SABBAT

I Le jour du sabbat. 1. Le sabbat est l'objet du quatrième commandement duDécalogue (Ex 20:8,11,De 5:12,15). Quand on compare les deuxpassages, on constate qu'ils ne sont pas absolument identiques. Lapensée centrale en est la même: le septième jour de la semaine doitêtre un jour de repos, consacré à l'Eternel, pendant lequel il n'estpermis aucune oeuvre des jours ordinaires, et la défense s'étend nonseulement à l'Israélite et à sa famille, mais à ses serviteurs et àses servantes, à son bétail et à l'étranger qui est domicilié dans lepays. En revanche, la raison pour laquelle il faut se reposer n'estpas la même. Le Deutéronome relève le côté social et humanitaire de lacessation des travaux: «afin que ton serviteur et ta servante sereposent comme toi», et il ajoute: «Tu te souviendras que tu as étéesclave au pays d'Egypte et que l'Eternel t'en a fait sortir à mainforte et à bras étendu; c'est pourquoi l'Eternel, ton Dieu, t'aordonné d'observer le jour du repos.» L'Exode, par contre, rappelleque Dieu a créé le monde en six jours et s'est reposé le septièmejour: «C'est pourquoi l'Éternel a béni le jour du repos et l'asanctifié.» Il y a, à côté de cela, quelques différences de détailentre les deux textes. Il en résulte que nous n'avons pas, sur lequatrième commandement, le Décalogue sous sa forme première. Il estprobable qu'à l'origine n'existait que la phrase qui l'introduit:«Souviens-toi du jour du repos (sabbat) pour le sanctifier.» La suitea été ajoutée dans le cours des siècles pour préciser comment lesabbat devait être sanctifié et pourquoi il devait l'être. Larédaction du Deutéronome est en rapport avec les tendanceshumanitaires que l'on constate ailleurs dans ce livre; et larédaction, probablement plus tardive, de l'Exode suppose le temps oùl'on racontait l'histoire divine de la création en employant leschéma de la semaine humaine. Le repos de Dieu garantissait lecaractère sacré du septième jour. 2. Mais même réduit à une courte phrase, le quatrièmecommandement a été envisagé par de nombreux critiques comme unepreuve que le Décalogue est postérieur à Moïse et n'a été rédigé quedans le pays de Canaan, à l'époque prophétique. La raison invoquéeest qu'avant l'entrée en Palestine les Israélites étaient desnomades, et que les nomades ne peuvent pas, comme les agriculteurs,interrompre leurs travaux toujours les mêmes, et n'en sentent dureste pas le besoin, leurs occupations n'étant pas pénibles. Cetteraison n'est pas décisive, car le sabbat a commencé sans doute parêtre un jour de culte, et le repos n'était, à l'origine, que lacondition nécessaire de sa destination religieuse. En tout cas le sabbat, sous une forme ou sous une autre, a existélongtemps avant Moïse. Le nom chabattou a été retrouvé dansd'anciens documents bab5'loniens; il désignait alors le quinzièmejour d'un mois lunaire (le jour de la pleine lune) et était définicomme «jour d'apaisement du coeur» (des dieux); on ne devait faireaucune oeuvre en ce jour-là. En outre, les 7, 14, 21, 28 des deuxmois d'élul et de marchesvan figurent dans un calendrier comme joursnéfastes (voir Temps, I, 4, où le roi ne devait entreprendreaucune oeuvre importante. En était-il de même les autres mois? Letexte incomplet ne le dit pas. Il ne s'agit pas dans ces quatrehebdo-mades mensuelles d'une semaine analogue à la semaine israélitequi ne tient pas compte du renouvellement de la lune, mais ellesmontrent l'importance du chiffre 7 et de ses multiples dans lecalendrier, et peut-être sont-elles le premier point de départ de lasemaine de sept jours. Nous notons expressément que le nom de chabattou n'est jamais (dans les documents que nous possédons)appliqué aux jours néfastes qui terminent les hebdomades; il désigneuniquement le jour de la pleine lune. Et nous ajoutons que lesBabyloniens eux-mêmes n'avaient pas, dans la vie ordinaire, dessemaines de 7 jours, mais des semaines de 5 jours. On voit que lesdocuments babyloniens ne nous donnent que le nom du sabbat et nouslaissent dans l'incertitude sur l'origine de la semaine israélite.Les documents égyptiens et ceux des autres peuples du monde orientalne nous apportent non plus aucune lumière. Nulle part, on ne sembleavoir connu la semaine de sept jours indépendante des phaseslunaires. En Egypte, on divisait le mois en trois périodes de dixjours. Dans l'A.T, le sabbat est à plusieurs reprises mentionné à côtéde la «nouvelle lune»: 2Ro 4:23,Am 8:5,Os 2:11 (texte hébreu etSg., 2:13); Esa 1:13, cf. également Eze 45:17,Ne 10:33,Esa66:23. On a conclu des premiers passages cités qu'avant l'exil lesIsraélites ne connaissaient que deux jours fériés par mois: celui dela nouvelle lune et celui de la pleine lune, qui portaient à Babylonele nom de sabbats. La semaine de sept jours n'aurait pas encoreexisté à ce moment-là; elle serait une nouveauté introduite àl'époque d'Ézéchiel; si l'on fait abstraction des textes législatifs,le premier passage qui la mentionne est Eze 46:1. A celas'opposent,: les textes législatifs anciens, qu'il n'y aaucune raison de déclarer inauthentiques: Ex 23:12 34:21, sansparler du Décalogue; l'existence de l'année sabbatique qui figureégalement dans l'ancienne législation: Ex 23:10 et suivant, cf.De 15:1 et suivant, et qui ne se comprendrait pas sansl'existence antérieure d'un jour de repos sur sept; l'histoire de la manne dans une des anciennessources du Pentateuque: Ex 16:27,30, moins une partie du verset29; le fait qu'après Ézéchiel, dans un temps où lesabbat était sûrement le septième jour de la semaine, la nouvellelune et le sabbat sont mentionnés ensemble comme avant l'exil.C'étaient les jours fériés distincts des grandes fêtes annuelles.Rien n'empêche donc d'admettre que le sabbat hebdomadaire remonte enIsraël jusqu'à l'époque de Moïse et même à une époque antérieure, carle récit de Ex 16 (dans la plus ancienne source) le mentionneavant le don du Décalogue. Il existait, nous ne savons sous quelleforme et depuis quand, chez les tribus sorties d'Egypte, et leDécalogue l'a mis, comme jour consacré à l'Éternel, au nombre desobligations fondamentales de l'Israélite. 3. Le sabbat apparaît dans les passages subséquents de lalittérature antéexilique à la fois comme un jour de repos et un jourde sacrifices. Il n'est du reste pas mentionné souvent. Les passageslégislatifs insistent sur la nécessité du repos (Ex 23:1234:21); cf. Am 8:5: les marchands attendent avec impatience lafin du sabbat pour ouvrir leurs greniers. En revanche Esa 1:13et Os 2:11 le mettent sur le même rang que les jours de fête etde grandes assemblées dans lesquels on offrait de nombreuxsacrifices. D'après 2Ro 4:23 il y avait ce jour-là, chez les«fils de prophètes», de pieux exercices qui attiraient les fidèles dela contrée avoisinante. Il résulte de ces divers passages que lesabbat était bien un jour consacré à l'Éternel, mais qu'on ne lecélébrait pas toujours de la même façon. La cessation des travauxordinaires occupait la première place, mais vu l'importance donnée aucôté rituel (sacrifices), le repos n'était pas aussi strict que dansles temps postérieurs. C'était essentiellement un jour dejoie (Os 2:11,La 2:6), ce qu'il est toujours demeuré dans lasuite. 4. L'exil a donné au sabbat une nouvelle importance.Tandis que les sacrifices étaient suspendus ou, après lareconstruction du Temple, n'étaient présentés qu'à Jérusalem, ilpouvait être célébré, comme jour de repos, dans tous les lieux oùhabitaient les Juifs. Il devint en conséquence la première desobligations des fidèles qui voulaient témoigner publiquement leurconsécration à l'Éternel. C'était, du reste, conforme à la place quilui est assignée déjà par le Décalogue, où il est la seule pratiquereligieuse positivement commandée. Mais la loi sacerdotalepostexilique est plus précise et pousse plus loin les exigences queles anciennes législations. Elle mentionne le sabbat (Ex31:12,17) parmi les ordonnances fondamentales données à Moïse surla montagne, à côté de tout ce qui concerne le sanctuaire et lesacerdoce; elle résume (Le 26:2) les obligations de lacommunauté dans ces deux paroles: «Vous observerez mes sabbats etvous révérerez mon sanctuaire»; elle relève (Ex 31:12) que c'estle grand signe de l'alliance entre Dieu et Israël; elle prescrit lapeine de mort contre tous ceux qui feront quelque oeuvre ce jour-là(Ex 31:14 35:2 cf. l'histoire de No 15:32,36); elle ne secontente pas de généralités, elle entre dans des détails pratiques:ne pas allumer du feu le jour du sabbat (Ex 35:3), cuire le jourprécédent pour deux jours (Ex 16:23,26), ne pas ramasser dubois (No 15:32 et suivants). Le côté humanitaire du repossabbatique est laissé à l'arrière-plan. La cessation du travail esten elle-même une «oeuvre» bonne, agréable à l'Éternel. Dieu s'estreposé le septième jour; ses serviteurs doivent sanctifier ce mêmejour, eux aussi, en laissant de côté toutes les occupations desautres jours de la semaine. En d'autres termes, le sabbat n'a pas étéinstitué pour que l'homme puisse se reposer; l'homme doit sereposer parce que le sabbat a été institué de Dieu. Une conceptionanalogue se retrouve déjà dans Eze 20:13,20 (voir 13,16,20) etdans Jer 17:21-27 (ne pas porter des fardeaux le jour du sabbat,et ne pas les introduire d'un lieu dans un autre), mais ce dernierpassage appartient plutôt à l'époque de Ne 13 (voir ci-dessous). Le côté cultuel subsistait à côté de cela. Le 23:3 ordonneune sainte convocation, et No 28:9s prévoit, pour le jour dusabbat, outre le sacrifice journalier (tamid), l'offrande de deuxagneaux d'un an sans défaut, avec deux dixièmes de fleur de farine etune libation. 5. L'observation plus stricte du sabbat dans la communautépostexilique n'alla pas sans quelque opposition. Elle est recommandéeEsa 58:13 et suivant: «Si tu appelles le sabbat tes déliceset si tu l'honores en ne suivant pas tes voies, alors tu mettras tonplaisir en l'Eternel, et je te ferai jouir de l'héritage de Jacob,ton père», et Néhémie la fit respecter par la force (Ne13:15-22). il interdit aux hommes de Juda de fouler au pressoir etde rentrer des gerbes, à eux et aux marchands tyriens d'apporter desmarchandises dans la ville, dont les portés furent fermées avant lecommencement du sabbat (6 heures du soir, le vendredi), et comme lesmarchands stationnèrent devant les portes pendant la nuit, il lesmenaça de mettre la main sur eux s'ils continuaient; dès lors leschoses rentrèrent dans l'ordre. Deux siècles et demi plus tard, leroi de Syrie, Antiochus Épiphane (175-164), qui voulait introduire deforce en Juda la culture et la religion grecques, interdit lacélébration du sabbat (1Ma 1:45,2Ma 6:6), et bien desJuifs se montrèrent infidèles à la loi (1Ma 1:52). Maisles fidèles qui se révoltèrent contre l'autorité syrienne, sous ladirection de Mattathias et de ses fils (les Macchabées), n'en furentque de plus stricts observateurs. Au début des hostilités, ils selaissèrent massacrer plutôt que de se servir de leurs armes le jourdu sabbat; mais ils ne tardèrent cependant pas à reconnaître que celales conduirait à la ruine, et ils résolurent de se défendre cejour-là comme les autres (1Ma 2:29,41). Il va sans direque pour le reste le repos demeura la règle absolue. 6. Déjà chez les Hasidéens, puis chez les Pharisiens quicontinuèrent, dès le milieu du II° siècle av. J.-C, leurinterprétation méticuleuse de la loi, le sabbat fut l'objet denombreuses prescriptions qui fixèrent dans le détail ce qu'il n'étaitpas permis de faire en ce jour-là. Elles furent consignées par écritdans plusieurs traités de la Mischna, en particulier dans le traitéintitulé Schabbat. Ce traité énumère (7:2) les 39 «oeuvresprincipales» qui sont interdites. Parmi celles-ci figurent des chosesqui nous paraissent bien minimes, comme faire un noeud ou le défaire,tisser deux fils ou les séparer, allumer du feu ou l'éteindre, etc.;mais en outre elles sont accompagnées, dans le reste du traité, deminutieuses règles sur l'application pratique, et de discussions surun point spécial où les docteurs de la loi n'étaient pas toujoursd'accord. Les subtilités abondent et la casuistique se donne librecarrière. En voici quelques exemples: «Si quelqu'un éteint une lampe parce qu'il craintdes non-Juifs, des brigands, un mauvais esprit, ou parce qu'un maladene peut pas dormir, il n'est pas coupable; mais s'il l'éteint pourépargner la lampe, l'huile ou la mèche, il est coupable.» RabbiJoseph dit qu'il n'est pas coupable sauf dans le cas de la mèche,parce qu'il prépare ainsi un charbon (2:5). A propos de la défense de transporter une chosed'un lieu dans un autre: «Si un pauvre est devant la maison et lepropriétaire à l'intérieur, et si le pauvre étend la main, metquelque chose dans la main du propriétaire ou en prend quelquechose, il est coupable et le propriétaire ne l'est pas. Si lepropriétaire étend la main hors de la maison, met quelque chosedans la main du pauvre ou en prend quelque chose pour le déposer dansla maison, le propriétaire est coupable et le pauvre ne l'est pas. Sile pauvre étend la main dans la maison et si le propriétaire y prendquelque chose ou y met quelque chose que le pauvre transportehors de la maison, ni l'un ni l'autre ne sont coupables. Si lepropriétaire étend la main hors de la maison et si le pauvre y prendquelque chose ou y met quelque chose que le propriétaire dépose dansla maison, ni l'un ni l'autre ne sont coupables.» En d'autres termes,quand le pauvre étend la main dans la maison, il peut recevoir et nonpas prendre; quand le propriétaire étend la main hors de la maison,il ne doit pas donner, mais laisser prendre (1:1). A propos de la défense d'éteindre un feu, rabbiSimon ben Nannos dit: «On peut étendre une peau de chèvre sur unecaisse, un bahut, une armoire que le feu a saisie, parce qu'elle seconsume et ne brûle pas, et l'on peut au moyen d'un vase quelconque,plein ou vide, mettre une séparation, afin que l'incendie ne sepropage pas davantage; Rabbi José défend de mettre comme séparationdes vases neufs remplis d'eau, parce qu'ils ne peuvent supporter lefeu, sautent et éteignent l'incendie» (16:5). «Si un non-Juif vientpour éteindre on ne doit pas lui dire: «Eteins» ou «N'éteins pas»,car la loi du sabbat ne le concerne pas» (16:6); on doit le laisserfaire ce qu'il veut. «On. peut mettre un plat au-dessus d'une lampe,afin qu'elle n'allume pas la poutre (du plafond), ou sur lesexcréments d'un petit enfant, ou sur un scorpion afin qu'il ne mordepas» (16:7). Si un non-Juif a allumé une lampe, un Israélitepeut se servir de la lumière, mais s'il l'a allumée à cause del'Israélite, il est défendu à celui-ci d'en profiter. Se fondant sur Ex 16:29: défense de quitter sa maison lejour du sabbat, les docteurs, étendant un peu la notion de demeure,avaient fixé à 2.000 coudées (environ un km.) le chemin que l'onpouvait faire en dehors du lieu que l'on habitait (un chemin desabbat, Ac 1:12). On augmentait la distance au moyen d'unstratagème appelé éroub: la veille du sabbat, on transportait desaliments dans un endroit situé à 2.000 coudées de sa demeure, et cetendroit était considéré comme un domicile réel, d'où l'on pouvaitrayonner de nouveau à 2.000 coudées à la ronde. Ce stratagème secompliquait d'un autre, quand plusieurs familles voulaient faire unrepas en commun, sans cependant enfreindre la loi qui défendait derien transporter d'un lieu dans un autre, chaque famille transportaitla veille du sabbat un aliment dans un endroit différent situé à2.000 coudées; on réunissait ces divers endroits, évidemment assezrapprochés les uns des autres, par des poutres et des linteaux, demanière à en faire comme une seule grande maison, et chaque famille,sans sortir de l'enceinte, pouvait apporter ses vivres dans la sallechoisie pour le repas en commun. Voir le traité Eroubin de laMischna, tout entier consacré à cette manière ingénieuse decontourner la loi sans en violer la lettre. Nous ajoutons que lesSadducéens, qui n'admettaient pas la tradition orale à côté de laloi, condamnaient l'éroub, et ennuyaient à l'occasion les Pharisiensen transportant, eux aussi, des aliments à 2.000 coudées dans le mêmecoin du pays: ils les empêchaient par là de créer une maisonartificielle commune. 7. Les exigences de la vie étaient quelquefois plusfortes que le commandement du repos intégral, le jour du sabbat. Lesprêtres, dans le temple, ne pouvaient pas interrompre leur servicejournalier avec toutes les obligations qu'il comportait, et ceservice était augmenté le jour du sabbat, même en temps ordinaire, àplus forte raison quand le sabbat coïncidait avec les grands joursdes fêtes annuelles. Il était, d'autre part, permis de secourir unIsraélite en danger de mort: si un mur était tombé sur lui, onprocédait au déblaiement jusqu'à ce qu'il fût délivré (Yôma, 7 7). Si une femme était en couches, on pouvait lui prêter secours,appeler même une sage-femme d'un lieu dans un autre lieu (Schabbat, 18:3). Quand les jours d'un malade étaient en danger,le médecin pouvait intervenir (Yôma, 8:6). Quand un animal étaittombé dans une fosse, on le retirait, s'il risquait de succomber; onse contentait de le nourrir, si le sauvetage n'était pasimmédiatement nécessaire (Beza, 3:4). Ces exceptions et d'autresanalogues montrent que, malgré tout, la loi du repos n'était pasintangible et que Jésus était en droit de les faire valoir dans sesnombreux conflits avec les Pharisiens sur la question du sabbat. Cf.Mt 12:5- et suivant, Lu 13:15 14:5 et suivant. Ces conflits étaient nombreux (cf., outre les passages déjàcités: Mr 2:23,28 3:1,5,Lu 6:6,10,Jn 5:10,16 9:14,16), car suraucun autre point ne se montrait mieux l'opposition entre la justicepharisaïque et la justice supérieure que Jésus réclamait de sesdisciples. La casuistique effrénée des docteurs de la loi était pourle Seigneur tout le contraire d'une véritable compréhension ducommandement divin, et le mérite attaché à l'observation des plusfutiles détails n'avait rien de commun avec la piété du coeur, faited'amour pour Dieu et pour le prochain, qui avait seule pour lui duprix devant Dieu. Il a fixé le principe supérieur qui doit, en touttemps, présider à l'observation d'un jour spécial de culte et derepos, dans cette parole bien connue: «Le sabbat a été fait pourl'homme, et non pas l'homme pour le sabbat» (Mr 2:27). 8. Chez les Juifs, un jour commençait le soir précédentau moment du coucher du soleil. Le sabbat commençait donc le vendredisoir et se terminait le samedi soir. On préparait le vendredi, avantl'arrivée de la nuit, tout ce qui aurait exigé un travail pendant lesabbat: on cuisait les aliments pour les repas; on allumait la lampeou les lampes pour la nuit; on dépliait les vêtements à mettre; onéloignait les choses encombrantes, etc. Le commencement et la fin dusabbat étaient annoncés par des sonneries de trompettes. Le vendredi,à la première sonnerie, on cessait les travaux des champs; à laseconde, ceux de la ville; à la troisième, les femmes allumaient leslampes, de là l'expression de Lu 23:54: le sabbat brillait (dans nos trad.: le sabbat allait commencer). Sur le culte du temple, le jour du sabbat,voir No 28:9 et suivant, cité plus haut. Nous ajoutons,d'après des renseignements postérieurs, que les lévites chantaient lePs 92 au moment de l'holocauste régulier du matin (tamid), que le sacrifice spécial était accompagné de la récitation d'unepartie du cantique de Moïse (De 32), et l'holocauste du soir dela récitation de morceaux d' Ex 15 et de No 21. C'était lejour du sabbat qu'on remplaçait les pains de proposition pard'autres, et que de nouvelles classes de prêtres et de lévitesentraient en fonctions. Sur le culte dans les synagogues,voirSynagogue. Malgré la multitude des préceptes à observer, le sabbat étaitpour les Juifs un jour de joie, conformément à la parole de Esa58:13. Il n'était pas permis de jeûner. On revêtait, au contraire,ses plus beaux habits et l'on faisait trois grands repas, l'un levendredi soir après la tombée de la nuit, le second après les cultesdu matin le samedi, et le troisième à la fin de l'après-midi, avantque commençât le premier jour de la semaine. Une dernière coupe,distribuée par le père de famille, marquait le passage du temps sacréau temps profane. C'est pourquoi saint Augustin dut accuser lesJuifs de son temps de faire dégénérer le sabbat en un jour de paresseet de débauche (Enarratio in Ps 91 =92). 9. La ténacité des Juifs à observer le sabbat avaitconduit l'autorité romaine à user envers eux de mesures de faveur. Laplus importante fut l'exemption du service militaire, incompatibleavec l'interdiction de porter des armes le jour du sabbat, sinon encas de légitime défense, et avec la limite à 2.000 coudées du cheminà parcourir (Josèphe, Ant., XIV, 10:11, 19). En outre l'empereurAuguste les dispensa de paraître en justice le jour du sabbat (Jos.; Ant., XVI, 6:2 - 4) et les autorisa, quand une distributionpublique d'argent ou de blé avait lieu ce jour-là, à ne réclamer leurpart que le jour suivant (Philon, Leg. ad Caïum, parag. 23). Cesprivilèges furent maintenus dans les siècles suivants sauf en tempsde troubles.II L'année sabbatique. En rapport étroit avec le sabbat était l'année de relâche tous lessept ans. Sous sa forme définitive, elle ne figure que dans lalégislation sacerdotale après l'exil: Le 25:1,7,18,22. Mais elleexistait en germe déjà avant l'exil dans un certain nombre dedispositions législatives: Ex 23:10 et suivant, De 15:1-11,Ex21:2,6,De 15:12-18. Ces deux derniers passages n'ont, du reste, qu'un rapportlointain avec l'année sabbatique, car ils concernent les esclaveshébreux achetés par un autre Israélite. L'achat n'est valable quepour six ans. La septième année, l'esclave peut sortir libre, avec safemme et ses enfants, s'il était déjà marié quand il est entré dansla maison de son maître. S'il s'est marié pendant les six ans deservitude, la femme et les enfants demeurent la propriété du maître.Si l'esclave préfère ne pas s'en aller, le maître lui perce l'oreilleavec un poinçon contre le poteau ou la porte de la maison, et il estdésormais esclave à vie. Cette ordonnance ne suppose pas une annéefixe de relâche; elle ne précise que la durée du temps de servitude.Jer 34:8,11 montre qu'elle est loin d'avoir été toujoursobservée. Le passage Ex 23:10 et suivant concerne, en revanche, lerepos des champs. Pendant six ans, on peut les cultiver et enrecueillir les produits, mais la septième année il faut les laisseren friche et abandonner leurs produits spontanés aux pauvres du payset aux bêtes sauvages. Il en est de même de la vigne et de l'olivier.Mais le texte ne dit pas qu'il s'agisse d'une année générale derelâche pour tout le pays, quoiqu'on l'ait compris de cette façon. Lerepos s'appliquait séparément à chaque coin de terre, après six ansde production: une fois un champ, une autre fois un autre champ.Ainsi comprise, la mesure était facilement exécutable, sans danger defamine; elle avait même des avantages au point de vue agricole.Quelque chose d'analogue est encore pratiqué de nos jours, mais lechiffre de sept années ne se comprend que si la semaine de septjours, avec le sabbat pour la terminer, existait auparavant. Le passage De 15:1,11 va plus loin. Ici il s'agit bien d'uneannée fixe de relâche pour tout le pays, mais elle ne concerne queles prêts d'argent. Les débiteurs israélites obtenaient la quittancede toutes leurs dettes. De là la recommandation, dans les versets7-11, de ne pas refuser de prêter, quand l'année de relâcheapprochait: «Donne (=prête), dit le législateur, et ne donne point àregret, car à cause de cela l'Éternel, ton Dieu, te bénira dans toustes travaux et dans toutes tes entreprises.» Le Deutéronome ne parlenulle part du repos des champs. Partant des deux descriptions dans Ex 23 et De 15, lalégislation sacerdotale a donné à l'année sabbatique sa formedernière. C'est une année fixe qui revient tous les sept ans, commele sabbat le septième jour de la semaine. La terre se reposera, cesera un sabbat en l'honneur de l'Éternel. Les produits naturels dusol serviront à la nourriture de tous les habitants du pays, nonseulement des pauvres et des bêtes des champs, mais aussi dupropriétaire et de sa famille (Le 25:1,7). S'il s'élève desinquiétudes parmi le peuple, parce qu'on n'aura rien semé et rienrécolté, le législateur répond d'avance en promettant que Dieu bénirasi bien les récoltes de la sixième année qu'elles suffiront pourtrois ans, pour la sixième année elle-même, pour la septième (annéede repos) et pour la huitième année où le repos de la septième n'aurapas permis de faire à temps tous les labourages nécessaires (Le25:19-22). Sous cette forme, l'année sabbatique n'est jamaismentionnée avant l'exil, et des passages comme Le 26:34,43 2Ch36:21 supposent qu'elle n'a jamais été observée jusqu'alors. En revanche, elle a positivement existé après l'exil. Dans lagrande assemblée de 444, les Juifs s'engagèrent à l'observer (Ne10:31), et elle est mentionnée dans la suite à plusieurs reprises: (a) en 164-163 av. J.-C, où elle est cause du manquede provisions (1Ma 6:49-53; Jos., Ant., XII, 9:5), (b) en 136-135, 28 ans (4 x 7) plus tard, au temps deJean Hyrcan (Jos., Ant., XIII, 8:1, et G.]., I, 2:4), (c) en 38-37, 98 ans (14 x 7) plus tard, au tempsd'Hérode (Jos., Ant., XIV, 16:2; XV, 1:2), (d) en 68-69 ap. J-C, 105 ans (15 x 7) plus tard,d'après les renseignements talmudiques. Nous ne savons pas si, dansl'intervalle de ces différentes dates, elle fut toujours observée, nide quelle manière elle le fut. Mais elle resta une des obligationsauxquelles les Juifs ne se sentaient pas libres de se soustraire.Preuve en soit le fait que César dans un édit de 44 av. J.-C, leuraccorda l'exemption d'impôt cette année-là (Jos., Ant., XIV,16:6), puis que Tacite (Hist., V, 4) les accuse de paresse àcause du sabbat et de l'année sabbatique. Le 25 ne parle que du repos de la terre, mais la quittancedes dettes ordonnée par De 15:1,11 n'était pas supprimée. Commeelle était particulièrement gênante (personne ne tenant à prêter sonargent dans ces conditions), on y para à l'aide d'une mesurequ'inventa le fameux docteur de la loi Hillel: le créancierprésentait au tribunal, qui l'authentifiait, une déclaration, d'aprèslaquelle il se réservait le droit de réclamer son argent quand il luiplairait (Schebiith, 10:3). D'après De 31:9,13, la fête des Tabernacles de l'annéesabbatique devait être marquée par la lecture de la loideutéronomique devant tout le peuple. La coutume subsista. On racontequ'à la fin de l'année 41 ap. J.-C, (qui était une année sabbatique),le roi Hérode Agrippa I er, lisant le Deutéronome devant le peuple,fondit en larmes quand il arriva au passage 17:15 qui déclarequ'aucun souverain d'Israël ne doit être un étranger. Agrippa sesentait frappé. Le peuple le consola en lui criant: «Ne sois pasaffligé, Agrippa, tu es notre frère, tu es notre frère!» (Sota, 7:8). La stricte observation de l'année sabbatique, même en Palestine,fut toujours difficile. Dans toute sa rigueur elle était limitée auxpremiers territoires occupés par les Juifs après le retour de l'exil;ailleurs elle subissait des adoucissements (Schebiith, 6:1 - 2, 5- 6). En dehors de la Palestine, elle était impossible.III L'année du Jubilé. C'est le couronnement des institutions sabbatiques. Comme la fête dePentecôte, célébrée le 50 e jour après la Pâque, clôturait la périodede la moisson qui comptait 7 sabbats, de même l'année du Jubilédevait suivre, dans l'intention du législateur, comme 50 e année, lecycle de 7 années sabbatiques (49 ans). Elle était annoncée le 10 ejour du 7 e mois (tisri) --qui a marqué pendant un temps lecommencement d'une année nouvelle, avant de devenir le jour de lagrande fête des Expiations,--par le son de la trompette, ou plusexactement du cor, en hébreu yobel, d'où lui vient son nom,d'après l'explication la plus probable. Elle était destinée àcompléter et à mettre au point les dispositions qui présidaient,théoriquement, à l'organisation sociale et économique des Israélites.Voir Le 25:8,17,23-55 et, comme supplément, Lev 27:16, 24, lesseuls passages de la loi où elle soit ordonnée: ces passagesappartiennent à la législation sacerdotale. Les prescriptions sont les suivantes: Comme l'année sabbatique, celle du Jubilé doitêtre une année de repos pour la terre; on ne sèmera ni ne moissonnerapoint, on ne mangera que ce que la terre produira d'elle-même (Le25 et suivant). Les propriétés rurales reviendront à leur premierpossesseur, d'après le principe formulé v. 23: «Les terres ne sevendront point à perpétuité, car ce pays est à moi, car vous êteschez moi comme des étrangers et des gens en séjour.» Si un Israélitedevient pauvre et vend sa propriété, il ne vendra en réalité que lajouissance de celle-ci pendant les années qui s'écouleront jusqu'àl'année du Jubilé; cette année-là, il reprendra son bien sansindemnité. Cette disposition concerne aussi les maisons situées dansles villes ou villages ouverts, mais non pas les maisons construitesdans des villes fermées de murailles, à l'exception de celles quisont situées dans les villes des lévites: pour celles-ci la règlegénérale est maintenue (Le 25:13-17,23,3-4). Les esclaves israélites seront libérés etretourneront avec femmes et enfants dans leur ancienne propriété,s'ils n'ont point été rachetés déjà auparavant par un membre de leurfamille. Cette disposition ne concerne pas les esclaves étrangers,qui sont esclaves à perpétuité. Seuls en jouissent les enfantsd'Israël, «car, dit l'Éternel, ce sont mes esclaves que j'ai faitsortir du pays d'Egypte» (25:39,55). La loi du Jubilé corrigeait, surce point spécial, l'ancienne législation qui prévoyait, après six ansde travail, la libération des esclaves israélites (Ex 21:2,6).Dans la pratique ce terme avait été jugé trop court, et laprescription n'était que rarement observée. (cf. Jer 34) Lesupplément Le 27:16-24 prévoit le cas d'un champ qui a étéconsacré à l'Éternel. Il doit être racheté immédiatement par lepossesseur, qui en paiera la valeur calculée jusqu'à l'année duJubilé, augmentée d'un cinquième; si le propriétaire ne le rachètepas et que le champ soit vendu, l'acquéreur en sortira l'année duJubilé, et le champ deviendra la propriété du prêtre. D'après No36:4, la propriété d'une fille héritière restait, l'année duJubilé, à la nouvelle tribu dans laquelle la fille était entrée et neretournait pas à l'ancienne. Les principes qui sont à la base de la loi jubilaire sont fortbeaux; ils doivent sauvegarder l'intégrité du territoire assuré dèsl'origine à chaque tribu, empêcher l'accaparement des propriétésrurales par un petit nombre de personnes, conserver l'équitablerépartition de la fortune publique entre les différentes familles,assurer la dignité de l'individu, en ne permettant qu'un esclavagetemporaire, réduit du reste au simple service d'un mercenaire nonpayé. Mais c'était plus beau que pratiquement réalisable. Aussil'année du Jubilé semble-t-elle avoir été complètement inconnue avantl'exil. Les passages que l'on cite pour prouver son existence: Esa37:30,Eze 46:17 (année de l'affranchissement), Esa 61:2 (annéefavorable du Seigneur), font simplement allusion à l'annéesabbatique, et Eze 7:12s (ni le vendeur, ni l'acheteur netireront profit d'un champ qui a été vendu) ne s'applique qu'auxcirconstances malheureuses de l'exil. Après l'exil, la loi jubilairefaisait sans doute partie de la législation, mais aucun passagehistorique ne garantit qu'elle ait été effectivement observée. Lemoment n'est jamais venu où l'on ait cru pouvoir passer à lapratique. Il n'en reste pas moins que les grands principes surlesquels elle repose: Dieu est le seul maître de la terre et le seulmaître des hommes, devraient inspirer toute la législation sociale etéconomique moderne. BIBLIOGRAPHIE --Manuels d'archéologie biblique. Louis Thomas, Le Jour duSeigneur, I Le sabbat primitif, II Le sabbat mosaïque, 1892-1893;Edm. Stapfer, La Palestine au temps de J.-C. 5° éd. 1892;