BIEN

La définition du bien a été de tous temps le tourment des moralistes.Tous reconnaissent que le désir du bien est comme inné à l'homme,mais qu'il y a loin du désir à la capacité, et que la capacité dubien est encore réduite en l'homme par l'ignorance où il se trouve dece qu'est en réalité le bien auquel il aspire. Dire avec les anciensque le souverain bien résulte de l'obéissance à la raison (Aristote),qu'il est dans le bien-être (Épicure) ou au contraire dans la vertustoïque exprimée par la forte maxime: «abstine et sustine» (Stoïciens), n'apporte pas une solution au problème. Et quand lesmodernes définissent le bien «ce qui est juste», ou «la fin danslaquelle les êtres cherchent la plénitude de leur existence», ou «ledevoir», quand ils le donnent comme le but «de l'effort de toutes nosfacultés réunies pour se conformer à l'ordre universel», quand ils ledéfinissent tout simplement--fort justement d'ailleurs--«ce qui doitêtre», ils se perdent en solutions contradictoires et raisonnent dansle vide, comme ferait un mathématicien qui parlerait de mesures sansen posséder l'étalon, ou bien de chiffres sans en connaître l'unité.Ce qui leur manque pour établir ce qu'est le bien pour l'homme, c'estprécisément de savoir quelle est l'origine de l'homme, sa nature, sespossibilités, son rôle dans l'univers. Le levier de leur penséemanque de point d'appui. Platon et l'École d'Alexandrie avaientidentifié, par une intuition très sûre, le bien avec Dieu lui-même.Mais le Dieu de Platon n'est que le terme de sa dialectique, leprincipe éternel de l'être et de la pensée (Rabier), il ne peutservir de modèle à la personne humaine. Avec la Bible, nous sortons des sables mouvants de la spéculationpour atteindre le rocher ferme de la révélation. Le bien est lagrande préoccupation de la Bible. On l'y trouve mentionné dès sespremières pages et constamment opposé à son contraire: le mal (voirce mot). La Bible ne donne nulle part de définition théorique dubien; mais elle le caractérise pratiquement et le fixe, en lerapportant au Dieu personnel, vivant et saint. La création, oeuvredirecte de Dieu, est bonne (Ge 1:10,31). La créature faite àl'image de Dieu doit, pour pouvoir réaliser sa destinée, aller del'innocence à la sainteté. Elle ne le peut que si elle rencontre surson chemin une chose qui ne soit pas bonne en elle-même et dont laprésence l'oblige à se déterminer librement pour Dieu. D'où l'arbrede la connaissance du bien et du mal en Éden et l'ordre divin: «Tun'en mangeras, pas le fruit.» Dès l'origine, le bien se présente donccomme une obéissance de l'homme à Dieu, une conformité volontaire del'action de la créature au plan du Créateur (Ge 3). Après laChute, qui est donnée dans la Bible comme un assujettissement de lacréature au Tentateur (que Jésus désignera plus tard comme l'Ennemiou le Malin), le Décalogue présente le bien sous la forme d'un retourà la volonté de Dieu. Il n'est pas dit en effet: fais ceci parce quec'est bien, mais: ne fais pas cela parce que moi, Jéhovah tonDieu, je ne le veux pas (Ex 20,De 5). L'Israélite a déjà parlà le pressentiment que Dieu et le bien sont identiques, et Michéerappelle les conditions du bien dans cette formule qui n'a jamais étédépassée: «O homme, on t'a fait connaître ce qui est bien: que tupratiques la justice, que tu aimes la miséricorde et que tu marcheshumblement avec ton Dieu» (Mic 6:8). Le bien (=l'obéissance àJéhovah) est lié par De 30:15 au bonheur et à la vie; le mal(=la désobéissance) au malheur et à la mort (cf.Deut.28). De ces textescapitaux ressort la vérité de la parole du Psalmiste: «M'approcher deDieu, c'est mon bien» (Ps 73:28). Malheureusement l'homme,dévoyé dès ses origines, ne peut de lui-même renouer la communionperdue, suivre la voie du bien qui assure la vie et le bonheur(Jer 13:23, cf. Ps 51:7-12). Aussi, dès le temps d'Esaïeles prophètes tournent-ils les regards du peuple élu vers la venue duMessie, dont l'oeuvre aura pour conséquence le salut d'Israël et lerétablissement du bien dans la création (Esa 5:5 et suivant2:2-4,Mic 4:1-3, etc.). Le bien sera personnifié dans lapersonne d'Emmanuel: «Dieu avec nous» (Esa 7:14, cf. Mt1:23,Esa 8:8). Le N.T. confirme et continue l'enseignement de l'A.T. sur lebien. «Dieu seul est bon», dit Jésus (Mr 10:18,Mt 19:17,Lu18:19), mais il dit aussi: «Qui m'a vu a vu le Père» (Jn 14:9).L'A.T. nous avait montré le bien dans l'activité générale, lajustice, la bonté et l'amour de Jéhovah: le N.T. nous le manifesteréalisé, vivant et agissant parmi les hommes. La personne de Jésuss'avère la personne parfaite, la personne dont la présence bénit laterre, dont l'exemple oriente les hommes et dont l'oeuvre rend à lacréature rachetée la force morale, le bonheur et la vie qu'elle avaitperdus (Jn 15:11, etc., 3:15, 36 6:40, etc., Mt 11:28,Jn15:5, etc.). Dans les paroles de Jésus: «Venez à moi...» et «Horsde moi vous ne pouvez rien faire», s'affirme la vanité de tout espoirde fonder le règne du bien sur la terre par des théories, par deslois humaines. La raison est une lumière froide; elle n'anime pas cequ'elle éclaire. Quand on dit que la conscience enseigne le devoir,on oublie que la conscience s'en tient à l'impératif: «tu dois», maisqu'elle a besoin d'être éclairée pour connaître la nature du devoir,le caractère du véritable bien. Aussi voit-on tous les jours des gensdont la conscience parle sans lumière commettre en toute consciencedes erreurs et des fautes, parfois même des actes monstrueux. En voustuant, disait Jésus à ses disciples, les Juifs croiront «rendre unculte à Dieu» (Jn 16:2, cf. Ro 7:15 10:2). En outre,connaître le devoir, envisager le bien ne suffit pas, il fautposséder en soi l'énergie de faire passer la théorie dans lapratique. Un poteau indicateur montre le bon chemin mais ne donne pasla force de le suivre. L'histoire humaine est là pour confirmerl'aveu d'Ovide: «Video meliora proboque, détériora sequor ». (cf.Ro 7:15 et suivant) C'est parce que Jésus seul a donné tout à lafois: le précepte, l'exemple et la force d'imiter, le Saint-Esprit,que seul il a accompli ici-bas l'oeuvre où toutes les religions ettoutes les philosophies ont échoué: constituer sur la terre un milieusocial qui, dans ses membres fidèles, réalise les éléments dejustice, de bonté, d'amour, de liberté morale et de force spirituellequi sont proprement les caractères du royaume du bien (=le royaumede Dieu ou de Christ). Ainsi la Bible et l'expérience humaines'accordent pour proclamer que le bien c'est Dieu; que l'incarnationdu bien sur la terre c'est Jésus-Christ, et que l'homme de bien ausens intégral du mot, c'est l'imitateur du Christ. Cela dit, qu'on nous permette ici quelques observationscomplémentaires: 1. Il est courant dans les milieux non chrétiens dedéclarer que «l'idée chrétienne du bien est le renversement de lanature» (cf. A. Darlu dans les Questions morales, Alcan 1907). Cepréjugé sans cesse renaissant vient de ce que la pensée occidentale,dominée par la philosophie grecque, attribue à la Bible un dualismemétaphysique qui lui est totalement étranger. Dans l'enseignement desprophètes d'Israël, de Jésus, de saint Paul, le corps n'est nullementopposé à l'âme ni la matière à l'esprit (voir Chair). Dieu n'a passeulement collaboré à la création, comme dans le platonisme, il l'afaite; d'où l'unité et la bonté de la nature en elle-même, la natureà l'état primitif et normal. Aussi, quand l'enseignement bibliqueplace le bien de l'homme dans une loi spirituelle, il n'entendnullement que l'homme, pour cela, doit se détourner de la nature etmépriser les biens que la vie présente nous offre par la bonté deDieu.. «Loin d'enseigner un ascétisme arbitraire (Col 2:20 etsuivant), l'Écriture sainte nous invite à rapporter toutes choses à lagloire de Dieu, même le manger et le boire (1Co 10:31), et àconsidérer toutes choses comme à nous, pourvu que, vivant nous-mêmesdans la communion de Jésus-Christ, nous les fassions servir àl'affermissement et à l'extension du royaume de Dieu (1.Cor.3:21-23). Dans le bien, tel que Dieu le veut et tel qu'il nous lerévèle par l'Évangile, on trouve réuni et confondu ce qu'il y a deplus moral dans les préceptes les plus élevés du stoïcisme et cequ'il y a de plus religieux dans les principes les plus purs dumysticisme.» (Jean Monod.) La doctrine du bien dans la théologie dePaul est essentiellement une doctrine de liberté (1Co 6:12,Ro8:21), et Paul en cela ne fait que suivre son Maître qui avait dit:«Si le Fils vous affranchit, vous serez réellement libres»; «lavérité vous affranchira». De la nature? non, mais du péché, ce quiest tout autre chose (Jn 8:36,32). Jésus n'a pas renversé lanature, il l'a au contraire redressée, accomplie dans sa personnedivine. Précisément parce qu'il venait de Dieu, le Fils de l'homme,type humain exempt des mutilations du péché, aurait seul pus'appliquer au sens absolu le vers de Térence: «Je suis homme et riende ce qui est humain ne m'est étranger.» 2. La façon dont les deux Testaments proclament quetoute la création était bonne en sortant des mains du Créateur (Ge1:31,1Ti 4:4) nous apprend que le mal, intervenant au sein del'univers dans des circonstances qui nous sont inconnues parcequ'antérieures à notre économie, est un accident temporaire, unecontingence dont nous avons le devoir d'attendre avec confiance ladisparition définitive (Esa 35:10 42:4 5:1-11,Mt 6:13,Jas 4:7,Lu10:18,1Co 15:26,Ap 12:9). Rien n'est plus contraire à l'enseignementde la Bible ni plus funeste en soi que de tenir le mal pour conditiondu bien. Le mal est le contraire du bien comme les ténèbres sont lecontraire de la lumière (Jn 3:19,Eph 5:8,1Jn 1:5). Les hommesont préféré les ténèbres à la lumière (Jn 1:4-11,3:19); mais lavictoire limitée des ténèbres n'est jamais que momentanée, parce quecelles-ci n'ont point en elles, comme la lumière, d'énergie vivante.Ainsi en est-il des rapports du bien et du mal. Le mal est unepuissance de dissolution qui fait mourir; par là il s'épuise lui-mêmedans son action. Ce que nous appelons couramment la mort n'est pas unanéantissement, mais une transformation de la vie, qui a le derniermot en tout. Quant à la mort réelle, où s'accomplira finalementl'oeuvre dissolvante du mal, elle a pour dernière conséquencel'inertie, laquelle n'est qu'une forme du néant. 3. Des deux observations précédentes en découle unetroisième, à savoir que la notion biblique du bien a pour caractèrede tenir celui qui la possède à l'abri du pessimisme, dont lesravages se font sentir dès le premier contact de l'adolescence avecla vie et qui n'est lui-même qu'un abaissement de la vitalitéhumaine; tandis que les jeunes qui grandissent dans le désarroi de lamorale et de la métaphysique font à la vie un accueil réservé quileur ménage une vieillesse précoce, le chrétien va à la vie avecconfiance; les épreuves qu'il y affronte ne brisent pas sonenthousiasme, il est optimiste, non pas de l'optimisme de Candide,dont Voltaire a fait le procès, ni par une sorte d'euphorie quitiendrait à la fois de la légèreté et de la disposition de certainstempéraments à s'accommoder de tout, mais d'un optimisme fondé à lafois sur l'espérance que «toutes choses concourent au bien de ceuxqui aiment Dieu» (Ro 8:28) et sur la certitude que le Dieu de laBible, créateur et rédempteur du monde, peut tirer le bien dumal (Ge 50:20) et qu'il poursuivra ici-bas victorieusement sesdesseins malgré tous les obstacles, jusqu'au moment où il sera «touten tous» (1Co 15:28). Cette certitude, qui donna son thème à laprédication des prophètes d'Israël, inspire à l'Apocalypse son chantde triomphe. Jésus la résume dans cette image: «Je voyais Satantomber du ciel comme un éclair» (Lu 10:18). La chute de Satan,c'est la défaite du mal, son définitif anéantissement. D'où ilressort que le règne du bien, à l'établissement duquel sont appeléestoutes les bonnes volontés, ne va pas sans les conditions du bien;l'optimisme chrétien, qui nourrit l'espérance en même temps qu'il estun réconfort souverain pour l'âme qui souffre et qui lutte, est avanttout un stimulant vers la sainteté personnelle, une invitationimpérative à l'imitation du Christ: «Quiconque a cette espérance enLui, se purifie comme Lui-même est pur» (1Jn 3:3, cf. 1Co11:1). Alex. W.