RÉGÉNÉRATION

La nécessité d'une nouvelle naissance pour entrer dans la vie divineest une des préoccupations centrales de la religion des hommes ettout spécialement du culte des mystères (voir ce mot). Cette préoccupation ou, pour mieux dire, cette obsessiontransverbère les rites de la mort et de la résurrection d'Attis,Dionysos, Mithra, etc. Le Myste meurt à sa vie ancienne enparticipant mystiquement à la mort et à la résurrection de son dieu.Après quoi il est, comme disent les textes, un «deux fois né», un«re-né», un «fils engendré aujourd'hui». Parmi ces rites symboliquesde la régénération, le plus caractéristique est celui du mystèreosirien de la renaissance. «On sacrifie des victimes en l'honneurd'Osiris mort. La peau de ces victimes devient, selon le rituel, lapeau de Sith, le meurtrier d'Osiris, et c'est elle qui va servir de«berceau» à Osiris. On place dans cette peau la momie qui représenteOsiris, ou bien le prêtre lui-même qui représente Anubis, ou un hommequelconque appelé «Tikanou» s'y couche en prenant l'attitude dufoetus dans la matrice. Les charmes de la magie imitative rendentefficace ce simulacre de gestation. Quand Osiris, ou Anubis qui s'estsubstitué à lui, ou le Tikanou, sort de la peau, il renaît, commes'il sortait du sein maternel.» Ici, les vues ne vont pas plus loinque dans l'étonnement de Nicodème: «Naître de nouveau», c'est«rentrer dans le sein maternel pour naître une seconde fois». L'Inde--dans laquelle on verra peut-être un jour, bien plutôt quedans l'Egypte, l'inspiratrice des cultes orientaux et la mère denotre mystique--renferme dans son rituel védique une cérémonieanalogue à la renaissance par la peau, que nous venons de signalerdans le mystère d'Osiris. On l'appelle la diksa. Cette diksa remonte aux temps les plus reculés. Les Brahmanas montrent quel'initié à la nouvelle naissance devait se soumettre à une séried'actions symboliques très dures, lesquelles reproduisent toutes lesphases de la venue au monde d'un nouveau-né. Cette cérémonie sepratique encore aujourd'hui; si bien que pour expliquer auxpopulations ce que c'est que le baptême d'eau et d'Esprit quiintroduit par la nouvelle naissance dans le Royaume de Jésus-Christ,les Hindous convertis disent: «C'est la diksa des chrétiens,c'est l'initiation à la sagesse de Dieu.» Ces derniers mots nousreportent à la parole de l'apôtre Paul aux Corinthiens: «Nousprêchons la sagesse de Dieu aux initiés (le mot grec que nos versionsrendent ici par le terme «parfait» signifie dans le langage desmystères: «initié»), et nous la prêchons dans un mystère; sagessecachée, inconnue aux grands de ce monde, mais que Dieu avaitprédestinée avant les siècles pour notre gloire» (1Co 2:7). Cette nouvelle naissance que les hommes en mal de Dieucherchaient «à tâtons» (Ac 17:27), le «mystère duChrist» (Col 4:3) la leur a apportée en la transposant dans lemonde moral et spirituel. Le terme régénération (lat. regeneratio, du verbe regenerare =engendrer de nouveau) répond au grec palingenesia (=nouveau commencement), qui n'est employé que deuxfois dans le N.T. (Mt 19:28: renouvellement de toutes choses, etTit 3:5: baptême de régénération, lavacrum regenerationis, Vulgate). Par ce mot (et le verbe anagennân qui signifieengendrer de nouveau, régénérer, cf. 1Pi 1:23) est désigné lepoint de départ de la vie chrétienne sous l'action de l'Esprit deDieu. Il sert à dépeindre le radical changement opéré dans lessentiments, les pensées, la volonté de l'homme qui est entré par lafoi dans la communion de Jésus-Christ. Révélation, incarnation,régénération, voilà le triptyque du salut. Ces trois doctrinesconstitutives de la rédemption (voir ce mot) sont enseignées dans laBible avec une égale clarté, mais c'est dans les paroles de Jésus àNicodème (Jn 3) qu'on les trouve le plus organiquement liées. 1. «Si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume deDieu » (Jn 3:3). L'entrée dans le royaume de Dieu, que Jésusdonne comme thème inaugural de toute sa démonstration, ne dirait rienaux hommes, si la révélation, c'est-à-dire la parole de Dieu par sesprophètes, ne leur avait enseigné dans l'A.T, ce qu'est le royaume deDieu. C'est ici la révélation par le Père. Dieu: la personne sainte;son royaume: une société établie dans la justice, la pureté, l'amour,la confiance et l'obéissance au Père céleste. La condition d'entréedans ce royaume est la ressemblance avec Dieu, la communion avec lui,la sainteté. «Soyez saints car je suis saint» (Le 19:2). Maisl'homme ayant trahi la cause de Dieu (Ge 3,voir Chute), soncoeur, qui est le siège de la vie intérieure (Pr 4:23), esttourné vers le mal (Ge 6:5); pour le rendre conscient de cetétat tragique, Dieu lui donne la Loi du Sinaï. Mais «l'efficace de laLoi est de montrer la maladie sans montrer aucune espérance deguérison» (Calvin). L'espérance de guérison n'est pas dans l'oeuvrede l'homme, elle est dans une nouvelle initiative de Dieu en faveurde ceux que la Loi a amenés au repentir et à un effort pour seconformer à la volonté de Dieu; voilà pourquoi l'A.T, donne uneimportance croissante à l'obéissance par opposition au sacrifice quise rencontre dans tous les cultes humains (1Sa 15:22,Esa1:11-17,Os 6:6,Mic 6:7 et suivant, Jer 7:22 et suivant, etc.).Dans l'expérience donnée par l'effort d'obéissance grandit lesentiment qu'une rénovation morale est nécessaire (Ps6,Ps 19, Ps 25, Ps 32, Ps 38, Ps 51,Ps 130). De l'échec constant de laprédication des prophètes demandant au peuple élu de renoncer au péchéet de se constituer en peuple de Dieu naquit, vers l'époque de l'exil, laconviction que la rénovation morale ne pourrait arriver que par uneintervention créatrice, une «nouvelle alliance» dont Dieu prendraitl'initiative et par laquelle une force nouvelle, divine,transformerait les coeurs (Jer 24:7 31:33 32:39 et suivant,Eze 11:19 et suivant Eze 36:25-27). Dans tout le processus de laprédication des prophètes, entre le VIII e et le V e siècle, noussurprenons un effort héroïque pour travailler les consciences et lesamener à comprendre que le renouveau moral ne sera pas une affairecollective mais individuelle (Jer 31:29 et suivant, Eze18:31 et suivant) et que le salut de la nation de Jéhovah ne sefera que par la régénération personnelle des jéhovistes. La promessemessianique apportée par cette prédication prophétique orientel'espérance vers le renouveau spirituel et incite les Israélitespieux à faire appel au secours d'en haut, à la manifestation del'envoyé de Dieu. Mais l'A.T, ne dépasse pas ce stade. Il n'apporteaux hommes que ce qu'on appelle la révélation par le Père. Nous nevoyons, en effet, nulle part dans la religion de l'ancienne alliancela régénération, avec la joie qui l'accompagne et les forcesspirituelles qu'elle donne, proclamée comme un fait d'expérience. Jean-Baptiste lui-même appartient encore à l'ère prophétique,mais il jette le pont entre l'A.T, et le N.T., par l'institution du baptême (voir ce mot), où la régénération spirituelle est figuréeplastiquement, et qui sert d'introduction à l'oeuvre rédemptrice queva entreprendre «l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde» (Jn1:29). C'est à ce baptême que Jésus fait allusion quand il dit àNicodème: «Personne, s'il ne naît d'eau... ne peut entrer dans leroyaume de Dieu.» Pour comprendre cette parole, il faut se reporter àla cérémonie qui s'accomplissait alors au bord du Jourdain et quimettait en émoi toute la Palestine. Jean annonçant l'arrivée duMessie rédempteur lui aplanissait le sentier en prêchant larepentance et en provoquant dans tous les coeurs bien disposés larésolution d'entreprendre une vie nouvelle. Il recevait la confessiondes néophytes et, pour marquer à leurs yeux comme aux yeux de lafoule le changement radical qui allait décider de leur destinée, illes plongeait dans l'eau du fleuve. Ce qui disparaissait ici avecl'homme immergé, c'était la vie mauvaise, la volonté charnelle,l'orientation animale; ce qui reparaissait avec l'homme qui émergeaitde l'eau et remontait sur la berge, c'était la créature nouvelle,décidée pour le bien, orientée vers l'Esprit; l'eau du fleuve avaitmarqué et séparé les deux humanités. Le nouveau-né par l'eau étaitprêt à aller à la rencontre du Messie, à l'acclamer, à se mettre àson service et à le suivre après lui avoir dit, comme Jacques etAndré, deux baptisés de Jean: «Maître, où demeures-tu?» C'est en vainqu'on cherche à distinguer le baptême d'eau de Jésus du baptême d'eaude Jean. Rien dans le N.T. n'y autorise. Jésus ne baptisait paslui-même (Jn 4:2), et le baptême qu'administraient ses disciplesavait la même signification que celui de Jean. Le Maître et sesdisciples ne connaissaient, comme Jean, que deux baptêmes: le baptêmed'eau inauguré au Jourdain avant que Jésus entrât en charge, et lebaptême d'Esprit qui se rattache au jour de la Pentecôte. (cf. Lu3:16,Ac 1:5) On voit donc clairement que le baptême d'eau, dans les évangiles,était la part de l'homme, comme le baptême d'Esprit allait être lapart de Dieu. Pierre exhorte ses auditeurs, le jour de la Pentecôte,à se faire baptiser «en vue de la rémission des péchés» (Ac2:38). Dieu ne peut, en effet, pardonner les péchés qu'à un hommequi les reconnaît et résolument les condamne. Pour que Dieu travailleen nous, il faut que nous nous mettions du côté de Dieu: on ne peut«renaître» que si l'on a accepté de «mourir» (Ro 6:4). Voilàpourquoi Jésus dit de ceux qui avaient refusé d'aller au baptême deJean: «Ils ont rendu inutile à leur égard le dessein de Dieu» (Lu7:30); à eux-mêmes, il leur déclare: «Vous ne voulez pas venir à Moipour avoir la vie» (Jn 5:40). 2. Par ce «à Moi», Jésus marque la nécessité de son intervention, de sonoeuvre rédemptrice, pour que l'homme qui, dans le baptême d'eau,demande la régénération puisse l'obtenir par le baptême d'Esprit.C'est ici la révélation par le Fils. Jésus en a donné la formule dansl'entretien avec Nicodème: «Dieu a tellement aimé le monde qu'il adonné son Fils unique afin que quiconque croit en Lui ne périssepoint, mais qu'il ait la vie éternelle » (Jn 3:16). Nousn'avons pas à insister ici sur ce qui touche à la rédemption; mais ilfaut bien faire ressortir que l'incarnation, dont le rôle est méconnupar les diverses formes de la philosophie kantienne, est présentéepar l'Évangile dans son ensemble comme une condition absolue de larégénération. L'homme ne pouvait se régénérer lui-même par ses bonnesrésolutions; d'autre part, l'Esprit divin ne pouvait lui être renduque si une réparation était accomplie. Cette réparation, le Fils deDieu s'est offert pour l'accomplir, et «Dieu a tant aimé le mondequ'il a donné son Fils unique». C'est ici l'acte central, le pivot detoute la révélation. Désormais, de l'attitude de l'homme vis-à-vis de«la Parole faite chair» (Jn 1:14), autrement dit del'incarnation, dépend sa régénération par l'Esprit. L'homme avaitbesoin de devenir une nouvelle création morale (2Co 5:17), cequi nécessitait au point de vue moral un acte créateur. Cet acte, leFils de Dieu est venu l'accomplir sur la terre, et nous en avons leséléments dans l'épître de saint Paul aux Philippiens (Php2:5-11). Jésus, en effet, ne se contente pas d'appeler sescompatriotes à la repentance (Mr 1:15), de leur dire qu'ilsdoivent devenir «comme des enfants» pour entrer dans le Royaume deDieu (Mt 18:2), de déclarer que les hommes sont des «malades»qui ont besoin de médecin (Mr 2:17), il révèle à ceux quil'écoutent que le coeur de l'homme est la source du mal qui entraînel'humanité à sa ruine (Mr 7:21), en sorte que le renouvellementmoral permettant l'entrée dans le Royaume de Dieu est impossible àl'homme (Mr 10:27). Cet enseignement, qui coupe le chemin à toute illusionrelativement à la possibilité du salut par l'amélioration progressivede l'homme naturel, est précisé dans l'entretien avec Nicodème dansces mots: «Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né del'Esprit est esprit. Ne t'étonne donc pas de ce que je t'ai dit: Ilfaut que vous naissiez de nouveau [ou d'en haut]» (Jn 3:6et suivants); ce qui est impossible à l'homme est, en effet,«possible à Dieu» (Mr 10:27), et Dieu l'a accompli dans lapersonne de son Fils «donné», mais aussi venu de lui-même (Jn10:17), pour «sauver ce qui était perdu» (Lu 10:10), Jésus, leChrist, le Verbe incarné, recommencement de l'innocence sur la terre;inauguration de la nouvelle humanité, mais aussi expiation del'ancienne! Car il vient, innocent, dans un monde pervers, usurpé parl'Ennemi: Satan. Il y souffrira, il y mourra crucifié. Mais sa chairsainte, clouée sur une croix, y transforme l'ignominie en victoire.La souffrance, sur la croix, n'est plus ce qu'elle a été jusque-làdans l'humanité: un obstacle. Elle se mue en moyen de grâce. Par sonobéissance absolue, Jésus crucifié contraint les puissancesdémoniaques qui ont dressé la croix à collaborer aux desseinssalvateurs de Dieu. La croix, dressée pour ôter le Christ du monde,devient dans le monde la suprême attirance du Christ, proclamantainsi la défaite de tout ce qui est offensive contre Dieu. CommentJésus après cela serait-il resté dans le tombeau? Quel pouvoir auraitpu l'y retenir? 11 en sort vivant et vivifiant le matin de Pâques. Aujour de son ascension «le filin du plus grand sauvetage que la terreait connu s'est déroulé jusqu'au ciel». Le contact est rétabli. Lavie peut circuler de nouveau entre le ciel et la terre. L'Esprit peutdescendre et créer pour Dieu la nouvelle humanité justifiée en Christ. 3. La régénération spirituelle est la révélation par l'Esprit. Ici,c'est l'Esprit qui parle (Jn 16:13), il nous enseigne (Jn16:14), il nous console (Jn 14:16), il subvient à notrefaiblesse (Ro 8:26), il rend témoignage à notre esprit que noussommes enfants de Dieu (Ro 8:16). Nous avons vu plus haut que lebaptême d'eau symbolisait dans l'oeuvre de la régénération la part del'homme. Ainsi se trouvait établie la valeur morale de larégénération dans son principe. Née d'une initiative de Dieu--cartout ce qui remonte vers Dieu a commencé par descendre de Dieu--,l'oeuvre surnaturelle de l'Esprit n'est en rien une opération magiqueobtenue par des rites, des paroles, un sacrement; elle est unexaucement, car elle est la conséquence d'un état d'âme, d'uneattitude de la volonté, dont l'acte baptismal est le symbole. StPierre le montre nettement quand il dit que la vertu salvatrice dubaptême d'eau pour le chrétien est tout entière «dans l'engagementd'une bonne conscience devant Dieu» (1Pi 3:21). Aussin'aurait-il pas accepté la formule du concile de Trente (7e session)qui fait du baptême d'eau non seulement le symbole, mais le sacrementde la régénération, sacrement qui confère la grâce par sa vertupropre: ex opere operato. Le baptême d'eau en lui-même est si peul'agent indispensable de la régénération que nous voyons celle-ci,dès les premiers jours de l'Église, accordée par le baptême del'Esprit à des croyants qui, sans le baptême d'eau, s'étaient misdans les conditions morales voulues pour bénéficier du salut parJésus-Christ. Dans leur cas, le baptême d'Esprit a précédé le baptêmed'eau (Ac 10:44,48). «Le vent souffle où il veut et tu enentends le bruit, mais tu ne sais ni d'où il vient ni où il va; il enest de même de quiconque est né de l'Esprit. » Par cettedéclaration, Jésus indique à Nicodème les deux caractères del'opération de l'Esprit: (a) elle est mystérieuse et dépasse nos connaissancesdans son origine comme dans ses moyens; (b) elle se manifeste par des états qui sont mouvementet vie; l'Esprit, comme le vent, démontre sa puissance dans ce qu'ilanime. Toutes les définitions ou les allusions que nous trouvons dansle N.T. relativement à la régénération se rattachent à cettedéclaration de Jésus. Après la Pentecôte, les deux baptêmes d'eau et d'Esprit devaientêtre réunis en un seul. Jésus l'annonce: «Allez, dit-il à sesapôtres, et baptisez toutes les nations au nom (=dans la puissance)du Père, du Fils et du Saint-Esprit» (Mt 28:19). Révélation,rédemption, régénération: tout le contenu de l'Évangile «puissance desalut pour quiconque croit» (Ro 1:16). Il y a, dit saint Paul,«un seul baptême» (Eph 4:5), «le baptême de la régénération»,(Tit 3:5) et ce baptême renferme les deux élémentsrévélés par Jésus à Nicodème. Reprenant le symbole du baptême d'eautel que nous l'avons présenté, et l'appliquant à l'expériencechrétienne, Paul décrit la régénération en disant: «Nous avons étéensevelis avec lui par le baptême en sa mort, afin que, comme Christest ressuscité..., nous aussi nous vivions d'une vienouvelle» (Ro 6:4). Mourir pour renaître. La mort dont il estici question est avant tout la mort à la vie ancienne, charnelle,pécheresse: «Faites mourir l'homme terrestre» (la vie dans la chair,Col 3:5); dépouillez-vous «du vieil homme avec sesoeuvres» (Col 3:9,Eph 4:22); travail de sanctification chez leschrétiens, mais d'abord résolution initiale de changer de conduitechez ceux qui aspirent à «ressusciter avec le Christ» (Col 3:1).Dans le passage cité plus haut (Ro 6:4), Paul entend si biendésigner cette condition première: la renonciation volontaire à unétat antérieur, qu'il emploie les termes: «mort, enseveli,ressuscité,» allusion directe au baptême symbolique tel que lepratiquaient Jean-Baptiste et Jésus par ses disciples: immersion,disparition, émersion. Comme Jésus a accepté volontairement de sedépouiller de sa vie céleste toute glorieuse (Php 2:6 etsuivants), l'homme doit vouloir se dépouiller de sa vie terrestretoute pécheresse pour s'unir mystiquement à Jésus dans sa mort; alorsle don du Saint-Esprit lui apportera la force de réaliser son desseind'atteindre à la vie nouvelle (Ro 6:4), laquelle fera de lui«une nouvelle créature» (2Co 5:17), un être spirituel qui a«revêtu le Christ» (Ga 3:27). L'explication de Jn 3:5 etsuivant est dans Ga 5:17 et suivant et dans Ro 7 et Ro8. Il ne faut pas que 1Co 15:29 nous incite à voir dans lanotion paulinienne du baptême un réalisme que ne justifierait pasl'enseignement de Jésus. En effet, dans son allusion au baptême pourles morts, Paul ne parle pas d'une doctrine générale du christianismeni même d'un usage qu'il approuve, mais seulement d'un rite quepratiquaient certains chrétiens de Corinthe encore mal dégagés desmystères païens. L'apôtre, rappelant ce rite, en fait simplementargument pour montrer aux Corinthiens combien ils sont inconséquents:si vous pratiquez des rites qui supposent la résurrection de vosmorts, comment refusez-vous de croire à la résurrection deJésus-Christ! Quant à l'idée que l'homme doit accepter pour lui lacroix, mourir de la mort du Christ et s'assimiler cette mort, elleappartient déjà aux expériences de la régénération spirituelle(baptême d'Esprit). Il faut être «ressuscité avec Christ» pour serendre compte à quel point il est nécessaire de «mourir avec Christ»,et de souhaiter cette mort totale qui nous identifie à lui et fait denous ses co-ouvriers. Kierkegaard le montre fort bien: «Christ ouvreses bras et dit: Venez tous! Le pasteur s'empresse d'ajouter: Ayez cecourage, jetez-vous dans ses bras, c'est la vie! Très bien, maisprenez garde; cet embrassement, c'est d'abord la mort. Il se nommelui-même la Vie, il dit: venez tous, et si vous vous abandonnezcomplètement à lui, vous mourrez totalement. Car il n'est pas la vie«sans autre», il est la vie à travers la mort.» (Trad. Foi et Vie 1934, p. 690). Mais ici nous sommes déjà dans le symbolisme de lasainte Cène. Le baptême est un moyen de grâce en vue de larégénération, comme la sainte Cène est un moyen de grâce pour «la viecachée avec Christ en Dieu» (Col 3:3), et c'est pourquoi on lesappelle des sacrements. Mais ils ne sont ni l'un ni l'autre un rited'initiation ramenant le christianisme au type des mystères païens.Méconnaître, dans la notion du baptême de Paul, la part du baptêmed'eau, et la distinguer ainsi de l'enseignement de Jésus sur lebaptême, ce serait oublier que toute la prédication de Paul avaitpour but d'amener l'homme pécheur, principalement le Juif, àreconnaître ses fautes et à se détourner de sa vie charnelle pourpouvoir accéder au baptême d'Esprit. Ce serait aussi fournir desarguments à ceux qui ne veulent voir dans le christianisme que laforme la plus évoluée des religions à mystères. Prenons garde, enconfondant baptême et sainte Cène, de donner au baptême derégénération un sens qu'il n'a jamais dans l'Évangile et que lesthéologiens postérieurs lui ont donné: le sens d'un acte rituel quimarque l'entrée dans l'Église par la vertu d'un rite magique. Nulapôtre n'a aussi énergiquement que saint Paul mis l'accent sur lanécessité du repentir et de la conversion comme condition du miracletout gratuit de la régénération. C'est au point que le programme deson apostolat Ac 26:20 rejoint la prédication de Jean-BaptisteMr 1:4 et Lu 3. On peut voir par tout ce que nous venons de dire quel'enseignement donné par Jean aux foules, par Jésus à Nicodème et parsaint Paul dans ses épîtres aux Églises ne fournit aucun fondement aubaptême d'êtres qui, à cause de leur âge, ne peuvent avoir nulleconscience de l'acte accompli à leur égard. Le baptême des enfants nese justifie au point de vue biblique que par le désir éprouvé par desparents chrétiens de mettre leurs nouveau-nés au bénéfice del'alliance de grâce. Le baptisé «d'eau et d'Esprit» (Jn 3:5) «né de Dieu»(Jn 1:12 et suivant) est une nouvelle créature (2Co 5:17), unressuscité (Eph 2:5 et suivant) par un acte de latoute-puissance de Dieu comparable à la résurrection de Jésus-Christd'entre les morts (Eph 1:19 2:1-6). Cet acte a poureffet de transformer, de renouveler complètement notre êtreintérieur, le coeur, d'où procèdent les sources de la vie et qui,empoisonné par le péché (Ro 12:2,Col 3:10,Eph 4:23,Tit 3:5),était devenu incapable de retourner de lui-même à Dieu (Ro7:15-23,1Co 2:14 etc.). Tout cela marque le caractère mystérieux etdivin de la régénération. Voici maintenant ce qui nous apprendqu'elle n'a rien de magique: obtenue par le Christ qui a vécu parmiles hommes dans l'intimité de ses disciples, elle s'opèrerationnellement par la contemplation du Christ, son exemple, saparole. Jésus avait déclaré que la parole était la semence duRoyaume (Lu 8:11), il avait demandé à son Père: «Sanctifie-lespar ta vérité, ta parole est la vérité» (Jn 17:17); saintPierre, à son tour, faisant allusion à l'Évangile qui avait déjàopéré des miracles (Ac 11:19,24, cf. 1Th 2:13 2Th 2:13-16 Eph1:13 Col 1:5 Jas 1:18), écrit: «Vous avez été régénérés non parune semence corruptible, mais par une semence incorruptible, par laparole de Dieu qui est vivante et qui dure à jamais...,l'Évangile» (1Pi 1:23-25). Par ce mot «l'Évangile», nous sommes ramenés à la parole vivante,au Christ dont l'Évangile présente en même temps l'oeuvre etl'exemple; si donc, la parole écrite nous fait passer, grâce à sonenseignement, par tout un processus d'expériences qui constituent lapsychologie de la régénération (éveil de l'âme, contrition,illumination croissante, nouvelle orientation de la volonté, apportspirituel d'énergie, abandon total de l'homme au Christ qui l'aattiré, persuadé, sauvé, baptisé de puissance et couronné de joie),cette régénération elle-même, dans ses effets, se modèle sur la viedu Christ et s'exprime dans la conscience qu'a le chrétien d'êtrel'imitateur du Christ, son co-ouvrier, et de vivre au sein d'uneatmosphère nouvelle qui lui permet de marcher dans le dynamisme divinet d'être, à la suite du Christ, un «pêcheur d'hommes» (Mt4:19). Le nouvel état où ils sont entrés est si riche dans sesressources, si multiple dans ses manifestations, il est en même tempssi nouveau dans l'expérience humaine, que les apôtres ont recours auxexpressions les plus variées pour essayer de le décrire; on sent quele sujet les émerveille et les déborde et qu'ils ne peuvent autrementque d'y revenir sans cesse pour exprimer leur joie d'être, pour lapremière fois au cours des siècles, des hommes unis au Dieu vivant,porteurs auprès de l'humanité malheureuse de l'Évangile universel.Jacques parle du Père des lumières qui nous a «engendrés par laparole de vérité implantée en nous» et faisant de nous «les prémicesde ses créatures» (Jas 1:18-21); Pierre écrit à ses lecteursqu'ils sont régénérés pour une «espérance vivifiante» (1Pi1:3,23) comme des «enfants nouveau-nés» (1Pi 2:2), «pierresvivantes d'une maison spirituelle» (1Pi 2:1,5). Jean attribue lanouvelle naissance à un acte de «conception» dont Dieu estl'auteur (1Jn 2:29 3:9 4:7 5:1,4,18) et qui permet de demeureren lui (1Jn 2:6), d'avoir la vie par le Christ (1Jn 4:9),de reproduire la vie du Christ (1Jn 3:16) en attendant le jourglorieux où nous lui serons faits semblables (1Jn 3:2). C'estPaul qui présente à ce sujet la plus grande variété d'expressions:«le vieil homme a été crucifié avec le Christ» (Ga 2:20,Ro6:3,6), un nouvel homme est paru, créé à l'image de Dieu, ressuscitéavec Christ et devenu «une même plante avec lui» (Eph 4:24,Col2:20 3:1 et suivants, Ro 6:5, cf. Jn 15); la «nouvellecréature» (Ga 6:15,2Co 5:17,Tit 3:5 etc.) marque pour lui lepassage de l'esclavage à la filialité (Ro 8:15), l'entrée dansune vie libérée de la chair et de la loi, animée et conduite parl'Esprit (Ga 5:16,18,Ro 7:8), de sorte que le chrétien vit enfils de Dieu (Ro 8:14) et en cohéritier de Christ (Ro8:17); la vie a remplacé la mort, la lumière a chassé les ténèbres,l'inimitié a fait place à la paix avec Dieu, la faiblesse à lapuissance, la crainte à l'amour, la perdition à la vie éternelle etglorieuse: «Les choses anciennes sont passées, et toutes choses sontdevenues nouvelles» (2Co 5:17). De tout ce qui précède, il résulte que l'expérience de larégénération n'est pas réservée à une élite dans la race ou dansl'Église, mais que, née d'un geste de miséricorde envers toutes lescréatures, elle est accessible à toutes; les plus humbles, les plusignorants, les plus déshérités de la terre sont en état de la saisir.L'histoire montre même que c'est dans les rangs de ces petits qu'ellea été, d'emblée, le mieux comprise et le plus joyeusementacceptée (1Co 1:26). Quelle qu'ait été la vie antérieure decelui à qui Dieu accorde la grâce de la régénération, celle-ciproduit chez tous des effets identiques auxquels on la reconnaît etqui se peuvent résumer en un mot: le renouvellement des inclinations.Quelles que soient les lenteurs et les difficultés que la diversitédes tempéraments et des circonstances oppose à la sanctificationprogressive, au bout, le résultat est toujours le même: «Larégénération ne signifie rien moins qu'une révolution telle, que touthomme, dépouillant toute manière mondaine de sentir, de penser, devouloir, est amené à être en harmonie avec l'Esprit et la volonté deDieu, à connaître vraiment le point de vue de Dieu, en sorte qu'ilvoit maintenant les choses comme Dieu les voit, sent les choses commeDieu les sent, juge les choses comme Dieu les juge; aime ce que Dieuaime, hait ce que Dieu hait, et fait des fins de Dieu les siennespropres» (J. Orr). Il suffit d'avoir sérieusement constaté la portéede ce changement et les conditions dans lesquelles il s'opère, pourcomprendre qu'il n'était pas au pouvoir de l'homme de le provoquer etpour saisir toute la vérité de la parole de Jésus à Nicodème: «Ilfaut que vous naissiez d'en haut. » St Jean affirme (1Jn 3:9) que «quiconque est né de Dieu nepeut pécher parce que la semence de Dieu demeure en lui». Cetteparole, à laquelle on consent plus aisément sur le terrain de la foique sur celui de l'expérience, est-elle en contradiction avec cetteautre parole, de Paul: «Si vous vous faites circoncire, vous êtesdéchus de la grâce»? (Ga 5:4) Nous ne le pensons pas, car s'ilen était ainsi Jean se contredirait lui-même. N'a-t-il pas dit à seslecteurs chrétiens: (1Jn 1:8) «Si nous disons que nous n'avonspas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes et la vérité n'est pasen nous...Si quelqu'un a péché, nous avons un défenseur auprès duPère, Jésus-Christ, le juste»? (1Jn 2:1) Mais le contexte de1Jn 3:9 nous montre qu'il s'agit dans ce passage de quiconque seremet sous l'inspiration du diable, se laisse diriger par lui etparticipe à l'oeuvre néfaste qu'il poursuit depuis qu'il a introduitle mal dans le monde. Paul, dans 2Co 1:21 et suivant, setient sur le même terrain que Jean: les régénérés sont pour lui,comme pour son compagnon d'apostolat, marqués du sceau de Dieu etpossesseurs des «arrhes de son Esprit» (cf. Php 2:13 et Heb8:10 10:16). «L'engravure que Dieu met au coeur de ceux qu'il adopte pour sesenfants, ne se peut jamais effacer» (Calvin). Il y a dans cettecertitude un grand réconfort pour le chrétien, lequel sait sans doutequ'il aura à lutter contre les surprises les plus subtiles du péchétant qu'il sera condamné «à vivre dans la chair» (Phi 1:22), auxprises avec les misères de son «corps de mort» (Ro 7:24), maisil sait aussi que la semence de Dieu qui est en lui est sauvegardéepar Dieu dans les mauvais jours et qu'elle aboutira au triomphe surtoutes les formes du mal. Réconfort qui implique un avertissement àla vigilance (1Co 10:12), au contrôle incessant desoi-même (2Co 13:5,Ro 8:9). Quiconque, après avoir faitprofession d'être chrétien, retombe dans une vie de péché, montre parlà non que l'Esprit qui régénère est impuissant à garantir ceux quilui ont ouvert leur coeur, mais que sa régénération personnelle à luin'était pas arrivée à maturité, qu'il avait, lui, mal «crucifié lachair avec ses passions et ses convoitises» (Ga 5:24), qu'il nes'est pas «gardé lui-même» (1Jn 5:18) et qu'en conséquence iln'était pas «né de Dieu». Par contre, les régénérés qui, «vivant parl'Esprit», s'efforcent de «marcher selon l'Esprit» (Ga 5:25),font l'expérience qu'à mesure qu'ils avancent dans leur vie de«nouvelles créatures», la grâce de la régénération devient chaquejour plus inamissible (Jn 10:27,29,Ro 8:31,39). Alex. W.