1. Données bibliques. Fils d'Elkana l'Ephraïmite et d'Anne sa seconde femme, Samuel (hébreu Chemouel), consacré à Dieu dès son enfance, est élevé ausanctuaire de Silo où se trouve l'arche dont!e prêtre Héli estgardien. Il ne tarde pas à succéder à ce dernier comme juge enIsraël, aux sombres jours où l'arche était tombée aux mains desPhilistins (1Sa 1-6). Sous l'impulsion de Samuel, Israël reprendcourage et les Philistins sont battus à Ében-Ezer (1Sa 7). A lasuite de ces événements le peuple demande un roi, souhait impie selon1Sa 8, ordre de JHVH lui-même, dit 1Sa 9:16. Ayantrencontré le Benjaminite Saül fils de Kis, Samuel le persuade decette mission et le présente à l'assemblée de Guilgal comme l'élu deJHVH (1Sa 9,1Sa 10). Après les premiers exploits du jeune chef,Samuel se désiste de ses fonctions, non sans rendre le peupleattentif aux droits du souverain et aux devoirs des sujets à sonégard (1Sa 11,1Sa 12). Après une lutte glorieuse contre lesPhilistins (1Sa 13,1Sa 14) où s'illustre son fils Jonathan, Saülattaque les Amalécites. Il épargne le roi et une grande partie dubutin. Cette désobéissance aux strictes prescriptions de Samuelentraîne le rejet de Saül (1Sa 15). Sur l'ordre de JHVH, Samuelcherche et trouve un autre chef en la personne de David fils d'Isaï,de Bethléhem, qu'il oint séance tenante (1Sa 16). Dès lors ildisparaît de la scène. Sa mort est signalée 1Sa 25:1; et c'estson ombre qu'évoque la pythonisse d'Endor, à la demande de Saül, laveille de la bataille de Guilboa (1Sa 28 et suivants). 2. Rôle de Samuel. Malgré leurs données parfois contradictoires et tendancieuses, cespages nous permettent de déterminer le rôle prépondérant de Samuel àcette heure grave de l'histoire d'Israël. (a) Rôle politique. A peu près à l'époque où Israël conquit Canaan, c'est-à-dire vers1200 av. J.-C, les Philistins, venus probablement du S. de l'AsieMineure, occupèrent la région maritime, de la frontière d'Egypte auCarmel. Leur intérêt les poussait à étendre leur domination vers leN.-E., le long de la route des caravanes d'Egypte à Damas. Mais ilsse heurtaient là à Israël, qui tenait les montagnes et la plaine deJizréel. Les conflits incessants (comp, l'histoire légendaire deSamson) mirent finalement Israël dans une situation très précaire.Les Philistins s'emparèrent de l'arche de JHVH, occupèrent certainscantons d'Éphraïm et de Benjamin et établirent des garnisons auxpoints stratégiques les plus importants. Sous le coup du malheur, Israël se ressaisit. Le patriotismerevêtit d'abord la forme religieuse assez curieuse du prophétismeprimitif: des bandes d'extatiques, de visionnaires et de possédésparcouraient le pays en se livrant à leurs étranges pratiques. Maisce mouvement, d'origine sans doute cananéenne, s'affirmait icicomplètement au profit de la religion nationale: c'était le zèle pourJHVH qui agitait ces exaltés. Le rôle de cette propagande de qualitéinférieure n'est pas négligeable; mais, laissée à elle-même, ellen'eût sans doute abouti qu'à des troubles passagers, sans profitdurable, si l'homme qui allait incarner le relèvement d'Israël,Samuel, n'avait paru à cette heure-là. Il était (1Sa 1:1) de Rama d'Éphraïm (voir Rama, 2).Cruellement affecté par la situation de son peuple, il trouvait danssa foi en JHVH une raison péremptoire de travailler à la restaurationnationale. Ne trouvant ni dans l'infériorité physique, ni dans ladisparition de la foi religieuse, encore très vive au coeur debeaucoup, la raison de l'abaissement d'Israël, il la découvrit dansl'anarchie où vivait le peuple, dans cet état où «chacun faisait cequi lui semblait bon» (Jug 17:6 21:25), dans l'isolement desclans, résultat assez naturel du passage de l'état nomade à l'étatsédentaire. La configuration accidentée du sol de Canaan, qui rendaitdifficiles les rapports entre les différentes régions, aggravaitencore cet état de choses. L'ennemi n'avait devant lui que desgroupes incohérents trop faibles pour lui résister. C'était ainsi,par le lent asservissement de la nation, la fin misérable de laglorieuse épopée commencée au Sinaï. Samuel eut le mérite de comprendre que l'union des tribus sous unseul chef était la seule chance de salut; bien mieux, quel'établissement de la royauté était l'expresse volonté de JHVH. Sapiété et son patriotisme s'unirent dans cette conviction. La difficulté était de trouver l'homme approprié. Samuel ledécouvrit en la personne d'un jeune propriétaire de Guibéa deBenjamin (aujourd'hui Tell el-Foul, 3 à 4 km. au Nord deJérusalem), Saül, fils de Kis. Il n'eut pas grand'peine à gagner àses projets cet homme enthousiaste et généreux: par la considérationqu'il lui témoigna, il le persuada de la mission de grouper autour delui d'abord les forces de sa tribu, puis celles de tout Israël pourrestaurer l'indépendance en chassant l'ennemi. Tâche politique etmilitaire à laquelle le patriote de Rama sut donner aussil'importance d'une tâche religieuse; au nom de JHVH il oignit Saülroi, en secret, sans doute pour ne pas éveiller les soupçons desPhilistins, non sans le présenter toutefois aux notables de sabourgade (1Sa 9:27-10:1). Il le congédia en laissant à Dieu lesoin de lui donner l'occasion de s'imposer au peuple par quelqueexploit mémorable (1Sa 10:7). Ce n'était pas tout: il fallait créer dans la nation un courantfavorable à la nouvelle institution. Pour réveiller dans les massesla ferveur patriotique, Samuel n'hésita pas à utiliser les servicesdes prophètes dont nous avons parlé et qui, se croyant possédés deJHVH, ne visaient qu'à défendre sa cause. Mais cette cause étaitcelle d'Israël lui-même. Sans se mêler à eux, Samuel encouragea leurpropagande religieuse et patriotique. Le public, qui avait quelquemépris pour leur attitude (1Sa 19:24), entendait du moins, dansleurs discours enflammés, proclamer la gloire de JHVH et la grandeurdu peuple qui le sert. Tout cela, joint à l'activité de Samuellui-même, devait préparer la nation pour le jour où le nouveau chefse révélerait et l'amener à faire bloc autour de lui. L'événement netarda pas à se produire, mais, conseiller de la première heure pourSaül, Samuel ne prit, semble-t-il, qu'une très petite part auxévénements subséquents. Il lui reste l'impérissable mérite d'avoirété le premier artisan de cette délivrance. Rien de plus légitimedonc que la place éminente que la tradition et l'histoirereconnaissantes lui ont assurée. (b) Rôle religieux. Selon nos sources bibliques, toujours préoccupées d'utiliserl'histoire en vue de l'édification, le rôle religieux de Samuel estconsidérable. Même dégagé des superfétations de la légende, il restetrès grand. L'historiographie israélite, qui fait de lui un voyant (1Sa 9:6,11), un prêtre (1Sa 3,1Sa 9,1Sa13), un juge (1Sa 12) et un prophète ,(1Sa 15) lerevêt ainsi de toutes les dignités sauf celle de la royauté. Cesappellations ne sont pas toutes de la même main ni de la même époque.Les deux dernières sont plus récentes. L'une d'elles (1Sa 12),sans le ranger parmi les douze juges classiques, lui attribue leurrôle de chefs politiques et de porte-parole de JHVH (voir Juges): lapersonnalité de Samuel doit ici donner plus de poids à desconsidérations religieuses et morales qui n'étaient pas de sontemps.--Ce trait est encore accentué dans 1Sa 15: Samuel est iciun prophète presque au même titre qu'Ésaïe ou Jérémie. Cetteconception reflète le jugement que l'école deutéronomique (VII e - VIe siècle) portait sur le passé, ainsi que l'usage qu'elle faisait deces documents, mais ne correspond pas à la réalité historique. Celle qui fait de Samuel un voyant et un prêtre est sans douteplus proche de cette réalité. Le «voyant» (rôèh), ou devin,habile à lire la volonté de la divinité dans la forme et le mouvementdes nuées, dans le sifflement des serpents, les murmures des bois oudes rochers, etc., se faisait fort d'obtenir de cette puissancesupérieure, par des moyens que nous ignorons, les réponses souhaitéesdes fidèles. Tel est le rôle que 1Sa 9 attribue à Samuel et quiattire chez lui Saül à la recherche des ânesses de son père. Le texte 1Sa 3 est un peu moins ancien: il nous montreSamuel faisant son apprentissage auprès d'Héli, lequel estexpressément désigné par le mot kôhèn .(1Sa 2:11) Cettefonction-ci découlait tout naturellement de celle de voyant:l'interprète des desseins de la divinité n'est-il pas aussi celui quisaura le mieux avec quelles paroles et quels gestes il fauts'approcher d'elle? Aussi bien est-ce Samuel qui, d'après 1Sa9:11,14, offre pour toute la communauté de Rama le sacrifice qui nesaurait avoir lieu sans lui. Mais ce prêtre n'a rien de ce quidistinguera plus tard l'homme revêtu de cette fonction. Il n'est pasdescendant d'Aaron, pas même lévite; son autorité de prêtre lui vientcertainement de ses capacités de voyant. Les narrations postérieuresont donné à ce mot de prêtre comme à celui de prophète l'extensionqu'ils avaient à leur époque: «Celui qu'on appelait autrefois levoyant (dit 1Sa 9:9) s'appelle maintenant le prophète»; et1Sa 3 s'applique à montrer en Samuel le prêtre, gardien dusanctuaire et représentant officiel de JHVH. Il est impossible de préciser le caractère spécifiquement«yahviste» de la piété et de la foi de Samuel. Pour lui JHVH est leDieu d'Israël plus encore, si possible, que pour Moïse: c'est lui quia donné Canaan au peuple élu, dont le droit sur ce pays ne se discutepas. La domination des Philistins est une offense à Israël, plusencore une offense à JHVH. Le premier devoir du fidèle est donc dechasser les infidèles de la terre qu'ils souillent de leur présence.Ainsi se confondent les convictions patriotiques et les convictionsreligieuses de Samuel. Et certes, dans ce sens son rôle est biencelui d'un prophète, c'est-à-dire d'un témoin et d'un défenseurde la cause de JHVH. Mais nous ne saurions dire davantage de sapiété. A en juger d'après certains passages, elle était encoresingulièrement rude et sauvage. (cf. 1Sa 15, pourtant d'uneépoque plus récente) Cela ne le diminue en rien, car la grandeur de Dieu s'affirmedans la faiblesse de ses témoins; au seuil de cette période del'histoire d'Israël la figure de Samuel se dresse comme celle del'homme qui a vu clair et qui a fixé, dans une heure de foi etd'amour patriotique, l'avenir de la nation à laquelle Dieu réservaitde si tragiques et si glorieuses destinées. Voir Prophète. E. G.