SUCCESSION APOSTOLIQUE

Sur la montagne où Jésus avait assigné le rendez-vous suprême à sesdisciples en Galilée (Mt 28:10,16,20), rendez-vous qu'il fautprobablement assimiler à l'apparition aux cinq cents frères dontparle saint Paul (1Co 15:8), le Maître a dit: «Allez, enseigneztoutes les nations, en les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit et enleur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé; et voici, jesuis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde.» De cesparoles, dont l'amplitude (toutes les nations, jusqu'à la fin dumonde) manifeste que Jésus investissait ainsi d'apostolicité et decatholicité non seulement les onze présents devant lui, mais tousceux qui, à côté d'eux et après eux, feraient oeuvre d'évangélistes,l'Église romaine, jouant sur le mot «catholique», qui ne désignenullement une Église spéciale mais proprement l'universalité dumessage chrétien, a tiré sa doctrine de la succession apostolique. Aunom de cette succession dont le premier anneau est, pour elle, saintPierre, premier pape, elle prétend exclure de l'apostolicité toutesles Églises chrétiennes qui ne se sont point rattachées au souverainpontife de Rome (cf. Ecclesia, 1927, p. 770). Cette façon de présenter les choses, défendue avec une éruditionet une habileté croissantes par l'Église romaine, est tout à faitétrangère au siècle créateur et normatif de la société chrétienne, lesiècle apostolique. Comment le siècle apostolique nous présente-t-il l'origine del'Église? Il nous la montre, dès l'entrée, libre de toute attacheavec le monde sacerdotal. Jésus, son fondateur, est le fils d'unartisan, artisan lui-même. Les disciples dont il s'entoure et dont ilfait le collège des Douze sont des hommes de métier; aucun prêtreparmi eux. Les prérogatives qu'il leur donne (Lu 9:1 etsuivants, cf. Mr 6:7 et suivants), il les étend aux soixante-dixdisciples (Lu 10:1 et suivants); l'autorité spirituelle qu'ilconfère à Pierre (Mt 16:19), il la reconnaît à toute lacommunauté chrétienne (Mt 18:18). L'Église de Jérusalem apparaîtdès ses débuts comme une société que Jésus aurait voulu constituer enRoyaume de Dieu sur la terre, sa famille, destinée à inaugurer dansle monde un régime nouveau, une fraternité qui met en commun sesbiens, sa foi, son espérance. Elle n'a rien d'une Église composée declercs et de laïques; on n'y voit rien qui rappelle la successionapostolique, et quand elle se donne un chef après la persécution quisuivit le martyre d'Etienne (Ac 8:4), ce chef n'est pas l'un desDouze, mais Jacques, un frère du Seigneur. La première expansion duchristianisme hors de Palestine n'est pas non plus rattachée à uneaction concertée du collège des Douze. Nous la voyons naîtrefortuitement de la dispersion des chrétiens à une époque où lesapôtres n'ont pas quitté Jérusalem (Ac 8:1). Philippe, lediacre, évangélise spontanément la Samarie (Ac 8:5 et suivant).Des amis d'Etienne «annoncent la parole» en Phénicie, à Chypre, enSyrie (Ac 11:19); parmi eux, des Cypriotes et des Cyrénéensapportent l'Évangile aux Grecs...Ainsi (Ac 11:20) furent fondéesl'Eglise d'Antioche et plus loin celle de Rome, sans qu'aucun desDouze y eût participé. L'autorité de Pierre à Jérusalem, qui fut prépondérante dans lespremiers jours, n'avait rien de la charge épiscopale. L'Église deJérusalem est gouvernée par des anciens, organisation que lui passela synagogue. Quant aux Églises pauliniennes, elles ont des prophèteset des catéchètes appelés didascales; pas d'organisationrégulière; les fidèles se groupent autour de personnalitésmarquantes: Paul, Apollos, Stéphanas, etc (1Co 1:12 16:15).Quand les évêques interviennent, ce sont de simples «surveillants»,comme l'indique leur nom (épiscopoï) , «agents exécutifs del'association chrétienne» (E. de Faye). Ils sont d'ailleurs plusieursà l'oeuvre dans la même Église, nommés entre les «saints» et les«diacres» dans l'adresse de la lettre de Paul auxPhilippiens (Php 1:1). Les Actes et les épîtres témoignent de lafaçon la plus claire que la formation des Églises du premier siècles'accomplit non par les soins d'un collège épiscopal, d'une chargedont Jésus aurait revêtu les Douze et dont ceux-ci auraient assuré lacontinuité par la succession apostolique, mais que les communautéschrétiennes sont nées au gré des événements par la propagandefraternelle, l'action des charismes (voir ce mot) et la contagion del'Esprit. Pierre avait annoncé ce privilège de la communautémessianique en disant que la repentance et le baptême au nom de Jésusauraient pour conséquence le «pardon des péchés» et le «don del'Esprit» (Ac 2:38). Ce don ouvrait la source des charismes,c'est-à-dire des grâces spirituelles: la «parole de sagesse», la«parole de connaissance», les «dons de guérison», le «pouvoir demiracles», la «prophétie», le «discernement des esprits», la«glossolalie», le «don d'interprétation». Tous ces charismes sont l'«oeuvre d'un seul et même Esprit, qui distribue ses dons à chacun enparticulier comme il le veut» (1Co 12:8 et suivants). La façondont ces dons se présentent marque dans la plupart des cas leurspontanéité. Dans ces communautés de croyants où la sève spirituelledéborde, pas de sacerdoce: des ministères; un minimum d'ordre: pointd'ordination. Au sein de l'effervescence où s'accomplissent lesvastes semailles de l'Esprit, la part des Douze est si petite que lesActes et les épîtres ne disent pas un mot de la plupart d'entre euxet que la tradition elle-même, si fertile en légendes, n'arrive pas àles faire sortir de leur effacement. Il ne s'agit point ici de sous-estimer leur rôle, mais de lepréciser et, en le précisant, de le grandir. Jésus les a choisis, lesa constitués en collège, les a attachés à sa personne, les ainstruits, leur a fait partager ses souffrances et ses espoirs, les aentraînés à l'apostolat, leur a montré et jusqu'à un certain pointconfié son pouvoir sur les puissances mauvaises, les a liés dans leurcénacle par le mémorial de la Cène, leur a donné par sa résurrectionet par la Pentecôte l'impulsion spirituelle et leur a confié enpartant les destinées premières de l'Évangile dans le monde.Pourquoi? Pour créer une caste sacerdotale? Non! Si c'était cela, ill'aurait dit. Ce qu'il a voulu en formant cette petite associationdes premiers élus de la vie nouvelle, c'est faire d'elle la «cellulegénératrice du Royaume de Dieu» (de Faye) et mettre en eux, par laPentecôte, le «germe de force expansive» qui devait se développerdans l'Église. Jésus accomplissant les prophéties a vu en eux le«reste» d'Israël annoncé par les prophètes et destiné à devenir lesprémices du nouvel Israël. Ils ne sont pas chargés de gouvernerl'Église, ils sont l'Église dans son premier noyau. De fait, c'est bien tels qu'ils nous apparaissent dans leuractivité. Après la disparition de leur Maître, ils font revivre sonsouvenir, prêchent son Évangile, manifestent au milieu des foules dePalestine les charismes de l'Esprit qui se communique de proche enproche. Jésus devient vivant pour les masses, l'Esprit descend, lescommunautés naissent. Ce n'est pas de l'organisation ecclésiastique,encore moins du sacerdoce hiérarchique, c'est bien plus que cela:l'enfantement d'un monde nouveau. Au début, l'Église de Jérusalem,théâtre des grands événements constitutifs du christianisme, esttoute-transportée. Pierre et Jean y accomplissent des miracles;Etienne, son prophète, meurt dans des conditions qui rappellent lamort de Jésus. Après la persécution déchaînée par le martyre de ceprédicateur de l'Esprit, la communauté de Jérusalem, affaiblie,semble réduite à ses éléments judéo-chrétiens; elle se groupe autourde Jacques le Juste. A l'ombre du temple qui paralyse sondéveloppement, elle s'infléchit vers le retour au légalisme juif. Ilsemble que les premiers acteurs de l'épopée chrétienne s'y soienttrouvés à l'étroit. Philippe le diacre s'établit à Césarée. Les Douzes'éloignent. On retrouve Pierre, gagné au pagano-christianisme, àAntioche, puis à Corinthe; enfin, très probablement, il rejoint àRome l'apôtre des Gentils, tandis que la communauté judéo-chrétiennede Jérusalem épie Paul et se méfie de lui, en attendant qu'ellel'abandonne au moment du danger. Elle expiera sa faute en achevant demourir dans l'hérésie ébionite. Le paulinisme triomphera; ii marquerade son empreinte Pierre, puis Jean, et gagnera à l'Évangile lesAryens incirconcis, exauçant la parole de Jésus aux Sémites: «Leroyaume de Dieu vous sera ôté et sera donné à une nation qui enproduira les fruits» (Mt 21:43). Toute la floraison d'Églises deSyrie, d'Asie Mineure, d'Europe, les seules dont le N.T. 110usraconte les premiers pas, remonte sans doute aux Douze comme à lacellule initiale du monde chrétien, mais elles sont nées en dehors del'initiative des Douze, elles n'auront pas été organisées par eux, ettout leur développement primitif réfutera la thèse que l'épiscopatdes Douze est à la base de l'Église avec le miracle de l'eucharistie,la papauté de Pierre et sa succession apostolique (Ecclesia, p.95). Dès le II° siècle, l'Église était tombée dans un étatd'affaissement spirituel qui menaçait sa destinée. A la lutte menéepar l'apôtre Paul et ses émules pour la liberté chrétienne, lescharismes et la primauté de l'Esprit, avaient succédé le légalismedoctrinal, les débats théologiques, les combats contre les hérésies,en particulier contre les spéculations gnostiques, les divisionsintestines, les rivalités d'Églises métropolitaines ou de chefs. Lanécessité d'un retour vigoureux vers les origines s'imposait. On crutl'opérer en recourant à un «canon traditionnel» confié à la garded'un ordre hiérarchique. Le principe de cette institution se trouvedéjà dans Clément de Rome. Fervent admirateur de l'organisation del'Empire et porté à l'allégorie quand il s'agit de l'A.T., Clément nevoit d'autre salut pour sortir du désordre ecclésiastique que deconstituer fortement un clergé dont il va chercher le type à la foisdans la discipline militaire: éparques, chiliarques,hécatontarques, pentécontarques, et dans la préfiguration qu'offreà l'Église du Messie l'organisation lévitique: les lévites juifsfigureraient les diacres, les prêtres figureraient les presbytres, legrand-prêtre...; ici, une hésitation: est-ce le Christ, est-cel'évêque que figurerait le souverain pontife? Ce qu'il y a decertain, c'est que déjà pour lui, Clément, le culte chrétien estl'affaire d'une hiérarchie de clercs en dehors des laïques. Il croitcet ordre hiérarchique institué par le Christ. Tertullien reprendl'idée de l'ordre épiscopal et le présente comme inauguré par saintJean en Asie. Pour lui l'Église est fondée sur la distinction de la plebs et de l' ordo. Une fois cette distinction faite, il n'yavait plus qu'à lui laisser développer ses conséquences. Hégésippe,qui pourtant, par son attachement aux pratiques légales du judaïsme,s'avérait d'une orthodoxie fort douteuse, rendit un signalé service àla cause de la succession apostolique en voyageant d'Églises enÉglises pour dresser les listes d'évêques. La foi n'est pure, à songré, que si l'on peut vérifier la succession des évêques qui l'onttransmise depuis les apôtres. Episcopos, id est apostolos, diraCyprien. A Rome, Hégésippe eut la joie de pouvoir établir lasuccession de l'origine à Anicet (155-166). L'intention de ce premiertémoin de l'institution cléricale était uniquement de préserver lapureté de la doctrine et l'observation des principes donnés par lesapôtres et par le Christ, «La vérité est ce qui existe aprimordio, l'hérésie est ce qui est récent» (Tertullien). Mais enfait, par l'autorité absolue qu'il donne au clergé et parl'importance exclusive qu'il accorde à la succession épiscopale, ilouvre la porte à toutes les innovations que, sous le nom d'«apostoliques», évêques et papes introduiront dans le christianismesous prétexte de tirer les conséquences des principes posés par leChrist et ses disciples. Ce n'est point tout. Paul avait défendu la liberté des charismesspirituels et leur caractère démocratique (1Co 12); avec ladoctrine de la succession apostolique, les charismes deviennentl'affaire du clergé. La prétention épiscopale d'accaparer les donsspirituels, d'en disposer, de les transmettre par un geste de prêtrefut une aberration qui passe bien des hérésies; siècle après siècle,cette prétention dressera contre l'autorité romaine des milieuxchrétiens qui appartiendront à l'élite spirituelle de l'Église duChrist. Peut-être devons-nous déjà discerner dans 3Jean, 2° épître del'Ancien, disciple et successeur de l'apôtre Jean (voir Jean, 2 e et3 e ép.), une première forme de l'antagonisme naissant entrel'évêque, «qui aime à être le premier dans l'Église», et lesévangélistes johanniques, qui représentent la liberté des charismes,l'autonomie souveraine de l'Esprit. (cf. 3Jn 1:9 et suivant) Une fois les prêtres maîtres des laïques et les évêques maîtresdes prêtres, il s'agissait de savoir qui serait maître des évêques etoù serait la métropole infaillible de la foi. Ce fut la polémiquepascale qui fournit l'occasion. Déjà on aurait pu se rendre compte que la fidélité chrétienne etle don de l'Esprit ne marchent pas forcément avec l'épiscopatmonarchique. Dans l'Apocalypse, la réprimande à l'Église deSardes (Ap 3:1,4) montre que l'épiscopat, même sous sa formeprimitive, ne savait pas toujours maintenir la vie de l'Église, etque c'est non pas un collège d'évêques mais un noyau de fidèles quimaintenait dans la paroisse les enseignements du Christ. Que lasuccession apostolique ne garantît pas non plus la vérité pour ce quiconcerne les faits évangéliques, nous le voyons, dès le II° siècle,dans Irénée, qui enseigne que le ministère de Jésus a duré au moinsvingt ans, et dans les débats sur la date de la fête de Pâques, oùPolycarpe, évêque de Smyrne, et Anicet, évêque de Rome (155-166), nepurent se mettre d'accord, prétendant, avec la même ardeur, posséderchacun la tradition authentique des apôtres. Le débat se poursuit surce sujet et sur d'autres entre l'Orient et l'Occident. Qui donc aurale dernier mot? Rome, capitale du monde, d'où partaient les ordres dupouvoir administratif et ceux de la discipline militaire à laquelleon aimait à comparer l'obéissance des milices du Christ, n'était-ellepas la métropole où Paul et Pierre avaient enseigné, où ils avaientsubi le martyre? Le prestige de son magistère s'affirmait toujoursplus. L'évêque Victor (189-195), grand batailleur contre les hérésiesgnostique, montaniste et monar-chianiste, profite de la querellepascale qui agitait toute la chrétienté pour affirmer avec éclat laprimauté romaine. Vers 191, il intervient en Asie et somme Polycrate,évêque d'Éphèse, de se rallier à l'usage d'Occident. Polycrate,entouré des évêques asiates, répond que c'est l'Orient qui est fidèleà la tradition apostolique et déclare avec dignité: «Moi...qui compte65 ans dans le Seigneur, qui ai conversé avec les frères du mondeentier, qui ai lu d'un bout à l'autre les saintes Écritures, je neperdrai pas la tête, quoi que l'on fasse pour m'effrayer.» Victoravait donc menacé. Devant le refus de Polycrate et pour établirdécidément la suprématie de l'épiscopat de l'Église de Rome quidevenait de plus en plus, de par sa situation dans l'Empire, lecentre des relations interecclésiastiques, Victor, se sentantsoutenu, prend «une initiative plus hardie» (Batiffol) et fait savoirà tous les milieux chrétiens que les Églises asiates sont désormaisrejetées de la communion catholique. Cette excommunication déplut.Irénée protesta, ralliant à ses protestations l'ensemble des évêques,et Victor n'insista plus sur la sanction; mais il avait eu gain decause sur le fond: il avait impressionné. Dire avec Renan, à proposde ce conflit: la papauté était née et bien née, ou avec Batiffol: lacatholicité était née et bien née, c'est anticiper. La papauté nesera pas encore née au temps de l'évêque romain Etienne (254-257), cedeuxième Victor qui fulminera contre l'Afrique et l'Asie Mineure àl'occasion de la controverse baptismale, et auquel l'évêque deCarthage, Cyprien, fera savoir qu'il n'a pas à élever une voixprépondérante: «Nous n'entendons juger personne, ni séparer de lacommunion ceux qui pensent autrement; aucun de nous ne se pose enévêque des évêques, ni ne recourt à une terreur tyrannique pourcontraindre ses collègues à l'adhésion.» Il lui écrit directement:«Chaque évêque a, dans l'administration de son Église, le librearbitre de sa volonté et ne doit compte de ses actes qu'à Dieu.» EtCyprien se sépare d'Etienne en invoquant l'autorité de sa chaireépiscopale dans laquelle il s'estime, lui aussi, héritier de saintPierre. Pour Cyprien comme pour Etienne, tout candidat auquell'imposition des mains des évêques «a donné l'épiscopat» estsuccesseur des apôtres, et pour lui vaut la parole du Christ auxDouze: «Qui vous écoute, m'écoute.» Mais alors l'Église va-t-elles'épuiser en irréductibles conflits? La contradiction qui existe icientre les attitudes et les principes ne pourra être résolue que parla papauté imposée à l'ensemble des évêques. Victor avait fort bienvu cette conséquence forcée de la succession apostolique. Il vouluten tirer profit. Aussi peut-on affirmer sans courir le risque d'êtrecontredit que ce qui est «né et bien né» avec lui c'estl'autoritarisme persécuteur de Rome. Et de fait, l'excommunicationlancée par Victor va être reprise après lui et fulminer plus tard deRome, au nom de la succession apostolique, contre tous ceux quirefuseront de se soumettre au souverain pontife de la villeimpériale. C'est pour n'avoir pas voulu se courber devant sonmagistère que, dès avant le Moyen âge et jusqu'à nos jours, defidèles disciples du Christ ont été persécutés comme hérétiques etrejetés hors de l'Église, cependant qu'à l'intérieur de l'Église lesmembres du clergé qui, sans se révolter, montrent quelqueindépendance et, dans leur volonté de réformer l'Église, croientpouvoir triompher de Rome par «une obéissance qui l'épuisé», sontsuspectés, isolés, brisés et s'en vont grossir, dans des fonctions oùl'autorité romaine les ensevelit, la liste du martyrologe ignoré.C'est encore à cause de sa succession apostolique que Rome ne peutentrer en contact avec une démocratie sans que ce contact devienne unconflit. Le pape étant un vice-Dieu sur la terre, ce ne sont passeulement les questions de doctrine religieuse qui lui appartiennent,mais aussi les questions d'enseignement. Toute formation de l'espritappartient à l'Église, à la succession apostolique; et la luienlever, pour si peu que ce soit, puisqu'elle a reçu l'infaillibilitémorale, est un crime de lèse-divinité. «Donne-moi les âmes, disaitDupanloup à l'État, et je t'abandonne tout le reste.» Mais qu'estdonc ce reste? Le gendarme, l'impôt et la caserne. Aucune démocratieconsciente de ses devoirs n'acceptera ce marché. Voilà pourquoil'Église romaine, malgré ses efforts de propagande, ses vertusd'obéissance et ses chants de victoire, perd du terrain dans lasociété moderne et, ce qui est plus grave pour sa responsabilité, enfait perdre au christianisme. Nous ne pouvons ici qu'effleurer le sujet. Mais avant deconclure, revenons aux ministères dans le siècle apostolique et àl'Ordre romain. Si, comme l'affirme l'Église romaine, il n'yavait «pas de doctrine des apôtres hors du catholicisme et pas decatholicisme hors de la succession des évêques», Jésus n'aurait pasmanqué de donner sur ce point un enseignement précis et concluant.Or, il ne l'a pas fait. Les rares textes invoqués par l'Égliseromaine (Mt 16:19 18:18,Lu 22:19,Jn 20:23 21:15,19,Ac 8:14,17,etc.) sont tous susceptibles d'une interprétation différente de lasienne et doivent être interprétés différemment, si l'on veut lesmaintenir en harmonie avec l'ensemble de l'enseignement de Jésus,lequel peut se résumer dans ses déclarations solennelles à sesdisciples et au peuple qui le suivaient: «Vous, ne vous faites pasappeler maître, car un seul est votre Maître, et pour vous, vous êtestous frères; ne donnez à personne le nom de père, un seul est votrePère, le Père céleste; et ne vous faites pas appeler directeurs, carvous n'avez qu'un Directeur, le Christ...Qui s'élève seraabaissé» (Mt 23:8 et suivants). Par ces paroles et parl'ensemble de ses enseignements, Jésus a institué une démocratiespirituelle, un groupement de frères. Si certains d'entre eux, en particulier les apôtres, jouissentd'une autorité exceptionnelle, cette autorité n'est point en vertud'une charge épiscopale que Jésus leur aurait confiée, mais ellevient de l'estime où les mettait le fait que l'un avait occupé unesituation de premier plan parmi les Douze: Pierre, qu'un autre avaitété son intime ami: Jean, qu'un autre enfin était son propre frère:Jacques. C'est à ces divers titres que ces hommes sont regardés commedes «colonnes» parmi les frères et que Paul a recours à eux pour leurexposer la situation où le mettent les agissements de «faux frères».Il est heureux de recevoir d'eux «la main d'association», mais s'iln'avait rencontré leur approbation, il ne se fût point courbé sousleur verdict, car il n'estime pas que leur passé leur confère ledroit de légiférer dans des cas qui ne regardent que sa propreconscience (Ga 2:6). Paul, si respectueux de tout ce qui venaitde Jérusalem et qui fit durant son apostolat les concessions les plusfraternelles pour gagner la confiance et l'appui de l'Églisejudéo-chrétienne, se serait-il exprimé ainsi si les Douze avaientreçu de Jésus le magistère ecclésiastique, le pouvoir exclusif defonder l'Église sur le miracle du rite sacrificiel qui transformel'hostie en corps de Christ? Et si l'on se reporte de Ga 2 àAc 15, sans entrer dans l'examen critique qui permet d'affirmerque dans ce dernier texte, postérieur à l'épître, le conflit a étéfort atténué, que voyons-nous? Une question vitale pour la jeuneÉglise chrétienne, portée non devant les Douze mais devant uneassemblée générale, discutée selon le mode parlementaire, ettranchée, sur l'avis de Jacques qui n'était pas des Douze et quiparaît avoir présidé au débat, par une lettre qui n'émane pas ducollège des apôtres mais qui doit son autorité à ce qu'elle a étéenvoyée au nom de l'Église tout entière (Ac 15:22). On le voit,l'épiscopat tel que le présente la doctrine romaine est entièrementétranger à l'Église primitive; il ne remonte pas aux apôtres. Ceux-cifurent au sein de la communauté souveraine «les primi interpares, les premiers dépositaires de la parole du Christ, lestémoins de sa vie et de sa résurrection»; leur dignité est d'autantéminente qu'elle est toute morale et d'ordre spirituel. Cettedignité-là ne se transmet pas. Auprès d'eux, vers l'an 50, à l'époque où la prééminence passaitde Pierre à Jacques, apparaissent dans l'Église de Jérusalem lesanciens (presbuteroï), le conseil presbytéral de la communauté.Ce sont les notables de l'association chrétienne qui administrent sesintérêts financiers ou doctrinaux (Ac 11 et Ac 15) et quise groupent autour du plus considéré d'entre eux, en 1 espèce lefrère même du Seigneur. Rien ne rattache les presbytres ni à unecharge conférée par les Douze ni à l'épiscopat. Ils sont uneémanation de l'autorité judiciaire et religieuse de la communautéjuive, à laquelle l'Église de Jérusalem resta toujours intimementliée. Quant au mot épiscope (évêque), que nous rencontrons pour lapremière fois dans l'épître aux Philippiens (Php 1:1), J.Réville, dans son ouvrage sur l'origine de l'épiscopat, a fort bienétabli qu'il ne remonte pas aux apôtres, qu'il ne sort pas non plusdu presbytérat, mais qu'il s'appliquait primitivement aux fonctions«généralement désignées sous le nom tout semblable d'épimélète dans la société ambiante de cette époque». Les épiscopoï dePhilippes, administrateurs, censeurs, inspecteurs--quel que soit leterme moderne qu'on préfère--sont dans les associations religieuseschrétiennes ce que les épimélètes, ou suivant la terminologiehelléniste les épiscopes, sont dans toute espèce d'associationprivée du temps. «Dans des associations toutes morales comme lespremières communautés chrétiennes, le contrôle administratif matérielse doublait nécessairement d'un contrôle moral.» Voilà ce qu'ilimporte de mettre en lumière, parce que cela seul permet decomprendre la formation de l'épiscopat. L 'Ecclesia est uneconfraternité, où l'ordre, sans doute, devra amener une organisation,une distribution des pouvoirs et des fonctions, mais dans le maintiende la liberté spirituelle et de l'égalité fraternelle parmi lesrachetés de Jésus-Christ. C'est bien ainsi que l'a compris saintPierre dans son épître (1Pi 5:1,4), et c'est sur ce fondementque Paul établit sa notion d'Église (voir ce mot), ensemble dessaints et corps de Christ (1Co 3,2Co 6,Ga 2 et 3,Col 1 et2, etc.). Après les écrits du N.T., nous pouvons suivre les progrès del'organisation de l'Église dans la Didachè (Doctrine des douzeapôtres), sorte de manuel du chrétien, d'origine syro-palestinienne,retrouvée à Constantinople en 1875 et qui date des environs de 80 à100 (fig. 274). La doctrine romaine nous dit que ce document parle dela «hiérarchie stable des épiscopes». C'est une erreur. Les évêquesne sont encore nullement des dignitaires de l'Église, successeurs desapôtres. Ce sont des administrateurs, déjà des surveillantsspirituels mais de formation et d'autorité purement locale. Ils sontélus par les fidèles et n'ont point de caractère sacerdotal. Au tempsde la Didachè l'Église est une par l'unité de l'Esprit, nonpar l'organisation ecclésiastique. La foi est entretenue nonseulement par les presbytres et les évêques, mais par desprédicateurs itinérants, prophètes, apôtres ou simples témoins de latradition évangélique. On les contrôle, mais ils sont les bienvenuset rien ne les subordonne à une autorité sacerdotale quelconque. Noussommes encore en plein dans le règne de la souveraineté de l'Esprit.L'épître de Clément (Mort en 96) aux Corinthiens nous montre quel'épiscopat de l'Église de Corinthe était encore plural de son tempset que les droits de la communauté y demeuraient toujoursintangibles. Il croit que les premiers évêques ont été choisis parles apôtres, mais veut que les autres soient élus par les notables,«par le consentement de toute l'Église» (44:3); donc rien n'existaitencore de la succession romaine. D'ailleurs ces nominationsdémocratiques n'allaient pas toutes seules. Tertullien, en plein III°siècle, n'écrit-il pas que «la nomination des évêques était uneoccasion de schisme»? (De baptismo, 17). Ce n'est point ici le lieu de poursuivre cette étude, sans quoiil serait intéressant de montrer comment, dans la première partie duII° siècle, Ignace est amené, par les craintes que lui inspirent lestroubles dans les Églises d'Asie, à souhaiter que les fidèles segroupent autour d'évêques ayant les presbytres comme conseillers etles diacres comme agents. C'est l'acheminement vers l'épiscopatmonarchique. Mais nous en sommes encore loin. La preuve qu'Ignacenous présente l'idéal vers lequel il aspire plutôt que la réalité deson temps, c'est que l'évêque Polycarpe, dans sa lettre auxPhilippiens (vers 155), ne se présente nullement au nom de sonautorité épiscopale et ne mentionne même pas les évêques de l'Églisede Philippes. Il écrit: «Polycarpe et ceux qui sont avec luipresbytres, à l'Église de Dieu qui réside à Philippes.» Prenons maintenant la question par le côté ordination. La doctrine romaine définit l'Ordre; le sacrementqui, par le rite reçu dans l'Église, confère le pouvoir d'exercer lesfonctions saintes, notamment celle d'offrir le corps et le sang duSauveur et de remettre les péchés (Ecclesia, p. 137); «l'Ordre aété institué par Jésus-Christ...Il a donné à ses douze apôtres laplénitude du sacerdoce...Les apôtres se continuent dansl'épiscopat...seul l'évêque peut communiquer à d'autres [aux prêtres]ce pouvoir [consacrer l'Eucharistie] par l'ordination [imposition desmains].» Une chaîne ne vaut que si elle accroche. Il en est de même del'ordination. Nous venons de voir que la chaîne de l'épiscopatmonarchique n'accroche pas. Pour ce qui est de l'ordination en elle-même, nous ne latrouvons nulle part dans l'enseignement de Jésus. Jésus, qui imposeles mains aux enfants et aux malades, n'a pas imposé les mains à sesdisciples lorsqu'il les a envoyés prêcher et accomplir des miracles,ni lorsqu'il leur a donné l'ordre d'enseigner et de baptiser, nilorsqu'il leur a dit en instituant la sainte Cène: «Faites ceci enmémoire de Moi.» Quant à la succession apostolique par l'imposition des mains: laconsécration, le récit des Actes met son point de départ non pas dansle collège des apôtres qui prirent la Cène avec Jésus, mais dans lemilieu syrien où Paul exerçait son ministère. Nous voyons les Douze imposer les mains aux diacres qui n'étaientpas destinés au service de la parole (Ac 6:6), aux convertis deSamarie pour qu'ils reçoivent le Saint-Esprit (Ac 8:17); mais lapremière imposition des mains en vue de la prédication de l'Evangileest donnée à Damas, et c'est un simple disciple nommé Ananias qui estchargé de cet acte par le Seigneur. Or, il s'agissait icid'introduire saint Paul dans l'apostolat! (Ac 9:17) Plus tard, la première consécration ayant un caractèreecclésiastique est donnée pour la mission en terre païenne à Barnabaset à Saul dans l'Église d'Antioche, par des fidèles que leurslumières ou un don spécial de l'Esprit avaient rendus capablesd'enseigner leurs frères dans la vérité chrétienne. Fort de cetteconsécration, Paul annonce l'Évangile, fonde des communautés etorganise le ministère dans l'Église primitive. A son tour, ilconsacre Timothée (2Ti 1:6), l'établit «prédicateur, apôtre etdocteur» (2Ti 1:11), le charge après lui de choisir des chefs decommunautés (1Ti 3:1,7,14), de confier la prédication del'Évangile à des «hommes fidèles et capables» (2Ti 2:2), et luirecommande de n'imposer les mains à personne avecprécipitation (1Ti 5:22). En tout cas, si nous voulons nous en tenir à ce que le N.T. nousraconte, nous constatons que la prétendue succession apostolique partnon de Pierre et de Jérusalem ou de Rome, mais de Paul et de l'Églised'Antioche. Cette imposition des mains, par laquelle la société des croyantsconfère un ministère évangélique et appelle sur celui qui le reçoitles forces spirituelles nécessaires pour l'accomplir, s'est perpétuéedans l'Église depuis les jours d'Antioche. Les milieux chrétiens quivoient en elle la véritable succession apostolique sont bien plusdans le vrai que le clergé qui prétend s'en attribuer le privilègepar la voie d'une ordination épiscopale dont la continuité et lamoralité sont également indémontrables (voir Noël). Il suffit d'étudier les textes pour voir que Paul a eu sur laconduite ecclésiastique comme sur la pensée théologique de Pierre uneaction décisive, et que Pierre lui-même, fort éloigné de s'attribuerune suprématie qu'il aurait reçue du Seigneur, exhorte les anciens,dans sa première lettre, non en vicaire de Christ et chef du clergéde l'Église, mais simplement comme un «ancien parmi les anciens», etcomme un «témoin des souffrances du Christ» (1Pi 5:1). En résumé: l'évêque (surveillant) dont il est question dans leN.T. 11'est autre chose qu'un pasteur de paroisse et n'a rien à fairedu tout avec l'épiscopat traditionnel (cf. Calvin, Instit., IV,23). Il est très suggestif de constater que l'Église romaine n'a puétablir son système hiérarchique qu'en éliminant saint Paul: «SaintPaul, écrit Batiffol, est le missionnaire par excellence, mais iln'aura pas d'imitateurs dans les générations qui suivront lagénération des apôtres», et en éliminant Paul au profit de Pierre: «L'évêque de Rome était le successeur non pas de Pierre et de Paul,mais de Pierre seul; il tenait sa place, il était assis dans sachaire.» Or, nous avons vu que l'Église de Rome était déjà fondée, etmême que sa foi était «renommée dans le monde entier», avant qu'aucundes Douze s'y fût rendu (Ro 1:8). Nous savons en outre: que Paul y arriva le premier parmi les apôtres,car il prend soin de dire aux Corinthiens qu'il n'allait pasévangéliser sur le champ de travail d'autrui (2Co 10:15 etsuivants); que les anciens historiens ecclésiastiquesparlent du séjour à Rome de Paul et de Pierre; que Linus, premier évêque de Rome, était l'ami dePaul (voir Linus); que le N.T. ne parle que de l'action de Paul dansl'Église de Rome. La succession apostolique romaine, qui ne se justifie pas aupoint de vue des textes du N.T., ne se justifie pas davantage aupoint de vue psychologique. On lit dans le Livre de Piété de laJeune Fille (617e éd., 1916, p. 469): «Respectez le prêtre; sanslui, vous n'auriez pas J.-C. Qui est-ce qui l'a mis là, dans cetabernacle? Le Prêtre.--Qui est-ce qui a reçu votre âme à son entréedans la vie? Le Prêtre.--Qui la nourrit pour lui donner la force defaire son pèlerinage? Le Prêtre.--Qui la préparera à paraître devantDieu? Le Prêtre, toujours le Prêtre.--Et si cette âme vient à mourir,qui la ressuscitera, qui lui rendra le calme et la paix? Encore lePrêtre.--Vous ne pouvez pas vous rappeler un seul bienfait de Dieusans rencontrer, à côté de ce souvenir, l'image du Prêtre.--A quoiservirait une maison remplie d'or, si vous n'aviez personne pour enouvrir la porte? Le Prêtre a la clef des trésors célestes: c'est luiqui ouvre la porte; il est l'économe du bon Dieu, l'administrateur deses biens. Allez vous confesser à la Sainte Vierge ou à un ange, vousabsoudront-ils? Non. Vous donneront-ils le corps et le sang de N.-S.?Non. La Sainte Vierge ne peut pas faire descendre son divin Fils dansl'hostie. Vous auriez deux cents anges là, qu'ils ne pourraient vousabsoudre. Un prêtre, tout simple soit-il, le peut; il peut vous dire:Allez en paix, je vous pardonne.» On le voit, ce que René Pintard a écrit de la dévotion du grandsiècle convient à tous les siècles depuis le concile de Trente, et enparticulier au nôtre, avec son infaillible Pontificat. Lethéo-centrisme a fait place à «l'ecclésiolâtrie, adoration del'Église par elle-même, subordination de tout à elle, même dessouffrances du Christ. Le Calvaire ne semble avoir de valeur, auxyeux de ces dévots, que dans la mesure où il prépare la messe; leChrist, de vertu que dans la mesure où il préfigure le prêtre» (Foiet Vie, 1933, p. 40). Une caste de surhommes, dotée d'une telle puissance, ne peut êtremélangée au reste de l'humanité ni dans les années de soninstruction, ni dans l'exercice de son ministère. Le plus grand soindoit être apporté à ce qu'aucun intrus ne s'immisce dans cette saintehiérarchie. Le célibat l'a mise hors de la filiation humaine.L'ordination par l'imposition des mains transmet à l'ordiné lepouvoir sacré que possédait l'ordinant. Ce sacrement opère par savertu propre et demeure opérant quel que soit le caractère de celuiqui officie, «Ce n'est pas le cadavre qu'il faut regarder, dit lecuré d'Ars, quel que soit le prêtre c'est toujours l'instrument dontle bon Dieu se sert...» On peut voir ici une admirable forme del'humilité. Il n'empêche que nous touchons au point psychologique oùla succession apostolique romaine contredit le plus violemmentl'institution chrétienne. Jésus, et après lui Paul et Jean, ont bienopposé deux humanités, la naturelle et la surnaturelle; mais l'uneétait selon la chair et l'autre selon l'Esprit; ce qui les séparait,c'était une nouvelle naissance. La succession apostolique instituéepar le catholicisme établit aussi deux humanités, mais ce n'est plusla nouvelle naissance qui les distingue: l'une est la plebs mineure, la laïcité, l'autre est la caste sacerdotale qui, par lesacrement, constitue proprement l'Église dans ses pouvoirseucharistique et divin. Elle crée l'homme-miracle. Mais le miracle,lorsqu'il n'est pas conditionné par la valeur morale de celui quil'opère, n'est que magie, et nous retombons avec lui dans lacatégorie des faits observés par les historiens des religionsnaturelles. Ce qui distingue la religion chrétienne des autresreligions, c'est précisément que Jésus a mis tout l'accent sur lapersonnalité et non sur la fonction. Avec lui, la régénération est lepoint de départ de tout dans l'activité ecclésiastique, elle est laraison d'être de ses mandataires. Pas un seul mot dans les évangilesne permet d'admettre que Jésus ait mis entre les mains de sesdisciples un instrument autorisant l'homme naturel à accomplir lesoeuvres de l'Esprit. L'Église catholique, avec les prérogatives de sacaste sacerdotale et l'autorité suffisante de son opus operatum, s'est substituée à Jésus-Christ; elle se prévaut d'un pouvoir qu'iln'a pas donné. Elle s'est attribué, suivant le mot de R. Will,«l'absoluité des choses divines». Elle est, selon Guardini, le Christlui-même, le Christ devenu communion (Rev. Strasb., 1932, p.472). C'est à bon droit que Vinet appelle à cet égard le systèmeromain: «une grande transaction avec l'homme naturel; car à quoitient de toute sa force l'homme naturel, sinon d'abord à substituerle faire à l'être, ou les oeuvres à la foi, et puis le mérite à lagrâce, ou l'homme lui-même à Dieu? Ce que l'Évangile est venu luiarracher, le catholicisme veut le lui rendre. De là le sacrifice, delà le prêtre, la hiérarchie, l'Église, le système tout entier.» Voir Apôtre, Clefs (pouvoir des), Linus, Imposition des mains. Alex. W.