BÉATITUDES

Le mot français de béatitude, qui vient du latin beatitudo, signifie bonheur, et se dit particulièrement de la félicité des élus.Il désigne aussi certaines sentences de l'Écriture relatives à lanature du vrai bonheur et aux conditions de sa réalisation. Dans le N.T. le mot «heureux», par lequel débute chaquebéatitude, est la traduction du mot grec makanos qui, chez lespaïens, exprime un bonheur surnaturel, le bonheur des dieux. Lesdieux, ce sont les makarioï, les bienheureux. Ce mot est beaucoupplus fort que eudaïmon, qui exprime le bonheur humain. 1. Béatitudes diverses. Dans l'A.T., surtout dans lesPsaumes, il y a de nombreuses béatitudes. Les plus connues sontcelles par lesquelles débutent les Psaumes I er: Ps 1 «Heureuxl'homme qui ne marche pas suivant le conseil des méchants»; Ps32: «Heureux est celui dont la transgression est remise» et Ps119: «Heureux ceux qui sont intègres dans leurs voies». Voir encorePs 2:12 34:9 40:5 41:2 65:5 84:5,6,12 94:12 106:3 112:1 144:15146:5. Jésus aimait à se servir de cette forme de sentence. Outre lesbéatitudes qui nous sont rapportées groupées dans le Sermon sur laMontagne et qui feront plus particulièrement l'objet de cet article,nous en trouvons plusieurs dans les évangiles: «Heureux celui pourqui je ne serai pas une occasion de chute» (Mt 11:6,Lu 7:23).«Heureux sont vos yeux parce qu'ils voient et vos oreilles parcequ'elles entendent» (Mt 13:16,Lu 10:23). «Heureux ceux quiécoutent la Parole de Dieu et qui la gardent» (Lu 11:28).«Heureux ces serviteurs que le maître à son arrivée trouveraveillant» (Lu 12:37). «Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ontcru» (Jn 20:29). On peut rapprocher de ces béatitudes de Jésus un certain nombrede béatitudes apostoliques: «Heureux celui qui ne se condamne paslui-même dans le plan de conduite qu'il adopte» (Ro 14:22).«Heureux êtes-vous si l'on vous dit des injures pour le nom deChrist, car l'Esprit de gloire, l'Esprit de Dieu repose survous» (1Pi 4:14). «Heureux dès à présent les morts qui meurentau Seigneur» (Ap 14:13). Voir encore Ap 16:15 19:9 20:622:7,14. Ce genre des béatitudes se retrouve souvent dans la littératurechrétienne; on lit dans les Actes de Thécla: «Heureux ceux qui segardent chastes, ils seront appelés temples de Dieu.» 2. Béatitudes classiques. Lorsqu'on emploie ce mot debéatitude au pluriel, on désigne toujours le groupe de béatitudes parlequel débute dans Matthieu le Sermon sur la Montagne. Le problème critiquele plus important que soulève leur étude est celui des différences denombre et de forme entre le groupe des béatitudes de Matthieu (Mt5:3-11) et celui de Luc (Lu 6:20,26). Pour expliquer cesdifférences, certains exégètes ont admis que le Sermon sur laMontagne de Matthieu et le Sermon dans la Plaine de Luc sont deux discoursprononcés dans des circonstances différentes. Mais l'on s'accordeaujourd'hui pour rejeter cette hypothèse (voir Sermon sur laMontagne).Examinons donc à part chacune de ces différences. 1. Tout d'abord les béatitudes de Matthieu sont à la 2 epersonne, celles de Luc à la 3 e. Quelle est la forme primitive? Ilest vraisemblable que Jésus a employé la 2 e personne qui convientmieux au discours. On comprend mieux le passage de la 2 e personneplus personnelle à la 3 e plus générale, que la modificationcontraire. Cette différence est d'ailleurs très secondaire. 2. Il y a dans Matthieu huit béatitudes et dans Le quatreseulement, suivies de quatre malédictions correspondantes. Luc nerapporte que les 1 re, 2 e, 4 e et 8 e béatitudes de Matthieu Pourquoi? Ilest évident que les béatitudes spéciales à Matthieu sont authentiques.Elles ont bien le timbre des paroles de Jésus. Mais peut-êtren'appartenaient-elles pas primitivement au Sermon sur la Montagne. Eneffet si Jésus avait prononcé ces huit béatitudes groupées commeelles sont rapportées dans Matthieu, on comprendrait mal pourquoi Luc enaurait laissé tomber quatre. Il est plus simple d'admettre que lesbéatitudes 3, 5, 6 et 7 ont été prononcées dans des circonstancesindéterminées et que Matthieu les a rattachées aux quatre béatitudes duSermon sur la Montagne. 3. Dans les béatitudes 1 et 4, communes aux deuxévangiles, une légère différence de forme modifie le sens d'une façonnotable. Luc dit: «Heureux les pauvres», Matthieu «les pauvres enesprit». Luc dit: «Heureux ceux qui ont faim», Matthieu «ceux qui ont faimet soif de la justice». Quelle est la forme originale?a)En faveur de la priorité de Matthieu on invoque l'ébionisme de Lucc'est-à-dire sa tendance à glorifier la pauvreté (voir Luc). On faitremarquer surtout que les béatitudes de Matthieu, qui font dépendre lebonheur d'une attitude intérieure et non des circonstancesextérieures, sont beaucoup plus dans l'esprit de Jésus que celles deLuc. Il serait bien étonnant que ce fût un copiste qui eût enrichi etspiritualisé les paroles de Jésus.b)En faveur de la priorité de Luc on fait remarquer que la forme plusbrève et plus paradoxale de Luc est beaucoup plus dans la manière deJésus. D'autre part, la tradition a tendance à atténuer lesdéclarations sévères pour les rendre plus acceptables, plutôt qu'àles renforcer. On ajoute que Matthieu a pu interpréter les paroles de Jésusdans leur sens spirituel sans être infidèle à sa pensée, tandis quesi Luc avait fait le contraire et avait délibérément matérialisé lapensée de Jésus, ce serait une véritable trahison. C'est lui faireinjure que de l'accuser d'ébionisme.c)Il semble que d'une part la forme de Luc est plus dans la manière deJésus et que, d'autre part, la spiritualisation de Matthieu est bien dansson esprit. Ainsi nous trouverions dans Matthieu les vérités cachées sousune forme plus ramassée et plus paradoxale dans Luc. Luc c'est ladéclaration frappée en médaille, faite tout d'abord; Matthieu c'estl'explication. «Lu c'est le texte, Matthieu c'est le commentaire.»D'ailleurs, on peut fort bien admettre que l'explication ne vient pasde l'évangéliste, mais de Jésus lui-même. Très souvent, il revenaitsur une première affirmation brève et générale et la développait.C'est ce que nous voyons même dans la 8 e béatitude (verset 11), quiest reprise et expliquée par lui dans le verset 12. La piété chrétienne, à travers les siècles, s'est nourrie desbéatitudes. «C'est là, dit Luther, une introduction belle, douce,pleine d'amour à la doctrine et à la prédication de Jésus. Il neprocède pas comme Moïse ou les docteurs de la loi par des ordres, desmenaces, des terreurs, mais de la manière la plus affectueuse, laplus propre à attirer les coeurs et par de gracieuses promesses.»Dans les béatitudes, Jésus, inversant toutes les valeurs humaines,nous apporte le secret du bonheur. Il nous donne aussi indirectementle plus magnifique portrait de lui-même, car il a été pleinement lepauvre, l'affligé, le doux, l'affamé de justice, le miséricordieux,le pur, le créateur de paix, le persécuté.Voir Contentement d'esprit, Joie, Paix. Jean M.