BIBLE (les traductions françaises de la)

La France est un pays qui a manifesté de tout temps un grand intérêtpour la Bible, et où l'on s'est constamment efforcé de la rendreaccessible au peuple en la lui présentant dans sa langue. Dès le IIIe siècle, il y eut des versions gauloises de la Bible. On latraduisit plus tard dans les divers dialectes nationaux, à mesurequ'ils se formèrent: français, provençal, lorrain, etc. On possède unassez grand nombre de traductions, du XII e au xv e siècle. Aucunen'est la reproduction intégrale et exclusive du texte original. Cesont des Bibles 1 historiées» et «glosées»; elles donnent (d'après laVulgate) les récits historiques des livres saints, en laissant decôté les parties didactiques ou poétiques (dont quelques-unes,notamment les Psaumes, sont souvent éditées à part), et elles yajoutent toutes sortes d'explications, de commentaires ou decompléments divers. Elles les incorporent purement et simplement dansle texte, ou bien elles les en distinguent en les faisant précéder dumot «glose». Le chef-d'oeuvre du genre est l' Historia scholastica de Pierre Comestor (vers 1180): l'auteur introduit dansles saints livres tout le savoir du temps. Citons encore la «Bible del'Université de Paris» (1226 à 1250), la Bible de Guiart des Moulins(1289), la Bible (complète) de Jean de Rely, confesseur de CharlesVIII, publiée sur l'ordre du roi, vers 1496. Le N.T. des moinesJulien Macho et Pierre Farget, édité à Lyon par Barthélémy Buyer,vers 1477, est, de toutes ces oeuvres bibliques, celle qui serapproche le plus d'une traduction proprement dite, bien qu'ilrenferme encore de courtes gloses. La première traduction véritable de la Bible en français, rendantexactement le texte tout entier et le donnant lui seul, fut celle dusavant humaniste Lefèvre d'Étaples. Ce fut sur le désir de Louise deSavoie, mère de François I er, et de Marguerite de Navarre, soeur duroi, qu'il entreprit son oeuvre. Comme tous ses prédécesseurs, iltravailla sur le texte latin de la Vulgate. Le N.T. parut à Paris, en1523, et fut accueilli avec une grande faveur. Mais il se heurta àl'opposition de la Sorbonne. Depuis le XIII e siècle, l'Église voyaitavec une défiance croissante les versions françaises des saintslivres, à cause du grand usage qu'avaient fait les hérétiques de laBible en langue vulgaire (les Albigeois ou Cathares, notamment,avaient largement répandu la Bible provençale, et de même lesVaudois). Ce ne fut qu'à grand'peine et grâce à la protection du roi,que Lefèvre put échapper aux sanctions judiciaires. Encore jugea-t-ilprudent de s'enfuir à Metz. Son N.T. fut sévèrement condamné, et, àpartir de 1524, nul, en France, n'osa plus l'imprimer. Il fut édité àl'étranger, principalement à Anvers. C'est là aussi que parut saBible complète, en 1528. Elle fut rééditée plusieurs fois (1530,1534, 1541). Entre temps la première traduction de la Bible en français,d'après les textes originaux, avait été publiée à Neuchâtel parRobert Olivetan (en 1535).L'initiative de cette oeuvre revient auSynode des Églises vaudoises. Dans sa session du 12 septembre 1532, àChanforans, il avait résolu de faire les frais d'une Bible enfrançais. Restait à trouver le traducteur. Après de vives instances,Farel et Viret réussirent à décider un disciple de Lefèvre d'Étaples,Louis Olivier, dit Pierre-Robert Olivetan, cousin de Calvin, àentreprendre cette tâche. Il ne mit guère qu'une année à s'enacquitter (de la fin de 1533 ou du début de 1534 au commencement de1535). Quoiqu'on travaillât alors, dans tous les domaines, avec plusd'intensité que de nos jours (l'impression ne prit que quatre mois),ce délai paraît bien court pour une telle oeuvre, d'autant plus quela traduction est accompagnée de nombreuses notes, en particulier devariantes tirées des LXX, et de parallèles. On a supposé, ce qui esttrès vraisemblable, que l'auteur s'était occupé depuis longtemps dela traduction de l'A.T. C'est pour cela que ses amis l'avaient sifort pressé d'accepter une tâche déjà préparée et qu'il ne luirestait guère qu'à mettre au point. Au jugement d'un homme aussi autorisé qu'Edouard Reuss, laversion de l'A.T. constituait un chef-d'oeuvre pour l'époque. Le N.T.ne paraît être qu'une révision assez légère de celui de Lefèvre, dontil reproduit littéralement des paragraphes entiers. La Bible d'Olivetan devait régner pendant plus de trois sièclessur les Églises protestantes de langue française. Non sans subir, ilest vrai, de nombreuses révisions. Elle fut corrigée partiellementpar l'auteur lui-même, avant sa mort (survenue en 1538). Peu après sesuccédèrent des éditions plus ou moins retouchées (1540, 1545, 1551).Mentionnons en particulier celles de 1554 et de 1560, auxquellestravailla Calvin. Plus importante encore fut la révision de 1588, lapremière de celles qui devaient se présenter sous l'égide des«pasteurs et professeurs de l'Église de Genève». Aussi considérable qu'ait été tout ce travail, il ne constituaitpas une véritable refonte de l'oeuvre d'Olivetan. Les correctionsétaient inégales, peu systématiques et pas toujours heureuses, mêmeau point de vue du style. Par exemple, Ge 1:6-8: étendue substitué à «firmament»; Ge 1:11: que la terre pousse son jet,à savoir herbe..., au lieu de: «que la terre produise verdure,herbe...»; Ge 2:6: ni aucune vapeur ne montait de la terre,qui arrosât (on ajoutait gratuitement au texte une négation), aulieu de: «mais une vapeur montait de la terre et arrosait»; Mt5:7: bienheureux sont les miséricordieux, car miséricorde leursera faite, au lieu de «car ils obtiendront - miséricorde». (Nouscroyons inutile, ici et dans la suite, de garder l'orthographe del'époque). Défaut plus grave, beaucoup de corrections révèlentl'influence de la polémique contre le catholicisme; elles forcent letexte et parfois même en altèrent le sens, Elles soulevèrent dans lecamp adverse de véhémentes protestations. Citons seulement celles deVéron, dans l'appendice de son N.T. de 1647 (p. 60ss). Le fougueuxcuré de Charenton aurait bien dû plutôt méditer la parabole de lapaille et de la poutre, car nul traducteur, on le verra plus loin, nes'est montré moins impartial que lui. Mais il faut reconnaître qu'ily a du vrai--à côté de maintes erreurs--dans ses observations. AinsiNe 8:8, Olivetan traduit (d'ailleurs fort mal) «lurent...aulivre de la Loi...et donnaient l'intelligence: et entendirent à lalecture»; 1588: «...l'intelligence, la faisant entendre parl'Écriture même» (Écriture est introduit dans le texte pourfavoriser le dogme de l'autorité de la Bible); Ga 2:16,Olivetan: «sinon par la foi en J.-C»; 1588: «mais seulement parla foi» (on a voulu affirmer la justification par la foi seule);Heb 10:10, Olivetan: «nous sommes sauvés par l'oblation une foisfaite du corps de J.-C.»; 1588: «par l'oblation une seule foisfaite» (pour exclure le sacrifice de la messe); 1Ti 4:10,Olivetan: «Dieu, qui est le Sauveur de tous les hommes»; 1588: «quiest le conservateur» (la théorie de la prédestination n'admettaitpas le salut de tous les hommes), etc. Voir aussi Lortsch, la Bibleen France, p. 482SS. On ne saurait mettre en doute la bonne foi des réviseurs, pasplus du reste que celle des traducteurs catholiques, qui altéraientle texte en sens contraire. Les uns et les autres étaient lesvictimes involontaires des passions théologiques du temps. Cela metd'autant plus en valeur la remarquable impartialité de la versiond'Olivetan. A tout prendre, on peut se demander si la révision de1588 améliorait vraiment son oeuvre. Et cependant le texte de 1588,si défectueux dès l'origine, devait être réimprimé presque sansmodifications pendant plus d'un siècle, jusqu'en 1724! Pendant ce temps, les traductions catholiques réalisaient pour lestyle de grands progrès. La première fut faite par les soins del'Université de Louvain. Ce n'est à vrai dire qu'une révision assezlégère de la Bible de Lefèvre d'Étaples. Elle parut en 1550 et eut detrès nombreuses éditions. Elle fut aussi plusieurs fois révisée, parde Bay (1572), Besse (1608), Deville (1613), Frizon (1621). En 1566,René Benoist, curé de Saint-Eustache, publia une traduction nouvelle,à laquelle on reprocha d'avoir trop emprunté à la Bible protestante,et qui fut condamnée. En 1643, parut la Bible de Corbin, la premièrequi ait introduit la mention de la messe dans le texte du N.T.: «Oreux, célébrant au Seigneur le saint sacrifice de la messe» (Ac13:2). Il avait emprunté cette traduction au jésuite Cotton (d'aprèsune note du N.T. de Beausobre et Lenfant, p. CCXXII). En 1647, c'estle N.T. de Véron, qui se vante d'avoir «repurgé» la version deLouvain de toutes les erreurs et falsifications héritées de la Biblegenevoise. Mais ce redresseur de torts se laisse aller à. des fautesencore plus graves, et dont il se vante. Lui aussi introduit la messedans Ac 13:2, et il en est si fier qu'il voudrait bien passerpour l'auteur de la trouvaille: il s'efforce de la justifier par unelongue dissertation, mais il néglige de citer le précédent de Corbin,quoiqu'il connaisse sa Bible et en fasse un grand éloge. Il traduit presbuteros (ancien) par «prêtre» (en grec hiereus), toutesles fois qu'il s'agit d'une fonction ecclésiastique. Un autreréviseur du N.T. de Louvain, Girodon (1661), dont le travail futplusieurs fois réimprimé, alla plus loin encore, insérant dans letexte sacré la pénitence, la messe, l'hostie, le culte de latrie, lepurgatoire, les péchés véniels, le sacrement du mariage, lespèlerinages, les processions, etc. (O. Douen). Le N.T. de l'abbé Michel de Marolles (1649) était une oeuvre deplus de valeur; celui du Père Amelote (1666) était meilleur encore;et voici le N.T. de Mons (1667), qui marque une date importante dansl'histoire des traductions françaises de la Bible. Cette version,entièrement nouvelle, qu'on dut imprimer en Belgique, sans nomd'auteur, était l'oeuvre collective des solitaires de Port-Royal.Isaac Lemaistre, dit Lemaistre de Sacy (Sacy était un anagrammed'Isaac), y avait eu la plus grande part, avec des collaborateurstels que son frère Antoine, Arnauld, Nicole, le duc de Luynes etd'autres encore, parmi lesquels Pascal. Ils y avaient consacré prèsde dix ans. Avec des savants et des écrivains de cette valeur, lerésultat ne pouvait être que remarquable, tant pour le fond que pourla forme. C'était la première fois que la Bible parlait vraimentfrançais. Le succès fut immense, malgré l'opposition de la Sorbonne.Le travail était achevé, mais l'ouvrage n'avait pas encore paru,quand Sacy fut arrêté et mis à la Bastille, où il passa deux ans etdemi (1666-1668). Il employa ses loisirs forcés à traduire l'A.T.,avec non moins de bonheur que le N.T. Mais il n'obtint l'autorisationde le publier qu'à la condition d'y joindre de longs commentaires, cequi en retarda beaucoup l'apparition. L'édition, commencée en 1672,ne fut terminée qu'en 1702 (dix-huit ans après la mort de l'auteur,survenue en 1684); elle comprend trente-deux volumes. Deux graves défauts déparent malheureusement la Bible de Sacy.D'abord elle est faite d'après la Vulgate. Ensuite, dans le louabledessein de rendre toujours le texte d'une façon bien claire, même làoù il est le plus obscur, elle verse dans la paraphrase et aboutitparfois au contresens. Par exemple: «il a condamné le péché dans lachaude J.-C, à cause du péché commis contre lui » (Ro 8:3).«Si donc vous êtes morts avec J.-C, à ces premières et plusgrossières instructions du monde, comment vous laissez-vous imposerdes lois, comme si vous viviez dans ce premier état du monde? Nemangez pas, vous dit-on, d'une telle chose, ne goûtez pas dececi, ne touchez pas à cela» (Col 2:20 et suivant). Lesmots ajoutés par le traducteur sont en général soulignés, mais cecine justifie pas l'addition, quand elle fausse la pensée biblique;c'est le cas Ro 8:3 et aussi, quoique à un degré; moindre,Col 2:20. La Bible de Sacy, souvent réimprimée, fréquemment revue ouimitée, a exercé depuis son apparition une influence considérable surtoutes les éditions catholiques des livres saints. Il s'en est fallude peu qu'elle ait aussi marqué de. son empreinte les versionsprotestantes. Nous avons vu combien la révision de 1588 étaitdéfectueuse pour le style. Les traductions originales parues en:dehors d'elle, celle de Chateillon--Castalion--(1555) et celle deDiodati (1644), n'avaient apporté aucun progrès. C'est au début duXVIII e siècle seulement qu'on se préoccupa, dans les milieux de laRéforme, de publier les livres saints en bon français, à l'image desN.T. du Père Amelote et de Port-Royal. Ce fut l'un des buts visés pardeux traductions du N.T., celle de Jean Le Clerc (1703) et celle deBeausobre et Lenfant (1718), qui furent des oeuvres estimables. Unessai plus sérieux encore et mieux réussi dans le même sens fut celuides pasteurs et professeurs de l'Église de Genève, dans leur révisiondu N.T. parue en 1726. C'était une version entièrement renouvelée,qui pouvait rivaliser, pour le style, avec la Bible de Sacy.Malheureusement, si elle lui avait emprunté ses qualités, elle luiavait pris aussi ses défauts: sa tendance à la paraphrase et sonsouci de la clarté poussé parfois jusqu'au contresens, par exemple1Pi 3:20: «huit personnes...qui furent sauvées de l'eau», aulieu de «par l'eau» (dïhudatôri). Elle avait aussi remplacésystématiquement le «tu» antique par le «vous» moderne, sauf pourtantdans les paroles adressées à Dieu. Il eût été facile à des réviseursprudents de tirer de cette oeuvre, à bien des égards remarquable, unN.T. excellent. Mais au moment où la Bible de Genève se mettait àparler français, elle fut supplantée par d'autres révisions, cellesde Martin et d'Ostervald. David Martin, pasteur à Utrecht, fit paraître en 1696 un N.T. expliqué et, en 1707, une Bible complète, dont les notesabondantes formaient un copieux commentaire, avec un texte qui étaitcelui de Genève «revu sur les originaux et retouché dans le langage».Les corrections, qui portaient surtout sur la forme, étaientgénéralement heureuses, mais combien insuffisantes! Malgré lesretouches de Pierre Roques (1736) et de Samuel Scholl (1746), laBible de Martin conserva un style assez archaïque. Ostervald, pasteur à Neuchâtel, était l'auteur d'Arguments et réflexions sur l'Écriture sainte, qui avaient obtenu un très grand succès. Cet ouvrage fut incorporé dans une Bible publiée à Amsterdam,en 1724, d'après la version genevoise. Quand l'édition fut épuisée,on résolut de la réimprimer à Neuchâtel, et, à cette occasion,Ostervald révisa son travail, ainsi que la traduction elle-même. Levolume parut en 1744. Il se présente comme «la Sainte Bible»...revueet corrigée...par les pasteurs et professeurs de l'Église de Genève,avec les Arguments et Réflexions...par J.-F. Ostervald. Nouvelleédition revue, corrigée et augmentée». L'Avertissement qui suit letitre (il occupe une page grand in-folio) insiste sur les changementsapportés aux «Arguments et Réflexions» et consacre trois lignesseulement aux modifications du texte biblique: «En conservant laversion qui est reçue dans nos Églises, il (Ostervald) y a fait descorrections qui paraissaient nécessaires et changé des expressions etdes manières de parler qui ne sont plus en usage et qui pourraientcauser de l'obscurité.» Cette indication, avec ses termes simodestes, caractérise bien exactement l'oeuvre d'Ostervald. Il n'afait qu'une révision très discrète et qui se limite généralement austyle. Dans les livres historiques de l'A.T., les retouches sontrares et insignifiantes. Par exemple, dans le ch. 4 de l'Exode, septmots seulement ont été remplacés par des synonymes. Dans les livrespoétiques et prophétiques, les changements sont plus nombreux, maisinsignifiants pour la plupart: dans, au lieu de «en»; lorsque, au lieu de «quand»; pour ce qui est de, au lieu de«quant à»; maître, au lieu de «seigneur»; etc.Voici les deux corrections les plus importantes faites dans Job 3:1. v. 5, «qu'il (ce jour) soit rendu terrible comme le jour de ceuxà qui la vie est amère»; Ostervald: qu'on l'ait en horreur comme unjour d'amertume (ceci est fort inexact);2. v. 23, «pourquoi donne-t-il la lumière à l'homme auquel on a cachéle chemin qu'il doit suivre et que Dieu a enfermé de tous côtés?»Ost.: pourquoi la lumière est-elle donnée à l'homme auquel lechemin est caché, et que Dieu a couvert de tous côtés de ténèbres? (dans l'hébreu il n'est nullement question de «ténèbres»).On le voit, quand les changements touchent au sens lui-même, ils sontassez souvent malheureux. En somme, l'A.T. n'a été que fort peumodifié. Seul, le N.T. a été sérieusement revu et amélioré. Maisc'est le style surtout qui gagne au travail d'Ostervald; latraduction y perd assez souvent de son exactitude et de sa force. Parexemple, Mt 13:16: «Or, vos yeux sont bienheureux car ilsvoient, et vos oreilles, car elles entendent»; Ost.: Mais pourvous, vous êtes heureux d'avoir des yeux qui voient et des oreillesqui entendent. En résumé, la Bible d'Ostervald représente larévision de 1588, à peine retouchée pour l'A.T., et rajeunie dans laforme pour le N.T. Elle est inférieure comme langue au N.T. de1726. On lui sut gré sans doute de sa réserve, et on la préféra, nonsans quelque raison, à des traductions plus coulantes mais troplibres. Elle régna pendant plus d'un siècle dans les Églisesprotestantes. En 1741 avait paru la Bible de Lecène, oeuvre assez fantaisiste,qui tomba promptement dans l'oubli: elle le méritait. Les pasteurs etprofesseurs de l'Église de Genève continuaient leur travail derévision. Ils publièrent en 1802 un N.T. qui reproduisait avecquelques changements celui de 1726, et en 1805 un A.T. qui offrait deréelles qualités de style. Mais quelle traduction! Les auteurssemblent avoir complètement méconnu l'antique pensée hébraïque et,pour obtenir toujours une idée claire et à leurs yeux satisfaisante,ils n'hésitèrent pas à violenter le texte. Ge 1:2: «La terreétait informe et nue; c'était un abîme couvert de ténèbres, et Dieufit souffler un vent qui agita la face des eaux.» Ge 4:7:«...pour ton frère, il continuera à t'être soumis, et tu seras sonsupérieur.» Job 3:8: «Qu'elle soit chargée d'exécration commeune nuit funeste où s'agitent les monstres de la mort!» Il n'est pasétonnant que cette version ait obtenu un médiocre succès. On aima mieux garder Ostervald en le révisant. On y procéda àLausanne (1822), en s'inspirant, semble-t-il, de la version de1802-1805, à laquelle on emprunta notamment l'erreur de 1Pi3:20. L'édition de la Société biblique de Paris (1824) fut unerévision tacite: on prit des leçons aux Bibles de 1724 et de 1822, eton y ajouta quelques corrections nouvelles. En 1836, seconde révisionpar la Société biblique de Lausanne. En 1846-55 Bonnet et Bauprévisent le N.T. (édition refondue par Bonnet, 1875-85, et plus tardrevue par Schroeder, 1892-1905). Puis c'est la révision de Matter(Londres 1849; le N.T. avait paru dès 1842), celle de Frossard (1869;N.T. seul), celle de la Société biblique de France (1881) et enfin larévision synodale du N.T. (1894). A partir du second tiers du XIX e siècle, un certain nombre desavants protestants entreprirent de traduire à nouveau soit la Bibleentière, soit l'A.T. ou le N.T. seuls. Citons la version de Lausanne(N.T. en 1839, A.T. de 1861 à 1872), qui vise à calquer le texteoriginal, sans grand souci des exigences de la langue française;l'A.T. de Perret-Gentil (1847-1861); le N.T. de Rilliet (1858),oeuvre de grande valeur comme interprétation du grec; le N.T.d'Arnaud (1858); le N.T. de Darby (1859) et la Bible du même (1885);la Bible de Paris, inachevée (neuf livraisons, de 1864 à 1874); laBible d'Edouard Reuss (1874-79), oeuvre magistrale en treize volumes,encore le meilleur ouvrage du genre que nous ayons en français; laBible annotée de Neuchâtel (1878-98; ne comprend que l'A.T.). Cependant, la Compagnie des pasteurs et professeurs de l'Églisede Genève persévérait dans son travail de révision: en 1835, ellepublia un N.T., qui devait alimenter, de 1861 à 1863, la polémiquedes partis théologiques en France, et amener le schisme de la Sociétébiblique. Mais la Compagnie finit par se rendre compte que lesrévisions de révisions ne pouvaient produire une version homogène etvivante, et elle chargea deux professeurs qualifiés, Segond etOltramare, de traduire, l'un l'A.T. et l'autre le N.T. Le N.T. paruten 1872 et l'A.T. en 1874. Ces deux oeuvres, qui furent adoptées parla Société biblique de Paris, marquaient un progrès notable destraductions françaises de la Bible. Une révision attentive (1900) aémondé le N.T. Oltramare de quelques défauts qui tenaient surtout àla forme. L'A.T. Segond, auquel on reproche d'avoir parfois aplati letexte, a été également revu sous les auspices de la Société bibliquebritannique et étrangère (1900), mais ces corrections, trop rares etpas toujours heureuses, quelquefois même tendancieuses, ne l'ont pasamélioré. Segond lui-même avait fait paraître (1881) une traductiondu N.T. En 1889, Edmond Stapfer publiait sa version du N.T.,remarquable pour la clarté et l'aisance du style; la quatrième etdernière révision de l'auteur fut imprimée par la Société biblique deParis en 1904 et en 1911. La Société biblique de France, au terme desa révision d'Ostervald, fut amenée à préparer une traductionnouvelle, parue en 1910 sous le titre de «Version Synodale». Le N.T.,retouché plusieurs fois--on y travaille encore--est excellent; l'A.T.réalise, par rapport à Segond, un progrès certain pour le style, maiscontestable pour l'interprétation. Les dernières traductions protestantes du N.T., en particulierOltramare, Stapfer et la Vers. Syn., sont faites sur un textecritique, c'est-à-dire établi par la comparaison de tous les témoins(manuscrits, citations des Pères de l'Église, versions anciennes). Iln'en est pas de même des traductions françaises de l'A.T., qui,toutes, sans aucune exception, reposent uniquement sur le textehébreu, dont nous n'avons qu'un seul type, établi par les savantsjuifs, dits massorètes, après le II e siècle de notre ère (la dateexacte n'en peut être fixée, même approximativement). Elles n'ontutilisé, sauf dans des cas exceptionnels et sans le dire, ni lesTargums, ni les versions antiques (LXX, syriaques, Vulgate, etc.),dont plusieurs remontent à un texte hébreu antérieur à celui desmassorètes (voir Textes et versions de l'A.T.). De plus, elles sesont imposé l'obligation de donner aux passages altérés--asseznombreux dans certains livres poétiques--un sens clair etsatisfaisant, ce qui les a conduites à des interprétations forthypothétiques et parfois purement arbitraires. C'est en grande partiepour corriger ce double défaut que la Société biblique de Paris aentrepris, à l'occasion de son centième anniversaire, une nouvelleversion, appelée, pour ce motif, «Bible du Centenaire». Le N.T.,terminé en 1928, représente, surtout pour les Épîtres, uneamélioration notable d'Oltramare et de Stapfer. L'A.T. (premierfascicule en 1916) est en cours de publication. La «Bible de laFamille et de la Jeunesse» (1925) a vulgarisé une portion de cetravail. Après la Bible de Sacy, il a continué de paraître, dans lesmilieux catholiques français, d'assez nombreuses traductions dessaintes Écritures. Quelques-unes ne sont que des révisions de Sacy,telles: le N.T. du P. Quesnel (1692); la Bible du P. de Carrières(1701-16), reprise et retouchée par l'abbé de Vence (1738-43); laBible de dom Calmet (1707-16); la Bible de Mme Guyon (1713-25); laBible de Nicolas Legros (1739); la Bible de Jager (1846) et la Biblede l'abbé Fillion (1888). Versions catholiques nouvelles: le N.T. de Godeau (1668); le N.T.du P. Bouhours (1697), revu par le P. Lallemant (1713-25) et bienplus tard encore par Herbet (1866); le N.T. de Huré (1700); le N.T.de Richard Simon, paru sans nom d'auteur (1702); le N.T. de l'abbé deBarneville (1719), qui fonda une association pour le répandre (ce futen fait la première Société biblique française); le N.T. de Mésenguj'(1729), la deuxième Bible de Nicolas Legros, traduction sur lestextes originaux, achevée et publiée après la mort de l'auteur(1753); le N.T. de l'abbé Valart (1760); la Bible de Genoude(1820-24); la Bible de l'abbé Glaire (1834), qui vise à l'exactitudelittérale (rééditée par l'abbé Vigouroux en 1889-93); le N.T. deLamennais (1851), trop littéral («Si Dieu pour nous, qui contrenous»; «la foi qui est dans le prépuce de notre père Abraham»; Ro8:31 et 4:12); le N.T. de l'abbé Gaume (1864); la Bible de Bourasséet Janvier, illustrée par Gustave Doré (1866); celle de l'abbéGiguet, d'après les LXX (1866); la Bible des abbés Trochon, Bayle,Clair, Lesêtre, Fillion, etc., en 28 volumes (1871-90); la Bible del'abbé Arnaud (1881). Une mention spéciale est due à la Bible de l'abbé Crampon, revuepar des Pères de la Compagnie de Jésus et des professeurs deSaint-Sulpice (1894-1904). Il en a été donné (1904) une édition en unseul volume portatif. Cette traduction, faite sur les textesoriginaux, est remarquablement impartiale. L'interprétation estjudicieuse et le style excellent. On peut dire que c'est la meilleureversion due à des auteurs catholiques. Les Israélites ont apporté aussi leur contribution à l'oeuvre destraductions bibliques. Ils ne se sont occupés, cela va sans dire, quede l'A.T., avec une prédilection marquée pour le Pentateuque, qu'ontédité à part Lévy (1855), Wogue (1869), Weil (1890). Comme Biblescomplètes, signalons celle de Cahen, en treize volumes (1832-52), etl'excellente Bible du Rabbinat français (1899-1906), en deux tomesportatifs, qui peuvent se relier en un seul volume. C'est une desversions qui ont le mieux conservé la saveur de l'hébreu et témoignéle plus de respect pour le texte. Elle en reconnaît, assez souvent,les obscurités et les altérations; il lui arrive même parfoisd'adopter des corrections (en le disant). Au lieu de broder àl'aventure, comme tant d'autres, sur les passages corrompus, elle lesrend tels quels, en avouant, dans une note, qu'ils ne sont pasintelligibles. Elle a le mérite d'inaugurer--quoique avec trop deréserve et de timidité--la critique du texte. Quelques traductions ont été faites par des savants étrangers (ouplus exactement devenus étrangers) à toute confession religieuse.Ainsi la Bible de Ledrain (1896-99), qui s'efforce de conserver toutela couleur de l'original (elle a du moins gardé le plus possible determes hébraïques); le N.T. d'Alfred Loisy (1922), oeuvrescientifique de valeur, mais traduction d'un littéralisme assezbarbare. Nous n'avons pas cité les traductions de livres isolés; il y en atrop. Mentionnons pourtant celles de Renan: Job (1859), le Cantiquedes Cantiques (1860) et l'Ecclésiaste (1882); celles de Ch. Brus-ton:les Psaumes (1865) et la Sulamite (le Cantique des Cantiques), en1894; enfin les Évangiles, d'Henri Lasserre (1887), version un peulibre mais riche en trouvailles. On trouvera les renseignements les plus complets sur le sujet(avec une abondante bibliographie) dans le livre «de D. Lortsch: laBible en France, Paris et Genève 1910. L. R.