VISITE

On en sait l'importance dans les sociétés primitives, où lesvoyages étaient des entreprises prolongées, et où l'on considéraitcomme sacré le devoir de l'hospitalité (voir ce mot). Aussi le nomhébreu de la visite (rac. pâqad) revêt-il à l'usage une grandediversité de significations plus ou moins connexes ou dérivées; lesdifférentes formes du verbe peuvent, suivant les cas, se traduirepar: considérer, inspecter, passer en revue, dénombrer, prendregarde, soigner, établir, confier, etc. Un terme si riche d'idées simples et concrètes ne pouvait manquerd'être appliqué à Dieu; les premières pages de l'histoire sainte,plus spécialement celles de la source J, le présentent volontierscomme un visiteur parmi les hommes (voir Théophanie): ceux-cil'entendent marcher, le voient et l'accueillent sous leurtente (Ge 3:8 Ge 18 etc.). La foi plus évoluée en Israël devait s'attacher au Dieu qui estesprit, invisible mais omniprésent, qui sonde et pénètre sa créaturepartout et n'a donc pas besoin de la visiter puisqu'elle est toujoursdevant lui (lire le Ps 139); mais l'anthropomorphisme de lavisite divine demeurera toujours, à titre d'image fort expressive,dans le langage des croyants de l'ancienne alliance et de lanouvelle (Ps 17:3 etc.). Ils la désiraient, cette visite deDieu, comme s'accompagnant de ses présents providentiels, miraculeux(Ge 21:1 50:24 et suivant, Ex 3:16 [V S.: vu] Ex 4:3113:19,Ru 1:6 [V S.: prenait soin]); ils l'appelaient de leursprières (Ps 65:10 80:15). Mais lorsque les prophètes se dressent, au nom de Jéhovah, devantson peuple infidèle, c'est pour annoncer une redoutable rencontre,celle du Juge, et un terrible «jour de l'Éternel» (voir art.), quisera ténèbres et non lumière (Am 4:12 5:18). Ce sombre messaged'Amos, le premier des prophètes écrivains, est développé par sessuccesseurs; et leurs prédictions doivent si constamment comporterles menaces de la part de Dieu, que dans leur langage la visitedivine, fertile en promesses pour les patriarches, est devenuesynonyme de punition (soit le subst, peqoudâh, soit lalocution pâqad al =visiter sur...). Les vieilles versions françaises, pour l'exprimer, traduisaientpar Visitation (voir ce mot); nos versions modernes traduisent leplus souvent par châtiment (Os 9:7 12:3,Esa 10:3,24:2129:6,Mic 7:4,Sop 1:8,12,Jer 6:6 23:12 46:21 48:44 50:27,Eze 9:1,La4:22, cf. Ex 32:31, Sir 2:14 16:18, etc.); c'est cetteexpression même qui se trouve dans le Décalogue: «...qui punis l'iniquité des pères...» (Ex 20:5 parallèle De 5:9). Lavisite de Dieu, c'est souvent son jugement. (cf. 1Pi 2:12) Mais, par-delà les rétributions prochaines sur les pécheurs, lesprophètes ont annoncé le pardon de Dieu, son salut, sa libérationpour les individus et pour les peuples repentants; et l'espérancemessianique a attendu une visite divine, la visite par excellence, àlaquelle était suspendue toute la foi d'Israël à l'époque deJésus-Christ. Zacharie déclare que «Dieu a visité et racheté sonpeuple» (Lu 1:68,78) la foule galiléenne voit en Jésus deNazareth l'apparition d' «un grand prophète, visite de Dieu à sonpeuple» (Lu 7:16); les pèlerins des Rameaux le saluent del'acclamation messianique à «Celui qui vient au nom du Seigneur»(Lu 19:38, cf. Ps 118:26). Alors Jésus lui-même constate que Jérusalem a été «visitée», ets'il ajoute en pleurant qu'elle ne l'a pas reconnu (Lu 19:44),c'est parce que les autorités juives, dans l'attente orgueilleused'un Visiteur divin d'ordre temporel, d'un libérateur politique, sesont obstinément opposées aux visiteurs spirituels envoyés d'en haut(parabole des vignerons, Mr 12:1,12), les ont tués et lapidés,ont repoussé tous les appels du Visiteur sauveur...D'où (Mt23:37) le drame de la croix. Du terrain de l'histoire où le Christ incarna la visite divine àl'humanité, nous voici maintenant transportés sur le terrain de lapiété: le Sauveur se tient à la porte des coeurs, y frappant, prêt àentrer dès qu'on ouvrira (Ap 3:20); c'est l'appel personnel, quicommande toute la vie chrétienne. Et cette image de la «visite» apris une très grande importance dans la mystique du Moyen âge, quiopposait l'âme visitée, c'est-à-dire fervente, à l'âme délaissée, c'est-à-dire languissante: «Attends avec une fermeconfiance mon retour et la visite d'en haut; supporte patiemment tonexil et les aridités spirituelles, jusqu'à ce que je te visite denouveau» (Imitat, de J.-C, III, 51). Mais ce qui était chez les anciens Hébreux la conceptionprimitive d'un peuple enfant est quelquefois devenu chez lesmystiques une grave erreur: pas plus que Dieu n'est éloigné deshommes et n'a donc besoin de les visiter, comme le croyaient lesanciens Hébreux, Dieu n'est pas davantage, comme le croyaientcertains mystiques, un souverain capricieux accordant ou retirant àson gré le bienfait de sa visite; nos alternatives de ferveur et detiédeur marquent un rythme plus ou moins irrégulier de la vieaffective qui dépend des circonstances, de notre tempérament et denotre respect plus ou moins scrupuleux des conditions de la vie enDieu, mais qui ne dépend pas de l'arbitraire du Père céleste, du DieuSauveur en Jésus-Christ, toujours fidèle, lui, pour tenir compagnie àses enfants qui l'appellent. «C'est avoir Dieu que de l'attendre»(Fénelon). Sans doute, des dispensations particulières de Dieu, soitépreuves, soit grâces, peuvent apparaître comme des manifestationsspéciales de sa visite; l'apocryphe Siracide (34:6) fait même decertains songes des visites du Très-Haut. Mais l'Évangile donne àl'homme infiniment mieux qu'un Visiteur du ciel destiné à repartir, àla façon des anges que les patriarches hospitaliers logeaient sans lesavoir: (Heb 13:1) l'Évangile introduit en nous l'Hôtedéfinitif, devenu le Maître et l'Ami, le Sauveur et l'Inspirateur,qui fait son habitation permanente, sa demeure (voir ce mot) chezcelui qui l'accueille; ce n'est plus l'homme qui vit, c'est Christqui vit en lui (Ga 2:20), il est «en Christ» (2Co 5:17,etc.), c'est «la vie cachée avec Christ, en Dieu» (Col 3:3). Dureste, cette cohabitation spirituelle, communion avec Dieu, s'exprimeobligatoirement en communion fraternelle (voir Communion); etl'authentique fidélité à Jésus-Christ se manifeste en particulier,précisément, par les visites de la bienfaisance et de la charité auxplus misérables d'entre nos frères (Mt 25:36,Jas 1:7, cf. Sir 7:35). Jn L.