TÉRACH

(LXX, Tharra ou Thara; Vulgate, Tharé, transcription adoptée parVers. Syn.; Ost. et Mart., Taré). Nom hébreu du père d'Abram, de Nacoret de Haran, père de Lot (Ge 11:26 et suivant). Il était originaire d' «Ur en Caldée», hébreu Ur-Kasdim (Ge 11:28-31 15:7). La Caldée (voir ce mot) étaitle pays suméro-babylonien; Ur y joua un rôle célèbre comme centre dela civilisation primitive (cf. Woolley, Les Sumériens). Vers lafin du III e millénaire, les populations akkadiennes (Sémites)s'étaient fortement mélangées aux habitants sumériens. Certains critiques émettent aujourd'hui des doutes sur le faitque la famille d'Abram aurait eu son berceau dans le voisinage dugolfe Persique. Ils font remarquer que, lorsque Abram envoya sonserviteur chercher femme pour Isaac, il l'envoya en Mésopotamie(Aram-Naharaïm), à «la ville de Nacor» (Ge 24:10), et quelorsque Jacob se rendit auprès de Laban, petit-fils de Nacor, c'estvers Caran qu'il dirigea ses pas (Ge 27:43 28:10). Ils enconcluent qu'une autre ville nommée Ur devait se trouver dans levoisinage de Caran. Ces remarques méritent de retenir l'attention; mais ellesn'auraient, comme argument, de valeur décisive que si la famille deTérach n'avait pas émigré tout entière d'Ur à Caran et si Nacor étaitresté à Ur. Or, de cela, nous ne savons rien. Nous savons seulementque P, source postérieure dont la vérité historique est si volontierscontestée dans les milieux de la critique à cause de son caractèredoctrinaire et apologétique, dit que Térach «prit Abram son fils etLot fils de Haran, et qu'ils sortirent ensemble d'Ur en Caldée pouraller au pays de Canaan» (Ge 11:31). Pourquoi ne mentionne-t-ilque ces deux personnages de la caravane? Ne serait-ce pas toutsimplement parce que ces deux personnages étaient les seuls quil'intéressaient, les seuls dont il avait le propos de raconterl'histoire? N'est-il pas dans les habitudes de P de sacrifierdélibérément tout ce qui n'entre pas dans son plan? On a aussiobjecté que, pour P, les ancêtres d'Abram ont dû prendre la directionqui va d'Arménie en Canaan, et cela, parce que l'arche de Noé,d'après son récit, s'arrêta sur le mont Ararat et que deux noms de saliste d'ancêtres, Sérug et Nacor, se retrouvent au Nord de la Syrie,l'un comme nom de ville, l'autre, peut-être, comme nom d'unedivinité. L'argument ici est fragile. Le nom araméen de Nacor n'est-il pasplutôt Nacar? et d'autre part les noms Héber, Péleg, Réhu, Abram,Milca (Ge 11:14,16,18,27,29) ne sont-ils pas des noms du paysbabylonien comme celui de Sara (verset 15) = Saratou, latranscription sémitique de Ningal, la grande déesse d'Ur en Caldée?On a indiqué encore une tradition locale qui situait Ur-Kasdim àquelques étapes à l'Est de Caran. Mais cette tradition n'apparaîtqu'au IV e siècle ap. J.-C. C'est décidément un peu loin desévénements. On essaie enfin d'affaiblir la croyance traditionnelle entraitant d'interpolations postérieures deux sur trois des passages oùla Genèse nous parle d'Ur-Kasdim--ce qui est abuser un peu deshypothèses de la critique biblique. Plutôt que de retenir toutes ces demi-raisons, qui ensemble nefont pas une raison, et de chercher en Aram-Naharaïm ou en Arménieune Ur problématique, mieux vaut interroger l'histoire du pays deSumer et voir si les événements qui se passaient au temps de Térachne suffisent pas à expliquer son exode d'Ur en Caldée. Or l'archéologie nous apprend chaque jour avec plus de précisionqu'au temps de Térach, qui fut à peu près celui du dernier roi de ladernière dynastie d'Ur: Ibi-sin (environ 2195-2170), des luttes sansmerci se livrèrent entre les rois groupés autour du Tigre et del'Euphrate pour savoir à qui serait la riche terre de Sumer, dont lapuissance penchait vers son déclin. Les Élamites franchissent le Tigre, s'emparent d'Ibi-sin; Ur estruinée sauvagement et son territoire dévasté. C'est l'agonie quicommence. Elle se poursuit jusqu'au moment où, quarante ans plustard, Sin-nouballit (2143-2124), père de Hammourapi, dresse lapuissance de Babylone contre celle d'Élam et fait passer Ur sous sadomination en l'arrachant aux Élamites au prix d'effroyablesmassacres. L'effondrement de la ville entraîna le destin de Sumer. Il estprobable qu'alors, pour éviter la mort ou l'esclavage, l'élite de lapopulation se dispersa. Les uns s'enfuirent vers le S., dans lesmarais du golfe Persique (cf. Delaporte, Mésopotamie, p. 45),préparant une révolte que le fils de Hammourapi, Samsou-ilouna(2080-2043), réprimera en rasant définitivement les murs d'Ur et eneffaçant Sumer de l'histoire. Les autres prirent le chemin descaravanes et remontèrent l'Euphrate jusqu'à Caran. Une partie d'entreeux s'enfonça peut-être dans les montagnes d'Asie Mineure et fut àl'origine de ces colonies de Caldéens que l'on retrouvera plus tarden Arménie (Strabon). Mais que des émigrés d'Ur se fixèrent en nombredans la contrée de Caran, c'est ce que manifeste la présence à Caranmême d'un temple consacré aux grandes divinités d'Ur, Sin et Nin-gal.Or il ne paraît pas que ces cultes aient existé à Caran avantl'époque de ces luttes dont Ur fut le principal enjeu pendant 70 anset qui ne prirent fin que lorsque Hammourapi (Amraphel, contemporaind'Abram) et son fils eurent constitué par leurs conquêtes et leurgénie organisateur l'unité de leur vaste empire. On ne peut s'étonner qu'une partie des transfuges d'Ur aitatteint Caran, à une époque où les migrations et les invasionscouvraient des distances infiniment plus considérables, poussant desarmées conquérantes et des populations entières depuis la merCaspienne et la mer Noire jusqu'au golfe Persique et au Nil. Rien ne s'oppose dès lors à ce que la famille de Térach aitadopté pour patrie la ville qui, comme son nom l'indique, était lepoint de rencontre des routes sillonnées par le commerce allantd'Elam et de Babylonie jusqu'aux marches syriennes. Ce fait suffit àexpliquer qu'Abram ait pu envoyer son serviteur à la ville de Nacoren Mésopotamie, et que Rébecca ait dit à Jacob: «Fuis chez mon frère,à Caran!» (Ge 27:43). En attendant, l'archéologie continue à travailler et à fairesaillir en lumière des documents qui démontrent la valeur historiquedes renseignements fournis par l'A.T. Un texte, l'épopée de Kérèt roide Sidon, trouvé à Ras-Shamra sur la côte phénicienne, et qui a étépublié en 1933 par M. Virolleaud, porte cette mention:

Térach fit se lever la nouvelle lune.Il chassa Shin, sa femme,Et Nikkar, sa bien-aimée (disant):«Comme les criquets vous habiterez la plaine;Comme les sauterelles, les confins du désert.»
La relation établie entre Térach et les cultes d'Ur est évidente.Shin, dans le texte, femme de Térach, est la transposition du dieulunaire Sin. Nikkar, variante de Nikkal, est la même chose que Nin-gal, déesse parèdre de Sin à Ur. Le texte de Ras-Shamra (daté du XIV° siècle av. J.-C.) attestedonc une migration, ayant apporté en Phénicie les cultes lunairesd'Ur. Cette migration est rattachée par lui à un personnage du nom deTérach. C'est là un fait dont on ne saurait assez soulignerl'importance. Enfin, à côté de ces données de mythologie astrale, le documentphénicien mentionne la bataille livrée par les Térachites contre leroi des Sidoniens pour la possession du pays. Cette bataille, àpropos de laquelle sont cités le peuple de Zabulon et le peuple d'Asher, se termina par la victoire des Térachites qui poussèrentjusqu'au Négeb. Nous avons là, évoqués, des souvenirs historiquesqu'il faut rapprocher des récits de la Genèse (ch. 14, 20, 21, etc.)et qui se rapportent à l'époque où les Hébreux s'installèrent enPalestine, au détriment des Phéniciens. Que reste-t-il des objectionsrapportées plus haut, après la découverte du texte de Ras-Shamra oùnous trouvons, comme on l'a écrit, «la preuve décisive de l'originecaldéenne du peuple hébreu»? De Térach sont issus, outre les enfants d'Israël, lesMoabites (Ge 19:36), les Ammonites (Ge 19:37), descendantsde Lot, et les Édomites ou Iduméens (Ge 36:20,De 2:22),descendants d'Ésaü, qui se fixèrent comme les Hébreux sur terre dePalestine. BIBLIOGRAPHIE.--L. Delaporte, La Mésopotamie, 1923.--CharlesF. Jean, Le Milieu Biblique av. J.-C, 1922.--Westphal, Jéhovah, 4° éd., 1922.--CL. Woolley, Les Sumériens, 1930.--Ad. Lods, Israël, 1930.--Le texte de Ras-Shamra a étéprésenté à l'Académie des Inscriptions le 13 octobre 1933. Alex. W.