la raison et jusqu'au scrupule moral, qui doivent être sacrifiés à la primordiale vertu d'obéissance, dont Borgia disait qu'elle était «le rempart le plus solide de la Société». «Persuadons-nous que tout est juste quand le supérieur l'ordonne», écrit Loyola. Et encore: «Quand même Dieu t'aurait proposé pour maître un animal privé de raison, tu n'hésiteras pas à lui prêter obéissance, ainsi qu'à un maître et à un guide, par cette raison seule que Dieu l'a ordonné ainsi.» Bien mieux: le Jésuite doit voir en son supérieur, non un homme faillible, mais le Christ lui-même. J. Huber, professeur de théologie catholique à Munich, et auteur de l'un des plus importants ouvrages sur les Jésuites, écrit: «On va constaté: les «Constitutions» répètent cinq cents fois qu'il faut voir en la personne du Général, le Christ»(15).
L'assimilation tant de fois faite de la discipline de l'Ordre à celle de l'armée est donc faible auprès de la réalité. «L'obéissance militaire n'est pas l'équivalent de l'obéissance jésuitique; cette dernière est plus étendue, car elle s'empare toujours de l'homme tout entier et elle ne se contente pas, comme la première, de l'acte extérieur, elle exige le sacrifice de la volonté, la suspension du jugement propre»(16). Ignace écrit lui-même dans sa lettre aux Jésuites du Portugal «que l'on doit voir noir ce qui apparaît blanc, si l'Église le déclare ainsi.» Tel est ce «sommet de la liberté», telle est cette «libération de l'esclavage de nous-mêmes», vantés plus haut par le R.P. Rouquette. Certes, le jésuite est vraiment libéré de soi-même, puisqu'il est entièrement asservi à ses chefs et que tout doute, tout scrupule lui serait imputé à péché. «Dans les additions aux «Constitutions», écrit M. Boehmer, il est conseillé aux supérieurs, pour éprouver les novices, de leur commander, comme Dieu à Abraham, des choses en apparence criminelles, tout en proportionnant ces tentations aux forces de chacun. On imagine sans peine quels pouvaient être les dangers d'une pareille éducation»(17).
L'histoire mouvementée de l'Ordre - il n'est guère de pays dont il n'ait été expulsé - témoigne assez que ces dangers ont été reconnus par tous les gouvernements, même les plus catholiques. En introduisant dans les cours et parmi les classes élevées des «fidèles» aussi aveuglément dévoués, la Compagnie - championne de l'universalisme, donc de l'ultramontanisme - devait fatalement être reconnue comme menaçante pour le pouvoir civil, et cela d'autant mieux que l'activité de l'Ordre, du fait même de sa vocation, tournait de plus en plus à la politique.
Parallèlement devait se développer chez ses membres ce que la voix publique appelle l'esprit jésuitique. Le fondateur, inspiré surtout par les besoins de la «mission», étrangère ou intérieure, n'avait pas négligé pour autant l'habileté. «Une prudence consommée, écrivait-il dans ses «Sententiae asceticae», jointe à une pureté médiocre, vaut mieux qu'une sainteté plus parfaite jointe à une habileté moins grande. Un bon pasteur des âmes doit savoir ignorer beaucoup de choses et feindre de ne pas les comprendre. Une fois maître des volontés, il pourra mener ses élèves en sapience partout où il voudra. Les gens sont entièrement absorbés par les intérêts passagers, il ne faut pas leur parler à brûle-pourpoint de leur âme: ce serait jeter l'hameçon sans amorce, sans appâts.»
La contenance même des fils de Loyola était ainsi précisée: «Ils doivent tenir la tête un peu baissée sur le devant, sans la pencher ni d'un côté ni de l'autre, ne, point lever les yeux, mais les tenir constamment au-dessous de ceux des personnes à qui ils parlent, de façon à ne les voir qu'indirectement...»(18). Les successeurs d'Ignace ont bien retenu la leçon et en ont fait l'application la plus étendue à la poursuite de leurs desseins.
5. LES PRIVILÈGES DE LA COMPAGNIE Dès 1558, Lainez, le subtil manœuvrier du Concile de Trente, est nommé général par la Congrégation, avec pouvoir d'organiser l'Ordre selon son inspiration. Les «Déclarations», composées par lui-même et Salmeron, sont jointes aux «Constitutions», en manière de commentaires, et ne font qu'accentuer le despotisme du général, élu à vie. Un admoniteur, un procureur et des assistants, résidant comme lui-même à Rome, lui sont adjoints pour l'administration générale de l'Ordre divisé alors en cinq Assistances: Italie, Allemagne, France, Espagne, Angleterre et Amérique réunies. Ces Assistances sont elles-mêmes divisées en Provinces groupant les divers établissements de l'Ordre. Seuls, l'admoniteur (ou surveillant) et les assistants sont nommés par la Congrégation. Le général désigne tous les autres fonctionnaires, promulgue les ordonnances, lesquelles ne doivent pas modifier les Constitutions, gère à son gré les biens de l'Ordre et en dirige l'activité, dont il n'est responsable qu'envers le pape.
A cette milice si étroitement unie dans la main de son chef, et qui a besoin, pour l'efficacité de son action, de la plus grande autonomie, le pape ne manque pas de concéder des privilèges qui paraîtront exorbitants aux autres Ordres religieux.
Déjà, par leurs Constitutions, les Jésuites échappaient à la règle de la clôture comme à celles qui président généralement à la vie monastique. Ils sont en fait des moines vivant «dans le siècle» et ne se distinguant extérieurement en rien du clergé séculier. Mais, au contraire de celui-ci, et même des autres congrégations religieuses, ils ne sont nullement soumis à l'autorité des évêques. Dès 1545, une bulle de Paul III leur permet de prêcher, confesser, distribuer les sacrements, présider au culte, bref, exercer leur ministère sans en référer à l'Ordinaire. Seule, la célébration des mariages sort de leurs attributions.
Ils ont tout pouvoir pour donner l'absolution, convertir les vœux en d'autres plus faciles à remplir, ou même les lever. «Les pouvoirs du général, relatifs à l'absolution et aux dispenses, sont encore plus étendus», lisons-nous chez M. Gaston Bally. Il peut lever toutes les peines qui ont frappé les membres de la Société avant ou après leur entrée dans l'Ordre, les absoudre de tous les péchés, même du péché d'hérésie et de schisme, de la falsification d'écrits apostoliques, etc... «Le général absout, en personne ou par l'entremise d'un délégué, tous ceux qui sont placés sous son obédience de l'état d'irrégularité provenant, soit de l'excommunication, soit de la suspension, soit de l'interdit, à la condition que ces censures n'aient pas été infligées pour des excès si extraordinaires que le tribunal papal puisse seul connaître. «Il absout, en outre, de l'irrégularité provenant de la bigamie, des blessures faites à autrui, du meurtre, de l'assassinat... pourvu que ces mauvaises actions ne soient pas de notoriété publique et n'aient pas fait de scandale»(19).
Grégoire XIII, enfin, conféra à la Compagnie le droit de se livrer au commerce et aux affaires de banque. droit dont elle usa largement par la suite. Ces dispenses et pouvoirs inouïs étaient garantis de la façon la plus absolue. «Les papes allèrent même jusqu'à sommer les princes et les rois de défendre ces privilèges; ils menaçaient de la grande excommunication «latae sententiae» tous ceux qui y porteraient atteinte, et d'après une bulle de Pie V, de l'an 1574, ils accordèrent au général le droit de les rétablir dans leur étendue primitive, envers et contre toutes les tentatives faites pour les diminuer ou les altérer, fût-ce même par des actes de révocation papale... «En octroyant aux Jésuites ces privilèges exorbitants qui allaient à l'encontre de l'antique constitution de l'Église, la papauté ne voulait pas seulement les munir d'armes puissantes pour la lutte contre les «Infidèles», elle voulait surtout s'en servir comme d'une garde du corps pour la défense de son propre et absolu pouvoir dans l'Église et contre l'Église». «Pour conserver la suprématie spirituelle et temporelle qu'ils avaient usurpée au moyen âge, les papes vendirent l'Église à l'Ordre de Jésus, et par là ils se livrèrent eux-mêmes entre ses mains... Si la papauté s'appuyait sur les Jésuites, toute l'existence des Jésuites dépendait de la suprématie spirituelle et temporelle de la papauté. De cette façon, les intérêts des deux parties étaient intimement liés»(20).
Mais cette cohorte d'élite avait besoin d'auxiliaires secrets pour dominer la société civile: ce rôle fut dévolu aux affiliés de la Compagnie, dits Jésuites «de robe courte» «Bien des personnages importants furent ainsi liés à la Société: les empereurs Ferdinand II et Ferdinand III, Sigismond III, roi de Pologne, qui avait officiellement fait partie de la Compagnie, le cardinal Infant, un duc de Savoie. Et ce ne furent pas les moins utiles»(21).
Il en est de même aujourd'hui, où les 33,000 membres officiels de la Société agissent à travers le monde à la façon d'animateurs, d'officiers d'une véritable armée secrète qui compte dans ses rangs des chefs de partis politiques, des hauts fonctionnaires, des généraux, des magistrats, des médecins, des professeurs de Faculté, etc, attentifs à poursuivre, chacun dans son domaine, «I'Opus Dei», l'œuvre de Dieu, c'est-à-dire de la papauté.
LES JÉSUITES EN EUROPE AUX XVIe ET XVIIe SIÈCLES La France, écrit M Boehmer, est le berceau de la Société de Jésus, mais c'est en Italie qu'elle a reçu son programme et sa constitution. Aussi est-ce en Italie qu'elle a d'abord pris pied; c'est de là qu'elle s'est répandue au loin.»(1)
L'auteur note le nombre croissant des collèges et académies jésuites (128 en 1680); «mais, dit-il, l'histoire de la civilisation italienne, au 16e et au 17e siècles, en est une preuve encore plus frappante. Si l'Italie savante est revenue aux pratiques et à la foi de l'Église, si elle s'est prise de zèle pour l'ascétisme et les missions, si elle s'est remise à composer des poésies pieuses et des hymnes d'église, et à consacrer avec componction à l'exaltation de l'idéal religieux les pinceaux des peintres et les ciseaux des sculpteurs, n'est-ce pas le fruit de l'éducation que les classes cultivées reçurent des Jésuites dans les écoles et les confessionnaux ?»(2)
Finis «la simplicité enfantine, la joie, la fraîcheur, l'amour naïf de la nature...» «Les élèves des Jésuites sont bien trop cléricaux, dévots, habitués au pathos sentimental, pour conserver ces qualités. Ils sont épris de merveilleux et de visions extatiques; ils s'enivrent littéralement de la peinture de mortifications effrayantes et des supplices atroces des martyrs; ils ont besoin de pompes, de clinquant, d'une mise en scène d'opéra. La littérature et l'art italiens, dès la fin du 16e siècle, sont le fidèle miroir de cette transformation morale... L'agitation, l'ostentation, la prétention offensante, qui caractérisent les créations de cette période, blessent à chaque instant notre sentiment intime et éveillent, au lieu d'un élan de sympathie, plutôt un éloignement pour les croyances qu'elles prétendent interpréter et glorifier»(3).
C'est en effet la marque «sui generis» de la Compagnie. Cet amour du contourné, du tarabiscoté, du clinquant, de l'effet théâtral, pourrait paraître étrange chez des mystiques formés par les «Exercices spirituels», si l'on n'y distinguait la volonté toujours tendue vers ce but essentiellement loyolesque de frapper les esprits. C'est, en somme, une application de la maxime «Qui veut la fin, veut les moyens» que les Pères ont appliquée avec persévérance dans l'art et la littérature, comme dans la politique et les mœurs.
L'Italie avait été peu touchée par la Réforme. Cependant les Vaudois, qui s'étaient maintenus depuis le moyen âge, malgré les persécutions, dans le nord et le sud de la péninsule, s'étaient ralliés en 1532 à l'Église calviniste. Emmanuel Philibert de Savoie, sur un rapport du Jésuite Possevino, déclencha en 1561 une nouvelle persécution sanglante contre ses sujets «hérétiques». Il en fut de même en Calabre, à Casal di San Sisto et à Guardia Fiscale. «Les Jésuites furent mêlés à ces massacres; ils s'occupaient de convertir les victimes...»(4) Quant au Père Possevino: «... il suivit l'armée catholique comme aumônier, et recommanda l'extermination par le feu des pasteurs hérétiques comme une œuvre sainte et nécessaire»(5).
Les Jésuites étaient tout-puissants à Parme, à la cour des Farnèse, ainsi qu'à Naples, aux 16e et 17e siècles. Mais à Venise, où ils avaient été comblés de biens, ils furent bannis le 14 mai 1606, «comme les plus fidèles servants et porte-parole du pape...» Il leur fut cependant permis d'y revenir en 1656. Mais leur influence dans la République ne fut plus désormais que l'ombre de celle qu'ils y avaient eue autrefois.
Le Portugal fut une terre d'élection pour l'Ordre. «Déjà, sous Jean Ill (1521-1559), il était la congrégation religieuse la plus puissante du royaume(6).» Son crédit augmenta encore après la révolution de 1640, qui plaça les Bragance sur le trône. «Sous le premier roi de la maison de Bragance, le Père Fernandez fut membre du Conseil d'État, et, pendant la minorité d'Alphonse VI, le conseiller le plus écouté de la reine régente Louise. Le Père de Ville travailla avec succès, en 1667, au renversement d'Alphonse VI, et le Père Emmanuel Fernandez fut, en 1667, nommé député aux Cortès par le nouveau roi Pierre Il... Mais alors même que les Pères ne remplissaient aucune charge publique dans le royaume, ils étaient en fait plus puissants au Portugal que dans n'importe quel autre pays. Ils n'étaient pas seulement les directeurs de conscience de toute la famille royale, ils étaient aussi consultés par le roi et ses ministres dans toutes les circonstances importantes D'après le témoignage d'un des leurs, aucune place dans l'administration de l'État ou de l'Église ne pouvait être obtenue sans leur consentement, si bien que le clergé, les grands et le peuple se disputaient leurs faveurs et leurs bonnes grâces. Ajoutons que la politique étrangère elle-même était sous leur influence. Aucun homme de sens ne soutiendra qu'un pareil état de choses ait été profitable au bien du royaume.»(7)
On peut en juger, en effet, par l'état de décadence dans lequel tomba ce malheureux pays. Il fallut toute la clairvoyance et l'énergie du marquis de Pombal, au milieu du 18e siècle, pour arracher le Portugal à l'étreinte mortelle de la Compagnie.
En Espagne, la pénétration de l'Ordre se fit avec plus de lenteur. Le haut clergé et les Dominicains s'y opposèrent longtemps. Les souverains, eux aussi, Charles-Quint et Philippe II, tout en acceptant leurs services, se défiaient de ces soldats du pape, dont ils appréhendaient les empiétements sur leur autorité Mais, à force de souplesse, la Compagnie finit par avoir raison de cette résistance. «Au 17e siècle, elle est toute-puissante en Espagne parmi les hautes classes et à la Cour. On voit même le Père Neidhart, un ancien officier de cavalerie allemand, gouverner absolument le royaume comme conseiller d'État, premier ministre et Grand Inquisiteur... En Espagne comme en Portugal, la ruine du royaume coïncida avec la marche ascendante de l'Ordre...»(8) C'est ce qui fait écrire à Edgar Quinet «Partout où une dynastie se meurt, je vois se soulever de terre et se dresser derrière elle, comme un mauvais génie, une de ces sombres figures de confesseurs, qui l'attire doucement, paternellement dans la mort...»(9)
Certes, on ne peut imputer à cet Ordre seul la décadence de l'Espagne «Il est vrai, pourtant, que la Compagnie de Jésus, simultanément avec l'Église et les autres ordres religieux, hâta le mouvement de désorganisation; plus elle devenait riche, plus le pays devenait pauvre, si pauvre qu'à la mort de Charles II on ne trouva pas même dans les caisses de l'État la somme nécessaire pour payer les 10.000 messes qu'il était d'usage de dire pour le salut de l'âme d'un monarque défunt.»(10)
«Ce n'était pas l'Europe méridionale, mais l'Europe centrale, la France, les Pays-Bas, l'Allemagne, la Pologne, qui étaient le théâtre principal de la lutte historique entre le catholicisme et le protestantisme. Aussi ces pays furent-ils les principaux champs de bataille de la Compagnie de Jésus.»(11)
La situation était particulièrement grave en Allemagne. «Non seulement des pessimistes notoires, mais aussi des catholiques d'esprit pondéré et judicieux, considéraient la cause de la vieille église, dans toute l'étendue des pays allemands, comme à peu près perdue. En fait, même en Autriche et en Bohême, la rupture avec Rome était si générale que les protestants pouvaient raisonnablement espérer conquérir l'Autriche en quelques dizaines d'années. Comment se fait-il donc que ce changement ne se soit pas produit, mais qu'au contraire la nation se soit partagée en deux ? Dès la fin du 16e siècle, le parti catholique n'a aucune hésitation sur la réponse qui doit être faite à cette question. Il a toujours reconnu que ceux à qui l'on doit l'heureuse tournure prise par les événements sont les Witelsbach, les Habsbourg et les Jésuites.»(12) Quant au rôle de ces derniers, René Fülöp-Miller écrit «Ce n'est qu'à la condition que les Pères fussent à même d'influencer et de guider les princes en tout temps et en toute circonstance que la cause catholique pouvait espérer un succès réel. Or, l'institution de la confession offrait aux Jésuites un moyen de s'assurer une influence politique durable et, par là, une action efficace»(13).
En Bavière, ce fut le jeune due Albert V qui, fils d'un zélé catholique et formé à Ingolstadt, la vieille ville catholique, appela les Jésuites pour combattre efficacement l'hérésie: «Le 7 juillet 1556, 8 Pères et 12 écolâtres jésuites firent leur entrée à Ingolstadt. Alors commença une ère nouvelle pour la Bavière... L'État lui-même reçut une empreinte nouvelle... Les conceptions catholiques romaines dirigèrent la politique des princes et la conduite des hautes classes. Mais ce nouvel esprit ne s'empara que des couches supérieures. Il ne gagna pas l'âme du peuple... Néanmoins, sous la discipline de fer de l'État et de l'Église restaurée, il redevint dévotement catholique, docile, fanatique, et intolérant à l'égard de toute hérésie...» «Il peut paraître excessif d'attribuer une vertu aussi prodigieuse à l'action de quelques douzaines d'étrangers. Et pourtant, dans cette circonstance, la force fut en raison inverse du nombre, et la force put ici agir immédiatement sans rencontrer aucun obstacle Les émissaires de Loyola s'emparèrent d'emblée du cœur et du cerveau de ce pays... Dès la génération suivante, Ingolstadt devint le type de la ville jésuite allemande.»(14)
On peut juger de l'état d'esprit que les Pères avaient introduit dans cette citadelle de la foi, par les lignes suivantes: «Le Jésuite Mayrhofer d'Ingolstadt enseignait dans son «Miroir du prédicateur» qu'on n'allait «pas plus à l'encontre de la justice en demandant la mise à mort des protestants qu'en réclamant la peine capitale pour les voleurs, les faux monnayeurs, les meurtriers et les séditieux.»(15) Les successeurs d'Albert V, et particulièrement Maximilien Premier (1597-1651), parachevèrent son œuvre. Mais déjà Albert V lui-même était fort attentif à son «devoir» d'assurer le «salut» à ses sujets. «Aussitôt que les Pères furent arrivés en Bavière, il prit une attitude plus sévère à l'égard des protestants et de ceux qui inclinaient au protestantisme. A partir de 1563, il expulsa impitoyablement les récalcitrants, il traita sans miséricorde les anabaptistes, comme l'en loua le Jésuite Agricola, par le feu, les noyades et le fer... Il fallut néanmoins attendre qu'une génération d'hommes eût disparu, pour que la persécution fût couronnée d'un entier succès. Encore en 1586, les anabaptistes de Moravie réussirent à soustraire 600 victimes au duc Guillaume. Ce seul exemple prouve que le nombre des expulsés se chiffre non par quelques centaines, mais plusieurs milliers. Terrible saignée pour un pays aussi peu peuplé. «Mais l'honneur de Dieu et le salut des âmes, disait Albert V au Conseil de ville de Munich, doivent être mis au-dessus de tous les intérêts temporels.»(16)
Peu à peu tout l'enseignement en Bavière passa aux mains des Jésuites, et ce pays devint la base de leur pénétration dans l'Est, l'extrême Ouest et le Nord de l'Allemagne. «A partir de 1585, les Pères convertissent la partie de la Westphalie qui dépendait de Cologne; en 1586, ils apparaissent à Neuss et à Bonn, une des résidences de l'archevêque de Cologne; ils ouvrent des collèges en 1587 à Hildesheim, en 1588 à Münster. Ce dernier comptait déjà, en 1618, 1300 élèves... Une grande partie de l'Allemagne occidentale fut ainsi reconquise par le catholicisme, grâce aux Wittelsbach et aux Jésuites. «L'alliance des Wittelsbach et des Jésuites fut encore plus importante peut-être pour les «pays autrichiens» que pour l'Allemagne occidentale.»(17) L'archiduc Charles de Styrie, le dernier fils de l'empereur Ferdinand, avait épousé en 1571 une princesse bavaroise «qui transporta dans le château de Gratz les tendances étroitement catholiques et l'amitié pour les Jésuites qui régnaient à la Cour de Munich». Sous son influence, Charles fit tous ses efforts pour «extirper l'hérésie» de ses États, et quand il mourut, en 1590, il fit jurer à son fils et successeur, Ferdinand, de poursuivre son œuvre. Ferdinand se trouvait, au reste, tout préparé pour cela. «Il avait été pendant cinq ans, à Ingolstadt, l'élève des Jésuites; son esprit, d'ailleurs de médiocre envergure, ne concevait pas de tâche plus noble que le rétablissement de l'Église catholique dans ses États héréditaires. Que ce fût ou non avantageux pour ses États, cela lui était indifférent. «J'aime mieux, disait-il, régner sur un pays ruiné que sur un pays damné.»(18)
En 1617, l'empereur fit couronner l'archiduc Ferdinand roi de Bohême. «Conseillé par Viller (son confesseur jésuite), Ferdinand se mit aussitôt en devoir de combattre le protestantisme avec vigueur dans son nouveau royaume. Cette tentative fit bientôt éclater la sanglante guerre de religion qui devait pendant les trente années suivantes tenir l'Europe en haleine. Après que la «défenestration de Prague» en 1618 eut donné le signal de la révolte ouverte, le vieil empereur Mathias essaya d'abord de transiger; mais il n'avait pas assez d'énergie pour faire prévaloir ses intentions contre le roi Ferdinand dominé par son confesseur jésuite, et ainsi fut anéanti le dernier espoir de régler le conflit à l'amiable.» «Entre temps, les États de Bohême avaient, par une mesure spéciale, décrété solennellement l'expulsion des Jésuites, en qui ils voyaient les promoteurs de la guerre civile.»(19)
Bientôt la Silésie et la Moravie suivirent cet exemple, et les protestants de Hongrie, où sévissait le Jésuite Pazmany, se soulevèrent aussi. Mais à la bataille de la Montagne Blanche (1620) le sort des armes fut favorable à Ferdinand, redevenu empereur à la mort de Mathias. «Les Jésuites poussèrent Ferdinand à frapper les rebelles des peines les plus terribles; le protestantisme fut extirpé du pays tout entier par les moyens les plus cruels... A la fin de la guerre, la ruine matérielle du pays était consommée.» «Le Jésuite Balbinus, l'historien de la Bohème, s'étonnait qu'on trouvât encore des habitants dans ce pays. Mais la ruine morale fut plus terrible encore... La culture florissante que l'on rencontrait chez les nobles et les bourgeois, une littérature nationale très riche et que rien ne pouvait remplacer: tout cela avait Péri, la nationalité elle-même avait été supprimée. La Bohème était ouverte à l'activité des Jésuites, ils brûlèrent la littérature tchèque en masse; ils firent pâlir et s'éteindre dans les souvenirs du peuple le nom du grand saint de la nation, Jean Huss... «L'apogée du pouvoir des Jésuites, dit Tomek, marqua pour la Bohême l'époque de la décadence la plus profonde de sa culture nationale; c'est à l'influence des membres de l'Ordre qu'est dû le retard de plus d'un siècle qu'a subi le réveil de ce malheureux pays...» «Lorsqu'il s'agit de terminer la guerre (de Trente ans) et de conclure une paix qui assurât aux protestants d'Allemagne les droits politiques dont jouissaient les catholiques, les Jésuites mirent tout en œuvre pour obtenir la continuation de la lutte. Ce fut en vain.»(20)
Mais ils obtinrent de Léopold 1er, leur élève, alors empereur régnant, qu'il persécutât les protestants dans ses propres États, et notamment en Hongrie. «Escortés par les dragons impériaux, les Jésuites entreprirent l'œuvre de la conversion en 1671. Les Hongrois se soulevèrent et il éclata une guerre qui occupa une génération presque tout entière... Mais l'insurrection hongroise fut victorieuse, sous la conduite de François Kakoczy. Le vainqueur voulut chasser les Jésuites de toutes les contrées qui tombèrent en son pouvoir ; des protecteurs influents de l'Ordre firent ajourner cette mesure. L'expulsion n'eut lieu qu'en 1707... «Le prince Eugène blâmait avec une rude franchise la politique de la maison impériale et les intrigues des Jésuites en Hongrie. «Il s'en est fallu de peu, écrit-il, que les Jésuites n'aient fait perdre la Hongrie à la maison d'Autriche, en persécutant les protestants.» Un jour il s'écria avec amertume que la morale des Turcs s'élevait, en pratique du moins, bien au-dessus de celle des membres de l'Ordre. «Non seulement, dit-il, les Jésuites veulent dominer sur les consciences, ils veulent avoir droit de vie et de mort sur les hommes.» «L'Autriche et la Bavière récoltèrent en une pleine mesure les fruits de la domination des Jésuites: la compression de toutes les tendances progressives, l'abêtissement systématique du peuple.» «La misère profonde qui fut la suite de la guerre de religion, l'impuissance politique, la décadence intellectuelle, la corruption morale, une diminution effroyable de la population, l'appauvrissement de l'Allemagne tout entière: telle fut en grande partie l'œuvre de l'Ordre de Jésus.»(21)
Ce ne fut qu'au 17- siècle que les Jésuites parvinrent à fonder en Suisse des établissements durables, après avoir été successivement appelés, puis bannis, par quelques villes de la Confédération, dans la deuxième moitié du 16e siècle. L'archevêque de Milan, Charles Borromée, qui avait favorisé leur installation à Lucerne, en 1578, ne devait pas tarder à reconnaître la nocivité de leur action, comme le rappelle J. Huber: «Charles Borromée écrit à son confesseur que la Compagnie de Jésus, gouvernée par des chefs plutôt politiques que religieux, devient trop puissante pour conserver la modération et la soumission nécessaires... Elle dirige les rois et les princes, elle gouverne les affaires temporelles et les affaires spirituelles; la pieuse institution a perdu l'esprit qui l'animait primitivement; il faudra en venir à la supprimer»(22).
Vers la même époque, en France, le fameux jurisconsulte Etienne Pasquier écrivait: «Introduisez cet Ordre entre nous, vous y introduirez par même moyen un désordre, chaos et confusion.»(23) Mais n'est-ce pas l'identique grief que l'on voit s'élever en tout temps et en tous pays contre la Compagnie ? Il en fut de même en Suisse quand l'évidence de son action néfaste perça à travers les dehors flatteurs dont elle excellait à s'envelopper. «Partout où les Jésuites parvenaient à prendre pied, ils séduisaient grands et petits, jeunes et vieux. Les autorités commençaient bientôt à les consulter dans des affaires graves; puis arrivaient des donations en grand nombre, et il ne se passait pas un long temps qu'ils n'eussent occupé toutes les écoles, les chaires de presque toutes les églises, le confessionnal de tous les personnages influents et hauts placés. Confesseurs chargés de l'éducation de toutes les classes de la société, conseillers et amis intimes des membres du conseil, leur influence s'accrut tous les jours, et ils ne tardèrent pas à la faire valoir dans les affaires publiques. Lucerne et Fribourg étaient leurs centres d'opération; ils dirigeaient la politique extérieure de la plupart des cantons catholiques... «Tout plan forgé par Rome ou par d'autres puissances étrangères contre le protestantisme en Suisse, trouvait chez les Jésuites un appui assuré... «En 1620, ils parvinrent à soulever la population catholique du Veltlin contre les protestants et à en faire massacrer six cents. Le pape donna l'indulgence à tous ceux qui avaient trempé dans ces horreurs.
«En 1656, ils allumèrent la guerre civile entre les membres des diverses confessions... Plus tard, nouvelle guerre de religion, allumée par les Jésuites. «En 1712, on discutait la paix à Aarau, Lucerne et Uri venaient de l'accepter lorsque les Jésuites, sur un ordre venu de Rome, mirent tout en œuvre pont la remettre en question. Ils refusèrent l'absolution à ceux qui hésiteraient à courir aux armes. Ils proclamèrent bien haut dans les chaires que l'on n'était pas tenu au respect de la parole donnée aux hérétiques; ils mirent en suspicion les conseillers modérés, cherchèrent à les éloigner des affaires, et provoquèrent à Lucerne un soulèvement si menaçant du peuple contre le gouvernement, que l'autorité suprême se résigna à rompre la paix Les catholiques sortirent vaincus de la lutte et signèrent une paix onéreuse. «Depuis cette époque, l'influence de l'Ordre en Suisse alla en diminuant.»(24)
De nos jours, l'article 51 de la Constitution helvétique interdit à la Compagnie de Jésus toute activité culturelle ou éducative sur le territoire de la Confédération, et les efforts déployés pour faire abolir cette disposition se sont toujours soldés par un échec.
Nulle part peut-être la domination jésuitique ne s'est révélée aussi funeste qu'en Pologne. C'est ce que démontre H. Boehmer, historien pourtant fort modéré, qui ne témoigne d'aucune hostilité systématique à l'égard de la Compagnie.
«On a rendu les Jésuites entièrement responsables de l'anéantissement de la Pologne. Posée dans ces termes, l'accusation est excessive. La décadence de l'État polonais avait commencé avant qu'ils parussent en Pologne. Mais, assurément, ils ont précipité la décomposition du royaume. De tous les États, la Pologne, eu égard aux millions de chrétiens orthodoxes qu'elle comptait dans son sein, était celui à qui la tolérance religieuse s'imposait le plus évidemment, comme un des principes essentiels de sa politique intérieure. Les Jésuites ne l'ont pas permis. Ils ont fait pis: ils ont, de la manière la plus funeste, mis la politique extérieure de la Pologne au service des intérêts catholiques.»(25)
Cela, qui fut écrit à la fin du siècle dernier, est à rapprocher de ce que déclarait, après la guerre 1939-1945, le colonel Beek, ex-ministre des Affaires étrangères polonais de 1932 à 1939: «Le Vatican est un des principaux responsables de la tragédie de mon pays. J'ai réalisé trop tard que nous avions poursuivi notre politique étrangère aux seules fins de l'Église catholique.»(26)
Ainsi, à plusieurs siècles de distance, la même influence néfaste s'était à nouveau exercée sur cette malheureuse nation. Déjà, en 1581, le Père Possevino, comme légat pontifical à Moscou, mit tout en œuvre pour pousser le tzar Ivan le Terrible à se rapprocher de l'Église romaine. Ivan ne s'y montra pas formellement opposé. Plein des plus joyeuses espérances, Possevino se fit, en 1584, le médiateur de la paix de Kirewora Gora entre la Russie et la Pologne, paix qui sauva Ivan d'inextricables embarras. C'était bien ce qu'avait calculé le rusé souverain. Il ne fut plus question de la conversion des Russes. Possevino dut quitter la Russie sans avoir rien obtenu. Deux ans plus tard, une nouvelle occasion, plus favorable encore, s'offrit aux Pères, pour mettre la main sur la Russie. Grischka Ostrepjew, un moine défroqué, révéla à un Jésuite qu'il était en réalité Dimitri, le fils du tzar Ivan, qui avait été assassiné, et se déclara tout prêt à soumettre Moscou à Rome, s'il devenait le maître du trône des tzars. Sans y réfléchir davantage, les Jésuites prirent l'affaire en mains, conduisirent Ostrepjew dans la maison du palatin de Sandomir, qui lui donna sa fille en mariage, se firent les avocats de ses prétentions auprès du roi Sigismond III et du pape, et obtinrent la levée d'une armée polonaise contre le tzar Boris Godounov. En récompense de ces services, le faux Dimitri abjura, dans une maison des Jésuites à Cracovie, la religion de ses pères et promit à l'Ordre de lui accorder un établissement à Moscou, dans le voisinage du Kremlin, après sa victoire sur Boris.
«Mais ce fut justement la faveur des religieux catholiques qui déchaîna contre Dimitri la haine des Russes orthodoxes. Le 27 mai 1606, il fut massacré avec plusieurs centaines de Polonais. Jusqu'alors on pouvait à peine parler d'un sentiment national russe; mais maintenant ce sentiment se manifestait avec une force énorme, et il prenait immédiatement le caractère presque exclusif d'une haine fanatique contre l'Église romaine et contre la Pologne.
«L'alliance avec l'Autriche, que l'Ordre appuya de toutes ses forces, et la politique offensive de Sigismond III contre les Turcs, que l'Ordre s'empressa aussi d'encourager, furent presque aussi funestes pour la Pologne. En un mot, aucun État n'a subi dans son développement l'influence des Jésuites d'une manière aussi forte et aussi malheureuse que la Pologne. Et dans aucun pays, sauf le Portugal, l'Ordre n'a joui d'une situation aussi puissante. La Pologne n'a pas seulement eu un «Roi des Jésuites», elle a possédé aussi en Jean-Casimir un roi-jésuite, c'est-à-dire un souverain qui, avant son avènement (1649), appartenait à l'Ordre... «Tandis que la Pologne marchait à pas de géant vers sa ruine, le nombre des établissements et des écoles des Jésuites s'accroissait à tel point que le général créa en 1751 une assistance spéciale pour la Pologne.»(27)
«Dans les pays scandinaves, écrit M. Pierre Dominique, le luthéranisme submergeait tout et les Jésuites, au moment de leur contre-attaque, n'y avaient pas trouvé ce qu'ils avaient trouvé en Allemagne, un parti catholique déjà minoritaire, mais encore fort.»(28) Ils n'avaient donc espoir que dans la conversion du souverain Jean III Wasa, lequel inclinait secrètement au catholicisme, d'autant qu'il avait épousé en 1568 une princesse polonaise de religion romaine, Catherine. Le Père Nicolaï, en 1574, puis d'autres Jésuites furent ainsi introduits à l'école de théologie récemment fondée, et firent du prosélytisme romain tout en affectant officiellement le luthéranisme. Puis ce fut l'habile négociateur Possevino qui obtint la conversion de Jean III et la charge de l'éducation de son fils Sigismond, le futur Sigismond III, roi de Pologne. Mais quand on vint à la soumission de la Suède au Saint-Siège, les conditions posées par le roi: mariage des prêtres, communion sous les deux espèces, culte en langue vulgaire, repoussées par la Curie romaine, amenèrent la rupture des pourparlers. D'ailleurs, le roi devenu veuf, s'était remarié avec une Suédoise luthérienne. Les Jésuites durent quitter le pays.
«Cinquante ans plus tard, l'Ordre remporta encore en Suède une brillante victoire. La reine Christine, fille de Gustave-Adolphe, la dernière des Wasa, fut amenée à se convertir par deux professeurs jésuites, qui s'étaient introduits à Stockholm en se faisant passer pour des gentilshommes italiens en voyage. Mais elle dut, pour pouvoir sans obstacle accomplir ce changement de religion, abdiquer le 24 juin 1654.»(29)
En Angleterre, par contre, la situation apparaissait plus propice aux entreprises de la Compagnie, et celle-ci put espérer un temps ramener ce pays à l'obédience du Saint-Siège. «Lorsque Elisabeth monta en 1558 sur le trône, l'Irlande était encore tout entière catholique, l'Angleterre à moitié... Déjà en 1542, Salmeron et Broet avaient été envoyés par le pape pour parcourir l'Irlande.»(30)
Des séminaires avaient été créés sous la direction des Jésuites à Douai, à Pont-à-Mousson et à Rome, pour former des missionnaires anglais, irlandais et écossais. D'accord avec Philippe II d'Espagne, la Curie romaine travaillait à la chute d'Élisabeth en faveur de Marie Stuart, catholique. Un soulèvement en Irlande, provoqué par Rome, avait été écrasé. Mais les Jésuites, passés en Angleterre en 1580, participèrent à Southwark à une grande assemblée catholique. «Puis, sous divers déguisements, ils se répandirent de comté en comté, de château en château. Le soir, ils recevaient des confessions, le matin, ils prêchaient et donnaient la communion, puis ils disparaissaient aussi mystérieusement qu'ils étaient venus. Car, dès le 15 juillet, Élisabeth les avait proscrits.»(31). Ils imprimaient et répandaient secrètement des pamphlets virulents contre la reine et l'Église anglicane. L'un d'eux, le Père Campion, fut pris, condamné pour haute trahison et pendu. Ils intriguaient aussi à Edimbourg pour gagner à leur cause le roi Jacques d'Écosse. Le résultat de toute cette agitation fut l'exécution de Marie Stuart en 1587.
Vint l'expédition espagnole, l'invincible Armada, qui fit un moment trembler l'Angleterre et réalisa l'«union sacrée» autour du trône d'Élisabeth. Mais la Compagnie n'en poursuivait pas moins ses projets et ne cessait de former des prêtres anglais à Valladolid, à Séville, à Madrid, à Lisbonne, tandis que sa propagande secrète continuait en Angleterre sous la direction du Père Garnett. Celui-ci, à la suite de la Conspiration des poudres, dirigée contre Jacques 1er, successeur d'Élisabeth, fut condamné pour complicité, et pendu comme l'avait été le Père Campion.
Sous Charles 1er, puis sous la République de Cromwell, d'autres Jésuites payèrent encore leurs intrigues de leur vie. L'Ordre crut un moment triompher sous Charles Il qui, par le traité secret de Douvres, conclu avec Louis XIVe s'engageait à rétablir le catholicisme dans le pays. «La nation ne connut qu'incomplètement ces circonstances. Mais le peu qui en transpira suffit à exciter une incroyable agitation. Toute l'Angleterre frémit devant le spectre de Loyola et les complots des Jésuites.»(32) Une réunion de ceux-ci dans le palais même porta au plus haut point la fureur populaire. «Charles II, qui trouvait bonne la vie de roi et ne voulait sous aucun prétexte risquer «un nouveau voyage au-delà des mers», fit pendre cinq Pères pour haute trahison à Tyburn... «Cela ne calma pas les Jésuites... Toutefois Charles Il était trop prudent et trop cynique aussi à leur gré, toujours prêt à les lâcher. L'avènement de Jacques Il leur parut annoncer la victoire du parti d'action catholique dont ils étaient l'âme. Et, de fait, le roi reprit le jeu de Marie Tudor, mais en employant des moyens plus doux. Il prétendit convertir l'Angleterre par le truchement des Jésuites à qui il installa, dans le palais de Savoy un collège où, tout de suite, quatre cents élèves se précipitèrent. Une véritable camarilla jésuite s'installa au Palais... «Ces belles combinaisons furent en grande partie cause de la révolution de 1688. Les Jésuites avaient à remonter un courant trop fort. L'Angleterre comptait alors vingt protestants pour un catholique. Le roi fut renversé: tous les membres de la Compagnie emprisonnés ou bannis. Pour quelque temps, les Jésuites se refirent agents secrets, mais ce n'était plus là qu'une agitation inutile. Ils avaient perdu la partie.»(33)
Ce n'est qu'en 1551 que put commencer à s'établir en France cet Ordre dont la première fondation y avait été jetée, dix-sept ans plut tôt, dans la chapelle Saint-Denis à Montmartre. Certes, ils se présentaient en adversaires efficaces de la Réforme qui avait gagné un septième environ de la population française, mais le sentiment national n'en considérait pas moins avec méfiance ces soldats trop dévoués au Saint-Siège. Aussi leur pénétration se fit-elle d'abord chez nous avec une prudente lenteur. Comme dans tous les pays où l'opinion générale ne leur était pas favorable, ils s'efforcèrent d'abord de s'insinuer auprès de quelques gens de cour et, par eux, d'étendre leur crédit dans les hautes classes. Mais, à Paris, le Parlement, l'Université et le clergé même leur demeuraient hostiles. On le vit bien lors de leur première tentative pour obtenir l'ouverture d'un collège parisien. «La Faculté de théologie, qui a mission de sauvegarder en France les principes de la religion, déclara par décret du 1er décembre 1554, que «cette société, lui parait extrêmement dangereuse, en ce qui concerne la foi, qu'elle est ennemie de la paix de l'Église, funeste à l'état monastique et semble plutôt née pour la ruine que pour l'édification».(34)
Les Pères sont pourtant autorisés à s'installer dans un coin de l'Auvergne, à Billom. C'est de là qu'ils organisent une vaste prédication contre la Réforme dans les provinces du Midi. Le fameux Lainez, l'homme du Concile de Trente, se distingue dans la polémique, notamment au Colloque de Poissy, essai malheureux de conciliation des deux doctrines (1561).
Grâce à la reine-mère, Catherine de Médicis, l'Ordre ouvre son premier établissement parisien, le Collège de Clermont, qui fait concurrence à l'Université. L'opposition de celle-ci, comme du clergé lui-même et du Parlement, est plus ou moins apaisée par des concessions, au moins verbales, de la part de la Compagnie qui promet de se conformer au droit commun; mais ce n'est pas sans que l'Université ait longuement lutté contre l'introduction d'«hommes soudoyés au dépens de la France pour s'armer contre le roi et les siens», selon les termes d'Estienne Pasquier, dont un proche avenir allait vérifier la justesse. «Qu'ils (les Jésuites) aient «approuvé» la Saint-Barthélemy (1572), la question ne se pose pas. «Préparé ?» Qui peut le dire ?... La politique de la Compagnie, subtile et souple dans sa démarche, est claire dans ses buts; c'est la politique des papes: «détruire l'hérésie». Tout doit être subordonné à ce dessein majeur. «Catherine de Médicis l'a servi, et la Compagnie peut compter sur les Guise»(35).
Mais ce dessein majeur, si bien servi par le massacre de la nuit du 24 août 1572, provoque une terrible flambée de haine fratricide. Trois ans plus tard, c'est la Ligue, après l'assassinat du duc de Guise, surnommé «le roi de Paris», et l'appel à Sa Majesté Très Chrétienne pour lutter contre les protestants. «Henri III, politique dans l'âme, s'efforce d'échapper à la guerre de religion. Il s'entend avec Henri de Navarre, groupe les protestants et le gros des catholiques modérés, des catholiques d'État, si l'on préfère, contre Paris, la Ligue, ces partisans, ces Romains enragés que soutient l'Espagne... «Les Jésuites puissants dans Paris crient que le roi de France cède à l'hérésie.. Le Comité directeur de la Ligue délibère dans la maison des Jésuites de la rue Saint-Antoine. Est-ce l'Espagne qui tient Paris ? A peine. La Ligue ? La Ligue n'est qu'un instrument en des mains adroites... «Cette Compagnie de Jésus, qui, depuis trente ans, lutte au nom de Rome... voilà le maître secret de Paris». «C'est ainsi qu'Henri III est assassiné. Assurément, l'héritier est un protestant, et le meurtre apparaît donc, de ce point de vue, impolitique au premier chef, mais ne peut-on penser que ceux qui le combinèrent, qui poussèrent le jacobin Clément, spéculaient sur un soulèvement de la France catholique, contre l'héritier huguenot ? Le fait est qu'un peu plus tard le Jésuite Camelet traita Jacques Clément d'«ange», et que le Jésuite Guignard, qui par la suite devait être pendu, proposait à ses élèves, pour bien leur ouvrir l'esprit, des textes tyrannicides en diable, comme sujets de thèmes latins».(36)
On lisait entre autres choses dans ces exercices scolaires: «Jacques Clément a fait un acte méritoire inspiré par le Saint-Esprit... Si on peut guerroyer le Béarnais, qu'on le guerroye; si on ne peut le guerroyer, qu'on le fasse mourir...» Et aussi: «On a fait une grande faute à la Saint-Barthélemy, de ne point saigner la veine basilique (royale)».(37)
De fait, en 1592, un certain Barrière, qui tenta d'assassiner Henri IV, déclara avoir été poussé par le Père Varade, recteur des Jésuites de Paris. En 1594, même tentative par Jean Châtel, ex-élève des Jésuites, et qui s'était confessé à l'un d'eux avant l'attentat. C'est alors que furent saisis chez le Père Guignard les textes ci-dessus. «Le Père fut pendu en place de Grève, cependant que le roi confirmait l'édit du Parlement bannissant du royaume les fils de Loyola, comme «corrupteurs de la jeunesse, perturbateurs du repos public, et nos ennemis et de l'État et de la couronne de France...».
L'édit ne fut pourtant pas exécuté dans toute sa rigueur, et en 1603 il était rapporté par la volonté du roi, contre l'avis des Parlements. Le général des Jésuites Aquaviva avait habilement manœuvré en faisant espérer à Henri IV que l'Ordre, rétabli en France, y servirait avec loyalisme les intérêts nationaux. Comment le Béarnais, pourtant subtil, put-il croire que ces Romains fanatiques accepteraient vraiment l'Édit de Nantes (1498), qui fixait les droits des protestants en France, et, pis encore, qu'ils l'appuieraient dans ses projets contre l'Espagne et l'Empereur ? Le fait est qu'Henri IV prit pour confesseur, et de plus précepteur du Dauphin, un des membres les plus distingués de la Compagnie, le Père Cotton(38 bis). Or, le 16 mai 1610, à la veille d'entrer en campagne contre l'Autriche, il était assassiné par Ravaillac qui avoua s'être inspiré des écrits des Pères Mariana et Suarez, préconisant le meurtre des «tyrans» hérétiques ou insuffisamment dévoués aux intérêts de la papauté. Le duc d'Épernon, qui occupait le roi à lire une lettre tandis que l'assassin le guettait, était notoirement l'homme des Jésuites, et Michelet a démontré que ceux-ci connaissaient le projet d'attentat. «En effet, Ravaillac s'était confessé au Père jésuite d'Aubigny peu de temps auparavant, et quand les juges interrogèrent le prêtre, il se contenta de répondre que Dieu lui avait accordé le don d'oublier immédiatement les aveux qu'on lui faisait au confessionnal»(38).
Le Parlement, persuadé que Ravaillac n'avait été que l'instrument de la Compagnie, fit brûler le livre de Mariana par la main du bourreau. «Heureusement, Aquaviva était toujours là. Ce grand général, une fois de plus, sut manœuvrer; il condamna, dans les termes les plus sévères, la légitimité du tyrannicide. La Compagnie a toujours eu des écrivains qui, dans le silence de leur cabinet, exposent la doctrine dans toute sa rectitude, et de grands esprits politiques qui lui mettent, à l'occasion, les masques nécessaires.»(39)
Grâce à la régente, circonvenue par le Père Cotton, la Société de Jésus sortit indemne de l'orage. Sa richesse, le nombre de ses établissements et de ses adhérents ne cessaient de grandir. Mais quand Louis XIII monta sur le trône et que Richelieu prit en mains les affaires, elle se heurta à forte partie. Le cardinal n'était pas homme à permettre que l'on contrecarrât sa politique. Le Jésuite Caussin, confesseur du roi, eut lieu de s'en apercevoir quand il fut interné à Rennes, par ordre de Richelieu, comme criminel d'État. Cet acte d'énergie donna les meilleurs fruits. L'ordre courba l'échine et, pour se maintenir en France, alla jusqu'à collaborer à l'œuvre du redoutable ministre.
On lit à ce propos dans H. Boehmer: «L'absence d'égards vis-à-vis de l'Église, que le gouvernement français, depuis Philippe le Bel, a toujours montrée dans les conflits entre les intérêts nationaux et les intérêts ecclésiastiques, avait été, cette fois encore, pour la France, la meilleure des politiques.»(40) Avec l'avènement de Louis XIV, allait commencer pour l'Ordre, en France, le temps de sa plus grande prospérité. Le «laxisme» des confesseurs jésuites, cette habile indulgence dont ils usaient par système pour attirer à eux les pécheurs peu soucieux de faire pénitence, trouvait à s'employer tant à la ville qu'à la Cour, et notamment auprès du roi, dévot, certes, mais plus encore galant. Sa Majesté entendait ne point renoncer à ses liaisons amoureuses, et son directeur de conscience se gardait bien d'exiger qu'il les sacrifiât, nonobstant l'adultère. Aussi, toute la famille royale fut-elle bientôt pourvue de confesseurs jésuites, tandis que le crédit de ceux-ci ne cessait de s'étendre dans la bonne société. En vain, les curés de Paris attaquaient-ils dans leurs «Écrits» la morale relâchée des casuistes de la célèbre Compagnie. En vain, le grand Pascal intervenait-il, en faveur des Jansénistes, dans la grande querelle théologique de l'époque, et vouait-il, par les «Lettres provinciales», leurs adversaires trop mondains à un éternel ridicule.
En dépit des rieurs, la Compagnie était trop bien en Cour pour que la victoire ne lui restât pas, en fin de compte. Ce furent les Messieurs de Port-Royal qui succombèrent. Mais l'Ordre allait remporter encore un autre succès pour Rome, et par voie de conséquence, contre l'intérêt national. Il va sans dire qu'il n'avait supporté qu'à contre-cœur la pacification religieuse assurée par l'Édit de Nantes, et avait continué de mener une guerre sourde contre les réformés français. Le Roi-Soleil vieillissant tournait de plus en plus à la bigoterie sous l'influence de Mme de Maintenon et du Père La Chaise, son confesseur. Dès 1681, il se laissa persuader de reprendre la persécution contre les protestants. Enfin, le 17 octobre 1685, il signait la révocation de l'Édit de Nantes, mettant ainsi hors la loi ceux de ses sujets qui refuseraient de revenir à la religion catholique. Bientôt, pour accélérer les conversions, on en vint à ces fameuses «dragonnades» qui ont laissé leur nom sinistre, depuis lors, à toutes les tentatives d'apostolat par le fer et le feu. Tandis que les fanatiques applaudissaient, les protestants fuyaient en masse le royaume. Selon le maréchal Vauban, la France perdit ainsi 400,000 habitants et 60 millions de francs. Industriels, négociants, armateurs, habiles artisans, passaient à l'étranger et lui apportaient le concours de leurs capacités.
«Le 17 octobre 1685 fut pour les Jésuites un jour de victoire, la récompense finale pour cent vingt-cinq ans d'une guerre sans répit. Mais c'est l'État qui a payé les frais de la victoire des Jésuites. «La dépopulation, la diminution de la prospérité nationale, telles furent les conséquences matérielles fort sensibles de leur triomphe, et ensuite un appauvrissement spirituel auquel la meilleure école des Jésuites ne pouvait remédier. Voilà ce que la France a subi et a plus tard fait chèrement payer à la Société de Jésus.»(41)
Sans doute, au siècle suivant, les fils de Loyola devaient voir, non seulement la France, mais toutes les nations européennes, les rejeter violemment de leur sein - mais ce fut, une fois encore, seulement pour un temps,, et ces fanatiques janissaires de la papauté n'avaient pas fini d'accumuler les ruines, dans la poursuite de leur impossible idéal.
La conversion des «païens» avait été le premier but que s'assigna le fondateur de l'Ordre de Jésus, et bien que la nécessité de combattre le protestantisme en Europe ait engagé de plus en plus ses disciples dans l'action politico-religieuse dont nous avons donné ci-dessus un court aperçu, ils n'en poursuivirent pas moins, dans les contrées lointaines, leur mission évangélisatrice.
Leur idéal théocratique: soumettre le monde à l'autorité du Saint-Siège, exigeait, d'ailleurs, qu'ils se lançassent à la conquête des âmes dans toutes les régions du globe. François-Xavier, un des compagnons de la première heure d'Ignace, et que l'Église a canonisé comme lui, fut le grand promoteur de l'évangélisation en Asie. Débarqué à Goa en 1542, il y trouva bien un évêque, une cathédrale et un couvent de Franciscains, lesquels, avec les prêtres portugais, s'étaient efforcés déjà de répandre autour d'eux la religion du Christ, mais il lui appartint de donner à cette tentative une impulsion si forte qu'il fut à bon droit surnommé l'«apôtre des Indes». A vrai dire, il faut voir en lui un pionnier, un «excitateur», comme on l'a dit justement, plutôt qu'un réalisateur. Ardent, enthousiaste, toujours en quête de nouveaux champs d'action, il montra la voie bien plus qu'il ne défricha le terrain. Dans le royaume de Travancore, à Malacca, aux îles de Banda, de Macassar et de Ceylan, son charme personnel, l'éloquence de sa parole firent merveille et amenèrent la conversion de 70.000 «idolâtres», dit-on, surtout parmi les parias. Il est vrai qu'il ne dédaignait pas de recourir, à cet effet, à l'appui politique et même militaire des Portugais. Ces résultats, plus brillants que solides, étaient du moins propres à éveiller en Europe l'intérêt pour les missions, en même temps qu'à jeter un grand lustre sur la Société de Jésus.
Mais l'infatigable et peu persévérant apôtre abandonnait bientôt les Indes pour le Japon, puis pour la Chine, où il allait pénétrer, quand il mourut à Canton, en 1552. Son successeur aux Indes, Robert de Nobile, appliqua dans ce pays la méthode qui réussissait si bien aux Jésuites en divers pays d'Europe. C'est aux hautes classes qu'il s'adresse. Aux «intouchables», il ne tend l'hostie qu'au bout d'un bâton. Il adopte les vêtements, les usages et le train de vie des Brahmanes, mélange les rites malabares et les rites chrétiens, avec l'approbation du pape Grégoire XV. Grâce à cette équivoque, il «convertit», dit-il, 250.000 Hindous. Mais, «un siècle environ après sa mort, lorsque le pape Benoît XIV, intransigeant, interdit l'observance des rites malabares, tout s'écroule, et les 250.000 pseudo-catholiques disparurent».(1)
Dans le nord des Indes, chez le Grand Mogol Akbar, esprit fort tolérant et qui tenta même de faire prévaloir dans ses États un syncrétisme religieux, les Jésuites sont autorisés à fonder un établissement à Lahore, en 1575. Les successeurs d'Akbar leur accordent la même faveur. Mais Aureng-Zeb (1666-1707), musulman orthodoxe, met un point final à l'aventure.
En 1549, Xavier s'embarque pour le Japon avec deux compagnons et un Japonais, Yagiro, qu'il avait converti à Malacca. Les débuts sont peu prometteurs. «Les Japonais ont leur conscience, leur quant à soi; et leur antiquité les installe confortablement dans le paganisme. Les adultes regardent avec amusement les étrangers et les enfants les poursuivent de leurs railleries».(2)
Yagiro, qui est du pays, a réussi à fonder une petite communauté de cent fidèles. Mais François Xavier, qui parle assez mal le japonais, n'obtient même pas l'audience demandée au Mikado. Quand il quitte le pays, il laisse derrière lui deux Pères qui obtiendront la conversion des daïmos d'Arima et de Bungo. Celui-ci, quand il se décida, en 1578, le fit après 27 ans de réflexion. L'année suivante, les Pères sont installés à Nagasaki. Ils prétendent avoir converti 100.000 Japonais. Mais en 1587, la situation intérieure du pays, déchiré par les guerres de clans, change du tout au tout. «Les Jésuites avaient tiré grand profit de cette anarchie et de leurs étroites relations avec les commerçants portugais.»(3) Or Hideyoshi, homme de basse extraction, a usurpé le pouvoir, avec le titre de Taikosama. Il prend ombrage de l'influence politique des Jésuites, associés aux Portugais, de leurs liaisons avec les turbulents grands vassaux, les Samouraïs.
La jeune Église japonaise est, en conséquence, violemment persécutée. Six Franciscains et trois Jésuites sont mis en croix, de nombreux convertis suppliciés. L'Ordre est banni. Toutefois, le décret n'est pas exécuté. Les Jésuites continuent leur apostolat en secret. Mais, en 1614, le premier Shogun, Tokugawa Yagasu, s'inquiète de leur action occulte, et la persécution reprend. D'ailleurs, les Hollandais ont remplacé les Portugais dans les comptoirs de commerce, où ils sont, par ordre du gouvernement, étroitement confinés. Une profonde défiance des étrangers, ecclésiastiques ou laïcs, inspire désormais la conduite des dirigeants, et, en 1638, une révolte des chrétiens de Nagasaki est noyée dans le sang. L'épopée jésuite au Japon est terminée pour longtemps.
On peut lire dans le remarquable ouvrage «Science et religion», de Lord Bertrand Russell, un savoureux passage sur François Xavier thaumaturge: «Ses compagnons et lui-même écrivirent beaucoup de longues lettres, qui ont été conservées, et où ils rendent compte de leurs labeurs, mais aucune de ces lettres écrites de son vivant ne contient la moindre prétention à des pouvoirs miraculeux. Joseph Acosta, ce même Jésuite qui était si embarrassé par les animaux du Pérou, affirme expressément que ces missionnaires ne furent pas aidés par des miracles dans leurs efforts pour convertir les païens. Mais, peu après la mort de Xavier, des histoires de miracles se mirent à fleurir. On raconta qu'il avait le don des langues, bien que ses lettres soient remplies d'allusions aux difficultés de la langue japonaise et à la rareté des bons interprètes. «On raconta qu'une fois, ses compagnons ayant eu soif en mer, il avait transformé l'eau salée en eau douce. Quand il avait laissé tomber un crucifix à la mer, un crabe le lui avait rapporté. Selon une version plus tardive, il avait jeté le crucifix par-dessus bord pour apaiser une tempête. En 1622, quand il fut canonisé, il fallut prouver, à la satisfaction des autorités du Vatican, qu'il avait accompli des miracles, car, sans une telle preuve, nul ne peut devenir un saint. Le pape donna sa garantie officielle au don des langues, et fut particulièrement impressionné par le fait que Xavier avait fait brûler les lampes avec de l'eau bénite au lieu d'huile. C'est ce même pape, Urbain VIII, qui refusait de croire aux dires de Galilée. La légende continua à s'embellir: une biographie, publiée en 1682 par le Père Bonhours, nous apprend que le saint, au cours de son existence, avait ressuscité quatorze personnes. «Les écrivains catholiques lui attribuent toujours le don des miracles: c'est ainsi que le Père Coleridge, de la Société de Jésus, réaffirme le don des langues dans une biographie publiée en 1872.»(4)
A en juger par les exploits ci-dessus rapportés, saint François Xavier a bien mérité l'auréole. Les fils de Loyola devaient jouir en Chine d'une longue faveur, entrecoupée de quelques expulsions, mais c'est surtout en tant que savants qu'ils l'obtinrent, et non sans devoir se plier aux rites millénaires de cette antique civilisation. «Ce fut une question de météorologie. François Xavier avait déjà constaté que les Japonais ignoraient la rondeur de la terre et s'intéressaient vivement à ce qu'il leur apprenait sur ce sujet et d'autres de même nature. «En Chine, cela prit un caractère tout à fait officiel, et les Chinois n'étant pas fanatiques, les choses se déroulèrent d'abord pacifiquement. «Un Italien, le Père Ricci, est l'initiateur de l'affaire. S'étant introduit à Pékin, il se pose en astronome auprès des savants chinois... L'astronomie et les mathématiques jouaient un grand rôle dans les institutions chinoises. Ces sciences permettaient au Souverain de dater les solennités saisonnières ou civiques... Ricci apporte des lumières qui le rendent indispensable, et il en profite pour parler de christianisme... Il fait venir deux Pères qui corrigent le calendrier traditionnel, établissant une concordance entre la marche des astres et les événements terrestres. Ricci rend aussi de menus services, comme de dresser une carte murale de l'Empire, où il a soin de placer la Chine au centre de l'univers...»(5)
Voilà qui caractérise fort bien la situation des Jésuites dans le Céleste Empire, car, sur le plan religieux, ils y trouvèrent infiniment moins d'audience. Mais il est piquant de penser qu'à Pékin les Pères s'occupaient à rectifier les erreurs astronomiques des Chinois, alors qu'à Rome le Saint-Office persistait jusqu'en l'an 1822 dans sa condamnation du système de Copernic !
Malgré le peu d'inclination au mysticisme de la race chinoise, une première église catholique s'ouvre à Pékin en 1599. Lorsque Ricci meurt, il est remplacé par un autre Père astronome, l'Allemand Shall von Bell, qui publiera en langue chinoise de remarquables traités et recevra en 1644 le titre de président du Tribunal mathématique, ce qui ne laissera pas de susciter des jalousies parmi les mandarins. Cependant, les communautés chrétiennes s'organisent. En 1617, l'empereur commence sans doute à entrevoir le danger de cette pénétration pacifique, car un édit de sa main bannit tous les étrangers. Les bons Pères sont expédiés aux Portugais de Macao dans des cages de bois. Mais, peu après, on les rappelle. Ils sont si bons astronomes !
En fait, ils ne sont pas moins bons missionnaires: ils ont 41 résidences en Chine, avec 159 églises et 257.000 baptisés. Nouvelle réaction: les Jésuites sont à nouveau bannis et le Père Shall condamné à mort. Sans doute n'avait-il pas encouru cette sentence pour ses seuls travaux mathématiques ! Un tremblement de terre et l'incendie du palais impérial, habilement présentés comme une marque de courroux du ciel, sauvent la vie au condamné, qui meurt paisiblement deux ans plus tard. Mais ses compagnons doivent quitter la Chine. «Le crédit des Jésuites était, malgré tout, si bien établi, leur parti si fort, que l'empereur Kang-Hi se sentit obligé, dès 1669, de les rappeler, et d'ordonner que des funérailles solennelles seraient accordées aux restes de Iam Io Vam (Jean-Adam Shall). Ces honneurs inaccoutumés ne furent d'ailleurs que le prélude de toute une série de faveurs exceptionnelles.»(6)
Un Père belge, Verbiest, a pris la suite de Shall, à la tête des missions - et aussi de l'Institut mathématique impérial. C'est lui qui procure à l'Observatoire de Pékin ces fameux instruments dont la rigueur mathématique se dissimule sous l'enroulement des chimères et des dragons. Kang-Hi, «despote éclairé», qui règne 61 ans, apprécie fort les services de ce savant qui le conseille utilement, l'accompagne à la guerre et dirige même une fonderie de canons. Mais cette activité profane et belliqueuse est toute dirigée «ad majorem Dei gloriam», comme le bon Père croit devoir le rappeler, avant de mourir, dans un billet adressé à l'empereur: «Sire, je meurs content puisque j'ai employé presque tous les moments de ma vie au service de Votre Majesté. Mais je la prie très humblement de se souvenir après ma mort qu'en tout ce que j'ai fait, je n'ai eu en vue que de procurer, en la personne du plus grand roi de l'Orient, un protecteur à la plus sainte religion de l'univers.»(7)
Cependant, en Chine comme au Malabar, cette religion ne pouvait subsister sans quelque artifice. Les Jésuites avaient dû «enchinoiser» la doctrine romaine, identifier Dieu avec le ciel (Tien) ou le Chong-Ti (Empereur d'en-haut), amalgamer les rites catholiques et les rites chinois, admettre les enseignements confucianistes, le culte des ancêtres, etc.
Le pape Clément XI, alerté par les Ordres rivaux, condamne ce «laxisme» doctrinal. C'est, du même coup, toute l'œuvre missionnaire des Jésuites dans le Céleste Empire, qui s'effondre. Les successeurs de Kang-Hi proscrivent le christianisme, et les derniers Pères restés en Chine y meurent sans être remplacés.
2. LES AMÉRIQUES: L'ÉTAT JÉSUITE DU PARAGUAY Les missionnaires de la Société de Jésus trouvèrent dans le Nouveau Monde un terrain beaucoup plus favorable que l'Asie à leurs efforts prosélytiques. Là, point de vieilles et savantes civilisations, point de religions solidement établies ni de traditions philosophiques, mais de pauvres peuplades barbares aussi désarmées au spirituel qu'au temporel devant les conquérants de race blanche. Seuls, le Mexique et le Pérou, avec les souvenirs encore vivants des dieux aztèques et incas, résistèrent assez longtemps à la religion importée. Au surplus, Dominicains et Franciscains y occupaient des positions solides. Ce fut donc surtout auprès des tribus sauvages, des nomades chasseurs et pêcheurs, que s'exerça la dévorante activité des fils de Loyola, et les résultats obtenus furent fort différents, suivant le caractère plus ou moins farouche des diverses populations.
Au Canada, les Hurons, doux et paisibles, se laissent facilement catéchiser, mais leurs ennemis, les Iroquois, attaquent les stations créées autour du fort Sainte-Marie, et massacrent les habitants. Les Hurons sont à peu près exterminés dans l'espace de dix ans, et les Jésuites sont contraints d'abandonner le terrain avec quelque trois cents survivants, en 1649.
Leur passage dans les territoires qui forment aujourd'hui les États-Unis, ne laissa pas grande trace, et ils ne devaient commencer à y prendre pied qu'au XIXe siècle.
En Amérique du Sud, l'action des Jésuites connut aussi des fortunes diverses. Le Portugal les avait appelés en 1546 dans ses possessions du Brésil et ils y travaillèrent utilement à la conversion des indigènes, non sans de multiples conflits avec l'autorité civile et les autres Ordres religieux. Il en fut de même à la Nouvelle Grenade.
Mais c'est au Paraguay que se plaça la grande «expérience» de colonisation jésuitique, dans un pays qui s'étendait alors de l'Atlantique aux abords de la Cordillère des Andes et comprenait des territoires appartenant aujourd'hui au Brésil, à l'Uruguay et à la République Argentine. Les seules voies d'accès en étaient, à travers la forêt vierge, les fleuves Paraguay et Parana. Quant à la population, elle se composait de tribus guaranies, c'est-à-dire d'Indiens nomades mais de caractère docile, prêts à se plier à toute domination pourvu qu'elle leur assurât une nourriture assez abondante et un peu de tabac.
Les Jésuites ne pouvaient trouver meilleures conditions pour tenter d'établir, loin de la corruption des blancs et des métis, une colonie «modèle», une Cité de Dieu selon leur cœur. Dès le début du XVIIe siècle, le Paraguay est érigé en Province par le général de l'Ordre, qui a obtenu toute autorité de la Cour d'Espagne, et «l'État jésuite» se développe et fructifie.
Dans les «réductions» où ces bons sauvages sont attirés par les Pères, puis dûment catéchisés et dressés à la vie sédentaire, règne une discipline aussi douce que ferme, la «main de fer dans le gant de velours». Ces sociétés patriarcales ignorent résolument la liberté, sous quelque forme que ce soit. «Tout ce que le «chrétien» possède et emploie, la cabane qu'il habite, les champs qu'il cultive, le bétail qui lui fournit la nourriture et les vêtements, les armes qu'il porte, les instruments dont il se sert pour son travail, même l'unique couteau de table que chaque jeune couple reçoit au moment où il se met en ménage, est «Tupambac»: propriété de Dieu. D'après la même conception, le «chrétien» ne peut disposer librement, ni de son temps, ni de sa personne. Ce n'est que comme nourrisson qu'il reste sous la protection de sa mère. Mais à peine peut-il marcher qu'il tombe sous la coupe des Pères et de leurs agents... Quand l'enfant a grandi, il apprend, s'il est une fille, à filer et à tisser, s'il est un garçon, à lire et à écrire, mais seulement en guarani. Car, pour empêcher tout commerce avec les créoles corrompus, l'espagnol est sévèrement interdit dans les «réductions»... Aussitôt qu'une jeune fille atteint quatorze ans, un garçon seize, les Pères se hâtent de les marier, par crainte de les voir tomber dans quelque péché charnel... Aucun d'eux ne peut devenir prêtre ni moine, encore moins Jésuite... Il ne leur est laissé pratiquement aucune liberté. Mais ils se trouvent manifestement très heureux au point de vue matériel... Le matin, après la messe, chaque escouade de travailleurs se rend aux champs par files régulières, tout en chantant, et précédée d'une image sainte; le soir, on revient dans le même ordre au Village, pour le catéchisme ou la récitation du rosaire. Il va de soi que les Pères ont aussi pensé à des amusements honnêtes et à des distractions pour les «chrétiens»... «Les Jésuites veillent sur eux comme des pères et comme des pères aussi, ils châtient les moindres fautes... Le fouet, le jeûne, la prison, l'exposition au pilori sur la place publique, les pénitences publiques dans l'église, tels sont les seuls châtiments... Aussi les rouges enfants du Paraguay ne connaissent-ils d'autre autorité que celle de leurs bons Pères. C'est tout au plus s'ils ont un vague soupçon de la souveraineté du roi d'Espagne.»(8)
N'est-ce pas le tableau - à peine caricatural - de la société théocratique idéale ? Mais voyons ce qu'il en résultait pour l'avancement intellectuel et moral des bénéficiaires du système, ces «pauvres innocents», comme les qualifiait le marquis de Loreto: «La haute culture des missions n'est au fond qu'un produit artificiel de serre chaude, qui porte en lui-même un germe de mort. Car, en dépit de tout ce dressage, le Guarani est resté au fond ce qu'il était: un sauvage paresseux, borné, sensuel, goulu et sordide. Il ne travaille, comme les Pères eux-mêmes l'affirment, qu'autant qu'il sent derrière lui l'aiguillon du surveillant. Dès qu'on l'abandonne à lui-même, il laisse avec indifférence les moissons pourrir sur le champ, le matériel se dégrader, les troupeaux se disperser; il lui arrive même, si on ne le surveille pas quand il est aux champs, de dételer tout à coup un bœuf pour l'égorger, de faire du feu avec le bois de la charrue, et de se mettre à manger avec ses compagnons de la viande à moitié crue, jusqu'à ce, qu'il n'en reste plus; car il sait bien qu'il recevra pour sa peine 25 coups de fouet, mais il sait aussi que les bons Pères ne le laisseraient dans aucun cas mourir de faim.»(9)
On peut lire, dans un ouvrage récent consacré à l'apologie des «réductions» jésuites: «Le coupable, revêtu d'un habit de pénitent, était conduit à l'église où il avouait sa faute. Il était ensuite fustigé sur la place, selon le tarif du code pénal... Les coupables reçoivent toujours cette correction non seulement sans murmurer, mais encore avec action de grâces... «Le coupable puni et réconcilié baisait la main qui l'avait frappé en disant: «Dieu vous récompense de m'avoir soustrait par cette punition légère aux peines éternelles dont j'étais menace»(10).
On comprend, dans ces conditions, la conclusion de M. H. Boehmer: «La vie morale du Guarani ne s'est enrichie, sous la discipline des Pères, que d'un petit nombre d'acquisitions nouvelles, mais qui produisent ici une impression plutôt étrange. Il est devenu un catholique dévot et superstitieux, qui voit partout des miracles et trouve une sorte de jouissance à se flageller jusqu'au sang; il a appris à obéir, et il est attaché aux bons Pères qui veillent si soigneusement à son bien-être, par une reconnaissance filiale qui, sans être très profonde, est pourtant très tenace. Ce résultat, qui n'est assurément pas très brillant, prouve suffisamment qu'il y a quelque défaut grave dans la méthode d'éducation des Pères. Quel est-ce défaut ? Évidemment de n'avoir jamais pris soin de développer chez leurs rouges enfants les facultés inventives, le besoin d'activité, le sentiment de la responsabilité; c'étaient eux-mêmes qui faisaient pour leurs chrétiens des frais d'invention de jeux et de danses, qui pensaient pour eux, au lieu de les amener à penser par eux-mêmes; ils se contentaient de soumettre ceux qui étaient confiés à leurs soins à un dressage mécanique, au lieu de faire leur éducation.»(11)
Mais comment en eût-il pu être autrement, de la part de ces religieux formés eux-mêmes par un «dressage» de quatorze années ? Allaient-ils enseigner aux Guaranis - comme, aussi, à leurs élèves à peau blanche - à «penser par eux-mêmes», alors qu'ils doivent, eux, s'en garder absolument ? Ce n'est pas un Jésuite de jadis, mais bien d'aujourd'hui qui écrit: «Il (le Jésuite) n'oubliera pas que la vertu caractéristique de la Compagnie est l'obéissance totale, d'action, de volonté et même de jugement... Tous les supérieurs seront liés de la même façon aux supérieurs majeurs et le Père Général au Saint-Père... Ces dispositions prises afin de rendre universellement efficace l'autorité du Saint-Siège, saint Ignace était sûr que, par l'enseignement et l'éducation, il ramènerait désormais à l'unité catholique L'Europe déchirée. C'est dans l'espoir de «réformer le monde, écrit le Père Bonhours, qu'il «embrassa particulièrement ce moyen, l'instruction de la jeunesse..»(12)
L'éducation des Peaux-Rouges du Paraguay s'inspirait des mêmes principes que les Pères ont appliqués, appliquent et appliqueront à tous et en tous lieux, en vue d'un résultat que M. Boehmer déplore, mais qui n'en est pas moins idéal, à des yeux fanatiques: le renoncement à tout jugement personnel, à toute initiative, la soumission aveugle aux supérieurs. N'est-ce pas là, pour le R.P. Rouquette, que nous avons cité plus haut: «le sommet de la liberté», «la libération de l'esclavage de nous-mêmes» ?
De fait, les bons Guaranis avaient été si bien «libérés», durant plus de cent cinquante ans, par la méthode jésuitique, qu'après le départ de leurs maîtres, au XVIIIe siècle, ils rentrèrent dans leurs forêts et y reprirent les us et coutumes de leur race, comme s'il ne s'était rien passé.
LES JÉSUITES DANS LA SOCIÉTÉ EUROPÉENNE 1. L'ENSEIGNEMENT DES JÉSUITES Comme l'écrit le R.P. Charmot, s.j. «... la méthode pédagogique de la Compagnie consiste tout d'abord à envelopper les élèves d'un grand réseau de prières ...» Plus loin, il cite le Père jésuite Tacchini: «Que le Saint-Esprit les remplisse ainsi que de purs albâtres de ses aromates; qu'il les pénètre tellement que d'âge en âge ils respirent de plus en plus la suavité céleste et le parfum du Christ !» Le père Gandier se voit mis à contribution, lui aussi: «N'oublions pas que l'éducation, telle que l'entend la Compagnie, est le ministère qui semble se rapprocher le plus de celui des anges»(1). Plus loin le Père Charmot dit encore «Qu'on ne s'inquiète donc pas de savoir où et comment se fait l'insertion de la mystique dans l'éducation !... Elle se fait non par système, par technique artificielle, mais par infiltration, par endosmose. L'âme des enfants en est imprégnée à cause de leur familiarité de vie avec les maîtres qui en sont comme saturés».(2)
Voici quel est, d'après le même auteur, «le but du professeur jésuite»: «Il vise à former, par son enseignement, non une élite intellectuelle qui, par ailleurs, serait chrétienne, mais des chrétiens d'élite».(3) Nous sommes donc par ces quelques citations, suffisamment instruits du principal objet que se proposent ces éducateurs. Voyons maintenant comment ils travaillent à former cette élite chrétienne, de quelle sorte de mystique ils opèrent l'«insertion» (ou l'inoculation), l'«infiltration», l'«endosmose», chez les enfants soumis à leur système éducatif.
Au tout premier rang - c'est une caractéristique de l'ordre - on trouve la mariologie.. «Loyola s'était fait le chevalier servant de la Vierge. Le culte de Marie formait le fond de ses dévotions religieuses et fut légué par lui à son Ordre. Ce culte fut développé au point que l'on a prétendu souvent et non sans raison qu'il était la vraie religion des Jésuites».(4)
Cela n'a pas été écrit par un protestant, mais par J. Huber, professeur de théologie catholique. Loyola lui-même était convaincu qu'il avait rédigé ses «Exercices» sous l'inspiration de la Vierge. Un Jésuite avait eu la vision de Marie couvrant la Société de son manteau, en signe de sa protection spéciale. Un autre, Rodrigue de Gois, fut tellement transporté à la vue de son inexprimable beauté, qu'on le vit planant dans les airs. Un novice de l'Ordre, qui mourut à Rome en 1581, fut soutenu par la Vierge dans sa lutte contre les tentations du diable; pour le fortifier, elle lui donnait à goûter de temps en temps le sang de son fils et «la douceur de ses propres seins».(5) En fait, les saints seins de la Vierge étaient grandement vénérées par les jésuites. Aucun besoin de se demander pourquoi, puisqu'ils étaient interdit d'avoir des relations avec des femmes, ce qui est naturel à l'homme normal sain d'esprit. On ne serait pas étonné d'apprendre qu'ils se masturbaient sur des images de la Vierge.
La doctrine de Duns Scot sur la Conception Immaculée fut adoptée avec enthousiasme par l'Ordre, qui réussit à la faire ériger en dogme par Pie IX en 1854. «Erasme nous a fait la peinture satirique du culte de Marie de son temps. Au quatrième siècle on avait inventé la fable de la maison de Lorette, apportée par les anges des terres lointaines de la Palestine: les Jésuites accueillirent et défendirent la légende. Canisius alla même jusqu'à produire des lettres de Marie. C'est à l'Ordre de Jésus que l'on doit d'avoir vu de grandes richesses affluer à Lorette (comme à Lourdes, Fatima, etc ... ). Les Jésuites produisirent toutes espèces de reliques de la Mère de Dieu. Lorsqu'ils firent leur entrée à l'église Saint-Michel de Munich, ils offriraient à la vénération des fidèles des morceaux du voile de Marie, plusieurs touffes de ses cheveux et des morceaux de son peigne; ils instituèrent un culte spécial consacré à ces objets...» «Ce culte dégénéra en manifestations licencieuses et sensuelles, par exemple dans les cantiques dédiés par le Père Jacques Pontanus à la Vierge. Le poète ne connaît rien de plus beau que les seins de Marie, rien de plus doux que son lait, rien de plus excellent que son bas-ventre»(6) On pourrait multiplier à l'infini de telles citations.
Ignace avait voulu que ses disciples eussent une piété «sensible», ou même sensuelle, comme la sienne. On voit qu'ils n'y manquèrent pas. Aussi, ne faut-il pas s'étonner qu'ils aient si bien réussi auprès des Guaranis, auxquels ce fétichisme érotique devait parfaitement convenir. Mais les Pères ont toujours pensé qu'il convenait aussi bien aux «visages pâles». Dans le profond mépris de la personne, qui est le fond de leur doctrine, l'Européen ou le Peau-Rouge c'est tout un. Il s'agit de les maintenir, l'un et l'autre, dans un pareil infantilisme. On les voit donc travailler sans relâche à la propagation de cet esprit et de ces pratiques idolâtres, et par l'ascendant qu'ils exercent sur le Saint-Siège, qui ne saurait se passer d'eux, ils les imposent dans l'Église romaine, contre toutes les résistances, celles-ci de plus en plus faibles, d'ailleurs.
Le Père Barri a écrit un ouvrage intitulé: «Le Paradis ouvert à Philagie par cent dévotions à la Mère de Dieu». Il y développe cette idée que la façon d'entrer au paradis importe peu: l'essentiel c'est d'y entrer. Il énumère une série d'exercices de piété extérieurs consacrés à Marie et qui ouvrent les portes du ciel. Ces exercices consistent, entre autres, à donner à Marie le salut du matin et le salut du soir; à charger fréquemment les anges de saluer Marie; à lui exprimer le désir de lui élever plus d'églises que n'en ont bâti tous les monarques ensemble; à porter nuit et jour un rosaire sous forme de bracelet, ou l'image de Marie, etc... Ces pratiques suffisent à nous assurer le salut, et si le diable, à l'heure de notre mort, élevait des prétentions sur notre âme, on se bornerait à lui faire observer que Marie répond de nous et qu'il aurait à s'arranger avec elle».(7): Le Père Pemble, dans sa «Pietas quotidiana erga S.D. Mariam», fait les recommandations suivantes: «Se donner des soufflets ou se flageller, et faire offrir les coups en sacrifice à Dieu, par Marie; inscrire avec le couteau le saint nom de Marie sur la poitrine; se couvrir honnêtement la nuit afin que les chastes regards de Marie ne soient pas offensés; dire à la Vierge que vous seriez disposé à lui offrir votre «place au ciel, si elle n'avait pas la sienne; souhaiter de n'être pas né oui d'aller en enfer au cas où Marie ne serait pas née; ne pas manger de pomme, parce que Marie est restée préservée de la faute d'en «goûter»(8).
Cela était écrit en 1764, mais il suffit de parcourir les innombrables ouvrages similaires édités aujourd'hui, ou seulement la presse catholique, pour constater que, depuis deux cents ans, cette extravagante idolâtrie n'a fait que croître et embellir. Le défunt pape Pie XII fut un distingué mariolâtre. Sous sa baguette une grande partie de l'Église romaine s'empressa de faire chorus. Au surplus, les fils de Loyola, toujours soucieux de se conformer au goût du siècle, s'efforcent aujourd'hui d'accommoder ces puérilités médiévales à la sauce pédante. Ainsi peut-on feuilleter tel ou tel traité «mariologique», publié par quelque bon Père sous la haute caution du Centre National de la Recherche Scientifique (C.N.R.S.).
Ajoutons à cela les scapulaires de couleurs diverses, avec leurs vertus adéquates, le culte des saints, des images, des reliques, l'apologie des «miracles», l'adoration du Sacré-Cœur, et l'on aura quelque idée de la «mystique» dont «l'âme des enfants est imprégnée», an contact de leurs maîtres «qui en sont comme saturés» -- ainsi que l'écrit le R. P. Charmot en 1943. Ce n'est pas autrement que l'on forme des «chrétiens d'élite».
Cependant, pour lutter avec avantage contre les Universités, les collèges de Jésuites furent bien contraints de développer l'enseignement des matières profanes et de donner satisfaction à la soif de savoir éveillée par la Renaissance. On sait qu'ils s'y appliquèrent avec bonheur, non sans prendre toutes les précautions nécessaires pour que ce savoir ne tournât pas contre le but même de leur enseignement: le maintien des esprits dans l'obéissance envers l'Église. De là, ce «grand réseau de prières» dont leurs élèves sont tout d'abord «enveloppés». Mais il serait insuffisant si la culture qu'on leur départit n'était soigneusement expurgée de tout esprit hétérodoxe. Ainsi, le grec et le latin, ce dernier surtout fort en honneur dans ces collèges, seront bien cultivés pour leur valeur littéraire, mais on n'exposera quelque peu la pensée antique qu'afin d'établir la prétendue supériorité de la philosophie scolastique. Ces «humanistes», que l'on se propose de former, sauront composer des discours et des vers latins, mais ils n'auront pour maître à penser que saint Thomas d'Aquin, un moine du XIIIe siècle !
Écoutons la «Ratio Studiorum», traité fondamental de la pédagogie des Jésuites, citée par le R.P. Charmot: «On prendra soin d'écarter les sujets profanes et «qui ne favorisent pas les bonnes mœurs ou la piété, «on composera des poésies; mais que nos poètes soient chrétiens et ne suivent pas les païens dans «l'invocation des Muses, des Oréades, des Néréïdes, de Calliope, d'Apollon, etc.... ou autres dieux et déesses. Bien plus, qu'on ne les nomme pas, si ce n'est pour s'en moquer, puisqu'en fin de compte ce sont des démons...»(9).
Il va de soi que les sciences - surtout les sciences naturelles - seront pareillement «interprétées». Au reste, le R.P. Charmot ne nous le cache pas quand il dit, en 1943, du professeur jésuite: «Il enseigne les sciences non pour elles-mêmes «mais seulement en vue de procurer la plus grande «gloire de Dieu. C'est la règle posée par saint Ignace «dans ses Constitutions»(10). Et encore: «Par culture intégrale, nous n'entendons pas l'enseignement de toute matière et de toute science, mais un enseignement littéraire et scientifique qui ne soit pas purement profane, imperméable aux lumières de la Révélation».(11)
L'instruction dispensée par les Jésuites devait donc être fatalement plus brillante que profonde, «formaliste», comme on l'a dit souvent. «Ils ne croyaient pas à la liberté, ce fut là leur malheur dans le domaine de l'enseignement» écrit H. Boehmer. «La vérité est que les mérites relatifs de l'enseignement des Jésuites devaient diminuer à mesure que la science, les méthodes d'éducation et d'instruction faisaient des progrès et se développaient sur la base d'une idée plus large et plus profonde de l'Humanité. Buckle l'a dit avec raison: «Plus la civilisation avançait, plus les Jésuites perdaient du terrain, non pas tant à cause de leur propre décadence que par suite des modifications survenues dans l'esprit de leur entourage... Au seizième siècle les Jésuites étaient en avance, au dix-huitième siècle ils étaient en arrière sur leur temps».(12)
L'esprit conquérant de leur Société, l'ardent désir d'attirer à eux les consciences et de les retenir sous leur influence exclusive, ne pouvaient qu'induire les Jésuites à se montrer plus accommodants envers les pénitents que les confesseurs appartenant à d'autres Ordres ou au clergé séculier. «On ne prend pas les mouches avec du vinaigre» dit avec raison le proverbe.
Ignace, nous l'avons vu, avait exprimé la même idée en d'autres termes, et ses fils s'en inspirèrent largement «L'activité inouïe déployée par l'Ordre dans le champ de la théologie morale montre déjà que cette science subtile avait pour lui une beaucoup plus grande importance pratique que les autres sciences».(13)
M. Boehmer, à qui nous empruntons la phrase ci-dessus, rappelle que la confession était chose rare au Moyen Age et que les fidèles n'y recouraient que dans les cas les plus graves. Mais il était dans le caractère dominateur de l'Église romaine d'en développer l'usage peu à peu. De fait, au XVIe siècle, on voit la confession devenue un devoir religieux dont il convient de s'acquitter assidûment. Ignace y attache la plus grande importance et recommande à ses disciples d'y amener le plus possible de fidèles. «Les résultats de cette méthode furent extraordinaires. Le confesseur jésuite jouit bientôt en tous lieux d'un crédit égal à celui du professeur jésuite, et le confessionnal put être partout considéré comme le symbole de la puissance et de l'activité de l'Ordre, au même titre que la chaire professorale et la grammaire latine. «Si nous lisons les Instructions d'Ignace sur la confession et la théologie morale, nous devons reconnaître que l'Ordre s'est montré dès l'origine disposé à traiter le pécheur avec douceur, que dans le cours des temps il s'est montré de plus en plus indulgent, et qu'enfin la douceur a dégénéré en relâchement... «On comprend aisément pourquoi: cette habile indulgence était une des principales causes des succès des Jésuites comme confesseurs. C'est par là qu'ils se conciliaient l'approbation et la faveur des grands et des puissants de ce monde, qui ont toujours eu plus besoin de la condescendance de leurs confesseurs que la masse des petits pêcheurs. «On n'avait jamais vu de confesseurs tout-puissants dans les Cours du moyen âge. C'est dans les temps modernes qu'apparaît cette figure caractéristique de la vie des Cours, mais c'est ]'Ordre des Jésuites qui l'a implantée partout».(14)
M. Boehmer écrit plus loin: «C'est ainsi qu'au XVIIe siècle ces confesseurs, non seulement obtinrent partout une influence politique appréciable, mais même acceptèrent parfois ouvertement des emplois ou des fonctions politiques. C'est alors que le Père Neidhart prit, «comme premier ministre et Grand Inquisiteur», la direction de la politique espagnole; que le Père Fernandez siégea avec voix délibérative dans le Conseil d'État portugais, que le Père La Chaise et son successeur remplirent expressément à la Cour de France les fonctions de ministres des Affaires ecclésiastiques. «Rappelons-nous en outre le rôle joué par les Pères dans la grande politique, même en dehors du confessionnal: le Père Possevino, comme légat pontifical en Suède, Pologne et Russie; le Père Petre, comme ministre en Angleterre; le Père Vota, comme conseiller intime de Jean Sobieski de Pologne, comme «faiseur de rois» en Pologne, comme médiateur lors de l'érection de la Prusse en royaume; - on devra reconnaître qu'aucun ordre n'a montré autant d'intérêt et de talent pour la politique et n'y a déployé autant d'activité que l'Ordre des Jésuites.»(15)
Si l'«indulgence de ces confesseurs envers leurs augustes pénitents avança grandement les intérêts de l'Ordre et de la Curie romaine, il en fut de même en des sphères plus modestes, où les Pères usèrent aussi de cette commode méthode. Avec l'esprit minutieux et même tatillon qu'ils ont hérité de leur fondateur, ils s'appliquèrent à en dégager les règles, à en étudier l'application à tous les cas qui pouvaient se présenter au tribunal de la pénitence. D'où les fameux «casuistes», les Escobar, les Mariana, les Sanchez, les Busenbaum - - la liste en serait longue --- qui, par leurs traités de «théologie morale», ont fait l'universelle réputation de la Compagnie, tant fut grande leur subtilité à tourner, dénaturer les obligations morales les plus évidentes.
Voici quelques exemples de ces acrobaties: «La loi divine prescrit: «Tu ne prêteras point de faux serments». Mais il n'y a faux serment qui si celui «qui jure se sert sciemment de paroles qui nécessairement doivent tromper le juge. L'emploi de termes «équivoques» est par conséquent permis, et même, dans «certaines circonstances, l'emploi de la restriction «mentale... «Si un mari demande à sa femme adultère si elle a brisé le contrat conjugal, elle peut sans hésiter dire «que non, puisque le contrat subsiste toujours». Et une fois qu'elle aura reçu l'absolution au confessionnal, «elle peut dire: «Je suis sans péché», si en le disant «elle pense à l'absolution.. qui l'a délivrée du poids de son péché. Et si son mari reste incrédule, elle peut le rassurer en l'assurant qu'elle n'a pas commis d'adultère, si elle ajoute «in petto»... d'adultère que «je sois obligée d'avouer»(16).
On imagine que cette théorie devait avoir quelque succès auprès des belles pénitentes. Au reste, leurs cavaliers étaient aussi bien traités «La loi de Dieu ordonne: «Tu ne tueras pas». «Mais il ne s'ensuit pas que tout homme qui tue pèche «contre ce précepte. Si, par exemple, un seigneur est «menacé de soufflets ou de coups de bâton, il peut frapper à mort son agresseur. Mais, bien entendu, ce droit n'existe que pour le noble, non pour le plébéien. Car, pour un homme du peuple, un soufflet n'a rien de déshonorant... «De même, un serviteur qui aide son maître à séduire une jeune fille ne commet pas un péché mortel, s'il peut redouter, en cas de refus, des inconvénients graves, ou des mauvais traitements. On peut encore faciliter l'avortement d'une jeune fille enceinte, si sa faute peut être une cause de déshonneur pour elle ou pour un membre du clergé»(17).
Quant au Père Benzi, il eut son heure de renommée pour avoir déclaré que c'était «une peccadille de palper les seins d'une nonne», et les Jésuites en reçurent le surnom de «théologiens mamillaires». Mais, en ce genre, c'est le fameux casuiste Thomas Sanchez qui mérite de remporter la palme pour son traité «De Matrimonio», où le pieux auteur étudie avec un luxe inouï de détails toutes les variétés du «péché charnel».
Rappelons encore pour mémoire les commodes maximes à usage politique, notamment en ce qui concerne la légitimité de l'assassinat des «tyrans» coupables de tiédeur envers les intérêts sacrés du Saint-Siège et concluons avec H. Boehmer: «Comme on le voit, il n'est pas difficile de se préserver des péchés mortels. On n'a qu'à faire usage, selon les circonstances, des excellents moyens admis par les Pères: l'équivoque, la restriction mentale, la théorie raffinée de la direction d'intention, et l'on pourra sans péché commettre des actes que la foule ignorante tient pour des crimes, mais dans lesquels même le plus sévère des Pères ne peut trouver un «atome de péché mortel».(18)
Parmi les maximes jésuitiques les plus criminelles, il en est une qui souleva au plus haut point l'indignation publique, et mérite d'être examinée particulièrement, à savoir «qu'il est permis à un religieux de tuer ceux qui sont prêts à médire de lui ou de sa communauté». Ainsi l'Ordre se reconnaît le droit de supprimer ses adversaires et même ceux de ses membres qui, sortis de son sein, pourraient se montrer trop bavards. Cette perle se trouve dans la Théologie du Père L'Amy. Mais il est un autre cas, où le principe ci-dessus trouve son application. En effet, le dit Jésuite n'a-t-il pas eu le cynisme d'écrire: «Savoir si un religieux cédant à la fragilité abuse d'une femme, laquelle publie ce qui s'est passé, et ainsi le déshonore, si ce religieux peut la tuer pour «éviter cette honte» ? Un autre fils de Loyola, cité par «le grand flambeau» Caramuel, estime que cette maxime doit être soutenue et défendue: «de sorte que ce religieux peut s'en servir pour tuer cette femme, et se conserver en honneur».
Cette théorie monstrueuse a servi à couvrir bien des crimes commis par des ecclésiastiques et fut, bien probablement, en 1956, la raison sinon la cause de la lamentable affaire du curé d'Uruffe(18 bis).
Les succès remportés par la Compagnie de Jésus en Europe et en pays lointains, bien qu'entrecoupés de quelques disgrâces, lui avaient assuré longtemps une situation prépondérante. Mais, comme on l'a très justement noté, le temps ne travaillait pas pour elle. A mesure que les idées évoluaient, que le progrès des sciences tendait à libérer les esprits, les peuples comme les monarques supportaient plus malaisément l'emprise de ces champions de la théocratie.
D'autres part, maints abus, nés de la réussite même, minaient intérieurement la Société. Outre la politique, dont elle se mêlait assidûment comme on l'a vu, au préjudice des intérêts nationaux, son activité dévorante n'avait pas tardé à s'exercer dans le domaine économique. «On vit les Pères s'occuper beaucoup trop d'affaires qui n'avaient aucun rapport avec la religion, de commerce, de change, devenir liquidateurs de faillites. Le Collège romain, cette institution-type qui aurait dû rester le modèle intellectuel et moral de tout le collège jésuite, faisait fabriquer à Macerata, en énorme quantité, des toiles qu'on offrait à bas prix dans les foires. Les maisons de l'Inde, des Antilles, du Mexique, du Brésil se livrèrent très vite au trafic des produits coloniaux. A la Martinique, un procureur put créer de vastes plantations qu'il fit cultiver par des esclaves nègres».(19)
On touche là au côté mercantile des Missions étrangères, celles d'aujourd'hui comme celles d'hier. L'Église romaine n'a jamais dédaigné de tirer un profit temporel de ses conquêtes «spirituelles». Les Jésuites, en cela, ne différaient pas des autres religieux; ils les surpassaient seulement. On sait d'ailleurs que, de nos jours, les Pères Blancs comptaient parmi les plus gros propriétaires fonciers de l'Afrique du Nord.
Les fils de Loyola, ardents à gagner les âmes des «païens», ne l'étaient pas moins à tirer parti de leurs sueurs. «Ils ont au Mexique des mines d'argent et des raffineries de sucre, au Paraguay des plantations de thé et de cacao, des fabriques de tapis et des élevages qui exportent quatre-vingt mille mulets par an».(20) L'évangélisation de ces «enfants rouges» était, comme on le voit, d'un bon rapport. Au reste, pour plus de profit, les Pères n'hésitaient pas à frauder le fisc, comme le montre l'histoire bien connue des pseudo-caisses de chocolat débarquées à Cadix, et qui étaient pleines de poudre d'or.
L'évêque Palafox, envoyé comme visiteur apostolique par le pape Innocent VIII, lui écrivait en 1647: «Tous les biens de l'Amérique du Sud sont entre les mains des Jésuites». Les affaires financières ne leur étaient pas moins profitables. «A Rome, au Gesù même, la caisse de l'Ordre faisait, au nom du gouvernement portugais, des paiements à l'ambassade du Portugal. Lorsque Auguste le Fort s'en alla en Pologne, les Pères de Vienne ouvrirent un crédit sur les Jésuites de Varsovie à ce monarque besogneux. Le Gesù devenu banque !.... En Chine, les Pères prêtaient de l'argent aux marchands et à gros intérêts, à 25, 50 et même 100 pour cent».(21)
L'avidité scandaleuse de l'Ordre, ainsi que sa morale relâchée, ses incessantes intrigues politiques et aussi ses empiétements sur les prérogatives du clergé séculier et régulier, lui avaient suscité partout de mortelles inimitiés. Auprès des classes élevées, il était profondément déconsidéré, et en France, du moins, ses efforts pour maintenir le peuple dans une piété formaliste et superstitieuse cédaient devant l'émancipation inéluctable des esprits.
Cependant la prospérité matérielle dont jouissait la Société, les situations acquises dans les Cours et surtout l'appui du Saint-Siège, qui leur semblait inébranlable, entretenaient les Jésuites dans une profonde confiance, à la veille même de leur ruine. N'avaient-ils pas traversé déjà bien des orages, subi une trentaine d'expulsions depuis leur origine jusqu'au milieu du XVIII, siècle ? Chaque fois, ou presque, ils étaient, revenus, au bout d'un temps plus ou moins long, réoccuper les positions perdues. Cependant, la nouvelle éclipse qui les menaçait allait être à peu près totale, cette fois, et durer plus de quarante ans.
Chose curieuse, le premier assaut contre la puissante Société partit du très catholique Portugal, un de leurs principaux fiefs en Europe. Il est vrai que l'influence anglaise, qui s'exerçait sur ce pays depuis le début du siècle, ne fut sans doute pas étrangère à l'opération. Un traité de délimitation de frontières en Amérique, conclu entre l'Espagne et le Portugal en 1750, avait cédé à ce dernier un vaste territoire à l'est du fleuve Uruguay, où se trouvaient les «réductions» jésuites. Les Pères, en conséquence, devaient se retirer avec leurs convertis en deçà de la nouvelle frontière, en territoire espagnol. En fait, ils armèrent leurs Guaranis, menèrent une longue guérilla et finalement restèrent maîtres du terrain qui fut rendu à l'Espagne.
Le marquis de Pombal, premier ministre du Portugal, avait mal digéré l'affront. D'ailleurs, cet ancien élève des Jésuites n'était pas resté marqué de leur «estampille», et s'inspirait plus volontiers des philosophes français et anglais que de ses anciens éducateurs. En 1757, il chassait les confesseurs jésuites de la famille royale et interdisait les prédications des membres de la Société. Après divers démêlés avec celle-ci, il lança dans le publie des pamphlets - dont le «Court exposé sur le royaume des Jésuites au Paraguay», qui eut un grand retentissement --- obtint du pape Benoit XIV une enquête sur leurs agissements, et enfin bannit la Société de tous les territoires de la monarchie. L'affaire avait fait sensation en Europe et plus particulièrement en France, où, peu après, éclatait la faillite du Père La Valette, «businessman» qui traitait pour la Compagnie, d'énormes affaires de sucre et de café. Le refus par la Compagnie de payer les dettes du Père lui fut fatal. Le Parlement, non content de la condamner au civil, examina ses Constitutions, déclara son établissement illégal en France et condamna vingt-quatre ouvrages de ses principaux auteurs.
Enfin, le 6 avril 1762, il rendait un arrêt aux termes duquel il déclarait «le dit Institut inadmissible par sa nature dans tout État policé, comme contraire au droit naturel, attentatoire à toute autorité spirituelle et temporelle et tendant à introduire dans l'Église et dans les États, sous le voile spécieux d'un Institut religieux, non un Ordre qui aspire véritablement et uniquement à la perfection évangélique, mais plutôt un corps politique dont l'essence consiste en une activité continuelle pour parvenir par toutes sortes de voies indirectes, sourdes ou obliques d'abord à une indépendance absolue et successivement à l'usurpation de toute autorité...» La doctrine des Jésuites était qualifiée en conclusion de «perverse, destructive de tout principe de religion, et même de probité, injurieuse à la morale chrétienne, pernicieuse à la société civile, attentatoire aux droits de la nation, à la nature de la puissance royale, à la sûreté même de la personne sacrée des souverains et à l'obéissance des sujets, propre à exciter les plus grands troubles dans les États, à former et à entretenir la plus grande corruption dans le cœur des hommes».
Les biens de la Société en France furent confisqués au profit de la Couronne et aucun de ses membres ne put demeurer dans le royaume s'il n'abjurait ses vœux et ne se soumettait par serment au régime général du clergé de France.
A Rome, le général des Jésuites, Ricci, obtint du pape Clément XIII une bulle confirmant les privilèges de l'Ordre et proclamant son innocence. Mais il n'était plus temps. Les Bourbons d'Espagne supprimaient tous les établissements de la Société, tant métropolitains que coloniaux. Ainsi prit fin l'État jésuite du Paraguay. A leur tour, les gouvernements de Naples, de Parme, et jusqu'au Grand-Maître de Malte, expulsaient de leurs territoires les fils de Loyola. Ceux d'Espagne, au nombre de 6.000, connurent même une étrange aventure, après avoir été jetés en prison: «Le roi Charles III expédia au pape tous les prisonniers avec une belle lettre où il disait qu'il les mettait «sous la direction immédiate et sage de Votre Sainteté». Mais lorsque les malheureux voulurent débarquer à Civita-Vecchia, ils furent reçus à coups de canon, sur la demande de leur propre général qui ne pouvait déjà pas nourrir les Jésuites portugais. A peine si l'on parvint à leur procurer un misérable asile en Corse».(22) «Clément XIII, élu le 6 juillet 1758, avait longtemps résisté aux pressantes instances des différentes nations, demandant la suppression des Jésuites. Il allait enfin céder, et déjà il avait indiqué, pour le 3 février 1769, un consistoire dans lequel il devait annoncer aux cardinaux la résolution où il était de satisfaire aux désirs de ces Cours; mais la nuit qui précéda le jour indiqué, comme il se mettait au lit, il se trouva mal subitement et s'écria: «JE ME MEURS...» C'est qu'il est fort dangereux de s'attaquer aux Jésuites !»(23).
Un conclave s'ouvrit, qui ne dura pas moins de trois mois. Enfin, le cardinal Ganganelli ceignit la tiare sous le nom de Clément XIV. Les Cours qui avaient chassé les Jésuites ne cessaient de demander l'abolition totale de la Société. Mais la papauté ne se pressait pas de supprimer cet instrument primordial de sa politique, et il fallut quatre ans pour que Clément XIV, devant la ferme attitude des demandeurs qui avaient occupé une partie des États pontificaux, se décidât à signer, en 1773, le bref de dissolution «Dominus ac Redemptor». Le général de l'Ordre, Ricci, fut même emprisonné au château Saint-Ange, où il mourut quelques années plus tard. «Les Jésuites ne se soumirent qu'en apparence au verdict qui les condamnait... Ils lancèrent contre le pape des pamphlets sans nombre et des écrits poussant à la révolte; ils se répandirent en mensonges et en calomnies au sujet de prétendues atrocités commises lors de la prise de possession de leurs biens à Rome».(24)
La mort de Clément XIV, survenue quatorze mois plus tard, leur fut même attribuée par une partie de l'opinion européenne. «Les Jésuites, au moins en principe, n'étaient plus; mais Clément XIV savait bien qu'en signant leur arrêt de mort il signait en même temps le sien: «La voilà donc faite cette suppression, s'écria-t-il, je ne m'en repens pas... et je la ferais encore, si elle n'était pas faite; mais cette suppression me tuera».(25) Ganganelli avait raison. On vit bientôt apparaître sur les murs du palais des placards contenant invariablement ces cinq lettres: I. S. S. S. V. et chacun de se demander ce que cela signifiait. Clément le comprit de suite. «Cela, dit-il résolument, signifie que: «In Settembre, Sara Sede Vacante» (En Septembre, Sera (le) Siège Vacant)».(26)
Autre témoignage de poids. «Le pape Ganganelli ne survécut pas longtemps à la suppression des Jésuites, dit Scipion de Ricci. «La relation de sa maladie et de sa mort», envoyée à la cour de Madrid par le ministre d'Espagne à Rome, prouve jusqu'à l'évidence qu'il avait été empoisonné; mais autant qu'on peut le savoir, aucune enquête, aucune recherche ne furent entreprises, à l'occasion de cet événement, ni par les cardinaux, ni par le nouveau pontife. L'auteur de cet exécrable forfait a donc pu se cacher aux yeux du monde, mais il n'échappera pas à la justice de Dieu, qui, je l'espère bien, le frappera dès cette vie».(27) «Nous pouvons affirmer de la manière la plus positive que, le 22 septembre 1774, le pape Clément XIV est mort empoisonné».(28)
Entre temps, Marie-Thérèse, impératrice d'Autriche, avait, elle aussi, expulsé les Jésuites de ses États. Seul Frédéric de Prusse et Catherine II, impératrice de Russie, les reçurent chez eux, en qualité d'éducateurs. Encore ne purent-ils se maintenir que dix années en Prusse, jusqu'en 1786. La Russie leur fut plus longtemps favorable, mais là comme ailleurs, et pour les mêmes raisons, ils finirent par exciter l'animosité du pouvoir. «... La suppression du schisme, le ralliement de la Russie au pape, les attirait comme une lampe attire un papillon. Ils firent une propagande active dans l'armée et dans l'aristocratie et combattirent la Société Biblique fondée par le tsar. Ils remportèrent des succès de détail, convertirent le prince Galitzine neveu du ministre des cultes. Alors, le tsar intervint, et ce fut l'ukase du 20 décembre 1815».(29)
Comme on le conçoit aisément les considérants de cet ukase, qui chassait les Jésuites de Saint-Pétersbourg et de Moscou, répétaient les mêmes griefs que leur conduite avait fait naître en lotis temps et en tous lieux. «Il est constaté qu'ils n'ont pas rempli les devoirs que la reconnaissance leur imposait... Au lieu de demeurer habitants paisibles dans un pays étranger, ils ont entrepris de troubler la religion grecque, qui est depuis les temps les plus reculés la religion dominante dans notre empire et sur laquelle repose la tranquillité et le bonheur des peuples soumis à notre sceptre. Ils ont abusé de la confiance qu'ils avaient obtenue, ils ont détourné de notre culte des jeunes gens qui leur étaient confiés et des femmes d'un esprit faible et inconséquent... Après de pareils actes, nous ne sommes pas surpris que l'Ordre de ces religieux ait été expulsé (de tous les Pays, qu'il n'ait été toléré nulle part»(29).
En 1820, enfin, une mesure générale les chassait de toute la Russie. Mais déjà a la faveur des événements politiques ils avaient repris pied en Europe occidentale, quand leur Ordre fut solennellement rétabli, en 1814, par le Pape Pie VII. La signification politique de cette décision est d'ailleurs clairement exprimée par M. Daniel-Rops, grand ami des Jésuites. Il écrit à propos de la «réapparition des fils de saint Ignace»: «Il était impossible de n'y pas reconnaître un acte éclatant de contre-révolution».(30)
4. RÉSURRECTION DE LA SOCIÉTÉ DE JÉSUS AU XIXe SIÈCLE On a rapporté que Clément XIV, quand il se vit enfin obligé de supprimer l'Ordre des Jésuites, aurait dit: «Je me suis coupé la main droite». Le mot paraît assez plausible. On ne peut douter, en effet, que le Saint-Siège se soit résigné avec peine à s'amputer de son principal instrument de domination sur le monde. D'ailleurs, la disgrâce de l'Ordre, mesure toute politique imposée par les circonstances. ne laissa pas d'être atténuée par les successeurs de Clément XIV, Pie VI et Pie VII; et si l'éclipse officielle des Jésuites se prolongea durant quarante ans, ce fut en raison des bouleversements survenus en Europe, du fait de la Révolution française. Encore cette éclipse ne fut-elle jamais totale. «La plupart des Jésuites étaient demeurés en Autriche, en France, en Espagne, en Italie, mêlés au clergé. Ils se revoyaient, se regroupaient comme ils pouvaient. En 1794, en Belgique, Jean de Tournely fonde la Société du Sacré-Cœur pour l'enseignement. Beaucoup de Jésuites s'y jettent. Trois ans plus tard, le tyrolien Paccanari, qui se croit, se dit un nouvel Ignace, fonde la Société des Frères de la Foi. En 1799, les deux Sociétés fusionnent autour du Père Clarivière, le seul survivant des Jésuites français. En 1803, elles s'unissent aux Jésuites de Russie. Quelque chose de cohérent resurgit, encore ignoré des masses et même de la plupart des politiques».(31)
Effet inattendu, la Révolution française, puis l'Empire, allaient donner un regain de crédit à la Compagnie de Jésus, par la réaction de défense que les idées nouvelles suscitaient dans les anciennes monarchies. Napoléon 1er la qualifiait de «Société bien dangereuse, et qui ne sera jamais admise sur les terres de l'Empire». Mais quand la Sainte-Alliance eut triomphé, les monarques de droit divin se gardèrent bien de négliger le concours de ces absolutistes pour ramener les peuples à une stricte obéissance.
Cependant, les temps étaient changés. Toute l'habileté des bons Pères ne pouvait que retarder, mais non arrêter, la propagation des idées libérales, et leurs efforts s'avéraient plus nuisibles qu'utiles. En France, la Restauration put en faire l'amère expérience. Louis XVIII, personnellement incroyant et, de plus, habile politique, contint autant qu'il lui fut possible la poussée des «ultras». Mais sous Charles X, dévot et borné, les Jésuites ont beau jeu. La loi qui les a expulsés en 1764 est toujours en vigueur. N'importe. Ils animent la fameuse «Congrégation», première forme de l'Opus Dei. Cette confrérie pieuse où se mêlent ecclésiastiques et laïcs, sévit dans tous les milieux, prétend «épurer» l'armée, la magistrature, l'administration, l'enseignement, multiplie les «missions» à travers le pays, plantant sur son passage des croix commémoratives dont beaucoup subsistent encore aujourd'hui, excitant les croyants contre les incrédules, et se rendant enfin si odieuse que le très catholique et très légitimiste Montlosier, lui-même, s'écrie: «Nos missionnaires ont mis le feu partout. Qu'on «nous envoie la peste de Marseille, si l'on veut, mais «qu'on ne nous envoie plus de missionnaires».
En 1828, Charles X se voit contraint de retirer à l'Ordre la liberté d'enseigner, mais il est trop tard. La dynastie s'écroule en 1830. Abhorrés et honnis, les fils de Loyola ne s'en maintiennent pas moins en France, sous le masque, car l'Ordre y est toujours officiellement aboli. Louis-Philippe, Napoléon III les tolèrent. La République elle-même ne les disperse qu'en 1880, sous le ministère Jules Ferry. Encore faut-il attendre la loi de séparation de 1901 pour que la fermeture de leurs maisons devienne enfin effective.
Au cours du XIXe siècle, dans la moitié de l'Europe et en Amérique, l'histoire de la Compagnie, en lutte contre l'esprit nouveau, est aussi mouvementée que par le passé. «Partout où les libéraux l'emportaient, les Jésuites étaient chassés. Toutes les fois, au contraire, que la réaction triomphait, alors ils se réinstallaient tranquillement pour défendre le trône et l'autel. C'est ainsi qu'ils furent expulsés du Portugal en 1834, d'Espagne en 1820, 1835 et 1868, de Suisse en 1848, d'Allemagne en 1872, de France en 1880 et en 1901. «En Italie, depuis 1859, on leur a peu à peu enlevé toutes leurs écoles et leurs maisons, si bien qu'ils doivent renoncer à continuer leur activité dans la forme prescrite par leurs statuts. Il en fut de même dans les républiques de l'Amérique latine. L'Ordre a été supprimé au Guatémala en 1872, au Mexique en 1873, au Brésil en 1874, dans l'Équateur et la Colombie en 1875, à Costa-Rica en 1884. «Les seuls pays où les Jésuites existent en paix sont les États en majorité protestants: l'Angleterre, la Suède, le Danemark, les États-Unis de l'Amérique du Nord. Au premier abord, ce fait est surprenant. Mais il s'explique par cette raison que, dans ces pays, les Pères n'ont jamais pu songer à exercer une influence politique. Sans doute, ils s'y sont résignés plus par nécessité que par inclination. Autrement ils ne se seraient pas montrés si réservés, mais auraient saisi toutes les occasions pour agir dans leur sens sur la législation et l'administration, soit directement en travaillant habilement les classes dirigeantes, soit indirectement en remuant constamment les masses catholiques».(32)
A vrai dire, cette immunité des pays protestants à l'égard des entreprises jésuitiques est loin d'être complète. «Aux États-Unis, écrit M. Fülöp-Miller, la Compagnie, qu'aucune loi n'entrave, déploie depuis longtemps une activité méthodique et féconde... «La résurrection des Jésuites ne me plaît pas, avait déjà écrit en 1816 l'ancien président de l'Union John Adams, à son successeur Thomas Jefferson. N'en aurons-nous pas ici des nuées qui se présenteront sous autant d'aspects et de travestissements que n'en a jamais pris un chef de bohémiens, déguisés en typographes, en éditeurs, en écrivains et en maître d'école ? Si jamais association de gens a mérité la damnation éternelle sur terre et en enfer, c'est bien cette Société de Loyola. Pourtant avec notre système de liberté religieuse nous ne pouvons que leur offrir un asile à eux aussi...» Et Jefferson avait répondu à son prédécesseur: «Comme vous, je désapprouve le rétablissement des Jésuites, car ce fait marque un recul de la lumière vers l'obscurité».(33) Les craintes ainsi exprimées ne devaient se révéler que trop justes, un siècle plus tard, comme on le verra par la suite.
5. LE SECOND EMPIRE ET LA LOI FALLOUX LA GUERRE DE 1870 Nous avons signalé dans le chapitre précédent la large tolérance dont jouit en France, sous Napoléon III, la Société de Jésus, bien qu'elle fût toujours officiellement interdite. Il ne pouvait en aller autrement, du reste, sous un régime qui devait son existence même - au moins pour une large part - à l'Église romaine, et auquel l'appui de celle-ci ne manqua jamais, tant qu'il dura. Mais ce tic fut pas sans qu'il en contât fort cher à la France.
A vrai dire, les lecteurs du «Progrès du Pas-de-Calais», organe dans lequel le futur empereur publia divers articles en 1843 et 1844, ne pouvaient alors le soupçonner de faiblesse à l'égard de «l'ultramontanisme», à en juger par des passages tels que celui-ci: «Le clergé réclame, sous le nom de liberté d'enseignement, le droit d'instruire la jeunesse. L'État, de son côté, réclame pour son propre intérêt le droit de diriger seul l'instruction publique. Cette lutte vient nécessairement d'une divergence d'opinions, d'idées, de sentiments entre le gouvernement et l'Église. Chacun voudrait, à son profit, influencer en sens contraire les générations qui naissent. Nous ne croyons pas, comme un illustre orateur, que, pour faire cesser cet état de diversion, il faille briser tous les liens qui rattachent le clergé au pouvoir civil. Malheureusement les ministres de la religion en France sont en général opposés aux intérêts démocratiques; leur permettre d'élever sans contrôle des écoles, c'est leur permettre d'enseigner au peuple la haine de la révolution et de la liberté».
Et plus loin: «Le clergé cessera d'être ultramontain dès qu'on le forcera à s'élever, comme jadis, dans les sciences, et à se confondre avec le peuple, en puisant sa propre éducation aux mêmes sources que la généralité des citoyens». Se référant à la façon dont étaient formés les prêtres en Allemagne, l'auteur précise ainsi sa pensée: «Au lieu d'être, dès l'enfance, séquestrés du monde, et de puiser dans les séminaires un esprit hostile à la société au milieu de laquelle ils doivent vivre, ils apprennent de bonne heure à être citoyens avant d'être prêtres».(34)
Voilà qui n'annonçait pas le cléricalisme politique chez le futur souverain, alors «carbonaro». Mais l'ambition de monter sur le trône allait bientôt l'inciter à plus de docilité envers Rome. Celle-ci ne l'a-t-elle pas aidé puissamment à gravir le premier échelon ? «Nommé président de la République le 10 décembre 1848, Louis Napoléon Bonaparte s'entoure de ministres parmi lesquels on remarque M. de Falloux. Qu'est-ce que M. de Falloux ? Un instrument des Jésuites... Le 4 janvier 1849, il institue une commission chargée de préparer «une large réforme législative sur l'enseignement primaire et sur l'enseignement secondaire»... Au cours de la discussion, M. Cousin prend la liberté de faire remarquer que l'Église a peut-être tort de lier son sort à celui des Jésuites. Mgr Dupanloup défend énergiquement la Société, de Jésus... On prépare une loi sur l'enseignement qui sera une «réparation» aux Jésuites. On a autrefois défendu l'État, l'Université contre les envahissements des Jésuites; ou a eu tort, on a été injuste; on a exigé du gouvernement l'application des lois vis-à-vis de ces agents d'un gouvernement étranger; on leur en demande pardon. Ce sont de bons citoyens qu'on a méconnus, calomniés; que peut-on bien faire pour leur témoigner l'estime et le respect auxquels ils ont droit ?
Leur livrer l'enseignement des jeunes générations. «Tel est, en effet, le but de la loi du 15 mars 1850. Cette loi institue un conseil supérieur de l'Instruction publique où le clergé a la haute main (art. 1er); elle rend le clergé maître des écoles (art. 44); elle reconnaît aux associations religieuses le droit de fonder des écoles libres, sans s'expliquer sur les congrégations non autorisées (Jésuites) (art. 17, 2); elle porte (art 49) que les lettres d'obédience tiendront lieu de brevet de capacité. En vain M. Barthélémy Saint-Hilaire démontre à la tribune que le but des auteurs du projet est d'arriver à la constitution d'un monopole en faveur du clergé, que la loi porterait une atteinte funeste à l'Université... En vain, Victor Hugo s'écrie - «Cette loi est un monopole aux mains de ceux qui tendent à faire sortir l'enseignement de la sacristie et le gouvernement du confessionnal».(35)
Mais l'Assemblée reste sourde à ces protestations. Elle préfère écouter M. de Montalembert, qui s'écrie: «Nous serons engloutis si nous ne remontons pas d'un bond vigoureux le courant du rationalisme, de la démagogie. Or, vous ne le remonterez qu'avec le secours de l'Église». «Comme s'il craignait de n'avoir pas suffisamment caractérisé l'esprit de la loi, M. de Montalembert ajoute ces mots: «A l'armée démoralisatrice et anarchique des instituteurs, il faut opposer l'armée du clergé». La loi fut votée. Jamais en France les Jésuites n'avaient obtenu un triomphe plus complet. M. de Montalembert le reconnaissait hautement... Il disait: «Je crois défendre la justice en soutenant de mon mieux le gouvernement de la République, qui a tant fait pour sauver l'ordre, pour maintenir l'union des Français, et qui, surtout, a rendu à la liberté de l'Église catholique plus de services qu'aucun des pouvoirs qui ont régné en France depuis deux siècles».(36)
Tout cela, qui date de plus de cent ans, ne fleure-t-il pas un certain parfum d'actualité ? Mais voyons comment agissait, sur le plan international, la «République» présidée par le prince Louis-Napoléon. La révolution de 1848 avait, entre autres répercussions en Europe, provoqué le soulèvement des Romains contre le pape Pie IX, leur souverain temporel, et celui-ci avait dû s'enfuir à Gaëte. La République romaine était proclamée. Par un scandaleux paradoxe, ce fut la République française qui, d'accord avec les Autrichiens et le roi de Naples, se chargea de rétablir sur son trône l'indésirable souverain. «Il fallut l'intervention d'un corps français, qui vint mettre le siège devant Rome et emporta la ville le 2 juin 1849, pour restaurer le pouvoir pontifical. Encore celui-ci ne se maintint-il que grâce à la présence d'une division d'occupation française, qui n'abandonna Rome qu'au lendemain des premiers désastres de la guerre franco-allemande de 1870.»(37)
Ce début était prometteur. «Le coup d'État (2 décembre 1851) s'accomplit, l'Empire est proclamé. Louis-Napoléon, président de la République, avait favorisé les Jésuites de toutes ses forces. Devenu empereur, il n'a rien à refuser à ses alliés et complices. Le clergé déverse abondamment ses bénédictions et ses «Te Deum» sur les massacres et les proscriptions du 2 décembre. L'auteur de cet abominable guet-apens est, à ses yeux, un sauveur providentiel: «L'archevêque de Paris, Mgr Sibour, qui a eu sous les yeux les massacres du boulevard, s'écrie: «L'homme que Dieu tenait en réserve a paru jamais le doigt de Dieu ne fut plus visible que dans les événements qui ont amené ce grand résultat.» L'évêque de Saint-Flour dit en pleine chaire: «Dieu a montré du doigt Louis-Napoléon; il l'avait nommé d'avance empereur. Oui, mes très chers frères, Dieu l'a sacré d'avance par la bénédiction de ses pontifes et de ses prêtres; il l'a acclamé lui-même. Pourra-t-on ne pas reconnaître l'Élu de Dieu ?» L'évêque de Nevers salue dans le parjure «l'instrument visible de la Providence». «Ces misérables adulations, dont il serait facile de multiplier les échantillons, méritaient une récompense. Cette récompense fut une liberté complète laissée aux Jésuites pendant toute la durée de l'empire. La Société de Jésus fut véritablement maîtresse de la France pendant dix-huit ans... elle put s'enrichir, multiplier ses établissements, accroître son influence. Son action se fait sentir dans tous les événements 'importants du règne, et notamment dans l'expédition du Mexique et la déclaration de guerre de 1870.»(38)
«L'empire, c'est la paix», avait proclamé le nouveau souverain. Mais, deux ans à peine après son accession au trône, éclatait la première de ces guerres qui allaient se succéder tout au long du règne, au gré d'inspirations qui paraîtraient incohérentes aux regards de l'Histoire, si l'on ne distinguait pas ce qui en fait l'unité: la défense des intérêts de l'Église romaine. La guerre de Crimée, première de ces folles entreprises qui nous affaiblissaient sans aucun profit national, est caractéristique à cet égard.
Ce n'est pas un anticlérical, c'est l'abbé Brugerette qui écrit: «Il faut lire les discours que le célèbre théatin (le Père Ventura) prêcha à la chapelle des Tuileries, pendant le carême de 1857. Il y présentait la restauration de l'Empire comme l'œuvre de Dieu... et louait Napoléon III d'avoir défendu la religion en Crimée et fait ainsi resplendir une seconde fois en Orient les beaux jours des Croisades... La guerre de Crimée fut regardée comme le complément de l'expédition romaine... Elle fut célébrée par tout le clergé, plein d'admiration pour la ferveur religieuse des troupes qui assiégèrent Sébastopol. Et Sainte-Beuve raconta avec attendrissement l'envoi par Napoléon III d'une image de la Vierge à la flotte française.»(39)
Que fut cette expédition qui déchaînait ainsi l'enthousiasme des cléricaux. M. Paul Léon, membre de l'Institut, va nous le dire: «Une simple querelle de moines réveille la question d'Orient: elle est née de rivalités entre latins et orthodoxes pour la garde des lieux saints. A qui appartiendra la surveillance des églises de Bethléem, la possession des clefs, la direction des travaux ? Qui peut penser que de si minimes intérêts opposeront deux grands empires ?... Mais, derrière les moines latins, nantis d'anciens privilèges, s'agite le parti catholique en France, appui du nouveau régime; derrière l'exigence croissante des orthodoxes, de plus en plus nombreux, se devine l'influence russe.»(40)
Le tsar invoque la protection des orthodoxes qu'il lui appartient d'assurer, et pour la rendre effective, demande le libre passage des Dardanelles pour sa flotte. Refus de l'Angleterre, soutenue par la France, et la guerre éclate. «France et Angleterre ne peuvent atteindre le tsar que par la mer Noire et l'alliance turque... Dès lors, la guerre de Russie devient la guerre de Crimée et se résume tout entière dans le siège de Sébastopol, épisode coûteux, sans issue. Poursuivi à travers de sanglantes batailles, des épidémies meurtrières et des souffrances surhumaines, il coûta cent mille morts à la France.»(41) Il est vrai que ces cent mille morts n'étaient rien de moins que des soldats du Christ, de glorieux «martyrs de la foi», s'il faut en croire Mgr Sibour, archevêque de Paris, qui déclarait à cette époque: «La guerre de Crimée, faite par la France à la Russie, n'est point une guerre politique, mais une guerre sainte; ce n'est point une guerre d'État à État, de peuple à peuple, mais uniquement une guerre de religion, une Croisade...»(42)
L'aveu est sans ambiguïté. Au reste, n'avons-nous pas entendu cela, de nos jours, durant l'occupation allemande, développé en termes identiques par les prélats de Sa Sainteté Pie XII, qui se faisaient les recruteurs de la L.V.F., et par Pierre Laval lui-même, président du Conseil de Vichy ?
En 1863, c'est l'expédition du Mexique. De quoi s'agit-il ? De transformer une république laïque en un empire, pour l'offrir à Maximilien, archiduc d'Autriche. Or, l'Autriche, c'est le pilier numéro un de la papauté. Au surplus, on compte élever ainsi un barrage qui contiendra l'influence des États-Unis protestants sur les États d'Amérique du Sud, fiefs de l'Église romaine. «La guerre tendant à établir un empire catholique au Mexique viole le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et, comme la campagne de Syrie et les deux campagnes de Chine, elle tend surtout à servir les intérêts catholiques», écrit avec sagacité M. Albert Bayet.(43)
On sait comment, en 1867, l'armée française s'étant rembarquée, Maximilien, champion malheureux du Saint-Siège, fut fait prisonnier à la reddition de Queretaro et fusillé, laissant la place à une république présidée par le vainqueur, Juarez. Cependant, le temps approchait où la France allait payer beaucoup plus cher encore l'appui politique que le Vatican assurait au trône impérial. Tandis que l'armée française versait son sang aux quatre coins du monde, et s'affaiblissait d'autant, pour y défendre des intérêts qui n'étaient pas les nôtres, la Prusse, sous la rude main du futur «chancelier de fer», travaillait à porter au plus haut point sa puissance militaire afin d'unir les Allemagnes en un bloc homogène. L'Autriche est la première victime de sa volonté de puissance. D'accord avec la Prusse pour que celle-ci s'empare des duchés danois du Schleswig et du Holstein, elle est frustrée par sa complice. C'est la guerre, bientôt terminée par la victoire prussienne à Sadowa, le 3 juillet 1866. Coup terrible pour la vieille monarchie des Habsbourg. dont sonne l'heure du déclin, mais coup non moins terrible pour le Vatican dont l'Autriche a été si longtemps l'homme-lige dans les pays germaniques. Désormais, ce sera la Prusse protestante qui exercera sur eux son hégémonie. A moins que... l'Église romaine ne trouve un «bras séculier» capable d'arrêter net l'expansion de cette puissance «hérétique».
Mais qui peut jouer ce rôle en Europe, sinon l'Empire français ? A Napoléon III, l'«homme providentiel», cherchera l'honneur de venger Sadowa. L'armée française n'est pas prête. «L'artillerie est très en retard. Nos canons se chargent encore par la bouche», écrit Rothan, notre ministre à Francfort, qui voit venir le désastre. «La Prusse n'ignore rien de sa supériorité et de notre impréparation», déclare-t-il encore, avec bien d'autres observateurs. Peu importe aux fauteurs de guerre. La candidature d'un prince de Hohenzollern au trône vacant d'Espagne fournit l'occasion du conflit, d'autant mieux que Bismarck le désire. Au cours des tractations diplomatiques, la dépêche d'Ems, truquée par ses soins, donne beau jeu aux bellicistes, qui soulèvent l'opinion publique. Et c'est la France elle-même qui déclare la guerre, cette «guerre de 1870 qui fut, c'est un fait acquis à l'histoire, l'œuvre des Jésuites», comme l'écrit M. Gaston Bally.
Il faut, en effet, avoir bien présente à l'esprit la composition du gouvernement qui lança la France dans cette funeste aventure. Nous la trouvons décrite en ces quelques lignes de l'éminent historien catholique Adrien Dansette: «Napoléon III commence par sacrifier Victor Duruy, puis se résout à appeler au gouvernement les hommes du tiers parti (janvier 1870). Les nouveaux ministres sont presque tous des catholiques sincères ou des cléricaux par conservatisme social.»(44)
On comprend, dès lors, ce qui semblait d'abord inexplicable: la précipitation que mit ce gouvernement à tirer un «casus belli» des termes d'une dépêche tronquée, dont on n'attendit même pas de recevoir confirmation. «Conséquence: l'effondrement de l'Empire et le contre-coup qui s'ensuivit pour le trône papal... L'édifice impérial et l'édifice papal couronnés par les Jésuites, s'écroulaient dans la même boue, malgré l'Immaculée Conception, malgré l'infaillibilité papale; mais, hélas c'était sur les cendres de la France.»(45)
6. LES JÉSUITES A ROME LE SYLLABUS On lit dans un ouvrage de l'abbé Brugerette, au chapitre «Le clergé sous le Second Empire»: «Les dévotions particulières, anciennes ou nouvelles, étaient de plus en plus en honneur, à une époque où le romantisme exaltait encore le sentiment au préjudice de l'austère raison. Le culte des saints et de leurs reliques, contenu si longtemps par le souffle glacial du rationalisme, avait repris une vigueur nouvelle. Le culte de la sainte Vierge, grâce aux apparitions de La Salette et de Lourdes, acquit une popularité extraordinaire. Les pèlerinages se multiplièrent en ces lieux privilégiés par le miracle. «L'épiscopat français... favorisa les dévotions nouvelles. Il accueillit avec empressement et reconnaissance, en 1854, l'encyclique de Pie IX, proclamant le dogme de l'Immaculée-Conception... C'est encore l'épiscopat, réuni à Paris en 1856, pour le baptême du Prince impérial, qui demanda à Pie IX que la fête du Sacré-Cœur devint une fête solennelle de l'Église universelle.»(46)
Ces quelques lignes témoignent clairement de l'influence prépondérante des Jésuites sous le Second Empire, tant en France qu'auprès du Saint-Siège. Nous l'avons vu plus haut, ils furent et demeurent les grands propagateurs de ces «dévotions particulières, anciennes ou nouvelles», de cette piété «sensible» et quasi matérielle, propre à exalter la religiosité des foules et plus spécialement celle de l'élément féminin. En cela, on ne peut contester qu'ils fassent preuve de réalisme. Le temps est loin - il l'était déjà sous Napoléon III - où le public en son ensemble, les savants comme les ignorants, se passionnait pour les questions théologiques. Sur le plan intellectuel, le catholicisme a fini sa carrière.
C'est donc par nécessité, autant que par l'effet de leur formation propre, que les fils d'Ignace, en manière de contrepoids au «rationalisme», se sont efforcés - au cours du XIX, siècle et de nos jours - de réveiller la religiosité superstitieuse, notamment chez les femmes, qui forment désormais le plus clair du troupeau des fidèles. Pour l'enseignement secondaire des jeunes filles, l'Ordre a favorisé la création de plusieurs congrégations de femmes. «La plus célèbre et la plus active a été la «Congrégation des Dames du Sacré-Cœur»; en 1830, elle comptait 105 maisons avec 4.700 maîtresses et a exercé une très grande influence sur les classes élevées de la société».(47)
Quant à la «mariolâtrie», qui fut toujours si chère aux Jésuites, elle reçoit, sous le Second Empire, une impulsion puissante par les «apparitions» - fort opportunes - de la Vierge à une petite bergère de Lourdes, deux ans après que le pape Pie IX eut défini et promulgué le dogme de l'Immaculée-Conception (1854), à l'instigation de la Compagnie de Jésus. Les principaux actes de ce pontificat sont, d'ailleurs, autant de victoires pour les Jésuites, dont la toute-puissante influence sur la Curie romaine ne cesse de s'affirmer. En 1864, Pie IX publie l'encyclique «Quanta cura», accompagnée du «Syllabus», qui jette l'anathème sur les principes politiques les mieux établis des sociétés contemporaines. «Anathème à tout ce qui est cher à la France moderne. La France moderne veut l'indépendance de l'État le «Syllabus» enseigne que la puissance ecclésiastique doit exercer son autorité sans la permission et l'assentiment du pouvoir civil. La France moderne veut la liberté de conscience et la liberté des cultes; le «Syllabus» enseigne que l'Église romaine a le droit d'employer la force et réhabilite l'Inquisition. La France moderne reconnaît l'existence de plusieurs cultes: le «Syllabus» déclare que la religion catholique doit être considérée comme l'unique religion de l'État, à l'exclusion de tous les autres cultes. La France moderne proclame la souveraineté du peuple; le «Syllabus» condamne le suffrage universel. La France moderne professe que tous les Français «sont égaux devant la loi; le «Syllabus» soutient que les ecclésiastiques doivent être soustraits aux tribunaux ordinaires, civils et criminels. «Voilà les doctrines que les Jésuites enseignent dans leurs collèges. Ils sont l'avant-garde de l'armée de la contre-révolution... Leur mission consiste à élever la jeunesse confiée à leurs soins dans la haine des principes sur lesquels repose la société française, telle «que l'ont constituée au prix des plus douloureux efforts les générations qui nous ont précédés. Ils tendent par leur enseignement à diviser la France en deux peuples, et à remettre en question tout ce qui s'est fait depuis 1789. Nous voulons la concorde, ils «veulent la discorde; nous voulons la paix, ils veulent la guerre; nous voulons la France libre, ils la veulent asservie. Ils sont une société de combat aux ordres de l'étranger; ils nous combattent, défendons-nous, ils nous menacent, désarmons-les.»(48)
Les prétentions toujours vivantes du Saint-Siège à régenter la société civile étaient donc affirmées une fois de plus, comme Renan l'avait dit déjà en 1848, dans un article intitulé «Du libéralisme clérical»: «Il démontrait que la souveraineté du peuple, la liberté de conscience, toutes les libertés modernes étaient condamnées par l'Église. Il présentait l'Inquisition comme «la conséquence logique de tout le système orthodoxe», comme «le résumé de l'esprit de l'Église». Il ajoutait: «L'Église, quand elle le pourra, ramènera l'Inquisition, et, si elle ne le fait pas, c'est qu'elle ne le peut pas»(49).
La prépotence des Jésuites au Vatican se marquait plus fortement encore, quelques années après le «Syllabus», par la définition et promulgation du dogme de l'Infaillibilité pontificale, qui devait, écrit l'abbé Brugerette, «jeter sur les années tragiques de 1870-1871, qui endeuillèrent la France, la clarté d'une grande espérance chrétienne». Le même auteur ajoute: «On peut dire que, pendant la première moitié de l'année 1870, l'Église de France n'est plus en France; elle est à Rome, et passionnément occupée du Concile «général que Pie IX vient de réunir au Vatican... «Suivant le mot de Mgr Pie, ce clergé français avait achevé de se dépouiller de ses livrées particulières, maximes, libertés gallicanes. Faisant, ajoutait l'évêque de Poitiers, ce sacrifice au principe d'autorité en même temps qu'à la saine doctrine et au droit commun, il a placé tout cela sous les pieds «du souverain pontife, lui en a fait un trône et a sonné de la trompette en disant: Le pape est notre roi; non seulement ses volontés sont pour nous des ordres, mais ses désirs sont pour nous des règles»(49 bis).
On ne saurait annoncer plus clairement la démission complète de tout un clergé «national» entre les mains de la Curie romaine et, par là, l'asservissement des catholiques français aux volontés d'un despote étranger qui, sous couleur de dogme ou de morale, allait leur imposer, sans opposition désormais, ses directives politiques. En vain, les catholiques libéraux s'élevèrent contre l'exorbitante prétention du Saint-Siège à dicter sa loi aux consciences au nom de l'Esprit Saint. Leur chef, M. de Montalembert, publiait dans la «Gazette de France», nous dit l'abbé Brugerette, «un article où il protestait de toute son âme contre ceux qui «immolent la justice et la vérité, la raison et l'histoire en holocauste à l'idole qu'ils se sont érigée au Vatican».(50)
Quelques évêques, des religieux notoires, comme le Père Hyacinthe Loyson et le Père Gratry prenaient la même position, ce dernier non sans vivacité: «Il avait fait successivement paraître ses quatre Lettres à Mgr Deschamps. Il n'y discutait pas seulement des faits historiques, comme la condamnation du pape Honorius, qui s'opposaient selon lui à la proclamation de l'infaillibilité pontificale, mais, dans «un style incisif et amer, il dénonçait encore le mépris «des catholiques autoritaires pour la vérité et la probité scientifique. L'un d'eux, un candidat ecclésiastique au Doctorat en théologie, n'avait-il pas osé justifier les fausses décrétales devant la Faculté de Paris, «en déclarant que ce n'était pas une fraude «odieuse» ? N'affirme-t-on pas aujourd'hui encore, ajoutait Gratry, qu'il fut opportun de condamner «Galilée» ? «Hommes de peu de foi et de bas esprit et de cœur misérable, vos ruses ne sont-elles pas devenues le scandale des âmes ? Le jour où la grande science de la nature s'est élevée sur le monde, vous l'avez condamnée. «Ne vous étonnez pas si les hommes, avant de vous «pardonner, attendent de vous l'aveu, la pénitence, la «contrition profonde et la réparation de votre «faute»(51).
Mais on pense bien que les Jésuites, inspirateurs de Pie IX et tout-puissants sur le Concile, ne se souciaient guère d'aveu, de pénitence, de contrition ni réparation, au moment même où ils touchaient au but qu'ils s'étaient fixé dès le Concile de Trente, au milieu du XVI' siècle. Lainez n'y soutenait-il pas déjà la thèse de l'infaillibilité du pape ? A vrai dire, il ne s'agissait que de consacrer sous forme de dogme une prétention presque aussi vieille que la papauté. Aucun Concile jusque-là n'avait voulu l'entériner, mais le moment apparaissait propice: outre que le patient travail des Jésuites avait préparé les clergés nationaux à l'abandon de leurs dernières libertés, la chute imminente du pouvoir temporel du pape - elle allait se produire avant le vote du Concile - appelait un renforcement de son autorité spirituelle, aux dires des ultramontains. L'argument prévalut, et les «dictatus papae» de Grégoire VII, principes de la théocratie médiévale, triomphèrent ainsi en plein XIXe siècle.
Ce que le nouveau dogme consacrait surtout, c'était l'omnipotence dans l'Église romaine de la Compagnie de Jésus. «Sous le couvert de la congrégation des jésuites qui s'est installée au Vatican, depuis que les puissances séculières les ont rejetés de tous les pays libres ainsi qu'une association de malfaiteurs, la papauté s'est élevée à de nouvelles ambitions. Ces hommes néfastes, qui ont fait de l'Évangile un spectacle de sang et de larmes et qui demeurent les pires ennemis de la liberté de penser et de la démocratie, dominent la curie romaine et concentrent tous leurs efforts pour maintenir dans l'Église leur prépondérance malsaine et la honte de leurs doctrines». «Acquis à la cause de la centralisation à outrance, irréductibles apôtres de la théocratie, ils sont les maîtres reconnus du catholicisme contemporain et marquent de leur empreinte sa théologie, sa piété officielle, sa politique tortueuse»: «Véritables janissaires du Vatican, ils inspirent tout, règlent tout, pénètrent partout, instaurant la délation comme système de gouvernement, fidèles à une casuistique dont l'histoire nous a révélé la profonde immoralité et qui nous a valu les pages immortelles de Pascal, ce railleur sublime. Par le Syllabus de 1864 qu'ils ont édifié et codifié de leurs mains propres, Pie IX a déclaré la guerre à toute pensée libre et sanctionné quelques années plus tard le dogme de l'infaillibilité, qui est un véritable anachronisme historique et dont la science moderne ne «saurait vraiment s'émouvoir»(52).
Pour ceux qui, contre toute vraisemblance, s'obstineraient à voir une exagération malveillante, un parti-pris de dénigrement dans les lignes que nous venons de citer, nous ne pouvons mieux faire que de leur mettre sous les yeux la confirmation même de ces faits, due à la plume très orthodoxe de M. Daniel-Rops. Notons que cette confirmation a d'autant plus de poids que le texte qui la contient a été publié en 1959, sous le titre «Le Rétablissement de la Compagnie de Jésus», par la propre revue des Jésuites, «Études». C'est donc dans un véritable plaidoyer «pro domo», qu'on peut lire: «A bien des points de vue, cette reconstitution de «la Compagnie de Jésus eut une importance historique «considérable. Le Saint-Siège retrouva en elle cette «troupe fidèle, toute dévouée à sa cause, dont elle «aurait bientôt besoin. De nombreux Pères devaient «tout au long du siècle et jusqu'à nous, exercer une «influence, discrète mais profonde, sur certaines prises «de position pontificales; une formule proverbiale «eut même cours à Rome»: «Les porte-plumes du «pape sont jésuites». Leur influence se marqua, à ce «qu'il semble, aussi bien dans le développement du «culte du Sacré-Cœur que dans la proclamation du «dogme de l'«Immaculée-Conception», dans la rédaction du «Syllabus» aussi bien que dans la définition de l'«Infaillibilité». La «Civiltà Cattolica», «fondée par le jésuite napolitain Carlo Curci, passa «pendant la plus grande partie du pontificat de ««Pie IX... pour refléter la pensée du pape»(53).
Voilà qui est bien net. Il n'y a qu'à enregistrer cet aveu sans détours. Nous ferons seulement observer aux mânes du pieux académicien qu'en bonne logique, et à en juger par tout le contexte précédent, c'était plutôt la pensée du pape qui reflétait celle de la «Civiltà Cattolica». Il va sans dire que les Jésuites, tout-puissants à Rome, devaient - du fait même de l'esprit de leur Ordre - engager de plus en plus la papauté dans l'action politique internationale, comme l'écrit encore M. Louis Roguelin: «Depuis la perte de son pouvoir temporel, l'Église romaine n'a négligé aucune occasion de regagner par une recrudescence d'activité diplomatique tout le terrain abandonné par contrainte, cherchant toujours le meilleur parti à tirer des conjonctures, dans le dessein savamment dissimulé de diviser pour régner». Selon le plan des fidèles de Loyola, le dogme de l'infaillibilité pontificale a puissamment favorisé cette action du Saint-Siège, dont on peut mesurer l'importance par le fait que la plupart des États ont un représentant diplomatique accrédité auprès de lui. C'est que sous couleur de dogme ou de morale, matières auxquelles se borne, en principe, la dite infaillibilité, le pape dispose aujourd'hui d'une autorité sans limites sur la conscience des fidèles.
Ainsi, on verra au XXe siècle le Vatican se mêler activement à la politique intérieure et extérieure des États, jusqu'à les gouverner grâce aux partis confessionnels. Plus encore, on le verra soutenir des hommes «providentiels», des Mussolini, des Hitler, qui forts de son appui déchaîneront les pires catastrophes. Le vicaire du Christ ne pouvait manquer de reconnaître hautement les services de la fameuse Société, qui a si bien œuvré en sa faveur. Ces «fils de Satan» comme ne craignent pas de les qualifier même certains ecclésiastiques, sont unanimement flétris, mais ils peuvent se glorifier, en revanche, de l'auguste satisfecit que leur accorda naguère le défunt pape, S.S. Pie XII, dont le confesseur, on le sait, était un Jésuite allemand.
Dans ce texte publié par «La Croix» du 9 août 1955 on peut lire: «L'Église ne demande pas d'auxiliaires d'un autre modèle à cette Compagnie... que les fils d'Ignace s'efforcent de suivre les traces des anciens...». Ils n'y manquent pas, aujourd'hui comme hier, pour le plus grand mal des nations. Nous finirons par voir, de leurs mains ensanglantées, la ruine de notre civilisation et de notre monde.
7. LES JÉSUITES EN FRANCE DE 1870 A 1885 La chute de l'Empire eût dû amener en France, semble-t-il, une réaction contre l'esprit ultramontain. En fait, il n'en fut rien, comme le montre Adolphe Michel: «Quand le trône du 2 décembre tombe dans la boue de Sedan, quand la France est définitivement vaincue, quand l'Assemblée de 1871 se réunit à Bordeaux, en attendant de venir à Versailles, le parti clérical est plus audacieux que jamais. Dans les désastres de la patrie il parle en maître. Qui ne se rappelle les outrecuidantes manifestations des jésuites et leurs menaces insolentes dans ces dernières années ? Ici, un certain Père Marquigny annonçant l'enterrement civil des principes de 89; là, M. de Belcastel vouant, de son autorité privée, la France au Sacré-Cœur; les Jésuites élevant une église sur la «colline Montmartre, à Paris, comme un défi à la Révolution; les évêques excitant la France à déclarer la «guerre à l'Italie pour rétablir le pouvoir temporel du «pape...».(54)
Gaston Bally explique fort bien la raison de cette situation apparemment paradoxale: «Pendant ce cataclysme, les Jésuites s'empressèrent, comme d'habitude, de rentrer dans leur trou, laissant à la République le soin de se tirer d'affaire comme elle le pourrait. Mais quand le gros de la besogne fut fait, quand notre territoire fut délivré de l'invasion prussienne, l'invasion noire reprit son cours et se mit à tirer les marrons du feu. On était alors sous le coup d'une sorte de cauchemar, on sortait d'un rêve effroyable, c'était le moment d'en profiter pour s'emparer des esprits affolés par cette «affreuse lutte».(55). Mais n'en est-il pas de même après toutes les guerres ? C'est un fait incontestable que l'Église romaine a toujours bénéficié des grands malheurs publics; que les deuils, les misères, les souffrances de toute sorte poussent les foules à chercher dans les pratiques pieuses d'illusoires consolations. Ainsi se trouve raffermie, sinon augmentée, par les victimes elles-mêmes la puissance de ceux qui ont déchaîné ces malheurs. A cet égard, les deux guerres mondiales ont eu les mêmes conséquences que celle de 1870. La France, alors, était vaincue, mais, par contre, ce fut une éclatante victoire de la Compagnie de Jésus, que marqua, en 1873, le vote d'une loi décidant la construction d'une basilique du Sacré-Cœur sur la butte Montmartre. Cette église, dite du «Vœu national», par une cruelle ironie sans doute, allait matérialiser dans la pierre le triomphe du jésuitisme, sur le lieu même où il avait pris son essor.
A première vue, cette invocation au Sacré-Cœur de Jésus, prônée par les Jésuites «cordicoles», pourrait paraître assez bassement idolâtre, mais innocente, en somme. «Pour se rendre compte du danger, écrit Gaston Bally, il faut regarder derrière la façade, assister à la cuisine des âmes. Il faut voir à quoi tendent les diverses associations cordicoliques; l'archiconfrérie de l'Adoration perpétuelle, l'archiconfrérie de la Garde d'Honneur, l'Apostolat de la Prière, la Communion réparatrice, etc, etc. Les archiconfréries, associés, apôtres, missionnaires, adorateurs, zélateurs, gardes d'honneur, réparateurs, médiateurs et autres fédérés du Sacré-Cœur semblent se proposer exclusivement, comme les y invitait Mlle Alacoque, d'unir leurs hommages à ceux des neuf chœurs des Anges. En réalité, il ne s'agit que d'une chose : Étrangler la Gueuse. «Les cordicoles nous ont maintes fois exposé leurs desseins. Ils ne sauraient m'accuser de calomnie: je me bornerai à citer quelques passages de leurs déclarations les plus nettes, à recueillir leurs aveux. «L'opinion publique s'indigna des propos tenus par le Père Ollivier aux obsèques des victimes du Bazar de la Charité. Le moine n'avait vu dans la catastrophe qu'un nouveau témoignage de la clémence divine. Dieu s'affligeait de nos erreurs, et nous invitait, gentiment, à les réparer. «Cela parut monstrueux. On oubliait que nous devons à la même pensée la construction de la Basilique du Vœu national».(56)
Quel était donc le terrible péché dont la France devait battre sa coulpe ? l'auteur précité répond: «... la Révolution». C'est là le crime abominable qu'il nous faut «expier». Et la Basilique du Sacré-Cœur symbolise le «repentir de la France (Sacratissimo cordi Jesu Gallioe «poenitens et devoter); elle exprime aussi notre ferme «propos de réparer le mal. C'est un monument d'expiation et de réparation ...».(57) «Sauvez Rome et la France au nom du Sacré-Cœur» devint la Marseillaise de l'Ordre moral. Alors, comme l'écrit l'abbé Brugerette: «Il était permis d'espérer même contre toute espérance. On pouvait attendre «du ciel apaisé» l'événement d'où viendraient, un jour ou l'autre, la restauration de l'ordre, le salut de la patrie».(58)
Il est à croire, cependant, que «le ciel», irrité contre la France des Droits de l'homme, ne se trouvait pas suffisamment «apaisé» par l'érection de la fameuse basilique aux trois éteignoirs, car la «restauration de l'ordre», c'est-à-dire la Restauration monarchique, se faisait attendre. Le même auteur s'en explique en ces termes: Si impressionnantes, en effet, que pouvaient paraître les grandioses manifestations de la foi catholique, dans les années qui suivirent la guerre de 1870, ne serait-ce pas manquer quelque peu du sens de l'observation et de l'esprit psychologique, ne serait-ce pas encore se tenir en dehors de la vérité que de juger la société française de cette époque sur les seuls témoignages de cette piété extérieure ? On doit donc se demander si le sentiment religieux répond exactement pour l'ensemble de cette société à l'expression de la foi telle que la révèlent les grandioses pèlerinages organisés par les évêques et l'empressement des foules dans les églises... «Sans vouloir atténuer en aucune manière l'importance du mouvement religieux provoqué en France par les deux guerres de 1870 et de 1914 et qui fit lever de si belles espérances, il faut bien reconnaître que ce réveil de la foi n'eut ni la profondeur, ni l'étendue que parurent révéler les manifestations d'une piété bien faite pour donner l'illusion d'une véritable renaissance religieuse... Car, même en ce temps-là, l'Église de France couvrait malheureusement de sa robe non seulement des milliers d'incroyants et d'adversaires, mais un nombre trop grand, hélas ! de fidèles qui n'avaient guère de catholique que l'étiquette. La pratique religieuse tient encore quelque place dans l'horaire de leur vie, mais le sentiment religieux, traduit par une foi agissante, ne paraît pas en tenir beaucoup dans leur cœur... «Comme si la France, à peine après l'avoir accompli, regrettait le mouvement auquel, dans une heure de désespérance, elle avait obéi en envoyant à l'Assemblée nationale une majorité catholique, on la voit, cinq mois plus tard, changer complètement de position aux élections complémentaires du 2 juillet ! Ce jour-là, le pays devait élire 113 députés. Ce fut la défaite complète des catholiques et le succès de 80 à 90 républicains. Toutes les élections qui suivront cette consultation du suffrage universel, auront le même caractère d'opposition républicaine et anticléricale. Il serait puéril d'affirmer qu'elles ne répondaient pas aux sentiments et, aux vœux de la société dont elles étaient l'émanation».(59)
L'abbé Brugerette, parlant des grands pèlerinages organisés à cette époque «pour le relèvement du pays», reconnaît qu'ils donnaient lieu à «certains écarts et certains excès», dont prenaient ombrage les «adversaires de l'Église». «Les pèlerinages seront donc pour eux des entreprises organisées par le clergé pour la restauration de la monarchie en France et du pouvoir pontifical à Rome. Et l'attitude prise par le clergé en ces deux affaires, paraîtra justifier cette accusation de la presse irréligieuse, et donnera, de ce fait, comme nous le verrons plus loin, un formidable essor à l'anticléricalisme. Sans rompre avec ses habitudes religieuses dont les années d'après-guerre ont amené un si beau revival, la société française se révoltera contre ces directions que Gambetta devait flétrir sous le nom de «gouvernement des curés». C'est qu'il restait au fond de l'âme du peuple français, un invincible instinct de résistance à tout ce qui, de près ou de loin, ressemblait à la domination politique de l'Église Ce peuple, dans son ensemble, aimait la religion, mais «la théocratie» dont la presse d'opposition avait réveillé le fantôme, lui faisait peur. La fille aînée de l'Église ne voulait pas oublier qu'elle était aussi la mère de la Révolution».(60)
Pourtant, que d'efforts ne déployait pas le clergé, Jésuites en tête, pour amener les Français à renier l'esprit républicain ! Les Jésuites sont donc anti-républicain, ce qui veut dire qu'ils supportent la démoncratie qu'ils utilisent pour asservir les peuples à leur théocratie papale. Cela expliquerait donc les évènements qui se déroulent présentement (2018) dans le gouvernement Américain, où nous voyons que les démoncrats cherchent constamment à entraver la démarche des républicains.
Depuis la loi Falloux, les Jésuites développent librement leurs collèges où ils élèvent les enfants de la bourgeoisie dirigeante et, certes, ils ne leur inculquent pas un ardent amour de la République... «Quant aux Assomptionnistes, créés en 1845 par l'intransigeant Père d'Alzon, c'est au peuple qu'ils veulent redonner la foi qu'il a perdue...».(61) Mais bien d'autres congrégations enseignantes fleurissent à l'envie: Oratoriens, Eudistes, Dominicains du Tiers-Ordre, Marianites, Maristes (que Jules Simon appelle «le tome II des Jésuites relié en peau d'âne») et les fameux Frères des écoles chrétiennes, plus connus sous le nom d'Ignorantins, inculquent la «bonne doctrine» aux rejetons de la bourgeoisie et à plus d'un million et demi d'enfants du peuple. Il n'est pas surprenant que cette situation ait provoqué une réaction de défense du régime républicain. Une loi, déposée en 1879 par Jules Ferry, écarte le clergé des Conseils de l'Instruction publique où l'avaient fait entrer les lois de 1850 et de 1873, et elle restitue aux Facultés de l'État le droit exclusif de collationner les grades des enseignants. D'autre part, l'article 7 de cette loi spécifie que nul ne sera admis à participer à l'enseignement public ou libre, s'il appartient à une congrégation religieuse non autorisée». «Les Jésuites sont visés avant tout par ce fameux article 7. Les prêtres du doyenné de Moret (Seine-et-Marne) tiendront donc à déclarer «qu'ils prennent parti pour toutes les communautés religieuses, sans en excepter les vénérables Pères de la Compagnie de Jésus». «Les frapper, écrivent-ils, c'est nous frapper au cœur» ... L'aveu est explicite.
L'abbé Brugerette, dont nous venons de citer ce passage, décrit la résistance opposée par les catholiques à ce qu'il appelle une «perfide attaque», mais il ajoute: «Le clergé ne se doute pas encore des progrès immenses du laïcisme, il n'a pas encore compris que, par son opposition aux principes de 89, il s'est privé de toute influence profonde sur la direction de l'esprit public en France.» L'article 7 est repoussé par le Sénat, mais Jules Ferry en appelle alors aux lois existantes sur les congrégations. «En conséquence, le 29 mars 1880, le «Journal Officiel» enregistrait deux décrets qui obligeaient les Jésuites à se dissoudre et toutes les congrégations non autorisées d'hommes et de femmes à «se pourvoir dans le délai de trois mois, à l'effet d'obtenir la vérification et l'approbation de leurs statuts et la reconnaissance légale...» Sans retard, un mouvement d'opposition s'organise, «L'Église, atteinte en plein cœur, se lève tout entière», selon la juste expression de M. Debidour. Dès le 11 mars, Léon XIII et son nonce font entendre une protestation douloureuse... «Tous les évêques prennent, à leur tour, avec la plus grande énergie, la défense des Ordres religieux.»(63) Les fils de Loyola n'en furent pas moins expulsés. Mais écoutons encore à ce sujet l'abbé Brugerette: «Malgré tout, les Jésuites, experts, quand ils sont chassés par la porte, à revenir par les fenêtres, avaient déjà réussi à passer leurs collèges aux mains de laïcs ou d'ecclésiastiques séculiers. Sans résider dans ces collèges, on les voyait même y venir, à certaines heures, pour exercer certaines fonctions de direction ou de surveillance.»(64)
Cependant, la ruse ne passa pas inaperçue et les collèges des Jésuites furent finalement fermés. Au total, les décrets de 1879 furent appliqués à 32 congrégations, qui refusèrent de se soumettre aux dispositions légales. En bien des lieux, l'expulsion dut être faite «manu militari», contre l'opposition des fidèles ameutés par les religieux. Ceux-ci refusaient, non seulement de demander l'autorisation légale, mais même de signer une déclaration désavouant toute idée d'opposition au régime républicain, ce dont M. de Freycinet, alors président du Conseil et qui leur était favorable, se serait contenté personnellement pour les «tolérer» encore. Quand les Ordres se décidèrent à signer cette déclaration d'un loyalisme tout formel, la manœuvre avait été éventée, et M. de Freycinet dut abandonner le pouvoir pour avoir tenté de négocier cet accord contre la volonté du parlement et de ses collègues du cabinet.
L'abbé Brugerette observe justement, à propos de la déclaration que les Ordres religieux répugnaient tant à signer: «Cette affirmation de respect à l'égard des institutions que la France s'était librement données... paraît aujourd'hui bien inoffensive et anodine quand on la compare au serment solennel de fidélité exigé des évêques allemands par le Concordat du 20 juillet 1933 entre le Saint-Siège et le Reich. «Article 16. - «Les évêques, avant de prendre possession de leur diocèse, prêteront entre les mains du président du Reich ou entre les mains du Reichsstatthalter près l'État compétent, un serment de fidélité selon la formule suivante: «Devant Dieu et sur les saints Évangiles, je jure et promets, comme il convient à un évêque, fidélité au Reich allemand et à l'État. Je jure et promets de respecter et de faire respecter par mon clergé le gouvernement établi selon les lois constitutionnelles. Me préoccupant, comme il est de mon devoir, du bien et de l'intérêt de l'État allemand, je chercherai, dans l'exercice du saint ministère qui m'est confié, à empêcher tout préjudice qui pourrait le menacer». (Concordat entre le Saint-Siège et le Reich allemand).(65).
Certes, la différence est grande entre une simple promesse de non-opposition au régime de la France, et cet engagement solennel de soutien à l'État nazi. Aussi grande que la différence entre les deux régimes, l'un démocratique et libéral, donc haï par l'Église romaine, l'autre totalitaire et brutalement intolérant, tel que le voulurent et le suscitèrent, par leurs efforts conjoints, Franz von Papen, camérier secret du pape, et Mgr Pacelli, nonce à Berlin et futur Pie XII. C'est encore l'abbé Brugerette qui, après avoir déclaré que le but du gouvernement était atteint quant à la Compagnie de Jésus, reconnaît d'autre part: «On ne pouvait parler cependant de la destruction de l'institution congréganiste. Les congrégations de femmes n'avaient pas été frappées, et les congrégations autorisées, «aussi dangereuses que les autres pour l'esprit laïque», restaient debout. On savait également que presque toutes les congrégations d'hommes expulsées de leurs maisons, en vertu des décrets de 1880, avaient pu rentrer sans bruit dans leurs couvents.»(66) Mais cet apaisement fut de courte durée. La prétention de l'État de percevoir des impôts et des droits successoraux sur les biens des communautés ecclésiastiques, souleva un tollé général chez celles-ci, qui n'entendaient pas être soumises à la loi commune. «L'organisation de la résistance était l'œuvre d'un comité que dirigeaient les PP. Bailly, Assomptionniste, Stanislas, Capucin, et Le Doré, supérieur des Eudistes. Le Père Bailly réchauffait le beau zèle du clergé en écrivant: «Il faut que les religieux et les religieuses en arrivent, comme saint Laurent, aux grils et aux chevalets, plutôt que de céder».(67)
Comme par hasard, le principal réchauffeur de ce «beau zèle», le P. Bailly, était assomptionniste, c'est-à-dire, en fait, un Jésuite camouflé. Quant aux grils et aux chevalets, on eût pu faire observer au bon Père que ces instruments de torture sont dans la tradition du Saint-Office, et non dans celle de l'État républicain. Finalement, les congrégations payèrent - à peu près la moitié de ce qu'elles devaient - et l'abbé précité reconnaît que «la prospérité de leurs œuvres n'en fut point atteinte». On le croit aisément. Nous ne pouvons entrer dans le détail des lois de 1880 et 1886, qui tendaient à assurer la neutralité confessionnelle des écoles publiques, cette «laïcité»(67 bis), qui paraît toute naturelle aux esprits tolérants, mais que l'Église romaine rejette comme une atteinte abominable au droit de forcer les consciences qu'elle s'est de tout temps arrogé. On pouvait attendre qu'elle combattît pour ce prétendu droit aussi âprement que pour ses privilèges financiers.
En 1883, c'est la Congrégation romaine de l'Index, d'inspiration toute jésuitique, qui entre en lice par la condamnation de certains manuels scolaires d'enseignement moral et civique. Il est vrai que l'affaire est grave: l'un des auteurs, Paul Bert, n'a-t-il pas osé écrire que la simple idée du miracle «doit s'évanouir devant l'esprit critique» ? Aussi, plus de cinquante évêques promulguent le décret de l'Index, avec des commentaires fulminants, et l'un d'eux, Mgr Isoard, déclare dans sa lettre pastorale du 27 février 1883, que les instituteurs, les parents et les enfants qui refuseront de détruire ces livres seront exclus des sacrements(67 ter). La loi de 1886, celles de 1901 et 1904, disposant qu'aucun enseignement ne pourrait être donné par des membres de congrégations religieuses, soulevèrent encore les plus vives protestations du Vatican et du clergé «français». Mais, en fait, les religieux enseignants en furent quittes pour se «séculariser». Le seul résultat positif des dispositions légales fut que les professeurs des écoles «dites libres» durent désormais justifier de titres pédagogiques suffisants, et l'on ne peut que s'en féliciter si l'on songe que les écoles primaires catholiques étaient en France, avant la dernière guerre, au nombre de 11.655, avec 824.595 élèves. Quant aux collèges «libres», et plus particulièrement ceux des Jésuites, si leur nombre est en diminution, cela tient à divers facteurs qui n'ont rien de commun avec les prétendues brimades légales. La supériorité de l'enseignement universitaire, reconnue par la majorité des parents, et, plus récemment, sa gratuité, sont les principales causes de la faveur croissante où on le tient. En outre, la Société. de Jésus a réduit, de sa propre volonté, le nombre de ses maisons d'éducation.
8. LES JÉSUITES ET LE GENERAL BOULANGER - LES JÉSUITES ET L'AFFAIRE DREYFUS L'hostilité dont le parti dévot prétendait être la victime, à la fin du XIX' siècle, de la part de l'État républicain, n'eût pas manqué de justification, quand bien même cette hostilité - ou plus précisément cette défiance - se serait manifestée de façon plus positive qu'elle ne le fit. En effet, l'opposition cléricale au régime que la France s'était librement donné, pour reprendre les termes de l'abbé Brugerette, se marquait en toute occasion. Dès 1873, c'est la tentative, solidement appuyée par le clergé, de restaurer la monarchie au bénéfice du comte de Chambord, tentative qui échoua par l'obstination du prétendant à refuser d'adopter le drapeau tricolore, à ses yeux emblème de la Révolution. «Tel qu'il est, le catholicisme apparaît lié à la politique, à une certaine politique... La fidélité à la Monarchie s'est transmise à travers les générations dans de vieilles familles de la noblesse, de la bourgeoisie, et dans le peuple des régions catholiques de l'Ouest et du Midi. Leur nostalgie d'un Ancien Régime idéalisé à l'image d'un moyen âge légendaire, a rejoint les vœux des catholiques ardents, avant tout préoccupés du salut de la religion, ralliés derrière Veuillot à la royauté légitime et croyante du comte de Chambord comme à la forme de gouvernement la plus favorable à l'Église. De la conjonction de ces forces politiques et religieuses est né, dans l'esprit tendu de l'après-guerre, un état d'esprit de mysticisme «méaculpiste» et réactionnaire, que les formules de Mgr Pie, évêque de Poitiers, son incarnation la plus éclatante dans le monde ecclésiastique, illustrent exactement: la France «qui attend un chef , qui appelle un maître...» recevra à nouveau de Dieu «le sceptre de l'univers un instant tombé de ses mains», le jour où elle «aura rappris à se mettre à genoux».(68)
Ce tableau, tracé par un historien catholique, est significatif. Il permet de comprendre les mouvements qui succédèrent, quelques années plus tard, à l'échec de l'essai de restauration en 1873. C'est ce même historien catholique qui décrit l'attitude politique du clergé à cette époque, dans les termes suivants: «Lors des élections, les presbytères servent de permanence aux candidats réactionnaires, les curés et les desservants font des visites de propagande électorale à domicile, vitupèrent la République et ses nouvelles lois sur l'enseignement, déclarent coupables de péché mortel ceux qui votent pour les gouvernants, les libres penseurs, les francs-maçons, traités de «canailles», de «bandits», de «voleurs». L'un déclare que la femme adultère sera plus facilement pardonnée que ceux qui envoient leurs enfants à l'école laïque, un autre qu'il vaut mieux étrangler un enfant que de donner sa voix au régime, un troisième qu'il refusera les derniers sacrements à ceux qui votent pour ses partisans. Les actes se conforment aux paroles: des commerçants républicains et anticléricaux sont boycottés, des indigents cessent d'être secourus et des ouvriers sont renvoyés parce que mal-pensants.»(69)
Ces excès d'un clergé de plus en plus pénétré d'ultramontanisme jésuitique sont d'autant moins acceptables qu'ils émanent «d'ecclésiastiques payés par le gouvernement, car le Concordat est toujours en vigueur». Au reste, l'opinion publique, dans sa majorité, voit d'un fort mauvais œil cette pression sur les consciences, comme le note l'auteur précité: «On l'a vu, le peuple français, dans son ensemble, est indifférent en matière religieuse, et l'on ne peut confondre l'observance héréditaire des pratiques du culte avec une croyance véritable... «C'est un fait, la carte politique de la France coïncide avec sa carte religieuse... On peut dire que dans les régions où la foi est vive, les Français votent pour les candidats catholiques; ailleurs, c'est par un acte conscient qu'ils élisent des députés et des sénateurs anticléricaux... Ils ne veulent pas du cléricalisme, c'est-à-dire de l'autorité ecclésiastique en matière politique, ce qu'on appelle vulgairement «le gouvernement des curés». «Pour un grand nombre de catholiques eux-mêmes, c'en est assez que par les instructions du prône et les prescriptions du confessionnal, le prêtre, cet homme gênant, intervienne dans leur comportement de fidèles, contrôlant pensées, sentiments et actes, le boire, le manger et jusqu'à l'intimité conjugale; ils entendent du moins marquer les limites de son empire en préservant leur indépendance de citoyen.»(70)
On aimerait que cet esprit d'indépendance soit demeuré aussi vivace de nos jours. Mais, quel que fût le sentiment de ce «grand nombre de catholiques», les ultramontains, eux, ne désarmaient pas et poursuivaient en toute occasion la lutte contre le régime exécré. Ils crurent un moment trouver l'«homme providentiel» en la personne du général Boulanger, ministre de la Guerre en 1886, lequel, ayant fort bien organisé sa propagande personnelle, faisait figure de futur dictateur. «Une entente tacite, écrit M. Adrien Dansette, s'établit entre le général et les catholiques. Elle devient explicite au cours de l'été... Il a par ailleurs conclu un accord secret avec des parlementaires royalistes tels que le baron de Mackau et le comte de Mun, défenseurs habituels de l'Église à la Chambre... «Le flegmatique ministre de l'Intérieur, Constans, menace de le faire arrêter, et, le 10 avril, le candidat dictateur s'enfuit à Bruxelles, au bras de sa maîtresse. «Dès lors, le boulangisme décline rapidement. La France n'a pas été prise: elle se reprend... Le boulangisme est écrasé lors des scrutins du 22 septembre et du 6 octobre 1889...»(71)
On peut lire, sous la plume du même historien catholique, quelle était, à l'égard de cet aventurier, l'attitude du pape d'alors, Léon XIII, qui avait succédé en 1878 à Pie IX, pape du «Syllabus», et affectait de conseiller à ses fidèles de France, le ralliement au régime républicain: «En août (1889), l'ambassadeur d'Allemagne au Vatican prétend que le pape voit dans le général (Boulanger) l'homme qui renversera la République française et rétablira le trône; on lit alors dans un article où le «Moniteur de Rome» envisage l'arrivée au pouvoir du candidat dictateur, que l'Église «peut même y gagner beaucoup»... Le général Boulanger a envoyé à Rome un de ses anciens officiers d'ordonnance porter à Léon XIII une lettre où il lui promettait «que le jour où il tiendrait l'épée de la France entre ses mains. Il s'efforcerait de faire reconnaître les droits de, la papauté»(72).
Tel était le pontife, d'ailleurs Jésuite, auquel les cléricaux intransigeants reprochaient un excès de «libéralisme». La crise boulangiste était suffisamment révélatrice de l'action que menait le parti dévot contre la République laïque, sous le couvert du nationalisme. Mais le caractère falot du protagoniste choisi, autant que la résistance de la majorité de la nation, avait amené l'échec de cette tentative malgré tout le déploiement d'une agitation factice. Cependant, la formule «cocardière» s'était avérée assez efficace, à Paris surtout, pour qu'on se réservât de l'utiliser encore dans une meilleure occasion. Celle-ci surgira bientôt --- ou on la provoquera --- et il va sans dire que les disciples de Loyola seront à la tête du mouvement. «Leurs amis sont là, écrit M. Pierre Dominique: une noblesse devenue bigote, une bourgeoisie qui rejette Voltaire, beaucoup de militaires. Ils vont travailler particulièrement l'armée.... et cela va nous donner la fameuse alliance «du sabre et du goupillon». «Vers 1890, ils ont en France la direction de conscience non plus du roi, mais de l'état-major ou du moins de son chef, et c'est alors qu'éclate l'Affaire Dreyfus. Véritable guerre civile qui coupe la France en deux.»(73)
L'historien catholique, Adrien Dansette, résume ainsi. le début de l'Affaire: «Le 22 décembre 1894, le capitaine d'artillerie Alfred Dreyfus est condamné pour trahison à la déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée et à la dégradation militaire. Trois mois plus tôt, notre service de renseignements était entré en possession, à l'ambassade d'Allemagne, du bordereau d'envoi de divers documents intéressant la défense nationale, et il avait constaté une similitude entre l'écriture de ce bordereau et celle du capitaine Dreyfus. Aussitôt, on s'était écrié à l'état-major: «C'est lui, c'est le juif». Il n'existait que cette présomption et la trahison n'avait pas d'explication psychologique (Dreyfus était bien noté, riche, et il menait une vie rangée); le malheureux n'en a pas moins été incarcéré et traduit en conseil de guerre après une enquête d'une légèreté et d'une partialité qu'explique seul un jugement préconçu. Par surcroît, on apprendra plus tard qu'un dossier secret a été communiqué aux juges sans que le défenseur de l'accusé en ait eu connaissance... «Cependant, les fuites ont continué à l'état-major après l'arrestation de Dreyfus, et le commandant Picquart, chef du service de renseignements à partir de juillet 1895, prend connaissance d'un projet de «petit bleu» (on appelle ainsi les cartes pneumatiques) de l'attaché militaire allemand au commandant français (d'origine hongroise) Esterhazy, individu taré, qui n'éprouve pour son pays (d'adoption) que haine et mépris. Mais un officier du service de renseignements, le Commandant Henry, ajoute au dossier Dreyfus - nous le verrons - une pièce fausse qui serait accablante pour l'officier juif si elle était authentique; en outre, il efface, puis récrit le nom d'Esterhazy sur le petit bleu pour faire croire que la pièce a été truquée. Et Picquart tombe en disgrâce en novembre 1896.»(74)
On ne comprend que trop la disgrâce du chef du service de renseignements: il avait montré un zèle excessif à dissiper des ténèbres soigneusement accumulées. Le plus sûr des témoignages s'en trouve dans les «Carnets de Schwartzkoppen», édités après sa mort, en 1930. C'était bien d'Esterhazy, et non de Dreyfus, que l'auteur, alors qu'il était premier attaché militaire à l'ambassade d'Allemagne à Paris, avait reçu des pièces secrètes de la Défense nationale française. «Déjà quelque temps auparavant, en juillet, Picquart estima que le moment était venu d'avertir par lettre le chef d'état-major, qui était à Vichy, de ses soupçons contre Esterhazy. Le premier entretien eut lieu le 5 août 1896. Le général de Boisdeffre approuva tout ce que Picquart avait jusque-là fait dans cette affaire, et lui accorda l'autorisation de poursuivre ses «recherches. «Le ministre de la Guerre, général Billot, fut également, dès le mois d'août, informé des soupçons de Picquart; il approuva, lui aussi, les mesures prises par Picquart. Esterhazy, congédié par moi, avait essayé, en utilisant ses relations avec le député Jules «Roche de se faire détacher au ministère de la Guerre probablement pour pouvoir de cette façon renouer ses rapports avec moi, et il avait écrit plusieurs lettres aussi bien au ministre de la Guerre . qu'à son aide de camp. Une de ses lettres fut remise à Picquart qui, ainsi en possession de son écriture, constata, pour la première fois, qu'elle était la même que celle, du bordereau. Il montra à Du Paty et à Bertillon une photographie de cette lettre, sans leur dire, naturellement, par qui la lettre avait été écrite... Bertillon dit: «Ah, c'est l'écriture du bordereau !(75). «Sentant s'ébranler la conviction qu'il avait dans la, culpabilité de Dreyfus, Picquart résolut de voir le «petit dossier» qui avait été communiqué aux seuls juges. L'archiviste Gribelin le lui remit. C'était le soir. Resté seul dans son bureau, Picquart ouvrit l'enveloppe d'Henry, non scellée, sur laquelle se trouvait le paraphe d'Henry. au crayon bleu... Grande fut sa stupeur quand il constata le néant de ces pauvres pièces dont aucune ne pouvait s'appliquer à Dreyfus. Pour la première fois, il comprit que le condamné de l'île du Diable était innocent. Dès le lendemain, Picquart rédigea une note par laquelle il exposait toutes les charges qui pesaient sur Esterhazy et la remit au général de Boisdeffre en lui faisant part de sa découverte. Arrivé au dossier secret, le général sursauta en s'écriant: «Pourquoi n'a-t-il pas été brûlé comme il avait été convenu ?»(76).
Von Schwartzkoppen écrit plus loin: «Ma situation devint extrêmement pénible. La question se dressait devant moi si je ne devais pas proclamer la vérité tout entière, afin de disculper l'horrible erreur et amener ainsi la libération de l'innocent condamné. Si j'avais pu agir comme je l'aurais voulu, j'aurais certainement fait cela ! Examinant les choses de plus près, j'en vins cependant à la décision de ne pas me mêler de cette affaire, car, dans les conditions données, on ne m'aurait tout de même pas cru; en outre, des considérations diplomatiques s'opposaient à une action pareille. La considération que le gouvernement français était désormais en état de prendre lui-même les mesures nécessaires pour faire la lumière et réparer l'injustice commise, me raffermit également dans, ma décision.»(77) «On voit naître la tactique qui sera celle de l'état-major», note M. Adrien Dansette: «Si Esterhazy est coupable, les officiers qui ont provoqué la condamnation illégale de Dreyfus et d'abord le général Mercier, ministre de la Guerre à l'époque, le sont aussi. L'intérêt de l'armée exige le sacrifice de Dreyfus; il ne faut pas toucher à la sentence de 1894».
On demeure stupéfait aujourd'hui à là pensée qu'un pareil argument ait pu être invoqué pour justifier, si l'on ose s'exprimer ainsi, une condamnation inique. Il en fut ainsi cependant tout au long de l'Affaire qui ne faisait que commencer. Certes, on se trouvait alors en pleine fièvre antisémite. Les violentes diatribes d'Edouard Drumont, dans la «Libre Parole», désignaient chaque jour les enfants d'Israël comme des agents de corruption et de dissolution nationales. Le préjugé défavorable ainsi créé inclinait une bonne, partie de l'opinion à croire, «a priori», à la culpabilité, de Dreyfus. Mais, plus tard, quand l'innocence de l'accusé apparut évidente, l'argument monstrueux, de l'«infaillibilité» du tribunal militaire, n'en fut pas moins soutenu, et désormais avec le plus parfait cynisme.
Est-ce à dire que l'Esprit-Saint inspirait ces juges en uniforme, qui en aucun cas ne pouvaient se tromper ? On serait tenté de croire, en effet, à cette intervention céleste - si semblable à celle qui garantit l'infaillibilité papale - quand on lit au sujet du Père du Lac, de la Compagnie des Jésuites dont il sera beaucoup parlé à propos de l'Affaire: «Il a dirigé le collège de la rue des Postes où les Jésuites préparent les candidats aux grandes Écoles. C'est un homme fort intelligent, de relations très étendues. Il a converti Drumont, il confesse de Mun et de Boisdeffre, chef d'état-major de l'Armée, qu'il voit tous les jours».(79)
L'abbé Brugerette rapporte, lui aussi, ces mêmes faits allégués par Joseph Reinach»: «N'est-ce pas lui, le Père du Lac, qui a converti Drumont, qui l'a engagé à écrire «La France Juive», qui lui a fourni des fonds pour créer la «Libre Parole, ? Est-ce que le général de Boisdeffre ne voit pas, tous les jours, le fameux Jésuite ? Le chef de l'État-major ne prend pas une mesure sans avoir d'abord consulté son directeur»(80).
Là-bas, à Ille du Diable, qui mérite si bien son nom, sous le climat meurtrier de Cayenne, la victime de t'atroce machination était soumise à un régime exceptionnellement cruel, la presse antisémite ayant répandu le bruit qu'il avait tenté de s'évader. Le ministre des Colonies, André Lebon, donna des ordres en conséquence. «Ce fut le dimanche matin, 6 septembre, que le gardien chef Lebar prévint son prisonnier qu'il ne pourra plus se promener dans la partie de l'île qui lui avait été réservée jusque-là et qu'il ne pourra circuler qu'autour de sa case. Le soir, il lui annonça qu'il serait mis aux fers pour la nuit. Au pied de sa couchette, formée de trois planches, était rivée une tige de fer en forme de broche avec, au milieu, deux manilles en fer (double boucle) destinés à encercler les pieds du condamné. Ce supplice, par les puits torrides, était particulièrement douloureux». «Au lever du jour, les surveillants détachèrent le prisonnier qui, en se levant, flageola sur ses jambes. Défense lui fut faite de sortir de sa case, dans laquelle il devait rester désormais jour et nuit. Le soir, il fut remis aux fers et il en fut ainsi pendant quarante nuits. A la longue, ses chevilles étaient en sang, il fallait les panser; ses gardiens, émus, lui enveloppèrent en cachette ses pieds avant de les mettre aux fers»(81). Cependant, le condamné ne cessait pas de proclamer son innocence, à sa femme il écrivait: «Il se trouvera bien dans ce beau pays de France, si généreux, un homme honnête et assez courageux pour chercher et découvrir la vérité»(82).
En fait, la vérité ne faisait plus de doute. Ce qui manquait, c'était la volonté de la faire éclater. L'Abbé Brugerette lui-même en témoigne: «En vain les présomptions d'innocence du détenu de l'île du Diable se multiplient, en vain M. de Bülow, par ses déclarations au Reichstag et par celles qu'il charge M. de Munster, son ambassadeur, de transmettre au gouvernement français, affirme-t-il l'innocence de Dreyfus, que proclame à son tour l'empereur Guillaume et que confirme le rappel à Berlin de Schwartzkoppen (l'attaché militaire allemand) dès que Esterhazy fut accusé par Mathieu Dreyfus (frère du condamné); L'État-major reste opposé à toute révision du procès... On s'applique à couvrir Esterhazy. On lui communique des pièces secrètes pour sa défense, on refuse même de faire comparer son écriture à celle du bordereau... «Ainsi couvert, le bandit Esterhazy pousse l'audace jusqu'à demander sa comparution devant un Conseil de guerre. Il y est acquitté à l'unanimité, le 17 janvier 1898 après une délibération qui avait duré trois minutes»(83)
Notons que, quelques mois plus tard, le colonel Henry ayant été convaincu de faux, Esterhazy s'enfuira en Angleterre et finira par avouer qu'il était bien l'auteur du fameux bordereau attribué à Dreyfus. Nous ne pouvons développer ici toutes les péripéties de ce drame, les faux ajoutés aux faux pour tenter de masquer une vérité désormais éclatante, la démission du chef de l'état-major, les chutes de ministères, le suicide d'Henry, détenu au Mont Valérien, qui se coupa la gorge, signant ainsi de son sang l'aveu de sa culpabilité. Il y eut aussi, en décembre 1898, cette note officieuse publiée par la presse allemande: «Les déclarations du gouvernement impérial ont établi qu'aucune personnalité, allemande, haute ou infime, n'a entretenu des rapports quelconques avec Dreyfus. On ne peut donc voir, du côté allemand, aucun inconvénient à la publication intégrale du dossier secret(84). Enfin, l'inévitable révision est décidée par la Haute Cour. Dreyfus est renvoyé devant le conseil de guerre de Rennes, le 3 juin 1899. Mais c'est pour lui un nouveau calvaire qui commence. «Il ne peut supposer qu'il va rencontrer des haines plus atroces qu'à son départ et que ses anciens chefs, conjurés pour lui faire reprendre la route de l'île du Diable, n'auront aucune pitié pour ce malheureux entre les malheureux, pour ce pauvre être qui croit avoir touché le fond de la souffrance»(85). «Aussi bien, écrit l'abbé Brugerette, le conseil de guerre de Rennes ne fera-t-il qu'ajouter une nouvelle iniquité à l'iniquité du procès de 1894. L'illégalité de ce procès, la culpabilité d'Esterhazy, les manœuvres criminelles d'Henry apparaîtront dans une lumière crue au cours des vingt-neuf audiences du procès de Rennes. Mais le conseil de guerre... jugera Dreyfus sur d'autres faits d'espionnage qui n'ont donné lieu à aucun rapport, à aucun acte d'accusation. On lui attribuera toutes les fuites antérieures à son arrestation, on fera état contre lui des documents qui ne le concernent en aucune manière... Enfin, contrairement à toutes nos traditions judiciaires, on exigera de Dreyfus qu'il établisse lui-même qu'il n'a pas livré telle pièce, tel document, comme si ce n'était plus le rôle de l'accusation de prouver le délit»(86).
La partialité des accusateurs de Dreyfus était si évidente qu'elle soulevait l'indignation de l'opinion publique à l'étranger. En Allemagne, l'officieuse «Gazette de Cologne», publiait, les 16 et 29 août, en plein procès, deux articles dans lesquels on relève cette phrase: «Si, après les déclarations du gouvernement allemand et les débats de la Cour de Cassation, quelqu'un croit encore à la culpabilité de Dreyfus, on ne peut que lui répondre: c'est un homme qui souffre d'une maladie cérébrale ou qui veut consciemment faire condamner un innocent»(87). Mais la haine, la sottise, le fanatisme ne désarmaient pas pour autant. On ne manqua même pas d'user de nouveaux faux pour remplacer les anciens, qui avaient perdu tout crédit. En bref, une bouffonnerie sinistre. Elle aboutit, pour Dreyfus, à une condamnation à dix ans de détention, avec circonstances atténuantes ! «Ce misérable jugement provoqua dans le monde entier une stupeur indignée. La France méprisée, qui aurait pu rêver cette affreuse douleur?»(88) s'écria Clémenceau à la lecture des journaux anglais et allemands. La grâce s'imposait. Dreyfus l'accepta pour «continuer, dit-il, à poursuivre la réparation de l'effroyable erreur militaire dont il était la victime». Pour cette réparation, il ne fallait plus compter sur la justice des Conseils de guerre. On avait vu cette justice à l'œuvre. La réparation vint, une fois de plus, de la Cour de Cassation qui, après de minutieuses enquêtes et de longs débats, annula sans renvoi le verdict de Rennes. Et quelques jours plus tard, la Chambre et Ie Sénat, par un vote solennel, réintégraient Dreyfus dans l'armée: Dreyfus, décoré de la Légion d'honneur et réhabilité publiquement».(89)
Cette réparation tardive, si péniblement obtenue, était due à des hommes «honnêtes et courageux», tels qu'avait souhaité en voir surgir pour sa défense l'innocent de l'île du Diable. Leur nombre n'avait cessé de grandir à mesure que la vérité se faisait jour. Après l'acquittement éclair du traître Esterhazy, par un Conseil de guerre, en janvier 1898, Emile Zola publiait dans l'«Aurore», journal de Clémenceau, sa fameuse lettre ouverte «J'accuse». Il écrivait: J'accuse le premier Conseil de guerre d'avoir violé le droit en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j'accuse le second Conseil de guerre d'avoir couvert cette illégalité par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d'acquitter sciemment un coupable». C'était, en résumé, toute l'Affaire. Mais les «chevaliers de l'éteignoir» veillaient à étouffer tout ce qui eût pu éclairer le public. Une interpellation du député catholique de Mun fit traduire Zola devant la Cour d'assises de la Seine, et le courageux écrivain finit condamné à un an de prison, le maximum de la peine, à l'issue d'un procès inique.
L'opinion avait été si bien trompée par les clameurs des clérico-nationalistes que les élections de mai 1898 leur furent favorables. Cependant, la révélation publique des faux, la démission du chef de l'état-major, l'évidence de la partialité criminelle des juges ouvraient de plus en plus les yeux de ceux qui recherchaient sincèrement la vérité. Mais ceux-là se recrutaient presque exclusivement parmi les protestants, les israélites et les laïques. «En France, il n'est que de rares catholiques, parmi lesquels on trouve peu de noms marquants, pour prendre une position dreyfusarde... Mais l'action de cette poignée d'isolés a peu de retentissement. Autour d'elle s'établit la conspiration du silence...»(90).
En revanche, comme l'écrit l'abbé Brugerette: «La plupart des prêtres et des évêques restent convaincus que Dreyfus est coupable...» Georges Sorel déclare aussi: «Tandis que l'affaire Dreyfus jetait la division dans tous les groupements sociaux, le monde catholique marcha avec un ensemble presque absolu contre la révision». Péguy, lui-même, reconnaît que «toutes les forces politiques de l'Église ont toujours été contre le dreyfusisme». Faut-il rappeler les listes de souscription ouvertes par la «Libre Parole» et «La Croix», en faveur de la veuve du faussaire Henry suicidé ? Les noms des prêtres souscripteurs s'y accompagnent de «commentaires assez peu évangéliques», comme le dit M. Adrien Dansette qui cite les suivants: «Un abbé Cros demande une descente de lit en peau de youpin, afin de la piétiner matin et soir; un jeune vicaire voudrait du talon écraser le nez de Reinach; trois curés rêvent d'appliquer leurs trente doigts sur la figure immonde du juif Reinach»(91). Encore, le clergé séculier, en son ensemble, conserve-t-il quelque réserve. Dans les Congrégations, on est beaucoup plus virulent: «Le 15 juillet 1898, à la distribution des prix du collège d'Arcueil que présidait le généralissime Jamont (vice-président du Conseil supérieur de la guerre), le Père Didon, recteur de l'École Albert-le-Grand, prononça un discours véhément dans lequel il invoquait la force contre des hommes dont le crime avait été la dénonciation courageuse d'une erreur militaire... Faut-il, disait ce moine éloquent, faut-il laisser aux mauvais libre carrière ? Non certes ! L'ennemi, c'est l'intellectualisme qui fait profession de dédaigner la force, le civil qui veut subordonner le militaire. Lorsque la persuasion a échoué, lorsque l'amour (!) a été impuissant, il faut brandir le glaive, terroriser, couper les têtes, sévir, frapper...». «Ce discours parut un défi jeté à la face de tous les partisans du malheureux condamné»(92).
Mais combien n'en a-t-on pas entendus depuis lors, de ces appels aux répressions sanglantes, émanant de doux religieux, notamment au temps de l'occupation allemande ! Quant au cri de haine contre l'intellectualisme, on en trouve un parfait écho dans la déclaration d'un général franquiste: «Quand on parle d'intelligence, je sors mon revolver».
Écraser la pensée par la force, c'est un principe sur lequel l'Église romaine n'a jamais varié. L'abbé Brugerette s'étonne pourtant que rien n'ait pu ébranler la foi du clergé dans la culpabilité de Dreyfus: «Un grand événement dramatique survenant comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu et projetant une lumière crue sur l'officine de faux qui fonctionne à l'état-major, va sans doute ouvrir les yeux les plus fermés à la recherche de la vérité. Nous voulons parler de la découverte du faux fabriqué par Henry... L'heure n'avait-elle pas sonné pour le clergé français et les catholiques de répudier une erreur qui avait trop longtemps duré... Prêtres et fidèles pouvaient alors aller en masse, comme les ouvriers évangéliques de la onzième heure, grossir les rangs des défenseurs de la justice et de la vérité... Mais les faits les plus évidents n'éclairent pas toujours de leur lumière des esprits dominés par certains préjugés, parce que les préjugés résistent à l'examen et sont de leur nature réfractaires à l'évidence»(93).
Quels efforts ne déployait-on pas, du reste, pour maintenir les catholiques dans l'erreur ! «Pouvaient-ils se douter qu'ils étaient honteusement trompés par une presse obstinée à laisser sous le boisseau toutes les preuves d'innocence, tous les témoignages favorables au condamné de l'île du Diable, comme aussi résolue à entraver par tous les moyens le cours normal de la Justice ?(94). Au premier rang de cette presse, il y avait «La Libre Parole» créée comme on l'a vu grâce aux bons soins du Père Jésuite du Lac, et «La Croix», du Père Assomptionniste Bailly. L'Ordre de l'Assomption n'étant qu'une filiale camouflée de la Compagnie des Jésuites, c'est donc à celle-ci qu'il faut attribuer le lancement et la poursuite de la campagne antidreyfusiste. Un témoin peut suspect, le Père Lecanuet. l'écrit en toutes lettres: «Ce sont les Congrégations, les Jésuites spécialement, que dénoncent les historiens de l'Affaire. Et il faut reconnaître cette fois que les Jésuites ont tiré les premiers avec une témérité bien inconsidérée»(95). «Les journaux catholiques de province, comme le «Nouvelliste» de Lyon, d'une si abondante information et d'une si large diffusion, entreront presque tous dans cette machination ténébreuse, contre la vérité et la justice. Il semblait qu'un mot d'ordre fût donné pour empêcher la lumière de monter et rendre impossible le réveil des consciences»(96).
En vérité, il faudrait un singulier aveuglement pour ne pas discerner derrière la fureur déployée par les «Croix», à Paris et en Province, le «mot d'ordre» dont parle l'abbé Brugerette. Et il serait non moins naïf d'en méconnaître l'origine(96 bis). Écoutons encore M. Adrien Dansette: «C'est l'Ordre des Assomptionnistes tout entier et l'Église avec lui, que compromet la campagne de «La Croix... Le Père Bailly se vante d'avoir été approuvé par le Saint-Père»(97). En effet, comment douter de cette approbation ? Les Jésuites, auxquels les Assomptionnistes servent de prête-nom, ne sont-ils pas, depuis la fondation de l'Ordre, les instruments politiques du pape ? On ne peut que sourire de la légende habilement répandue - et dont les historiens apologistes se font les échos - selon laquelle Léon XIII aurait «conseillé la modération» au directeur de «La Croix». Le truc est classique sans doute, mais il n'a pas perdu toute efficacité. Ne trouve-t-on pas, aujourd'hui encore, de bonnes âmes pour croire à une certaine «indépendance» de l'organe officiel du Saint-Siège !
Voyons cependant ce qu'imprimait à Rome même la «Civiltà Cattolica», organe officiel des Jésuites, sous le titre «Il caso Dreyfus»: «L'émancipation des Juifs a été le corollaire des soi-disant principes de 1789, dont le joug pèse au col de tous les Français... Les Juifs tiennent entre leurs mains la République, qui est moins française qu'hébraïque... Le Juif a été créé par Dieu pour servir d'espion partout où quelque trahison se prépare... Ce n'est pas seulement en France, mais en Allemagne, en Autriche, en Italie que les Juifs doivent être exclus de la nation. Alors, dans la belle harmonie d'autrefois enfin rétablie, les peuples retrouveront leur bonheur perdu»(98) Cette attitude néfaste envers les Juifs servit fortement à l'idéologie hitlérienne en accord avec celle du Vatican.
Nous avons donné dans les chapitres précédents un court aperçu de la «belle harmonie» et du «bonheur» dont jouissaient les peuples, lorsque les fils de Loyola confessaient et inspiraient les rois. Comme on vient de le voir, l'«harmonie» ne régnait pas moins, alors qu'ils confessaient et conseillaient les chefs d'état-major. Au reste, s'il faut en croire l'abbé Brugerette, le général de Boisdeffre, pénitent du Père jésuite du Lac, connut la même amertume que bien d'autres avant lui, pareillement abusés par ces «directeurs de conscience». Les aveux du faussaire Henry allaient l'engager à démissionner. «Très honnête homme, il proclamera lui-même qu'il a été «indignement trompé», et ceux qui l'ont connu savent qu'il souffrit atrocement de la «machination» dont il avait été victime»(99). Et l'abbé Brugerette ajoute qu'il n'eut plus «aucun rapport» avec son ancien confesseur «et refusa même de le revoir au moment de la mort».
Après ce que l'on vient de lire, publié par le Gésu de Rome, lui-même, dans la «Civiltà Cattolica», il serait superflu d'insister sur la culpabilité de l'Ordre et l'on ne peut qu'acquiescer à ce qu'écrivait alors Joseph Reinach: «Voyez-vous, ce sont les Jésuites qui ont machiné la ténébreuse affaire. Et Dreyfus n'est pour eux qu'un prétexte. Ce qu'ils veulent, ils l'avouent, c'est étrangler la société laïque, réviser la Révolution française, abolir les dieux étrangers, les dogmes de 1789».
La cause est entendue. Mais puisque d'aucuns s'obstinent encore, contre toute évidence, à nourrir cette extravagante illusion d'un désaccord possible entre le pape et son armée secrète, entre les intentions de l'un et les entreprises de l'autre, il est aisé de démontrer l'inanité d'une telle supposition. Le cas du R.P. Bailly est à cet égard d'un enseignement lumineux.
Que lit-on, en effet, dans «La Croix» du 29 mai 1956 ? Rien de moins que ceci: «Comme nous l'avons annoncé, S. Em. le cardinal Feltin a ordonné la recherche des écrits du Père Bailly, fondateur de notre journal et de la «Maison de la Bonne Presse». Voici le texte de cette ordonnance datée du 15 mai 1956: «Nous, Maurice Feltin, par la grâce de Dieu et du Saint-Siège apostolique, cardinal-prêtre de la Sainte Église Romaine au titre de Sainte-Marie-de-la-Paix, archevêque de Paris. «Vu le dessein formé par la Congrégation des Augustins de l'Assomption et approuvé par nous, d'introduire à Rome la cause du serviteur de Dieu, Vincent-de-Paul Bailly, fondateur de «La Croix» et de la «Bonne Presse»; «Vu les dispositions... ainsi que les instructions du Saint-Siège relatives au procès de béatification et à la recherche des écrits des serviteurs de Dieu. Avons ordonné et ordonnons ce qui suit: «Toutes les personnes qui ont pu connaître le serviteur de Dieu ou qui sont en mesure de nous révéler une particularité relative à sa vie ou à sa mémoire sont tenues de nous en avertir... «Toutes les personnes qui ont en leur possession des écrits du serviteur de Dieu devront nous les remettre avant le 30 septembre 1956, qu'il s'agisse d'ouvrages imprimés ou de notes manuscrites, de lettres, de billets, de mémoires... même d'instructions ou d'avis non écrits de sa main, mais dictés par lui... «Pour tout en ces communications, nous désignons, afin d'en connaître et d'en prendre note exacte, M. le Chanoine Dubois, secrétaire de notre archevêché et promoteur de la foi en la présente cause».(100)
Voilà un «serviteur de Dieu» en bon chemin de recevoir la juste récompense de ses loyaux services, sous la forme d'une auréole. Et l'on ose dire que, pour ce qui est de ses «écrits» si soigneusement recherchés, le «promoteur de la foi» n'aura que l'embarras du choix. Quant aux «imprimés», la collection de «La Croix», entre 1895 et 1899 notamment, lui en fournira de l'espèce la plus édifiante. «Leur attitude (des journaux catholiques), celle des «Croix» en particulier, constitue en ce moment pour tous les «esprits droits et éclairés» ce qu'il (M. Paul Violet, catholique, membre de l'Institut) appelle un «scandale sans nom», et celui-ci consiste à soutenir, dans l'affaire Dreyfus, les plus épouvantables erreurs, le parti du mensonge et du crime contre la vérité, le droit et la justice. «La Cour de Rome, ajoute-t-il, le sait, comme toutes les Cours d'Europe».(101) Certes la Cour de Rome savait mieux que personne, et pour cause ! On a pu voir, en 1956, qu'elle n'avait rien oublié des pieux exploits du «serviteur de Dieu», puisqu'elle s'apprêtait à le béatifier. Nul doute non plus que le promoteur de la foi n'inscrive au crédit du futur bienheureux ces fameuses listes de souscriptions en faveur de la veuve du faussaire Henry, dont l'abbé Brugerette nous dit: «Lorsqu'on revoit aujourd'hui les appels à l'inquisition, à la spoliation des Juifs, au meurtre des défenseurs de Dreyfus qu'accompagnent tant de fantaisies scatologiques, on croirait se retrouver devant les imaginations délirantes d'énergumènes sauvages et grotesques. Telles sont cependant les manifestations que «La Croix» nous présente comme un grand, réconfortant et consolant spectacle»(102).
Tous ces pieux souhaits à l'adresse des Israélites, le Père Bailly n'a pas eu, de son vivant, la joie de les voir réaliser par des «énergumènes sauvages», sous le signe de la croix gammée. Du moins a-t-il pu se délecter, du haut du ciel, de ce «grand, réconfortant et consolant spectacle». Non pas que l'on manque, là-haut, de divertissements de cette sorte, à en croire les «doctes» et particulièrement saint Thomas d'Aquin, l'Ange de l'École: «Pour que les saints jouissent davantage de leur béatitude, et afin que leurs actions de grâces à Dieu soient. plus abondantes, il leur est donné de contempler dans toute son horreur le supplice des impies... Les saints se réjouiront des tourments des impies. (Sancti de poenis impioruni gaudebunt»(103). En somme, on voit que le Père Bailly, fondateur de «La Croix», avait bien l'étoffe d'un saint. Persécuter l'innocent, maudire ceux qui le défendent, les vouer à l'assassinat, soutenir de toutes ses forces le mensonge et l'iniquité, attiser la discorde et la haine, ce sont de bien sérieux titres de gloire aux yeux de l'Église romaine, et l'on comprend qu'elle ait voulu décerner l'auréole à l'auteur de ces œuvres pies. Une question se pose cependant: le «serviteur de Dieu» était-il aussi thaumaturge ? Car on sait que pour mériter une pareille promotion, il faut encore avoir fait des miracles bien et dûment contrôlés.
Quels furent les miracles opérés par le directeur fondateur de «La Croix» ? Est-ce d'avoir transmué, aux yeux de ses lecteurs, le noir en blanc, le blanc en noir ? D'avoir fait du mensonge la vérité, de la vérité le mensonge ? Sans doute, mais n'est-il pas plus miraculeux encore d'avoir pu persuader aux membres de l'état-major (et ensuite au public), qu'ayant commis une erreur initiale, et celle-ci une fois dévoilée, il était de leur «honneur» de nier l'évidence, transformant ainsi l'erreur en forfaiture ? «Errare humanum est, perseverare diabolicum». Le «serviteur de Dieu» ne faisait pas grand cas de cet adage. Loin de s'en inspirer, il l'avait renfoncé au plus profond de sa soutane. Tant il est vrai que le «mea culpa» est bon pour les simples fidèles, mais non pour les ecclésiastiques, ni - on vient de le voir - pour les chefs militaires qui ont des confesseurs jésuites. Le résultat - cherché, - ce fut l'exaltation des passions partisanes, la division mise entre les Français. C'est ce que constate l'éminent historien, Pierre Gaxotte: «L'affaire Dreyfus fut le tournant décisif... Jugée par des officiers, elle mit en cause l'institution militaire... L'affaire grandit, devint conflit politique, divisa les familles, coupa la France en deux. Elle eut les effets d'une guerre de religion... Elle suscita la haine contre le corps d'officiers... Elle donna l'envol «à l'antimilitarisme».(104)
Quand on songe à l'Europe de cette époque, à l'Allemagne surarmée, entourée de ses deux alliées, quand on se remémore quelle fut la responsabilité du Vatican dans le déclenchement du conflit en 1914, on ne peut croire que cet affaiblissement de notre potentiel militaire n'ait pas été prémédité. Comment ne pas remarquer, en effet, que l'affaire Dreyfus éclata en 1894, c'est-à-dire l'année de l'alliance franco-russe ? Les porte-parole du Vatican ne tarissaient pas alors sur le scandale que constituait à leurs yeux cet accord avec une puissance «schismatique». De nos jours encore, un «prélat de Sa Sainteté», Mgr. Cristiani ose écrire: «Par une politique étrangement aveugle et inconsidérée, notre pays semblait prendre plaisir à «provoquer chez sa redoutable voisine (l'Allemagne) «des appétits belliqueux... En effet l'alliance franco-russe paraissait menacer l'Allemagne d'encerclement.»(105)
Pour le digne prélat, la Triplice (Allemagne, Italie, Autriche-Hongrie) ne menaçait personne et la France eut grand tort de ne pas rester isolée devant un pareil bloc. A trois contre un, le «coup» eut été plus facile et notre Saint-Père le pape n'aurait pas eu à déplorer, en 1918, la défaite de ses champions.
Ainsi, comme l'écrit l'abbé Brugerette: «Sous l'image de Jésus crucifié, symbole divin de l'idée de justice, «La Croix» avait coopéré avec passion à l'œuvre du mensonge et au crime contre la vérité, le droit et la justice.»(106) Cette dernière avait cependant triomphé, à la fin, et l'abbé Frémont, qui ne craignait pas d'évoquer à propos de l'Affaire la sinistre croisade suscitée par Innocent III contre les Albigeois, se montrait bon prophète quand il disait: «Les catholiques triomphent et s'imaginent qu'ils vont renverser la République sous la haine des Juifs. Ils ne renverseront qu'eux-mêmes, je le crains.»(107) En effet, l'opinion une fois éclairée, la réaction était fatale. Ranc tirait la leçon de l'Affaire en s'écriant: «Ou la République brisera le pouvoir congréganiste ou elle sera étranglée». En 1899, un ministère «de défense républicaine» est constitué: le Père Picard, supérieur des Assomptionnistes, le Père Bailly, directeur de «La Croix» et dix autres religieux de cet Ordre passent en jugement devant le tribunal correctionnel de la Seine pour infraction à la loi sur les associations. La Congrégation des Assomptionnistes est dissoute. Waldek-Rousseau, président du Conseil, déclare dans un discours à Toulouse, le 28 octobre 1900: «Dispersés, mais non supprimés, les Ordres religieux se sont reformés plus nombreux et plus militants, couvrant le territoire du réseau d'une organisation politique dont un procès récent a montré les mailles innombrables et serrées.»
Enfin, en 1901, une loi est votée, disposant qu'aucune congrégation ne peut se former sans autorisation, et que celles qui ne l'auront pas demandée dans les délais légaux seront dissoutes de plein droit. Ce sont ces dispositions si naturelles de la part des pouvoirs publics, dont le devoir est de contrôler les associations fondées sur le territoire national, lui seront présentées aux catholiques comme un intolérable abus. «Charbonnier est maître chez lui». dit-on; mais ]'Église ne l'entend pas de cette oreille: le droit commun n'est pas pour elle.
La résistance opposée par les religieux à l'application de la loi suffirait à elle seule à montrer combien celle-ci était nécessaire. Cette résistance ne fera qu'affermir l'attitude du gouvernement, en particulier sous le ministère Combes, et l'intransigeance de Rome, surtout lorsque Pie X aura succédé à Léon amènera la loi de 1904, supprimant les congrégations enseignantes. Dès lors, les frictions ne vont pas cesser entre le gouvernement français et le Saint-Siège. L'élection du nouveau pape s'est faite, d'ailleurs, dans des conditions significatives. «Léon XIII s'éteint le 20 juillet 1903. Le conclave réuni pour désigner son successeur, donne, à la suite de plusieurs tours de scrutin, 29 voix au cardinal Rampolla, - il en faut 42 pour être élu -, lorsque le cardinal autrichien Puzyna se lève et fait une déclaration par laquelle Sa Majesté apostolique l'Empereur d'Autriche, roi de Hongrie, prononce officiellement l'exclusive à l'égard du secrétaire d'État de Léon XIII. On sait que le cardinal Rampolla est francophile.»(108). C'est le cardinal Sarto qui est élu. Par la manœuvre de l'Autriche, qui s'est substituée au Saint-Esprit pour «inspirer» les conclavistes, cette élection est une victoire pour les Jésuites. En effet, le nouveau Pontife, que l'on a défini comme un mélange de «curé de village et d'archange au glaive de feu», est le plus parfait «intégriste» que l'Ordre pouvait souhaiter. Écoutons ses paroles, citées par M. Adrien Dansette: «Quand on aime le pape, on ne limite pas le champ «où il peut et doit exercer sa volonté.»(109) Ou encore, dans sa première allocution consistoriale: «Nous ne cacherons pas que nous choquerons quelques personnes en disant que Nous nous occuperons nécessairement de politique. Mais quiconque veut juger équitablement voit bien que le Souverain Pontife, investi par Dieu d'un magistère suprême, n'a pas le droit d'arracher les affaires politiques du domaine de la foi et des mœurs.»(110)
Ainsi Pie X. dès son accession au trône de Saint Pierre, manifestait publiquement que, pour lui, l'autorité du pape doit s'étendre à tous les domaines, et que le cléricalisme politique est non seulement un droit, mais un devoir. Au reste, il désignait bientôt comme secrétaire d'État un prélat espagnol de trente-huit ans, Mgr Merry del Val, aussi «intégriste» que lui-même et passionnément germanophile et francophobe. On n'est pas surpris de cet état d'esprit, quand on lit sous la plume de l'abbé Frémont: «Merry del Val, que j'ai connu au Collège romain «était l'enfant chéri des Jésuites.»(111) Les relations du Saint-Siège avec la France ne tardèrent pas à se ressentir de ce choix. D'abord, ce fut la nomination des évêques par le pouvoir civil qui donna lieu à un conflit. «Avant la guerre de 1870, le Saint-Siège n'apprenait le nom des nouveaux évêques que par leur nomination. Le pape conservait la ressource, si l'un d'eux ne lui agréait pas, de l'empêcher de faire l'évêque en ne lui conférant pas l'institution canonique. En fait, les difficultés étaient exceptionnelles parce que les gouvernements, sous quelque régime que ce fût, avaient à cœur de nommer des candidats dignes de la fonction épiscopale».(112) Dès que Pie X a ceint la tiare, les nominations des nouveaux évêques sont, pour la plupart, refusées par Rome. D'ailleurs, le nonce à Paris, Lorenzelli, est, nous dit M. Adrien Dansette, «un théologien égaré dans la diplomatie et furieusement hostile à la France». Un de plus dira-t-on, il n'y a rien là qui surprenne. Mais un tel choix pour un tel poste montre bien qu'elles étaient les dispositions de la Curie romaine à l'égard de notre pays. Cette hostilité systématique allait s'exprimer plus clairement encore en 1904, à l'occasion du voyage à Rome de Nil Loubet, président de la République, lequel allait rendre la visite que lui avait faite récemment à Paris le roi d'Italie Victor-Emmanuel III.
M. Loubet désirait être reçu aussi par le pape. Mais la Curie romaine lui opposa un prétendu «invincible protocole». «Le pape ne pouvait, disait-il, recevoir un chef d'État qui, en rendant visite au roi d'Italie à Rome, semblait reconnaître pour légitime l'«usurpation» de cet ancien État pontifical. Or il y avait des précédents: à deux reprises, (en 1888 et en 1903), un chef d'État - et non des moindres - avait été reçu à Rome à la fois par le roi d'Italie et par le pape. Il est vrai que ce visiteur n'était pas un président de République, mais l'empereur d'Allemagne Guillaume II... Il en avait d'ailleurs été de même pour Édouard VII, roi d'Angleterre, et pour le Tsar.
L'intention offensante de ce refus était donc évidente, et encore soulignée par une note adressée aux diverses chancelleries par le secrétaire d'État Merry del Val. Un auteur catholique, M. Charles Ledré, écrivait récemment à ce propos: «La diplomatie pontificale pouvait-elle ignorer le rapprochement d'importance décisive qui, derrière la visite du président Loubet à Rome, achevait de prendre corps ?».(113)
Certes, on savait fort bien au Vatican qu'il s'agissait de détacher l'Italie de ses partenaires de la Triplice: l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, ces deux puissances germaniques en qui l'Église romaine voyait ses meilleurs bras séculiers. C'était même là tout le nœud de l'affaire. Aussi la mauvaise humeur du Vatican éclatait-elle à tout propos.
D'autres conflits allaient surgir au sujet d'évêques français considérés à Rome comme trop républicains. Enfin, las des difficultés sans cesse renaissantes en raison des infractions du Vatican aux termes du Concordat, le gouvernement français mettait fin, le 29 juillet 1904, «à des relations qui, par la volonté du Saint-Siège, se trouvaient être sans objet». La rupture des relations diplomatiques devait logiquement conduire, peu après, à la séparation de l'Église de l'État. «Nous trouvons aujourd'hui normal, écrit M. Adrien Dansette, que la France entretienne des relations diplomatiques avec le Saint-Siège et que l'État et l'Église vivent sous le régime de la séparation. Les relations diplomatiques s'imposent parce que la France doit être représentée partout où elle a des intérêts à défendre, en dehors de toute considération doctrinale. La séparation ne s'impose pas moins parce que, dans une démocratie fondée sur la souveraineté d'un peuple divisé de croyances, l'État ne doit à l'Église que la liberté».(114) Et cet auteur ajoute: «Voilà du moins l'opinion communément admise».
On ne peut que se rallier, en effet, à cette opinion raisonnable, mais sans oublier que la papauté, quant à elle, est bien loin de la partager. Elle n'a cessé de proclamer sa primauté sur l'histoire civile, tout au long de son histoire et, à défaut de pouvoir l'imposer ouvertement dans les temps modernes, elle s'est efforcée de l'assurer d'une manière occulte par l'action de son armée secrète, la Compagnie de Jésus. «C'est d'ailleurs l'époque où le Père Wernz, général de cet Ordre, écrit: «L'État est soumis à la juridiction de l'Église, en vertu de laquelle l'autorité laïque est réellement soumise à l'autorité ecclésiastique et tenue à l'obéissance».(115)
C'est la doctrine même de ces champions intransigeants de la théocratie, conseillers autant qu'exécutants, qui se sont imposés au Saint-Siège de telle sorte qu'il serait bien vain aujourd'hui de vouloir distinguer, si peu que ce soit, le «pape noir» du «pape blanc». En fait ils ne font qu'un. Et parler de politique vaticane, c'est désigner tout uniment la politique des Jésuites. Avec bien d'autres observateurs qualifiés, l'abbé Frémont le constate en ces termes: «Les Jésuites dominent au Vatican».(116)
Devant l'opposition irréductible que la Compagnie des Jésuites, toute-puissante dans l'Église, fait à la République, celle-ci est donc fatalement amenée à voter la loi de Séparation, avec divers amendements, de 1905 à 1908. Cette loi ne tend nullement à la spoliation des biens des églises et des immeubles réservés au culte. Les fidèles peuvent se constituer, pour les gérer, en associations «cultuelles», dirigées par le curé. Que va faire Rome ? se demande-t-on. «Par l'encyclique «Vehementer» (11 février 1906), Pie X a condamné le principe de la séparation et le principe des cultuelles. Mais va-t-il au-delà des principes» ?(117)
On sera bientôt fixé. Malgré l'avis de l'épiscopat français, il rejette, le 10 août 1906, tout accommodement par l'encyclique «Gravissimo». C'est une nouvelle déception pour les catholiques libéraux: «Quand je pense, s'écrie Brunetière, que ce que l'on refuse aux catholiques français, avec la certitude de déchaîner la guerre religieuse dans notre pauvre pays qui aurait tant besoin de paix, on l'accorde aux catholiques allemands, et que les associations cultuelles allemandes fonctionnent d'ailleurs depuis trente ans à la satisfaction de tous, je ne puis me défendre comme patriote, autant que comme catholique, dune réelle indignation».(118)
Il y eut quelques troubles, en effet, lors des inventaires des biens ecclésiastiques notamment, mais non une guerre religieuse... Malgré les excitations des ultramontains, les populations, dans leur ensemble, virent avec calme revenir à l'État des immeubles dont l'Église avait préféré abandonner la possession, plutôt que de consentir aux mesures conciliantes prévues par la loi. L'écrivain Brunetière comprenait-il pleinement, alors, la raison de cette différence de traitement dont usait le Saint-Siège, entre les catholiques français et les catholiques allemands, la première guerre mondiale devait en révéler toute la signification. Tandis que les Jésuites avaient efficacement travaillé, par l'Affaire Dreyfus, à diviser les Français et à affaiblir le prestige de notre armée, en Allemagne ils agissaient tout à l'inverse. Bismarck lui-même, qui avait déclenché naguère le «Kulturkampf» contre l'Église catholique, était comblé de faveurs par celle-ci. C'est ce que nous dit - et aussi nous explique - l'écrivain catholique, M. Joseph Rovan: «Bismarck sera le premier protestant à recevoir l'Ordre du Christ avec brillants, une des plus hautes distinctions de l'Église. Le gouvernement allemand laisse publier par des journaux à sa dévotion que le chancelier serait prêt à soutenir efficacement les prétentions du pape à une restauration partielle de son autorité temporelle».(119) «En 1886, le Centre - parti catholique allemand - était hostile aux projets militaires présentés par Bismarck. Léon XIII intervint dans les affaires intérieures allemandes en faveur de Bismarck. Son secrétaire d'État écrivit au nonce de Munich: «En vue de la révision prochaine de la législation religieuse qui, nous avons des raisons de le penser, sera effectuée de façon conciliante, le Saint-Père souhaite que le Centre favorise dans toute la mesure du possible le projet de Septennat militaire.»(120)
Voici ce qu'écrit encore Joseph Rovan: «La diplomatie allemande intervient c'est déjà une vieille habitude - au Vatican pour que le pape exerce son influence sur le Zentrum (parti catholique) dans un sens favorable aux projets militaires... Les catholiques allemands vont parler de la grande «mission politique» de l'Allemagne, qui est en même temps une mission morale universelle... Le «Zentrum» se rend également responsable de la prolongation d'un règne qui, de rodomontades en faiblesses et de discours belliqueux en armements navals, finira par conduire l'Allemagne à la catastrophe Le «Zentrum» entre dans la guerre (de 1914) convaincu du bon droit, de la pureté et de la rectitude morale des dirigeants de son pays, de la coïncidence de leur programme et de leur plan avec les plans de la justice éternelle».(121) La papauté, comme on le voit, avait fait le nécessaire pour asseoir cette conviction. D'ailleurs, ainsi que le disait Mgr Fruhwirth en 1914: «L'Allemagne est l'élément sur lequel le Saint-Père peut et doit fonder de grandes espérances.»
1. LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE A la fureur soulevée au Vatican par l'alliance franco-russe, et qui se traduisit si bien par l'Affaire Dreyfus; à la colère qu'y provoqua le rapprochement franco-italien, et dont l'incident Loubet avait clairement témoigné, s'ajoutait encore un ressentiment non moins vif, causé par l'Entente cordiale avec l'Angleterre. Décidément, la France entendait ne pas rester seule en face de sa «redoutable voisine» et de l'Autriche-Hongrie. Une politique aussi «aveugle et inconsidérée», si l'on en croit Mgr Cristiani, était vue du plus mauvais œil dans le Saint des Saints catholique. Car, outre que la «bonne saignée», si nécessaire à la France impie, risquait d'en être compromise, cette politique apportait un précieux appui à la schismatique Russie, brebis égarée dont on n'avait jamais cessé d'espérer le retour au bercail de l'Église romaine, à la faveur d'une guerre.
Mais pour l'heure, l'orthodoxie demeurait solidement implantée dans les Balkans, notamment en Serbie, dont le traité de Bucarest, clôturant le conflit balkanique, avait fait un centre puissant d'attraction pour les Slaves du Sud, et plus particulièrement pour ceux qui se trouvaient sous le joug de l'Autriche. Les visées ambitieuses du Vatican et l'impérialisme apostolique des Habsbourg concordaient donc parfaitement, comme par le passé. Pour Rome aussi bien que pour Vienne, la puissance grandissante de la Serbie la désignait comme l'ennemie à abattre. C'est d'ailleurs ce qu'établit une pièce diplomatique tirée des archives austro-hongroises, le compte-rendu des entretiens que le prince Schônburg eut au Vatican en octobre-novembre 1913, et qu'il rapporte en ces termes an ministre autrichien Berchtold: «Au nombre des sujets traités tout d'abord par le cardinal secrétaire d'État (Merry del Val) la semaine passée, à l'occasion de notre entretien, il y avait, et il eût été difficile de ne pas s'y attendre, la question de la Serbie. Le cardinal commença par exprimer sa joie au sujet de notre attitude énergique et opportune ces derniers temps. Au cours de l'audience de ce jour de Sa Sainteté, le Saint-Père, qui a commencé l'entretien en mentionnant notre énergique démarche à Belgrade, a fait quelques remarques caractéristiques: «Certainement, a dit ensuite Sa Sainteté, l'Autriche-Hongrie aurait mieux fait de punir les Serbes pour toutes les failles commises»(1).
Les sentiments bellicistes de Pie X s'exprimaient donc sans ambages dès l'année 1913. Ils n'ont rien qui étonne, si l'on songe aux inspirateurs de la politique romaine. «De quoi s'agissait-il pour les Habsbourg ? De châtier la Serbie, peuple orthodoxe. Le prestige de l'Autriche-Hongrie, de ces Habsbourg qui, avec les Bourbons d'Espagne, étaient les derniers soutiens des Jésuites, celui surtout de l'héritier, ce François-Ferdinand, leur homme, en aurait été grandement accru. Pour Rome, l'affaire prenait une importance presque religieuse; un succès de la monarchie apostolique sur le tsarisme pouvait être considéré comme une victoire de Rome sur le schisme d'Orient.»(2) L'affaire, pourtant, fit long feu en 1913. Mais le 28 juin 1914, l'archiduc François Ferdinand était assassiné à Sarajevo. Le gouvernement serbe n'était, de toute évidence, pour rien dans cet attentat, commis par un étudiant macédonien. Mais l'occasion était trop belle pour décider l'empereur François-Joseph à déclencher les hostilités. «La clé de l'affaire, soutient le comte Sforza, après quelques autres, était la nécessité qu'il y avait de convertir François-Joseph à l'idée de guerre. L'avis du pape et de son ministre étaient certainement ceux qui pourraient le plus influer sur lui».(3)
Cet avis ne manqua pas à l'empereur, et il fut bien tel qu'on pouvait l'attendre de ce pape intégriste et de son ministre, «enfant chéri des Jésuites». Alors que la Serbie tente de sauver la paix en accordant toutes les satisfactions possibles au gouvernement autrichien, qui a envoyé à Belgrade une note comminatoire, le comte Palffy, représentant de l'Autriche auprès du Vatican, résume à son ministre Berchtold, le 29 juillet, la conversation qu'il a eue, le 27, avec le cardinal-secrétaire d'Etat, Merry del Val, sur «les questions qui agitent en ce moment l'Europe». Le diplomate dément avec dédain les bruits «fantaisistes» qui ont couru, selon lesquels le pape serait intervenu auprès de l'empereur «pour le conjurer d'épargner aux peuples chrétiens les horreurs de la guerre». Ayant, écarté ces suppositions «absurdes», il développe «l'opinion réelle de la Curie», exprimée par le secrétaire d'État: «Il aurait été impossible de sentir dans les paroles de Son Éminence un esprit quelconque d'indulgence et de conciliation. Il caractérisa, c'est vrai, comme très rude, la note à la Serbie, mais il l'approuva néanmoins sans aucune réserve et exprima en même temps, de manière indirecte, l'espoir que la Monarchie irait jusqu'au bout. Certes, ajoutait le cardinal, il était dommage que la Serbie n'eût pas été humiliée beaucoup plus tôt, car alors cela aurait pu se faire sans mettre en jeu, comme aujourd'hui, des possibilités tellement immenses. Cette déclaration correspond aussi à la façon de penser du pape, car au cours de ces dernières années, Sa Sainteté a exprimé à plusieurs reprises le regret que l'Autriche-Hongrie ait négligé de châtier» son dangereux voisin danubien».(4)
Nous voilà loin, en effet, des bruits «absurdes» d'une intervention pontificale en faveur de la paix. Au reste, ce n'est pas seulement le diplomate autrichien qui rapporte «l'opinion réelle» du pontife romain et de son ministre. La veille, 26 juillet, le baron Ritter, chargé d'affaires de Bavière près le Saint-Siège, avait écrit à son gouvernement: «Le, pape approuve que l'Autriche procède sévèrement contre la Serbie. Il n'a pas une grande estime des armées de la Russie et de la France en cas de guerre contre l'Allemagne. Le cardinal secrétaire d'État ne voit pas quand l'Autriche ferait la guerre si elle ne se décide pas à présent»(5).
Ainsi, le Saint-Siège avait pleine conscience des possibilités immenses que représenterait un conflit austro-serbe, et néanmoins y poussait de tout son pouvoir. Qu'importaient au Saint-Père et à ses conseillers jésuites les souffrances des «peuples chrétiens» ? Ce n'était pas la première fois que ces peuples faisaient les frais de la politique romaine. L'occasion longuement souhaitée se présentait enfin d'utiliser le bras séculier germanique contre la Russie orthodoxe, la France «impie», qui avait Grand besoin d'une «bonne saignée», et, accessoirement, l'Angleterre «hérétique». Tout faisait présager une guerre «fraîche et joyeuse».
Pie X n'en vit pas le déroulement et le résultat, l'un et l'autre contraires à ses prévisions. Il trépassa en effet au début du conflit, le 20 août 1914. Mais quarante ans plus tard, Pie XII canonisait cet auguste défunt, et le «Précis d'Histoire sainte», à l'usage des catéchismes paroissiaux, lui a consacré ces lignes édifiantes: «Pie X employa ses efforts à empêcher la guerre de 1914 et mourut de douleur en prévoyant les maux qu'elle allait déchaîner» Si c'est de ]humour «noir», avouons qu'on ne peut faire mieux.
Quelques années avant 1914, M. Yves Guyot, bon prophète, écrivait: «Si la guerre éclate, entendez bien, hommes qui considérez que l'Église romaine est une garantie d'ordre et de paix, n'allez pas chercher les responsabilités ailleurs qu'au Vatican: c'est lui qui sera l'instigateur sournois, comme il le fut pour la guerre de 1870.»(6) Instigateur de la tuerie, le Vatican allait soutenir, non moins sournoisement, ses champions austro-allemands durant toute la guerre. La promenade militaire, en France, que se flattait de faire le Kaiser, fut stoppée sur la Marne, et l'agresseur ramené à la défensive après chacun de ses furieux assauts. Mais, du moins, la diplomatie pontificale lui apporta tout le concours possible, et cela ne saurait surprendre si l'on considère que la divine Providence semblait se complaire à favoriser les empires centraux.
En effet, le cardinal Rampolla, regardé comme francophile - et pour cette raison écarté du trône pontifical sur un «veto» de l'Autriche - ne comptait plus, cette fois, parmi les «papables», étant mort opportunément quelques mois avant Pie X. Là ne se bornait pas, cependant, l'intervention du «doigt de Dieu»: Comme il en avait pris l'engagement avant le vote, le nouveau pape, Benoît XV, nomma à la Secrétairerie d'État le cardinal Ferrata. Mais le cardinal(7) eut à peine le temps d'inaugurer ses nouvelles fonctions. Entré à la Secrétairerie vers la fin de septembre 1914: Il DÉCÉDAIT BRUSQUEMENT le 20 octobre, victime d'une «indisposition» foudroyante, après qu'il se fût fait servir une «LÉGÈRE CONSOMMATION». Il n'y a aucun doute qu'il fut empoisonné par les Jésuites. «Il était à son bureau, quand il fut soudain pris de vomissements d'une extrême violence. Il tomba foudroyé. «Les domestiques s'empressèrent autour de lui. Le médecin, appelé en hâte, reconnut aussitôt la gravité du mal. Devant une si grande responsabilité, il demanda une consultation immédiate. «Ferrata, de son côté, avait tout compris et ne se faisait déjà plus aucune illusion... Il disait bien haut qu'il ne voulait pas mourir au Vatican... «La consultation médicale réunie à son hôtel, eut lieu immédiatement. Six médecins étaient accourus... Ils se refusèrent à rédiger un bulletin médical; celui qui a été publié ne porte pas de signature».(8) On ne lui connaissait ni maladie ni infirmité. «Le scandale de cette mort fut tel que l'on ne put se dispenser d'ordonner une enquête... Le résultat fut qu'un bocal avait été brisé à l'office. On expliqua ainsi tout naturellement la présence du verre pilé dans le sucrier dont le cardinal s'était servi. Le sucre cristallisé n'est pas sans inconvénients. «L'enquête ne fut pas poussée plus loin...».(9) L'abbé Daniel ajoute que le brusque départ, peu de jours après, du domestique attaché à la personne du cardinal décédé donna lieu à bien des commentaires, d'autant plus qu'il avait été, disait-on, l'ordonnance de Mgr Von Gerlach, avant que celui-ci entrât dans les Ordres. Ce prélat germanique, espion notoire, devait d'ailleurs s'enfuir de Rome, en 1916: on allait l'arrêter comme responsable du sabotage du cuirassé italien «Léonard de Vinci», qui sauta dans le golfe de Tarente. ensevelissant 21 officiers et 221 matelots». Son procès fut repris en 1919. Von Gerlach fit défaut et fut condamné à vingt ans de travaux forcés».(10)
Par le cas de ce «camérier participant», rédacteur de l'«Osservatore Romano», on peut juger de l'état d'esprit qui régnait dans les hautes sphères du Vatican. C'est encore l'abbé Brugerette qui parle en ces termes de «l'entourage du Saint-Siège»: «Professeurs ou ecclésiastiques, ils ne reculent devant aucun obstacle pour inculquer au clergé italien et au monde catholique de Rome le respect et l'admiration de l'armée germanique, le mépris et la haine de la France».(11)
Le neutraliste Ferrata étant mort bien à propos, le cardinal Gasparri devint secrétaire d'État, et, en parfaite entente avec Benoît XV, manœuvra pour servir au mieux les intérêts des empires centraux. «Comment s'étonner dans ces conditions que, dans les mois qui suivirent, le pape Benoit XV ait fait tout son possible pour retenir l'Italie sur le chemin de l'intervention ? C'était dans le jeu des Jésuites, amis des Habsbourg...».(12) En même temps, on travaillait sournoisement à saper le moral chez les Alliés. «Le 10 janvier 1915, un décret signé du cardinal Gasparri, secrétaire d'État de Benoît XV, prescrivait une journée de prières pour hâter la paix L'un des exercices de piété obligatoire était la récitation d'une prière que Benoît XV avait pris soin de rédiger lui même... Le gouvernement français fit saisir le document pontifical. On voulut voir, en effet, dans la prière pour la paix, une manifestation amollissante et délétère susceptible de relâcher l'effort de nos armées, au moment où les hordes allemandes sentaient l'irrésistible pression qui devait les rejeter hors de notre territoire, au moment où le Kaiser voyait approcher la terrible échéance que lui avaient préparée ses crimes impardonnables... Le pape, disait-on veut la paix coûte que coûte, alors qu'elle ne peut être favorable qu'aux empires centraux. Le pape n'aime pas la France, et, pour tout dire, le pape est boche.»(13)
M. Charles Ledré, autre écrivain catholique, confirme: «On peut estimer qu'en deux circonstances, évoquées par certains articles fameux de «La Revue le Paris», le Saint-Siège, en invitant l'Italie et plus tard les États-Unis à ne pas entrer dans la guerre, ne s'était pas borné à souhaité une fin plus rapide du conflit... Il servait contre les nôtres, selon le mot de l'abbé Brugerette, les intérêts de nos ennemis».(14) Mais ce n'était pas seulement en Italie et aux États-Unis que se faisait sentir l'action jésuito-vaticane. Tous les moyens, tous les terrains lui étaient bons. «Aussi ne saurait-on s'étonner de trouver la diplomatie pontificale occupée dès la première heure de mettre obstacle à notre ravitaillement de dissuader les neutres de se joindre à notre parti afin de briser le lien qui tient l'Entente assemblée... Aucun moyen ne lui parut petit qui pût aider à cette grande tâche, et préparer la paix générale en provoquant parmi les Alliés quelque défaillance particulière. «Il y eut pis: des sollicitations à la paix séparée. Du 2 au 10 janvier 1916, une mission de catholiques allemands s'en fut en Belgique prêcher au nom du pape, à ce qu'ils disaient, la paix séparée. Les évêques belges protestèrent que c'était là mentir, mais le nonce se tut et le pape resta muet... «Le Saint-Siège songeait alors à un rapprochement franco-autrichien par où il se flattait d'amener la France, soit à signer la paix séparée, soit à réclamer de ses alliés qu'on en vînt à négocier la paix générale... Quelques semaines après, le 31 mars 1917, le prince Sixte de Bourbon communiquait au président de la République la fameuse lettre de l'empereur Charles. «La manœuvre ayant échoué de ce côté-ci des Alpes, on ne pouvait guère manquer de la renouveler ailleurs, en Angleterre, en Amérique, en Italie surtout... «Briser les forces matérielles de l'Entente pour avoir raison de sa fureur offensive, et ruiner son prestige moral pour amollir son courage et l'amener à composition.... toute la politique de Benoît XV tient en ces deux propositions, et tout l'effort de son impartialité n'a jamais tendu, et ne tend encore qu'à nous couper les jarrets».(15)
Ajoutons aux lignes précédentes, dues à un catholique notoire, M. Louis Canet, ce qu'écrit l'abbé Brugerette: «On ne sut que quatre ans plus tard, par les déclarations de M. Erzberger, publiées dans la «Germania» du 22 avril 1921, que la proposition de paix lancée par le pape en août 1917 avait été précédée d'un accord secret entre le Saint-Siège et l'Allemagne».(16) Il n'est pas, non plus, indifférent d'observer que le diplomate ecclésiastique qui négocia cet «accord secret» n'était autre que le nonce à Munich, Mgr Pacelli, le futur Pie XII. Nous lisons sous la plume de l'un de ses apologistes, le R.P. jésuite Fernesolle: «Le 28 mai (1917), Mgr Pacelli présentait ses lettres de créance au roi de Bavière... Il multiplia les démarches auprès de Guillaume Il et du chancelier Bethmann-Holveg. Le 29 juin, Mgr Pacelli était solennellement reçu au grand quartier général de Kreuznach par l'empereur Guillaume II».(17)
Le futur pape préludait ainsi à ses douze années de nonciature à Munich, puis à Berlin, durant lesquelles il allait multiplier les intrigues pour renverser la République allemande d'après la défaite et préparer, en hissant Hitler au pouvoir, la revanche de 1939. Pourtant, lorsque les Alliés signèrent, en juillet 1919, le traité de Versailles, ils étaient si bien conscients du rôle joué par le Vatican pendant le conflit, qu'ils l'avaient soigneusement écarté de la table de conférence. Et, chose remarquable, c'était l'État le plus catholique, l'Italie, qui avait exigé cette exclusion. «Par l'article XV du pacte de Londres (26 avril 1915), qui réglait la participation de l'Italie à la guerre, le baron Sonnino avait obtenu des autres Alliés que ceux-ci s'opposeraient à toute intervention de la papauté dans les travaux de la paix».(18) La mesure était sage, mais insuffisante. Faute d'avoir appliqué au Saint-Siège, boutefeu de la première guerre mondiale, les sanctions qu'il méritait, les vainqueurs laissaient le champ libre aux intrigues vaticano-jésuites qui allaient déclencher vingt ans plus tard une catastrophe encore pire, la plus terrible peut-être que le monde ait connue. Mais cette catastrophe, autant horrible qu'elle fut, n'est rien à comparer avec celle d'une guerre nucléaire qui est présentement en voie de préparation.
2. PRÉPARATION DE LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE En 1919, les fils de Loyola recueillaient les fruits amers de leur politique criminelle. La France n'avait pas succombé à la «bonne saignée». L'empire apostolique des Habsbourg, qu'ils avaient poussé à «châtier les Serbes», s'était désintégré, libérant ainsi les Slaves orthodoxes du joug de Rome. La Russie, bien loin de rentrer au giron de l'Église romaine, était devenue marxiste, anticléricale et officiellement athée. Quant à l'invincible Allemagne, pièce maîtresse de la grande machination, elle sombrait dans le chaos.
Mais il n'est pas dans la nature de l'orgueilleuse Compagnie de faire son «mea culpa». Quand Benoît XV meurt, en 1922, elle est prête à recommencer sur de nouvelles bases. N'est-elle pas toute-puissante à Rome ? Écoutons M. Pierre Dominique: «Sur l'instant, le nouveau pape Pie XI court au plus pressé. On le dit Jésuite. C'est à un Jésuite, le Père d'Herbigny, qu'il confie la mission d'aller en Russie, de tâcher de rallier ce qu'il peut rester là-bas de catholicité et, surtout, de voir ce qu'on pourrait faire. Vague et grand espoir rallier au pontife le monde orthodoxe persécuté. «Il y a dans Rome trente-neuf collèges ecclésiastiques dont la fondation marque la date des grandes contre-offensives qui, pour la plupart, sont jésuitiques d'allure et de commandement. Collège germanique (1552) anglais (1578) irlandais (1628, refondu en 1826) écossais (1600) nord-américain (1859); canadien (1888); éthiopien (1919, reconstitué en 1930). «Pie XI fonde le collège russe (Ponteficio collegio russo di S. Teresa del Bambino Gesù) et le confie à la Compagnie de Jésus. Elle aura aussi l'Institut oriental, l'Institut de Saint-Jean Damascène, le Collège polonais, plus tard le Collège lithuanien. Souvenirs du Père Possevino, d'Ivan le Terrible, du faux Dimitri ? Le second des trois grands objectifs du temps d'Ignace passe au premier plan. Les Jésuites, une fois de plus, sont, dans cette grande entreprise, des inspirateurs et des exécutants».(19)
Dans la défaite qu'ils viennent d'essuyer, les fils de Loyola voient briller une lueur d'espoir. La Révolution russe, en supprimant le Tsar, protecteur de l'Église orthodoxe, n'a-t-elle pas décapité la grande concurrente et facilité la pénétration de l'Église romaine ? Il faut sauter sur l'occasion. Et c'est la création du fameux «Russicum», dont les missionnaires clandestins iront porter la bonne parole en cette terre schismatique(19 bis). Un siècle après leur expulsion par le tsar Alexandre 1er, les Jésuites vont reprendre la conquête du monde slave. Leur général, depuis 1915, se nomme Halke von Ledochowski.
M. Pierre Dominique poursuit ainsi: «Dira-t-on que je les vois partout ? Je suis bien obligé de signaler leur présence, leur action. De dire qu'ils étaient derrière la monarchie d'Alphonse XIII dont le confesseur était le Père Lopez, que, la monarchie espagnole à bas, leurs couvents et leurs collèges incendiés, ils se retrouvent derrière Gil Robles, puis, la guerre civile survenue, derrière Franco. Au Portugal, ils soutiennent Salazar. En Autriche et en Hongrie, l'empereur Charles, balayé trois fois, (quel rôle ont-ils joué dans ces tentatives pour remonter sur le trône de Hongrie ?) ils tiennent la place chaude et ils ne savent trop qui ou quoi. Mgr Seipel, Dolfuss, Schussnigg sont des leurs. Ils rêvent un instant d'une grande Allemagne à majorité catholique dont les Autrichiens feraient nécessairement partie, formule moderne de la vieille alliance du XVI' siècle entre les Wittelsbach et les Habsbourg. En Italie, ils soutiennent d'abord don Sturzo, le fondateur du parti populaire, puis Mussolini ... Le Père jésuite Tacchi Venturi, secrétaire général de la Compagnie, sert d'intermédiaire entre Pie XI dont les confesseurs sont le Père Alissiardi et le Père Celebrano (Jésuites), et Mussolini. «Le pape, en février 1929, à l'instant du traité du Latran appelle Mussolini «l'homme que la Providence nous a fait rencontrer». Rome ne condamne pas ce que la S.D.N. appelle «l'agression éthiopienne» et, en 1940, le Vatican est encore le cordial ami de Mussolini. «La papauté, depuis Mussolini, a son coin de terre libre de toute surveillance, entièrement dégagé des prises du temporel... C'est, avec Moscou, l'observatoire le plus beau du monde parce que le plus nourri de renseignements et le mieux protégé contre les fuites. «Les Jésuites y ont leur coin secret. De là, ils considèrent l'Église universelle de l'œil froid du politique».(20) C'est un parfait résumé de l'action jésuitique entre les deux guerres mondiales. Le «coin secret» des fils de Loyola constitue le cerveau politique du Vatican. Les confesseurs de Pie XI sont Jésuites; ceux de son successeur Pie XII le seront aussi et, de plus, allemands. Peu importera, alors, que la trame devienne visible tout sera prêt pour la revanche, à ce qu'il semblera.
Mais sous le pontificat de Pie XI, c'est la période préparatoire. Le «bras séculier» germanique, vaincu, a laissé choir le glaive. En attendant qu'on puisse le lui remettre dans la main, on va préparer en Europe un terrain favorable à ses futurs exploits, et d'abord arrêter la poussée démocratique menaçante. L'Italie sera le premier champ d'action. Il y a là un chef socialiste tumultueux qui groupe autour de lui les anciens combattants. L'homme professe une doctrine apparemment intransigeante, mais il est ambitieux et assez lucide pour mesurer la faiblesse de sa position, en dépit de ses rodomontades. La diplomatie jésuitique aura tôt fait de le gagner à ses projets. Écoutons M. François Charles-Roux, de l'Institut, à cette époque notre ambassadeur auprès du Vatican: «Alors que le futur Duce n'était encore que simple député, le cardinal Gasparri, secrétaire d'État, avait eu avec lui une entrevue secrète. Le chef fasciste s'était d'emblée montré disposé à reconnaître au pape une souveraineté temporelle sur une parcelle de Rome... «A ces mots, concluait le cardinal Gasparri en me rapportant ce dialogue, à ces mots je compris qu'avec cet homme-là, s'il arrivait au pouvoir, l'on pourrait aboutir». «Je passe sur ce qu'il rapportait de la négociation entre mandataires secrets de Pie XI et de Mussolini...».(21)
Ces mandataires secrets, dont le principal était le Père jésuite Tacchi Venturi, remplirent fort bien leur mission. Et l'on ne peut s'en étonner puisque le Père Tacchi Venturi était à la fois secrétaire de la Compagnie de Jésus et confesseur de Mussolini. Au reste, il ne laissait pas d'être dirigé, dans cette «captation» du chef fasciste, par le général de son Ordre, le T.R.P. Halke von Ledochowski, comme l'a montré M. Gaston Gaillard.(22) «Le 16 novembre 1922, la Chambre devait accorder sa confiance à Mussolini, par 306 voix contre 116, et à cette séance l'on devait voir le groupe catholique (de don Sturzo), soit disant démocrate-chrétien, voter à l'unanimité pour le premier gouvernement fasciste».(23)
Dix ans plus tard, la même manœuvre amenait en Allemagne le même résultat. Le «Zentrum» catholique de Mgr Kass assurait par son vote massif la dictature du nazisme. En somme, en 1922, l'Italie avait servi de banc d'essai pour la nouvelle formule de conservatisme autoritaire: le fascisme, plus ou moins paré, selon les opportunités locales, d'un pseudo-socialisme. Désormais, tous les efforts des Jésuites du Vatican vont tendre à répandre en Europe cette «doctrine», dont l'ambiguïté porte si bien leur marque.
Aujourd'hui même, ni l'écroulement du régime mussolinien, ni la défaite, ni les ruines, n'ont suffi à discréditer aux yeux des démocrates chrétiens d'Italie le dictateur mégalomane que le Vatican sut imposer à leur pays. Renié du bout des lèvres, il a gardé tout son prestige au fond des âmes cléricales. Ainsi a-t-on pu lire dans la presse l'information suivante: «C'est décidé: les visiteurs qui viendront assister aux Jeux Olympiques de Rome, en 1960, verront l'obélisque de marbre élevé par Benito Mussolini à sa propre gloire dominer, des bords du Tibre, le stade olympique. «Ce mémorial de trente-trois mètres de haut porte l'inscription «Mussolini-Dux» et s'orne de mosaïques et d'inscriptions célébrant le fascisme. La phrase Longue vie au Duce» s'y étale plus de cent fois et le slogan «Beaucoup d'ennemis signifie beaucoup d'honneur» s'y répète à plusieurs reprises. Le monument est flanqué de part et d'autre par des blocs de marbre commémorant les principaux événements du fascisme, à partir de la fondation du journal «Popolo d'Italia», par Mussolini, jusqu'à l'établissement de l'éphémère empire fasciste, en passant par la guerre d'Éthiopie. L'obélisque devait être couronné d'une gigantesque statue de Mussolini en athlète nu, de près de cent mètres de haut. Mais le régime s'effondra avant que cet étrange projet ait pu être réalisé. «Au bout d'un an de controverse, le gouvernement «Segni vient de décider que l'obélisque du duce resterait sur place.»(24)
Peu importent la guerre, le sang répandu à torrents, les larmes et les ruines. Ce ne sont que vétilles, petites taches sur le monument élevé à la gloire de «l'homme que la providence nous a fait rencontrer», comme le désignait Pie XI. Ni fautes, ni erreurs, ni crimes ne peuvent effacer son mérite essentiel: celui d'avoir rétabli le pouvoir temporel du pape, proclamé religion d'État le catholicisme romain et donné au clergé, par des lois toujours en vigueur, la haute main sur la vie nationale. C'est pour en témoigner aux yeux admiratifs, ou ironiques des visiteurs étrangers, que l'obélisque mussolinien doit continuer de se dresser au cœur de Rome - en espérant des temps meilleurs qui permettraient d'y ériger l'«athlète nu» de cent mètres de haut, champion symbolique du Vatican.
Le traité du Latran, par lequel Mussolini payait sa dette de reconnaissance à la papauté, reconnaissait au Saint-Siège, outre le versement de 1 milliard 750 millions de lires, la souveraineté temporelle sur le territoire de la Cité du Vatican. Mgr Cristiani, prélat de Sa Sainteté, s'exprime en ces termes sur la portée de cet événement: «Il est clair que la Constitution de la Cité du Vatican revêtait une importance de premier ordre pour établir la condition de la papauté en tant que puissance politique».(25)
Ne nous attardons pas à rechercher comment cet aveu formel peut se concilier avec l'affirmation tant de fois répétée que «l'Église romaine ne fait pas de politique». Remarquons seulement la position unique dans le monde, d'un État de nature équivoque, à la fois profane et sacrée, et les conséquences qui en découlent. Par quel artifice jésuitique, cette puissance arguant tantôt de son caractère temporel, tantôt de son caractère spirituel, selon ses intérêts, échappe-t-elle en fait à toutes les contraintes et à toutes les règles reconnues par le droit international ? Les nations se sont pourtant prêtées à cette duperie et, ce faisant, ont introduit de leurs propres mains dans leur sein le cheval de Troie du cléricalisme. «On avait un peu trop l'impression que le pape s'identifiait avec les dictateurs»(26) a écrit M. François Charles-Roux, ambassadeur de France auprès du Vatican. Mais pouvait-il en être autrement, alors que le Saint-Siège lui-même avait hissé ces hommes au pouvoir ?
Mussolini, le prototype, n'avait fait qu'inaugurer la série de ces personnages «providentiels», de ces porte-glaives qui allaient reprendre la partie perdue en 1918. D'Italie, où il a si bien réussi, par les soins du Père jésuite Tacchi Venturi et de ses acolytes, le fascisme va être exporté sans retard en Allemagne. «Hitler reçoit son impulsion de Mussolini; l'idéal des nazis n'est qu'un idéal italianisant... Depuis que Mussolini est au pouvoir, toutes les sympathies sont pour Berlin... En 1923, son fascisme fusionne avec le national-socialisme; et il lie amitié avec Hitler à qui il fournit armes et argent».(27) A cette époque, Mgr Pacelli, futur Pie XII, et, pour l'heure, le meilleur diplomate de la Curie, est nonce à Munich, capitale de la catholique Bavière, et c'est là que commence à monter l'étoile du futur dictateur allemand, catholique lui-même, ainsi que ses principaux partisans. De ce pays, berceau du nazisme, M. Maurice Laporte nous dit: «Ses deux ennemis s'appellent le protestantisme et la démocratie». Aussi comprend-on l'inquiétude de la Prusse à son endroit: «Mais on devine aussi de quelles tendresses spéciales le Vatican couve cette Bavière où le national-socialisme d'Hitler recrute ses plus forts contingents».(28)
Enlever à la Prusse «hérétique» la direction du «bras séculier» allemand, la transmettre à la Bavière catholique, quel beau rêve ! Mgr Pacelli s'emploie à le réaliser, de concert avec le chef de la Compagnie de Jésus. «Au lendemain de l'autre guerre (1914-1918), le général des Jésuites, Halke von Ledochowski, avait conçu un vaste plan... pour la création, avec ou sans empereur Habsbourg, d'une fédération des nations catholiques de l'Europe centrale et orientale: Autriche, Slovaquie, Bohême, Pologne, Hongrie, Croatie, et aussi, et c'est capital, la Bavière. «Ce nouvel Empire central devait lutter sur deux fronts: à l'Est contre l'Union soviétique, à l'Ouest contre la Prusse et la Grande-Bretagne protestante et contre la France républicaine et laïque. A cette époque, Mgr Pacelli, futur Pie XII, était nonce à Munich, puis à Berlin, et intime du cardinal Faulhaber, principal collaborateur de Von Ledochowski. Le plan Ledochowski a été le rêve de jeunesse de Pie XII».(29) Mais n'y eut-il là qu'un rêve de jeunesse ? La Mittel-Europa qu'Hitler tenta de constituer ne différait guère de ce plan, sinon par la présence dans ce bloc de la Prusse luthérienne, minorité peu dangereuse, et par les «zones d'influence» reconnues - provisoirement peut-être - à l'Italie. En somme, c'était bien le plan Ledochowski, adapté aux nécessités du moment, que le futur Führer allait s'efforcer de réaliser, sous le haut patronage du Saint-Siège, avec le concours de Franz Von Papen, camérier secret du pape, et du nonce à Munich, puis à Berlin, Mgr Pacelli. M. François Charles-Roux écrit d'ailleurs: «Il n'est pas, à l'époque contemporaine, de période où le facteur catholique ait joué un plus grand rôle, dans la politique mondiale, que pendant le ministère du cardinal Pacelli»(30) Nous lisons encore sous la plume de M. Joseph Rovan: «La Bavière catholique... va maintenant accueillir et protéger tous les semeurs de trouble, tous les ligueurs, tous les assassins de la Sainte-Vehme».(31)
Parmi ces agitateurs, le choix des «régénérateurs» de l'Allemagne se portera bientôt sur Hitler, destiné, à triompher des «erreurs démocratiques» sous le gonfalon du Saint-Père. Il va de soi que c'est un catholique, comme ses principaux collaborateurs. «Aussi bien le régime nazisme représente-t-il un retour au pouvoir de l'Allemagne méridionale. Les noms de ses chefs et leurs origines le démontrent. Hitler est spécifiquement autrichien, Goering est bavarois, Goebbels rhénan, et ainsi de suite».(32)
En 1924, le Saint-Siège signe un Concordat avec la Bavière. En 1927, on peut lire dans «La Gazette de Cologne» - «Pie XI est certainement le plus allemand des papes qui ait trôné sur le siège de Saint-Pierre». Son successeur Pie XII lui ravira cependant cette palme. Mais, pour l'heure, il poursuit sa carrière diplomatique - ou, pour mieux dire, politique - dans cette Allemagne pour laquelle, devait-il confier plus tard à Ribbentrop, «son cœur battrait toujours». Promu nonce à Berlin, il travaille, avec Franz Von Papen à détruire la République de Weimar. Le 20 juillet 1932, l'état de siège est proclamé à Berlin, et les ministres expulsés «manu militari». C'est la première étape vers la dictature hitlérienne. On prépare de nouvelles élections qui doivent consacrer le succès des nazis. «Avec l'approbation d'Hitler, Goering et Strasser entrèrent en conversation avec Mgr Kaas, chef du parti du Centre catholique».(33) Le cardinal Bertram, archevêque de Breslau et primat d'Allemagne, peut bien déclarer: «Nous, chrétiens et catholiques, ne reconnaissons pas de religion de race...». Il peut bien, avec maints autres évêques, mettre en garde les fidèles contre l'idéal «païen des nazis». Ce prélat, évidemment, n'entendait rien à la politique papale. On le lui fit bien voir.
Relisons l'excellente étude parue dans le «Mercure de France» en 1934: «Au début de l'année 1932, les catholiques allemands ne considéraient nullement la partie comme perdue, mais an printemps, on put remarquer chez leurs chefs un certain flottement: c'est qu'on leur avait fait savoir que «le pape était personnellement favorable à Hitler». «Que Pie XI éprouvât de la sympathie pour Hitler voilà qui ne doit pas nous surprendre... Pour lui, l'Europe ne peut retrouver son équilibre que dans l'hégémonie de l'Allemagne... Au Vatican, on avait, pendant longtemps, pensé, en effet, à changer le centre de gravité du Reich grâce à l'Anschluss: la Compagnie de Jésus travaillait ouvertement dans ce sens (plan Ledochowski), surtout en Autriche. Or, l'on sait à quel point Pie XI compte sur elle pour faire triompher ce qu'il appelle «sa politique». Ce qu'on voulait empêcher, c'était l'hégémonie de la Prusse protestante et, puisque l'on comptait sur le Reich pour dominer l'Europe... ou cherchait à reconstituer un Reich où les catholiques fussent les maîtres... «Dès mars 1933, réunis à Fulda, les évêques allemands profitèrent du discours de Hitler à Potsdam pour déclarer qu'il fallait «reconnaître que le plus haut représentant du gouvernement du Reich, qui est en même temps le chef autoritaire du mouvement national-socialiste, a fait des déclarations publiques et solennelles qui tiennent compte de l'inviolabilité (de la doctrine catholique, ainsi que de l'œuvre et des droits immuables de l'Église... «Von Papen part pour Rome. Cet homme au passé si lourd, transformé. en pieux pèlerin, est chargé, de conclure un Concordat (pour toute l'Allemagne) avec le pape. Lui aussi devra se conformer en tous points a la conduite de Mussolini(34).
En effet, le scénario ne varie pas. En Italie, le parti catholique de don Sturzo assure par son vote l'accession au pouvoir de Mussolini; en Allemagne, c'est le «Zentrum» de Mgr Kaas qui remplit le même office pour Hitler - et chaque fois un Concordat scelle le pacte. M. Joseph Rovan le constate en ces termes: «Grâce à Von Papen, député du «Zentrum» depuis 1920 et propriétaire du journal officiel du parti, la «Germania», le 30 janvier 1933 Hitler accédait au pouvoir... «Le catholicisme politique allemand, au lieu de devenir démocratie chrétienne, sera inéluctablement amené le 26 mars 1933 à voter les pleins pouvoirs à Hitler... Pour le vote des pleins pouvoirs, une majorité des deux tiers était nécessaire et les voix du «Zentrum» constituaient un appoint indispensable»(35). Le même auteur ajoute d'ailleurs plus loin: «Sans cesse dans la correspondance et dans les déclarations des dignitaires ecclésiastiques nous trouverons, sous le régime nazi. l'adhésion fervente des évêques».(36)
On s'explique cette ferveur, quand on lit sous la plume de Von Papen que: «Les termes généraux du Concordat étaient plus favorables que ceux de toutes les conventions similaires signées par le Vatican», et aussi: «Le chancelier Hitler me pria d'assurer au secrétaire d'État papal (le cardinal Pacelli) qu'il musellerait immédiatement le clan des anticléricaux»(37). Ce n'était pas là une vaine promesse. En cette année 1933, outre les pogroms et les assassinats perpétrés par les nazis, ou comptait déjà 45 camps de concentration en Allemagne avec 40.000 détenus d'opinions politiques diverses, mais invariablement libéraux. D'ailleurs, Franz Von Papen, camérier secret du pape, a parfaitement défini le sens profond de l'accord vaticano-hitlérien, dans cette formule lapidaire: «Le nazisme est une réaction chrétienne contre l'esprit de 1789».
En 1937, Pie XI, sous la pression de l'opinion mondiale, pourra bien «condamner» les théories racistes comme inconciliables avec la doctrine et les principes catholiques, par ce que ses apologistes appellent assez plaisamment la «terrible» encyclique «Mit brennender Sorge». Comme l'a si bien dit Tartufe «il est avec le ciel des accommodements». Le racisme nazi est condamné, mais non pas Hitler, son promoteur: «distinguo». Et le Vatican se garde bien de dénoncer l'«avantageux» Concordat conclu, quatre ans auparavant, avec le Reich nazi. Cependant que la Croix du Christ et la Croix gammée coopéraient ainsi en Allemagne, le premier poulain de ]'écurie vaticane, Benito Mussolini, se lançait dans la conquête -- trop facile -- de l'Éthiopie, avec les bénédictions du Saint-Père. «... Le Souverain Pontife s'était abstenu de condamner la politique de Mussolini et avait laissé au clergé italien toute latitude de coopérer avec le gouvernement fasciste... Des ecclésiastiques, depuis des curés d'humbles paroisses jusqu'à des cardinaux, prirent la parole en faveur de la guerre. «L'un des exemples les plus frappants en fut donné par le cardinal-archevêque de Milan, Alfredo Ildefonso Schuster (Jésuite), qui alla jusqu'à appeler la campagne en question «une croisade catholique»(38). L'Italie précisa Pie XI, estimait cette guerre, justifiée par un pressant besoin d'expansion... «Parlant, dix jours plus tard, devant un auditoire d'anciens combattants, Pie XI exprima le souhait qu'il soit accordé satisfaction aux légitimes revendications (d'un grand et noble peuple dont, rappela-t-il, il était lui-même issu».(39)
L'agression fasciste contre l'Albanie, le vendredi saint 1939, bénéficiera de la même «compréhension». C'est que nous dit M. Camille Cianfarra: «L'occupation italienne de l'Albanie présentait pour l'Église bien des avantages... Sur une population d'un million d'Albanais qui devenaient sujets italiens, 68170 étaient musulmans, 20% de religion grecque orthodoxe et 12% seulement appartenaient a l'Église catholique romaine. Du seul point de vue politique, par conséquent, l'annexion du pays par une puissance catholique devait sans aucun doute y améliorer la situation de et complaire au Vatican».(40)
En Espagne, l'établissement de la république n'avait pas manqué d'être ressentie comme une offense personnelle par la Curie romaine. «Je ne me suis jamais risqué à parler à Pie XI de la question espagnole, écrit NI. François Charles-Roux. Il m'aurait probablement fait sentir que les intérêts de l'Église faits le grand pays historique qu'est l'Espagne étaient affaire de la papauté exclusivement».(41) Aussi cette «chasse gardée» devait-elle être bientôt pourvue d'un dictateur, sur le modèle qui avait déjà fait ses preuves en Italie et en Allemagne. L'aventure du général Franco ne commença qu'à la mi-juillet 1936, mais dès le 21 mars 1934 avait été scellé le «Pacte de Rome» entre Mussolini et les chefs des partis réactionnaires d'Espagne, notamment M. Goïcoechea, chef de la «Renovacion Espaniola». Par ce pacte, le parti fasciste italien s'engageait à fournir aux rebelles argent, matériel de guerre, armes et munitions. On sait que les promesses faites furent tenues bien au-delà de cet engagement, et que Mussolini et Hitler ne cessèrent d'alimenter la rébellion espagnole en matériel, en aviation et en effectifs de «volontaires».
Quant au Vatican, insoucieux de son propre principe, selon lequel les fidèles doivent le respect au gouvernement établi, il accablait celui-ci de ses foudres. «Le pape excommunia les chefs de la République Espagnole et déclara la «guerre spirituelle» entre le Saint-Siège et Madrid. Ce fut l'Encyclique Dilectissimi Nobis... L'archevêque Goma, nouveau primat d'Espagne, proclama la guerre civile».(42) Les prélats de Sa Sainteté prenaient allègrement leur parti des horreurs de cette lutte fratricide, et Mgr Gomara, évêque de Carthagène, traduisait à merveille leurs sentiments apostoliques, en s'écriant: «Bénis soient les canons si, dans les brèches qu'ils ouvrent, fleurit l'Évangile». On vit même le Vatican reconnaître «de jure le gouvernement de Franco, le 3 août 1937, soit vingt mois avant la fin de la guerre civile.
La Belgique, elle aussi, était l'objet des soins de l'Action catholique organisation éminemment ultra-mondaine et jésuite, il va sans dire. Ne fallait-il pas préparer le terrain pour la prochaine invasion des armées du Führer ? Aussi, sous couleur de «rénovation spirituelle», l'évangile hitléro-fasciste y était-il assidûment prêché par Mgr Picard, jésuite en service détaché, le Père Arendt, jésuite, le Père Foucart, jésuite, etc. C'est ce dont témoigne un jeune Belge qui fut, comme bien d'autres, leur victime: «Nous étions déjà tous, à cette époque, travaillés par une sorte de fascisme... Il faut remarquer, en effet, que les milieux d'Action catholique auxquels je participais éprouvaient de vives sympathies pour le fascisme italien... Mgr Picard proclamait sur tous les toits, le génie de Mussolini et appelait un dictateur de tous ses vœux. Par des pèlerinages, l'on favorisait d'ailleurs les contacts avec l'Italie et le fascisme. «Lorsque, avec trois cents étudiants, je me, rendis en Italie, tout le monde au retour saluait à la romaine et chantait «Giovinezza»(43).
Un autre témoin dit encore: «A partir de 1928, le groupe. de Léon Degrelle devait collaborer régulièrement avec Mgr Picard... Mgr Picard confia à Léon Degrelle une mission particulièrement importante, celle de diriger une nouvelle maison d'édition installée au secrétariat d'Action catholique. Cette maison d'édition portait un nom qui devait rapidement devenir célèbre: elle s'appelait Rex... «Les appels à un régime nouveau se multipliaient... On observait avec beaucoup d'intérêt les résultats de cette propagande en Allemagne. Dans un article d'octobre 1933. «Vlan» rappela que les nazis n'étaient que sept en 1919, et que Hitler ne leur avait apporté quelques années plus tard, d'autre loi due son talent pour 1:1 publicité Fondée sur des principes analogues, l'équipe rexiste commença a faire une propagande active dans le pays. Ses meetings réunirent vite quelques centaines, puis des milliers d'auditeurs.» (44)
A vrai dire, Hitler avait apporté au national-socialisme naissant, comme Mussolini au fascisme, beaucoup plus que des dons de batteur d'estrade: le soutien de la papauté. Leur pâle copie, Léon Degrelle, chef de «Christus Rex», bénéficiait, on le voit, de ce même soutien - mais à des fins bien différentes, puisque son rôle, à lui, était d'ouvrir son pays à l'envahisseur. Écoutons encore M. Raymond de Becker: «Je collaborai donc à «l'Avant-Garde»... Ce journal (publié par Mgr Picard) s'efforça de désolidariser la Belgique de la politique française et anglaise.» (45)
On sait avec quelle rapidité, les armées allemandes eurent raison de la défense, belge, trahie par la cinquième colonne cléricale. On se souvient peut-être aussi que l'apôtre de «Christus Rex», endossant l'uniforme allemand, s'en fut, à grand renfort de publicité, «combattre sur le front de l'Est», à la tête de ses Waffen SS «tête de mort», recrutés principalement parmi les Jeunesses d'Action catholique; puis, qu'une retraite opportune lui permit de gagner l'Espagne. Mais, auparavant, il avait donné libre cours une dernière fois à ses sentiments «patriotiques». M. Maurice de Béhaut écrit: «Il y a dix ans (en 1944), le port d'Anvers, le troisième en importance du monde entier, tombait quasi intact aux mains des troupes britanniques... Au moment précis où la population entrevoyait la fin de ses souffrances et de ses privations, fondit sur elle la plus diabolique des inventions nazies: les bombes volantes ou V1 et V2. Ce bombardement, le plus long de l'Histoire, puisqu'il devait durer plus de six mois de nuit et de jour, fut soigneusement caché, par ordre de l'état-major allié. C'est la raison pour laquelle on ignore encore généralement aujourd'hui le martyre de la ville d'Anvers - et aussi de Liège. «Certains avaient entendu la veille (du premier bombardement - 12 octobre 1944) à la radio de Berlin les propos inquiétants du traître rexiste Léon Degrelle: «J'ai demandé à mon Führer, clamait-il, vingt mille bombes volantes. Elles châtieront un peuple imbécile. Elles feront d'Anvers une ville sans port ou un port sans ville, je vous le promets.» «... Dès ce jour, le rythme du bombardement n'allait cesser de s'accentuer, et les catastrophes allaient succéder aux désastres. Cependant que le traître Léon Degrelle s'égosillait à la radio de Berlin, promettant des cataclysmes bien plus terribles encore.» (46)
Tel fut le dernier adieu à sa patrie de ce monstrueux produit de l'Action catholique. Élève obéissant de Mgr Picard, Jésuite, du Père Arendt, Jésuite, etc., le chef de «Christus Rex» se conforma strictement aux directives papales. «Les hommes d'Action catholique, écrivait Pie XI, manqueraient gravement à leur devoir si, dans la mesure de leurs moyens, ils ne contribuaient à diriger la politique de leur province, de leur pays.» (47) Certes, Léon Degrelle ne manqua pas à ce devoir, et le résultat - on l'a vu - fut à proportion de son zèle. On lit encore dans l'ouvrage de M. Raymond de Becker: «L'Action catholique avait trouvé en Belgique des hommes exceptionnels pour orchestrer ses thèmes. Le premier d'entre eux était Mgr Picard... l'autre était le chanoine Cardijn, fondateur du mouvement jociste, personnage bilieux, rageur, illuminé...» (48) Ce dernier jure aujourd'hui ses grands dieux qu'il n'a jamais «ni vu ni entendu» soir coéquipier Léon Degrelle. Ainsi, ces deux leaders de l'Action catholique belge, œuvrant tous deux sous la houlette archiépiscopale du cardinal Van Roey, ne se seraient jamais rencontrés ? Par quel miracle ? C'est ce que ne dit pas l'ex-chanoine qui, depuis, a été fait Monsignor par Pie XII et s'est vu confier la direction des mouvements jocistes du monde entier.
Autre miracle: Mgr Cardijn n'a pas davantage aperçu le compromettant chef de «Rex» lors de ce grand Congrès dont Degrelle parle en ces termes: «Je me souviens du grand Congrès de la Jeunesse catholique qui eut lieu, en 1930, a Bruxelles. Je me tenais derrière Mgr Picard, qui se trouvait lui-même à côté du cardinal Van Roey. Il y avait deux heures que durait le défilé, un défilé formidable d'entrain: cent mille jeunes gens étaient passés, acclamant les ,autorités religieuses massées à la tribune...» (49) Où donc se cachait alors le chef de la J.O.C., dont les troupes participaient à ce défilé gigantesque ? Avait-il été, exilé au sein des «autorités religieuses» ? Ou bien, par un décret spécial de la Providence, ces deux personnages étaient-ils condamnés à se coudoyer sans se voir, tant dans les tribunes officielles qu'au secrétariat de l'Action catholique, où ils fréquentaient assidûment ?
Mais Mgr Cardijn, jésuite en service détaché, ne s'en tient pas là. Il prétend encore avoir «verbalement» combattu le rexisme. Décidément, cette Action catholique était un étrange organisme ! Non seulement les chefs respectifs de la J.O.C. et de «Rex», deux de ses principaux «mouvements», y jouaient à cache-cache dans les couloirs, mais encore l'un d'eux pouvait «combattre», à ce qu'il dit, ce que l'autre faisait avec la haute approbation de la «hiérarchie» ! Car ou ne peut le contester: Degrelle fut mis à la tête de «Rex» par Mgr Picard lui-même sous l'autorité du cardinal Van Roey et du nonce apostolique Mgr Micara. Ainsi, à en croire le créateur de la J.O.C., il aurait vivement réprouvé les agissements d'un collègue d'Action catholique, patronné comme lui-même par le primat de Belgique, - et cela sans égard pour le nonce, son «protecteur et ami vénéré», aux dires de Pie XII» (50). L'affirmation est un peu forte. On s'en aperçoit d'autant mieux, si l'on examine de près quelle était, après l'invasion de la Belgique par Hitler l'attitude de ceux qui, comme Mgr Cardijn et consorts, répudient aujourd'hui à l'envi Degrelle et le rexisme.
Dans un livre qui fut mis «sous le boisseau» lors de sa parution, le chef de «Rex» lui-même a rafraîchi les mémoires de la façon que l'on va voir, et ses dires, à notre connaissance, n'ont jamais été démentis. «Chrétien fervent, connaissant les interpénétrations du spirituel et du temporel, je n'eusse pas voulu m'engager dans la voie de la collaboration (avec Hitler) sans avoir consulté, au préalable, les autorités religieuses de mon pays... J'avais demandé à Son Éminence le cardinal Van Roey de me recevoir... Le cardinal me reçut aimablement, un matin, à son palais épiscopal de Malines... Il est animé par un fanatisme élémentaire, total, cyclonal... En d'autres siècles, il eût, en chantant le «Magnificat», passé les infidèles au fil de l'épée, grillée ou laissé choir dans des in-pace les brebis capricantes de son troupeau. Au XXe siècle, il ne dispose plus que de la crosse, mais il lui fait faire une fameuse besogne. Tout à ses yeux, ne présentait de réelle importance - heureuse, à soutenir; néfaste, à broyer - que dans la mesure où cela servait ou desservait l'intérêt de l'Église sous ses multiples formes: oeuvres, partis, journaux, coopératives agricoles (Boerenbond), institutions bancaires, en cela qu'elles assuraient la puissance temporelle de l'institution divine.... «Et là, franchement, honnêtement, je suis sûr de ne pas déformer les propos du cardinal en disant que la collaboration lui apparaissait alors comme une ligne de conduite absolument normale, la seule même qui pût venir à l'esprit d'un être sensé. Il n'envisagea pas un seul instant, devant moi, durant tout l'entretien, qu'une autre attitude fût simplement possible. Pour le cardinal, la guerre, à l'automne de 1940, était finie. Il ne prononça même pas le nom des Anglais, n'émit même pas la supposition qu'un redressement allié fût imaginable... le cardinal ne pensait même pas qu'une autre solution que la collaboration fût, politiquement concevable... il ne trouva absolument rien à objecter - pas un mot, pas un geste - à l'exposé de mes conceptions et de mes projets... Il eût pu - il eût dû - s'il jugeait que je m'égarais politiquement, me mettre en garde, puisque j'étais venu lui demander conseil... Avant mon départ, le cardinal me donna paternellement sa bénédiction... «D'autres catholiques que moi regardèrent, à l'automne 1940, vers la puissante tour noire de Sain-Rombaut... Nombreux furent ceux qui pénétrèrent alors au palais épiscopal, afin de consulter Mgr Van Roey ou son entourage immédiat sur la moralité, l'utilité ou la nécessité de la collaboration... «Plus de mille bourgmestres catholiques, tous les secrétaires généraux, pourtant triés sur le volet, s'adaptèrent sans retard à l'Ordre nouveau... Imagine-t-on que tous ces braves gens, emprisonnés en très grand nombre en 1944, ou accablés d'avanies, ne s'étaient pas demandé en 1940: Que pense Malines ? A qui fera-t-on croire que, à Malines même, ou par les évêchés, ou par leurs curés, ils n'avaient pas reçu les apaisements désirables ? «Les huit dixièmes des collaborationnistes belges étaient des catholiques... «A nul d'entre eux, pas plus qu'à moi, Malines ou les divers évêchés, durant ces semaines décisives par leur choix, ne donnèrent d'avis négatifs, soit écrits, soit verbaux». «Telle est, qu'elle plaise ou non,, la vérité toute nue. L'attitude prise par le haut clergé catholique à l'étranger ne pouvait que renforcer la conviction des fidèles que la collaboration était parfaitement compatible avec la foi.. A Vichy, les plus hauts prélats de France se faisaient photographier aux côtés du Maréchal Pétain et de Pierre Laval, après l'entrevue Pétain-Hitler. A Paris, le cardinal Baudrillart se déclarait publiquement collaborationniste. «En Belgique même, le cardinal Van Roey admettait parfaitement qu'un des prêtres les plus célèbres de la Flandre - son plus grand intellectuel catholique -- l'abbé Verschaeve, déclarât, le 7 novembre 1940, au cours d'une séance solennelle dans l'amphithéâtre du Sénat, en présence d'un général allemand, le président Raeder: «C'est la tâche du Conseil culturel de jeter le pont qui reliera la Flandre à l'Allemagne....» «Le 29 mai 1940, au lendemain de la capitulation, le cardinal Van Roey avait représenté l'invasion comme une espèce de cadeau du ciel: «Soyons persuadés, avait-il écrit aux fidèles, que nous assistons en ce moment à une action exceptionnelle de la divine Providence qui manifeste sa puissance par des événements énormes». «Finalement, Hitler apparaissait presque comme l'instrument purificateur, châtiant providentiellement les Belges». (51)
On connaît le refrain : chez nous, à la même époque, c'était «la défaite plus féconde qu'une victoire», comme, avant 1914, on appelait pieusement sur la France «la bonne saignée» purificatrice. Plus loin, dans ce mémorial tombé - ou plutôt jeté - aux oubliettes, on trouve de fort intéressants détails sur le «Boerenbond, la grande machine catholico-politico financière du cardinal Van Roey. Celle-ci finançait largement la section flamande de l'Université de Louvain...». (52) «La société de presse «Standaard» fit tourner à plein rendement ses rotatives, publiant en relief les appels les plus collaborationnistes du V. N. V. (Vlaamsch Nationalist Verbond). L'affaire, très rapidement, roula sur l'or... Catholiques deux cents pour cent, piliers de l'Église en Flandre, il est fort probable que ces dirigeants (du Standaard) ne se fussent pas lancés dans la collaboration sans que le cardinal leur donnât une approbation préalable, claire et nette. «Même remarque à propos de tout le faisceau de «presse catholique...» (53).
Tous ces efforts ne tendaient à rien de moins qu'au démembrement de la Belgique, comme le rappelle un autre écrivain catholique, M. Gaston Gaillard: «Les catholiques flamingants, comme les catholiques autonomistes alsaciens, justifiaient leur attitude par l'appui tacite que le Saint-Siège avait toujours donné à toutes les propagandes germaniques. Lorsqu'ils se reportaient à la lettre mémorable adressée par Pie XI à son secrétaire d'État, le cardinal Gaspari (le 26 juin 1923) ils étaient facilement convaincus que leur politique ne pouvait qu'avoir l'agrément de Rome et Rome ne faisait rien pour les en dissuader. Le nonce Pacelli (futur Pie XII) n'avait-il pas soutenu habilement les nationalistes allemands et prodigué les encouragements aux populations dites «opprimées» de la Haute-Silésie; les menées autonomistes d'Alsace, d'Eupen-Malmédy et de Silésie n'avaient-elles pas reçu des approbations ecclésiastiques qui n'avaient pas toujours été discrètes ? Il était facile aux flamingants de prendre prétexte de ces faits pour abriter leurs agissements contre l'unité belge derrière les directives romaines...». (54)
De même en 1942 le pape Pie XII faisait transmettre à Paris ses condoléances pour la mort du cardinal Baudrillart par sa nonciature de Berlin, signifiant ainsi qu'il considérait comme acquise l'annexion par l'Allemagne du Nord de la France. Et l'on voit qu'il ne faisait par là que confirmer une fois de plus cet «appui tacite» que le Saint-Siège, et lui-même en particulier, avaient toujours donné à l'expansion germanique. Aussi ne peut-on que sourire - non sans mépris quand on voit aujourd'hui les Jésuites de Sa Sainteté ergoter misérablement sur une pareille évidence, et répudier toute complicité avec la cinquième colonne qu'ils avaient si bien mise en place, et Degrelle en particulier. Pour celui-ci --- dans sa retraite dont on aurait garde de le tirer, car il sait trop de choses - il peut se remémorer à loisir le fameux distique d'Ovide: «Donec eris felix, multos numerabis amicos. Tempora si fuerint nubila, solus eris» (55). Ce n'est pas sans une surprise amusée qu'on lit sous la plume du R.P. Fessard (Jésuite): «En 1916 et 1917, avec quelle impatience attendions-nous les renforts américains ! En 1939, avec quelle tristesse nous fallait-il constater que, même après la déclaration de guerre, Hitler était regardé avec bienveillance par une bonne partie de l'opinion américaine, même sinon surtout, catholique ! Et en 1941 et 1942, nous nous demandions à nouveau si les États-Unis interviendraient ou non».(56)
Ainsi le bon Père - à l'en croire - constatait «avec tristesse» les résultats obtenus en Amérique par ses propres frères en Loyola ? Car, le finit est historique, le «Front chrétien», mouvement catholique opposé à l'intervention des États-Unis, était dirigé par le Père Jésuite Coughlin, pro-hitlérien notoire. «Rien ne manquait à cette pieuse organisation qui recevait de Berlin un copieux matériel de propagande mis au point par les services de Goebbels. «Par son journal «Social Justice» et par ses émissions radiophoniques le Père Jésuite Coughlin, l'apôtre de la croix gammée, atteignait un vaste public. Il entretenait, au surplus, dans les principaux centres urbains, des cellules de choc, secrètes, il va sans dire, comme il convient aux fils de Loyola, et entraînées par des agents nazis».(57)
Une pièce secrète de la Wilhelmstrasse donne la précision suivante: «Il n'est pas sans intérêt pour caractériser l'évolution des États-Unis dans le domaine de l'antisémitisme, de savoir que les auditeurs du prêtre de la radio, le Père Coughlin, bien connu pour son antisémitisme, dépassent 20 millions».(58) Faut-il rappeler aussi l'action du Père jésuite Walsh, chargé de missions par le pape, doyen de l'École des sciences politiques de l'Université de Georgetown, pépinière jésuitique de la diplomatie américaine - et zélé propagandiste de la géopolitique allemande ? En ce temps-là, le général de la Compagnie de Jésus se trouvait être, comme par hasard, Halke von Ledochowski, ex-général dans l'armée autrichienne, lui avait succédé en 1915 à Wernz, un Prussien. Le R. P. Fessard a-t-il également oublié ce qu'écrivait «La Croix», durant toute la guerre, et notamment ceci: «Nous n'avons rien de bon à attendre d'une intervention des troupes d'Outre-Manche et d'Outre-Atlantique».(59) Ne se souvient-il pas non plus de ce télégramme de S.S. Pie XII: «Le pape envoie sa bénédiction à La Croix, organe de la pensée pontificale».(60) De tant d'oublis, faut-il déduire qu'on a la mémoire courte dans la Compagnie de Jésus ? C'est pourtant un reproche que ses ennemis même ne lui ont jamais adressé. Observons plutôt que le R.P. Fessard nous confie en 1957 seulement ses patriotiques angoisses de 1941-1942. En quinze ans, ses «libres méditations» n'ont sans doute pas été vaines, et il a eu tout loisir de relire tel passage des «Exercices spirituels» qui prononce que «le Jésuite doit se déclarer prêt, si l'Église affirme que ce qu'il voit noir est blanc, à dire comme elle, quand même ses sens le convaincraient du contraire» (61).
A ce compte, le R.P. Fessard nous paraît être un excellent Jésuite. Le 7 mars 1936, Hitler faisait avancer la Wehrmacht en Rhénanie démilitarisée, déchirant ainsi le pacte de Locarno. Le 11 mars 1938, c'était l'Anschluss (réunion de l'Autriche à l'Allemagne) ci le 29 septembre de la même année, à Munich, la France et l'Angleterre se laissaient imposer l'annexion par Ie Reich du Territoire des Sudètes, en Tchécoslovaquie. Il y avait cinq ans seulement que le Führer avait pris le pouvoir, grâce aux votes du «Zentrum», catholique, et déjà se trouvaient réalisé', en grande partie les objectifs cyniquement dévoilés dans «Mein Kampf», cet audacieux défi lancé aux démocraties occidentales, sous la signature d'Hitler, par le, Père jésuite Staempfle, «c'est la Compagnie de Jésus qui mit au point le fameux programme pangermaniste développé dans cet ouvrage, dont le Führer endossa la paternité.
3. LES AGRESSIONS ALLEMANDES ET LES JÉSUITES - AUTRICHE - POLOGNE - TCHÉCOSLOVAQUIE YOUGOSLAVIE Voyons comment l'Anschluss fut préparé: Il faut se souvenir que, par un synchronisme vraiment «providentiel, alors que Mussolini s'emparait du pouvoir en Italie grâce à don Sturzo, Jésuite, chef du parti catholique, Mgr Seipel, Jésuite devenait chancelier d'Autriche. Il le demeura jusqu'en 1929, avec un interrègne de deux ans, et ce fut pendant ces années décisives qu'il engagea la politique intérieure autrichienne dans la voie réactionnaire et cléricale où ses successeurs le suivirent, et qui devait aboutir à la résorption du pays dans le bloc allemand. La répression sanglante des soulèvements ouvriers lui valut le sobriquet de «Keine Milde Kardinal»: le Cardinal Sans-Merci. «Dès les premiers jours de mai (1936), Von Papen entama le pourparlers secrets en prenant le Dr Schussnigg (chancelier d'Autriche) par son point faible: il lui fit valoir les avantages d'une réconciliation avec Hitler, du point de vue des intérêts du Vatican. L'argument peut paraître fantaisiste, mais Schussnig était dévot et Von Papen, chambellan du pape»(62).
Ce fut en effet -- on lie saurait s'en étonner - le camérier secret - chambellan qui mena toute l'affaire, laquelle aboutit, le 11 mars 1938, à la démission du pieux Schussnigg (élève des Jésuites) ait bénéfice de Seyss-Inquart, chef des nazis autrichiens. Le lendemain, les troupes allemandes franchissaient la frontière et le gouvernement fantoche de Seyss-Inquart proclamait la réunion de l'Autriche au Reich. Événement salué par une déclaration enthousiaste de l'archevêque de Vienne: le cardinal Innitzer (jésuite). «Le 15 mars, la presse allemande publiait la déclaration suivante du cardinal Innitzer: «Les prêtres et les fidèles doivent soutenir sans réserve l'État grand-allemand et le Führer, dont la latte pour la puissance, l'honneur et la prospérité de l'Allemagne répond aux vues de la Providence». - «L'original de cette déclaration était reproduit par fac-similé dans les journaux, pour qu'il n'y ait pas de doute sur son authenticité. La reproduction en était affichée sur les murs de Vieillie et dans les autres villes d'Autriche, Le cardinal Innitzer avait fait précéder sa signature, des mots suivants, écrits de sa main: «Und heil Hitler ! - «Trois jours après paraissait une lettre pastorale, adressée par l'épiscopat autrichien tout entier à ses diocésains les journaux italiens en publièrent le texte le 28 mars c'était une plate adhésion au régime nazi et un hymne à sa gloire».(63)
Le cardinal Innitzer le plus haut représentant de l'Église romaine en Autriche, écrivait même dans sa déclaration: «J'invite les chefs des organisations de jeunesse à préparer leur union aux organisations du Reich allemand».(64 Ainsi, non seulement le cardinal-archevêque de Vienne, suivi de son épiscopat, se ralliait à Hitler avec un enthousiasme ostentatoire, mais encore il livrait les jeunesses «chrétiennes» au dressage conçu selon la doctrine nazie, laquelle demeurait «officiellement condamnée» par la «terrible» encyclique «Mil brennender Sorge» ! «Le Mercure de France» observait alors fort justement: «... Ces évêques n'ont pas pris d'eux-mêmes une décision qui engage l'Église tout entière, et c'est le Saint-Siège qui leur a dicté une ligne de conduite à laquelle ils n'ont fait que se conformer».(65) C'est l'évidence. Mais quelle autre «ligne de conduite» aurait-on pu attendre de ce Saint-Siège qui avait porté au pouvoir Mussolini, Hitler, Franco, et avait suscité en Belgique le «Christus-Rex» de Léon Degrelle ? «On comprend, dès lors, les auteurs anglais F.A. Ridley, Secker et Warburg, qui reprochent à la politique de Pie XI d'avoir favorisé partout les mouvements fascistes».(66)
En ce qui concerne l'Anschluss, M. François Charles-Roux nous dit pourquoi l'Église s'y montrait tellement favorable: «C'était que peut-être huit millions de catholiques autrichiens, incorporés au groupe des catholiques du Reich, en feraient une masse catholique allemande mieux en mesure de faire sentir son poids».(67)
La Pologne se trouvait dans le même cas que l'Autriche, quand Hitler, après l'avoir envahie, en annexa une partie au nom de Wartheland. Encore quelques millions de catholiques venant renforcer l'effectif allemand d'obédience romaine: le Saint-Siège ne pouvait voir cela que d'un bon œil, malgré tout son amour pour ses «chers Polonais». Et, de fait, il se garda bien de faire grise mine à ce regroupement - un peu brutal -- des catholiques en Europe centrale, selon le plan du général des Jésuites Halke von Ledochowski.
Les thuriféraires patentés du Vatican ne cessent de répéter à leurs lecteurs que Pie XII a «protesté» contre l'agression dans l'encyclique «Summi Pontificatus». Mais, en réalité, dans ce document amphigourique comme tous ceux de cette sorte, et qui ne comporte pas moins de 45 pages, on relève tout juste, vers la fin, une phrase à l'adresse de la Pologne écrasée par Hitler. Encore n'est-ce qu'une vague formule de compassion, avec le conseil aux Polonais de prier longuement la Sainte Vierge ! Le contraste est frappant, entre ces quelques mots de condoléance banale et les pages flatteuses consacrées à l'Italie (fasciste) et à l'exaltation du Traité du Latran, conclu par le Saint-Siège avec Mussolini, ce compère d'Hitler, qui, au moment même où le pape rédigeait son encyclique, avait lancé au monde comme un défi le scandaleux discours commençant par ces mots: «Liquidata la Polonia !».
Mais que risque-t-on à user de ces alibis dérisoires, quand on prêche des convertis ? Et d'ailleurs, parmi ceux-ci, combien peu se soucient de vérifier la référence. Cependant, si l'on passe au comportement effectif du Vatican dans cette affaire, que voit-on ? On voit d'abord le nonce à Varsovie, Mgr Cortesi, pousser le gouvernement polonais à céder à Hitler sur tous les points: Dantzig, le «corridor», les territoires où vivent des minorités allemandes(68). Puis, une fois le coup fait, on voit encore le Saint-Père prêter ses bons offices à l'agresseur pour tenter de faire entériner par Paris et par Londres une large amputation de sa «chère Pologne».(69) A ceux qui seraient. surpris d'un tel comportement envers cette nation catholique entre toutes, il suffira de rappeler un précédent fameux: Après le premier partage de la Pologne en 1772, catastrophe où les intrigues des Jésuites eurent leur large part, le pape Clément XIV, écrivant à l'impératrice d'Autriche Marie-Thérèse, lui exprimait sa satisfaction en ces termes: «L'invasion de la Pologne et son partage n'ont pas été seulement une chose politique, ils correspondent aussi à l'intérêt de la religion et il était nécessaire, pour le profit spirituel de l'Église, que la Cour de Vienne étendît sa domination en Pologne aussi loin que possible».
Comme on le voit, rien de nouveau sous le soleil - surtout au Vatican. En 1939, il n'y avait pas un mot à changer à cette déclaration cynique, sauf que «le profit spirituel de l'Église» était, cette fois, de voir entrer quelques millions de Polonais catholiques dans le Grand Reich. Et c'en est bien assez pour expliquer la parcimonie des condoléances papales dans «Summi Pontificatus».
En Tchécoslovaquie, le Vatican devait faire encore mieux: il allait fournir à Hitler un de ses propres prélats, camérier secret, pour en faire le chef d'un État satellite du Reich. L'«Anschluss» avait eu un profond retentissement en Europe. Désormais, c'était sur la République Tchécoslovaque que planait la menace hitlérienne, et l'on sentait venir la guerre. Mais au Vatican on ne semblait s'en soucier que fort peu. Écoutons encore M. François Charles-Roux: «Dès le milieu d'août, j'avais entrepris d'obtenir du pape qu'il parlât en faveur de la paix, - de la paix juste, s'entend... Mes premières démarches n'eurent pas de succès. Mais à partir du début de septembre 1938, c'est-à-dire du moment où la crise internationale atteignit son point culminant, je commençai à recueillir au Vatican des impressions terrifiantes qui contrastaient étrangement avec l'aggravation rapide du péril».(70)
A toutes les démarches faites auprès de lui pour qu'il élevât la voix, Pie XI - nous dit l'ancien ambassadeur de France --- répondait invariablement: «Ce serait inutile, superflu, inopportun». Je n'arrivais pas à m'expliquer son obstination à se taire»(71) L'explication de ce silence, les faits n'allaient pas tarder à la donner. Ce fut d'abord l'annexion par le Reich du territoire des Sudètes, avec l'appui du Parti Social-chrétien, bien entendu; annexion qui fut entérinée par l'accord de Munich. Ainsi fut amputée la République Tchécoslovaque. Mais Hitler, qui s'était engagé à en respecter désormais l'intégrité territoriale, comptait bien, en réalité, procéder à l'annexion des pays tchèques détachés de la Slovaquie et régner en outre sur celle-ci par personne interposée. Il eut d'autant moins de peine à y parvenir que, comme le signale Walter Hagen, les principaux chefs politiques slovaques n'étaient pour la plupart que des ecclésiastiques catholiques(72), et parmi ceux-ci le prêtre Hlinka, (Jésuite), disposait d'une «garde» calquée sur le modèle des S.A. hitlériens.
On sait qu'aux termes du droit canon aucun prêtre ne peut accepter une charge publique ou un mandat politique sans en avoir reçu l'autorisation du Saint-Siège. C'est ce que confirme, et explique d'ailleurs, le R.P. Jésuite de Soras: «Comment en serait-il autrement ? Nous l'avons déjà dit, un prêtre en vertu du «caractère» dont son ordination l'a marqué, en vertu des fonctions officielles qu'il exerce au sein même de l'Église, en vertu de la soutane qu'il porte, agit forcément, au regard de l'opinion, en tant que catholique, du moins s'il s'agit d'action publique. Là où est le prêtre, là est l'Église».(73) C'était donc avec l'agrément du Vatican que des membres du clergé siégeaient au Parlement tchécoslovaque. A fortiori, l'un de ces prêtres eut besoin de l'approbation du Saint-Siège pour recevoir des mains du Führer, l'investiture en tant que chef d'État - et ensuite pour accepter les plus hautes distinctions hitlériennes: la Croix de Fer et le Grand cordon de l'Aigle Noir.
Comme prévu, le 15 mars 1939, Hitler annexait le reste de la Bohême et de la Moravie et prenait «sous sa protection» la République Slovaque, créée par lui d'un trait de plume. A sa tête il plaça Mgr Tiso (Jésuite), «qui rêvait de combiner le catholicisme et le nazisme». Noble ambition, et facile à réaliser en somme, comme l'avaient déjà prouvé les épiscopats allemand et autrichien. Le catholicisme et le nazisme, proclamait Mgr Tiso, ont beaucoup de points communs et ils œuvrent la main dans la main pour réformer le monde».(74) Tel devait être aussi l'avis du Vatican, puisque - malgré la «terrible» encyclique «Mit brennender Sorge» - il ne marchandait pas son approbation au prélat-gauleiter: «En juin 1940, la Radio vaticane annonça: «La déclaration de Mgr Tiso, chef de l'État slovaque, affirmant son intention d'édifier la Slovaquie selon un plan chrétien, est très appréciée du Saint-Siège».(75) «Le temps du régime Tiso, en Slovaquie, fut particulièrement pénible pour l'Église protestante du pays, qui ne représente que le cinquième de la population. Mgr Tiso cherchait à réduire l'influence protestante au minimum et même à l'éliminer. Des éléments influents de l'Église protestante furent envoyés dans des camps de concentration».(76) Encore ces déportés devaient-ils s'estimer heureux en effet, comme l'a déclaré le général des Jésuites Wernz, Prussien (1906-1915): «L'Eglise peut condamner des hérétiques à la mort, car ils n'ont de droits que par tolérance».
Voyons maintenant avec quelle mansuétude apostolique le prélat-gauleiter traitait les enfants d'Israël: «En 1941, à Auschwitz, le premier contingent de Juifs arrive de Slovaquie et de Haute-Silésie, et dès le début ceux qui ne sont pas capables de travailler sont passés à la chambre à gaz dans une des pièces du bâtiment abritant les fours crématoires».(77) Qui écrit cela ? Un témoin que l'on ne saurait récuser, Lord Bertrand Russell of Liverpool, qui fut conseiller juridique dans les procès des criminels de guerre. Ainsi, ce n'était pas en vain que le Saint-Siège avait «prêté» un de ses prélats à Hitler. Le Jésuite chef d'État faisait de la bonne besogne et l'on comprend la satisfaction qu'exprimait la Radio vaticane. Avoir été le premier pourvoyeur d'Auschwitz, quelle gloire pour ce saint homme et pour la Compagnie des Jésuites tout entière !
Au reste, il ne manqua rien à ce triomphe. Livré par les Américains à la Tchécoslovaquie, à la Libération, le prélat-gauleiter fut condamné à mort en 1946 et, pendu haut et court. C'était la palme du martyre. «Tout ce que nous faisons contre les Juifs, nous le faisons par amour de notre nation. «L'amour du prochain et l'amour de la patrie se sont développés en un combat fécond contre les ennemis du nazisme».(78) Cette déclaration de Mgr Tiso, un autre haut dignitaire de l'Église romaine aurait pu la reprendre à son compte, dans un pays voisin. Car si la «Cité de Dieu» slovaque eut pour bases la haine et la persécution, selon la tradition constante de I 'Église, que dire de l'État éminemment catholique de Croatie, fruit de la collaboration du tueur Paveliteh et de Mgr Stepinac, assisté du légat pontifical Marcone ! Il faudrait remonter à la conquête du Nouveau Monde par l'action conjuguée des aventuriers de Cortès et des moines convertisseurs non moins féroces qu'eux, pour trouver quelque chose de comparable aux atrocités des Oustachis, que soutenaient, commandaient excitaient des religieux d'un fanatisme démentiel. Car ce que firent pendant quatre ans ces Assassins au nom de Dieu comme les a si bien nommés M. Hervé Laurière, défie toute imagination, et les annales de l'Église romaine, si riches pourtant en pareille matière, n'en offrent pas, en Europe, l'équivalent.
Est-il besoin d'ajouter que le compère du sanglant Ante Pavelitch, Mgr Stepinac, était, lui aussi, un Jésuite en service détaché ? L'organisation terroriste croate des Oustachis, dirigée par Pavelitch, avait été révélée aux Français par l'assassinat commis à Marseille, en 1934, du roi Alexandre 1er de Yougoslavie et de notre ministre des Affaires étrangères, Louis Barthou. «Le gouvernement de Mussolini étant notoirement compromis avec les instigateurs du crime»(79), l'extradition de Pavelitch, réfugié en Italie, fut demandée par le gouvernement français mais le Duce se garda bien de l'accorder, et ce fut par contumace que le chef oustachi fut condamné à mort par la Cour d'assises d'Aix-en-Provence.
Ce chef de bandes, stipendié par Mussolini, «travaillait» en faveur de l'expansion italienne sur la côte adriatique. Aussi, lorsque, en 1941, Hitler et Mussolini eurent envahi et démembré la Yougoslavie, ce prétendu patriote croate fut mis par eux à la tête de l'État satellite qu'ils créèrent sous le nom d'«État indépendant de Croatie». Et le 18 mai de cette même année, à Rome, Pavelitch offrait la couronne de cet État au duc de Spolète, qui prit le nom de Tomislav II. D'ailleurs, celui-ci se garda de jamais mettre le pied sur le sol ensanglanté de son pseudo-royaume. «Le même jour, Pie XII accordait une audience privée à Pavelitch et à sa suite, parmi laquelle figurait Mgr Salis-Sewis, vicaire général de Mgr Stepinac. «Ainsi, le Saint-Siège ne craignait pas de serrer la main à un assassin avéré, condamné à mort par contumace pour le meurtre du roi Alexandre 1er et de Louis Barthou, à un chef de bandes chargé des plus horribles crimes. En effet, le 18 mai 1941, quand Pie XII recevait avec honneur Pavelitch et sa séquelle de tueurs, le massacre des orthodoxes battait déjà son plein en Croatie, concurremment avec les conversions forcées au catholicisme»(79 bis).
C'était la minorité serbe de la population qui se trouvait visée, comme l'explique l'écrivain Walter Hagen: «Au bout de peu de temps, le pays ne fut plus, grâce aux Oustachis, qu'un sanglant chaos... La haine mortelle des nouveaux maîtres se dirigea contre les Juifs et contre les Serbes qui furent mis, pour ainsi dire, officiellement hors la loi... Des villages entiers, voire des contrées entières, furent systématiquement exterminés... Comme la vieille tradition voulait que la Croatie et la foi catholique d'une part, la Serbie et la confession orthodoxe d'autre part, fussent synonymes, on commença à obliger les orthodoxes à entrer dans l'Église catholique. Ces conversions obligatoires constituaient justement l'achèvement même de la croatisation.»(80)
Andrija Artukovic, ministre de l'Intérieur, était le grand organisateur de ces massacres et de ces conversions forcées, mais, ce faisant, il ne manquait pas de se couvrir «moralement», aux dires d'un témoin bien placé. En effet, le gouvernement yougoslave ayant demandé son extradition des États-Unis, où il s'est réfugié, une voix s'est élevée en sa faveur, celle du R.P. jésuite Lackovic, résidant aussi aux États-Unis, et qui fut pendant la dernière guerre le propre secrétaire de Mgr Stepinac, archevêque de Zagreb. «Artukovic, affirme le R.P. Jésuite, était le porte-parole laïque de Mgr Stepinac. Pas un jour ne se passa entre 1941 et 1945 sans que je sois dans son bureau et lui dans le mien. Il consultait l'archevêque sur l'aspect moral de toutes les actions qu'il entreprenait.»(81) Quand on pense à ce qu'étaient les «actions» de ce bourreau, on ne peut qu'être édifié par la caution «morale» que leur accordait Mgr Stepinac. Massacres et conversions allaient se poursuivre jusqu'à la Libération, sans que jamais la bienveillance du Saint-Père à l'égard des tueurs se soit jamais démentie. Il faut lire, dans les journaux catholiques croates de l'époque, ces échanges d'aménités entre Pie XII et Pavelitch, le «Poglavnik», auquel Mgr Saric, Jésuite, archevêque de Sarajevo et poète à ses heures, consacrait des vers empreints d'une adoration délirante.
Ce n'était là, d'ailleurs, qu'échange de bons procédés: «Mgr Stepinac devient membre du Parlement oustachi(82). Il porte des décorations oustachies, il assiste à toutes les grandes manifestations officielles oustachies, au cours desquelles il prononce même des discours... «Faut-il donc s'étonner que l'État satellite croate ait eu de la déférence pour Mgr Stepinac ? Que la presse oustachie ait clamé les louanges de Mgr Stepinac ? Il est, hélas ! trop évident que sans l'appui de Mgr Stepinac, sur le plan religieux et politique, Ante Pavelitch n'eût jamais obtenu à un tel degré la collaboration des catholiques en Croatie.»(83)
Pour mesurer jusqu'où alla cette collaboration, il n'est tel que de lire la presse catholique croate, le «Katolicki Tjednik», le «Katolick List», le «Hrvatski Narod», et tant d'autres organes qui rivalisaient de plate adulation pour le sanglant «Poglavnik», dont Pie XII se félicitait qu'il fût un «catholique pratiquant». La haute estime du Souverain Pontife s'étendait même aux acolytes du grand homme. «L'Osservatore Romano» nous apprend que, le 22 juillet 1941, le pape a reçu cent agents de la police de sécurité croate, conduits par le chef de la police de Zagreb, Eugen Kvaternik-Dido. Ce groupe de SS croates constituait la fleur des bourreaux et des tortionnaires qui opéraient dans les camps de concentration, et celui qui les présentait au Saint-Père se rendit coupable de telles horreurs que sa mère se suicida de désespoir.
La bienveillance de S.S. Pie XII s'explique assez, du reste, si l'on pense au zèle apostolique de ces tueurs. Écoutons un autre «catholique pratiquant», Mile Budak: ministre des Cultes, s'écriant, en août 1941, à Karlovac: «Le mouvement oustachi est basé sur la religion. Sur notre fidélité à la religion et à l'Église catholique repose toute notre action.»(84) D'ailleurs, le 22 juillet, à Gospic, le même ministre des Cultes avait parfaitement défini cette action: «Nous tuerons une partie des Serbes, nous en déporterons une autre, et le reste sera obligé d'embrasser la religion catholique romaine.»(85)
Ce beau programme fut exécuté à la lettre. Quand cette tragédie prit fin, à la Libération, on comptait 300.000 Serbes et Juifs déportés et plus de 500.000 massacrés. Moyennant quoi, l'Église romaine avait ramené dans son sein 240.000 orthodoxes... qui, d'ailleurs, se hâtèrent de revenir à la confession de leurs ancêtres lorsque la liberté leur fut rendue. Mais pour obtenir ce dérisoire résultat, quel déchaînement d'horreurs s'abattit sur ce malheureux pays ! Il faut lire dans le terrible ouvrage de M. Hervé Laurière, «Assassins au nom de Dieu», le détail des monstrueuses tortures que ces «catholiques pratiquants», qu'étaient les Oustachis, infligeaient à leurs malheureuses victimes.
Comme l'écrivait le journaliste anglais J.A. Voigt: «La politique croate consistait en massacres, déportation ou conversion. Le nombre de ceux qui ont été massacrés s'élève à des centaines de milliers. «Les massacres ont été accompagnés par les tortures les plus bestiales. Les Oustachis crevaient les yeux de leurs victimes et les portaient en guirlandes ou dans les sacs pour les envoyer en souvenir.»(86) «En Croatie, ce furent les Jésuites qui implantèrent le cléricalisme politique.»(87)
C'est le cadeau que la célèbre Compagnie offre invariablement aux peuples qui ont le malheur de l'accueillir. Le même auteur ajoute: «Avec la mort du grand tribun croate, Raditch, la Croatie perd son principal opposant au cléricalisme politique qui épousera la mission de l'action catholique définie par Friedrich Muckermann. Ce Jésuite allemand, bien connu avant l'avènement de Hitler, la fit Connaître en 1928 dans un livre dont Mgr Pacelli, à cette époque nonce apostolique à Berlin, avait écrit la préface. Muckermann s'exprimait ainsi: «Le Pape appelle à la nouvelle croisade d'Action catholique. Il est le guide qui porte le drapeau du Royaume du Christ... L'Action catholique signifie le rassemblement du catholicisme mondial. Elle doit vivre son temps héroïque... la nouvelle époque peut être acquise seulement au prix du sang pour le Christ.»(88)
Dix ans après que cela fut écrit, le préfacier du Père jésuite Muckermann montait sur le trône de Saint-Pierre, et durant son pontificat «le sang pour le Christ» ruissela littéralement sur l'Europe, mais nulle part la «nouvelle époque» ne fut marquée de drames plus atroces qu'en Croatie. Là, non seulement des prêtres, du haut de la chaire, prêchaient la tuerie à outrance, mais encore certains marchaient à la tête des égorgeurs. On en vit qui cumulèrent leur ministère sacré avec les fonctions officielles de préfets ou de chefs de police oustachis, voire de chefs de ces camps de concentration qui ne le cédaient en horreur ni à Dachau, ni à Auschwitz. A ce palmarès de sang s'inscrivent les noms de l'abbé Bozidar Bralo, du curé Dragutin Kamber, du Jésuite Lackovic et de l'abbé Yvan Saliteh, secrétaires de Mgr Stepinac, du prêtre Nicolas Bilogrivic, etc.... et d'innombrables franciscains dont le plus tristement fameux fut le Frère Miroslav Filipovitch, grand organisateur de massacres, qui fit fonction à la fois de chef et de bourreau dans le camp de concentration de Jasenovac, le plus affreux de ces enfers terrestres.
Le Frère Filipoviteh eut le même sort que Mgr Tiso en Slovaquie: il fut pendu en soutane à la Libération. Cependant, nombre de ses émules, peu soucieux de gagner la palme du martyre, s'enfuyaient vers l'Autriche, pêle-mêle avec les assassins qu'ils avaient si bien secondés. Mais que faisait donc la «hiérarchie» devant la frénésie sanguinaire de tant de ses subordonnés ? La «hiérarchie», c'est-à-dire l'épiscopat et son chef de file, Mgr Stepinac, votait au Parlement oustachi les décrets de conversion des orthodoxes au catholicisme, envoyait des «missionnaires» chez les paysans terrorisés, convertissait sans sourciller des villages entiers(89), prenait possession des biens de l'Église serbe orthodoxe, enfin encensait et bénissait sans relâche le Poglavnik, suivant en cela le haut exemple de Pie XII.
S.S. Pie XII était d'ailleurs représentée en personne à Zagreb par un moine éminent, le R.P. Marcone. Ce «Sancti Sedis Legatus» assistait, à la place d'honneur, à toutes les cérémonies du régime oustachi et se faisait même benoîtement photographier chez le chef des tueurs - Pavelitch - au milieu de sa famille, qui le recevait en ami. «Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es». Ainsi, la plus franche cordialité ne cessa de régner dans les rapports entre les assassins et les ecclésiastiques - nombre de ces derniers, d'ailleurs, cumulant les deux qualités. Et il va sans dire qu'aucun blâme ne leur fut jamais infligé pour cela. «Qui veut la fin veut les moyens».
Quand Paveliteh et sa colonne de 4.000 Oustachis - dont l'archevêque Saric, Jésuite, l'évêque Garic et 400 religieux - quittèrent le théâtre de leurs exploits pour passer en Autriche, puis en Italie, ils laissèrent derrière eux une partie de leur «trésor»: les films, les photographies, les discours enregistrés de Ante Pavelitch, et des caisses pleines de bijoux, de pièces d'or, de débris d'appareils dentaires en or et en platine, de montres. de bracelets, d'alliances. Ces dépouilles des malheureux assassinés furent cachées au palais archiépiscopal où on les retrouva par la suite. Quant aux fuyards, ils eurent recours à la «Commission pontificale d'Assistance», créée tout exprès pour sauver les criminels de guerre. Cette institution charitable les cacha dans les couvents, principalement en Autriche et en Italie, et les chefs furent munis par ses soins de faux passeports qui leur permirent de passer dans des pays «amis» où ils purent jouir en paix du fruit de leurs rapines. Ainsi en fut-il pour Ante Pavelitch, dont la présence en Argentine a été révélée, en 1957, par un attentat au cours duquel il fut blessé.
Depuis, le régime dictatorial s'est effondré à Buenos-Ayres. Comme l'ex-président Péron lui-même, son protégé dut quitter l'Argentine. Du Paraguay où il était passé d'abord, il gagna l'Espagne, et c'est à l'hôpital allemand de Madrid qu'il est mort, le 28 décembre 1959. La presse française a rappelé à cette occasion sa sanglante carrière et - plus discrètement - les «complicités puissantes» qui lui permirent d'échapper au châtiment. Sous le titre: «Belgrade avait réclamé en vain son extradition», on a pu lire dans le «Monde»: «La brève information publiée ce matin dans la presse a ranimé chez les Yougoslaves les souvenirs d'un passé de souffrances et l'amertume contre ceux qui, en dissimulant Ante Pavelitch pendant près de quinze ans, ont empêché la justice de suivre son cours».(90) «Paris-Presse» désigne le dernier asile offert au terroriste par cette brève, mais significative phrase: «Il échoue dans un couvent franciscain de Madrid».(91) C'est de là, en effet, que Pavelitch fut transporté à l'hôpital où il allait payer sa dette à la nature - et non à la justice, bafouée par ces «complicités puissantes» qu'il est aisé d'identifier.
Mgr Stepinac, qui avait, disait-il, «la conscience tranquille», restait à Zagreb, où il passa en jugement en 1946. Condamné aux travaux forcés, il fut seulement, en fait, assigné à résidence dans son village natal. La pénitence était douce, on le voit, mais l'Église a besoin de martyrs. L'archevêque de Zagreb a donc été placé, de son vivant, dans la sainte cohorte, et Pie XII s'empressa de l'élever à la dignité de cardinal pour «son apostolat qui brille de l'éclat le plus pur».
On connaît le sens symbolique de la pourpre cardinalice: celui qui en est revêtu doit être prêt à confesser sa Foi «usque ad sanguinis effusionem»: jusqu'à l'effusion de sang. On ne peut nier, en effet, que cette effusion n'ait été abondante en Croatie, durant l'apostolat de ce saint homme, mais le sang qui y fut répandu par torrents n'était pas celui du prélat: c'était celui des orthodoxes et des Juifs. Faut-il voir là une «réversibilité des mérites» ? En ce cas, les titres au cardinalat de Mgr Stepinac ne sont pas contestables. Dans le diocèse de Gornji Karlovac, dépendant de son archevêché, sur les 460.000 orthodoxes qui y vivaient, 50000 purent se réfugier dans les montagnes, 50000 furent expédiés en Serbie, 40000 convertis au catholicisme par la terreur et 280 000 massacrés»(92).
Aussi pouvait-on lire, le 19 décembre 1958, dans» La France catholique»: «Pour exalter la grandeur et l'héroïsme de S. Em. le cardinal Stepinac, une grande réunion aura lieu le 21 décembre 1958, à 16 heures, dans la Crypte de Sainte-Odile, 2, avenue Stéphane-Mallarmé, Paris 17e. Elle sera présidée par Son Em. le cardinal Feltin, archevêque de Paris. Le sénateur Ernest Pezet et le Révérend Père Dragoun, recteur national de la Mission Croate en France, prendront la parole. Son Excellence Mgr Rupp célèbrera une messe de communion.» C'est ainsi qu'une nouvelle figure, et non des moindres, celle du cardinal Stepinac, est encore venue enrichir la galerie des Grands Jésuites. Cette réunion du 21 décembre 1958, dans la Crypte de Sainte-Odile, avait pour objet, entre autres, de «lancer» un ouvrage composé à la défense de l'archevêque de Zagreb par le R.P. Dragoun lui-même, et préfacé par Mgr Rupp, coadjuteur du cardinal Feltin. Nous ne pouvons en faire ici la complète analyse, du moins allons-nous en dire quelques mots. Le livre s'intitule: «Le Dossier du cardinal Stepinac», ce qui semble promettre au lecteur une exposition objective du procès de Zagreb. Or, on trouve bien dans ce volume de 285 pages les plaidoiries inextenso des deux avocats de l'archevêque, assorties d'abondants commentaires de l'auteur, mais ni l'acte d'accusation ni le réquisitoire n'y figurent, même en abrégé.
Le R.P. Dragoun semble ignorer le proverbe français: «Qui n'entend qu'une cloche n'entend qu'un son» - à moins qu'il ne le connaisse trop bien, au contraire. Quoi qu'il en soit, cet effacement systématique de la contradiction suffirait, à lui seul, à clore le débat. Voyons pourtant les bonnes raisons invoquées à la décharge de l'archevêque de Zagreb. Mais d'abord, une question se pose: Mgr Stepinac était-il vraiment métropolite de Croatie et de Slavonie ? Ce n'est pas le livre du R.P. Dragoun qui nous éclairera sur ce point. On y lit en effet à la page 142, à propos de la copie d'un rapport de Mgr Stepinac. dont la défense conteste l'authenticité: «Dans le texte de la copie on désigne l'archevêque comme «Metropolita Croatiae et Slavoniae», mais l'archevêque n'est pas un métropolite et il ne s'est nulle part présenté comme tel». Voilà qui serait net, si on ne lisait à la page 114, dans les propres déclarations de Mgr Stepinac devant le tribunal: «Le Saint-Siège a souvent souligné que les petites nations et les minorités nationales ont droit à la liberté. Et moi comme évêque et métropolite, je n'aurais pas eu le droit d'en parler ?» Comprenne qui pourra... N'importe ! à ce qu'on nous assure, Mg Stepinac ne pouvait rien, absolument rien, sur le comportement de ses ouailles et de son clergé. Argue-t-on des articles de la presse catholique, célébrant les hauts faits de Pavelitch et de ses sicaires ? Voici la réponse: «Il est simplement ridicule de déclarer Mgr Stepinac responsable de ce que pouvait écrire un journal» Même quand ce journal était le «Katolicki List», le plus grand organe catholique de Zagreb, diocèse de Mgr Stepinac !
Ne parlons pas non plus, dans ces conditions, de l'«Andjeo Cuvar» (L'Ange gardien), appartenant aux Franciscains, du «Glasnik Su. Ante» (La voix de Saint-Antoine) aux conventuels du «Katolicki Tjednik» (L'hebdomadaire catholique) de Sarajevo, à l'évêque Saritch ni, bien sûr, du «Vjesnik Pocasne Straze Srca Isusova» (Le Journal de la Garde d'honneur du Cœur (le Jésus (!), organe des Jésuites). Sur toute cette presse, (dont il était le président rivalisant de plates adulations à l'adresse de Pavelitch et de son régime de sang. Mgr Stepinac, «métropolite contesté» - on commence à comprendre pourquoi il n'avait aucune influence, nous dit-on. Il n'en avait pas davantage sur les évêques oustachis Surie, Garic, Aksamovic, Simrak, etc, qui encensaient le Poglavnik et applaudissaient à ses crimes. Il n'en avait pas non plus sur les «Croisés» de l'Action catholique, ces auxiliaires des convertisseurs oustachis, ni sur les Franciscains égorgeurs, ni sur les religieuses de Zagreb qui défilaient, la main levée à l'hitlérienne. Étrange «hiérarchie», qui n'avait autorité sur rien ni sur personne !
D'avoir siégé dans le Parlement oustachi, le «Sabor», en compagnie de dix autres prêtres catholiques, ne compromet pas davantage l'archevêque - ou, du moins, il faut le supposer, puisque ce fait est passé sous silence. On ne saurait lui reprocher non plus d'avoir présidé les Conférences épiscopales et même le Comité pour l'application du Décret sur la conversion des orthodoxes. Il va sans dire que, dans cette apologie, le prétexte «humanitaire», pour avoir fait entrer dans l'Église romaine tant de rebaptisés par force, est largement développé - sinon habilement. Nous lisons, à propos de «l'affreux dilemme» devant lequel se trouvait Mgr Stepinac: «Son devoir pastoral était de maintenir intacts les principes canoniques, mais, d'autre part, on massacrait les dissidents qui ne se convertissaient pas au catholicisme. Il atténua alors la rigueur des règles».
Or, deux lignes plus bas, on lit avec un certain effarement: «Cette dramatique alternative, il tenta de la résoudre par la circulaire du 2 mars 1942, dans laquelle il ordonnait aux curés de passer au crible les motifs de conversion». Voilà une singulière façon d'«atténuer la rigueur des règles» et de résoudre la «dramatique alternative». Mgr Stepinac ouvrait-il ou fermait-il les portes de l'Église romaine aux faux convertis ? Il serait bien impossible de le savoir, si l'on s'en tenait à ce plaidoyer. Pourtant, les apologistes de l'archevêque semblent opter pour la fermeture, quand ils déclarent: «... Les cas de rebaptême furent très rares dans le «territoire de l'archidiocèse de Zagreb(92 bis). Malheureusement, les statistiques disent tout autre chose. Nous l'avons signalé plus haut: «... Dans le seul diocèse de Gornji Karlovac, dépendant de l'archevêché de Zagreb, on compta 40.000 rebaptisés». Ces résultats, évidemment, ne pouvaient être obtenus que par des conversions massives de villages entiers, comme Karnensko, dans ce même archidiocèse de Mgr Stepinac, où nous avons vu 400 brebis égarées rentrer le même jour au bercail de l'Église romaine, de façon «spontanée et sans aucune pression des autorités civiles et ecclésiastiques». Mais pourquoi dissimuler ces chiffres ? On devrait s'en faire gloire, plutôt, s'ils étaient vraiment dus aux «sentiments de charité» du clergé catholique croate, et non à l'exploitation cynique de la terreur.
En vérité, il n'est pas seulement transparent, il est bien court aussi le voile qu'on essaie de jeter sur ces hontes. Pour couvrir Stepinac, il faut découvrir les évêques Saric, Garic, Simrak, les prêtres Bilogrivic, Kamber, Bralo et consorts, - il faut découvrir les Franciscains et les Jésuites, et, finalement le Saint-Siège. Laissons à sa «bonne conscience» cet invraisemblable archevêque, ce primat de Croatie censément démuni de toute autorité, qui se disait métropolite sans l'être, à ce qu'on nous assure, et, pour comble de paradoxe, ouvrait les portes en les fermant. Mais à côté de ce fantastique prélat, il y en avait un autre, bien consistant celui-là et même corpulent, le R.P. Marcone, le représentant personnel de Pie XII. Ce «Sancti Sedis legatus» était-il lui aussi dépourvu de toute autorité sur le clergé croate ? Mystère! Car le «dossier» si bien expurgé ne fait pas la moindre mention de ce haut personnage, et l'on pourrait ignorer jusqu'à son existence, si l'on n'était pas mieux informé par ailleurs, notamment par certaines photographies qui le représentent officiant à la cathédrale de Zagreb, trônant au milieu de l'état-major oustachi, et, surtout, déjeunant en famille chez Pavelitch, le catholique «pratiquant» qui organisait les massacres !
Devant un pareil document, on ne s'étonne plus du black-out fait sur la présence de ce représentant du pape: pour parler comme les mystiques, c'est une «ténèbre éclairante». Mais plus éclairantes encore sont ces quelques lignes du «dossier»: «Le procureur lui-même, dans son acte d'accusation, cite le Secrétaire d'État du Saint-Siège, le cardinal Maglione, qui avait encore en 1942 recommandé à l'archevêque Stepinac d'établir avec les autorités oustachistes des rapports plus cordiaux et plus sincères»(92 ter). Que lui fallait-il donc ? Du moins, on ne peut plus ergoter désormais. La collusion entre le Vatican et les Oustachis massacreurs apparaît ici noir sur blanc. C'était le Saint-Siège lui-même qui poussait Mgr Stepinac à collaborer avec eux, et le représentant personnel de Pie XII, en s'attablant familièrement chez Paveliteh, ne faisait qu'appliquer à la lettre la consigne pontificale: sincérité, cordialité dans les rapports avec les bourreaux d'orthodoxes et de juifs. Cela n'a rien qui nous surprenne.
Mais qu'en pensent les RR. PP. jésuites, eux qui s'obstinent à soutenir que l'invariable concours apporté aux dictateurs par les prélats de Sa Sainteté provenait d'une «option» toute personnelle, où le Vatican n'avait aucune part ? Quand le cardinal Maglione envoyait à l'archevêque de Zagreb les recommandations ci-dessus, était-ce son «option personnelle» qu'il exprimait, sous le sceau de la Secrétairerie d'État ?
Nous croyions avoir mis un point final à ce chapitre en rapportant la preuve de la connivence entre le Saint-Siège et les Oustachis fournie par le R-P. Dragoun. Mais voici une confirmation nouvelle des sentiments évangéliques qui fleurissaient et fleurissent encore, chez les fidèles de l'Église catholique croate, à l'égard des Serbes orthodoxes. La Fédération ouvrière croate en France (Section C.F.T.C.) a lancé une invitation à la réunion solennelle organisée, le dimanche 19 avril 1959, au siège de la Confédération Générale des Travailleurs Chrétiens, rue de Montholon à Paris, afin de célébrer le 18e anniversaire de la fondation de l'État croate oustachi. On lit dans cette invitation: «La cérémonie débutera par une sainte messe à l'Église Notre-Dame-de-Lorette...» Mais le lecteur, édifié par ce pieux début, n'en sursaute que mieux quand il découvre un peu plus loin cette exhortation sans ambages: «MORT AUX SERBES... !».(93) Ainsi, dans ce document peu banal, s'épanche le regret de n'avoir pas assez tué de ces «frères en Christ». D'après le livre du R.P. Dragoun, recteur de la Mission croate en France, l'accueil réservé aux réfugiés croates par les catholiques français serait insuffisamment chaleureux. On nous le dit tout net (pp. 59-60) et l'auteur revient encore (pp. 280-281) sur la «douloureuse déception» de ces réfugiés à «ne rencontrer qu'incompréhension de la part de leurs frères dans la foi».
Eu égard au document précité, cette «incompréhension» nous paraît fort compréhensible. Nous ne pouvons que nous féliciter que, malgré les plus hautes invites, nos compatriotes témoignent peu de sympathie à une forme de piété où l'appel au meurtre voisine fraternellement avec la «sainte messe», dans la meilleure tradition romano-oustachie. Et nous serions plus satisfaits encore si l'on ne permettait pas que ces tracts sanguinaires soient imprimés et diffusés en plein Paris. Le 10 février 1960, le trop fameux archevêque de Zagreb. Aloïs Stepinac, est décédé dans son village natal de Karlovice où il était astreint à résider. La mort fournit au Vatican l'occasion d'une de ces manifestations spectaculaires où il excelle. En l'espèce, il y avait fort à faire, car nombreux sont les catholiques qui ne nourrissent aucune illusion sur le «cas» Stepinac. Aussi, le Saint-Siège, n'a-t-il rien négligé pour donner tout l'éclat possible à cette apothéose. L'«Osservatore Romano» en tète, toute la presse catholique a consacré maintes colonnes aux éloges dithyrambiques du «martyr», à son «testament spirituel», au discours de sa Sainteté Jean XXIII, proclamant les «motifs de respect et d'affection surnaturelle» qui l'avaient incité à accorder à ce cardinal qui n'était pas de la Curie, les honneurs d'un service solennel à Saint-Pierre de Rome, où lui-même, le pape, donnait l'absoute. Et pour que rien ne manquât à cette glorification, la presse annonçait l'ouverture prochaine d'un procès - mais canonique celui-là - à l'effet de béatifier cet illustre défunt. A vrai dire, l'hypocrisie du Vatican ne connaît aucune borne.
Convenons qu'il a bien mérité tant de couronnes qu'on lui tresse, et même l'auréole qu'on lui destine, pour avoir si bien observé la «sainte obéissance» en exécutant à la lettre les instructions pressantes du Saint-Siège, quant aux rapports «cordiaux et sincères» qu'on souhaitait lui voir entretenir avec les oustachis. Mais, parmi les catholiques même, il ne manquera pas d'esprits lucides, pensons-nous, pour discerner qu'en exaltant ce futur bienheureux, en ensevelissant sous les fleurs les sanglants souvenirs de son «apostolat», c'est en fait sur son propre crime que le Vatican s'efforce de donner le change.
4. L'ACTION JÉSUITE EN FRANCE AVANT ET PENDANT LA GUERRE 1939-1945 Nous avons vu l'Action catholique, en la personne des Léon Degrelle et consorts, préparer les voies à Hitler dans la Belgique du «Christus Rex». En France, le même travail de sape, entrepris dès la mise en place de Mussolini, allait aboutir en 1940 au même effondrement de la défense nationale. Comme en Belgique, il va de soi que c'étaient les «valeurs spirituelles» que l'on prétendait restaurer pour le plus grand bien du pays. Ainsi naquit la F.N.C., Fédération nationale catholique, placée sous la présidence du général de Castelnau, et qui groupa jusqu'à trois millions d'adhérents. Le choix du chef était habile: le général, grande figure de la guerre, mais âgé alors de 78 ans, couvrait de son prestige personnel - et en toute innocence, d'ailleurs - une intense propagande clérico-fasciste.
Que la F.N.C., comme toute l'Action catholique, du reste, fût essentiellement jésuite, c'est ce qui ne saurait échapper à personne. Mais, de plus, on sait que les bons Pères, dont l'orgueil est le péché mignon, aiment marquer ostensiblement de leur griffe les créations de leur génie. Ils n'y manquèrent pas pour la F.N.C., en consacrant cette armée catholique au Sacré-Cœur de Jésus, culte instauré par leur Compagnie, et dont la basilique s'élève à Montmartre, en ce haut-lieu d'où Ignace de Loyola et ses compagnons partirent pour la conquête du monde.
Certain livre sur la F.N.C., préfacé par le R.P. Janvier, a conservé à la postérité l'acte de consécration lu «au pied de l'autel» par le vieux général. Nous en citerons quelques phrases: «Coeur Sacré de Jésus, «Voici que sont réunis et prosternés devant vous les chefs et représentants des catholiques français, assemblés et organisés en Fédération Nationale Catholique, pour rétablir sur ce pays votre règne... Tous, les présents comme les absents, nous n'avons pas toujours été sans reproche... Nous portons le poids des crimes de la nation française contre Vous... C'est donc en esprit de réparation et d'expiation que nous Vous présentons aujourd'hui nos désirs, nos intentions et nos volontés, notre résolution unanime de ne jamais plus relâcher un effort commun que votre royauté sacrée n'ait été rétablie sur la France entière, les âmes de ses enfants arrachées à un enseignement sacrilège... Nous ne. reculerons plus devant ce combat pour lequel vous avez daigné nous armer. Mais nous voulons que tout soit courbé et dévoué à votre service.... «Coeur Sacré de Jésus, nous vous supplions. par l'entremise de la Vierge Marie, de recevoir l'hommage... etc.».(94)
Quant aux «crimes de la nation française», le même écrivain catholique va nous les préciser: «Erreurs condamnées et directives générales: le socialisme est condamné... le libéralisme est condamné... Léon XIII montrait que la liberté des cultes est injustifiable. Le pape rappelait encore que la liberté de parler et d'écrire ne peut être justement accordée... Il n'est donc aucunement permis d'accorder la liberté de pensée, de la presse, de l'enseignement, des religions comme autant de droits que la nature a conférés à l'homme... «Il faut, dit Pie XI, remettre en vigueur ces enseignements et ces prescriptions de l'Église». Telle est encore, sous le contrôle de la Hiérarchie, organiquement assuré par la décentralisation des Comités diocésains, telle est la fin essentielle de la F.N.C. «Dans l'Action catholique, comme dans la guerre, le mot fameux du général de Castelnau reste vrai: «En avant».(95)
Voilà qui est clair et catégorique. Nous savons désormais à quoi nous en tenir quand nous lisons sous la plume de Pie XI: «L'Action catholique est l'apostolat des fidèles...» (Lettre an cardinal Van Roey, 15 août 1929). Étrange apostolat qui consiste à rejeter toutes les libertés admises dans les pays civilisés, et a protéger, à leur place, l'Évangile totalitaire ! C'est donc là ce «droit des âmes a communiquer à d'autres âmes les trésors de la Rédemption» (Pie XI. «Non abbiamo bisogno») ? En Belgique, Léon Degrelle et ses amis, héros de l'Action catholique, prodiguaient autour d'eux ces «trésors de la Rédemption»... revus et corrigés par le Père jésuite Staempfle, le discret auteur de «Mein Kampf». Il en fut pareillement en France où des apôtres laïcs, «collaborant à l'activité de l'apostolat hiérarchique» (Pie XI «dixit»), s'occupaient à mettre sur pied une autre «collaboration». Lisons ce qu'écrit à ce sujet Franz von Papen, camérier secret du pape et bras droit du Führer: «Une première prise de contact eut lieu en 1927, quand une délégation allemande à laquelle j'avais l'honneur d'appartenir, vint à Paris pour assister à la «Semaine sociale de l'Institut catholique» sous la présidence de Mgr Baudrillart. Prise de contact féconde, puisqu'elle fut le point de départ d'un long échange de visites entre des personnalités de premier plan, françaises comme allemandes. «Du côté français, prirent part à ces conférences les RR. PP. Delattre (Jésuite), de la Brière (Jésuite) et Danset (Jésuite)...».(96)
Plus loin, le bon apôtre ajoute qu'à certains moments «cette conférence de catholiques s'éleva jusqu'aux sphères surhumaines de la grandeur». Cette «grandeur» devait avoir son apogée le 14 juin 1940, jour où le drapeau à croix gammée flotta victorieusement sur Paris. On sait que Goebbels, chef de la Propagande hitlérienne, avait indiqué cette date trois mois à l'avance, le 14 mars, alors que l'offensive allemande ne fut déclenchée que le 10 mai. L'exactitude de cette prévision n'est pas aussi surprenante qu'il semblerait. «Voici le rapport secret de l'agent 654 J. 56, du service secret allemand, qui adressait à Himmler ces révélations - «Paris, 5 juillet 1939: «En France, je peux déclarer que nous avons aujourd'hui la situation en main. Tout est prêt pour le jour J et tous nos agents sont désormais en place. En quelques semaines, tout le système policier et militaire de ce pays s'écroulera comme un château de cartes». «De multiples documents secrets relatent que les traîtres avaient été choisis depuis longtemps. On retrouve là Luchaire, Bucard, Déat, Doriot... et Abel Bonnard (de l'Académie Française )».(97) (Notons que ce dernier s'enfuit en Espagne à la Libération. Rentré en France le 1er juillet 1958 et s'étant constitué prisonnier, il fut immédiatement mis en liberté provisoire par le président de la Haute-Cour de Justice !)
M. André Guerber, dans son ouvrage remarquablement documenté, cite les fiches de paye du S.R. allemand, portant les sommes allouées à ces traîtres. Argent bien gagné, car on sait que leur travail fut efficace. D'ailleurs, l'atmosphère était depuis longtemps créée. On avait vu éclore, pour «régénérer» le pays selon les vœux de l'Action catholique, toute une couvée d'apprentis-dictateurs sur le modèle de Léon Degrelle, les Déat, les Bucard, les Doriot, ce dernier - d'après M. André Guerber - «agent No 56 BK du Service secret allemand». De tous les porteurs de chemises aux couleurs variées, il était, an reste, le candidat le mieux vu de l'archevêché, comme, des milieux bien-pensants... et, bien entendu, de Hitler qui, plus tard, à Sigmaringen, devait lui donner carte blanche.
Doriot, c'était l'astre qui se levait; mais pour l'immédiat, pour ménager la transition après la défaite prévue et voulue, il fallait un autre homme, un chef militaire hautement respecté qui cautionnât l'opération, c'est-à-dire le maquillage du désastre en «redressement national». Dès 1936, on pouvait lire sous la signature du chanoine Coubé: «Le Seigneur peut bien faire germer des sauveurs de la terre qui a produit un Charlemagne et les héros des Croisades... Il y a certainement parmi nous des hommes qu'il a marqués de son signe, qu'il tient en réserve et qu'il révélera quand son heure sera venue. ... Il y a certainement parmi nous des hommes de l'étoffe dont on fait les ouvriers des grandes restaurations nationales. Mais quelles sont les conditions nécessaires pour qu'ils s'acquittent de cette mission ? Il y a les qualités naturelles de l'intelligence et du caractère; mais il y a aussi des qualités surnaturelles non moins indispensables, puisqu'il s'agit d'une œuvre politique qui est avant tout morale et religieuse: c'est-à-dire l'obéissance à Dieu et à sa loi... La race des sauveurs, c'est la race des hommes au grand cœur qui ne travaillent que pour la gloire de Dieu...».(98).
Quand le disciple de Loyola se livrait à ces considérations politico-religieuses, il savait fort bien quel serait ce pieux «sauveur» dont il annonçait la venue. On ne faisait pas mystère de son nom dans les milieux clérico-fascistes, comme le rappelle M. François Ternand: «Une campagne de propagande commence, habile, insistante, en faveur d'une «dictature Pétain»... «Gustave Hervé a fait paraître en 1935 un opuscule que nous allons feuilleter... La brochure s'intitule: C'est Pétain qu'il nous faut... Gustave Hervé introduit son recueil par une préface, dans laquelle il fait l'apologie enthousiaste du «redressement italien» et du «redressement, plus merveilleux encore de l'Allemagne», il exalte les admirables chefs qui en sont les auteurs. Et nous, Français, où en sommes-nous ?... Et pourtant il existe, l'homme autour duquel il suffirait de se grouper... Nous l'avons sous la main, l'homme providentiel... Vous voulez savoir son nom ? Il s'appelle Pétain». «Ainsi, «c'est Pétain qu'il nous faut», car la patrie est en danger». Non seulement la patrie, mais le catholicisme: La civilisation chrétienne est condamnée à mort si un régime dictatorial ne vient pas à temps dans chaque pays»... «Écoutez bien: «en fait, on ne peut, en temps de paix balayer un régime par un coup d'État que s'il veut bien se laisser faire, et s'il n'a aucune force dans l'armée, les administrations, pour le soutenir. Il n'y a qu'en temps de guerre et particulièrement en cas de défaite, qu'on puisse réussir l'opération».(99)
On le voit, la marche à suivre était bien définie dès 1935: pour «rechristianiser» la France, il fallait balayer le régime, et pour cela il n'était rien de tel qu'une défaite militaire qui nous ferait passer sous le joug allemand. C'est ce que confirmait, en 1943, Pierre Laval, comte du pape et président du gouvernement de Vichy: «Je souhaite la victoire de l'Allemagne. Il paraît étrange, n'est-ce pas, d'entendre le vaincu souhaiter la victoire du vainqueur. C'est que nous ne vivons pas une guerre comme les autres. Nous sommes dans une véritable guerre de religion ! Oui, une guerre de religion.»(100) Certes, c'était bien ainsi que l'entendait l'Église, n'en déplaise au trop oublieux Jésuite, le R. P. Fessard, précité, qui ne veut plus savoir ce que clamait à la radio américaine, pour les 20 millions d'auditeurs du «Front Chrétien», son frère en Loyola, le Père Coughlin: «La guerre d'Allemagne est une bataille pour la chrétienté».(101) Mais à la même époque, dans la France occupée, n'entendait-on pas le cardinal Baudrillart, recteur de l'Institut catholique de Paris, faire la même profession de foi ? Écoutons-le: «La guerre de Hitler est une noble entreprise pour la défense de la culture européenne»(102).
Ainsi, de part et d'autre de l'Atlantique, comme dans le reste du monde, d'ailleurs, les voix cléricales se répondaient, entonnant le même hosanna au nazisme vainqueur. En France, donnant l'exemple à tout l'épiscopat, le cardinal Suhard, archevêque de Paris, «collaborait» avec entrain, tout comme le nonce, Mgr Valerio Valeri, Jésuite en service détaché. Au lendemain de la Libération, ils ne furent pas moins de trente évêques et archevêques, particulièrement compromis, dont le gouvernement demanda le rappel au Vatican. Finalement, celui-ci consentit à en rappeler trois. «La France a oublié..., écrit M. Maurice Nadeau. «La Croix», qui fut le plus dangereux organe au service de la collaboration, prend place parmi les journaux de la France libérée; les prélats qui engageaient les jeunes Français à travailler pour la victoire de l'Allemagne, n'ont pas été déférés devant les tribunaux.»(103) On Peut lire également dans «Artaban» du 13 décembre 1957: «En 1944, «La Croix» fut poursuivie pour intelligence avec l'ennemi et déférée devant la cour de Justice de Paris, l'instruction confiée au juge Raoult, qui rendit un non-lieu. L'affaire fut évoquée à la tribune de la Chambre, le 13 mars 1946 (voir «J. 0.» Débats parlementaires, pages 713-714) et on apprit ainsi que M. de Menthon, ministre de la Justice, furieux épurateur de la Presse française, avait fait une pression en faveur de «La Croix».
En effet, l' «organe de la pensée pontificale» - comme le désignait Pie XII en lui envoyant sa bénédiction, en 1942 - fut seul excepté de la mesure générale qui supprimait tous les journaux ayant paru sous l'occupation. Et pourtant, comme le rappelle «Artaban»: «La Croix, recevait les consignes du lieutenant allemand Sahm et à Vichy celles de Pierre Laval».
Autant dire que la «pensée pontificale» et les consignes hitlériennes coïncidaient heureusement. C'est ce que l'on peut vérifier sans peine en feuilletant la collection de guerre de cet estimable journal. On n'ignore pas, d'ailleurs, que l'une des attributions des fils de Loyola, et non la moindre, est de «coiffer» toute la presse catholique. C'est à eux qu'il appartient de nuancer dans différents organes, adaptés aux orientations de la clientèle, cette «pensée pontificale» qui, sous ses aspects volontiers ondoyants, ne laisse pas de tendre implacablement vers ses buts. De fait, quelle que soit sa nuance particulière, il n'est pas de journal ou de périodique «chrétien» qui ne jouisse de la collaboration de quelques jésuites... discrets.
Les Pères tout-à-tous sont évidemment plus propres que personne à jouer les caméléons. Ils n'y manquèrent pas, comme on le sait, dès la Libération, et l'on vit alors surgir un peu partout, non sans quelque surprise, des Pères «résistants» (de fraîche date) pour témoigner que l'Église n'avait jamais, au grand jamais, «collaboré». Oubliés, anéantis, évaporés, les articles de «La Croix» et autres journaux catholiques, les mandements épiscopaux, les lettres pastorales, les communiqués de l'Assemblée des Cardinaux et Archevêques, les exhortations du cardinal Baudrillart appelant les jeunes Français à servir dans la L.V.F. sous l'uniforme des nazis, après avoir prêté serment de fidélité à Hitler ! Fini, effacé, tout cela ! «L'histoire est un roman», a dit certain penseur désabusé. Celle de notre temps ne fera pas mentir cette définition: le roman se fait sous nos yeux. Nombre d'«historiens» y concourent, ecclésiastiques ou laïcs, mais également bien-pensants, et l'on peut tenir pour certain que l'œuvre sera édifiante: un roman catholique, en somme. Au reste, les Jésuites y prennent une large part, en dignes héritiers du Père Loriquet, celui-là même (lui, dans son «Histoire de, France», avait si bien «escamoté» Napoléon.
En comparaison de ce tour de force, il est permis de considérer comme un jeu l'escamotage de la collaboration cléricale avec l'occupant allemand, de 1940 à 1944. Et on le joue allègrement, ce jeu, depuis quelques années. Que d'articles dans les journaux et les revues, que de livres, dûment revêtus de «l'imprimatur», pour chanter le los de ces superpatriotes méconnus: les Suhard, les Baudrillart, les Duthoit, les Auvity, les Du Bois de la Villerabel, les Mayol de Luppé, etc. ! Que de pages noircies pour exalter l'attitude - combien héroïque ! - de l'épiscopat au cours de ces années de guerre, alors que la France connaissait - comme écrit l'un de ces pince-sans-rire - une situation qui amenait les évêques français à se dresser en «défenseurs de la cité» !(104). «Calomniez, calomniez ! Il en restera toujours quelque chose», recommandait Basile, ce type immortel du Jésuite. «Blanchissez, blanchissez !», disent en l'espèce ses successeurs, grands faiseurs de «romans historiques». Et l'on blanchit à longueur de colonnes. C'est ainsi que les générations futures, noyées sous des flots d'hyperboles, dédieront une pensée reconnaissante - on l'espère, du moins - à ces «défenseurs» impavides de la cité, à ces héros de l'Église romaine et de la Patrie, «vêtus de probité candide ou de lin blanc» par les soins de leurs apologistes - et dont quelques-uns, au surplus, auront été canonisés !
Il s'en fallut même de peu que, le 25 août 1944, le chef de file de la collaboration cléricale, le cardinal Suhard, Jésuite en service détaché, archevêque de Paris (depuis le 11 mai 1940 !), ne célébrât imperturbablement à Notre-Dame le «Te Deum» de la victoire ! Seule, l'énergique protestation de l'aumônier général des F.F.I. nous épargna cette farce indécente. On peut lire, en effet, dans «France-Dimanche» du 26 décembre 1948: «Son Em. le cardinal Suhard, archevêque de Paris, vient de recevoir, à l'occasion de ses noces sacerdotales, une lettre autographe de S.S. Pie XII le félicitant, entre autres, de son rôle pendant l'occupation. On sait que le comportement du cardinal au cours de cette période avait donné lieu, après la Libération, à de sévères critiques. Et le général de Gaulle, à son arrivée à Paris, en août 1944, avait refusé de rencontrer» le cardinal Suhard au «Te Deum» célébré à Notre-Dame. Le prélat, à cette époque, était ouvertement accusé de «tendances collaborationnistes». Rien de plus naturel, donc, que les félicitations du Saint-Père. Mais il existe une autre histoire de «Te Deum» encore plus édifiante.
Lors des combats livrés après le débarquement des alliés, la ville de Rennes eut beaucoup à souffrir, et l'on compta de nombreuses victimes parmi les non-combattants, le commandant de la garnison allemande ayant refusé d'évacuer la population civile. Quand la place eut été emportée, on voulut célébrer le «Te Deum» traditionnel, mais l'archevêque et primat de Bretagne, Mgr Roques, refusa tout net, non seulement d'officier lui-même, mais encore de permettre que cette cérémonie se déroulât dans sa cathédrale. Remercier le Ciel d'avoir permis la libération de sa ville, c'était un scandale intolérable aux yeux de ce prélat. Cette attitude lui valut d'ailleurs d'être consigné à l'archevêché par les autorités françaises. Une telle fidélité à la «pensée pontificale» appelait une récompense proportionnée. De fait, celle-ci vint bientôt de Rome sous la forme d'un chapeau de cardinal. On peut reprocher bien des choses à feu Pie XII, mais il faut convenir qu'il a toujours su «reconnaître les siens». Une lettre élogieuse au cardinal Suhard distingué collaborateur, la pourpre pour Mgr Roques, héros de la Résistance... allemande: ainsi ce «grand pape» pratiquait-il exactement la justice distributive.
On sait, d'ailleurs, qu'il était fort bien entouré. Pour le conseiller, il avait deux Jésuites allemands, le R.P. Leiber et le R.P. Hentrich, «ses deux secrétaires particuliers et ses familiers»(105). Pour confesseur, il avait le R.P. Béa, Jésuite allemand. Sœur Pasqualina, religieuse allemande, dirigeait son ménage et surtout faisait sa cuisine. Il n'était pas jusqu'au canari familier, répondant au doux nom de Dumpfaf, qui ne fût importé d'outre-Rhin. Mais le Souverain Pontife ne l'avait-il pas déclaré lui-même à Von Ribbentrop, après l'invasion de la Pologne par Hitler ? «Son cœur», assurait-il, battait et battrait toujours pour l'Allemagne»(106).
5. LA GESTAPO ET LA COMPAGNIE DE JÉSUS Si Pie XI et son continuateur Pie XII ne se départirent jamais de leur bienveillance à toute épreuve pour le Führer qu'ils avaient aidé à élever au pouvoir, il faut reconnaître que celui-ci, de son côté, remplit exactement les conditions du pacte qui le liait au Vatican. Les anticléricaux, qu'il avait expressément promis de «juguler», s'en allèrent rejoindre, dans les camps de concentration, les libéraux et les Israélites. Pour ceux-ci, on sait comment le chef du IIIe Reich avait réglé leur sort: l'extermination totale de la race par le massacre pur et simple, quand on ne jugeait pas plus avantageux, avant de les «liquider», de les faire travailler jusqu'à extinction de leurs forces. En ce cas, la «solution définitive» était seulement différée.
Mais, voyons d'abord comment une personnalité particulièrement «autorisée», c'est-à-dire Franco, chevalier de l'Ordre du Christ, a confirmé en termes exprès la collusion vaticano-nazie. Voici, d'après «Réforme», ce que publiait la presse du dictateur espagnol, le 3 mai 1945, jour de la mort d'Hitler: «Adolf Hitler, fils de l'Église catholique, est mort en défendant la Chrétienté. On comprendra donc que notre plume ne trouve pas de mots pour pleurer sa mort, alors qu'elle en avait tant trouvé pour exalter sa vie. Sur ses restes mortels se dresse sa figure morale victorieuse. Avec la palme du martyre. Dieu remet à Hitler, les lauriers de la Victoire.»(107). Toutefois nous savons que tout cela n'était qu'un coup monté, car Hitler s'étaient enfuit en Amérique du Sud où il vécut jusqu'à sa mort naturelle.
Dans cet éloge funèbre du chef nazi, retentissant comme un défi aux alliés vainqueurs, c'est la voix même du Saint-Siège qui s'exprime sous le couvert de la presse franquiste. Autant dire un communiqué du Vatican, via Madrid. Certes, le héros disparu avait bien mérité de l'Église romaine et on ne nous le cache pas. Il l'a servit avec fidélité: tous ceux que cette Église lui avait désignés comme ses adversaires en surent quelque chose. Du reste, ce bon «fils» n'hésitait pas à reconnaître ce qu'il devait à sa Très Sainte Mère, et tout particulièrement à ceux qui se sont institués ses soldats dans le monde. «J'ai surtout appris de l'Ordre des Jésuites, m'a dit Hitler... Jusqu'à présent, il n'y a jamais rien eu de plus grandiose sur la terre que l'organisation hiérarchique de l'Église catholique. J'ai transporté directement une bonne part de cette organisation dans mon propre parti .... Je vais vous livrer un secret. Je fonde un Ordre... Dans mes «Burgs» de l'Ordre, nous ferons croître une jeunesse devant laquelle le monde tremblera... Hitler s'arrêta et déclara qu'il ne pouvait en dire davantage...»(108)
Un autre hitlérien de haut grade, Walter Schellenberg, ex-chef du contre-espionnage allemand, a complété après la guerre cette confidence du Führer: «L'organisation des SS avait été constituée par Himmler suivant les principes de l'Ordre des Jésuites. Les règlements de service et les Exercices spirituels prescrits par Ignace de Loyola constituaient un modèle que Himmler chercha soigneusement à copier... «Le «Reichsführer SS» - titre de Himmler comme chef suprême des SS - devait correspondre au «Général» de l'Ordre des Jésuites et toute la structure de la direction était calquée sur l'ordre hiérarchique de l'Église catholique. «Un château moyenâgeux, près de Paderborn en Westphalie et appelé «Webelsbourg», fut restauré et aménagé pour servir en quelque sorte de monastère SS».(109)
De leur côté, les meilleures plumes théologiques s'évertuaient à démontrer l'étroite parenté des deux doctrines, la catholique et la nazie. Et il va de soi que, dans cette entreprise, les fils de Loyola étaient au premier rang. Voyons par exemple en quels termes Michaele Schmaus, théologien jésuite, présentait au public une collection d'études sur ce sujet: «Empire et Église» est une série d'écrits qui doit servir à l'édification du IIIe Reich par les forces unies de l'État national-socialiste et du christianisme catholique... Le mouvement national-socialiste est la protestation la plus vigoureuse et la plus massive contre l'esprit des 19, et 20e siècles... Entre la foi catholique et la pensée libérale il n'y a pas de compromis possible... Rien n'est plus contraire au catholicisme qu'une conception de l'être démocratique... Le sens de nouveau éveillé de l'autorité stricte rouvre le chemin d'une nouvelle intelligence de l'autorité ecclésiastique... Sur la doctrine catholique du péché originel se fonde la méfiance envers la liberté... Les Tables de la Loi national-socialiste et celles de l'impératif catholique indiquent la même direction...»(110). Cette direction, c'était celle du «nouveau moyen âge» qu'Hitler promettait à l'Europe. L'identité apparaît complète, d'ailleurs, entre l'anti-libéralisme forcené de ce Jésuite munichois et celui qui s'exprimait, de façon non moins véhémente, dans l'acte de consécration de la F.N.C. au Sacré-Cœur de Jésus, à «Montmartre.» De même, sous l'occupation, le R.P. Merklen écrivait: «La liberté de nos jours, ne semble plus mériter aucune estime»(111).
Des citations de ce genre, on pourrait en donner par milliers. Cette haine de la liberté sous toutes ses formes, n'est-ce pas l'esprit même du magistère romain ? On conçoit donc que la «doctrine» catholique ait pu s'harmoniser sans peine avec la «doctrine» nazie. Celui qui avait si bien démontré cette concordance, «le Jésuite Michaele Schmaus», était, dix ans après la guerre, qualifié par La Croix de «grand théologien de Munich»(112), et l'on ne surprendra personne, sans doute, en disant «qu'il fut élevé par Pie XII «à la dignité de Prince de l'Église.»
Mais que devenait, en l'occurrence, la «terrible «encyclique «Mit brennender Sorge» de Pie XI, qui était censée «condamner» le nazisme ? C'est ce qu'aucun casuiste ne s'est avisé de nous dire... et pour cause ! Le «grand théologien» Michaele Schmaus avait d'ailleurs bien des émules, comme l'écrit un auteur allemand qui voit dans le «Katholisch-Konservatives Erbgut» le livre le plus étrange qui ait jamais paru dans les éditions catholiques de l'Allemagne»: «Cette anthologie qui réunit des textes des principaux théoriciens catholiques de l'Allemagne, de Gôrres à Vogelsang, arrive à nous faire croire que le national-socialisme serait parti purement et simplement des données catholiques»(113) En écrivant cela, l'auteur ne pensait pas si bien dire, sans doute. Un autre, très directement informé puisqu'il fut la cheville ouvrière du pacte entre le Saint-Siège et Berlin, Franz Von Papen, camérier secret et chambellan pontifical, se montrait encore plus explicite: «Le IIIe Reich est la première puissance du monde, non seulement à reconnaître, mais à traduire dans la pratique les hauts principes de la papauté.»(114)
A cela nous nous permettrons d'ajouter: le bilan de cette pratique, ce fut les 25 millions de victimes des camps de concentration - chiffre officiel publié par l'O.N.U. Ici, sans doute est-il nécessaire d'ouvrir une parenthèse à l'usage de certaines âmes candides, celles qui ne peuvent admettre que le massacre organisé fasse partie des «hauts principes» professés par la papauté. Il est vrai que cette candeur est soigneusement entretenue: - Vieilles lunes que tout cela ! Barbarie d'un autre âge ! Ainsi vont prêchant de bons apôtres, grands producteurs d'Épitres aux naïfs. Et de hausser les épaules devant les sectaires «pour qui les feux de la Sainte-Inquisition n'ont pas fini de brûler»(115) Soit ! Écartons les surabondants témoignages de la férocité cléricale aux âges révolus, pour nous en tenir au seul 20e siècle. Ne rappelons même pas les exploits des Stepinac et des Marcone en Croatie, ni des Tiso en Slovaquie, nous bornant à examiner l'orthodoxie de certains «hauts principes» qu'ils mettaient si bien en pratique. Sont-ils vraiment périmés aujourd'hui, ces principes, désavoués par une «doctrine éclairée», rejetés officiellement par le Saint-Office parmi les erreurs d'un ténébreux passé ? Il est aisé de le savoir. Ouvrons, par exemple, la «Grande Apologétique» de l'abbé Jean Vieujan, œuvre qui passerait difficilement pour moyenâgeuse, étant datée de 1937. Qu'y lisons-nous ? «Pour accepter l'Inquisition dans son principe, il suffit d'avoir une mentalité chrétienne et c'est ce qui manque à beaucoup de chrétiens... L'Église n'a pas de ces timidités.»(116) On ne saurait mieux dire. Veut-on une autre référence, non moins orthodoxe et moderne ? Écoutons le R. P. Janvier, fameux conférencier de Notre-Dame: «L'Église a-t-elle au moins le droit, en vertu de son pouvoir indirect sur les choses temporelles, de faire appel aux États catholiques en vue d'obtenir la répression des hérétiques par des peines qui peuvent aller jusqu'à la mort ? Et voici la réponse: «Je le pense, messieurs: jusqu'à la mort !... Je le pense, en m'appuyant d'abord sur la pratique, puis sur l'enseignement de l'Église même, et je suis convaincu qu'aucun catholique ne professera l'idée contraire sans errer gravement»(117).
On ne peut vraiment reprocher à ce théologien de parler par énigmes. Son discours est un modèle de clarté - de concision, aussi. Impossible d'en dire plus en moins de mots. Tout s'y trouve, sur le droit que s'arroge l'Église romaine d'exterminer ceux qui ne pensent pas comme elle: l'«enseignement» qui oblige, la «pratique» qui légitime par tradition, et jusqu'à l' «appel aux États chrétiens», dont la croisade hitlérienne devait nous donner un si parfait exemple. Ce n'est pas non plus des ténèbres du moyen âge que nous parviennent ces paroles, également dénuées de toute ambiguïté: «L'Église peut condamner des hérétiques à la mort, car ils n'ont de droits que par tolérance, et ces droits ne sont qu'apparents.» L'auteur en est le général des Jésuites (de 1906 à 1915) Franz Wernz, et sa double appartenance, congréganiste et allemande, n'est pas sans donner plus de force encore à son affirmation.
Au 20e siècle également, le cardinal Lépicier, notoire prince de l'Église, écrit: «Si quelqu'un fait publiquement profession d'hérésie ou cherche à pervertir les autres, soit par ses paroles, soit par son exemple, non seulement il peut, absolument parlant, être excommunié, mais il peut aussi être justement tué...»(118 bis). S'il n'y a pas là un appel au meurtre caractérisé, nous voulons bien «être changé en moulin à poivre», comme disait feu Courteline. Désire-t-on une caution plus haute, celle du Souverain Pontife ? Nous la trouvons sous la plume d'un pape moderne, à qui les cléricaux intransigeants reprochaient son «libéralisme», le Jésuite Léon XIII: - «Anathème à celui qui dirait: le Saint-Esprit ne veut pas qu'on tue l'hérétique». Quelle autorité pourrait-on invoquer après celle-là, à moins d'en appeler au Saint-Esprit lui-même ?
Ainsi, n'en déplaise aux manieurs de fumigènes, aux endormeurs de consciences inquiètes, les «hauts principes» de la papauté demeurent inchangés et, entre autres, l'extermination pour la Foi reste aussi valable, aussi canonique aujourd'hui que par le passé. Constatation fort «éclairante» - pour employer un mot cher aux mystiques - quand on considère ce qui se passa en Europe de 1939 à 1945. «Hitler, Goebbels et Himmler, ainsi que la majorité des membres de la «vieille garde» du parti, étaient catholiques», écrit M. Frédéric Hoffet. Et il poursuit: «On ne saurait expliquer par le simple hasard le fait que le gouvernement national-socialiste ait été, par la religion de ses chefs, le plus catholique que l'Allemagne ait connu... «Cette parenté entre le national-socialisme et le catholicisme est particulièrement frappante si l'on étudie de près les méthodes de propagande et l'organisation intérieure du parti. Rien de plus instructif à ce sujet que les ouvrages de Joseph Goebbels. On sait que celui-ci a été élevé dans un collège de Jésuites et qu'il fut séminariste avant de se consacrer à la littérature et de se lancer dans la politique... Chaque page, chaque ligne de ses écrits rappelle l'enseignement de ses maîtres. Ainsi l'accent mis sur l'obéissance... Ainsi le mépris de la vérité... «Il y a des mensonges utiles comme le bon pain !» proclame-t-il en vertu d'un relativisme moral puisé dans les écrits d'Ignace de Loyola...»(119) Cependant, ce n'était pas à son chef de la propagande, mais à celui de la Gestapo, qu'Hitler décernait la palme de jésuitisme, quand il confiait à ses familiers: «Je vois en Himmler notre Ignace de Loyola»(120).
Pour parler ainsi, le Führer devait avoir quelques bonnes raisons. Remarquons d'abord que Kurt Heinrich Himmler, Reichsführer des SS, de la Gestapo et des polices allemandes, apparaît comme le plus marqué d'empreinte cléricale, parmi les catholiques qui composaient l'entourage immédiat d'Hitler. Son père avait été directeur d'une école catholique à Munich, puis précepteur du prince Ruprecht de Bavière. Son frère, bénédictin, vivait au couvent de Maria Laach, un des hauts lieux du pangermanisme. Mais, surtout, il avait un oncle, haut placé puisqu'il avait été chanoine à la cour de Bavière, le R.P. Himmler, Jésuite en service détaché. D'autre part, l'auteur allemand Walter Hagen donne cette discrète indication: «Le général des Jésuites, le comte Halke von Ledochowski, se trouva disposé à organiser, sur la base commune de l'anticommunisme, une certaine collaboration entre le Service secret allemand et l'Ordre des Jésuites»(121)
De fait, on peut voir se créer, au sein du Service Central de Sûreté SS, un organisme dont presque tous les postes essentiels étaient tenus par des prêtres catholiques, portant l'uniforme noir des SS. Le Père jésuite Himmler y avait grade d'officier supérieur. Après la capitulation du IIIe Reich, le Père jésuite Himmler fut arrêté et transféré à la prison de Nuremberg. Son audition par le tribunal international n'eût pas manqué d'intérêt, apparemment. Mais la Providence veillait: l'oncle d'Heinrich Himmler ne comparut jamais dans ce prétoire. Un matin, ON LE TROUVA MORT DANS SA CELLULE, et le public ne sut pas à quel mal il avait succombé. Nous ne ferons pas à la mémoire de ce religieux l'injure de supposer qu'il ait mis fin volontairement à ses jours, contre les solennelles prescriptions de l'Église romaine. Il décéda pourtant, aussi brusquement et aussi opportunément que, naguère, un autre Jésuite, le Père Staempfle, auteur méconnu de «Mein Kampf». Il y a de ces coïncidences... Mais revenons à Kurt Heinrich Himmler, chef de la Gestapo, c'est-à-dire tenant entre ses mains l'organisme essentiel du régime. Faut-il penser que son mérite personnel l'avait porté à ce haut grade ? Et qu'Hitler saluait en. lui un génie supérieur, quand il le comparait au créateur de la Compagnie de Jésus ? Ce n'est certes pas ce qui ressort des témoignages portés par ceux qui l'ont connu, et qui ne voyaient en lui qu'un médiocre. Cet astre ne brillait-il pas d'un éclat emprunté ? Était-ce bien Kurt Heinrich Himmler, le chef ostensible, qui régnait effectivement sur la Gestapo et sur les services secrets ? Qui donc envoyait à la mort, par millions, les déportés politiques et les Israélites ? Était-ce le neveu, ce «minus» à plate face de Basile, ou l'oncle, l'ancien chanoine à la cour de Bavière, le familier de von Ledocliowski, le Père jésuite officier supérieur des SS ?
Sans doute, il peut paraître téméraire, et même outrecuidant, d'aventurer ainsi un regard indiscret dans les coulisses de l'Histoire. La pièce se joue sur la scène, aux feux conjugués de la rampe, de la herse et des projecteurs. Telle est la bonne règle du spectacle; et celui qui, fuyant l'illusion scénique, se tord le col pour tâcher de voir derrière les portants, fait aisément figure de fâcheux, sinon de malappris. Cependant, les prestigieux acteurs qui concentrent sur eux les regards du public sont tous sortis de la coulisse. On ne saurait assez s'en souvenir, et d'autant mieux quand ces «monstres sacrés» apparaissent, à l'examen, singulièrement inégaux ait personnage qu'ils sont sensés représenter. Tel fut, à ce qu'il nous semble, le cas d'Himmler. Mais ne peut-on en dire autant de celui dont Kurt Himmler fut apparemment le bras droit, c'est-à-dire d'Hitler lui-même ?
Qui n'a ressenti jadis, à voir le Führer gesticuler sur les écrans, à l'entendre vociférer ses discours hystériques, l'impression d'assister aux ébats d'un «androïde» mal réglé, d'un automate aux ressorts trop tendus ? Il n'était pas jusqu'à ses mouvements les plus simples et les plus calmes, qui n'évoquassent ceux d'un pantin mécanique. Au surplus, ne rappelons que pour mémoire les yeux ternes et globuleux, le nez mou, le faciès boursouflé, dont la fameuse mèche et le bout de moustache en balai-brosse, qui semblait collé sous les narines, ne parvenaient pas à masquer l'indigente vulgarité.
Un vrai chef, cet aboyeur de réunions publiques ? Le «vrai» maître de l'Allemagne, un «authentique» homme d'État, dont l'impérieux génie allait bouleverser le monde ? Ou bien l'«ersatz» de tout cela ? Une baudruche habilement gonflée, un simulacre à l'usage des foules, un «gueuloir» ? Lui-même ne le reconnaissait-il pas, d'ailleurs, quand il disait: «Je ne suis qu'un clairon» ? Et M. François-Poncet, à cette époque ambassadeur de France à Berlin, confirme qu'Hitler travaillait peu, ne lisait guère et laissait à ses collaborateurs «la bride sur le cou». Même impression de vide, d'irréel, si l'on passe aux dauphins du régime. Le premier, Rudolf Hess, qui s'envola un jour de 1941 vers l'Angleterre, devait assister comme un étranger à son propre procès à Nuremberg, et l'on ne sut jamais s'il était un dément total ou seulement un aliéné. Le second, était le grotesque Goering, obèse vaniteux arborant d'étonnants uniformes d'opéra-comique, glouton, grand voleur de tableaux et, au surplus, morphinomane. Les autres notabilités du parti étaient à l'avenant, et ce ne fut pas une mince surprise pour les journalistes, au procès de Nuremberg, d'avoir à constater l'indigence d'esprit et de caractère, l'insignifiance - leurs tares mises à part - de ces héros de l'épopée nazie. Seul tranchait sur cette triste tourbe - par la finesse sinon par la valeur morale - Franz Von Papen, chambellan de Sa Sainteté, «l'homme à tout faire»... qui ne pouvait manquer d'être acquitté.
Mais si le Führer, chef de ces hommes de main, apparaît comme un invraisemblable fantoche, trouve-ton plus de consistance dans celui qui fut son modèle ? Rappelons-nous les exhibitions ridicules de ce «César (le carnaval», roulant ses gros yeux noirs, qu'il voulait fulgurants sous l'étrange toque à aigrette ou à gland de rideau dont il était comiquement coiffé. Et ces photos de propagande, prises par en-dessous, qui faisaient saillir en plein ciel la mâchoire du phénomène, à la façon d'un roc inébranlable - symbole d'une volonté qui ne connaissait pas d'obstacles ! Pauvre volonté, cependant, si nous en croyons les confidences de certains de ses compagnons, qui le représentent, au contraire, comme un perpétuel indécis. De fait, cet «homme formidable», qui allait «tout envahir avec la force d'un élément», selon les termes du cardinal Ratti, futur Pie XI, ne résista guère aux avances du Vatican, en la personne du secrétaire d'État, le cardinal Gasparri, jésuite en service détaché. Quelques conciliabules, et le révolutionnaire passait avec armes et bagages sous le gonfalon du Saint-Père, pour fournir la brillante carrière que l'on sait. Ainsi le comte Carlo Sforza, l'ancien ministre bien connu, a pu écrire: «Un jour, quand le temps aura atténué les rancœurs et les haines il sera peut-être reconnu par tous que l'orgie de brutalité sanguinaire, qui fit de l'Italie une prison durant vingt ans, qui fit de l'histoire une ruine avec la guerre 1940-1945, trouva son origine dans un cas presque unique dans l'histoire: la disproportion émouvante entre la légende créée artificiellement autour d'un nom, et les capacités réelles du pauvre diable de ce nom; heureux homme qui n'avait pas en lui les obstacles de la culture.»(122)
La formule est parfaite et s'applique aussi bien à Hitler qu'à Mussolini: même disproportion entre la légende et les capacités, même absence des «obstacles de la culture» chez ces deux aventuriers médiocres, au passé hasardeux quasiment identique, et dont la fulgurante carrière demeurerait inexplicable, sans leurs qualités de batteurs d'estrade qui les firent pousser aux pleins feux de la rampe. Que leur légende ait été créée artificiellement», la chose est assez évidente, et l'on sait d'ailleurs qu'aujourd'hui l'apparition rétrospective du Führer sur les écrans de l'Allemagne soulève un rire énorme dans la salle. Mais l'infériorité manifeste de ces «hommes providentiels» ne fut-elle pas justement la raison qui les fit choisir pour être élevés au pouvoir ? Le fait est qu'on peut observer le même défaut de valeur personnelle chez tous ceux que la papauté a élus pour être ses champions.
En Italie, en Allemagne, il ne manquait pas de «vrais» hommes d'État, de «vrais» chefs, qui eussent pu prendre la barre et gouverner, sans avoir recours aux excitations d'une «mystique» délirante. Mais ceux-là étaient trop lucides et pas assez ductiles. Le Vatican, et plus spécialement le «pape noir», Von Ledochowski, n'aurait pu les tenir «comme un bâton entre ses mains», selon la formule ignacienne, pour les faire servir, vaille que vaille, à ses desseins jusqu'à la catastrophe. On a vu Mussolini, révolutionnaire, retourné comme un gant par les émissaires du Saint-Siège qui lui promettaient le pouvoir. Hitler, l'inflexible, devait se montrer tout aussi malléable. Le plan Ledochowski prévoyait primitivement la création d'une fédération des nations catholiques de l'Europe centrale et orientale, dans laquelle la Bavière et l'Autriche (gouvernée par Mgr Seipel, Jésuite en service détaché) auraient eu la prééminence. Il fallait donc détacher la Bavière de la République allemande de Weimar - et, comme par hasard, l'agitateur Hitler, d'origine autrichienne, était, à cette époque, séparatiste bavarois.
Mais les chances de réaliser cette fédération et de placer un Habsbourg à sa tête apparurent bientôt fort minces, cependant que le nonce, Mgr Pacelli, passé de Munich à Berlin, prenait de plus en plus conscience de la faiblesse de la République allemande, mollement soutenue par les Alliés. Dès lors, l'espoir naquit, au Vatican, de s'emparer de l'Allemagne tout entière, et le plan fut modifié en conséquence: «Ce qu'on voulait empêcher, c'était l'hégémonie de la Prusse protestante et, puisque l'on comptait sur le Reich pour dominer l'Europe - ce qui faisait écarter le fédéralisme des Allemands - on cherchait à reconstituer un Reich où les catholiques fussent les maîtres.»(123) Il n'en fallut pas plus. Faisant volte-face avec ses légions à chemises brunes, Hitler, la veille séparatiste bavarois devenait en un tournemain l'Apôtre inspiré du Grand Reich.
6. LES CAMPS DE LA MORT ET LA CROISADE ANTISÉMITE A quel point les catholiques étaient les maîtres dans l'Allemagne nazie, on ne tarda pas à s'en apercevoir - et aussi avec quelle rigueur y étaient appliqués certains «hauts principes de la papauté». Les libéraux et les Israélites eurent tout loisir de se convaincre que ces principes, comme le proclament d'ailleurs les voix les plus orthodoxes, ne sont nullement périmés. A Auschwitz, Dachau, Belsen, Büchenwald, et autres camps de la mort, lente ou rapide, fut largement «traduit en pratique» le droit que s'arroge l'Église romaine d'exterminer ceux qui la gênent. On vit s'appliquer assidûment à cette œuvre pie la Gestapo d'Himmler, «notre Ignace de Loyola» - cette organisation toute puissante, à laquelle l'Allemagne tant civile que militaire, dut se soumettre «perinde ac cadaver».
Le Vatican, il va sans dire, entend bien se laver les mains de ces horreurs. Recevant le Docteur Nerin F. Gun, journaliste suisse et ancien déporté, qui s'étonnait que le pape ne fût pas intervenu, au moins par des secours en faveur de tant de malheureux, Sa Sainteté Pie XII avait le front de répondre: «Nous savions que, pour des raisons politiques, de violentes persécutions avaient lieu en Allemagne, mais nous ne fûmes jamais informé sur le caractère inhumain de la répression nazie.»(124) Et cela, alors que le speaker de la Radio vaticane, le R.P. Mistiaen, a déclaré qu'il recevait des «documents écrasants» sur les cruautés des nazis».(125) Sans doute, le Saint-Père n'était-il pas mieux informé sur ce qui se passait dans les camps de concentration oustachis, malgré la présence à Zagreb de son propre légat.
Une fois, cependant, on put voir le Saint-Siège s'intéresser au sort de certains déportés. Il s'agissait de 528 missionnaires protestants, survivants de tous ceux que les Japonais avaient fait prisonniers dans les îles du Pacifique et internés dans des camps de concentration aux Philippines. M. André Ribard, dans son excellent livre, «1960 et le secret du Vatican», révèle ce que fut l'intervention pontificale à l'égard de ces malheureux. «Le texte en figure sous le numéro 1591, daté de Tokio le 6 avril 1943, dans un rapport du Département des Affaires religieuses pour les territoires occupés, dont j'extrais le passage suivant: il exprimait le désir de I 'Église romaine de voir les Japonais poursuivre leur politique et empêcher certains propagateurs religieux de l'erreur, de retrouver une liberté à laquelle ils n'ont aucun titre.»(126)
Du point de vue «chrétien», cette démarche charitable se passe de tout commentaire, mais n'est-elle pas significative du seul point de vue politique ? En Slovaquie - on s'en souvient - Mgr Tiso, le gauleiter jésuite, avait toute licence, lui aussi, de persécuter les «frères séparés», bien que l'Allemagne, dont son État était le satellite, fût en majorité protestante. Cela en dit long sur l'influence de l'Église romaine dans le Reich hitlérien ! Nous avons vu, également, la part prise par les représentants de cette Église en Croatie, dans l'extermination des orthodoxes. Quant à la croisade anti-juive, chef-d'œuvre de la Gestapo, il peut paraître superflu de revenir sur le rôle qu'y joua Rome, après avoir relaté les exploits de Mgr Tiso, le premier fournisseur des chambres à gaz et des fours crématoires d'Auschwitz. Ajoutons pourtant à ce dossier quelques documents caractéristiques.
Voici d'abord une lettre de M. Léon Bérard, ambassadeur du gouvernement de Vichy auprès du Saint-Siège: Monsieur le Maréchal Pétain, «Par votre lettre du 7 août 1941, vous m'avez fait l'honneur de me demander certains renseignements touchant les questions et les difficultés que pouvaient soulever, du point de vue catholique romain, les mesures que votre gouvernement a prises à l'égard des Juifs. J'ai l'honneur de vous adresser une première réponse où je constatais que jamais il ne m'avait été rien dit au Vatican qui supposât, de la part du Saint-Siège, une critique ou une désapprobation des actes législatifs ou réglementaires dont il s'agit...»(127) La revue «L'Arche», rappelant cette lettre dans un article intitulé «Les Silences de Pie XII», fait état d'un rapport postérieur et complémentaire de M. Léon Bérard, adressé à Vichy le 2 septembre 1941: «Y a-t-il contradiction entre le statut des Juifs et la doctrine catholique ? Une seule, et Léon Bérard le signale respectueusement au chef de l'État. Elle tient à ce que la loi du 2 juin 1941 définit le Juif par référence à la notion de race... L'Église (écrit l'ambassadeur de Vichy) n'a jamais professé que les mêmes droits devaient être accordés ou reconnus à tous les citoyens... Comme quelqu'un d'autorisé me l'a dit au Vatican, il ne vous sera intenté nulle querelle pour le Statut des Juifs.»(128) Voilà, «traduite dans la pratique», la terrible encyclique «Mit brennender Sorge» contre le racisme, dont les apologistes se gargarisent à l'envi: Mais il y a mieux, toujours «dans la pratique». On lit plus loin, dans l'ouvrage de M. Léon Poliakov: «La proposition d'une démarche commune, formulée par l'Église protestante de France lors des rafles (la chasse aux Juifs) de l'été 1942, fut repoussée par les dignitaires de l'Église catholique»(129). Bien des Parisiens se souviennent encore de ces rafles, à l'issue desquelles les enfants juifs, arrachés à leurs mères, étaient expédiés par convois spéciaux vers les crématoires d'Auschwitz. Ces déportations d'enfants sont confirmées, entre autres pièces officielles, par une note de service du SS Haupsturmführer Danneker, en date du 21 juillet 1942.
L'affreuse insensibilité de l'Église romaine - et, en premier lieu, de son chef - inspirait, naguère encore, ces lignes vengeresses à la revue «L'Arche» précitée: «Pendant cinq ans le nazisme put commettre l'outrage, la profanation, le blasphème, le crime. Pendant cinq ans il put massacrer six millions de Juifs. Parmi ces six millions, il y avait 1.800.000 enfants. Qui donc, mais qui donc avait dit un jour: Laissez venir à moi les petits enfants? Qui donc ? Laissez-les venir à moi, afin que je les égorge. Au pape militant avait succédé un pape diplomate.»
Du Paris occupé, veut-on passer à Rome, occupée aussi par les Allemands après la défaite italienne ? Voici un message adressé à Von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères nazi: «Ambassade allemande auprès du Saint-Siège Rome, le 28 octobre 1943: «Bien que pressé de toutes parts, le pape ne s'est laissé entraîner à aucune réprobation démonstrative de la déportation des Juifs de Rome. Encore qu'il doive s'attendre à ce que cette attitude lui soit reprochée par nos ennemis et qu'elle soit exploitée par les milieux protestants des pays anglo-saxons dans leur propagande contre le catholicisme, il a également tout fait dans cette question délicate pour ne pas mettre à l'épreuve les relations avec le gouvernement allemand...» Signé: Ernst Von Weiszaeker(130).
C'est de ce baron Von Weiszaeker - poursuivi comme criminel de guerre «pour avoir préparé des listes d'extermination» - que «Le Monde» du 27 juillet 1947, relatant sa carrière, écrivait: «Sentant venir la défaite allemande, il s'était fait nommer au Vatican et en avait profité pour travailler en contact étroit avec la Gestapo.» Quant à ceux de nos lecteurs dont la religion serait encore insuffisamment éclairée, qu'ils veuillent bien prendre connaissance d'une autre pièce officielle allemande, faisant état des dispositions du Vatican - et de la Compagnie des Jésuites - à l'égard des Juifs, dès avant la guerre: «Il n'est pas sans intérêt pour caractériser l'évolution des États-Unis dans le domaine de l'antisémitisme, de savoir que les auditeurs du «prêtre de la radio», le Père (jésuite) Coughlin, bien connu pour son antisémitisme, dépassent 20 millions.»(131)
L'antisémitisme militant des Jésuites aux États-Unis, comme partout ailleurs, ne saurait surprendre de la part de ces ultramontains, puisqu'il est dans le droit fil de la «doctrine». Écoutons à ce sujet M. Daniel Rops, de l'Académie française, auteur spécialisé dans la littérature pieuse et qui ne publie que sous «l'Imprimatur». On lit dans un de ses ouvrages les plus connus, «Jésus en son temps», paru en 1944, sous l'occupation allemande: «Au long des siècles, sur toutes terres où s'est dispersée la race juive, le sang retombe et éternellement, le cri de meurtre poussé au prétoire de Pilate couvre un cri de détresse mille fois répété. Le visage d'Israël persécuté emplit l'Histoire, mais il ne peut faire oublier cet autre visage sali de sang et de crachats, et dont la foule juive, elle, n'a pas eu pitié. Il n'appartenait pas à Israël, sans doute, de ne pas tuer son Dieu après l'avoir méconnu, et, comme le sang appelle mystérieusement le sang, il n'appartient peut-être pas davantage à la charité chrétienne de faire que l'horreur du pogrom ne compense, dans l'équilibre secret des volontés divines, l'insoutenable horreur de la Crucifixion.»(132) Que cela est bien dit ! En somme, de cette prose évangélique il ressort clairement ceci, en langage vulgaire: Si les Juifs passent aujourd'hui par millions dans les chambres à gaz et les fours crématoires d'Auschwitz, de Dachau et d'ailleurs, il n'y a pas lieu de crier au scandale, ils l'ont bien mérité. On ne le leur envoie pas dire. Leur malheur est l'effet des «volontés divines», et «la charité chrétienne» s'égarerait en s'exerçant à leur profit.
L'éminent professeur M. Jules Isaac, président de l'Amitié judéo-chrétienne, citant ce passage, s'écrie: «Phrases redoutables, phrases impies, elles-mêmes d'une insoutenable horreur», que vient aggraver encore une note où il est dit: «Parmi les Juifs actuels..., un certain nombre... essaient de rejeter de leurs épaules le poids de cette lourde responsabilité.... Sentiments honorables, mais on ne va pas en sens inverse de l'Histoire... et le poids terrible dont (la mort de Jésus) pèse sur le front d'Israël n'est pas de ceux qu'il appartient à l'homme de rejeter.»(133)
M. Jules Isaac signale dans une note que les phrases incriminées ont été modifiées par l'éditeur «dans les plus récentes éditions» de ce livre édifiant - c'est-à-dire après la libération. Chaque chose «en son temps les crématoires étaient passés de mode. Ainsi, de l'affirmation doctrinale des hauts principes de la papauté, jusqu'à leur traduction en pratique par Himmler, «notre Ignace de Loyola», la boucle est bien bouclée - et, ajouterons-nous l'antisémitisme quasi démentiel dit Führer y perd beaucoup de son mystère. Mais - pour revenir sur ce sujet - n'est-ce pas la figure de ce déroutant personnage qui se trouve éclairée d'autant ? Que n'a-t-on pas imaginé, avant la guerre, pour tenter d'expliquer l'évidente disproportion entre l'homme et l'ampleur de son rôle ! Il y avait là un trou, un vide logique, parfaitement senti par l'opinion. Pour le combler, des légendes couraient, qui ne furent pas toujours lancées, apparemment, sans un secret dessein de diversion. On évoqua les sciences occultes: des mages orientaux, des astrologues, assurait-on, inspiraient le somnambulique ermite de Berchtesgaden. Et le choix. comme insigne du parti nazi, de la croix gammée, ou svastika, originaire de l'Inde, semblait corroborer la thèse.
M. Maxime Mourin a fait justice de cette dernière assertion: «Adolf Hitler avait fréquenté l'école de Lambach, servi comme enfant de chœur dans l'abbaye du même nom. Il y découvrit la croix gammée, signe héraldique du Père Hagen, administrateur de l'abbaye.»(134) De même n'est-il pas besoin de recourir aux ésotérismes exotiques pour expliquer les «inspirations» du Führer. S'il ne paraît guère douteux que ce «fils de l'Église catholique», comme le désignait Franco, a subi l'impulsion de mystérieux meneurs de jeu, on peut assurer de ceux-ci qu'ils n'avaient rien à démêler avec les magies orientales. Les enfers terrestres qui dévorèrent 25 millions de victimes portent une autre marque, assez reconnaissable: celle de gens qui se sont longuement et minutieusement représenté par la pensée le modèle du genre, comme il leur est prescrit de le faire, dans les «Exercices Spirituels».
7. LES JÉSUITES ET LE COLLEGIUM RUSSICUM Parmi les causes profondes qui déterminèrent le Vatican à faire éclater la première guerre mondiale, en excitant l'empereur d'Autriche François-Joseph à «châtier les Serbes», on a vu que la principale fut de porter un coup décisif à l'Église orthodoxe, cette rivale séculairement détestée. A travers la petite nation serbe, c'était la Russie qu'on visait, la traditionnelle protectrice des orthodoxes balkaniques et orientaux. Ainsi que l'écrit M. Pierre Dominique: «Pour Rome, l'affaire prenait une importance presque religieuse; un succès de la monarchie apostolique sur le tsarisme pouvait être considéré comme «une victoire de Rome sur le schisme d'Orient.»(135) Dès lors, on se souciait fort peu, à la Curie romaine, qu'une telle victoire ne pût être acquise qu'au prix d'un holocauste gigantesque. On en acceptait alertement le risque, ou, pour mieux dire, la certitude, étant donné l'inévitable jeu des alliances. Poussé par son Secrétaire d'État, le Jésuite Merry del Val, Pie X s'en cachait si peu, pour son compte, que le chargé d'affaires de Bavière pouvait écrire à son gouvernement, à la veille du conflit: «Il (le pape) n'a pas grande estime des armées de la Russie et de la France en cas de guerre contre l'Allemagne».(136)
Cet affreux calcul se révéla faux à l'usage. La première guerre mondiale, qui ravagea le nord de la France et fit quelques millions de morts, loin de combler les ambitions de Rome, aboutit au démembrement de l'Autriche-Hongrie, privant ainsi le Vatican de son principal fief en Europe et libérant les Slaves, incorporés à la double monarchie, du joug apostolique de Vienne. La révolution russe, par surcroît, soustrayait à l'influence du Saint-Siège les catholiques romains, pour la plupart d'origine polonaise, qui vivent dans l'ancien empire des tsars. L'échec était complet. Mais l'Église romaine «patiens quia aeterna» allait reprendre sur nouveaux frais sa politique du «Drang nach Osten», la poussée vers l'Orient, qui s'allia toujours si bien avec les ambitions pangermanistes. De là, comme nous l'avons rappelé, la promotion des dictateurs et la deuxième guerre mondiale, avec son cortège d'horreurs, dont le «nettoyage» du Wartheland, en Pologne, et la «catholicisation forcée» de la Croatie ont fourni des exemples particulièrement atroces.
Mais qu'importaient les 25 millions de victimes des camps de concentration, les 32 millions de soldats tués sur les champs de bataille, les 29 millions de blessés et de mutilés, chiffres retentis par l'O.N.U.(137) et qui constituent le bilan de l'immense carnage ! Cette fois, la Curie romaine se crut bien parvenue à ses fins. On pouvait lire alors dans le «Basler Nachrichten», de Bâle: «Une des questions que pose l'action allemande en Russie et qui intéresse au plus haut degré le Vatican, c'est celle de l'évangélisation de la Russie.»(138) Et encore, dans un ouvrage consacré à la glorification de Pie XII: «Le Vatican conclut avec Berlin un accord autorisant les missionnaires catholiques du Russicum à se rendre dans les territoires occupés, et mettant les territoires baltes dans la compétence de la nonciature de Berlin.»(139) La «catholicisation» allait donc enfin se donner libre cours en Russie sous l'égide de la Wehrmacht et des SS, comme elle se poursuivait en Croatie grâce aux bandes de Paveliteh, mais sur une échelle infiniment plus vaste. C'était bien le triomphe pour Rome !
Aussi, qu'elle déconvenue quand l'avance hitlérienne se fut brisée devant Moscou et quand Von Paulus et son armée se trouvèrent encerclés dans Stalingrad ! C'était alors Noël, le Noël de 1942, et il faut relire le Message - ou, pour mieux dire, le vibrant appel aux armes - que le Saint-Père adressait aux nations «chrétiennes»: «L'heure n'est pas aux lamentations, mais aux actes. Saisis de l'enthousiasme des Croisades, que les meilleurs de la Chrétienté s'unissent au cri de: Dieu le veut ! prêts à servir et à se sacrifier comme les Croisés d'autrefois...» «Nous vous exhortons et conjurons de comprendre intimement la gravité terrible des circonstances présentes... Quant à vous, volontaires qui participez à cette sainte Croisade des temps nouveaux, levez l'étendard, déclarez la guerre aux ténèbres d'un monde séparé de Dieu.»(140) Ah, il ne s'agissait guère de «Pax Christi», en ce jour de la Nativité !
Comment reconnaître, dans cette apostrophe guerrière, la «stricte neutralité» que le Vatican se flatte d'observer en matière internationale ? Apostrophe d'autant plus choquante que les Russes étaient bel et bien les alliés de l'Angleterre, de l'Amérique et de la France Libre. Comment ne pas sourire, quand les thuriféraires de Pie XII contestent véhémentement que la guerre d'Hitler fût une vraie «croisade», alors que le mot lui-même figure dans le Message du Saint-Père ? Les «volontaires» que le pape appelait à se lever en masse, c'étaient ceux de la Division Azul, ceux de la L.V.F., dont le cardinal Baudrillart, à Paris, s'instituait le recruteur. «La guerre d'Hitler est une noble entreprise polir «la défense de la culture européenne», s'écriait-il, le .30 juillet 1941.
Remarquons qu'en revanche la défense de cette culture n'intéresse plus du tout le Vatican, lorsqu'il travaille à soulever contre la France les peuples africains. On entend alors Pie XII préciser: «L'Église catholique ne s'identifie aucunement avec la culture occidentale»(141 et 141 bis). Mais on n'en finirait pas de relever les impostures, les grossières contradictions chez ceux qui accusent Satan d'être «le père du mensonge». La défaite essuyée en Russie par les hitlériens, «ces nobles défenseurs de la culture européenne», entraînait, du même coup, celle des Jésuites convertisseurs. Devant pareil désastre on peut se demander ce que faisait alors sainte Thérèse. Pie XI l'avait cependant proclamée «patronne de la malheureuse Russie», et le chanoine Coubé la représentait se dressant «souriante mais terrible comme une armée rangée en bataille, contre le colosse bolcheviste.»(142) La pauvre sacrifiée du Carmel de Lisieux - que l'Église met, si nous osons dire, à toutes les sauces - avait-elle succombé à la nouvelle et gigantesque tâche que lui assignait le Saint-Père ? Ce ne serait pas surprenant.
Mais, à défaut de la petite sainte, il y avait la Reine des Cieux en personne, laquelle s'était engagée sous conditions, dès 1917, à ramener la Moscovie schismatique au bercail de l'Église romaine. Lisons à ce sujet «La Croix»: «On peut justement rappeler ici que la Vierge de Fatima avait elle-même promis cette conversion des Russes, si tous les chrétiens pratiquaient sincèrement et avec joie tous les commandements de la loi évangélique.»(143) Précisons que, selon les Pères jésuites, grands spécialistes en matière miraculeuse, la céleste Médiatrice recommandait comme particulièrement efficace la récitation quotidienne du chapelet. Cette promesse de la Vierge avait même été scellée par certaine «danse du Soleil», prodige renouvelé d'ailleurs en 1951, dans les jardins du Vatican à la seule intention de Sa Sainteté Pie XII.
Cependant, les Russes entrèrent à Berlin, malgré la croisade prêchée par le pape - et, jusqu'ici, les compatriotes de M. Krouchtchev n'ont montré aucun empressement, que l'on sache, à se présenter en chemise et la corde au cou devant les portes de Saint-Pierre. Qu'est-ce à dire ? Les chrétiens n'auraient-ils pas égrené assez de chapelets ? Le Ciel n'aurait-il pas son compte de dizaines ? On serait tenté de croire à cette insuffisance s'il n'y avait certain détail, assez scabreux, dans la merveilleuse histoire de Fatima. En effet, la promesse de la conversion de la Russie, sensément faite en 1917 à la voyante Lucia, ne fut «révélée» par celle-ci, devenue nonne, qu'en 1941, et rendue publique en octobre 1942 par le cardinal Schuster, furieux partisan de l'Axe Rome-Berlin, sur la demande, disons l'ordre, de Pie XII - de ce même Pie XII qui allait lancer, trois mois plus tard, l'appel à la Croisade que l'on sait. Voilà qui est fort «éclairant». Un des apologistes de Fatima reconnaît que, de ce fait, la chose «perd évidemment un peu de sa valeur prophétique...(144). C'est le moins que l'on puisse dire. Et certain chanoine, grand spécialiste du «miracle portugais», nous confie: «Je dois avouer que moi-même, alors, j'éprouvai une réelle répugnance à ajouter à mes premières éditions le texte révélé au public par S. Em. le cardinal Schuster...»(145) Comme on comprend le bon chanoine!
Ainsi, la Sainte Vierge aurait confié, en 1917, à la bergerette Lucia:» Si l'on écoute mes demandes, la Russie se convertira...», tout en lui recommandant de garder pour elle ce «secret». Comment, dans ces conditions, les chrétiens auraient-ils pu connaître ces «demandes», et y satisfaire ? Passons... «Credibile quia ineptum». En somme, il semble que, de 1917 à 1942, la «malheureuse Russie» n'avait pas besoin de prières, et que ce besoin ne se révéla, fort pressant, qu'après l'échec nazi devant Moscou et l'encerclement de Von Paulus dans Stalingrad. Du moins, c'est la conclusion qui s'impose devant cette révélation à retardement. Le merveilleux - nous l'avons déjà dit ailleurs - est un puissant ressort. Encore faut-il le manier avec quelque prudence.
Au lendemain de Montoire, le général des Jésuites Halke Von Ledochowski parlait déjà orgueilleusement du chapitre général que la Compagnie devait tenir à Rome après la capitulation de l'Angleterre, et qui revêtirait une importance et un éclat sans égal dans toute son histoire. Mais le Ciel, nonobstant sainte Thérèse et la Dame de Fatima, en avait décidé autrement. Il y eut le raidissement de la Grande-Bretagne, l'entrée en guerre des États-Unis (malgré les efforts du Père jésuite Coughlin), enfin le débarquement des Alliés en Afrique du Nord et les défaites hitlériennes dans la campagne de Russie. Pour Ledochowski, c'était l'effondrement de son grand rêve. Wehrmacht, SS «nettoyeurs» et Jésuites convertisseurs battaient en retraite d'un même pas. La santé du général ne résista pas à ce désastre. Il en mourut.
Voyons cependant ce qu'est ce «Russicum», que Pie XI et Von Ledochowski ajoutèrent, en 1929, à l'ensemble organique romain, déjà si riche et si varié: «Par la Constitution apostolique «Quam Curam». Pie XI donnait naissance à ce séminaire russe de Rome où seraient formés de jeunes apôtres de toutes nationalités «à condition qu'ils adoptent avant tout le rite byzantin-slave et qu'ils soient fortement décidés à se donner entièrement à l'œuvre du retour de la Russie au bercail du Christ.»(146) C'est vers ce même but que convergent les efforts du Collège pontifical russe, alias «Russicum», de l'Institut pontifical oriental et du Collège romain - tous trois -, d'ailleurs, administrés par la Compagnie de Jésus. Au «collège romain» - 45, Piazza del Gesù - est le noviciat des Jésuites, et, parmi les novices, certains portent le nom de «Russipètes», étant destinés à «petere Russiam», c'est-à-dire à aller en Russie.
L'orthodoxisme, on le voit, n'a qu'à se bien tenir devant tant de vaillants champions acharnés à sa perte. Il est vrai que l'«Homme nouveau», précité, affirme: «Certes, tous ces prêtres sont destinés à se rendre en U.R.S.S. Mais il n'est pas question, pour l'instant, de réaliser ce projet.»(147) Voire ! La presse soviétique appelle ces apôtres - selon ce même journal - «les parachutistes du Vatican». Et ce nom ne leur conviendrait pas trop mal, à en croire le témoignage de certaine personne professionnellement bien informée à ce sujet. Il s'agit en effet ni plus ni moins du Père jésuite Alighiero Tondi, professeur à l'Université pontificale grégorienne, lequel a répudié Ignace de Loyola et les «Exercices spirituels», et renoncé, non sans quelque fracas, à la célèbre Compagnie, à ses pompes et à ses œuvres.
On Peut lire, entre autres déclarations, dans une interview qu'il a accordée à un journal italien «L'activité du Collegium Russicum et des organisations qui y sont liées est multiple. Par exemple, en liaison avec des fascistes italiens et les résidus allemands du nazisme, les Jésuites s'y occupent, sur l'ordre de l'autorité ecclésiastique, d'organiser et de coordonner les différents groupes anti-russes. Le but final est de se préparer à renverser un jour les gouvernements de l'Est. Le financement provient des organisations ecclésiastiques dirigeantes. «Voilà les besognes auxquelles se consacrent les dirigeants du clergé. Ce sont les mêmes qui pour un peu déchireraient de désespoir leur soutane quand on les accuse de faire de la politique et de pousser les évêques et les prêtres de l'Est à conspirer contre leurs gouvernements. «Parlant avec le jésuite Andréi Ouroussof, je lui disais que c'était une honte de soutenir dans «l'Osservatore Romano», organe officiel du Vatican, et dans des publications ecclésiastiques que les espions découverts étaient des «martyrs de la foi». Ouroussof éclata de rire. «Que voudriez vous écrire, vous, mon Père ? me demanda-t-il. Voudriez-vous déclarer que ce sont des espions ou quelque chose de pire ? Aujourd'hui la politique du Vatican a besoin de martyrs. Mais maintenant c'est difficile de trouver des martyrs. Alors, on les fabrique. - Mais, observai-je, c'est un jeu malhonnête. Il secoua la tête ironiquement. - Vous êtes ingénu, mon Père. Avec le travail que vous faites, vous devriez savoir mieux que personne que les dirigeants de l'Église se sont toujours inspirés des mêmes règles. - Et Jésus-Christ demandai-je ? Il rit: «Il ne faut pas penser à Jésus Christ, dit-il. Si nous pensions à lui, il faudrait finir sur la croix. Et aujourd'hui le temps est venu de mettre les autres sur la croix et non pas d'y monter nous-mêmes.»(148) Ainsi que le dit si bien le Jésuite Ouroussof, la politique du Vatican a besoin de martyrs, volontaires ou non. Elle en a» fabriqué» par millions au cours de deux guerres mondiales.
8. LE PAPE JEAN XXIII JETTE LE MASQUE De toutes les fictions solidement accréditées en ce bas monde, l'esprit de paix et de concorde attribué au Saint-Siège est peut-être la plus difficile à déraciner - tant cet esprit semble inhérent à la nature même du Magistère apostolique. En dépit des leçons de l'Histoire, mal connues ou trop vite oubliées, celui qui se dit le vicaire de Dieu apparait encore à beaucoup comme devant nécessairement incarner l'idéal d'amour et de fraternité prêché par l'Évangile. La logique, aussi bien que le sentiment, ne le veut-elle pas ainsi ?
Sans doute, les occasions ne manquent pas de constater qu'il faut beaucoup rabattre, dans la pratique, de ce préjugé favorable - et nous croyons l'avoir suffisamment montré. Mais l'Église est prudente - comme elle le rappelle volontiers - il est rare qu'elle n'enveloppe pas son action réelle des précautions indispensables pour ménager tant bien que mal les apparences. «Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée», dit le proverbe. Mais mieux vaut encore posséder l'une et l'autre - voire l'une par l'autre. C'est là une maxime dont le Vatican - colossalement riche - ne manque pas de s'inspirer. L'âpre politique de domination qu'il poursuit se revêt toujours de prétextes «spirituels» et hautement humanitaires, proclamés «urbi et orbi» par une intense propagande, telle que la permet une ceinture bien dorée - et la «bonne renommée» ainsi préservée maintient l'afflux de l'or vers la dite ceinture.
Le Vatican ne s'écarte guère de cette ligne de conduite, et lors même que sa prise de position dans les affaires internationales se révèle clairement par l'attitude de sa hiérarchie, il ne laisse pas d'entretenir la légende de sa haute impartialité au moyen de ces textes aussi solennels qu'ambigus que sont les encycliques et autres documents pontificaux. De nos jours, l'époque hitlérienne a multiplié les exemples de cette sorte. Du reste, pourrait-il en être autrement d'un Magistère qui se prétend à la fois transcendant et universel ?
Bien rares sont les cas où l'on a vu tomber ce masque. Pour que le monde assiste à ce spectacle peu banal, il ne faut rien de moins qu'une conjoncture où le Saint-Siège estime engagés ses intérêts vitaux. Alors seulement, il renonce à toute équivoque, et jette ouvertement sur un des plateaux de la balance tout le crédit dont il dispose. C'est ce qu'on a pu voir le 7 janvier 1960, à Rome, à propos de la conférence «au sommet» qui devait réunir les chefs de gouvernements de l'Est et de l'Ouest, pour tenter de fixer les conditions d'une coexistence vraiment pacifique entre les tenants de deux idéologies opposées.
A vrai dire, la position du Vatican devant un tel projet n'avait rien de douteux. Aux États-Unis, le cardinal Spellman l'avait suffisamment montré en engageant les catholiques à manifester leur hostilité à M. Krouchtchev, lors du voyage où il était l'hôte du président américain. D'autre part, sans se prononcer nettement, S.S. Jean XXIII avait marqué peu d'enthousiasme pour la «détente» dans son message de Noël. L'«espoir» qu'il exprimait de voir la paix s'instaurer sur la terre, vœu obligé des documents de cette sorte, apparaissait bien pâle, assorti qu'il était de maints appels à la prudence à l'adresse des gouvernants occidentaux. Mais enfin, jusque là, le Saint-Siège sauvait la face.
Que se passa-t-il en moins de deux semaines ? Un autre «espoir» longuement caressé - celui de voir échouer le premier - se révéla-t-il vain ? La décision du président de la République italienne, M. Gronchi, de se rendre à Moscou suffit-elle à faire déborder le vase des amertumes vaticanes ? Quoi qu'il en fût, le 7 janvier l'orage éclatait brusquement - et les foudres ecclésiastiques s'abattaient avec une rare violence sur les hommes d'État, «chrétiens», coupables de vouloir en finir avec la guerre froide. On lit dans «Le Monde» du 8 janvier: «Le jour où le président de la République italienne devait s'envoler pour rendre une visite officielle, minutieusement négociée, aux dirigeants de Moscou, le cardinal Ottaviani, qui avait succédé au cardinal Pizzardo comme secrétaire de la congrégation du Saint-Office, c'est-à-dire comme chef du tribunal suprême de l'Église, a prononcé un discours stupéfiant à la basilique de Sainte-Marie-Majeure à l'occasion d'un office matinal propitiatoire pour «l'Église du Silence. Jamais peut-être un prince de l'Église, placé à la tête d'un des dicastères importants du Vatican, n'avait attaqué avec un tel acharnement les pouvoirs publics soviétiques, ni morigéné autant les pouvoirs publics occidentaux qui traitent avec eux.»
De ce discours furibond, de cette «philippique», «Le Monde» donnait des extraits substantiels qui justifiaient amplement le qualificatif de «stupéfiant» qu'il venait d'employer «Les temps de Tamerlan ont eu leur retour historique», affirmait le cardinal Ottaviani - et les dirigeants russes étaient qualifiés de «nouveaux antéchrists» qui «déportent, emprisonnent, massacrent, font en somme le désert». L'orateur s'indignait que personne ne soit plus «effaré de leur donner la main -», que, «au contraire, on engage une course pour savoir qui arrivera le premier à la leur serrer et à échanger avec eux de doux sourires». Puis il rappelait que Pie XII s'était retiré à Castelgandolfo quand Hitler vint à Rome --- oubliant toutefois d'ajouter que ce même pontife n'en conclut pas moins avec le dit Hitler un Concordat fort avantageux pour l'Église. L'astronautique n'était pas épargnée dans cette violente diatribe: témoin la charge contre «l'homme nouveau... qui croit violer le Ciel par des prouesses spatiales et démontrer ainsi encore une fois que Dieu n'existe pas». Les «politiciens et hommes politiques» occidentaux, qui se montrent, d'après le cardinal, «comme abêtis par la terreur», se voyaient sévèrement morigénés - ainsi que tous les «chrétiens» qui «ne réagissent plus, ne bondissent plus...»
Enfin, venait cette conclusion virulente - et significative: «Pouvons-nous nous considérer comme satisfaits d'une détente quelconque quand, en premier lieu, il n'y a pas de détente dans l'humanité sans le plus élémentaire sens de respect des consciences, de notre foi, du visage du Christ encore une fois couvert de crachats, couronné d'épines et giflé ? Et on peut tendre la main à qui fait cela ?»
Ces accents dramatiques ne sauraient nous faire oublier que le Vatican est fort mal venu à parler de «respect des consciences», lui qui les opprime sans la moindre vergogne, dans les pays où il domine, tels que l'Espagne franquiste où il persécute les protestants. En vérité, il y a une singulière impudence - de la part du secrétaire du Saint-Office, surtout ! - à exiger d'autrui ce «sens élémentaire», alors que I 'Église romaine le répudie absolument. L'encyclique «Quanta cura» et le «Syllabus» sont formels: «Anathème à qui dira: chaque homme est libre d'embrasser ou de professer la religion qu'il aura réputée vraie d'après les lumières de sa raison.» («Syllabus», article XV). «... Un délire: l'opinion que la liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme.» (Encyclique «Quanta cura»).
A en juger par la façon dont il traite les «hérétiques», peut-on s'étonner que le Vatican condamne par principe tout essai d'accommodement des États «chrétiens» avec d'autres États qui professent officiellement l'athéisme ? «Non est pax impilis» - «Pas de paix pour les impies!» Et le Père jésuite Cavalli, après bien d'autres, proclame que cette «intransigeance» est pour l'Église romaine «la plus impérative de ses lois».
En contre-partie à cette explosion de fureur cardinale, citons un autre article du «Monde», paru dans ce même numéro du 9 janvier 1960: «L'humanité approche d'une situation où l'annihilation réciproque devient une possibilité. Il n'est aucun fait dans le monde d'aujourd'hui qui égale celui-ci en importance... Il faut donc accomplir un effort incessant pour une juste paix». Ainsi s'exprimait, hier jeudi, devant le Congrès des États-Unis, le président Eisenhower au moment même où le cardinal Ottaviani à Rome condamnait dans la coexistence un acquiescement au crime de Caïn.» L'opposition ne peut être plus éclatante entre deux modes de pensée: l'humain et le théocratique - ni plus flagrant le danger mortel que fait courir au monde ce foyer de fanatisme aveugle qu'on appelle le Vatican. À son égoïsme «sacré», peu importent les circonstances, la nécessité urgente d'un accord international pour éviter la catastrophe qui menace l'humanité, sous la forme d'une extermination quasi totale.
Le secrétaire du Saint-Office - ce tribunal suprême au passé trop connu - ne saurait tenir compte de ces négligeables contingences. Les Russes vont-ils à la messe ? Tout est là. Et si le président Eisenhower ne le comprend pas, c'est qu'il est «comme abêti par la terreur», selon le bouillant «Porporato».
Par sa frénésie délirante, l'offensive oratoire du cardinal Ottaviani peut prêter à sourire autant qu'à s'indigner. Et beaucoup penseront que ce boutefeu persuadera difficilement les «chrétiens» de se laisser «atomiser» de bonne grâce. Mais qu'on y prenne garde ! Derrière ce porte-parole du Saint-Siège, il y a toute l'organisation pontificale et surtout cette armée secrète des Jésuites qui ne compte pas de simples soldats. Tous les membres de la fameuse Compagnie exercent leur action au sein des sphères dirigeantes, et cette action, sans vains éclats, peut être singulièrement efficace dans l'occurrence - c'est-à-dire très maléfique.
On a laissé entendre de divers côtés que la prise de position brutale du cardinal Ottaviani pourrait ne pas refléter exactement la pensée du Saint-Siège, mais seulement celle du clan dit «intégriste». La presse catholique, en France tout au moins, s'est efforcée d'atténuer la portée de cette philippique - et «La Croix», notamment, n'en a donné qu'un court extrait d'où toute violence est bannie. Prudent opportunisme, mais qui ne peut donner le change.. Il n'est pas imaginable qu'une telle diatribe, d'une importance politique exceptionnelle, ait pu être lancée de la chaire de Sainte-Marie-Majeure par le secrétaire du Saint-Office, sans l'accord préalable du chef même de cette congrégation, de son «préfet» qui est le Souverain Pontife. Or celui-ci n'a pas désavoué son éloquent subordonné, que l'on sache. Le pape Jean XXIII ne pouvait lancer lui-même cette bombe, mais en se faisant suppléer par un des plus hauts dignitaires de la Curie, il a montré qu'il entendait marquer sa connivence -- de façon que nul n'en ignore.
D'ailleurs, par une curieuse «coïncidence», un deuxième engin plus modeste - disons: une bombe de poche ou un pétard - explosait au même moment, sous la forme d'un article de l'«Osservatore Romano» condamnant une fois de plus le socialisme, même non marxiste, comme «opposé à la vérité chrétienne». Toutefois, ceux qui professent cette «erreur» politique ne sont pas excommuniés «ipso facto» comme les communistes. L'espoir leur reste de ne pas aller en Enfer - mais gare au Purgatoire !
En manifestant aussi violemment son opposition à toute tentative de rapprochement entre l'Est et l'Ouest, le Vatican comptait-il obtenir quelque résultat positif ? Espérait-il vraiment intimider les hommes d'État qui poursuivent cette politique de paix ? Ou, du moins, se flattait-il de provoquer chez ses fidèles un mouvement contraire à la détente ?
Si déraisonnable qu'un tel espoir puisse paraître, il n'est pas impossible qu'il ait hanté ces cerveaux cléricaux. Leur optique spéciale doit les porter à de pareilles illusions. Au surplus, ces augures ne peuvent avoir oublié certaine autre illusion dont ils ont longuement bercé ceux qui leur font confiance - non sans l'avoir eux-mêmes partagée apparemment. Nous voulons parler de cette «conversion de la Russie» que la Sainte Vierge en personne aurait annoncée à Fatima - dès 1917 - à la bergère Lucia, entrée depuis en religion, laquelle en a témoigné avec quelque retard, en 1942, dans les «cahiers» qu'elle a rédigés sur la demande de ses supérieurs.
On peut, certes, sourire de cette histoire abracadabrante, mais le fait est que le Vatican - sous le pontificat de Pie XII - l'a propagée dans le monde entier à grand renfort de discours, de prêches, de déclarations solennelles, d'un torrent de livres et de brochures, ainsi que de pérégrinations de la statue de cette nouvelle et très politique Notre-Dame à travers tous les continents - où les animaux eux-mêmes, nous disait-on, venaient lui rendre hommage. Cette propagande tintamarresque est encore bien présente à la mémoire des fidèles - avec des affirmations effarantes telles que celle-ci, parue dans «La Croix» le 1er novembre 1952: «Fatima est devenu un carrefour... C'est là, mieux qu'autour des tapis verts, que peut se jouer le destin des nations.»
Ses thuriféraires ne peuvent plus se réfugier dans «l'équivoque. L'alternative est parfaitement nette: détente ou guerre froide» - - Le Vatican choisit la guerre - et le fait clairement savoir. Ce choix ne devrait étonner personne - si l'expérience du passé, même le plus récent, était de quelque poids - et, en fait, eût-il provoqué de la surprise chez certains, ce serait surtout, croyons-nous, pour avoir été proclamé tout de go, sans les «nuances» coutumières.
On s'explique mieux cette violence, cependant, si l'on songe à l'importance de l'enjeu pour le Magistère romain. Ce serait mal connaître le Vatican que de le supposer capable de renoncer à un espoir aussi vieux que le schisme d'Orient, celui de ramener les orthodoxes sous son obédience à la faveur d'une victoire militaire. Hitler a dû son ascension à cette espérance obstinée - sans que l'échec final de sa Croisade ait pour autant dessillé les yeux de la Curie romaine, quant à la folie d'une telle ambition.
Mais plus pressant encore est le désir de libérer en Pologne, en Hongrie en Tchécoslovaquie, cette fameuse «Église du Silence» qui n'est devenue telle, d'ailleurs, que par le tour - bien inattendu pour le Saint-Siège - que prit la Croisade nazie. «Qui trop embrasse mal étreint»: sage proverbe, dont ne s'inspireront jamais les fanatiques.
Pour reprendre sa marche vers l'Orient, son «Drang nach Osten» clérical et d'abord récupérer ses fiefs perdus, le Vatican compte toujours sur le «bras séculier» germanique, son principal champion européen, auquel il s'agit en premier lieu de redonner force et vigueur. A la tête de l'Allemagne fédérale - tronçon occidental du grand Reich - il avait placé un homme sûr, le chancelier Konrad Adenauer, camérier secret du pape -- et la ligne politique suivie par ce dernier pendant plus de quinze ans porte nettement la marque du Saint-Siège. Avec beaucoup de prudence d'abord, et une affectation opportune d'esprit «libéral», celui que ses compatriotes avaient surnommé «der alte Fuchs» - «le vieux renard» s'est attaché à réaliser le réarmement de son pays. Il va de soi que le réarmement «moral» de la population et de la jeunesse allemande, en particulier, s'imposait dès lors comme le corollaire du premier.
C'est ainsi que dans les ministères et les administrations de la République fédérale on vit entrer et occuper des postes-clés, maints personnages au passé hitlérien notoire - la liste en serait longue - cependant que les grands capitaines d'industrie, tels que Von Krupp et Flick, naguère condamnés comme criminels de guerre, règnent à nouveau sur leurs gigantesques usines, qui leur ont été restituées. Qui veut la fin veut les moyens. Et cette fin est on ne peut plus claire: forger la nouvelle épée de Siegfried, l'arme de la revanche - une revanche qui serait aussi celle du Vatican.
Aussi est-ce avec un parfait synchronisme que le chancelier-camérier, dans une interview accordée à un périodique hollandais, a fait écho à la fulminante diatribe que venait de lancer le cardinal Ottaviani: «... La coexistence pacifique de peuples qui ont une optique si totalement différente est une illusion qui, hélas, trouve encore trop de partisans.»(150) Le «sermon» incendiaire du 7 janvier à Sainte-Marie-Majeure précédait d'ailleurs de peu de jours - comme par hasard - la venue à Rome de M. Konrad Adenauer. Les informations de presse furent unanimes à souligner l'atmosphère de confiance et de sympathie qui marqua l'audience privée accordée par S.S. Jean XXIII au chancelier allemand et à son ministre des Affaires étrangères, M. Von Brentano. On lisait même dans «L'Aurore»: «Cette rencontre a donné lieu à une déclaration assez inattendue du chancelier qui, en réponse à l'adresse pontificale, louant le courage et la foi du chef du gouvernement allemand, a précisé: «Je pense que Dieu a accordé au peuple allemand un rôle particulier en ces temps troubles: celui d'être le gardien de l'Occident contre les puissantes influences de l'Est qui pèsent sur nous.»(151) «Combat» notait avec justesse: On avait déjà entendu cela en d'autres temps, sous une forme plus condensée, il est vrai: «Gott mit uns» - «Dieu avec nous». Et ce journal ajoutait: «L'évocation faite par le Dr Adenauer du rôle attribué au peuple allemand s'inspire d'ailleurs d'une déclaration analogue faite par le précédent pontife. Il est donc permis de penser que si le Dr Adenauer a prononcé cette phrase dans les circonstances actuelles, c'est qu'il pensait que ses interlocuteurs étaient disposés à l'entendre.»(152)
Il faudrait en effet une singulière naïveté et une parfaite ignorance des usages élémentaires de la diplomatie, pour croire que cette déclaration «inattendue» n'était pas inscrite au programme. Gageons qu'elle n'a jeté aucune ombre sur «la conversation prolongée de M. Adenauer avec le cardinal Tardini, secrétaire d'État du Saint-Siège, qui a été son hôte à déjeuner à l'ambassade d'Allemagne».(153)
L'intrusion spectaculaire du Saint-Office dans la politique internationale, par la voix du cardinal Ottaviani avait choqué même les catholiques, accoutumés pourtant de longue date aux empiétements de l'Église romaine dans les affaires de l'État. Rome ne s'y est pas trompée. Mais la perpétuation de la guerre froide est d'un intérêt si vital pour la puissance politique du Vatican, voire pour sa prospérité financière, qu'il n'a pas hésité à renouveler ses manifestations à cet égard, si mal accueillie qu'ait été la première.
Le voyage en France de M. Krouchtchev lui en a fourni l'occasion en mars 1960. Dijon comptait parmi les villes que visiterait le chef du gouvernement soviétique. Comme à tous ses collègues dans le même cas, il appartenait au maire de Dijon d'accueillir en toute courtoisie l'invité de la République française. Or, la capitale de la Bourgogne, avait pour député-maire un ecclésiastique, le chanoine Kir. Selon le droit canonique, le Saint-Siège avait donc expressément autorisé le prêtre à accepter ce double mandat - avec toutes les fonctions et charges qu'il comporte. Néanmoins, le maire-chanoine se vit interdire par son évêque de recevoir M. Krouchtchev. En l'espèce, l'écharpe municipale devait le céder à la soutane. Il en fut ainsi, en effet. Le visiteur fut accueilli par un adjoint en place du député-maire défaillant. Mais la désinvolture avec laquelle la «hiérarchie» avait bafoué l'autorité civile en cette affaire, souleva les commentaires les plus vifs. «Le Monde» du 30 mars 1960 écrivait: «Quelle est la véritable autorité de tutelle du maire de Dijon: l'évêque ou le préfet ? Et au delà de ces représentants d'un pouvoir central: le pape ou le gouvernement français ? Voilà une question qui est sur toutes les lèvres...»
La réponse n'est pas douteuse: théocratie d'abord. Mais dorénavant, pour être reçus par un maire portant soutane, les hôtes de la République française devront-ils se munir d'un billet de confession ? Dans l'article précité, le rédacteur du «Monde» dit encore avec juste raison: «Au delà de cette question intérieure française, l'affaire Kir pose un problème plus large. L'action du Vatican ne concerne pas seulement les rapports entre un maire et son gouvernement. Dans les conditions où elle s'est produite, elle constitue une intervention directe et spectaculaire dans la diplomatie internationale.»
Cela n'est pas douteux - et les réactions que cette affaire a provoquées un peu partout montrent que le sens et la portée en ont été parfaitement saisis par l'opinion mondiale. Aux États-Unis notamment, le public, déjà témoin des manifestations d'hostilité organisées par les cardinaux Spellman et Cushing lors de la visite de M. Krouchtchev, s'interroge sur l'indépendance réelle que pourrait conserver éventuellement à l'égard du Saint-Siège un président d'appartenance catholique. Nombreux sont ceux qui craignent, en ce cas, de voir la politique étrangère du pays s'infléchir dans un sens favorable aux intérêts de l'Église romaine - au détriment de ceux de la nation. Danger qui n'est pas petit, en toutes circonstances, mais surtout dans la conjoncture actuelle. La résistance au mouvement de détente Est-Ouest s'organise donc «à ciel ouvert», si l'on peut dire, depuis la «bombe» lancée par le cardinal Ottaviani.
Engin dérisoire, dira-t-on, auprès de ceux qui menacent d'ensevelir sous les ruines - à plus ou moins courte échéance - les peuples assez fous pour s'obstiner dans l'impasse d'un antagonisme hargneux. Mais on voit que le Vatican, s'il est réduit aux armes «spirituelles», ne laisse pas d'en tirer tout le parti possible. Les Jésuites qui mènent sa diplomatie s'emploient à fond pour écarter le pire «malheur» qui ait jamais plané sur le Saint-Siège: un accord international excluant le recours à la guerre. Que deviendrait en effet le prestige du Vatican, son importance politique et tous les avantages, pécuniaires et autres, qui en découlent, si par le fait d'un tel accord il ne pouvait plus intriguer, trafiquer de son influence, marchander son concours auprès des gouvernants, favoriser les uns, brimer les autres, opposer les nations, susciter les conflits au mieux de ses intérêts propres - si enfin, pour servir ses ambitions démesurées, il ne trouvait plus de soldats ?
Nul ne peut s'y tromper - les Jésuites moins que personne - un désarmement général sonnerait le glas de l'Église romaine en tant que puissance mondiale. Et le Magistère «spirituel» lui-même en serait fortement ébranlé.
Attendons-nous donc à voir les fils de Loyola opposer tout l'arsenal de leurs roueries à la volonté de paix des peuples et des gouvernements. Pour ruiner l'édifice dont on essaie de poser les assises, ils n'épargneront pas les mines et les contre-mines. C'est une guerre sans merci, une guerre sainte, dont la folle diatribe du cardinal Ottaviani a donné le signal. Et nous la verrons poursuivie par la Compagnie de Jésus avec l'obstination aveugle de l'insecte - «ad majorem papae gloriam» - sans nul souci des catastrophes. Périsse le monde plutôt que la suprématie du Pontife romain !
Nous avons récapitulé dans cet ouvrage les principales manifestations de l'activité multiforme déployée par la Compagnie de Jésus, au cours de quatre siècles, et l'on a pu constater que le caractère militant, et même militaire de la fameuse institution ultramontaine justifie amplement la qualification qu'on lui a souvent attribuée d'armée secrète de la papauté.
A la pointe de l'action, pour la plus grande gloire de Dieu - et surtout du Saint-Siège - telle est la consigne que ces soldats ecclésiastiques se sont donnée à eux-mêmes, et dont ils se font gloire - alors même qu'ils s'efforcent, par le livre et la presse pieuse, dont ils se sont assuré le contrôle, de travestir, autant qu'il est en leur pouvoir, en entreprises d'«apostolat», l'action qu'ils exercent dans leur domaine préféré, c'est-à-dire la politique des nations.
Toutes les habiletés d'un savant camouflage, les protestations d'innocence, les ironies quant aux «menées ténébreuses» que leur attribuerait gratuitement à les entendre - l'imagination déréglée de leurs ennemis - que pèse tout cela devant l'hostilité unanime de l'opinion à leur égard, en tous temps, en tous lieux devant l'inévitable réaction contre leurs intrigues qui les firent chasser de partout, y compris des pays les plus fermement catholiques ?
Argument invincible, en effet, que ces cinquante-six expulsions, pour ne citer que les principales ! Il suffirait à lui seul à prouver la nocivité foncière de cet Ordre. La raison en est simple, d'ailleurs: comment pourrait-il ne pas être nocif aux sociétés civiles, puisqu'il constitue le plus efficace instrument que possède la papauté pour imposer sa loi aux gouvernements temporels, et que cette loi - par nature - n'a que faire des divers intérêts nationaux ? Le Saint-Siège, essentiellement opportuniste, peut bien les épouser à l'occasion, ces intérêts, quand ils coïncident avec les siens - on l'a bien vu en 1914 et en 1939 - mais, s'il leur apporte alors un substantiel concours, le résultat final n'en est pas pour autant bénéfique. Et cela aussi, on a pu le voir en 1918 et en 1945.
Redoutable à ses ennemis, c'est-à-dire à ceux qui lui résistent, le Vatican, cet amphibie clérico-politique, est plus fatal encore à ses amis. En usant de quelque vigilance, encore peut-on se prémunir contre ses coups fourrés, mais par contre ses embrassements sont mortels. Sur ce sujet, M. T. Jung écrivait en 1874 ces lignes qui n'ont pas vieilli: «La puissance de la France est en raison inverse de l'intensité de son obéissance à la Curie romaine.»(1) Témoin plus récent: M. Joseph Hours. Étudiant les effets de notre «désobéissance», toute relative du reste, il écrit: «N'en doutons point, à travers tout le continent (et peut-être aujourd'hui sur tout le globe), dans la mesure où le catholicisme est accessible à la tentation de se laisser devenir politique, il est tenté aussi de devenir anti-français.»(2)
Notation fort juste, encore que le terme «tenté» apparaisse un peu faible. On n'en conclura pas pour autant qu'«obéir» serait plus profitable. Ne vaut-il pas mieux, en effet, s'exposer à cette hostilité que d'être obligé de constater, comme le colonel Beek, ancien ministre des Affaires étrangères de la très catholique Pologne(2 bis): «Le Vatican est un des principaux responsables de la tragédie de mon pays. J'ai réalisé trop tard que nous avions poursuivi notre politique étrangère aux seules fins de l'Église catholique.»
Peu encourageant, au surplus, fut le sort du très apostolique empire des Habsbourg, et quant à l'Allemagne, si chère au cœur des papes, et particulièrement de Pie XII, elle n'eut guère à se louer, finalement, des coûteuses faveurs que lui prodiguèrent Leurs Saintetés. Au reste, on peut se demander si l'Église romaine a recueilli quelque profit de cette folle prétention à gouverner le monde, que les Jésuites ont entretenue plus que tous autres dans son sein. Y a-t-il eu gain pour elle, ou perte, au cours des quatre siècles où ces boutefeux ont soufflé la discorde et la haine en Europe, y ont semé le carnage et les ruines, depuis la guerre de Trente ans jusqu'à la Croisade hitlérienne ?
En fait, la réponse est aisée: le plus clair résultat, le plus incontestable, c'est un amoindrissement continu de «l'héritage de Saint-Pierre» - triste bilan pour tant de crimes !
L'influence des Jésuites a-t-elle eu de meilleurs résultats au sein même du Magistère ? C'est fort douteux. Ainsi que l'écrit un auteur catholique: «Ils visent toujours à concentrer le pouvoir ecclésiastique dont ils commandent les ressorts. L'infaillibilité du pape exaspère évêques et gouvernements: ils la réclament quand même au concile de Trente, et l'obtiennent au concile du Vatican (1870)... Le prestige de la Compagnie fascine dans l'Église autant ses adversaires que ses amis. On la respecte ou du moins on la craint, on pense qu'elle peut tout, et l'on se conduit en conséquence.»(3)
Un autre écrivain catholique a fortement marqué les effets de cette concentration du pouvoir dans les mains du Pontife: «La Société de Jésus s'est méfiée de la vie, source d'hérésie, et lui a opposé l'autorité. On dirait que le concile de Trente est déjà le testament du catholicisme. C'est le dernier concile véritable. Après il n'y aura plus que le concile du Vatican qui consacre l'abdication des conciles. On voit bien ce que gagnent les papes à la fin des conciles. Quelle simplification - quel appauvrissement aussi ! La Chrétienté romaine prend son caractère de monarchie absolue, fondée maintenant et à jamais sur l'infaillibilité papale. L'épure est belle mais la vie en fait les frais. Tout vient de Rome et Rome ne peut plus s'appuyer que sur Rome.»(4) Et plus loin, l'auteur résume ainsi ce qu'on doit porter à l'actif de la célèbre Compagnie: «Elle a peut-être retardé la mort de l'Église, mais par une sorte de pacte avec la mort.»(5)
C'est en effet une véritable sclérose, pour ne pas dire une nécrose, qui gagne le corps de l'Église sous cette emprise loyolesque. Gardiens vigilants du dogme, dont ils accentuent encore le caractère suranné par leur «mariologie» et leur «cordicolisme» aberrants, les Jésuites, maîtres de l'Université Pontificale grégorienne, fondée d'ailleurs par Ignace de Loyola, contrôlent l'enseignement des séminaires, supervisent les Missions, règnent au Saint-Office, animent l'Action catholique, dirigent la presse pieuse en tous pays, patronnent avec dilection les grands centres de pèlerinages: Lourdes, Lisieux, Fatima, etc. En bref, ils sont partout, et l'on peut regarder comme significatif que le pape, pour servir sa messe, soit nécessairement assisté d'un Jésuite, de même qu'il a toujours un Jésuite pour confesseur.
En assurant une concentration toujours plus parfaite du pouvoir entre les mains du Souverain Pontife, la Compagnie travaille donc en fait pour elle-même, et le pape, bénéficiaire apparent de la chose, pourrait reprendre à son compte le mot fameux: «Je suis leur chef, donc je les suis.» Il devient de plus en plus vain, en conséquence, de voir aussi les ouvrages qui viennent de paraître en langue allemande: - Hans Küng - Unfehlbar ? (le pape est-il infaillible ?) (Benziger Verbag - 1970) - Karlheinz Deschner - Warum ich aus der Kirche ausgetretenbin (Kindler - 1970).
Vouloir distinguer, si peu que ce soit, l'action du Saint-Siège de celle de la Compagnie. Mais celle-ci, charpente osseuse de l'Église, tend à l'ossifier tout entière. Les évêques, depuis longtemps, ne sont plus que des fonctionnaires, les dociles exécuteurs des consignes venues de Rome, ou, pour mieux dire, du «Gésù». Sans doute, les disciples de Loyola s'efforcent-ils de masquer aux yeux des fidèles la rigueur d'un système de plus en plus totalitaire. La presse catholique, entièrement sous leur contrôle, affecte une certaine diversité d'inspiration, propre à donner à ses lecteurs l'illusion de quelque indépendance, d'une ouverture à des idées «nouvelles»: les Pères Tout-à-Tous pratiquent volontiers ces tours de gobelets qui ne trompent que les badauds. Mais, derrière ces amusettes, veille le Jésuite sempiternel, celui - dont un auteur précité a écrit: «Il a l'intransigeance innée. Capable de biaiser «par finesse, il n'excelle qu'à s'entêter.»(6)
De cet entêtement, et aussi de ces biais insidieux, on trouve d'excellents exemples dans le patient travail des membres de la Compagnie pour concilier, vaille que vaille, l'esprit «moderne» et scientifique, auquel ils se piquent d'être attentifs, avec les exigences de la «doctrine» en général et, plus particulièrement, avec ces formes de dévotion passablement idolâtriques - comme la «mariologie» et la thaumaturgie - dont ils demeurent les plus zélés propagateurs. Dire que ces efforts sont couronnés d'un plein succès serait exagéré: à vouloir marier l'eau et le feu, on obtient surtout de la vapeur. Mais l'inconsistance même de ces nuées n'est pas pour déplaire à des esprits subtils, d'ailleurs fort avertis des dangers que court une piété sincère par trop de précision dans la pensée. «Vade retro, Satanas» !
A cet égard, la métaphysique allemande est d'un précieux secours: on en tire tout ce qu'on veut, et aussi le contraire. Il n'est pas d'enfantine superstition qui, traitée selon le mode pédantesque, n'en acquière quelque apparence de sérieux, voire de profondeur. Le jeu est amusant à suivre dans les revues, les bulletins de certains cercles culturels. Il y a là une manne pour l'amateur, surtout pour celui qui, par une inclination un peu aberrante peut-être, se plaît à lire entre les lignes. Cependant, les hommes, pétris de limon, ne vivant pas uniquement dans la sphère spéculative, les bons Pères n'ont pas manqué de donner à leur apostolat parmi les «intellectuels» une solide base temporelle. Aux dons de l'Esprit qu'ils prodiguent à leurs disciples, il était bon que se joignissent des avantages substantiels. La tradition est ancienne, d'ailleurs. Au temps de Charlemagne, les Saxons convertis recevaient une chemise blanche. Aujourd'hui, le bienfait de la Foi trouvée ou retrouvée se traduit par d'autres douceurs, spécialement dans le monde universitaire et le monde savant l'étudiant «faiblard» passe ses examens sans peine le professeur obtient la chaire de son choix; le médecin «croyant», outre une riche clientèle, y gagne des tours de faveur pour son entrée dans quelque haut cénacle, etc... Ces recrues de choix, par un mécanisme naturel, en amèneront d'autres, et, comme l'union fait la force, leur action conjuguée s'exercera fort efficacement dans ce que l'on est convenu d'appeler les sphères dirigeantes. C'est ce qui se voit en Espagne, à ce qu'on dit, et même ailleurs. M. Henri Fesquet, dans «Le Monde» du 7 mai 1956, a consacré un important article à l'«Opus Dei» espagnole. Définissant l'action de cette pieuse organisation occulte, il écrit: «Ses membres... se donnent pour but d'aider les intellectuels à atteindre un état religieux de perfection à travers l'expérience de leur profession, et à sanctifier le travail professionnel.»
L'antienne n'est pas neuve, et M. Fesquet le sait bien, lui qui dit un peu plus loin: «Ils sont accusés - et le fait ne semble pas niable - de vouloir occuper les postes-clés du pays, de chercher à noyauter l'Université, l'administration, le gouvernement, de s'efforcer d'en interdire l'accès ou même d'en chasser les incroyants et les libéraux.» L'«Opus» aurait pénétré «clandestinement» en France en novembre 1954, en la personne de deux prêtres et de cinq laïcs, médecins ou étudiants en médecine. C'est fort possible, mais nous doutons que ce renfort venu de «tras los montes» fût bien nécessaire à la poursuite d'un travail de noyautage qui sévit depuis longtemps en France, principalement dans les milieux médicaux et universitaires, comme l'ont révélé certains scandales dans les examens et les concours.
En tout cas, la branche française de cette Œuvre, qui se dit: «de Dieu», ne semble pas tellement clandestine si l'on en juge par ce qu'en écrivit François Mauriac: «... J'ai reçu une confidence étrange, si étrange que si elle n'était signée d'un écrivain catholique de mes amis en qui j'ai confiance, je croirais à une farce. Il avait proposé un article à une revue qui l'accepta avec joie, mais ne lui en accusa pas réception. Des mois passent, mon ami s'inquiète, s'informe, et reçoit enfin du directeur de la revue cette réponse: Sans doute savez-vous que depuis quelques mois l'«Opus Dei» a un droit de regard sur nos sommaires. Or l'«Opus Dei» refusait absolument que ce texte parût.» Cet ami me pose la question: «Qu'est-ce que l' «Opus Dei ?» Et moi je la pose ouvertement et ingénument...»(7) Cette question - dont M. François Mauriac nous laisse entendre qu'elle est moins «ingénue» qu'il ne dit - l'éminent académicien aurait pu la poser dans des milieux qu'il connaissait bien: écrivains, éditeurs, libraires, hommes de science, conférenciers, gens de théâtre, cinéastes - à moins qu'il n'eût préféré se renseigner tout simplement dans les salles de rédaction.
Quant à l'opposition que l'«Opus Dei» rencontrerait chez certains Jésuites, on ne peut y voir qu'une rivalité de boutiques. La Compagnie - nous l'avons dit et tout le démontre - est «moderniste» aussi aisément qu'«intégriste» selon les opportunités, entendant bien avoir un pied dans chaque camp. Du reste, c'est le même journal «Le Monde» qui, par la plume de M. Jean Créach, nous invitait ironiquement à admirer un «Autodafé des Jésuites espagnols», heureusement limité aux œuvres de la littérature française. Certes, il n'apparaît nullement comme un «moderniste», ce censeur jésuite dont M. Jean Créach écrit: «Si le Père Garmendia avait le pouvoir du cardinal Tavera, celui dont le Greco a ressuscité le regard comme la foudre dans un masque verdâtre au-dessus de la pourpre, l'Espagne ne connaîtrait de notre littérature que des auteurs châtrés... et si possible décapités.»
Puis, après d'amusants exemples du zèle purificateur déployé par le Révérend Père, l'auteur rapporte cette réflexion pertinente: «Les cervelles formées par nos Jésuites, nous soufflait une méchante langue, sont-elles si faibles qu'elles ne puissent affronter le moindre danger pour en triompher elles-mêmes ? Mais dites-moi, cher ami, si elles n'en sont pas capables, que vaut l'enseignement qui les fait si molles ?»(8)
A ce critique facétieux on petit répondre que la dite mollesse, dans les cervelles pétries par les Jésuites, fait justement la plus claire valeur de leur enseignement - comme aussi son danger. C'est toujours là qu'il faut en revenir. Par vocation spéciale - et nonobstant quelques exceptions honorables, voire fameuses - ils sont les ennemis jurés de la liberté de l'esprit: décervelés décerveleurs. C'est à la fois leur force, leur faiblesse et leur nocivité. M. André Mater a fort bien marqué le totalitarisme absolu de leur Ordre, en écrivant: «Par la discipline qui le soude en esprit à tous ses confrères, chacun deux agit et pense avec la force de trente mille autres. C'est le fanatisme jésuitique.»(9)
Plus redoutable de nos jours qu'il ne le fut jamais, ce fanatisme jésuitique, régnant en maître sur l'Église romaine l'a engagée profondément dans les compétitions de la politique mondiale, où se complaît l'esprit militant et militaire qui distingue la Compagnie. C'est par les soins de celle-ci que la Croix papale, alliée à la croix gammée, a livré un assaut mortel au libéralisme exécré, et tenté de réaliser ce «nouveau moyen âge» qu'Hitler promettait à l'Europe.(10) Malgré les plans mirobolants de Von Ledochowski, malgré Himmler, «notre Ignace de Loyola», malgré les camps de la mort lente, malgré le pourrissement des esprits par l'Action catholique, et la propagande effrénée - des Jésuites aux États-Unis, l'«homme providentiel» échoua dans son entreprise, et l'«héritage de Saint-Pierre», bien loin de s'arrondir vers l'Est, n'en fut que plus largement amputé. Du moins il demeure un fait indéniable: c'est que le gouvernement national-socialiste, «le plus catholique que l'Allemagne ait connu»(10) en fut aussi, et de beaucoup, le plus abjectement cruel - sans excepter de la comparaison les époques de barbarie. Constatation pénible, certes, pour bien des croyants, mais qu'ils seraient sages de méditer. Dans les «burgs» de l'Ordre, où le dressage était calqué sur la méthode jésuitique, le maître - au moins apparent - du IIIe Reich - éleva cette «élite SS» devant laquelle, selon son vœu, le monde a «tremblé» - mais a aussi vomi de dégoût. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. «Il y a des disciplines trop dures pour l'âme humaine et qui brisent définitivement une conscience... Crime d'aliénation de soi-même masqué d'héroïsme... Aucun commandement ne peut-être bon, si, d'abord, il vicie la nature d'une âme. Quand on a engagé son être sans limite dans une société, comment attacherait-on une grande importance à d'autres êtres.»(11)
Les «autres êtres» ne comptaient guère, en effet, pour les chefs nazis, dont on peut dire, autant que des Jésuites: «Ils ont fait de l'obéissance une idole.»(12) Au reste, c'était cette obéissance absolue qu'invoquaient les accusés de Nuremberg, comme excuse à leurs horribles crimes. Enfin, empruntons encore au même auteur, qui a si bien analysé le fanatisme jésuitique, ce jugement définitif: «On reproche à la Compagnie son habileté, on lui reproche sa politique, sa ruse, on lui prête tous les calculs, toutes les arrière-pensées, tous les coups fourrés, on lui reproche jusqu'à l'intelligence de ses membres. Et pourtant, il n'est pas un pays peut-être où la Société n'ait eu les pires mécomptes, où elle n'ait fait scandale, et attiré sur elle la foudre. «Si leur machiavélisme avait la profondeur qu'on lui prête généralement, ces hommes graves et réfléchis se jetteraient-ils, à chaque instant, dans des abîmes que la sagesse humaine peut tout de même prévoir, dans des catastrophes auxquelles ils devaient bien s'attendre, puisque l'Ordre en a connu de pareilles, dans tous les États policés ? «L'explication est simple: un génie puissant gouverne la Société, un génie si puissant qu'il la pousse, parfois, contre des écueils, comme si elle pouvait les briser quand même, «ad majorem Dei gloriam». «Ce génie, ce n'est pas celui du général, ni de ses conseils, ce n'est pas celui des provinciaux ni des bonnes têtes de chaque maison...» «C'est le génie vivant de ce grand corps, c'est la force fatale, qui résulte de ce rassemblement de consciences immolées, d'intelligences liées, c'est la force explosive, c'est la fureur dominatrice de l'Ordre, résultant de sa nature même. Dans une grande accumulation de nuages, la «foudre est en puissance, et il faut bien que l'orage «éclate.»(13)
De 1939 à 1945, l'orage a fait 57 millions de morts, ravageant et ruinant l'Europe. Prenons garde qu'une autre catastrophe, pire encore, ne couve au sein de ces mêmes nuées, que la foudre ne tombe une nouvelle fois, jetant le monde à ces «abîmes que la sagesse humaine peut tout de même prévoir», mais dont nulle puissance ne pourrait désormais le tirer, s'il avait le malheur de s'y laisser précipiter. Malgré ce qu'affectent de dire les porte-parole de Rome, ce n'est pas un «anticléricalisme désuet» qui nous a incité à étudier soigneusement la politique vaticane, c'est-à-dire jésuite, et à en dénoncer les mobiles et les moyens, mais bien la nécessité qui s'impose d'éclairer le public sur la sournoise activité de fanatiques qui ne reculent devant rien - le passé l'a trop souvent prouvé - pour atteindre leurs buts.
On a vu au XVIII' siècle les monarchies européennes s'unir pour exiger la suppression de cet Ordre néfaste. De nos jours, il peut nouer à loisir, ses intrigues sans que les gouvernements démocratiques paraissent s'en soucier. Le danger que la Compagnie fait courir au monde est cependant infiniment plus grand aujourd'hui qu'au temps du «pacte de famille», plus grand encore que lors des deux guerres mondiales.
Nul ne peut se faire d'illusions sur les conséquences mortelles que pourrait avoir un nouveau conflit. Surtout considérant toutes les nouvelles technologies qui peuvent être utilisées pour la destruction de la race humaine.
FIN
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En dépit de la virulence de cette thèse, il est facile de se rendre compte, en parcourant la Bibliographie qui suit, que les textes cités dans cet ouvrage sont extraits, pour la majeure partie, de publications non suspectes d'hostilité à l'égard du Saint-Siège.
NOTE. - Un SUPPLÉMENT à l'ouvrage rédigé par Edmond Paris est envoyé GRATUITEMENT sur demande (accompagnée d'une enveloppe timbrée) par la Librairie FISCHBACHER, 33, rue de Seine, Paris 6e.
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. NOTE : Les titres marqués * sont référés également dans les notes de l'ouvrage.
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Tous ces livres (et environ 2.000 volumes) sont à la disposition des historiens et des chercheurs à la «Fondation Edmond Paris», Foyer Philosophique, 16, rue Cadet, Paris 9'.
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