Dieu est désigné dans la Bible par deux noms principaux: Jéhovahet Élohim, ce dernier vocable accompagné généralement d'un adjectifpossessif ou d'un complément. Ex: «Je suis Jéhovah, tonÉlohim» (Ex 20:2), «l'Élohim de vos pères, l'Élohim d'Abraham,etc.» (Ex 3:15). Élohim est un nom générique; comme notre motfrançais dieu, il est applicable à toutes les divinités. Jéhovah estle nom propre du Dieu d'Israël, l'Éternel, révélé dans la Bible. VoirDieu [les noms de]. Sans vouloir discuter ici le problème de philologie, encore moinschercher à mettre d'accord les multiples théories en présence, nousnous bornerons à remarquer que l'étymologie du vocable Jéhovah ouYahvé n'est obscure que pour ceux qui refusent à la révélation unepart dans l'histoire d'Israël. En effet, dans Ex 3, qui nous raconte la manifestation deDieu à Moïse, le verset 14 (E) rattache le nom propre du dieud'Israël à la racine hâvah, respirer, être animé (forme anciennede la racine hâyàh, être), tout comme Ge 3:20 (J) rattachele nom d'Eve, la mère des vivants, à la racine khâvâh (=khâyâh, respirer, vivre ou faire vivre). On est donc amené, par ce groupe de racines qui appartiennent aumême tronc, à constater que ce qui différencie le dieu des Hébreuxdes divinités des religions naturelles c'est qu'il se présente commele dieu qui est, qui vit, qui agit; en d'autres termes: le Dieu réel,le seul Dieu. Moïse lui a demandé quel est son nom (Ex 3:13);n'oublions jamais que dans la Bible le «nom» (voir ce mot) et la«puissance» sont deux notions étroitement solidaires, voire, àl'occasion, interchangeables. Moïse veut savoir d'où le dieu qui se manifeste à lui et qui lecharge d'une mission écrasante tient sa puissance. Le dieu répond: dufait que moi j'existe, et que je me révèle le dieu vivant par monaction; Èheyèh acher Èheyèh =«Je suis celui qui suis» (celui quipeut dire «Je suis»; Vers. Syn.: Je suis celui qui dit «Je suis»;Vers, des Rabbins: «Je suis l'Être invariable»). Les LXX traduisent: ho ôn, c-à-d. «Je suis celui qui est», ce qui rend la phrasecorrecte. Mais il y a ici plus qu'une question de grammaire. Nous croyons que cette forme étrange: «Je suis celui qui suis»,doit, pour livrer tout son sens, être rapprochée de l'expressionanalogue employée par Jésus lorsque les Juifs lui demandent qui ilprétend être: «Avant qu'Abraham fût, je suis» (la grammaire voudraitici «j'étais»). Ces deux «je suis», présents absolus, élèvent ceuxqui les prononcent au-dessus du temps et dans un autre ordre quecelui de l'humanité. (L'Apocalypse paraphrase: «Celui qui était, quiest et qui vient», c'est-à-dire Celui qui possède la vie dans saplénitude et de qui tout ce qui existe la tient, Apo 1:4 Heb13:8) Il semble que dans cette expression mystérieuse «Je suis»,incompréhensible à tout rationalisme, impénétrable aux recherches dela pure critique historique ou philosophique, Jéhovah et Jésus aientvoulu résumer le fondement et la somme de la foi des fidèles au seuilde l'ancienne alliance comme au seuil de la nouvelle. On peut pousserplus avant, et voir dans la formule Ex 3:14 l'affirmation de laliberté de Jéhovah, qui n'a reçu la vie de personne, qui est ce qu'ilest de sa propre détermination. Et par la liberté, on atteint àl'immutabilité; Jéhovah, du fait de son absolue indépendance, demeuretoujours libre de faire ce qu'il veut, c'est-à-dire de resterconséquent avec soi-même. A ce titre, on a bien fait de rapprocherEx 3:14 de Ex 33:19: «Je fais grâce à qui je fais grâce.» Mais lorsqu'on invoque, comme on le fait quelquefois aujourd'hui,la similitude de ces deux tournures hébraïques pour en conclure queJéhovah s'est dérobé quand Moïse lui a demandé son nom, et qu'ils'est borné à répondre énigmatiquement: «Je suis ce que je suis», onse met dans l'impossibilité de résoudre le problème religieux del'Ancien Testament. Du même coup, on sort de la logique des textesici rassemblés. Sans doute l'expression de Ex 3:14 estelliptique, et l'on pourra toujours se servir d'elle pour échafauder,en ne voulant connaître que le terrain grammatical, des hypothèsesd'ailleurs réfutées par tout l'ensemble du jéhovisme; mais déjà lafin du verset, v. 14b, éclaire suffisamment l'obscurité de v. 14a,lorsque Dieu ajoute pour calmer les appréhensions de Moïse: «Turépondras ainsi aux enfants d'Israël: C'est «Je suis» qui m'a envoyévers vous.» Au verset 15 le texte porte: «Dieu dit encore à Moïse: Tuparleras aux enfants d'Israël: C'est «Jéhovah» (JHVH)...qui m'aenvoyé vers vous.» Donc Jéhovah =«Je suis». Le dieu qui se révèle et se nomme Jéhovah a bien pour caractèrepropre de pouvoir dire: «Je suis»; il se présente comme le dieu qui se distingue en cecides autres Élohim, qu'il a la vie en soi-même (cf. Jn 5:26 1:4)et qu'il existe réellement avec toutes les prérogatives de ladivinité; d'un mot, il est Dieu. On comprend sans peine qu'à cette révélation, à ce contact divin,Moïse ait été épouvanté, qu'il ait cherché d'abord dans sa petitesseà se dégager de l'étreinte, puis qu'il soit entré résolument appuyésur Dieu dans la carrière, unique au monde, à laquelle Jéhovahl'appelait. Par contre, si Jéhovah a répondu par une fin de nonrecevoir: «Je suis ce que je suis», comment expliquer que dans cettemystification Moise ait puisé le courage d'aller affronter son peupleet trouvé le fondement de la religion qui devra transformerl'humanité en lui rendant Dieu, que depuis la chute elle cherchait àtâtons? Aussi bien, l'ensemble des textes bibliques où Jéhovah parle àtravers l'histoire hébraïque s'en référera toujours à lamanifestation inaugurale et reprendra sous de multiples formesl'expression de Dieu vivant (No 14:28,De 5:26,1Sa 17:36,2Ro2:2 5:16,Eze 20:31 33:11,Ps 36:10, cf. De 5:26,Jos 3:10,Jer23:36, etc.; on jure par le Dieu «vivant»: est-il formule deserment plus redoutable pour les coupables et pour les hypocrites quela formule: Jéhovah vit? Jer 4:2 5:2, etc.), jusqu'au moment oùla lumière décisive poindra du sommet de la prophétie avec lesoracles qui foudroyent les Élohim, chez Jérémie et dans Ésaïe 41-44: