TABLE DES PEUPLES

On appelle ainsi le tableau généalogique de Ge 10, qui note desrelations de famille et des parentés de peuples.

1. Ce document se compose de fragments empruntés à J (voir8-19,21,25-30) et à P (v.1-7,20,22,31). Le verset 24 est une glose.On a relevé deux traditions un peu divergentes dans le texte de J qui, au surplus, a été tronqué; car nous avons bien la liste desdescendants de Sem, Cham et Japhet selon P, mais de J nous n'avons que celles de Sem et de Cham. Le tableau que nous offre Ge 10 manque d'homogénéité; cela vient de ce que P s'en tient rigoureusement au schéma personnel: tousles noms qu'il cite sont ceux d'individus fils d'autres individus, tandis que J passe sans scrupule de la désignation personnelle à ladésignation collective (verset 13: Mitsraïm engendra les Ludim; v. 16: Canaan engendra...les Jébusiens, lesAmoréens, etc.).

2. On a retrouvé, sous les noms des fils de Japhet, des peuples et des pays connus par ailleurs: Gomer, ce sont les Cimmériens d'Homère; Magog, peut-être les Lydiens (cf. Gygès, roi de Lydie); Madaï, les Mèdes; Javan, les Ioniens ou les Grecs avec leurscolonies (Tarsis =l'Espagne; Kittim =Chypre; Dodanim qu'il faut corriger en Rodanim =Rhodes, etc.), autrement dit lespeuples de l'Asie Mineure et des côtes de la Méditerranée et de lamer Egée. Les fils de Cham peuplent le midi, et leurs noms nous sont mieuxconnus par nos documents bibliques que ceux des Japhétites: c'est Cus (ou Cush), l'Ethiopie et les pays avoisinants (Séba =les Sabéens, sur la côte d'Arabie); Mitsraïm, l'Egypte et ses«fils», entendez les contrées à l'Est et à l'Ouest de la vallée duNil, et aussi les Caphtorim, c-à-d, les Crétois; Puth (ou Pout), sans doute le Pount des hiéroglyphes, ou la côte des Somalis; enfin Canaan, avec la liste des peuplades de Palestinesi souvent mentionnées dans la Bible: Sidon et les tribus phéniciennes, Heth (les Hittites), et leshabitants du pays à l'Ouest du Jourdain, depuis l'Oronte et le Libanau nord, jusqu'au désert d'Edom au sud. Les fils de Sem occupent les pays de l'Est et du N.-E. Ce sont: Élam (la Perse), Assur (l'Assyrie), Arpacsad (la Caldée), Lud (la Lydie) et Aram (Mésopotamie et Syrie). A cette liste(de P, v. 22) s'ajoute (verset 21, J) Héber, père de «tous lesfils d'Héber», c'est-à-dire des peuplades du désert de l'Arabieseptentrionale avec lesquelles Israël avait des liens étroits deparenté. En effet, Héber a pour fils Joktan (habitants de lapéninsule arabique) et Péleg, ancêtre direct d'Abraham etd'Israël. Les verset 8,12 offrent des difficultés. D'après les versets6 et suivant (P), Cus (l'Ethiopie) est fils de Cham. Mais Nimrod,fils lui-même de Cus (verset 8-12), est de toute évidence un habitantde la Caldée et de l'Assyrie, car ce qui nous est dit de lui n'atrait qu'à ces contrées. J, auteur de ces versets 8,12, pensait entout cas à cette région-là et connaissait donc une tradition quidonnait le nom de Cus à un pays du N.-E, (cf. les Casdîm, nomhébreu des Caldéens, et les Cashshou ou Cosséens quioccupèrent Babel vers 2000 av. J.-C). Le rédacteur final a cru tourarranger en identifiant ces deux «Cus» et en mélangeantmalencontreusement la liste des Chamites et celle des Sémites.

3. Ge 10 n'est pas un document historique; il nous renseigne uniquement sur la manière dont ces primitifs se représentaient les origines de leur groupe. L'auteur connaît des peuples d'autre race etd'autre langue que les siennes, mais cette connaissance, dont leséléments lui viennent sans doute des Phéniciens ou de Babel, estlimitée puisqu'il ne mentionne que 70 peuples et ne sait rien despopulations de l'Afrique centrale, de l'Asie orientale ni del'Europe. Ce document est bien plutôt destiné à légitimer uneprétention. Parmi ces peuples, le naïf orgueil de l'auteur établitdes distinctions et une hiérarchie. Appartenant lui-même à la lignéela plus noble, celle de Sem, il voit d'un oeil indifférent celle deJaphet, mais il place celle de Cham à un rang nettement inférieur;preuve en soit l'affiliation de Canaan à Cham: Canaan représente lespeuples que les Israélites trouvèrent en Palestine et qu'ilsméprisaient, quoiqu'ils fussent de même race qu'eux; l'auteur marquece dédain en les faisant descendre d'un autre fils de Noé que leslégendes populaires discréditaient. (cf. Ge 9:20-27)

4. Ces distinctions entre peuples ne reposent pas, comme on l'a cruparfois, sur la différence des langues: notre auteur ne s'en est paspréoccupé. En effet, les Cananéens, Phéniciens, Amoréens, fils deCham d'après v. 6, 15, 19, étaient de purs Sémites parlant l'idiome queles Israélites adoptèrent après leur installation en Canaan, tandisque les Hittites, autres fils de Canaan, étaient Indo-Européens.Ensuite, parmi les fils de Sem sont mentionnés les Elamites,Indo-Européens eux aussi, comme les Lydiens, dont la langue n'avaitrien de commun avec celle des Hébreux. Le nom de languessémitiques appliqué aux idiomes des Israélites, Arabes, etc. reposesans doute sur Ge 10:21, mais ce point d'appui est sans valeur.

5. Quant à la date de notre document, il faut distinguer entre ladernière rédaction et les éléments que cette rédaction a utilisés. Jest du IX e ou du VIII° siècle av. J.-C, et P du VI e. Le rédacteurfinal, disciple de P, qui a combiné ces deux traditions, vivait dansla première moitié du V° siècle (voir Sources). 6. Il est vain de chercher dans Ge 10 des donnéesscientifiques. Si certains renseignements de détail ont quelque prixparce qu'ils confirment les témoignages d'autres sources (ainsi v. 8,12, sur Ninive), dans leur ensemble ces traditions prouvent seulementque les peuples de cette région se réclamaient d'une commune origine.Assur et Babel avaient beau menacerl'indépendance de Samarie ou de Jérusalem, Israël ne pouvait oublierles liens qui l'unissaient à ces dangereux parents: certainestraditions communes, les affinités de langage et sans doute detempérament empêchaient cet oubli. Mais l'ethnographie de ces régionsdoit chercher ailleurs que dans ces versets ce que nous pouvonsatteindre de la vérité sur ce sujet. E. G. Voir art. spécial à chacun des noms cités clans la Table desPeuples.