Le fait ultime de la vie historique du Christ, désigné généralementsous ce nom, est beaucoup moins fortement attesté que celui de laRésurrection, dont il paraît cependant la suite--si l'on peutdire--naturelle et le complément obligé. (comp. Jn 20:17) Matthieu, après en avoir comme marqué la place dans ses derniersversets (Mt 28:16-20), ne le mentionne pas. Le silence de Jean--non sur la nécessité du fait, comme nousvenons de le voir, mais sur le moment et les détails de sonapparition--est moins surprenant; on peut admettre que, là commeailleurs, l'évangéliste suppose connus de ses lecteurs les événementsqu'il ne rapporte pas, ou que le regard de sa foi les a commetransfigurés et transposés (Jn 3:13 12:23 17:24, etc.). La mention de l'Ascension dans Marc (Mr 16:19) appartient àla partie non authentique de cet évangile, et porte déjà la marqued'une conception liturgique ou symbolique. Nous restons donc en présence de deux documents en tout,(Lu 24:50-53,Ac 1:4-12) lesquels appartiendraient à un même auteur,l'évangéliste Luc, si l'on attribue à ce dernier la rédaction dulivre des Actes. Ces récits, il est vrai, sont conciliables; ilsconcordent, en particulier, quant au site de l'Ascension: environs deBéthanie d'après le premier, mont des Oliviers suivant le second(voir Dalman, Itin., p. 346SS). Mais d'abord Luc--témoin unique,nous l'avons vu--n'est pas un témoin oculaire. Ensuite, le texte dufragment Lu 24:50-53 n'est pas sûr et, notamment, les motsrelatifs à l' «élévation au ciel» (fin du verset 61) manquent dansles meilleurs manuscrits. Ce récit, enfin, s'il a plus de couleurnarrative que la brève notation de Marc, revêt pourtant, lui aussi,un caractère hiératique faisant penser à quelque tableau de sainteté. L'historicité du fait de l'Ascension repose ainsi, en définitive,sur un seul texte; ajoutons que ce texte se rattache aux sources lesplus sujettes à caution du livre des Actes. Reconnaissons,d'ailleurs, que le récit en question est très supérieur au précédent.Il est vivant, simple et sobre; il laisse une impression de grandeurvraie et de sainteté évangélique. Mais on pourra toujours lui opposerde graves objections a priori en s'appuyant sur les sciences dela nature et la conception générale de l'univers qu'elles nous ontdonnée. Ces objections, il ne serait pas sans intérêt de lesdiscuter. Nous avons déjà fait remarquer la sobriété des récits del'Ascension. Celui de l'Évangile, dans sa partie primitive, mentionnesimplement que Jésus «se sépara» de ses disciples. Le récit desActes, après avoir dit que le Christ fut «enlevé» ou «élevé» (mêmeverbe que dans Lu 24:50, à propos du Ressuscité «levant» sesmains pour bénir), fait intervenir une «nuée», comme le récit de laTransfiguration (Lu 9:34). Les disciples ont, ensuite, «lesregards attachés au ciel», geste naturel, instinctif. D'autre part, le corps du Christ après la Résurrection nous estprésenté, dans le quatrième évangile en particulier, comme échappantdéjà aux lois ordinaires de la nature et doué de facultésspéciales (Jn 20:19,26). On a émis l'hypothèse d'un processus despiritualisation de ce corps, processus dont l'Ascension marqueraitl'achèvement. Mais qu'importent, après tout, ces discussions qui,comme celles que soulève le fait de la Résurrection, ne peuventaboutir à des résultats certains? Historiquement, un point essentiel est nettement établi: à unmoment précis, que le récit des Actes (Ac 1:3) place quarantejours après la Résurrection, les communications sensibles entre leMaître et les disciples, quelle qu'en fût la nature trèsparticulière, ont cessé pour faire place à la communion spirituelle. L'expérience des apôtres et de l'Église, certaines déclarationsde Jésus lui-même (Jn 7:39 16:7), nous permettent d'ajouter: etpour rendre possible cette communion spirituelle. Là se trouvent lasignification vraie et la valeur unique du fait de l'Ascension, dont les modalités apparaissent en regard comme bien secondaires.C'est l'entrée du Christ «dans sa gloire» (Lu 24:26 et suivant,cf. Jn 17:1) et son investissement de puissance (Jn 17:2,Mt28:18), en vue de l'achèvement de l'oeuvre rédemptrice. Désormais, l'objet de la foi chrétienne comme de la prédicationapostolique, c'est le Christ spirituel (2Co 3:17 5:16).L'Ascension marque l'inauguration, solennelle autant que mystérieuse,de ce ministère de l'Esprit. Elle est le chaînon indispensable entrela Résurrection et la Pentecôte (Ac 2:33). En elle s'affirment,par une manifestation nouvelle et grandiose, encore que difficilementsaisissable à notre coeur charnel et à notre esprit borné, lapuissance et l'amour de Celui qui, après avoir «ressuscité» Jésus,l'a «souverainement élevé» (Php 2:9). Le Christ de l'Ascension,c'est le Seigneur et le Roi, le Christ qui s'offre à notreadoration (Mt 28:17,Lu 24:52), aussi bien que Celui qui commandenotre entière obéissance (Mt 28:19 et suivant, Php 2:10 etsuivant). En même temps, ce Seigneur demeure notre Frère. L'Ascensiona moins brisé qu'affirmé ses liens avec la terre (Ac 2:11).Comme «avec lui, Dieu nous a ressuscités», avec lui aussi Il nous a«fait asseoir dans les cieux» (Eph 2:6, cf. Col 3:3 etsuivant). Si l'Ascension nous a paru faiblement attestée en tant que faitde l'histoire, la réalité spirituelle que ce fait recouvre tient unegrande place dans la pensée des apôtres--nos citations bibliquesl'ont déjà montré--et dans celle du Maître lui-même. Il y a unevision anticipée de l'Ascension, plus ou moins mêlée à celle de laCroix, dans des textes tels que Lu 9:31-51,Jn 12:32, comme aussidans les prédictions du «retour sur les nuées» (Mt 24:30 26:64,cf. 1Th 4:16,Ap 1:7). Le quatrième évangile, dont nous avons rappelé le point de vueparticulier, renferme des références précises à l'Ascension (Jn6:62 7:33 14:12,28 16:28 20:17 etc.). Dans les épîtres, il faudraitciter: Eph 4:8,Heb 1:3 4:14,1Pi 3:22; dans les épîtres et lesévangiles, les textes où il est parlé de Jésus «élevé à la droite dutrône de Dieu» (Ro 8:34,Eph 1:20), ou retournant de la terre à«la gloire du Père» (Mt 25:31,Mr 8:38,Php 3:20; voir encore lecurieux fragment d'hymne chrétien, cité dans 1Ti 3:16). L'écrivain du N.T. qui a peut-être le plus profondément méditésur le mystère qui nous occupe, est l'auteur de l'épître aux Hébreux.A ses yeux, l'Ascension a fait du Christ notre grand-prêtre etconféré à son sacrifice une valeur éternelle (Heb10:11-14,19-22). Hry B.