SORCELLERIE

La sorcellerie est, par rapport à la magie, comme une espèce dans ungenre. Elle suppose dans l'esprit qui y croit les mêmes principespseudoscientifiques qui servent de fondement à la magie (voir cemot). Elle est essentiellement caractérisée par l'usage auquel ellesert ou plutôt est censée servir. Tandis que le magicien emploiecertaines lois, ou plutôt prétendues lois, pour obtenir des résultatsqui peuvent sembler extraordinaires, mais n'impliquent pas forcémentune qualification mauvaise, la sorcellerie poursuit des finségoïstes, mauvaises, anti-sociales et parfois criminelles. Parexemple, un médecin, chez une peuplade non civilisée, ou même chezdes civilisés, peut obtenir, au moins en apparence, un résultatheureux en ajoutant des procédés magiques à des remèdes rationnels.Si son intention n'a rien d'immoral, il ne doit pas être qualifié desorcier. Le sorcier, dans la plupart des cas, n'agit point pourguérir, mais pour tuer ou pour rendre malade. Quand il ne poursuitpas un but personnel, il met son art néfaste au service d'un tiersqu'il veut aider à commettre un délit ou même un véritable crime. Onne peut pas dire que, dans ce cas, il soit désintéressé, car ilcompte sur une honnête rétribution. Le sorcier est essentiellement unjeteur de sorts, un envoûteur, un auteur de maléfices. Pour exprimer cette distinction, on se sert quelquefois d'unqualificatif qui désigne l'espèce de magie dont on veut parler; onparle alors de magie blanche et de magie noire. La magieblanche est celle qui, tout en poursuivant des fins illusoires, n'estpas inspirée par des intentions méchantes et ne recourt pas à desprocédés immondes. La magie noire est celle qui, par les butspoursuivis et par les pratiques mises en usage, est nettementantisociale. La sorcellerie, comme la magie, peut n'être pas sans rapportsavec la religion. Quand elle prend des allures religieuses, elleapparaît surtout comme une parodie, une caricature, ou tout au moinsun renversement de la religion. La plupart, sinon tous les ritesauxquels elle recourt, consistent en une inversion des ritesreligieux. On fait avec la main gauche ce qui, dans le ritereligieux, est fait de la main droite; on intervertit l'ordre desformules prononcées, etc.; par exemple, on dira le Notre Père encommençant par la fin. Ce ne sont pas seulement les pratiques quisont retournées, c'est, dans certains cas, la conception même de lapuissance divine qui subit la même déformation. Ce n'est pas sensibledans les formes les plus inférieures de la religion, où aucunemoralité n'est supposée dans la représentation qu'on se fait desdieux, mais c'est très visible dans les religions supérieures, oùDieu est alors remplacé par le diable. On discute parfois sur le genre d'efficacité qu'il fautreconnaître aux pratiques de sorcellerie. Il ne faut pas ignorer que,dans certains cas, ces pratiques s'accompagnent d'actes vraimentcriminels. Un jeteur de sorts peut parfaitement aider l'action de sesmaléfices par un véritable empoisonnement. Dans la plupart des cas,la réussite de son opération est due essentiellement àl'autosuggestion et à l'imagination. Il y a des envoûtements quiréussissent: ce sont ceux que leur auteur a trouvé le moyen de faireconnaître à sa victime; celle-ci croit à la force de ce qui estentrepris contre elle, en attend la réalisation, en éprouve une tellepeur qu'elle peut en mourir. Dans l'A.T., les sortilèges prennent surtout la forme de lamalédiction (voir ce mot), par ex. dans 2Sa 16:5,Ps 59:13. Lelivre des Proverbes essaie de rassurer les âmes contre cette espècede sortilège: «La malédiction sans cause n'a pas d'effet» (Pr26:2). Mais les autres formes de sorcellerie existaient aussi enIsraël. Quand ils avaient occupé le pays de Canaan, les Israélitesles y avaient trouvées très vivantes. On a recueilli à TellSandahanna, emplacement probable de l'ancienne Marésa (voir ce mot),des figurines de plomb qui relèvent sûrement de la sorcellerie: cesstatuettes grossières avaient les mains liées sur la poitrine ouderrière le dos avec des fils de plomb, de fer ou de bronze, etplusieurs d'entre elles avaient les pieds attachés de la mêmemanière. Comme M. Clermont-Ganneau l'a vu le premier, ces figurinesavaient servi à envoûter les personnes qu'elles représentaient. «Cesobjets, dit M. Ad. Lods (Israël, p. 122), sont de date assezbasse, de l'époque séleucide, semble-t-il; mais les pratiques qu'ilsattestent ne devaient pas être d'importation récente en Palestine.Car l'envoûtement était en usage depuis de longs siècles en Orient:chez les Hittites, les Assyriens et les Israélites (Eze13:18-20). Le Deutéronome, du reste, suppose l'existence, chez lesCananéens eux-mêmes, de sorciers «noueurs de noeuds», khôbérkhâber (De 18:11).» La condamnation contre les magiciennes est en réalité dirigéecontre les pratiques de sorcellerie: «Tu ne laisseras pas vivre lamagicienne» (Ex 22:18, cf. Le 20:27,Mal 3:5, Sag 12:4). Ilserait d'autant plus étonnant que la sorcellerie n'ait, pas sévi enIsraël, comme d'ailleurs en Canaan, qu'elle jouait un grand rôle danstoutes les religions de l'antiquité (cf. le code de Hammourapi, art.1 et 2). Dans l'antiquité, la maladie est attribuée à l'action desdémons ou des charmes qui se sont emparés d'un homme. Les pratiquesdes exorcistes pour forcer les démons à quitter le corps des possédésou les charmes à perdre leur force, ne sont pas autre chose qu'unelutte contre des ensorcellements, c'est-à-dire contre des pratiquesde sorciers. Ce qui, chez beaucoup de peuples, intensifie la peur des sorciersau point de faire vivre les gens dans une terreur perpétuelle, c'estune croyance extrêmement répandue et d'après laquelle l'esprit d'unhomme peut sortir de son corps pendant le sommeil et aller commettredes actes dont l'individu, à son réveil, ne se souvient plus. Voilàpourquoi des personnes accusées de sorcellerie ne se défendent pas.Elles croient que leur esprit a pu commettre pendant leur sommeil desactes qu'elles sont les premières à réprouver. Accusés, ces individusse laissent condamner et frapper sans se défendre. La croyance à la sorcellerie a été léguée par l'antiquité païenneà l'Eglise chrétienne. Des conciles successifs, par exemple celuid'Ancyre en 314, celui d'Irlande en 466, etc., prononcent descondamnations contre ceux ou celles qui se livrent à ces pratiques.Mais toutes ces condamnations ecclésiastiques, jusqu'au XV e siècle,se sont en général bornées à nier l'efficacité de la sorcellerie.C'est seulement après la publication du Maliens maleficarum, oeuvre des deux inquisiteurs Henry Krammer, dit Institor, et JacobSprengel, de l'ordre des Frères prêcheurs, que la croyance àl'efficacité de ces pratiques se répandit très rapidement. Le Malleus maleficarum, ou marteau des sorcières, n'avait d'autrebut que de diriger ceux qui étaient chargés de poursuivre lessorcières et de leur faciliter la fermeté. Ces deux auteurs seplaignent dans leur préface que des docteurs et des prêtres aient eul'impudeur de publier qu'il n'y a pas de sorcières et de soutenir quecelles qu'on traite comme telles, malades ou insanes, méritent plutôtl'hôpital et les soins que les châtiments. L'université de Cologne,dans l' approbatur donné au livre, se plaignait, elle aussi, que«bien des directeurs de conscience, des prédicateurs de la Parole deDieu, osaient publiquement, dans leurs sermons au peuple, assurer etaffirmer qu'il n'y a pas de sorcières ni de magiciens capables denuire aux créatures par une opération quelconque»; elle estimait que,«par suite de ces sermons inconsidérés, le bras séculier se trouvaitprivé de la force de punir de pareilles gens». La publication de ce Marteau des Sorcières n'eut d'autre effet que de multiplier lesaccusations de sorcellerie. En plein XX e siècle, ces pratiques n'ont pas encore disparu.L'étude attentive des procès criminels prouve que bien des meurtresn'ont d'autre cause que la volonté de se défendre contre despratiques soupçonnées (voir les exemples donnés par M e MauriceGarçon dans son livre cité plus loin). Il ne serait pas difficile,dans les campagnes des divers pays d'Europe, de trouver des figurinesen cire destinées à recevoir des coups d'épingle vers l'emplacementdu coeur. Rien ne prouve mieux que la pratique de l'envoûtement n'apas disparu.


BIBLIOGRAPHIE.-- Outre les livres déjà cités à l'article Magie,on pourra consulter:--Baissac, Les Grands Jours de la Sorcellerie, Paris1890.--Maurice Garçon et Jean Vinchon, Le Diable, étude critiqueet médicale, Paris 1926. R. A.