TEXTE ET VERSIONS DU NOUVEAU TESTAMENT

I Introduction. On conçoit tout l'intérêt de l'Église à posséder, aussi pur quepossible, le texte de nos livres sacrés. Retrouver ce texte aprèsavoir éliminé toutes les altérations qui peuvent s'y être glissées:tel est proprement le but de la critique textuelle. Ce terme decritique (voir ce mot) a parfois, dans l'esprit du public, unesignification péjorative absolument injustifiée. La critique est unescience aux règles précises; étymologiquement elle doit s'entendre detoutes les opérations dont le but est de discerner, de séparerl'erreur de la vérité (du grec krineïn). Pour le NouveauTestament, la critique se propose donc d'en établir le texte telqu'il est sorti de la main des écrivains originaux. En vue de cettereconstitution, elle emploie les mêmes procédés communément appliquésaux grands textes classiques (Sophocle, Platon, Virgile, etc.) dontles autographes ont disparu et dont il ne subsiste que des copies,séparées souvent de l'oeuvre originale par un nombre considérable desiècles. Le travail est relativement aisé pour des oeuvres dont iln'existe qu'un nombre réduit de copies (Sophocle, 100; Catulle, 3);il est infiniment plus compliqué pour le texte du N.T., dont ilexiste plus de 4.000 copies manuscrites; d'autre part le nombre descopies des traductions du texte, dont le rôle en critique estprimordial, dépasse 10.000. Or, dans cette masse imposante, il n'estpas deux copies absolument identiques, et l'on estime à 150.000 lenombre des variantes relevées. On aurait tort cependant de penser quela multiplicité de ces variantes nous met dans l'impossibilité derecouvrer la teneur primitive du texte. C'est le contraire qui estvrai. Car l'élimination méthodique des leçons fautives permetd'approcher, avec beaucoup plus de chances, le texte original. Lacritique textuelle se trouve ainsi placée devant le N.T. dans de bienmeilleures conditions que devant la plupart des classiques latins etgrecs. La découverte des manuscrits originaux du N.T. est absolumentimprobable. Tertullien parle bien d'écritures authentiques (litteroe authenticoe) qui circulaient de son temps (De proescr., 36:1 - 2); mais son contemporain Irénée ne paraît pascroire que ces autographes existent encore; il met en garde, aucontraire, contre les altérations des copies en circulation (Eusèbe, H.E., V, 20:2). On est donc obligé d'établir le texte pardéduction, en utilisant toutes les ressources dont dispose lacritique. L'ensemble de ces ressources ou matériaux constitue cequ'on appelle l' apparatus criticus II Les matériaux. Les documents se divisent en trois grandes classes que nous allonsexaminer sommairement: les manuscrits grecs; les versions du texte dans les principaleslangues de l'antiquité chrétienne; les citations des textes néotestamentaires dansles oeuvres des Pères de l'Église.1. LES MANUSCRITS GRECS. Les spécimens les plus curieux sont assurément les textes transcritssur des fragments de poterie, appelés ostraka (coquilles). Onpossède également quelques textes sur papyrus (fig. 271). Mais, peunombreux, ces éléments sont de minime importance au point de vue dela reconstitution du texte, à cause de leur état très fragmentaire.Leur valeur est surtout philologique, car, rédigés dans l'idiomehellénistique contemporain des évangiles et des épîtres, ilsapportent une précieuse contribution à la connaissance de la languedu N.T. (voir Papyrus et ostraka). Les manuscrits dont nous nous occuperons ici sont des parchemins, dont le plus ancien date du milieu du IV e siècle. H.von Soden estime à 4.085 le total des manuscrits grecs du N.T.Jusqu'au IX e siècle le texte des manuscrits a été transcrit sansséparation entre les mots (scriptio continua), ce qui n'a paslaissé de compliquer la tâche de la critique. Les copistes, d'autrepart, faisaient grand usage d'abréviations, de contractions. De plus,le texte a subi de nombreuses corrections; on a pu discerner surcertains manuscrits le travail de sept mains successives. Mais cesdifficultés mêmes se transforment en auxiliaires pour la critique: letype d'écriture (continue, droite, couchée, ronde), la forme deslettres (majuscules, minuscules), la ponctuation, l'accentuation,etc. viennent en aide au paléographe pour déterminer l'âge et laprovenance du manuscrit. D'autres indications extérieures suppléentaux lacunes de l'histoire: c'est ainsi que la stichométrie (mensuration des lignes d'écriture) permet de discerner les additionsou les suppressions apportées au texte original. Par exemple, lecritique anglais Rendell Harris a pu déduire de la stichométrie desplus anciens manuscrits grecs que ceux-ci ne contenaient pasoriginellement la péricope de la femme adultère (Jn 7:53-8:11).La division du texte ou capitulation, la nature des matériaux(papyrus, parchemin), la forme des manuscrits (rouleau, codex), lateinte de l'encre, etc. constituent également de précieusesindications. On a classé les manuscrits en deux grandes familles selon laforme des lettres: les manuscrits en lettres onciales ou majuscules, et les manuscrits en lettres cursives ou minuscules que l'on voit apparaître dès le IX e siècle. On ne peut fixer l'âge d'un ms. que très approximativement en seréférant à des indices extérieurs; l' Alexandrinus, par ex., quicontient les canons d'Eusèbe et une lettre de siècle Athanase, nepeut remonter au delà de la seconde moitié du IV e siècle. Quant àl'origine des manuscrits, on peut dire qu'ils ont vu le jour, pour lagrande majorité, en Orient. Le Vaticanus serait originaire deCésarée pour Scrivener, d'Egypte pour Nestlé, de Rome pourWestcott-Hort. Le Codex D, que Théodore de Bèze offrit en 1581 àl'Université de Cambridge, est originaire de Lyon. Au nombre des manuscrits il faut compter également les lectionnaires (fragments des récits évangéliques destinés à êtrelus publiquement), postérieurs pour la plupart au X e siècle. Ilsoffrent souvent un type ancien du texte et, comme tels, ne doiventpas être négligés. Tous ces manuscrits ont été soigneusement classés. On suitcouramment aujourd'hui la classification de Tischendorf. Dans cesystème, les manuscrits en lettres onciales sont désignés par lesmajuscules de l'alphabet romain A, B, etc., de l'alphabet grec àpartir du T, et de l'alphabet hébreu; les manuscrits minuscules sontdésignés par des chiffres arabes.--Gregory a proposé de désigner lesmanuscrits majuscules par des chiffres arabes, en caractères gras,précédés d'un o. Ainsi le Vaticanus, désigné par B dans lesystème de Tischendorf, se note par o2. Pour les minuscules, Gregorysupprime le o et emploie des chiffres arabes non gras.--Laclassification de von Soden est de toutes la plus complète, car ellerenseigne à la fois sur le contenu du ms. et sur son âge. Le contenudu ms. est indiqué par la lettre grecque ç pour les manuscrits duN.T. en entier, par epsilon pour les manuscrits des évangiles; par apour les copies des écrits apostoliques. En ce qui concerne l'âge,von Soden désigne les manuscrits du IV° au IX° siècle par deschiffres (1 à 99, 01 à 099). Les manuscrits du X e siècle sontdésignés par les nombres 1.000 à 1.099. Les manuscrits des sièclessuivants sont désignés par le dernier chiffre du siècle, suivi dedeux o: le signe epsilon 300 désigne par ex. un ms. contenant lesévangiles et datant du XIII e siècle. 1. MANUSCRITS MAJUSCULES.Nous nous bornerons à signaler les plus importants. Le Codex Sinaïticus (S). Il contient le N.T. en entier.Découvert par Tischendorf, en 1859, au monastère de Ste-Catherine aumont Athos, il fut longtemps conservé à Saint-Pétersbourg(actuellement Leningrad); aujourd'hui au British Muséum, l'Angleterrel'ayant acheté à la Russie par souscription nationale, en 1934. C'estune admirable pièce, sur vélin en peau de gazelle. Il dateprobablement du dernier quart du IV° siècle. Le Codex Alexandrinus (A) se trouve au British Muséum depuisla création de ce musée, en 1753; il est originaire d'Alexandrie,ainsi qu'en témoigne la forme copte des lettres, et date sans doutede la fin du V e siècle; son texte, excellent pour l'Apocalypse, estmoins sûr pour le reste du N.T. Le Codex Vaticanus (B), un des plus grands trésors de laBibliothèque du Vatican. On ne peut se rendre compte de la splendeurprimitive de ce ms., qui date du milieu du IV° siècle, car une maindu X e ou du XI e siècle a recouvert l'ouvrage entier d'une nouvellepeinture. Par sa sobriété, le Vaticanus constitue une autorité depremier ordre. Le Codex d'Ephrem (C), propriété de la BibliothèqueNationale, est le plus important des palimpsestes bibliques. Onappelle palimpseste un document dont l'écriture première a étégrattée pour lui substituer une nouvelle copie. C'est à Tischendorf,âgé alors de 27 ans, que revient la gloire d'avoir remis au jour letexte primitif. Le palimpseste contient des fragments de tous leslivres du N.T. à l'exception de 2 Thess, et de 2Jean. Le Codex Bezoe Cantabrigiensis (D) est originaire dumonastère de St-Irénée à Lyon et date du V e ou du VI e siècle; aprèsla prise de Lyon par les Huguenots (1562), il tomba entre les mainsde Théodore de Bèze. Le texte grec porte en regard une traductionlatine, mais le texte grec soulève des questions encore irrésolues.Il est certain, toutefois, qu'il représente un type de texte courantà la fin du II e siècle. Il est caractérisé par de nombreusesvariantes et additions, surtout dans Luc et le livre des Actes. AprèsLu 6:4, ce ms. contient l'épisode suivant qui ne se rencontrenulle part ailleurs: «Le même jour, ayant vu un homme qui travaillaitpendant le sabbat, [Jésus] lui dit: O homme, si tu sais ce que tufais, bienheureux es-tu; mais si tu ne le sais pas, tu es maudit ettransgresseur de la loi.» Signalons enfin le Codex Freer (W), très important par sonâge (IV e -VI e siècle). Il contient la forme particulière de lafinale de Marc, entre 16:14 et 16:15, qui nous était déjàpartiellement connue en latin par saint Jérôme, et qu'on trouvera àl'article Marc (évangile), p. 101. 2. MANUSCRITS MINUSCULES.L'écriture en majuscules prenant beaucoup de temps, l'usage s'étaitintroduit, bien avant le IX e siècle, d'une écriture réduite etrapide, où les mots étaient reliés entre eux par des traits, ce quipermettait au copiste d'écrire sans relever la plume (écriturecursive). L'âge récent des manuscrits minuscules n'empêche pas quenombre d'entre eux reproduisent un type de texte ancien. Parmi lesminuscules, certains, tel le Codex Basiliensis conservé à Genève,sont de vrais chefs-d'oeuvre de calligraphie et se caractérisent enoutre par un remarquable souci d'accentuation. --Il faut mettre hors de pair un groupe de manuscrits minusculesdérivant d'un même archétype et originaires, pour la plupart, de laCalabre. On les a réunis sous le titre de groupe de Ferrar, dunom du savant irlandais qui les a collationnés. Signalons dans cegroupe le ms. 16, document polychrome: la trame du récit est en vert;les paroles de Jésus et des anges, en rouge; les paroles desdisciples, en bleu; les paroles des pharisiens, du peuple, de Satan,en noir. Le n° 33 a été appelé le roi des minuscules à cause de satrès grande autorité: il s'accorde avec le Vaticanus et le Codex de Bèze. Le n° 346 porte à Mt 1:16 la leçon suivante,que l'on trouve aussi dans la version syriaque de Cureton: «Joseph, àqui était fiancée la vierge Marie, engendra Jésus qu'elle appela leChrist.» A signaler aussi que tous les manuscrits du groupe de Ferrarplacent la péricope de la femme adultère après Lu 21:38, etl'épisode de la sueur de sang après Mt 26:39.2. LES VERSIONS ANCIENNES . La grande importance de ces documents tient au fait que lesversions supposent souvent un texte plus ancien que celui de nosmanuscrits. Toutefois, l'âge d'un texte n'est pas forcément unegarantie de sa pureté; plus haut on remonte, plus libre est lamanière dont on traite les textes. D'où ce principe: moins unetraduction est élégante, plus elle a de chances de serrer le textequi lui sert de base. L'importance des versions anciennes comme éléments dereconstitution du texte est déterminée par divers facteurs. C'estd'abord leur ancienneté: la majorité d'entre elles remontent au II esiècle et au commencement du III e. La rapide et large extension duchristianisme les propagea autant en Orient qu'en Occident; lesversions nous permettent donc de prendre connaissance d'une forme detexte très rapprochée des origines. Ensuite, beaucoup mieux que lesmanuscrits, elles indiquent la patrie d'un texte et permettent d'enétablir l'arbre généalogique, de retrouver, par exemple, la liaisonentre un ms. copié en Occident et un texte syriaque ou copte. Enfindes versions permettent d'élucider certains passages difficiles.C'est grâce aux versions par exemple que l'on doit lire, dans Jn1:28: Béthanie et non Béthabara On a réparti les versions suivant leur origine en: syriaques,latines, coptes ou égyptiennes. 1. VERSIONS SYRIAQUES. Elles nous rapprochent de la langue parlée parJésus; de là leur haute valeur. La plus ancienne mention d'unetraduction syriaque des évangiles est faite par Eusèbe (H.E., IV,22:8): «Le même Hégésippe cite l'évangile aux Hébreux et l'évangilesyriaque», mais nous ne possédons aucun élément pour déterminer quelétait cet évangile, (a) Selon toute vraisemblance, la plus vieille versionsyriaque serait une harmonie des évangiles composée par Tatien, undisciple de Justin Martyr vers 170. Malheureusement, il est difficiled'atteindre le texte syriaque de cette harmonie, où sont combinés lesquatre évangiles, d'où son nom: diatessarôn (voir Évangiles[harmonie des]). On n'a pu que le reconstituer approximativement àl'aide des commentaires d'Éphrem (IV° siècle). Il semble d'ailleursque le Diatessaron ait été primitivement rédigé en grec, (b) Une des plus célèbres versions syriaques est la Pechitto, d'un terme hébreu qui signifie: simple (voir art.précéd., p. 753). Une ancienne tradition la fait remonter à l'apôtreThaddée et même à l'évangéliste Marc, mais en réalité nous ne savonsrien de l'auteur. Cette traduction, qui a mérité d'être appelée lareine des traductions, date du V e siècle; certains historiensl'attribuent à Rabulla, évêque d'Édesse entre 411 et 435. (c) La version syriaque du Sinaï (Syrus Sinaïticus) a été découverte en 1892 par deux savantes anglaises, Mme A.S. Lewis et sa soeur M me M.D. Gibson, au couvent Ste-Catherinesur le mont Sinaï. Elle constitue le texte inférieur d'un palimpsestedont le texte supérieur est consacré à la vie des saintes femmes. Lepalimpseste date du V e siècle, mais il reproduit un texte syriaqueque l'on retrouve en l'an 200. (d) La version syriaque de Cureton (Syrus Curetonianus) date également du V e siècle; elle porte le nom dusavant, le D r Cureton, qui l'a découverte en 1842 dans un volumeprovenant du couvent de Ste-Marie, près du Caire. Trois autresfeuillets de cette version ont été depuis rapportés. d'Egypte par H.Brugsch. Cette version, tout en représentant un même texte que celuide la version du Sinaï, est indépendante de celle-ci qui lui estantérieure. 2. VERSIONS LATINES.Une date très précise nous permet de distinguer les deux formes desversions du N.T. en latin. En 382, le pape Damase confia à saintJérôme (Mort 420) le soin d'une nouvelle version du N.T. On aréuni sous le nom de Vetus Itala (ou latina) les versionslatines antérieures au travail de saint Jérôme; la version de saintJérôme est connue sous le nom de Vulgate, dont le texte estencore en usage dans l'Église catholique. Il est probable que le plus ancien exemplaire de version latineest né en Afrique où le latin était courant et où dès le milieu du IIe siècle le christianisme s'était fortement établi. Unecaractéristique très curieuse de la Vetus Itala, c'est sonaccord, pour nombre de leçons, avec les anciennes versions syriaques,sans qu'on puisse encore expliquer cette mystérieuse parenté. Le critique Hort divise la Vetus Itala en trois groupes detextes, selon leurs affinités linguistiques: le texte africain(Cyprien, etc.); le texte européen; le texte italien (Ambroise,siècle Augustin). Jérôme s'était amèrement plaint des procédés très libres descopistes. Le pape Damase lui confia le soin d'une révision desversions antérieures; notre auteur se borna en effet à corriger levieux texte latin à l'aide des anciens manuscrits grecs. Le travailde saint Jérôme fut d'abord mal accueilli; saint Jérôme répondit àses détracteurs, avec son âpreté habituelle, en les traitant de«chiens hurlants». Connue d'abord sous le nom de translatioemendatior, on ne la trouve désignée comme Vulgata qu'au XIII esiècle par Roger Bacon. Altéré au cours des siècles, son texte dutêtre révisé par Théodulphe, évêque d'Orléans (787-821) et surtoutpar un abbé de St-Martin de Tours, Alcuin (735-804). Le nombredes manuscrits de la Vulgate dépasse 30.000, dont 2.500 environ pourle N.T. 3. VERSIONS COPTES OU EGYPTIENNES.L'Egypte fut évangélisée dès la fin du I er siècle, mais comme lespremières traces de l'écriture copte n'apparaissent que cent ans plustard, on ne peut guère assigner à la version copte une dateantérieure au début du III° siècle. Traduite elle-même dans lesdivers dialectes égyptiens, cette première version donna naissance àdeux types principaux: la vers. sahidique (dialecte de laHaute-Egypte), fin du II e siècle; la vers, bohavrique (dialectede la Basse-Egypte), III e siècle. Entre ces deux types principaux,il faut citer les vers, de l'Egypte centrale: vers, du Fayoum, deMemphis, d'Akhmim. Les critiques accordent une grande valeur à cesversions, d'abord à cause de l'antiquité du texte qu'ellesreprésentent; ensuite parce que ce texte, surtout celui de la vers,sahidique, se rapproche beaucoup du texte original. Détailparticulier: presque tous les manuscrits de la Bohairique omettent letrait de la sueur de sang (Lu 22:43 et suivant), l'épisode de lapiscine de Béthesda (Jn 5:3 et suivant) et la péricope de lafemme adultère. Signalons enfin les versions de valeur secondaire, parce que dedate récente et dérivant de textes grecs relativement jeunes: unevers, éthiopienne (fin du V° siècle), une vers, arménienne (début du V e siècle), des vers, arabes (VIII° siècle), et lesfragments d'une vers. 9 othique, composée, vers le milieu du IV esiècle, par Ulfilas, évêque arien des Goths.3. LES CITATIONS PATRISTIQUES .Les citations des textes du N.T. dans les écrits des Pères del'Église constituent pour la critique une troisième source dematériaux. Elles sont si nombreuses que, grâce à elles, nouspourrions reconstituer le texte tout entier du N.T.; et elles ont deplus, sur les manuscrits et les vers., l'avantage de nous reportersouvent à un texte très ancien. Elles doivent cependant êtreinterrogées avec prudence, car les Pères en usent parfois trèslibrement avec le texte; souvent ils citent de mémoire, ou bien ilscombinent deux textes séparés. D'autres fois, ils ajoutent au texteleurs réflexions personnelles. C'est ainsi que Clément d'Alexandriecite Mt 18:3: «Si vous ne devenez comme de petits enfants vousn'entrerez pas dans le royaume des cieux», sous une formeincontestablement inspirée par une réminiscence de Jn 3:3:«Jusqu'à ce que vous deveniez comme de petits enfants et naissiez denouveau, ainsi que le dit l'Écriture, vous ne recevrez pas celui quiest réellement le Père et vous n'entrerez jamais dans le royaume descieux.» En dépit de ces réserves, les citations ont en général unegrande valeur, l'écrivain ayant souvent sous les yeux un texteancien; elles aident aussi à fixer la date et l'origine de nos plusanciens manuscrits. Citons parmi les écrivains ecclésiastiques dont la critiqueutilise les citations: (a) Écrivains syriens: Tatien (110-180); Aphraates(vers 337-345) et siècle Éphrem (vers 370). (b) Les Alexandrins: Clément (vers 150-212); Origène(186-254); Denys (Mort en 265); Athanase (296-373); Cyrille (Mort en444). (c) En Asie Mineure: Méthodius de Patara (Mort en 311); Eusèbede Césarée (270-340). (d) Les Occidentaux: Justin Martyr (vers 150); Irénée(135-202); Hippolyte (vers 205-235), auxquels il faut joindrel'hérétique gnostique Marcion (milieu du II e siècle). (e) Les Africains: Tertullien, né vers 150; Cyprien(Mort en 258); siècle Augustin (354-430) et son adversaire, Pelage.III La théorie. On le voit: pour tenter d'établir le texte primitif, la critiquedispose de ressources considérables. Encore faut-il que cesressources soient convenablement traitées. Le savant ne doit négligeraucune lumière; il lui faut appeler à son aide la paléographie,l'archéologie, la philologie et l'histoire; il doit parcourir avecson texte, mais en sens inverse, tout le chemin que ce texte a faitdepuis ses origines, pour reconstituer, autant que possible, le textetel qu'il est sorti de la main de son auteur. Nous avons dit que les matériaux présentent entre eux de trèsnombreuses variantes: le premier soin de la critique est de releveret d'élucider ces variantes. Nestlé fait très justement remarquer àce propos que la tâche du critique ressemble beaucoup à celle dumédecin qui doit porter un diagnostic avant de guérir. Le nombreconsidérable des variantes inclinerait à penser que le texte seraitdans un état de confusion et d'incertitude irrémédiable. Or c'estprécisément le nombre des variantes qui augmente pour le critique leschances de rétablir le texte. Supposons par exemple que nouspossédions une centaine de copies de Marc, indépendantes les unes desautres. Supposons encore que chacune de ces copies présente 10 fauteset que ces fautes, introduites dans le texte par accident, soientdifférentes dans chaque copie. Si nous ne consultions qu'une seulecopie, il est évident que nous ne remarquerions aucune altérationalors qu'en fait notre texte serait entaché de dix erreurs. Enconsultant deux copies, nous aurions un ensemble de 20 variantes:l'un des deux textes posséderait évidemment la bonne leçon, mais nousn'aurions aucun terme de comparaison pour la relever. Si nousprenions un troisième manuscrit, nous aurions un total de 30variantes, mais deux de nos textes, portant la leçon originale,auraient raison contre la leçon d'un seul texte. En poursuivant cetravail pour l'ensemble de nos 100 manuscrits, nos chances deposséder le texte authentique seraient ainsi de 99. En réalité letravail n'est pas aussi aisé; ce que nous en disons a pour but demontrer que la critique a pour première tâche de traiter lesvariantes par éliminations successives. Et ce travail a été siminutieusement poussé que Westcott et Hort estiment que les 7/8 dutexte néotestamentaire sont désormais hors de contestation. Les règles suivies pour le rétablissement du texte sacré ne sontpas différentes de celles que l'on applique communément aux textesclassiques: Lectio difficilior placet: entre deux leçons,il faut accorder la préférence à celle qui donne un texte plusdifficile; car il est évident que le copiste est tenté de corriger cequi lui paraît mauvais ou obscur. Brevior lectio potior: la leçon la pluscourte doit être préférée à la leçon la plus longue, pour des raisonsidentiques. En général, le premier texte est sobre. Les copistescomplétaient parfois le texte par des gloses marginales, mais il estarrivé que ces commentaires ont passé plus tard dans le texte. Il faut accorder, entre plusieurs leçons, lapriorité à celle qui rend compte des autres, alors qu'elle-même nes'explique pas suffisamment comme une dérivation de ses rivales. La leçon favorable aux orthodoxes doit être tenuepour suspecte, de même que la leçon qui favorise l'idéal monastique.Ex: «Cette espèce (de démons) ne peut être chassée que par laprière» (Mr 9:29). A ce texte les grandes majuscules (S, A, C,D, L), les vieilles versions latines sauf k et la Pechittoajoutent: «et par le jeûne». La critique a rejeté, avec B. ces motsqui sont le fait des préoccupations ascétiques des copistes. Il faut opter pour la leçon dont lescaractéristiques de style et de grammaire s'accordent avec la langueet l'époque de l'auteur. Les variantes sont de deux ordres.Les unes sont accidentelles. (1) Il arrive que le copiste, ensuivant des veux son texte, saute d'un mot à ce même mot reproduitplus loin. Ce phénomène porte en paléographie le nom de homoïoteleuton. M.L. Havet l'appelle «saut du même au même». (2)On sait que la plupart des manuscrits onciaux ne comportent pas desection entre les mots (scriptio continua). Le copiste pouvaitainsi séparer les mots de diverses manières et donner au texte unsens très différent. C'est l'oeil qui est ici coupable, maisl'oreille peut être également induite en erreur lorsque les scribesécrivaient sous la dictée: il y a ainsi homophonie ou ittacisme quand le copiste, trompé par une ressemblanceeuphonique, écrit un mot différent: «Il mit le corps dans le tombeau vide (kénô)» au lieu de «tombeau neuf (kaïnô)» (Mt27:60). D'autres variantes sont intentionnelles ; elles n'ont pastoujours pour origine le parti pris, mais dérivent souvent d'un désirde mieux chez le copiste; certains fragments, destinés à la lecturepublique, ont reçu des adjonctions telles que: «en ce temps-là,etc.». Plus graves sont les variantes qui dérivent d'un soucidogmatique. Dans Jn 1:18: «Personne n'a jamais vu Dieu; le Filsunique est celui qui l'a révélé», le Vaticanus et le Sinaïticusdivinisent le Fils unique en ajoutant le mot Théos (Dieu) sousl'influence du dogme de la divinité de Jésus-Christ. En confrontant l'ensemble des matériaux dont ils disposent, lescritiques ont remarqué que les mêmes variantes se reproduisaient danstoute une série de manuscrits d'âge et de provenance différents; ilfaut donc supposer que ces manuscrits dérivent d'un type commun. Nousne pouvons entrer ici dans le détail d'une théorie extrêmementcompliquée. Westcott-Hort, suivis par Gregory, indiquent comme suitles grandes étapes du texte: Le texte original ou présyrien Le texte improprement nommé occidental (Gregorv l'appelle plus justement texte caméléon), né à Antioched'où, dès avant 200, il passa dans toute la chrétienté en suivant lesroutes commerciales. C'est ainsi qu'on le retrouve en Égypte dans lescitations de Clément d'Alexandrie, à Rome où il a été connu de JustinMartyr, à Lyon où il fut apporté par Irénée, en Afrique dans la Vetus Itala. Le Codex de Bèze est le représentant le plusremarquable de ce texte qui serait plus exactement appelé texte syro-latin à cause de sa large expansion. Toutefois, dans cette période de grande libertétextuelle, un type, dont les représentants sont le Vaticanus (B)et le Sinaïticus (S), se maintient assez pur et mérite pour cetteraison d'être appelé le texte neutre Ce texte neutre, cependant, en séjournant àAlexandrie, fut amendé dans le sens d'une plus grande correctiongrammaticale; ce texte poli est connu sous le nom de textealexandrin. Au début et au milieu du IV e siècle, ce textemultiforme subit deux révisions, à Antioche. La première est celle deLucien d'Antioche (Mort en 312). De ce double travail naquit le texte syriaque, qui devint le texte officiel de l'Église grecque. C'estce texte très adultéré qui servit de base en 1565 à l'édition de Th.de Bèze, laquelle, publiée à nouveau par les frères Elzévir, futacceptée sur le continent comme Textus Receptus (voir plus loin,parag. IV).Un critique allemand, H.F. von Soden, a proposé un systèmeentièrement nouveau. Il reconnaît d'abord un type K (lettre initialedu mot grec koïnè qui désigne la langue du N.T.) qui correspondau texte syriaque et aurait influencé le Vaticanus et le Sinaïticus ; 2° le type H (Hésychius) correspond en gros auxtypes neutre et alexandrin; 3° le type I (Jérusalem), extrêmementlarge, comprend toutes les variétés du type occidental. Ce type,d'origine palestinienne, a été utilisé par Eusèbe de Césarée. Quelest, en conclusion de ces divers types, celui qui mérite lapréférence? Il ne semble pas que l'on puisse énoncer une règlecertaine permettant de reconstituer l' inconnue qui se trouvederrière nos différents types, et cela d'autant moins que cetteinconnue pourrait bien avoir été quelque chose d'assez flottant. Lecritique Nestlé, invité peu de temps avant sa mort (1913) à précisersa position, écrit ceci: «Où est le texte primitif? Westcott-Hortn'ont pas raison de soutenir que le texte de K et de B est le textele plus ancien...Je ne pense pas davantage qu'on puisse le trouverdans le Codex Bezae...Tout d'abord nous devons avant tout étudier lesvieilles versions latines et la version sahidique...En outre, onpourra peut-être établir qu'il se trouve incorporé dans la recensionde Lucien plus de choses anciennes et bonnes que l'on n'avait étéjusqu'ici disposé à l'accepter...En résumé, l'effort des spécialistesdoit porter aujourd'hui sur l'étude des vieilles versions latines etorientales.»IV Les éditions. On peut estimer à plus d'un million les éditions du N.T. grec. Noussignalons les plus importantes. 1° LA PREMIERE EDITION du N.T. grec forme le tome Vde la Bible polyglotte du Cardinal Francisco Ximénès, archevêque deTolède (Mort en 1517). Elle fut imprimée à Alcala (Complutum), d'où son nom: Complutensis. On ne sait pas defaçon certaine quels manuscrits furent utilisés par l'éditeur. 2° ÉDITIONS D'ÉRASME. On doit à Erasme (1469-1536)cinq éditions du N.T., la première faite avec une regrettableprécipitation pour devancer la publication de la Polyglotte d'Alcala,en utilisant surtout deux manuscrits du XI° ou du XII e siècleconservés à Bâle. Érasme, qui ne se faisait pas illusion sur lavaleur de son travail, le reprit et le corrigea dans les éditionssuivantes (1519, 1525, 1527, 1535), sans réussir toutefois à faireune oeuvre véritablement scientifique. 3° ÉDITIONS DES ESTIENNE. Robert Estienne (1503-1559), aidéde son fils Henri (1528-1578), a publié quatre éditions du N.T. grec:1546, 154g, 1550 (édition royale), 1551. Cette dernière comporte,pour la première fois, la division du texte en versets. Ellesreposent toutes sur la Complutensis et les éditions d'Érasmed'une part, sur une quinzaine de manuscrits dont le célèbre D (codex Bezoe) d'autre part. 4° On doit à THEODORE DE BEZE (1519-1605) dix éditions quiont servi de base au texte répandu au XVII° siècle par les Elzévirset qui sera adopté sous le titre: Texte reçu, avec une autoritéinjustifiée qui a fait dire de ce texte: textus receptus sed nonrecipiendus. Bèze ne fait guère que reproduire le texte de R.Estienne dont il ne diffère que dans une trentaine de passages. 5° ÉDITIONS PLANTIN. En 1571, Christophe Plantinimprima dans le V e volume de la Polyglotte d'Anvers un texte grecqui s'accorde surtout avec celui de la Complutensis et celui dela 3 e édition d'Estienne. La 2 e Polyglotte de Paris (1630-33)reproduit le texte de la Polyglotte d'Anvers. 6° ÉDITIONS MODERNES. Ce n'est guère qu'au XIX esiècle que les éditions appliquèrent une véritable méthode critique,fondée sur l'histoire du texte et les relations des diverses famillesentre elles. L'initiateur de la méthode fut incontestablementGriesbach (Mort en 1812). Après lui, les principaux éditeurs furent:Lachmann (Mort en 1851); Tischendorf (Mort en 1874), dont la 9 eédition est sous presse; Tregelles (Mort en 1875); Westcott (Mort en1901); Hort (Mort en 1892); B. Weiss (Mort en 1908); H. von Soden(Mort en 1914); Blass (Mort en 1907); Baljon (Mort en 1908); EberhardNestlé (Mort en 1913). Tischendorf a une prédilection marquée pour le Sinaïticus (S); Westcott, Hort pour le Vaticanus (B); et B.Weiss rejette l'autorité des minuscules. Blass accorde une grandeimportance aux anciennes versions et aux citations. Eberhard Nestlédonne une combinaison des textes établis par les principaux éditeursmodernes. Signalons enfin une excellente édition catholique de H.G.Vogels (Dusseldorf 1920). A. W. d'A.