III Langues. 1. HEBREU. 1° Généralités. Sauf quelques pages, dont nousnous occuperons plus loin, l'A.T, est écrit en hébreu, idiome quiappartient au groupe des langues sémitiques. Ce groupe forme un toutà l'intérieur duquel la parenté des dialectes est si frappante que laquestion se pose de savoir si chacun d'eux s'est créé indépendammentdes autres dès l'origine, ou si tous remontent à un idiome primitifdont ils ne seraient que des dérivés. Cette dernière hypothèse est laplus vraisemblable. Le terme d'hébreu, appliqué à la langue d'Israël, ne serencontre pas dans l'A.T. Dans les trois passages où celui-ci faitallusion à l'idiome parlé en Palestine, il le désigne, Esa19:18, par le terme poétique de «langue de Canaan» (=sephathKena'an), 2Ro 18:26,28 (cf. Esa 36:11,13) et Ne13:24 par celui de «juif» (=yehoudith): à ce moment-là leroyaume du nord a disparu et Juda est seul à représenter le peuple deJacob. Au point de vue ethnologique, les «Hébreux» (voir ce mot) sont,dans l'A.T., les Israélites par opposition aux étrangers, Égyptiens,Philistins, etc., et le mot est employé par les étrangers ou par lesIsraélites eux-mêmes pour se distinguer des étrangers. (cf. Ex21:2) Jamais il ne sert, dans la littérature d'avant l'exil, àdésigner le peuple élu, dont le vrai nom est: Bené-IsraH-- filsou enfants d'Israël. Mais plus tard, pendant la période grecque, levieux terme reparaît et désigne les Juifs dans la bouche desétrangers. C'est à ce fait que la langue de l'A.T, doit de s'appeler«langue hébraïque». On trouve ce mot dans le prologue del'Ecclésiastique (hébraïsti), puis dans la Mischna et dans leN.T., où les mots hébraïs dialekios (Ac 21:40, cf. Jn10:13-30) s'appliquent également à l'hébreu lui-même et à l'araméenque parlait le peuple à ce moment-là. Le terme d'hébreu vientlui-même de l'aram, ebrav, d'où le grec hébraïos et le franc, hébreu (XVI e siècle, hébrieu) L'hébreu n'était probablement pas l'idiome des plus anciennesfamilles israélites. Les chroniques de la Genèse nous montrent dansla tribu abrahamide un groupe araméen que ses migrations amenèrent unjour aux portes de la Palestine et qui finit par s'y installer (cf.De 26:5) en obligeant les habitants à lui faire une place. Cespremiers occupants que nous appelons les Cananéens étaient, euxaussi, des Sémites, établis depuis plusieurs siècles dans cettecontrée où leur civilisation s'était considérablement développée, etqui parlaient un dialecte particulier. C'est ce dialecte que lesenvahisseurs israélites adoptèrent, avec beaucoup d'autres coutumeset traditions, et qui devint leur langue. (cf. Esa 19:18:«langue de Canaan») On a donc parlé hébreu dans ce pays avantl'arrivée d'Israël. Ce fait est confirmé par les documents de Tellel-Amarna (voir art.): les lettres des gouverneurs de Palestine auPharaon, rédigées en babylonien, sont parsemées de gloses cananéennesoù l'on reconnaît sans peine l'idiome qui deviendra deux siècles plustard la langue d'Israël (comp, encore les inscriptions phéniciennesde Byblos). Si, selon Max Muller, les langues sémitiques se rangent aux côtésdes langues indo-européennes dans la subdivision des langues àflexion, c'est à peu près le seul rapport que ces deux groupes ontentre eux: abstraction faite des emprunts réciproques, le vocabulaireest complètement différent, la grammaire et la syntaxe sont d'uneautre structure et l'on ne retrouve pas le même génie à l'origine deces dialectes. Il semble par contre plus facile d'établir un rapport entre notregroupe et celui des idiomes chamitiques du N. de l'Afrique, égyptien,galla, berbère, etc. On a pu relever, dans les deux groupes, deséléments identiques et permanents, ainsi le pronom de la 1 repersonne singulier: hébreu anôki, assyr. anâkou, égypt, anek, copte anok. Mais des différences profondes empêchent depousser trop loin ce rapprochement. Tout au plus, ces constatationsconfèrent-elles quelque vraisemblance à l'hypothèse qui fait venirles Sémites du N. de l'Afrique: aux temps préhistoriques, ces tribusauraient passé en Arabie où un long séjour leur aurait donné leurscaractères distinctifs et d'où, à diverses reprises, leurs flots seseraient déversés sur les contrées voisines dont la richesse excitaitla convoitise des nomades. 2° Lexicographie. Comparé aux trésors deslittératures grecque, latine ou sanscrite, celui de la littératurehébraïque est très exigu: 1.320 pages in- 8° de l'édition Kittelsuffisent à contenir les 30 livres de notre A.T. Il faut y ajouterles quelques chapitres du texte primitif du livre du Siracide(Ecclésiastique), retrouvés en Égypte en 1896, les inscriptions deSiloé, de Mésa roi de Moab et de quelques sceaux et monnaies. Nous neparlons ici que de l'hébreu classique. On peut évaluer à 5.700 environ la somme des mots de l'A.T. Cevocabulaire est remarquablement homogène. La liste des termesétrangers, égyptiens, assyro-babyloniens, persans, grecs, latins ouautres est très courte. En empruntant à Canaan son idiome, Israël sel'est approprié d'une façon particulièrement intime: les vieuxvocables cananéens sont, dans l'A.T., tout chargés de sens israélite.La pauvreté relative du dictionnaire, vide de tout termescientifique, et d'où beaucoup de mots de la langue courante ontdisparu, est rachetée par la qualité des termes: les nombreux mots dela piété et de la vie morale nous révèlent ce qu'il y a de plusoriginal et de plus humain dans l'âme de ce peuple. Les notionsspirituelles ont, en effet, à leur disposition beaucoup de termes quiexpriment toutes les nuances de la puissance et de la sollicitude deDieu, de la crainte et de la confiance, du péché et de la repentance,de la douleur et de l'espérance, de la joie du salut, etc. D'autre part, ce vocabulaire reflète aussi l'existence matérielleet sociale d'Israël: celui-ci habite un pays hérissé de rochers,tailladé de ravins, aride et sauvage, où les ronces offrent uneremarquable variété de types; on a compté jusqu'à 19 mots pourdésigner les épines dans l'A.T.! Le peuple qui hante ces régions estun peuple de bergers et de chasseurs qui a quelque peine,semble-t-il, à se fixer et à devenir cultivateur. Les emprunts aux langues étrangères se multiplient dans ladernière période de la littérature hébraïque, quand les rapports avecles voisins sont plus fréquents et que les colonies juivesextrapalestiniennes, toujours plus considérables, finissent parimposer à leurs frères de Canaan leurs préoccupations, leursconceptions et par conséquent aussi leur vocabulaire. 3° Grammaire. Comme les autres langues sémitiques,l'hébreu se distingue par une abondance de sons gutturaux dont leslettres françaises ont peine à rendre les nuances, puis de sonssifflants. Il se contente cependant de 22 signes, mais ces 22 lettressont toutes des consonnes, qui seules constituent le mot et endéterminent le sens. Les voyelles, d'invention postérieure, nepeuvent que marquer les nuances diverses de ce sens fondamental,distinguer le substantif du verbe, dans ce dernier l'actif du passif,le mode intensif du mode simple, etc. Consonnes et voyelles sont doncinégales en valeur ou en puissance: les premières intéressent lalexicologie, les secondes la grammaire. Autre trait caractéristique des langues sémitiques: ce squeletteconsonantique est presque toujours composé de trois lettres. Le trilittéralisme règne ici en maître, et le phénomène est siconstant que les savants s'efforcent parfois de reconstituer uneracine hypothétique de trois consonnes pour expliquer les mots quisemblent bien avoir eu, dès l'origine, deux lettres ou plus de trois.Il y a, en effet, tout un lot de mots de quatre ou même cinqconsonnes et un bon nombre d'expressions, de prépositions parexemple, qui n'en ont que deux. Tandis que le système des temps est très développé dans leslangues indo-européennes, les langues sémitiques n'en connaissent quedeux, le parfait et l'imparfait, qui ne correspondent pas aux tempsdésignés de cette façon en latin, par exemple, mais présententl'action comme achevée ou comme inachevée dans le passé, le présentou le futur. De là cette singularité que l'imparfait hébreu setraduit le plus souvent et le plus exactement par notre futur. Par contre, les langues sémitiques attachent une importance trèsgrande aux modes de l'action: de là des formes ou conjugaisons nombreuses que peut avoir le même verbe. L'hébreuest déjà plus décanté à cet égard que l'arabe classique oul'éthiopien; il connaît une conjugaison fondamentale et sixconjugaisons dérivées, formées au moyen de particules ajoutées à laracine simple. De cette façon s'expriment le causatif, l'intensif, ledéclaratif, le réfléchi, le réciproque, etc. Tandis que l'arabe littéral possède encore les cas pour lenom, l'hébreu les a perdus: il n'en reste que des traces trèseffacées. Le génitif s'exprime autrement que dans nos languesoccidentales: nous modifions le second terme de l'expressiongénitive, l'hébreu, lui, modifie le premier qu'il considère commesubordonné logiquement au second (état construit) Plus frappante encore est la manière d'exprimerl'adjectif possessif: l'hébreu remplace nos adjectifs mon, ses, votre, etc. par l'expression génitive dans laquelle le second substantif estremplacé par un pronom personnel (ex.: mon cheval =cheval de moi),et ce pronom, abrégé, est accolé au nom sous forme de suffixe(ex.: soûs anî =le cheval de moi, devient soûsî); cf. le grec pater hêmôn =notre Père, litt, père de nous (Mt 6:9 1). Le caractère fortement synthétique de la langue hébraïqueapparaît surtout dans la possibilité qu'elle offre d'accoler à laforme verbale le complément direct qui en dépend, lorsque cecomplément est un pronom personnel; ainsi l'hébreu dira: qetâlanî =il m'a tué. Par contre, il est incapable de former des verbesnouveaux au moyen de prépositions préfixées à une racine simple,procédé dont le grec et le latin font un usage si abondant (ek-balleïn, pro-mittere). Ses noms composés assez nombreux sontsurtout des noms propres, qui forment en réalité une petite phraseréduite à sa plus simple expression (voir Nom, III). 4° Syntaxe. Ici l'hébreu se distingue des autreslangues sémitiques par son indigence, mais ce jugement peut être dûau fait que nous n'avons qu'une minime partie de sa littérature. Lasyntaxe ne connaît que la coordination et le discours direct. Trèsrares sont les cas de subordination. Par contre, la concision de laphrase va parfois jusqu'à l'obscurité; le sens est seulement indiqué,ce qui permet des interprétations diverses et nous oblige, d'autrepart, à employer sept ou huit mots pour rendre trois ou quatre termesde l'hébreu. Ce caractère lapidaire donne à la phrase une forceremarquable et contribue à conserver aux mots une extraordinairevitalité. La concision de la phrase exige une grande liberté pour laposition des termes; l'auteur met à la place qu'il juge la plusfavorable le mot, sujet ou complément, sur lequel il veut attirerl'attention. L'emploi plus libre des temps et des modes permettait dedonner à l'expression des nuances que nous n'apprécionsqu'imparfaitement. Dans sa structure générale, l'hébreu est assez impropre àexprimer une pensée abstraite, à servir de véhicule à un système dephilosophie. Très concrète, avec ses termes qui semblent à peinedétachés des objets qui les ont suggérés, cette langue estadmirablement propre à la narration, à laquelle elle donne unesobriété et une vie puissantes: elle fournit aux poètes et auxprophètes un merveilleux instrument par l'abondance et la plasticitéde ses images. Si les pages de l'A.T, doivent leur célébrité à leurcontenu, la langue dans laquelle elles ont été rédigées a aussipuissamment contribué à leur autorité et à leur action. 5° Écriture. Avec la langue, les Israélites empruntèrentaux Cananéens les caractères dans lesquels elle s'écrivait. Ce nesont pas ceux de nos Bibles actuelles, qu'un Ésaïe, par exemple, nesaurait probablement pas lire! L'alphabet hébreu ancien nous estconservé dans l'inscription de Mésa roi de Moab, et surtout danscelle de Siloé, qui date de l'époque d'Achaz ou d'Ézéchias (VIII esiècle). Il est proche parent des alphabets phénicien et samaritainet se retrouve jusque sur les sceaux et monnaies de l'époque desMacchabées (fig. 168-170). Son origine est encore très discutée. Les Grecs en ont attribuél'invention aux Phéniciens, desquels ils tenaient leur proprealphabet, et ceux-ci s'en sont certainement servi très tôt (cf.l'inscription d'Ahiram de Byblos, d'environ 1300 av. J.-C). Il estplus probable qu'ils en furent les propagateurs et qu'ils le tenaientd'ailleurs, mais non de Babylone, comme le pensait Delitzsch. Eneffet l'alphabet phénicien et hébreu est phonétique, chaque signereprésentant un son. Or, au moment où il s'élabore (2000-1500 av.J.-C), l'écriture cunéiforme est encore nettement idéographique, chaque groupe de coins représentant une idée ou un mot entier. Enoutre l'assyro-babvlonien s'écrit de gauche à droite, le phénicien etl'hébreu, par contre, de droite à gauche. On le croirait plusvolontiers venu d'Egypte car l'égyptien s'écrit, lui aussi, de droiteà gauche et n'a que les consonnes comme l'hébreu; très tôt leshiéroglyphes idéographiques donnèrent naissance à l'écriturehiératique, laquelle est presque phonétique. Cette origine égyptiennesemble confirmée par la découverte des inscriptions du Sinaï (Serabît-el-Khadîm), dont le contenu n'est pas encore exactementdéterminé, mais dont les signes constituent bien une première manièrede l'alphabet sémitique. Les Israélites ont-ils déjà connu cetalphabet dans le désert, avant d'entrer en Canaan, ou bien l'ont-ilsadopté dans ce dernier pays? Il est impossible de se prononcerdéfinitivement sur ce point. Cet alphabet était encore lu par le peuple de Palestine au II esiècle ap. J.-C. Il avait été aussi adopté pour leur langue par lesAraméens, chez lesquels il se modifia, comme en Canaan, et finit parprendre une forme particulière. Dès le V e siècle av. J.-C, l'araméendevenu langue internationale pénétra en Palestine où il fut employéparallèlement à l'hébreu, et, avec la langue, l'écriture araméenne.Celle-ci y subit d'autres modifications et finit par donnerl'écriture dite carrée (appelée aussi écriture assyrienne, celle de nos éditions de la Bible hébraïque) qui supplantadéfinitivement, mais vers le II e siècle de notre ère seulement,l'ancienne écriture hébraïque. Cette substitution étrange au premierabord s'explique de plusieurs manières. Employer pour la Parole deDieu l'écriture qui servait aux usages courants parut aux scribes uneprofanation. Les caractères araméens, plus rares et utilisés pour lesédits royaux sous la domination perse, leur semblaient plus dignes dece rôle. Ensuite les Samaritains ayant gardé, comme nous l'avons vu,l'ancien alphabet pour leurs livres sacrés, les Juifs, qui leshaïssaient cordialement, adoptèrent volontiers une autre écriturepour leurs propres livres. Enfin, dès le II e siècle de notre ère, onattribua l'introduction de cette écriture à Esdras qui l'auraitapportée de Babylone. Cette affirmation, inexacte sous cette forme,exprime pourtant cette vérité que, dès l'époque de ce scribe,c'est-à-dire dès le dernier tiers du V e siècle, on se mit à copierles manuscrits de la Loi avec cet alphabet-là. En tout cas, dès le II e siècle ap. J.-C, les Juifs n'utilisentplus dans leurs livres sacrés que l'écriture carrée, qui est celledes plus anciens manuscrits complets de l'A.T., reproduits par toutesles éditions imprimées de la Bible hébraïque. Voir Écriture. 6° Histoire de la langue et de la littérature hébraïques. Les Israélites adoptèrent très probablement l'hébreu comme idiomenational dès leur conquête de Canaan, et il le resta dix sièclesdurant, soit jusque vers 100 avant notre ère. Dès le IV e sièclesinon plus tôt, il commença à perdre du terrain devant l'araméen,langue du commerce et de la diplomatie. Celui-ci finit par pénétrermême dans le recueil sacré: les livres d'Esdras (IV e siècle) et deDaniel (II e et suivant) renferment chacun un fragment d'unesource araméenne plus ancienne, que le dernier rédacteur a toutsimplement transcrit. Cependant l'hébreu se maintint jusqu'au I ersiècle, et les livres des Macchabées, du Siracide, d'Hénoch, lesPsaumes de Salomon et d'autres dont nous n'avons plus que destraductions ont été rédigés en hébreu; l'ouvrage canonique le plusrécent est celui d'Esther, qui date d'environ 130 av. J.-C. Dès cemoment l'hébreu n'est plus que la langue de l'école et des savants,comme le latin à partir du XVI e siècle. Au temps de Jésus le peuplecomprenait peut-être encore l'hébreu mais parlait l'araméen, et lesscribes se virent obligés de faire suivre la lecture du texte de laLoi et des Prophètes d'une traduction ou paraphrase araméenne (voirLangue parlée par Jésus). Faire une histoire de la langue hébraïque est difficile, d'abordparce que le trésor de la littérature est singulièrement réduit;ensuite parce que l'incertitude règne sur la date de composition deplusieurs de ces livres; enfin et surtout parce que notre A.T., livrede piété et destiné à nourrir la piété, a été sans cesse révisé etadapté aux convictions du jour, de telle sorte que dans chacun desouvrages qui le composent nous retrouvons, à côté des parties trèsanciennes, des fragments plus récents harmonisés tant bien que mal aureste de la composition. En outre, les voyelles de ce texte nous onttransmis la prononciation de l'hébreu tel que les Massorètes laconcevaient d'après une tradition sans doute très rigide, mais qui nepouvait prétendre reproduire la prononciation primitive. Malgré touteleur conscience, le danger d'altération subsistait, preuve en soitjustement l'invention des signes destinés à fixer une fois pourtoutes cette prononciation. Ils ont vocalisé ce texte uniformément,sans s'inquiéter des divergences qui pouvaient avoir distingué, à cetégard, celui d'Ésaïe, par exemple, de celui de 2 Samuel d'une part,des Psaumes d'autre part. Or, cela nous prive d'un élément importantdans la détermination de la date de composition de tel ouvrage, parconséquent aussi de l'état véritable de la langue à une époque donnée. Ainsi s'explique aussi, en partie tout au moins, le phénomènefrappant de l'homogénéité de la langue. Les textes les plusrécents ne diffèrent guère des textes anciens et aucune étudespéciale n'est nécessaire pour aborder la lecture des uns en partantdes autres. Cela ne saurait provenir de l'autorité qu'aurait exercéeen cette matière un ouvrage considéré par tous comme la normeinfaillible. Cette opinion, plausible quand on croyait à lacomposition du Pentateuque par Moïse, n'a plus de valeur aujourd'huique l'on sait que ce monument est lui-même un ouvrage composite oùs'accusent de frappantes divergences de style et de vocabulaire.Cette uniformisation vient sans doute en bonne part de cetteincessante adaptation des textes plus anciens aux besoins religieuxdu jour, à ce rajeunissement constant des vieilles pages dont onvoulait faire goûter toute la puissance d'édification. En donnant àtout le texte de l'A.T, la même vocalisation et la mêmeprononciation, les Massorètes n'ont fait que poursuivre l'oeuvre deleurs devanciers. Cette homogénéité n'est cependant pas absolue au pointd'interdire toute histoire de la langue, mais cette histoire estforcément superficielle. On peut distinguer deux périodes dans la formation et l'évolutionde l'hébreu: (a) Avant l'exil (des origines à 570). Cette période,qui embrasse tout le temps de l'indépendance nationale d'Israël, a vuparaître les ouvrages les plus importants: les documents J, E et D duPentateuque et de Josué, les livres historiques Juges-Rois, Amos,Osée, Ésaïe, Michée, Sophonie, Nahum, Habacuc, Jérémie, Ézéchiel, lesecond Ésaïe, peut-être Abdias, un certain nombre de Psaumes, unepartie des Proverbes. L'âge d'or de cette littérature, à la fin duVIII e siècle, s'incarne en Ésaïe, le plus grand écrivain de l'A.T.La langue de la poésie diffère naturellement de celle de la prose,non seulement par l'emploi de certains termes plus rares, mais aussipar le rythme, par la syntaxe plus concise et par le parallélisme desmembres. (b) Après l'exil (de 570 à l'époque des Macchabées).La langue, encore très pure dans quantité de pages, finit pars'altérer au contact de l'araméen; elle tend à devenir plusanalytique; le complément direct pronominal est moins souvent attachéau verbe sous forme de suffixe; le vav consécutif est moinsemployé, et la simple coordination par vav copulatif plusfréquente. L'orthographe se modifie aussi: elle est plus souvent pleine (emploi fréquent des consonnes semi-vocaliques, assezrares dans l'ancien hébreu dont l'orthographe est défective) Ouvrages de cette période: les fragments les plus récents duPentateuque, document P et successeurs, les livres d'Aggée, Zacharie,Malachie, peut-être Joël; la plus grande partie des Psaumes et desProverbes, Tob, les Chroniques, Esdras, Néhémie, Ruth, Jonas,Lamentations, Cantique, Ecclésiaste, Daniel et Esther, ainsi que lesdernières adjonctions aux livres historiques et aux discours despremiers prophètes. C'est en somme la plus grande partie des Ketoubim, dernière section du canon hébreu. Mais l'hébreu, supplanté dans l'usage quotidien par l'araméen,survécut comme langue de la synagogue et de l'école et futl'instrument d'expression de toute une littérature post-canoniqueconsidérable, dont le principal monument est la Mischna oucommentaire de la Loi, trésor des réflexions des rabbins dès l'époqued'Esdras. La Mischna a été définitivement close au début du III esiècle de notre ère, dans la dernière rédaction faite par R. Juda lePatriarche (Mort en environ 220). C'est aussi la langue descommentaires, ou Midraschim, qui n'ont pas trouvé accès dans laMischna. Cet hébreu-là se fait remarquer par le grand nombre devocables grecs, latins, persans, puis par les modifications infligéesà la grammaire et à la syntaxe: usage plus fréquent du participe, decertaines formes verbales, des prépositions et des conjonctions,terminaison du pluriel en în au lieu de îm, changement desens et parfois de genre des mots, etc. Cet idiome de la Mischna n'est pas du tout un jargon artificiel,production de l'école, mais tout simplement la langue courante desderniers siècles de l'indépendance juive, plus proche, peut-être, del'âme du peuple que le langage classique et plus noble des écritsbibliques. Elle n'a du reste point disparu, et nous assistons,aujourd'hui, à une émouvante tentative de la rétablir comme languevivante en Palestine: les colonies juives installées là-bas cesdernières années parlent hébreu; à l'Université de Jérusalem créée en1922 l'enseignement se donne en hébreu; des journaux paraissent danscet idiome, farci naturellement de mots nouveaux pour exprimer lesnotions et désigner les choses nouvelles, et son trésor littérairegrandit tous les jours. 7° Histoire de l'étude de l'hébreu. En même temps qu'ilécrivait son fameux manuscrit, monument définitif de la sciencemassorétique, Aaron Ben-Asher (X e siècle, voir plus haut) rédigeaitun autre ouvrage que l'on peut considérer comme l'ancêtre de tous leslivres d'étude de l'hébreu, ses Diqdouqé hatte'amîm, ou Règlesgrammaticales des accents: c'est déjà presque une grammaire. Dans lesoeuvres de son contemporain et coreligionnaire Saadja, la grammairehébraïque s'affranchit de la massore et devient une scienceindépendante. Nouveau progrès dans les travaux de R. Juda Khayyoudj(Cordoue, fin du X e siècle), dont les remarques sur les formesverbales et les lois qui les régissent, surtout dans les verbes«faibles», sont encore mises à contribution aujourd'hui. Ces deuxderniers savants ont rédigé leurs écrits en arabe. Par contre,Aben-Ezra (Mort en 1167) écrivit en hébreu une grammaire originale,quoiqu'on sente chez lui l'influence des savants arabes. La sciencephilologique hébraïque doit beaucoup à la famille des Kimchi, dont lereprésentant le plus illustre, David Kimchi (Mort en 1235), écrivitune grammaire et un dictionnaire devenus classiques. Au XV e siècle, sous l'impulsion de la Renaissance, l'étude del'hébreu entre dans une nouvelle période: ce ne sont plus seulementles savants juifs qui s'y adonnent mais aussi les chrétiens. Ilconvient de rappeler ici le nom et l'oeuvre d'Élie Levita (mort en1549), qui forme en quelque sorte la transition entre lesgrammairiens de la synagogue et ceux de l'Église. Le vrai père de la philologie hébraïque moderne est JeanReuchlin, dont les Rudimenta linguoe hebraïcoe parurent en 1506.Nous lui devons la prononciation de l'hébreu usuelle chez leschrétiens, celle des Juifs espagnols et portugais, assez différentede celle des Juifs allemands et polonais (qui prononcent, par ex., chôlaoum ou chôloyini au lieu de châlom =paix).Cependant ses travaux, comme ceux de Pellican, de Munster etd'autres, reproduisent sans grandes innovations les résultats desétudes des rabbins; le dernier représentant de cette période est JeanBuxtorf le père, mort à Bâle en 1629. Dès le XVII° siècle, la sciencechrétienne s'affranchit de cette tradition, dans les travauxd'Erpenius, Louis de Dieu, Louis Cappel au XVII e siècle, deMichaëlis, Schultens, Schröder, etc. au XVIII e siècle. Au XIX e siècle, de nouvelles méthodes lui font faire d'énormesprogrès. Le maître le plus illustre dans ce domaine est sanscontredit W. Gesenius (Mort en 1842), qui publia en 1813 unegrammaire hébraïque dont 28 éditions rajeunies chaque fois par l'unou l'autre des maîtres de cette science se sont succédé jusqu'àmaintenant: la 29 e, refondue à son tour, était en cours depublication en 1930. Gesenius employait hardiment la méthodecomparative qui lui permettait d'éclairer les phénomèneslexicographiques et grammaticaux de l'hébreu par ceux des idiomesparents, arabe, araméen, syriaque, etc., en attendant les révélationsde l'assyro-babylonien. H. Ewald (Mort en 1875) ramenait tout lematériel linguistique à des lois qu'il s'efforçait d'expliquer defaçon rationnelle, cependant que son contemporain J. Olshausenexpliquait les mots et les formes de l'hébreu par un dialectesémitique primitif qu'il tâchait de reconstituer. Dans sa grammaireparue en 1879, B. Stade combine ingénieusement les méthodes d'Ewaldet d'Olshausen. Il faut encore mentionner l'ouvrage de proportionsmonumentales d'E. König, dont la valeur est moins grande que ne leferait espérer l'étendue des matériaux accumulés. La dernière étape dans ce domaine est marquée, dans la scienceallemande, par la Grammaire historique de la langue hébraïque deBauer et Liander (1re p., 1922), dont les aperçus ingénieux demandentpourtant à être confirmés par de nouvelles recherches. Ouvragesfrançais: Gramm. hébraïque de S. Preiswerk, Genève 1838,4° ed. 1884; de J. Touzard, Paris 1905; de Strack, trad.Baumgartner.--Dictionnaires: celui de GESENIUS, paru d'abord en latinpuis en allemand, 16° éd. 1915, est l'ouvrage classiqueindispensable. En anglais, le Hebrew and English Lexicon of theO.T. d'Oxford (1907). 2. ARAMEEN. 1° textes araméens de la Bible sont depetite étendue; en voici la liste: Ge 31:47 (deux mots), Jer10:11 (un verset), Esd 4:8-6:18 7:12-26, et Da 2:4-7:2 etsuivant. La présence de ces documents s'explique par l'importancequ'avait prise l'araméen en Orient dès le V e siècle av. J.-C. Ilpénétra dans tous les pays de l'Asie Antérieure, supplantal'assyro-babylonien, devint la langue internationale et, après laconquête perse, l'idiome des rapports officiels entre les nouveauxmaîtres et leurs provinces de l'ouest. Bon gré, mal gré, les Juifsdurent s'en servir pour leurs rapports avec leurs voisins; d'autrepart, l'habitude de beaucoup des leurs de parler araméen à leurretour de Babylone contribua sans doute à accréditer ce dialecte enPalestine, et l'autorité d'Esdras en consacra l'usage pour larédaction de quelques pages de la Bible. L'araméen, parlé des confins de la Perse aux bords du Nil et desoasis de l'Arabie aux plateaux de l'Asie Mineure, ne tarda pas à semodifier suivant les pays où il était en usage. Il se subdivise endeux grands rameaux: (a) Celui de l'est, c'est-à-dire de la vallée del'Euphrate, de la Mésopotamie supérieure avec Edesse comme centre deculture: c'est le syriaque, déjà langue littéraire avantl'apparition du christianisme, mais dont toute la littératureaujourd'hui conservée est d'inspiration chrétienne. Son importanceréside pour nous en ce qu'il nous a donné la traduction appeléePeshîto (voir plus haut), de la fin du II e siècle de notre ère.C'est également à l'araméen de l'est que se rattachent le dialecte dela Gemara de Babylone (ou Talmud de Babylone), rédigée au V e siècle,et celui des Mandéens (voir ce mot), gnostiques de Mésopotamie. (b) L'autre rameau, celui de l'ouest, estreprésenté par une littérature moins considérable mais de grandintérêt pour nous, parce qu'elle comprend les fragments de l'A.T,dont nous venons de parler, puis les livres religieux des chrétiensde Palestine, où nous trouvons un écho de la langue même de Jésus;les écrits des Samaritains; les Targums ou paraphrases du textehébreu de l'A.T., ainsi que la Gemara ou Talmud de Palestine. Lesplus anciens documents en cette langue sont probablement lesinscriptions de Sendjirli (N.-O, de la Syrie), du VIII° siècle av.J.-C, mais l'araméen de ces vieux textes est antérieur à la formationdes dialectes de l'est et de l'ouest. Fait intéressant, jusqu'à ces dernières années l'araméen s'étaitmaintenu dans le dialecte de quelques tribus des environs de Mossoulet des montagnes du Kourdistan, dans le voisinage du lac d'Ourmiah etdans le Liban. Les bouleversements ethnographiques consécutifs à laguerre risquent d'être funestes à ces témoins d'un lointain passé. 2° Traits caractéristiques de l'araméen. Comparéà l'hébreu au point de vue de la forme et de la sonorité, cet idiomeparaît assez nettement inférieur; on y constate un assourdissementprononcé: des voyelles disparaissent qui donnaient à l'hébreu unerésonance caractéristique. La langue s'éclaircit, certaines formesnominales et verbales tombent en désuétude et la déclinaison comme laconjugaison se simplifient. La syntaxe est rendue plus aisée parl'emploi abondant des particules, et cette souplesse permet àl'araméen de serrer la pensée de plus près, mais il perd en concisionce qu'il gagne en netteté. On a longtemps considéré cette pauvreté relative de l'araméencomme une preuve de la priorité de cette langue, qui serait ainsil'idiome primitif dont l'hébreu présenterait un stade dedéveloppement plus avancé. C'est bien plutôt le contraire qui estvrai, et une langue décantée telle qu'apparaît l'araméen révèle parlà même un long passé et un long frottement avec d'autres idiomes demême origine ou d'origine étrangère. L'araméen de la Bible offre une ressemblance assez frappante avecl'hébreu, et l'on a parlé à ce propos de ses nombreux hébraismes Ce phénomène n'aurait rien de surprenant dans un livre presqueentièrement écrit en hébreu. Il semble toutefois que nous ayons làbien plutôt des tournures archaïques remontant à la langue uniqueprimitive et que notre araméen biblique soit un idiome plus pur qu'onn'était tenté de le croire. Disons encore un mot du nom de cette langue. Elle estdésignée expressément Esd 4:8,Da 2:4 par le mot aramith (adj. ou adv.). Seulement, comme le discours ainsi reproduit estplacé (Da 2:4) dans la bouche des Caldéens, on en concluaitprématurément que cette langue «araméenne» était celle des Caldéens,c'est-à-dire des habitants de la Caldée; et comme ce dernier paysétait plus connu et que ses habitants avaient joué un rôle plusconsidérable dans l'histoire d'Israël que les tribus araméennes,c'est ce nom de caldéen qui prévalut, à tort du reste, de l'aveumême du passage invoqué pour confirmer cette appellation. L'usage estmaintenant établi parmi les savants de n'employer, pour désigner cetidiome, que l'appellation l'araméen L'abréviation T.M., employée au cours de cet article, désigne letexte massorétique de l'A.T., défini dans I, 4° et 6°Voir Bible, Critique, etc. E. G.