ROYAUME DE DIEU

1. Dans l'A.T, (a) L'application à la divinité des attributs de la royauté se trouve déjà dans les religions païennes. Mais elle estparticulièrement conforme à l'esprit d'une piété qui entend voir enDieu le Souverain absolu, le Maître du ciel et de la terre. Pourl'Israélite le monde appartient à l'Éternel, et les prophètesprécisent le double aspect de cette royauté divine qui s'exerce surla nature et sur l'histoire (Esa 40:22). Mais avant que cetteidée de la Royauté divine eût été associée à l'affirmationrigoureusement monothéiste du Dieu Créateur, elle a déjà accompagnéla doctrine de l'alliance entre Dieu et son peuple. Le Royaume deDieu est localisé là où Dieu est reconnu, adoré, servi, en Israël.«Vous serez pour moi un royaume de sacrificateurs, une nationsainte» (Ex 19:6). L'image du Roi céleste empruntera tout naturellement ses traitsaux tableaux des cours terrestres. Le croyant voit l'Éternel assissur son trône, et entouré de ses armées (Esa 6:1,3). LeSouverain est aussi le Juge, qui appellera un jour à son tribunal etson peuple et toutes les nations (Sop 3:8,Da 7:9-12). Le développement de l'espérance messianique aboutira àmontrer en un homme providentiel le futur roi du monde, le saint duTrès-Haut, le «Fils de l'homme» que Daniel oppose aux princes de laterre, symbolisés par des animaux. Si le Serviteur de l'Éternel du second Ésaïe représente avanttout le Messie-prophète, du moins garde-t-il encore certains traitsdu Messie-roi, auquel faisaient allusion des prophètes antérieurs. Ily a eu des époques où Israël semblait attendre un rétablissementnational glorieux du retour d'un roi idéal, nouveau David, ou nouveauJosias. Le contemporain de l'exil, le second Ésaïe, s'ouvre àd'autres perspectives: celles d'un Israël fidèle, à qui Dieu confieraun rôle missionnaire universel, et sur qui viendra régner unServiteur de l'Éternel (voir art.) parvenu à la gloire par sessouffrances. Dans l'A.T, l'espérance religieuse et l'espérance politique demeurent associées L'avènement du Messie introduira l'ère nouvelle, la domination totalede Dieu. Ce sera d'ailleurs une transformation si profonde qu'ellepeut être comparée à la création de nouveaux cieux et d'une nouvelleterre (Esa 65:17 66:22). (b) Au temps de Jésus, l'expression de Royaume deDieu résume l'objet de l'attente religieuse. Sans doute peut-on direà l'Éternel: «Ton règne est un règne de tous les siècles, et tadomination dure d'âge en âge» (Ps 145:13). Mais c'est l'avenir qui apportera la réalisation parfaite et définitive decette Royauté: «L'Éternel sera le roi de toute la terre» (Za14:9,Ab 21). Lorsque le psalmiste chante: «L'Éternel règne!» (voiren particulier Ps 93 à 99), il se transporte en pensée à l'aube destemps messianiques. Lorsque les prophètes ont élargi la notion du Royaume,ils n'en ont pas moins gardé 1 espoir d'une domination future d'Israël sur lespeuples païens, soit que ces peuples dussent être un jour assujettispar la force, soit qu'au contraire ils vinssent se soumettrevolontairement à l'Éternel. Dans le livre de Daniel, le Royaume de Dieu et le Royaume de sessaints sont identifiés (Da 2:44 7:27). Mais c'est toujours Dieuet Dieu seul qui établira son règne par un acte souverain; sesenfants n'ont qu'à attendre, dans la fidélité et dans l'espérance. Lapensée d'installer le Royaume par les efforts humains, par laviolence, par la révolte contre les maîtres politiques d'Israël, putsurgir à l'époque troublée des Macchabées, et survivre chez lesZélotes. Cependant, à l'époque de Jésus, Israël attend généralementla victoire sur les puissances du monde (et parfois même ladestruction en masse de ses ennemis) moins de son épée que del'action souveraine de Dieu. Les visions du Royaume sont cellesd'un nationalisme étroit, qui rêve d'une existence facile etglorieuse dans une patrie transfigurée, où reviendront tous lesenfants dispersés. La félicité escomptée est définie matériellement: paix et joie, abondance et fécondité! On insistedavantage sur la soumission des païens que sur leur conversion. Cependant l'idéal de la sainteté n'est pas absent de cetteespérance, qui rêve d'une exclusion de toute souillure, de touteimpureté. La tendance de l' apocalyptisme veut souligner les élémentscosmiques et transcendants de l'espérance juive. L'avènement duRoyaume de Dieu devient un acte d'un drame universel, l'aurored'un nouvel âge qui marquera la fin des temps (voir cetteexpression dans 1Co 10:11,Heb 9:26). La piété ne se contenteplus d'espérer voir commencer une nouvelle période de l'histoire,elle entend dépasser l'histoire, s'élancer hors du temps. Du mêmecoup elle se trouve plus capable de retenir la préoccupation du salutéternel de l'âme individuelle, appelée à ressusciter dans «l'autremonde», dans «l'autre siècle». (Voir Apocalypses, Dieu, Eschatologie,Messie). 2. Jésus-Christ, dans sa piété intime, invoque Dieu comme Pèreplutôt que comme Roi. Le christianisme primitif semble lui-même avoirpréféré le titre: Seigneur (voir ce mot) à celui de Roi, le premierévoquant peut-être moins que le second l'idée d'une tyranniedespotique--si proche pour l'homme antique de celle de la monarchieroyale. Mais Jésus a cependant employé constamment le terme: le Royaume (Mt 4:23); le Royaume des cieux (dans Matthieu,attentif peut-être à éviter par des périphrases le nom sacré deDieu); le Royaume du Fils de l'homme (Mt 13:41); mon Royaume(Jn); et plus souvent encore (Mr et Luc) le Royaume de Dieu. Jésus ne définit pas didactiquement le sens de cette expression connue et populaire, qui désigne pour ses auditeurs: un état où le peuple sera dirigé et dominé par Dieu seul, et non plus par des étrangers;--et non plus, ajoutent les âmes les plus spirituellement vivantes, par Satan De cette absence de définition précise, d'aucuns concluent (parex. Guignebert): le bon sens nous amène à penser que Jésus gardesimplement l'espérance juive; Dieu établira, dans l'avenir etici-bas, un ordre de choses nouveau, par sa puissance souveraine. Uneintervention divine miraculeuse préludera à une réalisation parfaiteet matérielle de la parfaite justice et du parfait bonheur. Jésus nese serait attribué que ce seul rôle: annoncer l'approche imminente duRoyaume, et ne se serait singularisé qu'en écartant tout élémentpolitique de ses visions d'avenir. Sur ce dernier point, quelquessavants (par ex. l'Israélite Klausner) pensent que Jésus n'a même pasrenoncé à s'associer au caractère politique de l'espérance nationale,et qu'il s'est seulement désolidarisé de tout programme de politiquede violence! Mais voici que d'autres lecteurs pénétrants de nosévangiles ont cru reconnaître dans le Royaume dont parle Jésus uneréalité toute spirituelle, définie par l'action d'une force au-dedansdes âmes (par ex. Reuss). D'autres enfin pensent que le Royaume apour Jésus un double aspect: celui d'une réalité de l'avenir, et enmême temps celui d'une donnée spirituelle déjà présente. 3. Il faut donc examiner de plus près les textes essentiels. (a) Incontestablement, beaucoup de passages présententle Royaume comme une réalité de l'avenir, qui a tous lescaractères d'une donnée définitive, achevée, parfaite. Il viendra àl'heure fixée par Dieu, et, alors, tout sera décidé. Les unsentreront, les autres seront exclus (Lu 14). Des catastrophesnationales (le Temple détruit) et cosmiques (chute des étoiles, etc.)marqueront l'agonie du monde présent, et la condamnation de sonpéché. Ceux-là qui auront dû se préparer par la repentance aurontpart à l'idéale félicité du Royaume. Dans les passages apocalyptiques des évangiles (Mr 13,Mt 24)il est impossible de faire le départ entre ce qui est paroleauthentique du Maître, et ce qui est encadrement de ses paroles parune tradition judaïque à laquelle les apôtres demeurent attachés.Jésus a-t-il lui-même chronologiquement rapproché, ou distingué, lafin de Jérusalem, la fin du monde, son retour glorieux? Question insoluble peut-être. Mais il est fort possible que cesoit l'évangéliste Matthieu et non Jésus lui-même qui soitresponsable de la confusion, que certains versets favorisent, entrela fin de Jérusalem et la fin du monde. En tout cas, Jésus s'oppose à l'effort des disciples désireux depréciser les modes d'apparition du Royaume. Eux pensent que leRoyaume va tout d'un coup être manifesté (Lu 19:11). Jésus,même s'il parle de la fin du monde, s'associe par là aux perspectivesde l'eschatologie, sans jamais en faire une apocalyptique prête àdéterminer par ses calculs, ses études, ou ses visions, le plandivin, défini dans ses moindres détails. Peut-être (opinion de M. Goguel) Jésus a-t-il cru au début de sonministère à l'immédiate proximité de l'accomplissement final (Mt10:23); plus tard il aurait encore pu affirmer: «quelques-uns deceux qui sont ici ne mourront pas avant d'avoir vu le règne de Dieuvenir avec puissance» (Mr 9:1); enfin, il aurait insisté surl'ignorance où il se trouvait lui-même, en ce qui concernaitl'échéance dont Dieu seul connaît le jour et l'heure (Mr 13:22). (b) A la différence du Baptiste, c'est avec des accents de joie que Jésus annonce la proximité du Royaume . (Mr 1) C'est sans doute un message redoutable pour l'impie; mais pourquiconque se repent et se prépare spirituellement, c'est une bonnenouvelle. Le Royaume sera caractérisé par le triomphe de la bonté, de la miséricorde, de l'amour Rien ne nous autorise à dire (avec Klausner) que Jésusa insisté sur les aspects les plus matériels dela félicité future, et que sans cette insistance il n'aurait puattirer à lui tant de pauvres gens! Jésus compare l'état futur deshommes sauvés à celui des anges (Mr 12:25), et salue au sein duRoyaume une humanité réellement transfigurée. C'est en leuraccordant une portée symbolique que Jésus emploie les imagesmatérielles, en parlant du Royaume où l'on se mettra à table, où l'onmangera et boira. Faut-il dire simplement: Jésus dit: «Repentez-vous!» et Dieumanifestera sans tarder sa puissance et le Royaume sera là demain(comme le déclare explicitement la théologie rabbinique; voir art.Messie)? Ou y aurait-il dans sa prédication d'autres éléments, quinous permettraient de parler d'une véritable présence d'un Royaumedéjà actualisé? 4. Développement du Royaume. (a) Certains théologiens ont été tentés de rapprocherles deux notions de Royaume de Dieu et d'Eglise, en se fondantsur la parabole de l'ivraie (Mt 13); mais ce rapprochement nerisque-t-il pas de correspondre à la pensée de l'évangéliste plutôtqu'à celle de Jésus lui-même? D'autres ont appliqué à l'Évangile les catégories de leurspiritualisme moral. Le Règne de Dieu serait une définitionchrétienne du Souverain Bien des philosophes; Jésus, auteur de ladéfinitive synthèse du moral et du religieux, aurait inauguré dansl'histoire spirituelle de l'humanité un nouveau chapitre, et saconception du Royaume aurait été celle d'une société spirituelled'hommes obéissant à la loi morale, et animés par l'amour et par lafoi au Dieu Père (école de Ritschl). La majorité des historiens contemporains (M. Goguelaujourd'hui, aussi bien qu'hier J. Weiss et A. Loisy) protestentcontre une traduction plus philosophique que fidèle du messageprimitif de l'Évangile. Ils insistent sur l'unité de la pensée deJésus qui parle toujours du caractère futur, eschatologique,transcendant du Royaume. Et pourtant, dans les évangilessynoptiques aussi (sans parler de Jn), Jésus nous apparaît parfoisse réjouir de la présence, déjà visible, du Royaume. «Si je chasseles démons par l'Esprit de Dieu, le Royaume de Dieu est donc déjàvenu jusqu'à vous» (Mt 12:28, cf. Lu 10:9). AssurémentJésus peut saluer prophétiquement comme déjà là ce qui, à strictementparler, est encore à venir. On peut aussi récuser les introductionsaux paraboles: «Le Royaume de Dieu est semblable à...» en lesattribuant aux rédacteurs de nos évangiles. Mais ces objections,d'ailleurs discutables, détruisent-elles le fait que pour Jésus lapériode finale et décisive, la période du Royaume, a commencé? Lesmanifestations de la puissance de l'Esprit affirment saprésence (Mt 12:28); la loi et les prophètes ont duré jusqu'àJean, et maintenant: le Royaume est annoncé (Lu 16:15); leprésent apporte ce qui était jusque-là objet d'espérance (Mt13:17); chacun de ceux qui offrent la réceptivité confiante del'enfant peut recevoir le Royaume (Lu 18:16); chacun doit lerechercher par-dessus tout (Mt 6:33). Le Royaume de Dieu estlà, au milieu de vous ; il est là, aussi sûrement que vous êtes là,sans que vous ayez à réclamer des signes extérieurs (Lu 17:20). A propos de ce dernier texte, il faut abandonner la traduction:le Royaume est au dedans de vous, qui supposerait en tout cas que Lucse trompe en montrant dans les interlocuteurs à qui Jésus s'adressedes pharisiens. Mais est-ce à dire (M. Goguel) que Jésus exprimecette pensée: Vous ne pouvez prévoir le moment de la réalisation duRoyaume, de manière à en bénéficier automatiquement; c'est en vousque sera (ou ne sera pas!) la possibilité d'entrer dans ce Royaume? Appuyé sur d'autres, ce texte nous semble plus simplement nousmontrer Jésus certain qu'avec Lui, le Royaume est là.. (b) Les paraboles expriment plus d'une fois cetteréalisation commençante, anticipée si l'on veut, mais authentiquepourtant, du Royaume futur. Les accents victorieux de l'Évangilene crient pas seulement: Un monde nouveau viendra! mais bien aussi: Un monde nouveau a commencé A l'opposé de la pensée judaïque, Jésus dans les paraboles du grain de moutarde et du levain (Mt 13) pose une doubleopposition: débuts obscurs, fin magnifique!--moyens médiocres, effetsprofonds! Jésus parle, dans la parabole du semeur, de ses expériencesdans la prédication du Royaume, dont il définit une des lois: ungrain en rapporte cent. L'image de la graine qui croîtd'elle-même (Mr 4) parle d'un développement progressif,organique du Royaume. Même si l'antiquité ne connaît pas la théoriede l'évolution biologique, cette parabole nous dit: Si l'achèvementn'est pas encore venu, le début est là dans la graine vivante, et cedébut c'est l'essentiel. (Même pensée dans la parabole du levain). L'Esprit agit; la lumière du Royaume se lève; la présence de Jésusouvre une ère nouvelle. Son amour qui guérit, pardonne et sauve,inaugure en fait le Royaume. Quand Jésus proclame cet avènement duRoyaume, alors même que ne sont pas encore survenues lescatastrophes, historiques ou naturelles, prévues pour la fin destemps, Jésus oriente les âmes vers cette découverte: là où agitl'Esprit, là est le Royaume. Ce qui importe ce n'est pas de se perdredans des spéculations sur l'avenir, c'est d'entrer dans le Royaume, d'y agir, d'y travailler comme les ouvriers dans la vigne. L'espérance de la gloire future subsiste, entière; mais cefutur n'est plus au centre de la piété. Ce qui est au centre, c'estun présent à travers lequel le Royaume s'annonce, se perçoit, seréalise. En tout temps la fin peut être proche: Veillez et soyezprêts. Mais Jésus semble avoir prévu un développement avant letriomphe. La parabole des vignerons (Mt 21) nous fait penserque Jésus en est venu à parfaitement distinguer, dans sesperspectives d'avenir, la ruine d'Israël, toute proche, de la fin dumonde, dont il n'entend pas préciser la date. 5. Cette dernière parabole, avec la conclusion: «Le Royaume de Dieu voussera ôté, et sera donné à une nation qui en produira lesfruits» (Mt 21:43), semble un prélude à l' ordremissionnaire attribué par Matthieu au Ressuscité. Jésus a modifié l'idée traditionnelle du Royaume dans le sens del'universalisme . Toute âme qui remplit certaines conditions intérieures derepentance et de foi peut avoir part au Royaume. Jésus a sans douteidentifié parfois les fils du Royaume et les Israélites (Mt8:12). Mais ses expériences l'amènent à cette double certitude: ily aura des enfants d'Israël qui seront rejetés; il y aura des païensqui entreront dans le Royaume. (Voir les récits concernant le rejetde Jésus à Nazareth, le centenier de Capernaüm, la Cananéenne, etencore l'éloge du Samaritain compatissant de Lu 10). Ladéclaration: «Quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans lescieux, celui-là est mon frère, et ma soeur, et ma mère!» (Mt12:50) nous fait aussi saisir, en Jésus, un universalisme deprincipe. Jésus ne fournit pas de solution théorique à un problèmequ'il ne s'est pas directement posé (et qui sera celui que saint Paulaura à résoudre); mais son coeur sait reconnaître aussi, hors ducadre national, des âmes préparées à entrer dans le Royaume de Dieu.Et en tout cas au moment du drame final, Jésus parle de la vocationdes païens (Mt 21:43). Cet universalisme de la religion enesprit et en vérité était dans la logique de l'Évangile. On peutdéfendre l'opinion que Jésus s'est senti, dès l'aurore de savocation, appelé à attirer un jour à lui tous les hommes. (Voirévangile de saint Jn). 6. Spiritualité du Royaume , (a) Jésus a été moins préoccupé de donner un enseignement sur le Royaume, que d'en hâter la venue Par la pénétration dans les coeurs d'un message chargé de puissance, partoute l'action de sa personne et de son amour, par la propagation de la vie qui est en lui, il fonde ce Royaume La présence du Royaume est liée finalement à son influence décisive, à la possibilité d'une communion avec lui. La difficulté dont Jésus parle, de pénétrer le mystère du Royaume, ne tient-elle pas au fait que ses auditeurs sont captifsd'un matérialisme de l'espérance, auquel s'oppose son intuitionrévélatrice, celle-là même qu'exalte le 4 e évangile? St Jeanfait dire à Jésus: «Mon royaume n'est pas de ce monde», et: «Si unhomme ne naît de nouveau, il ne peut voir le Royaume de Dieu» (Jn3). Le Royaume de Dieu est une société d'origine céleste etdivine, dans laquelle régnent l'amour et la vérité, principes de lavraie vie (1re ép. de Jn). Ces principes ne triomphent que là oùl'homme a connu la régénération, telle que la définit Jésus dans le 4e évangile (Jn 3). C'est par la naissance d'En-haut que l'hommeentre dans le Royaume. Jésus vient y convier ceux qui s'offrent à la régénération par leur repentir et leur foi. (b) L'interprétation morale qui voit dans lemessage du Royaume l'annonce du développement progressif d'unehumanité normale et sainte, juste et heureuse, n'est pas complètementinfidèle à l'Évangile. Elle devient infidèle dès qu'elle séparetrop le Royaume du Roi, accentuant la face morale du message audétriment de sa face religieuse. Le premier agent du Royaume, c'estDieu se révélant en Christ. Le Royaume n'est pas une société devolontés bonnes, mais bien l'état nouveau d'une humanité sur quiChrist vient régner. Ce serait une autre infidélité encore que d'effacer la perspective de l'accomplissement glorieux. Si Jésus demande que leRoyaume vienne sur la terre, la plénitude du triomphe, qui impliquel'abolition du péché et de la mort, ne peut avoir pour théâtre ce quenous appelons l'histoire, mais bien seulement cet au-delà del'histoire que les uns situeront sur une terre radicalementtransformée, d'autres en un monde transcendant, que nous sommesparfaitement incapables de localiser. Il ne faut pas réduire en termes de pure philosophie morale labonne nouvelle évangélique. Il ne faut pas «humaniser » leRoyaume, jusqu'à l'identifier avec l'Église visible (tendance ducatholicisme) ou avec une société parfaite, organisée par l'efforthumain (tendance de certains chrétiens sociaux). Mais il ne fautpas davantage enfermer la spiritualité créatrice de Jésus dans lescadres judaïques. Ces cadres, Jésus les a dépassés par sesdécouvertes intimes, par sa révélation des vrais caractères duRoyaume: spiritualité et universalité Aux exclusivismes de l'interprétation morale, nous pouvonsopposer l'exclusivisme de l'interprétation historique eschatologique.C'est cette dernière que recommandent, en réaction contre le XIX e,les savants du XX e; ils risquent de méconnaître parfoistoute l'originalité de Jésus. A nos yeux Jésus n'a pas seulement écarté de la notion duRoyaume de Dieu certains traits politiques ou grossièrementmatériels. Il a insisté sur la nature spirituelle des conditionsd'entrée dans le Royaume de Dieu, avec tant de claire énergie, qu'ila souligné non seulement la proximité, mais la présence de ce Royaume,manifestée directement par son action. 7. Saint Paul emploie rarement le terme: Royaume de Dieu Parfois cependant il désigne par là l'héritage glorieux attendu parles croyants, héritage tout spirituel (Ro 14:17) dont serontprivés ceux qui s'écartent de la justice et s'abandonnent aux formesdiverses de l'idolâtrie (1Co 6:9,Ga 5:21 Eph 5:5). L'auteur de l'épître aux Hébreux oppose le Royaumeinébranlable que nous avons en partage (Heb 12:28) à tout cemonde immédiat appelé à disparaître (Heb 8:13). C'est le Royaumequi est la vraie, la définitive réalité, alors que toute autregrandeur terrestre est provisoire. Pour les premiers chrétiens lapossession de l'héritage céleste est un objet de ferme espérance.Mais à travers cette attente, parfois passionnée, parfoisimpatiente, ils conservent la conviction: le Royaume a commencé Par la foi le croyant est transplanté dans le monde nouveau, et luiappartient. Dieu «nous a délivrés de la puissance des ténèbres, etnous a fait passer dans le Royaume de son Fils bien-aimé» (Col1:13). La mystique de Paul associe d'une manière très étroite ettrès originale les deux affirmations du salut actuellementréalisé, et du salut futur glorieux. E: tout le N.T. tend àmaintenir indissolublement liées les deux vérités: l'inaugurationdu Royaume parle Christ, mort et ressuscité; l'attente du triomphe L'action du Christ a créé dans l'histoire humaine un typenouveau, celui du fils du Royaume, qui en tend laisser dominer en luila volonté du Dieu saint, et qui, une fois sauvé par sa grâce, veutentrer dans la communauté de la foi et de l'amour, destinée àconstituer un peuple de Dieu. En un sens, nous gardons donc le droit de dire: Jésus a fondé sur la terre un Royaume de Dieu, héritier des promesses antiques .Le but du Sauveur est la constitution d'une humanité nouvelle,au sein de laquelle l'âme individuelle réalise sa destinée, et dans laquelle s'annonce l'achèvement final de l'oeuvre de la création Cet accomplissement sera l'oeuvre de Dieu même; sadate et son théâtre le ciel et la terre! ne peuvent être préciséspar notre esprit. L'unité du Royaume dans son état préparatoire et dans sa gloiredéfinitive est fondée dans l'unité de la Vie (voir ce mot) qui est enChrist, de la Vie éternelle, accessible dès ici-bas par la communionavec le Dieu Sauveur. A. L.