RIRE

Dans l'A.T, le rire est désigné par deux mots hébreux différents, commedans le N.T. par deux mots grec différents qui leur correspondent àpeu près. Le verbe au sens le plus général, sâkhaq, évoque lerire joyeux, souvent en contraste avec l'a tristesse et lespleurs (Pr 14:13 29:9,Ec 2:2 3:4 7:3); dans Ec 7:6 le riredes insensés est opposé au feu d'épines qui contrairement à celui ducharbon brûle vite, mais n'a pour effet que du bruit et non de lachaleur. Sir 27:13 dénonce aussi le rire des insensés etdes pécheurs; mais dans Sir 19:30 le rire (litt. le riredes dents) qui avec le vêtement et la démarche révèle le caractèrepeut être aussi bien celui des sages que des insensés. Le même verbepeut s'appliquer au sourire amical (Job 29:24), ou se traduirepar jouer;voir (Ps 104:26,Pr 26:19,Za 8:5) Jeu. Avec le verbe gêlân, dans Lu 6:21 (Vers. Syn., vous serez dans la joie),Lu 6:25,Jas 4:9, le rire s'oppose aux larmes (voir ce mot), etdans les deux derniers passages c'est le rire des pécheurs en tantque tels. D'ailleurs le verbe sâkhaq peut signifier aussi: rire dequelqu'un, c-à-d, s'en moquer. C'est autour de ce sens que les récitsde la naissance d'Isaac (voir ce mot) cherchent plusieurs étymologiesde son nom (Ge 17:17 18:12,15 21:9; dans Ge 21:6 le «sujetde joie» est une traduction exacte, mais dans 21:6 il faut sans doutelire «riront de moi» au lieu de «me souriront» [Vers. Syn.]). Ils'agit parfois simplement de ceux qui se rient d'un danger, d'unennui, d'un effort, en ce sens qu'ils le méprisent, le narguent oului sourient (Job 5:22 39:10,21,25 41:20 Pr 31:25). Maison trouve aussi la raillerie proprement dite, le sarcasme et l'objetde risée (Job 30:1,La 1:7, Sag 5:3,Ps 37:13 2:4,Pr 1:26). Dans les deux derniers textes cités, sâkhaq est en parallèleavec l'autre verbe hébr., lâag, qui, lui, signifie toujoursrailler, et qu'on retrouve dans 2Ro 19:21,Job 9:23,Ps 44:1459:9,Os 7:16, etc. et dans beaucoup d'autres endroits où il esttraduit par: se moquer (Job 22:19,Pr 17:5 30:17,Ne 2:19 4:1,etc.). Le verbe grec correspondant, kata gêlân, n'est employé dansle N.T. qu'à propos des moqueries déplacées de la foule qui l'instantd'avant pleurait à grands cris sur la mort de la fille de Jaïrus etqui ricane grossièrement aux dépens de Jésus lorsqu'il déclarequ'elle n'est pas morte maïs endormie (Mr 5:40 parallèle Mt9:24 parallèle Lu 8:53). C'est le même rire vulgairementrailleur qu'exprime ce verbe grec dans la lettre d'un soldat à samère (III e siècle) se plaignant de son père qui en venant le voir nelui a pas fait le moindre cadeau: «tous se moquent de moi!» ou dansune inscription du III e siècle av. J.-C, parlant d'un homme quivenait chercher au temple d'Asklépios à Epidaure la guérison d'unecalvitie totale et «se couchait tout honteux, parce que les autres semoquaient de lui». (cf. 2Ro 2:23) De nombreux passages bibliques condamnent la moquerie,manifestation de méchanceté, d'orgueil (Pr 1:22 21:24 etc.),parfois d'incrédulité (Ps 1:1,Ac 2:13,2Pi3:3 etc.). Ce fut une des épreuves des dernières heures de la viedu Christ que de subir les moqueries du peuple, des soldats, desjuges et des prêtres (Mr 15:16-20,29-32 et parallèle Lu23:11-36 etc.). L'apôtre Paul ne recueillit guère, par sondiscours à l'Aréopage, que moquerie et indifférence des sceptiquesAthéniens (Ac 17:32), comme les prophètes s'étaient heurtés auxmoqueries et aux persécutions (Esa 28:22,Jer 20:7,Heb 11:36,etc.). Dans l'ensemble des passages bibliques c'est donc le rire égoïsteou malveillant qui se trouve le plus souvent mentionné. Il n'en fautpourtant pas conclure que le rire loyal et franc et que le sourirecordial et amusé soient incompatibles avec la révélation del'Évangile, la «bonne nouvelle» par excellence. Une interprétationabusive, devenue trop traditionnelle, de la notion de «l'Homme dedouleurs» a provoqué des jugements pessimistes ou moroses, commecelui-ci: «On ne nous dit jamais que Jésus a ri, alors qu'on nous ditune fois qu'il a pleuré» (Farrar, Vie de Jésus, chap. 22).L'observation se trouve déjà dans la fameuse «lettre de Lentulus»(épître apocryphe, soi-disant adressée au sénat romain par PubliusLentulus, gouverneur en Palestine avant Pilate), qui esquisse leportrait physique du Christ, homme majestueux au beau visage réguliersans défaut, et ajoute: «Aimable, d'une gravité tempérée, on ne l'ajamais vu rire mais souvent pleurer»; cette remarque représente lesvues ascétiques du Moyen âge et s'ajoute aux nombreuses autrespreuves de la parfaite inauthenticité du document, invention du XII esiècle si ce n'est même du XVI e (voir Encycl., t. 8, art.Lentulus). A l'extrême opposé, Renan, malgré les exagérations parfoisridicules du fade roman galiléen qu'il imagine, est plus près de laréalité lorsqu'il dit de Jésus que «sa douce gaieté s'exprimait sanscesse par des réflexions vives, d'aimables plaisanteries» (Vie deJésus, chap. XI). La faculté du rire est éminemment humaine, et son absence totaleeût constitué un défaut dans la personnalité si complète etharmonieuse du «Fils de l'homme», notre Modèle; le don de faire rireest une ressource pédagogique qu'ont utilisée tous les grands maîtresen la contenant dans de justes bornes, et à laquelle il n'est pasvraisemblable qu'ait renoncé le Maître des Douze, prédicateur desfoules. Le fait fortuit qu'aucun texte du N.T. ne lui attribue lerire proprement dit ne prouve pas que le Christ s'interdîtsystématiquement une manifestation aussi naturelle de l'esprit, et del'esprit de sociabilité. Bien au contraire, tout son genre de viesimple, digne certes mais libre et spontanée, le mêle sans cesse àl'existence de ses contemporains, il répudie l'austérité des rites etla rigidité pharisienne, s'abstenant du jeûne, en dispensant sesdisciples (Mr 2:19 et parallèle) et ordonnant à ceux qui lepratiquaient la discrétion du visage reposé agréable au prochain aulieu des mines défaites ostentatoires (Mt 6:16,18); au risque dese faire traiter de mangeur et de buveur (Lu 5:30 7:34 15:2). ilparticipe volontiers aux repas de noces ou de fêtes (Jn 2:1 etsuivants Jn 12:18,Lu 5:29 7:36. etc.), il aime la compagnie desenfants, qui visiblement sont attirés par son accueillantsourire (Mr 9:36 10:13-16 et parallèle), il observe leursmoindres jeux (Mt 11:16 et suivant et parallèle), refuse auxprêtres du Temple d'imposer silence aux acclamations d'enfantsémerveillés (Mt 21:15 et suivant), il annonce à ses fidèles destressaillements de joie même au sein des persécutions (Lu 6:23),leur révèle la source de la joie éternelle (Lu 10:20), etlui-même il éprouve ces exultations devant les conquêtes du Pèrecéleste parmi les petits enfants (Lu 10:21). D'autre part on nepeut méconnaître le tour enjoué de tant de ses entretiens, marquésévidemment de jeux de physionomie soulignant le trait humoristique,qui ne pouvait alors échapper à ses auditeurs comme il peut échapperaujourd'hui aux simples lecteurs. (cf. Mr 2:7,Mt 5:15 7:3,5 915:14 19:24,Lu 5:10,Jn 10:32 etc.) Il n'est donc point douteux queles sourires et les rires aient souvent accompagné le Seigneur et sesdisciples au cours de son ministère. Plus tard saint François d'Assise et ses amis seront appelés lesrieurs du Seigneur (joculatores Domini). Sans doute, lespsychologues qui cherchent à expliquer le mécanisme du rire nousmontrent que le sens du comique n'est pas éloigné de la raillerie, etles moralistes ajoutent que le bon coeur est nécessaire pour garderau rire toute sa bonté: l'amour de Jésus pouvait sans peine en donnerle parfait exemple. Remarquons enfin que Jésus s'avançait vers laPassion: sa tragique destinée de Sauveur par le sacrifice de la croixne souffrait guère de manifestations extérieures de gaieté; aussibien, la vertu profonde du Seigneur comme celle de ses fidèles,devant le péril, la souffrance et la mort, n'est-elle pas la gaieté,toujours plus ou moins superficielle, mais la joie (voir ce mot). JnL.