SADDUCÉENS

Sources. Nos renseignements sur les Sadducéens sont très fragmentaires. Nousles connaissons seulement par le N.T. et par les Antiquités et la Guerre Juive de Josèphe. La littérature rabbinique, sourceimportante pour l'étude du pharisaïsme, est mal informée sur lesSadducéens, parce qu'au moment où le Talmud a été constitué, ce partiavait cessé d'exister.Nom. Certains Pères de l'Église (Épiphane, Jérôme) ont dérivé le nom desSadducéens (Saddou-kim, Saddoukaïoï) de l'adjectif hébreu tsaddîq =juste, ce qui fut pendant longtemps l'étymologiecourante. Cependant, le changement de i en ou seraitdifficile à expliquer, et le rapport avec la signification del'adjectif ne serait pas clair. Aussi est-il plus probable que leparti a tiré son appellation du nom propre Tsaddoq (dans nosversions, Tsadok). Ce nom étant assez répandu parmi les Juifs del'antiquité, on ne saurait dire avec certitude de quel personnagehistorique il s'agit. D'après une légende rabbinique, peu digne deconfiance, ce serait à un Tsaddoq, disciple du rabbin Antigonos deSocho, que remonterait l'origine du parti. Les critiques modernessont plutôt portés à admettre que le fondateur en aurait été un Juifinconnu s'appelant Tsaddoq. Mais, selon l'hypothèse la plusvraisemblable, le nom des Sadducéens doit être rapproché de celui dusacrificateur bien connu de David, Tsadok (voir ce mot), dont lesdescendants étaient chargés, depuis Salomon, d'exercer les fonctionssacerdotales à Jérusalem. Dans sa description de la Jérusalemnouvelle, Ézéchiel réserve aux «enfants de Tsadok» le droit de «fairele service du temple» (Eze 40:46 43:19 44:15 48:11). La relationentre le nom des Sadducéens et celui de cet ancêtre de la castesacerdotale par excellence s'explique par le fait que le parti desSadducéens se composait avant tout de membres du haut clergé (Ac5:17).Histoire. Pour comprendre les tendances du parti des Sadducéens, il fautremonter jusqu'au temps d'après l'exil. Depuis l'époque des Perses,l'idéal théocratique est réalisé en Israël, à tel point que legrand-prêtre est à la fois chef religieux et politique. De même lesattributions de l'aristocratie sacerdotale sont tout aussi biend'ordre religieux que politique, et cette dualité donnenécessairement une empreinte particulière à l'esprit religieuxrégnant dans ces milieux. Le petit Etat juif, tout en jouissant d'unecertaine autonomie, fait partie d'un vaste empire. Ceux qui exercentle pouvoir parmi les Juifs, même si c'est au nom de la religion, nesauraient donc se soustraire aux influences politiques des maîtres,et cela ne peut se faire sans détriment pour les intérêtsessentiellement religieux. Un certain relâchement du rigorismereligieux est inévitable. Cette évolution fait des progrès rapides àl'époque grecque; car désormais les préoccupations politiques sontintimement liées à la question de la civilisation. L'aristocratiesacerdotale des Juifs favorise la politique de plus en plusconsciente par laquelle les successeurs d'Alexandre tendent àhelléniser tout l'Orient. Lorsque Antiochus Epiphane, se heurtant àla résistance des Juifs décidés à conserver la pureté de la religion,essaie d'introduire par la force la civilisation grecque, c'est lascission dans le peuple: les «pieux» se groupent dans le parti des«hasidim» (voir Hasidéens, Pharisiens), qui sera l'âme du mouvementdes Macchabées (voir ce mot). Ils considèrent les membres du hautclergé comme des traîtres. Ceux-là, par contre, jugent l'idéalreligieux du peuple d'Israël parfaitement compatible avec l'idéal del'hellénisme. Le rigorisme des Pharisiens leur apparaît comme unélément introduit après coup dans la religion, et ils ont conscienced'être les vrais continuateurs de l'ancienne religion, en s'opposantaux excès qui tendent à isoler le judaïsme du monde ambiant. Pourdéfendre leur point de vue, beaucoup moins populaire que celui desPharisiens, ils sont obligés de fonder à leur tour un partireligieux, celui des Sadducéens, probablement à l'époque desMacchabées. Sous les successeurs immédiats de Judas Macchabée, ilssont écartés du pouvoir. Les premiers représentants de la dynastiedes Hasmonéens sont les alliés des Pharisiens, auxquels ils doiventla victoire. Mais lorsque les rois se mettent à poursuivre, avanttout, des buts politiques, ils ne peuvent plus se passer de l'appuides Sadducéens, dont les tendances sont plus propres à servir leursfins. Ainsi, les Sadducéens inspirent la politique des Hasmonéens, deJean Hyrcan jusqu'à Alexandre Jannée, et même, lorsque sousAlexandra, veuve de ce dernier, les Pharisiens redeviennent partigouvernemental, les Sadducéens continuent à jouer un rôle politique,l'hégémonie des Pharisiens étant purement spirituelle. Sous lesHérodes, à l'époque romaine, c'est parmi les Sadducéens que serecrutent les grands-prêtres. Pourtant leur influence sur l'évolutionde la religion juive est nulle. Les tendances qu'ils représententn'ont jamais été partagées par la foule. «Ils n'atteignent que lesgens aisés, dit Josèphe, ils n'ont pas le peuple de leur côté)) (Ant., XIII, 10 6). «Ils s'en tiennent à ce que disent lesPharisiens, car sans cela la foule ne les supporterait pas» (Ant., XVIII, 1:4). Leur rôle ayant été exclusivement politique,ils n'ont pas survécu à la catastrophe de l'an 70.Tendances et esprit général. Ce n'est pas sans raison que le parti des Sadducéens a sombré avecl'État juif, tandis que le pharisaïsme a trouvé son pleinépanouissement précisément après la disparition de l'Etat. C'est queles Sadducéens manquaient d'énergie spirituelle. Pourtant ils ont misen avant un principe religieux qui fait la grandeur du judaïsmepostexilique: l'universalisme de la religion juive. Grâce à lui,cette religion a pu se maintenir dans la Diaspora (voir ce mot).Mais, poussé à l'excès, il risquait de faire absorber le judaïsme parle syncrétisme hellénistique. Aussi était-il nécessaire quel'universalisme fût contrebalancé par la tendance légalistereprésentée par les Pharisiens. La théocratie était possibleseulement aussi longtemps que les deux tendances coexistaient. Letriomphe du point de vue des Sadducéens aurait peut-être pu sauver dela destruction l'État juif aux dépens de la religion, le triomphe dupharisaïsme a sauvé la religion aux dépens de l'État. L'universalisme des Sadducéens n'était pas fondé sur un idéalreligieux positif. Il est vrai qu'en tant que parti, ils avaient uncaractère religieux; et chez quelques hommes d'élite qui ont défenduleurs idées, tels que le Siracide (voir Apocryphes) et le Qohelet(=Ecclésiaste;voir ce mot), il y a un réel intérêt religieux. Mais,pour la plupart des Sadducéens, les principes religieux étaientplutôt destinés à voiler leur indifférence réelle en matièrereligieuse. Ils prétendaient être les gardiens de la religionauthentique, et, dans une certaine mesure, cette prétention étaitjustifiée. Ainsi, ils ont rejeté toutes les prescriptions ajoutéespar les scribes et les Pharisiens à la loi mosaïque sous le nom de»tradition des anciens», et ils n'ont reconnu que les «lois écrites»dans le Pentateuque (Jos., Ant., XIII, 10:6). Toutefois leurstendances conservatrices ne procèdent nullement d'une préoccupationreligieuse, mais de leur esprit mondain qui éprouvait comme une gênela réglementation piétiste et casuistique de la vie. Ils niaient larésurrection et la rémunération d'outre-tombe (Mr 12:18,27parallèle, Ac 23:6 et suivants; Jos., Ant., XVIII, 1:4; G.]., II, 8:14), et ils pouvaient justifier leur réaction contreces croyances plutôt récentes en se réclamant de l'ancienne religiond'Israël qui ne savait rien d'une immortalité individuelle. Enréalité, combattre l'espérance eschatologique, c'était s'opposer àl'expression d'une piété particulièrement intense, et cetterésistance des Sadducéens provenait de leur rationalisme. Pour lamême raison, ils niaient l'existence des anges et des esprits (Ac23:8). D'après Josèphe (G.]., II, 8:14; Ant., XIII, 5:9;XVIII, 13), ils n'admettaient pas l'influence du destin sur la viehumaine. Peut-être Josèphe a-t-il attribué un caractère tropphilosophique à la différence doctrinale existant entre lesSadducéens et les Pharisiens. Toujours est-il que l'affirmation dulibre arbitre sous sa forme radicale est tout à fait conforme aurationalisme et à l'indifférence religieuse des Sadducéens. La polémique des Sadducéens contre les Pharisiens n'a donc riende commun avec la lutte de Jésus contre le pharisaïsme. Jésus, malgrétout, était plus éloigné des Sadducéens que des Pharisiens. Leurindifférence religieuse, leur incompréhension pour le messianisme,enfin leurs préjugés de classe devaient à priori écarter lesSadducéens de l'Évangile prêché par Jésus et ses disciples. Voir la bibliographie de l'article Pharisiens. En outre, G.Hoelscher, Der Saddusoeismus, 1906. O. C.