RÉDEMPTION

Comme un certain nombre de notions particulières qui marquent tels deses moments ou tels de ses aspects (voir, entre autres, Médiation,Propitiation), la notion générale de rédemption est présente dansmaintes religions naturelles. L'histoire l'a notamment signalée dansle bouddhisme, le mithriacisme, les religions à mystères (voir cemot). Elle s'impose à la nature humaine ballottée de ses misèrestoujours présentes à ses aspirations toujours déçues, elle traduit lasoif du coeur avide de paix et de joie et incapable de les atteindre. Dans le christianisme, elle prédomine à tel point qu'elle lerésume en sa préparation comme à son apogée: le christianisme est lareligion de la rédemption. Les premières pages de l'A.T., avec le récit de la chute,contiennent déjà une assurance de relèvement (Ge 3:15), et demultiples promesses de secours sont faites aux patriarches. Le peupled'Israël a été l'objet d'une délivrance «à main forte et à brasétendu» (De 4:34); la «sortie d'Egypte» est une sorte de rachatsocial (De 9:26 13:5). De même le «retour des captifs» est dû àl'une des plus grandes interventions de Dieu en faveur de la nation,est un rétablissement d'Israël dans sa position de race élue (De30:3,Ps 126:1,3,Jer 29:14 30:3 33:7 et suivant, Joe 3:1 etsuivant, etc.). La miséricorde témoignée dans le passé est un gage de lamiséricorde que l'avenir manifestera. A la restauration matérielles'ajoutera la restauration morale, un renouvellement spirituelviendra; les Psaumes et les Prophètes s'en font lesannonciateurs (Os 2:21-23,Esa 4:2,4,Jer 31:1-9 32:36-40 etc.).Et quelques prédictions, dépassant les espérances terrestres, lesaspirations d'une religion nationale, disent le besoin et lacertitude d'une véritable rédemption; Esa 53:4,12 entrevoit lesalut par la solidarité du juste et du pécheur, par la substitutiondu juste aux pécheurs; Joe 2:28-32,Jer 31:31-34 affirment que lasource du salut est l'amour de l'Éternel, que c'est dans le coeur del'homme que l'Esprit de Dieu opère la vraie résurrection. Le N.T. rapporte l'accomplissement du fait dont l'A.T, notait lessuccessifs préliminaires. Le terme «rédemption», dérivé du latin redimere, traduit le terme grec lutrôsis et le composé apolutrôsis. Lutrôsis est employé trois fois: dans Lu 1:682:38 au sens théocratique; dans Heb 9:12 au sensspécifiquement religieux. Apolutrôsis est employé dix fois: sansdétermination explicite Eph 1:14 4:30,1Co 1:30; indiquant latransformation de l'organisme charnel Ro 8:23; la délivrance desépreuves Lu 21:28,Heb 11:35; la rémission des péchés Ro3:24,Eph 1:7,Col 1:14,Heb 9:15. La rédemption est une seconde création, une reprise, unrecommencement opérés par Dieu dans ses rapports avec l'homme (Ro3:24); l'homme a la claire connaissance et l'explication précise decette action surnaturelle de Dieu dans l'oeuvre historique deJésus-Christ (Eph 1:7,Heb 9:15), --l'homme individuel oul'ensemble des hommes unis dans un groupe social comme le peupled'Israël (Lu 1:68 2:38 24:21), ou dans un groupe religieux commecelui que désignent pareillement les dénominations: croyants (Lu21:28,Eph 1:14 4:30,Col 1:14,Tit 2:14), nouvelle alliance (Heb9:12), Église (1Co 1:30). A la différence des religions naturelles enseignant explicitementou laissant entendre que l'homme, par ses efforts, ses renoncementsou ses sacrifices, peut se rendre la divinité favorable, la religionde la Bible souligne sans cesse la double incapacité de l'homme:incapacité de vouloir délibérément, incapacité d'agir efficacementpour parvenir au salut. L'initiative du plan rédempteur appartient àDieu seul, à Dieu seul appartient la réalisation de ce plan. 1. Cette radicale impuissance de l'homme donne à la rédemption un caractère de nécessité. Ou bien l'homme périra, ou bien Dieuinterviendra. L'infranchissable abîme qui empêche l'homme deretrouver Dieu a été creusé par sa volonté mauvaise, laquelle aprétendu, selon Vinet: «Il y a un Dieu, je ferai comme s'il n'y enavait pas.» Ce n'est ni la nature de Dieu, ni les attributs de Dieu,ni la détermination de Dieu qui séparent à priori la créature de sonCréateur. Quelques philosophes, suivis par quelques théologiens, ontopposé Dieu et l'homme comme s'opposent, assuraient-ils, l'absolu etle relatif, l'infini et le fini, le transcendant et le terrestre. Orce n'est pas sur le plan ontologique, c'est sur le plan religieux quela Bible place l'ineffaçable hiatus, c'est entre deux qualitésvéritablement et totalement antinomiques: entre la sainteté parfaitede Dieu et le péché permanent de l'homme. S'il est aisé, malgré lespéremptoires dénégations empruntées à une métaphysique erronée, detrouver, du point de vue moral, un accord entre le transcendant et leterrestre, l'infini et le fini, le relatif et l'absolu, du même pointde vue nul moyen terme ne saurait être énoncé, nulle conciliation nesaurait être valable entre la sainteté divine et le péché humain. Dieu a voulu, en créant l'homme, que l'homme fût un être à sonimage et à sa ressemblance; mais l'homme est devenu pécheur et parlui-même ne peut cesser d'être pécheur; là est le noeud du problèmetel que le posent les écrits bibliques. Parce que le péché est universel, parce que l'être humain estinévitablement enclin au mal et dominé par lui, toute attente derelèvement, de libération, est vaine si l'on regarde à l'homme.L'A.T, connaît l'hérédité du péché; «nous avons péché comme nospères», écrit le psalmiste (Ps 106:6), et le N.T. range tous leshumains sous l'empire du mal: «Tous les hommes ont péché et sontprivés de la gloire de Dieu» (Ro 3:23). Or le péché n'est pas ennous une tendance superficielle, une sorte d'infirmité morale aveclaquelle on peut vivre religieusement comme on vit physiologiquementavec une infirmité corporelle. Il est à l'origine même de nos désirs,de nos pensées, de nos volontés; il monte de notre subconscient qu'ilpénètre, dans notre conscience qu'il altère; il nous rend «incapablesde faire le bien». La constatation est si évidente, non seulement dupoint de vue biblique mais du point de vue de l'observationpsychologique, qu'un philosophe, Ch. Renouvier, a reconnu: «L'idéal,quel qu'il soit, que l'homme porte en sa conscience, il n'y conformepas sa vie. C'est assez pour qu'on puisse le considérer, partout ettoujours, comme dégradé en lui-même et dans les sociétés qu'ilforme.» Pécheur donc, l'homme vit loin de Dieu, source unique de lavie; l'homme marche vers la mort, «salaire du péché» (Ro 6:23). Or si l'homme, d'une part, ne peut entrer en rapport, parce qu'ilest pécheur, avec le Dieu saint, d'autre part Dieu, parce qu'il estsaint, ne saurait entrer en rapport avec l'homme pécheur. Le Créateuravait donné à l'homme qu'il formait «à son image» (Ge 1:26) laloi de lui rester fidèle et, semblable à son Père en vertu de sonorigine, de devenir son fils en vertu de sa volonté. La loitransgressée n'est point abolie. Dieu, sagesse souveraine, nerapporte point ses lois, reflets de cette sagesse, devant unerébellion; aussi longtemps que le péché régnera sur la créaturedéchue, que la volonté de Dieu sera méconnue et la sainteté de Dieuoutragée, Dieu ne saurait se contredire en passant outre à la révoltehumaine. Il faut que le plan de Dieu, ce plan que l'homme en son étatanormal ne peut plus accomplir, soit cependant accompli. C'estpourquoi la loi divine étant immuable, c'est la situation humainequ'il faut changer, c'est l'homme pécheur qui doit cesser d'êtrepécheur. Mais il n'est pas au pouvoir de l'homme de se racheter, de setransformer, de se rénover, même s'il en éprouve la volonté; le péchél'a rendu impuissant parce qu'il a troublé la source même de sa vie,et nul être terrestre ne peut de lui-même «naître de nouveau». S'il ya pour l'homme un salut, ce salut viendra de Dieu. Irréalisable parl'homme, une rédemption est nécessaire pour que l'homme ne soit pasabandonné à la perdition; Dieu étant tout amour en même temps quetoute sagesse a voulu et a effectué la rédemption de l'homme. Le caractère nécessaire de la rédemption est entendu, dans laBible, par rapport à l'homme, au relèvement de l'homme, non parrapport à Dieu, à une satisfaction indispensable à Dieu. Sur cepoint, la théologie du Moyen âge a renforcé, pour fonder ladétermination miséricordieuse de Dieu, des idées étrangères à l'A.T,et au N.T., et qui obscurcissent plus qu'elles ne les traduisentles données bibliques. Telle est, par exemple, l'obligation quis'imposerait à Dieu d'établir un parallélisme juridique rigoureuxentre l'offense à sa majesté et là réparation due, et qui réduiraitDieu à l'emploi d'une forme unique, d'un seul moyen, dans laréalisation de la rédemption; telle est encore la notion d'un honneurde Dieu qui régirait son activité, sa pensée, son intervention,limiterait sa liberté et sa toute-puissance dans son activité pour lesalut. Empruntées l'une au droit pénal du Moyen âge, l'autre à son codede chevalerie, ces deux notions sont des images expressives quidoivent être adaptées aux pensées des évangiles et des épîtres, maisnon les remplacer; elles ne doivent pas voiler les deux grandesréalités qui remplissent la Bible: la sainteté de Dieu, l'amour deDieu, les deux grandes affirmations que la sainteté de Dieu seuleexige l'amendement, la conversion de l'homme, que seul l'amour deDieu est la cause de la rédemption; l'intervention suprême de Dieudans l'histoire comme les interventions antérieures ou postérieures àl'oeuvre de Jésus-Christ n'ont d'autre raison que la sainteté divine,d'autre mobile que l'amour divin. 2. Le péché parce qu'il est général, l'amour de Dieu parce qu'il estinfini, donnent à la rédemption un caractère d'universalité Vis-à-vis du judaïsme, l'oeuvre de Jésus-Christ parfait toutes lespréparations et parachève toutes les révélations concernant le salut.Vis-à-vis du paganisme, l'oeuvre de Jésus-Christ répond à tous lesbesoins exprimés dans ses religions, apporte la connaissance réelledu vrai Dieu, offre, dans la personne du Logos (voir ce mot),l'intermédiaire reconnu indispensable entre Dieu et les hommes. Selon Jn 3:16, Dieu envoie son Fils parmi les hommes parcequ'il a «aimé le monde». Dans le langage johannique, le monde


(cosmos) est l'humanité étrangère à l'ancienne alliance,l'humanité non bénéficiaire des promesses et des privilèges accordésau peuple élu, l'humanité des goïm, des païens que méprisent lespharisiens et les Sadducéens. C'est donc le monde entier qui estl'objet de l'amour divin, c'est en faveur du monde entier que seproduit l'intervention divine. Le choix d'un peuple spécial est unmoyen pédagogique employé par Dieu, non une exclusion de l'humanitérestée en dehors de cette élection. L'A.T, enseigne à «toute laterre» la crainte de l'Eternel (Ps 33:8); il invite «lesnations» à entendre et «les peuples» à être attentifs (Esa34:1); il annonce que «toutes les extrémités de la terre penseront àl'Éternel et se tourneront vers lui» (Ps 22:27); il appelle àDieu «tous ceux qui sont aux extrémités de la terre» pour qu'ilssoient sauvés (Esa 45:22); si l'Eternel «console son peuple»,c'est «aux yeux des nations qu'il découvre sa sainteté, et toute laterre verra le salut» (Esa 52:10), etc. Le N.T. est tout entier comme un écho sonore de la déclarationjohannique citée. Dans Mt 28:19 le Ressuscité dit à ses apôtres:«Allez faire de toutes les nations mes disciples»; Luc rapporte laprophétie répétée par le Baptiste: «Tout être verra le salut deDieu» (Mt 3:6), et Jean rapporte sa proclamation: «Voicil'agneau de Dieu qui ôte le péché du monde» (Jn 1:29). C'estpourquoi les témoins du Seigneur annonceront son message «àJérusalem, dans la Judée, en Samarie, et jusqu'aux extrémités de laterre» (Ac 1:8); c'est pour une pareille tâche que les premiersmissionnaires sont envoyés (Ac 13:47). Paul n'oublie pas lesprivilèges des Juifs, mais dans l'Alliance nouvelle il n'y a plus deJuifs et plus de païens, tous sont «un en Jésus-Christ» (Ga3:28). Désormais «le salut est devenu accessible aux païens» (Ro11:11); si Dieu a enfermé tous les hommes dans la rébellion, c'est«pour faire miséricorde à tous» (Ro 11:32). Timothée doit prier«pour tous les. hommes», car «Dieu veut que tous les hommes soientsauvés» (1Ti 2:4). L'apôtre nomme «appelés», «saints», «élus»,«aimés de Dieu», les destinataires de ses lettres à Thessalonique, àColosses, à Éphèse, à Philippes, à Corinthe, à Rome; Pierre nomme«sanctifiés» ses lecteurs dispersés dans le Pont, la Galatie, laCappadoce, l'Asie, la Bithynie. Et il n'est pas d'universalisme quidépasse celui de l'hymne que le Voyant de l'Apocalypse fait montervers le Sauveur: «Tu as racheté pour Dieu des êtres de toute tribu,de toute langue, de tout peuple, de toute race» (Ap 5:9), etc. 3. Devant le plan de la rédemption universelle, la limitation de larédemption réalisée fait un profond contraste. Jésus constatait audébut même de son ministère: «étroite est la porte, resserrée est lavoie qui mènent à la vie, et petit est le nombre de ceux qui lestrouvent» (Mt 7:14). La rédemption, en effet, a un caractèreconditionnel; elle ne s'impose pas inévitablement comme une loi dela nature, elle se propose librement comme un fait moral. LeRédempteur a fait à la place de l'homme ce que l'homme ne pouvaitfaire; il a rompu la chaîne d'airain qui liait l'homme au péché; il apris sa place pour vivre la vie, pour réaliser la sainteté quidevaient le rendre fils de Dieu, pour accomplir la destinée àlaquelle Dieu l'avait appelé. En Jésus-Christ, substitut et garant del'homme, en Jésus-Christ, avec qui l'homme est susceptible derecommencer une vie nouvelle, une vie selon la volonté de Dieu, enJésus-Christ, Dieu offre à l'homme le pardon de ses péchés, le retourà la vie en communion avec lui (voir Expiation, Réconciliation). Aussi le pécheur peut, par Jésus-Christ, au nom de Jésus-Christ,trouver la délivrance, l'affranchissement. Du côté de Dieu, par leMédiateur qu'il a voulu et qu'il a proposé, par Jésus-Christ l'hommesaint, le rapport est rétabli avec l'humanité; «il n'y a plus decondamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ» (Ro 8:1). Maispour que l'union redevienne possible, soit une union réelle, pour quela vie nouvelle offerte soit une vie vécue, il faut que l'hommeréponde à l'appel de Dieu, accepte et s'approprie la rédemptionopérée par Jésus-Christ. (Voir Péché.) A côté du péché, donné dans la nature humaine, apparaît,également donnée dans la nature humaine, la liberté. Le péché existeparce que la liberté existe. Le péché, acte coupable commis parl'homme contre Dieu, ne saurait avoir ce caractère de culpabilité quesi l'homme est responsable, et il ne serait pas responsable s'iln'avait pas voulu le péché. Sans la liberté le péché serait un faitmoralement indifférent, comme l'est la chute d'un corps obéissant àla loi de la pesanteur; ou plutôt, sans liberté il n'est plus demorale, et les idées de culpabilité, de responsabilité ne traduisentpas la réalité vraie des choses; la vie de l'homme est ce qu'elleest; ce qu'elle est, c'est ce qu'elle devait être. Constater cequ'elle est suffit; juger ce qu'elle est par un jugement de valeurmorale serait illogique; le jugement équitable sur le déroulementd'une vie ne devrait pas être d'un autre genre que le jugement portésur le mouvement d'une machine. Donc pas de péché sans liberté. Mais la réciproque n'est pasjuste, et la liberté peut, ou plus exactement aurait pu être sans quele péché soit. Dieu a permis à l'homme de choisir entre le bien et lemal, de faire de celui-ci ou de celui-là le centre de sa vie; le malne s'imposait pas plus que ne s'imposait le bien. Que l'on fassecoïncider l'origine première du monde et la formation de la terre, ouque, prolongeant les lignes de la Genèse, on dépasse le commencementterrestre, il n'importe; le monde étant constitué, «Dieu vit que celaétait bon» (Ge 1:25). Le mal n'est donc point partie intégrantede la création; le mal ne vient ni de la volonté délibérée de Dieu,ni de son impuissance à créer autre chose qu'un univers livré à desforces antagonistes, à des oppositions se heurtant de front. «Il està craindre, dit Calvin, quand nous montrons à l'homme ces vicesnaturels, qu'il ne soit admis que nous les veuillons imputer àl'auteur de la nature qui est Dieu.» Si Dieu directement ouindirectement était l'auteur du mal, le problème du mal serait ainsirésolu, mais c'est le problème de Dieu qui deviendrait insoluble. Lafoi religieuse et la conscience morale trouvent toutes deux la paixdans l'affirmation que le Dieu saint n'a pas créé un monde mauvais. Dieu n'a-t-il pas, au sein du monde bon, introduit le mal commeun éducateur de l'homme innocent? Dans cette hypothèse le péchéjouerait un rôle comparable à celui de la souffrance; comme lasensation de la souffrance avertit l'homme qu'un péril physique lemenace, le sentiment du péché signalerait à l'homme un péril moral,lui indiquerait qu'il faut s'arrêter sur la voie suivie, revenir enarrière, retourner vers Dieu; le mal serait un moindre bien, un moyenpour le bien. La gravité du péché est alors méconnue; d'abord dans sanature: le péché n'est pas un accident imprévu, dont la cause estextérieure à l'homme, telle que l'est, par exemple, une brûlureenseignant au patient que le feu a des effets redoutables; l'hommen'a pas péché sans savoir qu'il péchait, sans donner son adhésion àla tentation mauvaise, sans vouloir avant d'éprouver; dans le cascontraire, d'où viendrait sa conviction qu'il est coupable, comments'expliquerait le remords? La gravité du péché est ensuite méconnuedans ses effets: précisément parce qu'il implique le consentement del'homme qui le commet, le péché imprime dans le coeur de cet hommeune trace indélébile; son emprise s'élargit et s'approfondit; uneréaction, même si elle était essayée, se briserait contre ladomination tyran-nique; dans le cas contraire, comment l'hérédité etl'universalité du péché seraient-elles des faits? Du point de vue moral, peut-on penser que le Dieu saint soit lepremier qui ait pensé et pratiqué la détestable maxime de «la finjustifiant les moyens», qu'il ait ouvert par ce qui est mauvais unchemin pour atteindre ce qui est bon? Du point de vue religieux, siDieu s'était servi du mal pour faire comprendre et pour fairechercher le bien, comment Dieu condamnerait-il le pédagogue qu'il achoisi? Or l'A.T, et le N.T. expriment la réprobation divine du maldans ses multiples manifestations par les vocables les moinsdiscutables et les plus énergiques: Dieu hait l'iniquité (Ps45:8), la méchanceté (Jer 4:4,Ps 11:5), l'orgueil, le mensonge,la violence (Pr 6:16 et suivants); Dieu a en abomination l'immoralité (De 23:18), la tromperie (De 25:16),l'injustice (Pr 27:15); la colère de Dieu se révèle contretoute impiété et toute indignité (Ro 1:18), contre lesdésobéissances à la vérité (Ro 2:8), contre l'impureté, laconvoitise, l'avarice (Col 3:5 et suivant), contre l'oppositionà ses témoins (1Th 2:14,16), contre l'obstination et la révoltede l'incrédulité (Heb 3:14,19), etc. (voir Haine, II, 1;Abomination; Colère, 1). 4. Si ces témoignages signifient quelque chose, ils signifient que Dieun'a de part ni avec l'origine ni avec l'action du mal. Ce n'est paspour remédier, en quelque sorte, à son oeuvre propre que Dieuintervient dans le monde et dans l'histoire, et que la rédemptionconstitue une création nouvelle après la chute de la premièrecréation. Le péché est la contradiction de la volonté divine, laperturbation de son dessein initial, la négation de son amour. C'estl'ennemi de Dieu qui l'a introduit dans le monde (Mt 13:28,39),c'est l'ennemi de Dieu qui lutte contre les croyants libérés del'emprise mauvaise (1Pi 5:8). La préparation de la rédemption, dans l'ancienne alliance,commence avec la révélation que le péché mène à la perdition.L'accomplissement de la rédemption, dans la nouvelle alliance, est letriomphe de la sainteté du Sauveur sur le péché qui maîtrise lemonde. Le triomphe de la rédemption, dans les temps futurs, sera laruine définitive du péché, quand «Satan sera jeté dehors» (Jn12:31) et «tombera du ciel comme un éclair» (Lu 10:18). Ce troisième stade, le stade du jugement, est celui dont leChrist annonce la réalité, mais au sujet duquel il ajoute: «Pour cequi est du jour et de l'heure, nul ne sait rien, ni les anges descieux, ni le Fils, mais seulement le Père» (Mr 13:32,Mt 24:36). Le premier stade, le stade de la préparation, est dépassé. La loimosaïque lui donne sa marque initiale. La loi renferme une multitudede prescriptions. Les prescriptions rituelles, «ombre des choses quidevaient venir» (Col 2:17,Heb 10:1), comme les prescriptionsciviles, étaient transitoires, étaient promulguées pour un peupleparticulier, pour une période déterminée; les prescriptions moraleset les prescriptions religieuses sont permanentes, le Décalogue enest le résumé toujours obligatoire. Les prescriptions morales et lesprescriptions religieuses indiquent ce qu'est la justice que Dieudemande, la justice qu'il faut pratiquer et dont la violation estrigoureusement sanctionnée. Or l'Israélite qui reconnaissait dans laloi l'exigence de la volonté de Dieu s'avouait, par la confession deses Psaumes et par la voix de ses prophètes, impuissant à remplir lesobligations qu'elle lui imposait. Elle ordonnait le bien, elle nedonnait pas la force de le pratiquer. En elle-même elle était «sainteet son commandement était juste et bon» (Ro 7:12); si ellemenaçait, c'était pour souligner la désobéissance et la culpabilitéde l'homme; les transgressions de l'homme avaient leur cause dans soncoeur et dans sa volonté possédés par le mal, non dans les préceptesde la loi; et, pour échapper à la condamnation, l'homme cherchaitdans les offrandes et les sacrifices la réconciliation avec Dieu. Ilcherchait inutilement: l'épître aux Hébreux met en relief la vanitéde ces essais de salut par les oeuvres. La raison profonde de la loi,son rôle nécessaire étaient de faire naître dans les consciences laconviction du péché et de faire expérimenter l'impossibilité desurmonter le péché, afin que, criant à Dieu leur misère, les hommesattendissent de Dieu seul le secours. L'image de Ga 3:24 met lebut de la loi en pleine clarté: «La loi a été un maître pour nousconduire à Christ.» Le deuxième stade, le stade de l'accomplissement, est défini parle quatrième évangile en regard du premier stade: «La loi est venuepar Moïse, la grâce et la vérité sont venues parJésus-Christ» (Jn 1:17). Mais la loi n'est pas abolie dansl'économie nouvelle. «Venu pour accomplir la loi et les prophètes,non pour les abolir» (Mt 5:17), Jésus en a donné le sommairedans les deux commandements: aimer Dieu, aimer le prochain.Seulement, la loi est passée de la sphère de la légalité à la sphèrede l'amour; la loi elle-même est transformée par la grâce, elleproclame le devoir et--innovation merveilleuse--elle indique le moyend'obéir: aimer Celui qui est la sainteté, et qui en énonçant l'ordre:«Soyez saints car je suis saint» a donné en Jésus-Christ le pouvoirde vivre pour cet idéal. Aussi Jacques, l'auteur qui met dans lerelief le plus accusé la portée du pragmatisme, appelle-t-il la loichrétienne: la loi de la liberté (1:25 2:12). Et quoique le croyantne soit plus «sous la loi mais sous la grâce» (Ro 6:14), la loigarde pour le croyant son rôle protecteur. Dans la mesure où lecroyant est uni à Jésus-Christ, où Jésus-Christ vit en lui et lui enJésus-Christ, il possède dans cette communion avec le Révélateurl'inspiration directe qui oriente et illumine sa vie. Pourtant cetteunion, du côté de l'homme, a des heures d'infidélité, d'obscurité.Alors intervient la loi, la norme positive que contient l'Évangile,la lettre qui parle de Jésus-Christ quand l'Esprit de Jésus-Christfait silence. La foi s'appuie sur la loi et la loi conduit à lafoi (Ga 3:24), dans la rédemption et pour la rédemption. Pouravoir rejeté la loi, pour s'être proclamés uniquement guidés par leDieu vivant et non par la lettre morte, pour avoir méprisé la chairafin de mieux recevoir l'Esprit, tels croyants ont cédé auxtentations charnelles, ont confondu les suggestions de leur propreesprit avec les directions de l'Esprit divin; pour n'avoir point faitde place à la loi, à l'inverse des Galates qui mettaient la loi à laplace du Christ, ils sont comme eux «déchus de la grâce». Larédemption, comme la création, est une harmonie; le trop et le troppeu sont pareillement préjudiciables, l'antinomisme n'est pointsupérieur au légalisme. Jésus-Christ annonce toute la vérité, et seul il le peut étantlui-même la vérité; il communique toute la grâce, et seul il le peutétant lui-même la grâce vivante. (Pour l'oeuvre historique duRédempteur, voir Expiation, Réconciliation.) Son oeuvre historiqueconstitue, au sens strict, la rédemption proprement dite,indépendamment du prélude qui l'annonce et de la conclusion qui lagénéralise; d'autre part, cette oeuvre historique reçoit sa vraiesignification des interventions de Dieu qui la précèdent, et savéritable portée du caractère absolu qui lui est donné; centre del'histoire du salut, il faut pour la saisir pleinement la laisser enpleine histoire, là même où elle a été réalisée. La victoire de Jésus sur le mal--quelle que soit la manière donton l'explique--a été au premier chef, dans sa forme et dans son fond,une victoire morale: Jésus s'étant fait le substitut de l'homme, apensé, a lutté, a triomphé comme un homme, comme un «second Adam»,pour que l'homme puisse recevoir le pardon de Dieu et puisse êtreaffranchi du péché dominateur. La situation du pécheur subit donc, par l'oeuvre rédemptrice deJésus, une double modification: vis-à-vis de Dieu vers lequel unevoie est désormais libre pour s'approcher de lui, vis-à-vis du péchédevant lequel une force est désormais conférée pour se libérer delui. Mais l'oeuvre rédemptrice, morale quant à son accomplissementpar Jésus, demeure morale quant à son appropriation par l'homme,c'est-à-dire que la victoire définitive et absolue de Jésus pourl'homme n'est acquise à l'homme que dans la mesure où l'homme le veut. 5. Comme tout fait historique, la rédemption a deux aspects que l'onpeut et doit distinguer, deux parties étroitement unies mais qui nese confondent pas, savoir: l'oeuvre du Christ pour nous, l'oeuvredu Christ en nous. L'oeuvre du Christ pour nous, sa vie, sesactes et ses paroles, sa mort, s'est déroulée dans le monde extérieurà nous, et, de ce fait, elle peut nous rester étrangère si nousrefusons de la considérer; l'oeuvre du Christ en nous se déploie dansnos coeurs, reste tout entière dans le monde intérieur, et, de cefait, elle prend un caractère personnel, elle est le don individueldu salut obtenu pour tous. Ou encore, pour exprimer plus brièvementla même distinction: l'action du Christ pour nous est objective,l'action du Christ en nous est subjective. Il serait difficile, mais il est inutile de dire laquelle est laplus importante. L'action du Christ en nous ne serait pas possible sielle n'avait été précédée et préparée par l'action du Christ pournous. Si Dieu n'avait pas donné de son amour la preuve de fait qu'ila donnée en envoyant le Christ, si le Christ, par son enseignement,ses promesses, sa sainteté, sa substitution à nous dans la vie etdans la mort, n'avait pas établi la base sur laquelle les relationsentre Dieu et l'âme humaine peuvent se fonder, s'il n'avait pasobtenu pour l'homme le pardon de Dieu et démontré par sa résurrectionl'assurance de ce pardon, l'homme serait toujours au pouvoir du péchéqui le sépare de Dieu et sépare Dieu de lui, incapable de marchervers Dieu et conscient que cette incapacité est insurmontable. D'un autre côté, le Christ n'est pas venu seulement pour publieret dispenser un pardon théorique, général, futur, mais un pardoneffectif, personnel, actuel. Si la rédemption demeurait un faithistorique sans devenir un fait humain, c'est-à-dire si elle restaitune action objective accomplie dans le monde sans s'individualiser,se concrétiser au moins en quelques personnes, sans devenir uneaction subjective opérée dans les coeurs, si l'indifférence,l'incrédulité universelles avaient accueilli l'appel divin quiretentit au premier siècle de notre ère, comme la désobéissanceuniverselle avait succédé à la loi divine édictée au premier jour denotre monde, ne faudrait-il pas avouer que le plan de la rédemption aéchoué comme avait échoué le plan de la création? Pour que larédemption soit une réalité de la vie et non seulement une idée pure,le Christ veut que son pardon soit accepté, que l'accès soit ouvertdans l'âme humaine à son intervention directe, que la régénération seproduise, que la sanctification progressive ait pour but et pourmodèle une sainteté pareille à la sienne. A ce point de sa réalisation, la rédemption entre dans une phasedifférente. N'est-il pas loisible d'affirmer, sans excessivehardiesse, que la situation devenue nouvelle pour l'homme devientégalement nouvelle pour Dieu? La rédemption objective dépendait,originairement, du seul amour de Dieu; et, quels qu'aient été lesdébats au désert (Mt 4:1,Mr 1:13,Lu 4:2), les obstaclesrencontrés en Galilée et en Judée (Mt 12:25,34 16:1,Mr 3:612:13,Lu 5:21 6:7 11:53,Jn 7:32 11:47 etc.), l'agonie àGethsémané (Mt 26:38,Mr 14:34), l'abandon à Golgotha (Mt27:46), la rédemption objective dépendait, historiquement, du seulamour de Jésus. Par la rédemption objective l'homme est théoriquementplacé dans un état analogue à celui de son ancêtre lors de lacréation; un pouvoir de choix lui est octroyé une fois encore pour lebien ou pour le mal, une décision lui est derechef permise pourorienter et déterminer sa destinée; il résulte de cette restaurationde la liberté en l'homme que la délivrance de l'homme n'est pasuniquement affaire de Dieu mais aussi affaire de l'homme, que larédemption pour être la grande résurrection humaine exigel'acquiescement de la liberté humaine, que le salut universel,intégral qui est en Jésus-Christ est aussi pour chaque homme le salutqui est en lui. Comme la liberté de la créature a joué à l'origine dumonde moral, elle est appelée à jouer semblablement à l'origine dumonde racheté, elle est appelée à jouer pour faire de l'homme mis enprésence du Christ rédempteur un affranchi, un fils de Dieu. Il est bien certain, en effet, que si le péché est absolumentcontraire à la volonté de Dieu, s'il est une négation de sa sainteté,s'il entraîne après lui les plus graves conséquences, et si,cependant, Dieu a attaché un si grand prix à la liberté de lacréature que de la laisser abuser de cette liberté plutôt que de lacontraindre, il ne la contraindra pas non plus pour la ramener aubien. Ce n'est donc pas par une action extérieure, magique, mais parles moyens en rapport avec la nature morale de l'homme et avec leslois de cette nature morale qu'il préparera et accomplira lerelèvement de l'humanité. Le secours surnaturel que son amour envoieà l'homme ne portera pas atteinte aux lois éternelles qui sontl'expression de sa volonté sainte. Et son amour tiendra d'autant pluscompte de la liberté de sa créature, même tombée, que cette créature,il persiste à l'aimer; il la traitera non comme une matière brutequ'il modifie à son gré mais comme une personne morale. Vinet l'asimplement et admirablement dit: «Dieu ne force rien, n'attentejamais à notre liberté, et sa grâce n'est autre chose qu'uneéloquence toute divine, un esprit parlant à un esprit, l'Esprit deDieu à l'esprit de l'homme. Il frappe à la porte mais il ne l'enfoncepas; il sait trop bien l'art de se la faire ouvrir. Tout estmystérieux, rien n'est magique dans l'oeuvre de la conversion; leslois de notre nature y sont observées et nous ne cessons pas uninstant d'être hommes.» (Et. évangile, p. 391). Quand Dieu établit le monde moral, il n'y aurait pas eu péché sila volonté de la créature ne s'était pas détournée de Dieu; quandDieu restaura le monde déchu, il n'y aurait pas eu rédemptioneffective, rédemption des hommes pour lesquels le Christ était venuvivre et mourir, si la volonté des hommes ne s'était pas tournée versDieu. Dans cet accord enfin réalisé, dans cette union enfin scellée,Dieu garde toujours l'initiative, mais toujours il demande à l'hommede vouloir et d'agir avec lui, ou du moins il demande à l'homme delaisser «produire en lui la volonté et l'action» qui le rendrontcapable de «travailler à son salut» (Php 2:13). Pas plus queDieu n'avait formé, d'après la Genèse, une créature sainte qui devaitseulement persévérer dans l'être, mais une créature libre qui devaitdécider de son être, Dieu, d'après les évangiles et les épîtres, netransforme pas le pécheur en régénéré revêtu de la perfection, maislui offre un pardon qu'il doit accepter pour être justifié, luiaccorde un secours qui lui est nécessaire pour se sanctifier. L'amourde Dieu et l'amour du Christ ne s'adressent pas à des automates; larédemption n'est pas une oeuvre unilatérale; il faut que l'hommeveuille ce que Dieu a voulu, ce que le Christ a promis, qu'il entrecomme co-ouvrier avec le Sauveur dans la réalisation de son propresalut. Toutefois les termes ordinairement employés pour traduire la partde l'homme dans la rédemption: collaboration, concours, travail,etc., ont une portée strictement limitée; toute l'action de l'hommese borne, en définitive, à la réceptivité de la grâce de Dieu et dela grâce du Christ. Mais cette réceptivité est positive, voulue,active pourrait-on dire; l'homme se donne à Dieu pour que Dieudéploie en lui sa puissance en même temps que son amour, et fasse delui, esclave qu'il libère du mal, un fils qu'il anime de sonSaint-Esprit. Une telle réceptivité, si elle laisse à Dieu toute la gloirepuisque c'est par sa grâce que le croyant est ce qu'il est (1Co15:10), permet à l'homme de rester fidèle dans l'obligatoire etincessante lutte qui s'impose à lui. Lutte pour sa vie personnelled'abord, où la rédemption doit être parachevée. Le péché, pardonnéchez le justifié, est puissant dans le monde; il y a des tentations,des embûches, des périls à éviter; l'apôtre exhorte ses lecteurs:«Revêtez l'armure de Dieu afin de pouvoir résister aux manoeuvres duMalin» (Eph 6:11). Chez le justifié lui-même le péché gardeencore une emprise certaine: «N'obéissez pas à ses passions, ne luilivrez pas vos membres», dit encore Paul (Ro 6:12). Il fautque «le vieil homme», dont le réveil reste toujours possible, soittoujours refoulé, et que «l'homme nouveau» croisse et s'affermissesans cesse (Eph 4:22-24). Lutte, ensuite, pour les êtres chez qui la rédemption doits'étendre. «Premier-né entre beaucoup de frères» (Ro 8:29), leChrist est mort pour tous (Heb 2:9). Individuelle dans saréalisation, la rédemption est universelle selon la volonté de Dieu.Cette universalité de la rédemption, déjà signalée, doit êtreprécisée. Elle se révèle, d'après les textes, autrement large etvaste que la pensée religieuse ne l'a conçue d'ordinaire. 6. Les affirmations que «Dieu a aimé le monde et lui a donné son Filspour que quiconque croit en lui ait la vie éternelle» (Jn 3:16)et qu' «il n'est pas d'autre nom donné aux hommes par lequel leshommes soient sauvés» (Ac 4:12), font catégoriquement dépendrele salut de l'homme de la connaissance de Jésus-Christ. OrJésus-Christ a paru en un moment donné du temps, en un lieucirconscrit de l'espace; avant lui, après lui, en dehors de lui, desmultitudes sont descendues et descendent au tombeau sans avoirentendu son nom. Qu'est-ce que la rédemption pour ceux auxquelsl'appel du Sauveur n'est point parvenu? N'y a-t-il pas de rédemptionpour eux? Dans ce cas, ce n'est pas «le monde» que Dieu a aimé,contrairement à la déclaration johannique, et la miséricorde, lajustice de Dieu deviennent autre chose que les attributs proclamésparfaits par l'A.T, et le N.T.--Y aura-t-il une rédemption sans leChrist, si l'homme a essayé naturellement de faire le bien? Dans cecas, il y a d'autres noms que le nom de Jésus pour donner le salut,contrairement à la déclaration de Luc; et la morale de Bouddha, deMithra, de Confucius, mise en pratique, aurait le même résultat quela religion de l'Evangile. On est donc amené par l'Écriture àdépasser les limites de l'existence terrestre pour que, quelque part,un jour, ceux qui n'ont pas rencontré le Christ ici-bas soient mis ensa présence. Deux constatations concrètes étayent cette conclusion. Il y a,d'abord, un pardon après la mort. Si, d'après Mr 3:29,Lu 12:10,le péché contre le Saint-Esprit seul n'est jamais pardonné, jamaisc'est-à-dire, d'après Mt 12:32, ni dans ce monde, ni dans lemonde à venir, parce qu'il est le refus délibéré de croire auRédempteur, la résistance obstinée maintenue devant le Dieu qui veutsauver, d'autres péchés qui ne sont pas l'opposition formelle de lavolonté consciente à Dieu peuvent donc être remis. Il y a, ensuite, un salut après la mort. Si, d'après 1Pi 3:19,le Christ «est allé prêcher aux esprits retenus en prison qui furentautrefois rebelles...», n'est-ce point pour leur annoncer ce qu'ilsn'avaient point ouï dire pendant leur existence terrestre: que parlui, Jésus, Dieu accorde la délivrance? La rédemption accomplie surle sol palestinien au début d'une ère nouvelle est donc destinée às'étendre au plus lointain passé et au plus lointain avenir, à toutel'humanité, quels que soient la date et le lieu du passage de sesmembres sur la terre. Voir Descente aux enfers. 7. Mais cette universalité demeure très limitée encore si elle neconcerne que la race humaine et le monde humain. Les indications desépîtres de Paul nous conduisent au delà des bornes de l'humblesatellite qu'est notre planète. L'apôtre écrit (Col 1:20) que «par Jésus-Christ Dieu a voulutout réconcilier avec lui-même, soit les êtres qui sont sur la terre,soit les êtres qui sont dans les cieux...» Le grec ta panta, pluscompréhensif et plus absolu que panta, exprime mieux que lefrançais «tout» l'universalité totale de la réconciliation voulue parDieu. Nombre de traductions rendent ta panta par «toutes choses»;mais une réconciliation n'intervient qu'entre des personnes et nonentre des choses, entre des personnes susceptibles de sentir et devouloir, entre des consciences. La deuxième partie du versetconcrétise et amplifie la portée de la première. «Les êtres qui sontsur la terre», les hommes, sont nommés d'abord parce que c'est à euxles premiers que s'applique l'oeuvre rédemptrice de Jésus-Christ.Ensuite viennent «les êtres qui sont dans les cieux». Quels sont cesêtres? Les textes mentionnant les créatures qui n'appartiennent pas àl'humanité sont assez nombreux mais très brefs, et nous ne savons pasgrand'chose des «trônes, dominations, autorités, puissances,souverainetés» (Ro 8:38,1Co 15:24,Eph 1:21 Col 1:16 2:10). Nousconnaissons mieux les anges (voir ce mot), qui apparaissent plusfréquemment; Jésus les considère comme saints (Mr 8:38,Lu 9:26);ils se réjouissent du repentir des pécheurs (Lu 15:7); ilsconnaissent le plan divin du salut (1Pi 1:12); ils sont encertaines circonstances les messagers de Dieu auprès de certainshommes (Mt 1:20 2:13,Lu 1:11,26,Ac 5:19 8:26 10:3 12:7); ils ontrempli ce rôle à l'égard de Jésus (Mr 1:13,Mt 4:11,Lu 22:43);ils interviendront au jour du jugement (Mr 13:27,Mt 13:39,41,4924:31); ils accompagneront le Fils de l'homme revenant dans sagloire (Mr 8:38,Mt 16:27 25:31,Lu 9:26), etc. Quoique Calvin explique qu' «il n'y a point une perfection siexquise en l'obéissance que les anges rendent à Dieu, qu'elle puissecontenter Dieu en tout et pour tout et qu'elle n'ait besoin depardon», et qu' «il n'est point faire tort aux anges que de lesrenvoyer au Médiateur, afin que par son moyen ils aient une paixferme avec Dieu», il est vraiment impossible d'identifier les êtrescélestes vivant auprès de Dieu, et les êtres célestes qui doiventêtre réconciliés avec Dieu. Il faudrait que les anges, quoique«saints», aient cependant quelque hostilité vis-à-vis de Dieu, et lesdeux états se contredisent. Du reste, l'épître aux Hébreux (Heb2:16) déclare nettement: «Ce n'est pas aux anges que le Christvient en aide.» Les cieux où retentira l'appel rédempteur ne sont évidemment pasles cieux que remplit la gloire de Dieu. Paul nomme (Eph 6:12)«les régions célestes où sont les esprits mauvais» et (Eph 2:2)«les puissances qui sont dans l'air». N'est-ce point à ces puissances, à ces esprits mauvais que seraproposé le pardon de Dieu, que sera offerte la réconciliation enJésus-Christ? Si une précision sur cette question de détail paraîttrop aventurée, le fait général demeure clair: le rayonnement,illimité dans l'univers, de la rédemption dont la terre a été lefoyer initial. Ce fait général est plus clair encore dans 1Co 15:24-28: «Ala fin, le Christ remettra la royauté à Dieu le Père, après avoiranéanti toute domination, toute autorité, toute puissance. Il doitrégner, en effet, jusqu'à ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous sespieds...Et lorsque tout lui aura été soumis, alors le Fils lui-mêmesera soumis à Celui qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout entous.» L'action du Christ ressuscité, du Seigneur glorifié, ne s'achèvepas avec son oeuvre historique; elle se poursuit jusqu'à la fin,c'est-à-dire jusqu'à l'établissement sans retour et sans bornes duRoyaume de Dieu; elle s'étend, plus loin que le monde terrestre,jusqu'aux extrémités de l'univers où les créatures ont besoin dusalut. Dominations, autorités, puissances sont bien des créaturespersonnelles, non des choses; les choses sont régies dès l'originepar les lois de la nature et n'ont nullement à être soumises, n'ayantjamais été, n'ayant jamais pu être rebelles ou «ennemies» vis-à-visde Dieu; révolte ou désobéissance impliquent ce que n'ont pas leschoses: la liberté. D'autre part, le parallélisme des épîtres auxRomains et aux Colossiens montre que les noms ici énumérés nes'appliquent pas à des catégories d'hommes mais à des catégoriesd'esprits célestes. Comme les hommes, ceux-ci sont appelés à larédemption, et comme les hommes, à la fin, ils seront détruits s'ilspersévèrent dans leur mauvais vouloir. Si tout doit être soumis auFils, ne faut-il pas que préalablement le Fils ait appelé à Dieu toutce que Dieu a créé, tout et non seulement la race des hommes? Si Dieudoit être tout en tous, ne faut-il pas que l'univers entier, et nonseulement la petite partie de l'univers qu'est la terre, se soitrangé sous la domination de Dieu? Le Christ, écrit ailleurs l'apôtre (Php 2:9 et suivant), aété souverainement élevé; s'il se tient auprès des croyants que savie et sa mort terrestres ont libérés et rendus à Dieu, il n'est plusuniquement avec eux; comme Dieu, avec Dieu il est omniprésent etpartout agissant. L'oeuvre pour les hommes, commencée au bord du lacde Galilée et consommée sur la colline du Calvaire, se continue plusloin, plus haut; elle embrasse la création entière, «afin qu'au nomde Jésus tous les genoux fléchissent, dans le ciel, sur la terre etsous la terre». Ces trois groupes d'êtres qui sont dans le ciel, sur la terre etsous la terre, et qui se prosterneront devant le Christ, ne sont pas,selon les thèses générales et nettes du N.T., contraints d'honorer lagrandeur unique du Rédempteur; ils lui rendent un culte volontaire.Le deuxième groupe renferme évidemment les hommes. Dans le troisièmeon a rangé les hommes aussi, les inconvertis qui ont résisté pendantleur existence terrestre à l'attrait de l'Évangile et sont restéssous le joug du mal. Mais, d'après Eph 2:2 6:12, l'apôtre nesitue pas «les esprits mauvais» dans les régions terrestres,inférieures ou autres. Peut-être serait-il plus vraisemblable de lecomposer des êtres humains qui n'ont pas entendu l'appel du Sauveuret qui seront mis un jour en sa présence. Cependant, en l'absenced'indications autres, toute hypothèse demeure aléatoire. Du reste,puisque ce troisième groupe appartient à la terre, sa déterminationest indifférente du point de vue de l'universalisme de la rédemption. Les membres du premier groupe. «les êtres qui sont dans le ciel»,sont généralement considérés comme les anges. Et, sans doute, puisqueles anges se réjouissent du repentir des pécheurs, il est certainqu'ils rendent hommage au Sauveur. Mais ils n'ont point attendu larédemption pour honorer le Fils unique, leur culte est un fait dupassé et non de l'avenir. Par analogie avec les deux autres groupes,il est plus simple et plus logique de compter dans le premier desbénéficiaires de l'oeuvre du Christ, et, par analogie avec d'autrestextes, de voir dans ces bénéficiaires des esprits opposés ouindifférents à la volonté de Dieu et que l'action du Christ glorifiéramène à l'obéissance. L'insistance de Paul à souligner qu'en tous les lieux tous les êtres s'inclineront devant leRédempteur, exclut la possibilité que «les lieux célestes» oùl'épître aux Ephésiens (Eph 2:2 6:13) place les «esprits rebelles»soient laissés en dehors de l'amour manifesté par Dieu au monde, dela rédemption accomplie pour le monde par le Christ. La position souveraine de fait que le Christ occupera après lavictoire finale, il l'occupe de droit dans le plan rédempteur deDieu; «Dieu lui a donné tous les trésors de la sagesse et de lascience» (Col 2:3). Comme tôt ou tard le plan du Tout-Puissantse réalisera, le droit présent assure le fait futur, si bien quePaul, avec Jean, voit déjà le futur actualisé dans le présent.«Christ est le chef de toute souveraineté et de toutepuissance» (Col 2:10), «il a dépouillé les dominations etles puissances et les a publiquement livrées en spectacle entriomphant d'elles par la croix» (Col 2:15). Le Christ n'est passeulement, par sa perfection absolue, au-dessus des êtres orientésvers la perfection, ou même en possession de la perfection comme lesanges, mais par son oeuvre rédemptrice, par sa croix, il a brisé lepouvoir des dominations et des puissances du mal. Les verbes «ayantdépouillé», «il a livré en spectacle», se rapportant à un fait passé,rattachent le triomphe qui dépasse la terre à la rédemption opéréesur la terre; le masculin autous, substituant l'accord logique àl'accord grammatical, prouve une fois de plus que «dominations etpuissances» ne sont pas des abstractions mais des personnes, desêtres individuels. La croix n'est pas seulement la défaite définitivedu péché terrestre, elle est la défaite définitive du péché universel. Le plan rédempteur de Dieu est explicitement indiqué:(Eph 1:9 et suivant) «Dieu avait formé d'avance en lui-même le desseinde tout réunir en Christ, aussi bien ce qui est dans les cieux que cequi est sur la terre.» Réunir tout en Christ c'est, au sens du verbe anaképhalaïoûn ou anaképhalaïousthaï, que Paul seul emploie,«tout concentrer dans la main du Christ», ou «sous l'autorité duChrist». Comme dans Col 1:20, c'est ici l'ensemble des êtres quedomine l'autorité du Rédempteur, Le pluriel neutre du grec donne à lapensée sa forme la plus compréhensive possible et s'entend comme unmasculin.