RECENSEMENT

Le recensement est l'opération par laquelle on évalue la quantité deshabitants d'un pays ou la liste des hommes devant constituer lecontingent de l'armée, et, en général, le nombre des individusappartenant à une catégorie déterminée. On peut donc en un sensqualifier de recensement la statistique savante à laquelle l'écrivainsacerdotal s'est livré pour établir les thôledôth ou tableauxgénéalogiques des patriarches qui, par ordre de primogéniture, ontrelié Adam à Moïse. Dans ce dénombrement des ancêtres les plusreculés, figurent non seulement les noms mais le nombre des années,et même, pour les plus anciens, l'âge du père à la naissance du fils.Pas un chiffre ne manque dans la liste des patriarches antédiluviens(voir Généalogie).Les recensements mentionnés par la Bible dans l'histoire d'Israëlsont au nombre de neuf: 1. Celui de la famille de Jacob lorsque lepatriarche s'établit en Egypte (Ge 46:8 et suivants, cf. Ex1:5,De 10:22). Les LXX portent un autre chiffre, rapporté parEtienne dans Ac 7:14 et relevé par Josèphe (Ant., II, 7:4).Il suffit de serrer le texte de près pour se rendre compte que cedénombrement, qui ne comprend que les hommes, se heurte àd'insurmontables difficultés. (cf. Ge 46:12-20) 2. Le dénombrement que Moïse est censé avoir faitsur l'ordre de Jéhovah le premier jour du deuxième mois de ladeuxième année après la sortie d'Egypte (No 1). Ce dénombrementdonne le chiffre de 603.550 hommes en état de porter les armes. Ex12:37 avait indiqué 600.000 au moment de la sortie d'Egypte. LesLévites sont comptés à part, 22.000 (No 3:39); mais si l'onadditionne les chiffres donnés par les trois familles de la tribu deLévi, on obtient le chiffre de 22.300 (No 2:22-28-34). On aexpliqué cet excédent de 300 en disant qu'il avait pour objetd'égaliser approximativement le nombre des premiers-nés, quis'élevait, d'après No 3:43, à 22.273. Mais ceci nous introduitdans une nouvelle difficulté. En effet, en additionnant les douzetribus on obtient un total de 625.850 hommes, ce qui donne uneproportion de un premier-né sur 28: proportion hors des conditions dela réalité. 3. Le recensement que, toujours sur l'ordre deJéhovah (No 26), Moïse fit des douze tribus après les quaranteans du désert, c'est-à-dire après que toute une génération eut péri.Le résultat est de 601.730 hommes de vingt ans et au-dessus; plus23.000 Lévites d'un mois et au-dessus (No 26:57 et suivants).L'ensemble est donc inférieur de 1.820 hommes par rapport aurecensement précédent. Dans ce nouveau dénombrement, qui marque uneforte augmentation de Lévites, les chiffres respectifs de chaquetribu sont fort différents de ceux du recensement précédent. 4. Le dénombrement que fit David «sur l'ordre deJéhovah)), dit 2Sa 24:1; «à l'instigation de Satan», dit 1Ch21:1. Ce recensement donna à Israël 800.000 hommes et à Juda470.000 hommes, d'après 2Sa 1100000 hommes à Israël et470.000 à Juda, d'après 1Ch La population en état de porter les armesaurait donc passé de 601.730 à 1.300.000 ou à 1.570.000 au cours destemps qui s'écoulèrent entre Josué et David. A noter que la tribu deBenjamin manque à ce dénombrement, ce qui en fausse le résultat (pourle crédit que méritent tous ces divers nombres,voir Nombre, II). Avant d'aller plus loin, deux réflexions s'imposent, (a) Non seulement les évaluations que nous venons derencontrer participent à l'imprécision numérique que l'on rencontrefréquemment dans les estimations de l'A.T., mais même quand leschiffres affectent une forme précise, comme c'est le cas par exemplepour les âges des patriarches, ou ailleurs dans l'emploi des nombres3, 7, 10, 70, 100, 1.000, 10.000, etc. (voir Nombre, III), on peut serendre compte qu'ici comme dans tous les pays de l'antique Orientl'historien obéit moins au souci de l'exactitude historique qu'àd'autres préoccupations où l'élément théologique, astronomique ousymbolique tient une grande part. Ainsi pour le nombre 70, donné dansGe 46 et répété dans Ex 1 et De 30, on voit très bienque l'auteur a ajouté ou retranché des noms parce qu'il veut obtenirle chiffre 70 qui est un chiffre mystique. Sans doute les Hébreuxn'avaient pas le principe de Pythagore: «les nombres sont lesprincipes des choses»; mais il est certain qu'ils voyaient dans lesnombres beaucoup de choses que nous n'y voyons pas. Le fait que dèsl'exil les lettres de l'alphabet devinrent des signes de numération,en sorte qu'un mot se trouvait exprimer un chiffre et un nombrereproduire un nom générateur d'une idée, incita les rabbins et plustard les Pères de l'Eglise à trouver dans une foule de nombres dessignifications symboliques. Cette aberration se développant avec letemps, encouragée par la numération grecque qui se prête aux mêmescombinaisons que la numération hébraïque, on en vient dans la cabalejuive à «l'arithmomancie», dont Karppe dit fort justement: «Lascience..., où la logique doit régner en souveraine, est embauchéepour être l'humble servante d'une folle» (Etude sur les origines,etc., 1901, p. 303), et, dans la patristique chrétienne, à desélucubrations du goût de celles-ci: le nombre 15 formé de 7, nombredu sabbat, et de 8, nombre de la résurrection, représente les deuxTestaments...et le nombre 20, produit des cinq livres de Moïsemultipliés par les quatre évangiles, désigne les justes des deuxTestaments (cf. Lesêtre, Dict. Vigouroux, art. Nombre). Lasignification du nombre 15 représentant les deux Testaments a ététrouvée par Augustin et adoptée par Hilaire, Ambroise, Jérôme, etc.Autre exemple, tiré de la symbolique des lettres-chiffres: en mettantensemble Ge 14:14 17:27, on constate qu'Abraham circoncit 318hommes. Pourquoi 318? Quelle est ici la révélation? La numérationgrecque donne à la lettre H le chiffre 8 et à la lettre I lechiffre 10. Les deux premières lettres du nom de Jésus, I H, donnentdonc 18; quant à la lettre T, elle équivaut à 300 et, de plus, elle ala forme d'une croix. Le nombre 318 a donc pour signification que leshommes sont sauvés par Jésus crucifié (ép. de Barnabas). A propos descinq unités ajoutées par les LXX au chiffre 70 donné par le textehébreu comme nombre des personnes de la famille de Jacob à son entréeen Egypte, Augustin fait cette réflexion suggestive: «Les LXX n'ontpas fait erreur en complétant ce nombre avec une certaine libertéprophétique en vue de la signification mystique...Je ne sais pas sitout peut s'entendre à la lettre, surtout pour les nombres qui, dansl'Écriture, sont sacrés et pleins de mystères» [Quoest. 1nHeptat., I, 152). Voilà une déclaration qui peut mener fort loin. (b) En lisant attentivement l'histoire desdénombrements faits par Moïse et surtout celle du recensement opérépar David, on ne peut se défendre de l'impression que lesdénombrements de cette nature n'étaient pas selon la doctrine de lathéocratie et la contredisaient même dans son esprit. Durapprochement entre Ex 30: et suivant et Ex 38:25, ilressort que les Israélites ne pouvaient éviter un châtiment pouravoir fait leur dénombrement, que s'ils donnaient une sorte de rançonexpiatoire à Jéhovah. Le fait que tout dénombrement des hommes dupays est attentatoire à l'honneur de Dieu ressort de 2Sa 24,récit étrange où Jéhovah est, comme dans No 1, l'inspirateur del'acte du dénombrement. Mais cette fois tout prouve que la majestédivine est fort contraire aux opérations de ce genre. Le chef del'armée, Joab, le sait bien; il tente sans succès de dissuader leroi (2Sa 24:3), et la conséquence est que David dit: «J'aicommis un grand péché en faisant cela» (2Sa 24:10). Le rôleprêté à Jéhovah est si singulier dans cette affaire que l'auteur desChroniques, rapportant le récit, n'hésite pas à mettre à la place dunom de Dieu celui de Satan. La théodicée hébraïque avait progressé.Pourquoi Jéhovah était-il opposé aux dénombrements d'Israël? Bien despassages, et en particulier le récit de Jug 7 (rapprocher cepassage de Esa 37:22), nous l'expliquent. Israël doit obtenirses victoires, non de la force de ses armées mais de!a puissance deJéhovah. Tout ce qui peut donner à Israël confiance en ses moyenshumains le détourne de l'attitude de dépendance dans laquelle il doitse tenir par rapport à Jéhovah Sa décision de paix ou de guerre nedoit pas dépendre des résultats d'un dénombrement de soldats mais dela seule volonté de Jéhovah, qui, poursuivant ses desseins par lemoyen de son peuple, dit à celui-ci: «Marche ou arrête», et lui donnele succès dans la mesure où il a été obéissant (Ps 20:8 33:16147:10,Os 1:7,Esa 31:1) 5. Dénombrement à l'occasion de la captivité. Lesdéportés d'Israël ne sont pas dénombrés (2Ro 15:29 17:23,1Ch5:26). Ceux de Juda ne le sont qu'en partie. 2Ro 24:14 parle de10.000 hommes, portés à 18.000 dans 2Ro 24:16 Jer 52:28s necompte que 4.200 personnes, en trois déportations de 3.023, 832 et745 exilés. Mais il ne s'agit ici que d'artisans, de soldats et denotables. Josèphe (Ant., X, 6:7) dénombre en deux convois, lepremier de 3.000 personnes, le deuxième de 10.832. Tout cela demeuredonc fort imprécis. 6. Dénombrement de la population que Zorobabelramena en Palestine. Ici du moins les totaux concordent: 42.360personnes. Mais les deux sources qui produisent ce chiffre globalsont en désaccord entre elles: Esd 2:2ss compte 29.819personnes; Ne 7:7 :31 089; elles sont aussi en désaccord avecelles-mêmes parce que le total global qu'elles donnent est de plusd'un quart supérieur à la somme de leur calcul détaillé. Quant àJosèphe (Ant., XI, 3), il cède ici une fois de plus à sonpenchant d'exagérer démesurément les chiffres, et donne avec détailsà l'appui la somme de 4.628.000 personnes de plus de douze ans, commedénombrement de ceux qui revinrent avec Zorobabel. 7. Dénombrement de la caravane d'Esdras;(Esd 8:1 et suivants) en tout 1.772 personnes. Le 3e Esdras(Apocr.) compte 1.832 personnes (8:32 et suivants). 8. Recensement des Juifs ayant épousé des femmesétrangères: (Esd 10:18) total 113. 9. Recensement de Quirinius (Lu 2:1 et suivants);ce dénombrement est seulement mentionné, les chiffres nesont pas donnés. Pour les problèmes qui se posent à son sujet,voirChronol, du N.T., I, 1. L'Apocalypse porte un recensement symbolique où sont dénombrésles 144.000 serviteurs de Dieu (Ap 7:4 14:3), 12.000 par tribu.Notons en passant que dans ce dénombrement Joseph est nommé, bienqu'Ephraïm et Manassé y figurent, mais que, d'autre part, Dan estomis. Jésus avait prédit l'effroyable destinée de Jérusalem dans saruine. Ce destin a donné lieu à un recensement qui n'est pas dans laBible mais qui montre comment s'est accomplie la prophétie de Jésus.Josèphe (G.]., II, 28:1) donne des chiffres qui portent à1.362.660 le nombre des Juifs tués lors de la campagne de Vespasienet Titus. Il y aurait eu dans la seule ville de Jérusalem 1.100.000victimes. Les prisonniers seraient au nombre de 97.000. Tacite (Hist., V, 13) nous fournit la preuve des exagérations de Josèpheen portant à 600.000 le nombre des assiégés dans Jérusalem. Cedernier chiffre suffit pour expliquer le souvenir conservé parl'histoire des massacres qui accompagnèrent la prise de la villesainte. Alex. W.