TEXTE ET VERSIONS DE L'ANCIEN TESTAMENT (1.)

I Texte. 1. DESCRIPTION DU TEXTE DU L'A.T. Comme nos Bibles modernes, l'A.T, hébreu a 39livres, mais l'ordre de ces livres n'est pas le même. Le canon grec(et latin) les répartit d'après le contenu matériel et groupe ceuxqui renferment l'histoire d'Israël, puis ceux de ses poètes et enfinde ses prophètes. Le canon juif s'est formé d'abord des ouvragesauxquels la tradition attribuait une valeur spéciale et auxquels elledonnait Moïse comme auteur (la thora) ; puis des ouvrages quiretraçaient l'histoire glorieuse du peuple jusqu'à la catastrophe de586, mais en se plaçant à un point de vue religieux et parénétique(Prophètes de la première série ou nebiyim richônim: Jos Jug.,Sam. et Rois), que suivaient immédiatement les visions et discoursdes grands serviteurs de Dieu (Prophètes de la deuxième série, nebivim akharônim, nos «prophètes» proprement dits); enfin d'unecollection d'ouvrages divers qui constituent les ketoubim ou«écrits» (appelés aussi parfois «hagiographes» [v. ce mot]), dont lavaleur religieuse et morale est très inégale: tandis que les livresdes Psaumes ou de Job nous ont conservé les accents les plus vibrantset les plus profonds de l'âme israélite en rapport avec Dieu, leCantique des Cantiques n'est qu'un chant d'amour fort beau, mais d'oùl'idée proprement religieuse est absente, et le livre d'Esther estune brochure nationaliste destinée à donner une satisfaction assezplatonique à la soif de vengeance des Juifs. Ce sont ces «écrits» quele canon grec a répartis parmi les autres livres de l'A.T.,assimilant, d'après le contenu, les livres des Chroniques à ceux desRois, celui de Ruth aux récits de l'époque des Juges, celui desLamentations aux plaintes de Jérémie, celui de Daniel aux prophètes,etc. (voir Canon de l'A.T.). Ces 39 livres comptent, dans la Bible hébraïque, 929 chapitres oumorceaux de longueur très inégale, répartis en quelque 23.200 versets(d'après Kittel, exactement 23.210; d'après la Massore [v. plus loin,4°], seulement 23.100). Un grand caprice règne dans la division de cetexte: tel chapitre compte jusqu'à 70 versets et tel autre, dans lemême livre, 10 ou 20, parfois moins, et cela sans raison apparente.Même inégalité dans la longueur des versets, parfois très courts,dans la première partie du livre des Chroniques, parfois très longsdans la seconde. A côté de cette division en versets, les Bibleshébraïques ordinaires en offrent une autre, plus ancienne, enfragments plus étendus, appelés paraches (hébreu parachâh, plur, parchvvôth). Ces paraches sont marquées par les lettres Pou S, initiales des mots petoukhâth =ouvertes, et seihou-môih =fermées: en tête de la parache «ouverte» onlaissait la ligne précédente inachevée ou même complètement en blanc;en tète des «fermées» on se contentait de laisser un intervalle pourrecommencer la nouvelle parache à la fin de la même ligne, parce quele contenu de la nouvelle subdivision se rapprochait de celui de laprécédente plus que ce n'était le cas pour une parache ouverte. Cettedivision s'étendait primitivement à tout l'A.T., mais l'usage s'enest perdu peu à peu pour les Prophètes et les Écrits; par contre ils'est maintenu dans la Loi, où il y en a 669, de longueur trèsvariable. Cette division n'est pas la seule, au moins pour la Loi. Elleavait son origine naturelle dans la nécessité de se retrouver plusfacilement dans les textes et d'indiquer au lecteur les points oùcommençait un nouveau morceau. Une autre division plus récente a uneorigine liturgique et cultuelle. Après la disparition du temple, laLoi devint l'objet sacré par excellence, le centre des préoccupationset du culte. Il importait donc de la lire intégralement au coursd'une année. A cet effet, on en divisa les cinq portions en 54grandes paraches, dont chacune embrassait plusieurs des parachesanciennes: le calendrier religieux, fondé sur l'année lunaire de 354jours, compte assez exactement 50 sabbats. Pour rétablir l'accordavec les saisons on intercalait tous les trois ans un13° mois, pour les quatre sabbats duquel il fallait aussi desparaches; de là ce chiffre de 54. Aucune d'entre elles ne chevauchesur deux livres du Pentateuque; et chacune porte un nom fourni engénéral par le premier mot marquant du premier verset. Ces grandesparaches sont marquées dans les Bibles hébraïques par les lettres Pou S trois fois répétées. Cela ne concerne que le texte de la Thora, dontla lecture intégrale est ainsi assurée au cours d'une année. Il enest autrement pour le reste de l'A.T. A chacune des paraches de laThora correspondait une portion à lire tirée des Prophètes et appelée haphtare (hébreu haphtarah =section); il y en a donc aussi 54(sans compter les portions spéciales pour les jours de fête en dehorsdes sabbats), découpées dans le texte des Nebiyim, et l'ons'étonne que les rabbins aient porté leur choix sur l'oracle assezinsignifiant d'Abdias et sur le livre de Jonas, qu'ils aient tiré 19 haphtares du livre des Rois et seulement 18 d'Ésaïe, 13d'Ézéchiel et 10 de Jérémie. Ajoutons qu'à chacune des grandessolennités on lisait un des cinq «Rouleaux»: à la Pâque, le Cantique;à la fête des Semaines, Ru; au 9 ab (prise de Jérusalem), lesLamentations; à la fête des Tabernacles, l'Ecclésiaste; à la fête dePurim, Esther. En outre les Psaumes étaient utilisés pour le chantdans le culte. A part cela, des portions entières du texte bibliquen'étaient jamais lues au culte de la synagogue, et, chose étrange, nile livre de Job, par exemple, ni celui des Proverbes n'ont fournid'élément pour l'une quelconque des solennités de l'année religieusejuive. Ce choix n'a sans doute pas été fixé irrévocablement dès lepremier jour: pendant longtemps une certaine liberté fut laissée pourcela aux lecteurs. (cf. Lu 4:17,Ac 13:15,27) Ce texte ainsi divisé est écrit en caractèreshébreux dits «carrés», araméens. Seul le texte consonantique provientde l'auteur primitif ou de ceux qui ont rédigé plus tard, d'après lesouvrages originaux, les livres que nous possédons maintenant. Ceslettres «carrées» sont toujours indépendantes les unes des autres, etaucune ligature ne permet d'écrire un mot hébreu d'un seul trait deplume. Elles ne changent donc pas de forme suivant la place qu'ellesoccupent, sauf cinq d'entre elles qui s'écrivent un peu autrementlorsqu'elles sont à la fin d'un mot (lettres «finales»);voir Écriture[tableau, parag. III]. Ces consonnes sont aujourd'hui, dans tous les manuscrits etéditions de la Bible hébraïque, pourvues de signes dont quelques-unsreprésentent les voyelles, le reste indiquant la ponctuationproprement dite, c'est-à-dire la répartition de ces mots en phraseset membres de phrase, la place de l'accent tonique et, donc, lamanière traditionnelle et rituelle de lire le texte sacré. Quant aux titres de ces livres, ils sont très postérieurs;leur introduction est due à la nécessité d'établir des divisions dansce trésor touffu de la littérature, pour que les lecteurs pussent s'yretrouver. C'est la valeur qu'ils ont de nouveau pour nousaujourd'hui, mais pendant longtemps on y a cherché le nom del'auteur, à tort le plus souvent, comme le prouve un fait toutextérieur: Samuel, mort pendant le règne de Saül, ne saurait avoirété l'historiographe du règne de David, comme le laisse entendrel'indication «2 Samuel», titre du recueil des faits et gestes dugrand roi. Il en est un peu autrement pour les prophètes proprementdits: les livres de Jér., d'Ezechiel ou d'Amos sont composés presqueexclusivement des discours de ces hommes; d'autres, par contre, commeceux d'Ésaïe ou de Zacharie, sont plutôt des anthologies où, à côtéde pages rédigées incontestablement par ces prophètes, se trouventdes fragments de discours prononcés à d'autres époques mais réunisdans le recueil qui portait comme devise le nom de ces serviteurs deDieu. 2. HISTOIRE DU TEXTE DE L'A.T. 1° Préliminaires. Ce texte des écrits de l'A.T, ne nous est pas parvenu tel quel dela main des auteurs qui l'ont rédigé il y a 25 ou 30 siècles; il asubi maintes transformations, comme tous les textes célèbres auxquelsles contemporains et la postérité attachent une valeur particulière.Les nombreuses reproductions et citations de ces textes ne sont pasfaites, dans les temps anciens, avec la seule préoccupation de lestranscrire scrupuleusement et de les conserver: des raisons d'intérêtdogmatique, politique, religieux ou moral président à cesreproductions, et les scribes n'hésitent guère à faire dire auxtextes parfois autre chose que ce que l'auteur primitif entendait.Cela s'est produit pour l'A.T, dans une mesure très regrettable dupoint de vue de l'historiographie moderne; mais ces altérations, quiprouvent l'importance qu'on attachait à ce texte et l'autorité qu'onlui reconnaissait, sont un hommage inconscient et touchant à larévélation dont l'auteur avait été l'objet de la part de Dieu. Pourmesurer l'ampleur du phénomène, il faut se souvenir que le texte del'A.T, a fini par être considéré par les rabbins comme sorti toutentier et tel quel de la main même de Dieu et inspiré dans sesmoindres détails, et que cette doctrine-là a été la cause de lagrande controverse qui agita les Églises réformées au XVII° siècle:défendue avec acharnement par les grands érudits bâlois Jean Buxtorf,père et fils (de 1590 à 1660 environ), elle était battue en brèchepar d'autres savants, par le catholique Jean Morin qui s'efforçaitd'ébranler ainsi le dogme de l'infaillibilité de l'Écriture,forteresse des protestants, et par le réformé Louis Cappel(1585-1658), préoccupé de rechercher la seule vérité. Nous pouvonsainsi nous faire une idée de ce qu'ont été, dans les temps plusanciens, les luttes relatives à ce même texte, et quelles atteintesil a subies de ce fait. Il ressort, en tout cas, de cettecontroverse-là et d'autres postérieures, qu'il y a une histoire dutexte de l'A.T, et que cette histoire a été fort mouvementée: il aété soumis, au cours des siècles, à mille manipulations qui l'ontsouvent altéré d'irrémédiable façon. On peut distinguer, dans cette lente élaboration, plusieursétapes que nous allons examiner rapidement. 2° De l'apparition des ouvrages à leur canonisation. L'histoire du texte de l'A.T, devrait commencer par l'histoiredes livres eux-mêmes, car on n'en peut comprendre les tribulationsque si l'on sait comment sont nées les oeuvres qu'il perpétue. A cet égard, nous sommes des plus mal renseignés, à cause ducaractère anonyme de la plupart des livres bibliques. Ces oeuvres, sorties un jour dans leur forme embryonnaire del'imagination des bardes populaires, ont été enregistrées d'abord parla mémoire de leurs auditeurs, et c'est la parole humaine qui a étéle premier véhicule de ces chansons de geste, de ces sentences dedevins ou de ces harangues d'inspirés. Cette tradition orale ne nousdit pas grand'chose sur l'origine de ces oeuvres: la rédactionprimitive a été très tôt et involontairement amplifiée, et lorsque lecycle de récits ou de sentences s'établit définitivement, cettesource primitive est oubliée; seul un nom a peut-être survécu; oubien la légende s'emparera de ce nom et brodera autour ses arabesquesfantastiques; ou encore cette explication de la naissance anonymed'une oeuvre étant insuffisante et incompréhensible, la traditionn'hésitera pas à créer de toutes pièces cet auteur et à lui fairehommage de l'oeuvre; mais ces indications qui reposent sur delointaines données ne sauraient nous être de grande utilité parce quela parcelle de vérité qu'elles renferment, noyée sous desdéveloppements, ne peut guère être exactement dégagée. Cette tradition orale est plus fidèle que nous ne le croyons,grâce à l'excellente mémoire de ces lointains troubadours. Cependantles innombrables répétitions de ces mêmes textes devaient forcément yamener des modifications. Celles-ci sont d'autant plus probablesqu'un élément particulier entrait ici en ligne de compte et dominaittout le phénomène: celui de la piété. 11 ne s'agissait pas d'un textesimplement pittoresque ou harmonieux, mais d'un texte religieux à laconfection duquel la divinité elle-même avait eu une part et que l'oncroyait capable d'agir sur elle; raison non d'esthétique mais de vieet de sécurité: le texte devait être modifié de façon à répondre auxexigences de cette piété primitive. Il est difficile de dire jusqu'à quel point ce fait-là acontribué à l'élaboration de nos livres et de l'écriture qui devaitles fixer et les transmettre aux générations futures, mais le facteurreligieux a été sans doute un des plus actifs dans leperfectionnement de ce dernier moyen. Les textes d'abord transmisoralement furent peu à peu écrits et ainsi arrêtés dans leurflottement. Pour les plus anciens cette rédaction se fit longtempsaprès la mort de l'auteur, dont l'oeuvre était du domaine public, etpar conséquent exposée à être modifiée suivant le caprice du ou desrédacteurs. Pour les plus récents, par exemple pour les prophètes,l'auteur a probablement fait à un moment donné une sorte de résumédes révélations dont il avait été l'objet et des harangues prononcéesen diverses occasions. Ainsi s'explique le plus naturellement laforme actuelle de nos livres prophétiques, l'incohérence et labrièveté de leurs apostrophes: ils en fixaient les paroles les plusfrappantes et les mieux destinées, pensaient-ils, à préciser lavolonté de Dieu. Dans ce cas, l'intégrité du texte primitif étaitmieux assurée et l'on pouvait se flatter d'avoir les ipsissimaverba de l'auteur. Cependant, nous le voyons par l'A.T., cettecirconstance favorable ne mettait pas le texte à l'abri de toutemodification ou de toute adjonction. Ces textes étaient écrits sur des peaux d'animaux convenablementpréparées, peut-être sur des feuilles de papyrus, comme en Egypte.Ces peaux, sur lesquelles on écrivait avec un roseau appointé(êt) trempé dans de l'encre (dey ô), formaient des rouleaux (megillah, plur, megillôth, Jer 36:14 et suivants).Les copies de ces textes étaient forcément peu nombreuses et faitesen vue de la lecture en public: aussi bien ceux qui pouvaient leslire étaient-ils en petit nombre. La rédaction primitive en Israël se fit en caractères proprementhébreux ou cananéens, comme ceux des inscriptions de Siloé ou deMésa, roi de Moab. Dans ces deux textes-ci, les mots sont séparés parun point ou un trait, séparation qui est sans doute passée dans lestextes écrits à la plume. Cet usage ne semble pas avoir été constant:les LXX ont assez souvent une autre division des mots que le TexteMassorétique (voir ci-dessous, 4°); la lettre finale d'un mot dans leT.M., par exemple, est initiale du mot suivant dans le texte grec, ouvice versa. C'est là naturellement une nouvelle cause de variations. Ce n'est pas tout: à cette époque le texte de l'A.T, n'avaitaucune voyelle. Seuls les sons longs â, é, î, où étaient indiquéspar les lettres qui, selon le génie de la langue, leur étaientapparentées, ainsi le aleph à â, le yod à é ou î, le vav à ô ou où. Ces lettres sont de véritables consonnes,mais elles tendent à devenir des voyelles (cf. en français le rapportd'y à i). On pouvait ainsi voir du premier coup d'oeil où se trouvaitune syllabe avec â ou î ou oû, mais c'était tout. Tant que lalangue était parlée, le danger de cette imperfection était minime. Ilsubsistait pourtant, et mainte faute de texte vient certainement delà. On s'en rendait compte, du reste, comme le prouve lamultiplication, dans les écrits postérieurs, de ces consonnessemi-voca-liques ou maires lectioms Ces écrits vivaient dans l'âme et dans la piété des fidèles; onen usait non pas comme d'oeuvres littéraires mais comme de livresd'édification que l'on mettait au point au fur et à mesure del'évolution religieuse et de la ré\élation. Nous avons une preuve deces transformations dans les divergences qui existent entre lesdoublets, c'est-à-dire entre les fragments de narrations ou de chantsqui nous ont été conservés en deux recensions. L'histoire de Davidd'après les Chr. 11'est pas la même que celle que nous raconte le 2 elivre de Samuel; le Ps 18 et 2Sa 22, deux éditions du mêmechant, ne sont pas identiques, etc. Il n'y a pas altérationconsciente et, si l'on ose dire, frauduleuse de la part de l'éditeurle plus récent, il y a adaptation ou réajustement des faits anciens àla mentalité religieuse et morale plus récente, interprétationtendancieuse sans doute mais loyale de l'histoire d'Israël, doncpréoccupation religieuse; et cette altération des faits nous permetde nous imaginer ce qu'a été aussi l'altération du texte lui-même,transmis avec grand respect mais avec quelque inhabileté. Voilà, sansdoute, la source de beaucoup d'erreurs du T.M. (texte massorétique)actuel. 3° De la canonisation des ouvrages à la clôture du Talmud. Dans ces livres d'édification constamment mis au point nousavons des narrations très anciennes, celles des sources yahviste, du IX e siècle environ, et élohiste (VIII e siècle), dont l'école deutéro-nomiste (VII e VI e siècle) a fait une nouvellerédaction sous l'influence de l'esprit prophétique, en attendant quel'école sacerdotale (VI e V e siècle) reprît à son tour lavieille matière et rédigeât une histoire des origines oùtransparaissent l'esprit et les préoccupations de la castesacerdotale postexilique de Jérusalem (voir Sources). C'est avec lemême souci que furent faites de nouvelles éditions des prophétiesd'Amos, d'Es., de Jér., de Zach., etc., avec les adjonctions que nousy rencontrons (V e IV e siècle). Ce phénomène entraîna sans doute denombreuses altérations du texte. D'autre part, nous trouvons un correctif à ce courant-là dans lerespect que ces textes finirent par imposer, dans le soin que l'onmit dès lors à leur conservation et à leur transmission à lapostérité, afin que leur autorité de témoins des plus anciens tempsde la révélation fût indiscutée. Nous pouvons ainsi croire à leurpréservation relative mais tout de même remarquable, car le mêmemobile profond de piété inspirait ces deux mouvements en apparencecontradictoires. Un phénomène qui est, du reste, l'aboutissement assez naturel dece travail de conservation allait lui donner toute sa valeur: lacanonisation du texte Parmi les causes multiples de ce fait, la plus apparente, sinonla plus immédiate, fut incontestablement la catastrophe de 586 oùdisparut d'un coup tout l'appareil extérieur, matériel et, aux yeuxde la majorité, indispensable de la piété ancestrale: l'État consacrépar Dieu lui-même en la personne de David; le culte dont JHVH avaitfixé les normes à Moïse; le temple enfin, pied-à-terre de JHVH, où samajesté se manifestait et sans lequel il n'aurait pas été vraimentprésent parmi ses adorateurs. Ce fut un désastre religieux plusencore que politique ou national, un effondrement pour nombre d'âmes.Mais ce lut aussi, chez les meilleurs, après le premier moment destupeur, l'obligation de chercher un secours pour les coeursdésemparés. C'est là que les prophètes sauvèrent l'âme d'Israël et sareligion. Ayant annoncé, au nom des exigences morales de JHVH, lemalheur qui frapperait Juda si celui-ci ne s'amendait pas, ils nefurent pas surpris par l'événement et purent fournir aux âmes lerefuge qu'elles cherchaient; ce refuge, ce fut le texte des oraclesde Dieu, des récits de son intervention dans l'histoire, preuveéclatante de sa sollicitude pour le peuple, des discours de sesserviteurs qui affirmaient avec une si sûre énergie tenir leurmission de Lui et qui ne cessaient de couvrir leurs affirmations decette sentence: «Ainsi a dit JHVH.» La Loi devient le refuge, carelle va fixer souverainement la conduite du peuple repentant et ainsile sauver; elle est le trésor désormais impérissable: on détruit untemple mais non un livre; on supprime un État mais non une religion,une tradition morale, une piété. Israël était jusque-là le peuple du temple ; il devient le peuple du livre De là l'impérieuse nécessité de fixer ces textes d'une façondéfinitive. Ils dépendaient jadis de la piété, nous avons vu dansquel sens; désormais c'est cette piété qui dépend d'eux et, plus quecela, la vie même d'Israël dont ils sont la sauvegarde; et lesprophètes qui ont si courageusement averti le peuple lui promettentmaintenant, avec non moins d'énergie, le relèvement, conséquencecertaine de l'obéissance à cette Loi. Bien mieux: les effets de cettenouvelle victoire s'étendront loin au delà des limites de l'ancienneéconomie, le champ d'action de JHVH c'est désormais le monde, etIsraël est le premier-né des nations, auquel l'hégémonie est réservée. On ne pouvait donc vouer trop de soins à la préservation d'unematière aussi précieuse. Ce besoin se fit sentir tout d'abord enBabylonie, parmi les exilés qui constituaient l'élite de la nation,auxquels tout manquait à la fois et que menaçait le dangerd'absorption par le milieu étranger. Nous n'avons malheureusement sur ces faits que des donnéesindirectes, vagues et incomplètes. Il fallait tout d'abord déterminer quels ouvrages étaient dignesde constituer le code définitif de la religion israélite. Aucuneautorité n'existait qui pût imposer son choix; la piété entouraittous ces écrits d'une grande vénération, mais elle ne pouvait êtred'emblée unanime dans l'appréciation de leur valeur; l'élémentpersonnel jouant un rôle considérable, les divergences étaientd'autant plus profondes que la renommée d'un écrit était plus grande;et les luttes n'ont pas été moins vives au lendemain de la ruine del'État juif que plus tard. Ce travail de choix a été fort long, et lacanonisation de nos livres de l'A.T., au contraire de ce qu'onpourrait croire, ne s'est achevée que sept siècles après lacatastrophe de 586. Elle ne s'est pas faite au même rythme pour toutle recueil: les trois parties qui le composent aujourd'hui ont euchacune leur histoire à cet égard. (a) C'est au cours du VI e siècle que s'élaborèrentpeu à peu les ouvrages historico-législatifs, par la fusion dessources yahviste (J) et élohiste (E) avec le document deutéronomiste(D). Vers le commencement du V° siècle, cet ouvrage composite estincorporé, avec de regrettables mutilations, au document sacerdotal(P) et, vers 430, Esdras apporte de Babylone à Jérusalem le nouveaucode religieux, le Pentateuque (voir ce mot), à peu près tel quenous l'avons aujourd'hui. Les modifications et adjonctionspostérieures, de peu d'étendue du reste, ne changeront rien à sonesprit. Cette consécration se fit sans doute avec le plus grandrespect pour le texte désormais sacré et une application sans égaledans la reproduction intégrale de ces pages. Cependant la piété mêmedes canonisateurs de la Thora, Esdras et Néhémie, et leur désir d'enfaire le livre exclusif de la religion de leurs frères devaient lesamener involontairement à certaines modifications de détail, à uneprésentation des choses du passé qui répondait exactement à leurspréoccupations, mais qui n'était pas tout à fait celle des auteursprimitifs. De là des altérations du texte que nous ne pouvons plusdépister, qui ne furent pas nombreuses mais qui ne sont pas sansexemple dans le texte massorétique. Un phénomène assez grave devait contribuer à cette altérationinvolontaire: c'est l'introduction en Israël de l'écriture carrée (appelée aussi écriture assyrienne), d'origine proprementaraméenne. Cette transformation ne fut pas affaire de mode oud'esthétique: une inspiration religieuse y présida. Ce texte sacrésemblait insuffisamment respecté si on l'écrivait avec les mêmeslettres que celles des contrats de la vie ordinaire. En outre lesSamaritains, dont la communauté rivale se constituait précisément àcette heure-là, se servaient de ces lettres antiques pour leurPentateuque! Raison de plus, à Jérusalem, pour adopter une écriturenouvelle, déjà connue cependant. Peut-être aussi Esdras, accoutumé àse servir de ces caractères-là plus que de l'écriture ancienne,profita-t-il de cette circonstance pour les introduire avec laréforme religieuse et morale: à ce redressement des coutumesreligieuses correspond, en la soulignant, la réforme de latranscription du texte de la Loi. Cette écriture ne supplanta dureste que peu à peu la vieille écriture hébraïque. Mais ce phénomène ne pouvait guère se produire sans que le textelui-même en souffrît; nous ne pouvons malheureusement dire dansquelle mesure. Elle a dû être appréciable malgré la conscience descopistes. (b) La canonisation de la 2 e partie du canon juif,les «Prophètes», s'opéra aux IV e et III e siècle, sans que nouspuissions en suivre les étapes mieux que celles de la canonisation dela Loi. Ici encore le mobile de la piété agit avec puissance. C'est àlui aussi que l'on dut cette coutume de joindre à la lecture de laLoi celle des Prophètes. Mais cela devait nécessairement entraînercertaines corrections jugées indispensables; et si le texte deplusieurs prophètes a été amplifié, si la sombre amertume d'un Amos,par exemple, a été corrigée par l'adjonction des derniers versets oùretentit l'espoir du relèvement, ou encore par la suppression detelle menace insupportable à la piété patriotique, (cf. Am 4: etsuivant) les mots du texte lui-même peuvent bien avoir été, euxaussi, altérés. On peut toutefois déterminer avec quelque certitudela date de cette canonisation. L'auteur du livre des Chroniques aécrit son ouvrage vers l'an 300; les divergences de son récit d'aveccelui des livres de Samuel ou des Rois et la liberté avec laquelle ila modifié sa matière selon ses convictions sautent aux yeux. Jamaisil n'aurait agi de cette façon si les vieux récits avaient étérevêtus, à ce moment-là déjà, de l'autorité presque magique que lacanonisation leur conférera plus tard; donc cette canonisationn'était pas encore chose faite à la fin du IV e siècle. D'autre part,Jésus fils de Sirach écrit son livre vers l'an 180, et la manièredont son petit-fils, traducteur en grec et auteur du prologue, en132, parle «de la Loi, des Prophètes et des autres écrits» sembleprouver que cette désignation était usuelle, voire officielle, etimpliquait, à ce moment-là, pour la Loi et les Prophètes, uneautorité particulière, sans que nous puissions toutefois tirer de làune conclusion trop absolue. Aussi bien cette reconnaissance«officielle» n'avait-elle rien de définitif: si le collège sacerdotaldéterminait ainsi ce que les chefs spirituels de la nationconsidéraient comme le texte véritablement sacré, nul doute quemainte page en dehors de ce recueil n'ait continué à être objet devénération de la part de beaucoup de fidèles. (c) La 3e partie de la collection sacrée seconstitua au cours de cette même période. Tel des livres qui s'yretrouvent dut exister d'assez bonne heure sous une forme restreinte:ainsi le recueil des Psaumes ne s'est formé que peu à peu d'élémentstrès divers, anciens et récents; de même le livre des Proverbes.Plusieurs de ces ouvrages jouissaient déjà d'une grande autorité aumoment où le second recueil fut clôturé, le prologue du Siracide enfait foi. La période de constitution ou de gestation de ce 3 erecueil dura au moins trois siècles: quelques livres en ont étéécrits au II e siècle (Esther, probablement le dernier, Vers 130), etd'emblée en caractères araméens, mais ils n'en ont pas moins subid'assez nombreuses corrections postérieures dues à la piété qui aprésidé à la dernière rédaction du recueil et marqué de son empreinteles textes qu'elle consacrait. Chose émouvante, la cause profonde de la canonisation de ce 3 erecueil fut la même que celle qui, au VI e siècle, hâta laconstitution du premier: la ruine de Jérusalem en 70 et ladisparition définitive du temple et du culte qui s'y célébrait. A cemoment-là plus que jamais le livre sacré s'avéra le refuge de l'âmede la nation. Les conjonctures n'étaient plus les mêmes; le payspalestinien n'était plus exclusivement israélite: province del'empire romain, il était sous la dépendance intellectuelle etcultuelle de la Grèce; la chute de la forteresse juive sonnait leglas de la maîtrise spirituelle et religieuse de Jérusalem; il nerestait plus d'espoir qu'un jour une nouvelle patrie pût sereconstituer pour Israël sur les ruines des sanctuaires détruits. Lesdocteurs de la Loi le comprirent sans doute et, par un sûr instinct,sentirent la nécessité de mettre à l'abri tous les fruits de la piétéantique dont l'avenir pourrait tirer sa substance et que la malignitédes temps risquait de faire disparaître. A peine l'émotion suscitée par la ruine de Jérusalem fut-ellecalmée et les conditions de la vie eurent-elles retrouvé quelqueéquilibre, que les dignitaires spirituels de Juda se réunirent, à Jabné ou Jamnia, en 90 ap. J.-C. Le premier geste de cetteassemblée fut de fixer définitivement la liste des livres sacrés etde leur donner, par cet acte solennel, force de loi. Une certainehâte semble avoir présidé à la constitution de cette dernière partie,et l'on s'étonne de l'élection dont bénéficièrent certains ouvrages,le livre d'Esther par exemple, comme de l'ostracisme qui en frappad'autres, ainsi le livre de la Sapience de Jésus fils de Sirach(appelé aussi Ecclésiastique ou Siracide), qui soutient lacomparaison avec maint autre livre canonique. A la fin du I er siècle de notre ère le canon juif estdéfinitivement clos; la Bible juive est constituée; la tâche dessuccesseurs sera de la transcrire et de la transmettre telle quelleaux âges futurs. Cette simple constatation souligne déjà l'importance qu'allaitavoir désormais le texte de ces livres. Il s'agissait de l'établir dela façon la plus correcte et la plus rigide, pour deux raisons déjàrelevées. La raison religieuse d'abord: le culte du temple étantsupprimé, celui de la synagogue devait le remplacer; culte provisoireet impartait en lui-même, il fallait au moins que la lecture de laLoi qui en constituait la principale manifestation fût aussi parfaiteque possible, et que le texte auquel une origine et un pouvoir divinsétaient reconnus fût à l'abri de toute altération. L'autre raison,plus extérieure mais non moins sérieuse, est que la langue hébraïquen'était plus langue parlée et que, malgré le souci des rabbins, laprononciation de ces mots et de ces textes risquait de s'altérergravement. Ces savants se mirent donc à l'étude critique du texte de l'A.T.Ce travail de «critique», qui remplit toute la période où se réalisala canonisation dès le V e siècle avant notre ère, s'accomplissaitsans doute dans des limites très modestes: il consista d'abord àdonner à certaines recensions une autorité prépondérante qui devaitéliminer les textes en usage et moins soigneusement établis. Onn'avait pas encore pour le texte de l'A.T, le respect superstitieuxque l'on aura plus tard, et les divergences de rédactions que nousrepérons entre le T.M. d'une part et de l'autre celui du Pentateuquesamaritain et surtout des LXX, prouvent assez la liberté qui existaità cet égard. Cependant, déjà à l'époque de Jésus, les savantssemblent avoir porté leur effort sur l'établissement d'un texte pluscorrect et plus uniforme; mais ils n'y parvinrent qu'au moment de laruine de Jérusalem, quand les circonstances rappelées agirentirrésistiblement: le livre remplaçant le temple, il devait être àl'abri des caprices de la piété individuelle. L'établissement de ce texte fut l'oeuvre de l'école de Tibériadeet de son principal représentant, Rabbi Akiba (Mort en 131). Ens'appuyant dès lors sur cette autorité, on s'appliqua à extirper lesdivergences les plus graves. Ce travail, qui dura longtemps, peutêtre considéré comme accompli vers l'an 200: les traductions grecquesdu II e siècle se rapprochent beaucoup plus du T.M. que celle desLXX, et le texte d'après lequel ont traduit Origène et Jérôme étaitpresque celui que nous possédons. Dans le Talmud (voir ce mot) rédigéen Babylonie et en Palestine entre la fin du III e et le début du VI°siècle, le texte consonantique apparaît rigoureusement fixé et estdéjà attribué à Moïse: on n'osa plus le corriger directement; on seborna à marquer les erreurs évidentes au moyen des qen et des kethib (voir plus bas), c'est-à-dire des mots dans lesquels la lecture doit différer de l' écriture Le travail de ces savants, qui témoigne d'une naïveté et d'unmanque d'intelligence parfois regrettables, se distingue pourtant parune grande conscience et par le respect avec lequel ils ont traité letexte, et nous leur devons grande reconnaissance de l'avoir laissétel qu'il était au lieu de le corriger comme ils l'auraientcertainement pu, surtout dans les textes parallèles où lesdivergences risquaient de troubler les lecteurs. On peut conclure delà qu'ils l'établirent en s'appuyant sur de vieux manuscrits et nonsur la seule tradition orale. A partir de ce moment-là nous assistons au curieux phénomène dela disparition des variantes: désormais les manuscrits sont de plusen plus semblables. Cela ne peut guère s'expliquer que par l'autoritépresque absolue de l'un d'entre eux auquel un collège conféra unesorte de consécration officielle, qui fut dès lors tenu pour le textesorti des mains mêmes de Dieu et que l'on recopia avec une étonnantefidélité. Cette conjecture, que rien dans l'histoire ne vientconfirmer positivement, est en définitive la seule explicationplausible de ce fait surprenant. De ce travail de critique encore très primitif il ne nous restepresque rien, et ce que les notes des Massorètes nous en ont conservéest malheureusement noyé dans une masse d'autres indicationsd'origine plus récente. Le Talmud fait pourtant plusieurs fois à cesefforts des allusions qui sont de grand prix. Nous savons ainsi qu'ilfaut attribuer à ces savants-là certaines corrections du texte, les18 tiqqoûnê sôpherim , (ex., Ge 18:22) améliorationsproposées, les 5 ittoûrê sôpherim , (ex., Ge 18:5)suppression en 5 endroits d'un vav (=et) intempestif, les pointsextraordinaires signalant un mot douteux; enfin les qeri (=cequi doit être lu) et les kethib (=ce qui est écrit) déjàsignalés. Ces changements au texte sont très superficiels. Peut-êtreen aurions-nous davantage et de plus grande importance si tout cetrésor avait été d'emblée fixé par l'écriture; mais il se transmitlongtemps oralement, et beaucoup de choses s'altérèrent et seperdirent. Mais ce texte consonantique ainsi établi et fixé, commentfallait-il le lire? Tant que la langue était vivante, cette questionne se posait pas. Quand elle eut cessé de l'être, on dut prendre desmesures pour que la récitation du texte fût correcte, d'autant plusque cette extinction de la langue se produisit à l'heure où lerespect du texte prenait un caractère plus superstitieux. Nous savons par le témoignage de Jérôme (Mort en 420) et duTalmud qu'à ce moment-là le texte n'avait pas de voyelles; mais il yavait une tradition établie et qui paraît avoir été assez sûre: ainsiJérôme, qui s'écarte sur beaucoup de points de la lecture desversions grecques, suit notre T.M. de très près. Le Talmud présupposepartout une manière de lire parfaitement déterminée, preuve en soientles nombreux qeri, mais cette tradition était orale. Avec le temps, la nécessité se fit sentir de mettre de la clartédans le texte, d'abord en séparant les mots les uns des autres mieuxqu'on ne le faisait dans les anciens manuscrits; une fois introduit,cet usage répondait trop bien à un besoin évident pour ne pas segénéraliser rapidement. Le texte que Jérôme a sous les veux offredéjà un petit espace entre les mots, et le Talmud fixe trèssérieusement la grandeur de cet espace; tous deux connaissent leslettres finales Cette utile division laissait cependant le lecteur devant untexte où il était difficile de se retrouver. On en vint bientôt à lerépartir en fragments assez courts, d'après le sens des phrases;telle est l'origine des versets, qui furent introduits trèsprobablement à cette époque-là. Dans les textes poétiques le rythmedéterminait la longueur des phrases ou des vers, et la coutume sembles'être établie très tôt de laisser un espace après chaque vers. LeTalmud parle de cette division en versets comme d'une chose ancienne,mais rien encore ne l'indiquait dans les manuscrits. De la même époque à peu près doit dater la répartition du texteen sections ou paraches (voir plus haut): il s'agit ici despetites; le sens en déterminait la longueur. Cette division, quis'étendait primitivement à tout l'A.T., ne s'est maintenuerigoureusement que pour la Loi. Tout ce travail a été très lent, et les résultats ne s'en sontimposés que peu à peu aux diverses écoles, sans que l'une d'elles aitpu faire d'emblée prévaloir son autorité. Il serait donc parfaitementerroné d'attribuer à ces résultats une valeur d'infaillibilité ou une«divinité», à laquelle ces consciencieux érudits n'ont jamais pensé.On conservait et on transmettait avec le plus grand soin lesrésultats de ces travaux, et les prescriptions des savants sont trèssévères sur la manière de copier les manuscrits, d'y introduire lesinnovations tolérées, etc. Au moment où se clôture le Talmud, c'est-à-dire vers 500, letexte de l'A.T, est rigoureusement établi dans ses consonnes, il estdivisé en paraches et en versets, et d'abondantes notes guident lelecteur en lui indiquant la manière dont cette lecture doit êtrefaite pour l'édification de l'assemblée et la gloire de Dieu. Maisaucun signe n'est encore introduit dans ce texte même, sauf ceux dela division des versets et des paraches. 4° La période des Massorètes et le Moyen âge. Ce nom de Massorètes vient de l'hébreu masôrah ou masoreth (forme plus exacte que la forme courante massôreth) =tradition,de la racine (hébreu postérieur) mâsar-- transmettre. La Massoreest donc l'ensemble des annotations au texte de l'A.T, destinées àrenseigner le lecteur sur ses particularités et sur les découvertesque les rabbins y ont faites. Les Massorètes sont les savants qui ontrecueilli ces données et les ont condensées dans les notes quiencadrent le texte biblique dans les manuscrits hébreux. L'activité de ces bénédictins du judaïsme s'est exercée pendantquatre siècles à peu près, de la clôture du Talmud au début du X esiècle: nous trouvons à ce moment-là les premiers manuscritsconsignant leur travail complet et qui sont à la base de nos textesmodernes. Comme le précédent, ce travail se poursuivit très lentement etsans qu'aucune autre autorité que celle des savants eux-mêmesprésidât à son élaboration. Le Talmud (voir ce mot), premier fruit deleurs investigations, avait été rédigé dans la période antérieure endeux éditions venant de deux écoles différentes, l'une de Palestine(Jabné, Lydda, surtout Tibériade patrie du Talmud de Palestine,appelé plutôt encore Talmud de Jérusalem, Talmoud Yerouchalmi, clôturé vers 250), l'autre de Babylonie à laquelle on doit le Talmudde Babylone (Talmoud Babli), clôturé vers 530 (voir Talmud). Dès cette époque les docteurs de la Loi, dans les deux grandscentres de culture juive, en Orient (Babylonie) et en Occident(Palestine), reportèrent sur le texte biblique lui-même l'étude quis'était concentrée, dans les générations précédentes, sur lescommentaires de la Loi. Du VII e au IX e siècle leurs écoles furentextraordinairement florissantes, et le nombre des savants qui lesillustrèrent est remarquablement grand. Leur ardeur fut du restestimulée par l'apparition de la secte des Caraïtes (les«protestants» du judaïsme), qui se distinguaient par leur intérêttout particulier pour le texte biblique et qui obligèrent par là mêmeleurs adversaires à étudier ce dernier avec plus de soin que jamais. Le premier but de cette activité fut de fixer définitivement letexte consonantique, auquel ils ne changèrent sans doute pasgrand'chose. Cependant, les nombreuses variantes entre les textesbabyloniens et palestiniens et les discussions qui s'élevèrent à cepropos prouvent que ce texte était encore incertain sur plus d'unpoint, et une étude plus approfondie des manuscrits babyloniensmultiplierait sûrement le nombre de ces variantes. Tout ce que lessavants de l'époque antérieure avaient consigné, les Massorètes lecomplétèrent et le développèrent. Aux aeri et kethib duTalmud, par exemple, aux corrections déjà relevées ils ajoutèrentleurs propres conjectures, de nature surtout grammaticale (les sebîr, litt. «il faut probablement lire»). Leur oeuvre capitale, celle qui leur a valu la reconnaissance dela postérité, a été cependant l'invention, on ne sait exactement nioù ni quand, des signes vocaliques. Les savants juifs, à la suitedes Syriens, empruntèrent probablement ces movens d'expression auxGrecs: les voyelles syriaques ne sont que les voyelles grecquesdéformées: les Juifs adaptèrent ce système à leur langue. On eutainsi bientôt plusieurs systèmes de vocalisation qui finirent par seréduire à trois et même à deux principaux: le système babylonien ouponctuation babylonienne, et le système de Tibériade ou ponctuationtibérienne. Le premier est très compliqué; l'usage s'en perditlorsque les écoles juives de Babylonie disparurent au X e siècle, etce n'est guère que depuis un siècle qu'on en a retrouvé des restes.L'autre système présente deux variétés, l'une qui est proprementcelle de Tibériade, l'autre appelée ponctuation du pays d'Israël etque les savants désignent pour plus de commodité par l'appellation:système palestinien; beaucoup plus compliqué que l'autre, il a finipar disparaître lui aussi, et seul le système tibérien a prévalupartout, même dans les manuscrits babyloniens que les Massorètes deTibériade modifièrent. Chaque lettre reçut donc une voyelle ou le signe qui en tenaitlieu; les rapports des mots entre eux furent déterminés et indiqués,de même que les intonations de voix, l'émission plus rapide ou pluslente. La prononciation ainsi fixée était celle qui s'était transmisedès les temps où l'hébreu était encore langue parlée, et une étudeattentive prouve qu'elle s'était assez fidèlement conservée, quoiqueici et là le système ait apparemment corrigé et violenté latradition. Ce système n'est pas parfait et la notation qu'il a faitede la tradition est incertaine sur plus d'un point, comme latradition elle-même. Cette fixation minutieuse reposait sur le soucide déterminer ne varietur la Lecture à haute voix dans le culte.Celle-ci se faisait sur une sorte de mélopée rythmique, analogue àcelle de la messe dans le culte catholique, et c'est cetteparticularité que voulurent aussi indiquer les signes dont nos motssont surchargés. Ajoutons, pour être complet, qu'en ce qui concerneles accents (distincts des voyelles), les trois livres poétiques,Psaumes, Proverbes et Job, en ont un système particulier. Les Massorètes semblent avoir introduit une autre division enversets que celle que renfermaient les anciens manuscrits soit deBabylonie, soit de Palestine; c'est aussi à eux que l'on doit ladivision en grandes paraches avec les indications particulières dontnous avons parlé plus haut. Tout le trésor des remarques relatives au texte est consigné dansles notes que l'on trouve, dans les manuscrits, soit à gauche et àdroite du texte (petite massore, indications de moindreimportance), soit au-dessus et au-dessous du texte (grande massore, remarques plus étendues, statistiques, etc.). C'est là lamassore marginale, qu'il faut distinguer de la massore finale, laquelle est consignée à la fin des livres et quirécapitule les observations des savants: nombre de versets, deparaches, milieu du livre, anomalies du texte, etc. Ce travail s'acheva dans le courant du IX e siècle. Parmi lesnombreux savants qui s'y appliquèrent, à Tibériade en particulier, lafamille Ben-Asher s'acquit un renom tout spécial, et c'est à sesefforts que l'on doit de posséder le système actuellement en usage.Le plus ancien témoin de cette activité et du résultat acquis est unmanuscrit des Prophètes avec ponctuation et massore, écrit par MoïseBen-Asher en 895, et qui se trouve aujourd'hui dans la synagogue desCaraites du Caire. Quelques années plus tard, entre 900 et 930, lefils de Moïse, Aaron Ben-Asher, écrivit un texte complet de la Biblehébraïque, avec ponctuation et massore, dont le manuscrit se trouveencore maintenant, paraît-il, dans la synagogue des Sephardim d'Alep(Syrie). Ce texte-là finit par éliminer tous les autres et futdésormais le modèle presque officiel, le texte reçu de l'A.T. MoïseMaimonide (Mort en 1204) et David Kimchi (Mort en 1235) l'adoptèrent,et l'autorité de ces grands savants en consacra le prestige; dès lorsc'est le texte de Ben-Asher qui a été recopié. Mentionnons encore lefameux manuscrit des Prophètes, de 916, à Léningrad, qui a laponctuation babylonienne mais la massore tibérienne; puis lemanuscrit de la Bible entière avec ponctuation tibérienne, de 1008,aujourd'hui à Leningrad, et qui est l'oeuvre d'un disciple d'AaronBen-Asher. L'activité des Massorètes ne cessa pas du jour où le manuscrit deBen-Asher eut acquis cette autorité, d'autant moins que d'autressavants contemporains de grand renom s'appliquaient au même labeur,comme Moïse Ben-Naphtali, de Tibériade aussi probablement. Maisl'oeuvre principale était faite, le texte de l'A.T, était désormaisétabli et lisible sans que le caprice d'aucun lecteur pût y apporterde changement. La tâche des successeurs consista simplement àparachever le manuscrit de Ben-Asher, à le corriger dans quelquesdétails, sans y rien modifier d'essentiel. Dès lors, la massore devient superflue et dès ce moment aussil'activité des Massorètes dégénère. Ils ne s'occupent plus que dedétails infimes et surchargent le texte hébreu et les notes de leursprédécesseurs de toutes sortes de calculs, de jongleries, derapprochements saugrenus, voire de dessins, qui n'ont aucun intérêtpour la science. La seule chose à relever, c'est la conscience et lesoin avec lesquels ces hommes ont recopié le texte hébreu: cetteuniformité presque parfaite des manuscrits frappe toujoursd'étonnement ceux qui les collationnent. Cet effort se soutintpendant cinq siècles, jusqu'à l'invention de l'imprimerie. Le texte de l'A.T, devait pourtant encore subir une innovationqui, sans rien changer à sa nature, est de grande importance pournous: la division en chapitres, telle que nous l'avonsaujourd'hui. Elle n'est pas l'oeuvre des Juifs. Au début du XIII esiècle, seulement, le texte de la Vulgate fut réparti comme nous levoyons par un Anglais, Stephen Langton, et cette innovation finit pars'imposer partout. Ce n'est pourtant qu'au XV e siècle qu'un savantjuif, Isaac Nathan, l'adopta dans sa Concordance hébraïque parue en1523 et, à cette occasion, introduisit la numérotation actuelle desversets d'après les chapitres. Les manuscrits (mss) de cette période peuvent se répartir en deuxclasses: les manuscrits officiels et considérés comme sacrés, et lesmanuscrits privés ou profanes. On apportait naturellement un sointout particulier à la copie des premiers, tellement qu'une varianteou une faute y était presque impossible, mais ils ne renferment quele Pentateuque, les cinq Rouleaux et les haphtares. Les manuscritsprivés, écrits sur du parchemin ou du cuir comme les manuscritsofficiels mais aussi sur du papier ordinaire, révèlent uneapplication moins rigoureuse; beaucoup d'entre eux ne sont pas toutentiers de la même main: au texte consonantique écrit par un copiste,un autre ajoutait les voyelles, d'autres encore les notesmassorétiques, les corrections, etc. Ils sont, pour la plupart,parfaitement anonymes et d'une époque aussi difficile à déterminerque leur pays d'origine. Les plus anciens, avons-nous vu, neremontent pas au delà de la fin du IX° siècle, pour cette raison queles Juifs soustrayaient à la profanation les manuscrits usés en lesensevelissant. Toutefois, dans ces dernières années, on a retrouvédes fragments plus anciens, mais tous cependant de la périodemassorétique; aucun ne remonte au delà. Aussi longtemps que le texte était recopié à la main, desaltérations devaient immanquablement s'y introduire et amener desconfusions. Il fallait donc toujours remettre au point les manuscritssérieux, et cette nécessité de se rapporter à l'oeuvre de Ben-Asher acertainement contribué pour beaucoup au prestige de ce dernier. Lalittérature néo-hébraïque du Moyen âge nous a conservé plusieurstravaux de savants qui s'efforçaient de maintenir ainsi la pureté dutexte et de le débarrasser des superfétations; le plus important estcelui de R. Meïr ha-Lévi ben Todros de Tolède (Mort en 1244). 5° L'imprimerie et les premières éditions de la Bible hébraïque. Tout allait changer avec l'imprimerie, qui fournissait un moyende reproduire un texte à de nombreux exemplaires sans aucune variantede l'un à l'autre. Chose curieuse, on ne se rendit pas compte tout desuite de l'importance de cette découverte et on n'eut pas l'idéed'établir, avant de le fixer par l'impression, un texte expurgé quipût faire autorité. C'est en Italie que les premiers ouvrages hébreux furentimprimés; après quelques tentatives sans importance, le Psautiersortit des presses de Ferrare en 1477. L'A.T, entier fut imprimé en1488, à Soncino (Lombardie), d'après des manuscrits de valeur inégaleet avec des fautes assez nombreuses; la Bible de Gersom, parue àBrescia en 1494 et sur un exemplaire de laquelle Luther fit satraduction, n'est en réalité qu'une nouvelle édition de cette Biblede Soncino, de même que la première édition de la Bible rabbinique deBomberg (Venise 1516-18) et les Bibles postérieures de SébastienMunster (Bâle 1536) et de Robert Estienne (Paris 1539). De 1514 à 1517 parut en Espagne, sous le haut patronage ducardinal Ximénès, la fameuse Polyglotte de Complutum (Alcala deHenarez), qui donne, à côté du texte des LXX, de la Vulg, et duTargum d'Onkélos, un texte hébreu établi sur d'autres manuscrits quecelui de Soncino. Le célèbre imprimeur hollandais (chrétien) établi à Venise,Daniel Bomberg, publia en 1525-26 une seconde Bible rabbinique queprépara le rabbin Jacob Ben-Khayyim; le texte biblique y estaccompagné de tout l'appareil massorétique, dont ce savant dut faireune laborieuse révision; les manuscrits qu'il put utiliser étaientdéfectueux, et le travail de dépouillement fut considérable. Lerésultat est d'autant plus méritoire, et cette Bible de Bomberg et deJ. Ben-Khayyim fut reproduite très souvent aux XVI e et XVII° siècle,soit telle quelle, soit avec des changements de peu d'importance. Dès lors les éditions de l'A.T, hébreu offrent toutes un textecombinant celles dont nous venons de parler; ainsi la Polyglotted'Anvers (1569-72, Plantin) et celles de Paris (1629-45) et deLondres (1654-57, Brian Walton) qui en dépendent reposent sur lestextes de celle de Complut et de J. Ben-Khayyim; la Bible rabbiniquede Buxtorf (1617) de même: la Bible d'Athias-Leusden (Amsterdam1661), ancêtre de la plupart de nos éditions courantes, utilise letexte de Soncino (réédité par Estienne) combiné avec celui deBuxtorf. Ces diverses Bibles ont utilisé aussi de nouveaux manuscritset ainsi amélioré sensiblement le texte des premières éditionsd'Athias-Leusden. Parmi celles-là il convient de mentionner celles deJablonski (1699), de van der Hoogt (1705), de Michaelis (1720), etc. 6° Éditions modernes. Malgré tous ces travaux et toutes les corrections d'après lesmanuscrits retrouvés, on ne possédait pas encore le véritable T.M.parce que toutes ces éditions se bornaient à reproduire soit le textede Soncino, soit celui de J. Ben-Khayyim. Les efforts des savants dela période moderne et contemporaine ont tendu à rétablir ce texte encomparant entre eux les manuscrits les plus anciens, afin d'arriver àune base plus voisine si possible de l'original que celle du XVI esiècle. Il faudrait mentionner ici les longues recherches des savantsjuifs des XVII e et XVIII e siècle comme Salomon Minnorzi, celles deKennicott et de Rossi et leurs listes de variantes au T.M. (XVIII°siècle); la publication d'une nouvelle édition critique de la massorepar Frensdorff en 1876; la découverte et l'étude de plusieursmanuscrits anciens retrouvés en Egypte et en Syrie; la comparaison detoutes les leçons fournies, etc. Les premiers résultats de cetteméthode apparaissent vers la fin du XIX e siècle, dans la Biblehébraïque éditée à Leipzig, de 1869 à 1892, par Samuel Baer et FranzDelitzsch, malheureusement incomplète (il manque Ex., Lév., No etDeut.), et dont il faut se servir avec quelque circonspection, parceque Baer utilise avec trop de fantaisie les indications de la massore. Une grande édition critique a été publiée, après d'autres demoindre importance, par CD. Ginsburg, à Londres, dès 1908, aveccomparaison de plus de 70 manuscrits, mais sous une forme très peu claire et sans que lerésultat corresponde à l'effort fourni et aux dépenses consenties. Pour établir un texte définitif, il faut tenir compte nonseulement des manuscrits les plus anciens et des copies qui en ontété faites, mais aussi des vieilles traductions dont l'une, celle desLXX, remonte dans telle de ses parties à une époque où le canonisraélite n'était pas clôturé, tandis que les autres, quoique plusrécentes et souvent dépendantes de celle-là, fournissent deprécieuses indications sur la manière dont on lisait le T.M. àl'époque où elles ont été faites. Il faut aussi tenir compte destravaux exégétiques et littéraires de la seconde moitié du XIX esiècle et des corrections de texte hardiment proposées par dessavants dont on ne saurait suspecter l'honnêteté, pas plus que lascience et le souci constant de vérité. C'est ce qu'a tenté de faire, dans sa Biblia hebraïca, parueen 1 ro édition en 1905/1906, le prof. R. Kittel (Mort en 1929). Lesrigoureuses prescriptions des Massorètes sur la disposition du textey sont intentionnellement laissées de côté; l'indication des grandesparaches a disparu, seule celle des petites a été maintenue. Le texteest celui de J. Ben-Khayyim, mais il est accompagné de notes où sontconsignées les données les plus importantes de la massore (qeri et kethib), les variantes des manuscrits, la lecture des versionsanciennes et les conjectures proposées par les savants. Une 3 eédition a commencé de paraître en 1929: elle tient compte desmanuscrits les plus anciens que l'on connaisse, et ce n'est plus letexte de Ben-Khayyim que nous avons là mais celui d'Aaron Ben-Asherdu X e siècle; à ce texte sont ajoutées les indications de la massoretelles que Ben-Asher les consignait dans son ms. et qui permettent dese faire une idée plus complète des corrections qu'a subies larédaction massorétique.