QUOTIDIEN

Traduction habituelle, dans les versions de Mt 6:11 et Lu11:3 de l'Oraison dominicale (voir art.), de l'adjectif grec épiousios, dont le sens précis a toujours été fort discuté. Laconstatation d'Origène, d'après laquelle ce mot ne se trouvait dansaucun autre texte grec connu, est restée vraie pour les savantsjusqu'à notre époque, ce qui laissa la porte ouverte à desinterprétations assez diverses. Les uns, faisant venir épiousios d'épi (=sur) et ousia (=existence), ont compris: notre pain «pour lasubsistance», matérielle ou spirituelle,--d'où sans doute les traductions: supersubstantialis de la Vulg,dans le texte de Matthieu, le pain «assuré» (Syr.), le pain «dont on abesoin» (Pechitto). Cette dérivation est à rejeter tant au point devue de la construction grammaticale que de la valeur d'ousia, dont le sens abstrait est purement philosophique, limité dans lespapyrus à des documents de magie, et dont le sens concret signifie:domaines, propriétés. D'autres ont rattaché l'adjectif à épi (=sur) et oûsa, fém. d'en (=étant), et ont expliqué: notre pain«pour la [journée] présente»; d'où quotidianum, traduction de laVulg, dans le texte de Luc et qui est passée dans la plupart desversions modernes: notre pain quotidien. Mais dans une telledérivation l' i d'épi aurait été élidé. Il faut certainement reconnaître eh épiousios un dérivé du participe féminin épioûsa (ép-ioûsa, d'ép-eïmi =approcher immédiatement), qui désigne le lendemain (Ac 16:11),le mot jour (hèméra, féminin) y étant sous-entendu. Il s'agit dupain «pour la [journée] qui vient», ce qui peut se rapporter à lajournée commencée, ou bien à la prochaine, suivant que la prière estfaite le matin ou le soir. Il n'y a pas très longtemps qu'épiousios a été trouvéailleurs, dans un papyrus du V e siècle environ, liste des dépensesd'un particulier un certain jour: tant d'oboles pour du pain, tantpour des pois, tant pour des roseaux, et une demi-obole pour épiousia. Ce texte en grec populaire prouve d'abord quel'adjectif en question n'a pas été forgé par la source de Matthieu et Lupour traduire un mot araméen difficile, et ensuite qu'il exprime unenotion non de substance, mais de temps, vu qu'il s'agit de prévisionsde dépenses soit pour la fin du jour en cours soit pour le joursuivant. St Jérôme écrit quelque part qu'il est dit «dans l'évangilehébreu selon Mt»: «Donne-nous aujourd'hui notre pain de demain » (crastinum) ; il prend d'ailleurs cette épithète au senseschatologique: «le pain qui doit nous être donné dans ton royaume»,comme il interprète l'épithète supersubstantialem de sa Vulg,par: «le pain qui est de ta propre substance». La prière pour le paindu lendemain ne contredirait qu'en apparence la défense de Jésus dansMt 6:34, qui interdit le souci pour le lendemain, mais nonpas la prière confiante pour le lendemain. (comp. Mt 6:327:11) Il s'agit donc d'une requête typique, de celle qui représente nosbesoins matériels, et d'une requête modérée, dans un sens analogue àcelui de Pr 30:8: «Nourris-moi du pain qui m'est nécessaire»(celui de ma portion régulière), et de Jas 2:15: «...lanourriture de chaque jour» (grec éphêméros, qui désigne aussi laration quotidienne). L'A.T, mentionnait en effet de telles «portions» ou «parts»,normales ou par exception anormales, soit pour les particuliers(Ge 43:34,1Sa 9:23,Ne 8:12, cf. Ec 11:2, à propos de partsde pain), soit pour le sacerdoce (Le 7:35,Ne 12:47 etc.).L'expression hébraïque traduite: «double portion», dans De21:17,2Ro 2:9, signifie litt.: «bouchée pour deux». Dans le secondde ces passages il s'agit, au figuré, d'une portion de l'Esprit deDieu; c'est ainsi que, suivant une image familière aux psalmistes,l'Éternel lui-même est la part, la portion du croyant (Ps 16:5et suivant Ps 73:26 119:57 142:6); et c'est dans le même sensspirituel qu'à propos d'aliments Jésus parle de la «bonne part»choisie par Marie (Lu 10:42). Il n'est donc pas étonnant que larequête pour le pain quotidien ait été appliquée aussi par leschrétiens à la nourriture de l'âme et non pas exclusivement à celledu corps. (cf. Jn 6:27)Voir Pain, Oraison dominicale. Jn L.