SMYRNE

(grec smurna =myrrhe). Fondée par les Eoliens plus tôt que l'an1200 av. J.-C, sinon plus tôt encore par des Éphésiens (la légende lafait remonter à une Amazone, conquérante d'Éphèse, qui lui auraitdonné son nom), Smyrne devint ensuite colonie 10nienne. Avec sonacropole, élevée d'abord au Nord du golfe de Smyrne, sa situationmaritime et ses relations commerciales, elle ne tarda pas à acquérirpuissance et richesse et put résister longtemps aux attaques du roivoisin, de la Lydie (capitale Sardes). Réduite enfin par Alyatte,vers l'an 600, Smyrne, très grecque d'esprit, fut détruite et ruinéepour plus de trois siècles: elle ne fut plus que le centre d'un petitgroupe de villages sans gouvernement propre. Alexandre le Grand,vainqueur de Sardes, entreprit la reconstruction de Smyrne selon unplan que son successeur Lysimaque acheva de réaliser (vers 290) etqui en fit la plus belle cité d'Asie Mineure: transportée au Sud-E,du golfe, Smyrne acquérait un excellent port avec un bassin intérieurtrès sûr; point de jonction des voies de mer et de terre, entreOrient et Occident, elle redevint très prospère grâce à son commerce.Alliée à Rome, elle lui éleva un temple dès 195 av. J.-C, malgréAntiochus le Grand, et elle aida le grand empire dans ses campagnescontre les Séleucides et contre Mithridate; sa fidélité constante estattestée par Tite-Live (38:39), et par Cicéron qui l'appelle «la citéde nos alliés les plus fidèles et les plus anciens». Sa puissance etses relations avec l'Occident lui permirent plus tard de résister ladernière à la conquête turque: fief des chevaliers de Saint-Jean auXIV° siècle, elle ne fut emportée qu'en 1402, par Tamerlan, qui duten faire un siège prolongé, et niveler son port intérieur; vingt ansaprès, elle passa sous le joug musulman, mais l'influence chrétiennedomina généralement celle de l'islam dans Djiaour Ismir (Smyrnel'Infidèle), qui encore aujourd'hui est une cité florissante,d'environ 400.000 habitants. La Smyrne éolienne adorait une variété locale de Cybèle connuecomme la «déesse mère Sipylène», du nom de sa province d'origine,dans les montagnes du nord, et qui, à l'époque ionienne, put êtreidentifiée avec Némésis, mais une Némésis conçue comme double, seulexemple de ce type. Smyrne s'enorgueillissait d'être la patried'Homère: le Mélès, sur les bords duquel naquit le poète, devraitalors être identifié avec le Chalma-Bounar, splendide fontaine audébit régulier, à la température égale, formée par un groupe desources aux «Bains de Diane» et qui s'écoule à la mer par un courtcanal. La Cybèle, double ou unique, coiffée de tours et de rempartsou accompagnée d'une proue de navire, se retrouve souvent sur lesmonnaies de Smyrne; parfois aussi le dieu Mélès. Au temps où l'Apocalypse fut écrite, Smyrne (Ap 1:11) étaitune grande et belle cité, fière de ses richesses et de sa splendeur,qui disputait à Éphèse et à Pergame le titre de «Première de l'Asie».Ses maisons s'élevaient du bord de la mer au sommet du mont Pagus,couronné de temples et d'édifices: cette colline arrondie (alt. 175m.), coin du grand plateau oriental appuyé sur l'immense continentasiatique, formait une acropole idéale (fig. 249). «La première del'Asie par sa grandeur et sa splendeur», comme l'affirmaientcertaines de ses monnaies, Smyrne avait de très belles rues,remarquablement pavées, harmonieusement ordonnées et bordées debâtiments luxueux; sa «rue de l'Or», en particulier, qui réunissaitles hauteurs de l'ouest à celles de l'est, du temple de Zeus Akraïosà celui de Cybèle Sipylène, en s'incurvant vers le centre de laville, était souvent comparée à un collier de joyaux au cou d'unestatue. Les forteresses et les tours de l'acropole évoquaient à leurtour une couronne: celle que porte la déesse sur les monnaies. L'expression «couronne de Smyrne» était d'ailleurs fort souventemployée pour désigner ce couronnement d'édifices pris en lui-même,ou comme symbole de la puissance de la cité. Apollonius de Tyane,Aelius Aristide vantent la beauté de cette ville, qu'ils comparent àune fleur, à la couronne d'Ariane (couronne boréale), à une statue(avec ses pieds sur le rivage, sa tête élevée couronnée de tours, soncollier de joyaux). Sans cesse enrichie par son commerce, Smyrne n'aconnu la dévastation de nombreux tremblements de terre que pour serelever chaque fois plus brillante dans son incomparable beauté. Unebrise d'ouest très régulière l'après-midi, jusqu'au soleil couchant,y tempère très agréablement l'atmosphère d'été; mais son humiditérend difficile l'assèchement des parties basses de la plaine et de laville. Au I er siècle, Smyrne devait être le centre des communicationspostales dans la vallée du bas Hermus et sur les côtes ioniennes dunord, avec les îles de Chio et Mitylène. Son Eglise chrétienne, issued'une colonie juive, avait reçu l'Évangile de bonne heure, car elleétait proche d'Éphèse (cf. fig. 248), où l'apôtre Paul exerçalongtemps son ministère. C'est celle qui reçoit la plus belle dessept lettres aux Églises d'Asie (Ap 2:8-11). Comme la cité quiétait morte temporairement pour renaître plus florissante que jamais,Celui au nom duquel Jean écrit est revenu à la vie. En son nom, touteassurance est permise à ceux qui sont riches des vrais biens. Lesdisciples connaîtront bien des souffrances, et d'abord la prison:mais leurs souffrances auront un terme certain (dix jours =nombrelimité). S'ils sont fidèles à Dieu, comme leur ville a su l'être àses amis de Rome, ils recevront une couronne à laquelle ne peuvent secomparer celles des fleurs, des rem-parts ou des tours de la villeelle-même: la couronne de vie! Ils ne seront jamais vaincus par lamort. En effet, l'Église de Smyrne se montra fidèle à l'Évangile, déjàdans les «afflictions» que lui valut l'attitude de ses membres enface du culte impérial qui se célébrait dans la ville, au temple deTibère et de Julie (bâti en 26 ap. J.-C). Plus tard elle connut lamémorable épreuve du jugement de son évêque Polycarpe (155 ou 156) etde son martyre sur le bûcher, près du stade au pied du Pagus, où l'onmontre encore son tombeau; elle écrivit aux Églises du Pont au sujetde ce martyre. L'histoire a justifié la prédiction biblique: quoiqueayant été prise comme couronne de victoire par bien des conquérants,et comme le terrain d'atroces luttes de races jusqu'au XX e siècle,Smyrne survit aux tourmentes du temps; encore aujourd'hui, nombreuseet prospère, avec une population mélangée mais à majorité grecque, etune colonie européenne importante, elle demeure la plus belle cité del'Asie Mineure. A. R.