PUR ET IMPUR

Si l'on veut comprendre les expressions bibliques relatives à lapureté et à l'impureté des objets, des animaux ou des personnes, ilfaut renoncer pour un instant aux idées que nous nous faisons sur cesujet. Il convient de ne pas leur attribuer dès l'abord une valeurmorale. L'origine de la distinction entre le pur et l'impur ne nous estpoint connue. Nous sommes réduits à expliquer l'apparition de cettedistinction en faisant des conjectures plus ou moins vraisemblables.Parmi les nombreuses hypothèses proposées, retenons seulement celleselon laquelle l'impureté proviendrait d'une relation avec léspuissances néfastes, avec les esprits mauvais. L'impuretés'opposerait, dans ce cas, à la sainteté, puisqu'on peut considérerque la sainteté provient d'une relation spéciale avec les puissancesbienfaisantes, avec les bons esprits, avec Dieu. Impureté et saintetéconstitueraient les deux notions cultuelles fondamentales: lapremière exprimant la qualité des objets, animaux ou personnes qu'ilconvient de ne point mettre en contact avec les autels, où l'êtredivin est comme concentré; la seconde exprimant la qualité desobjets, animaux ou personnes qui peuvent entrer en contact avec lesautels, parce que déjà ils participent de la qualité des autels, enétant en quelque manière déjà «chargés» de divin. Il importe de remarquer, en effet, que l'approche des autels etde la divinité n'est pas permise à ce qui est impur; elle n'est pasnon plus sans danger pour ce qui est pur. Certaines circonstancesmettent bien en évidence que la pureté n'est pas un état positif,qu'elle est simplement absence d'impureté, et que la sainteté seule,au moins à un stade donné de la pensée religieuse, permettaitd'entretenir avec Dieu certaines relations plus étroites quel'impureté interdisait, sans que la pureté les permît. Si tous lesobjets saints sont purs, tous les objets purs ne sont pas saints etne jouissent pas des avantages de la sainteté. L'impureté est une cause de tabou ; c'est-à-dire que l'objetimpur ne doit pas être touché, et que l'homme impur doit être mis àpart, pour le temps de son impureté. L'origine de cette interdiction remonte certainement à dessentiments de respect ou de peur, inspirés par la présence despuissances mystérieuses. Au degré de développement où nous voyonsl'idée d'impureté dans l'A.T., l'interdiction du contact constitueune mesure en quelque sorte préventive. Elle n'a plus de caractèrereligieux, parce que l'impureté, dégagée de ses origines, apparaîtcomme un mal indépendamment de la présence supposée des espritsmauvais. Elle est une mesure de caractère cultuel et social, relevantd'une législation beaucoup plus que d'une conviction de la consciencereligieuse. A noter que la contagion de l'impureté ne nous est jamaisprésentée comme dangereuse; elle est un désagrément, voilà tout; iln'en va pas de même pour la sainteté, dont la contagion peut causerla mort. Les interdictions qui pèsent sur tout ce qui est impur poussentl'homme à vouloir faire sortir de ce fâcheux état ce que la contagiony a mis accidentellement, et ce qui s'y trouve pour des raisonsintrinsèques. Voilà le rôle de la purification, qui a dû être àl'origine quelque opération destinée à rompre les liens quiunissaient l'objet impur aux puissances occultes indésirables. Lapurification dans l'A.T, ne paraît pas supposer la présence de cespuissances. Une interprétation de certains rites de purificationpourrait, il est vrai, permettre de reconnaître en eux l'héritage depratiques de caractère plus spécifiquement magique. Toutefois, loinde s'imposer, ces interprétations restent toujours délicates etincertaines. Le fait dont nous avons à tenir compte, c'est qu'un êtreou un objet impur, en règle générale, ne sera remis au rang desobjets purs, c'est-à-dire rendu à la vie et à l'usage courants,qu'après l'écoulement de certains délais et l'accomplissement decertains rites très précisément fixés. Il convient d'ajouter, pour pousser une comparaison instructive,que la sainteté qui permet l'approche des autels n'est point l'objetde rites destinés à débarrasser personne des interdictions qu'elleprovoque; au contraire, en certaines occasions s'opère une«sanctification», dont le but primitif a dû être d'accroître lasainteté, c'est-à-dire de resserrer les liens unissant l'objetconsidéré avec les puissances bienfaisantes. Comme nous l'avons laissé entendre, la notion d'impureté dansl'A.T, ne se présente point avec les caractères d'une notionprimitive. On s'en convaincra, dès que l'on essaiera d'apporter uneexplication rendant compte de l'origine de tous les cas d'impureté.Cette explication n'a pas pu être fournie. Cela tient probablement aufait que l'idée d'impureté, dont on ne retenait plus que le tabou, aété en quelque sorte utilisée au cours des siècles pour mettre à partce que l'on considérait comme incompatible avec l'intérêt général ouavec le culte de JVHH. C'est ainsi que l'impureté, telle que l'A.T,en parle, peut avoir pour cause la répulsion instinctive de l'hommepour certains objets, ou son désir de préserver la société civile decertains maux, ou encore le souci des autorités religieuses desauvegarder la sainteté cultuelle du peuple. On rencontre encore une grande difficulté quand on veut préciserle caractère de l'impureté. Les Juifs y ont-ils vu quelque qualitématérielle, comme une espèce de souillure comparable à la saleté d'unobjet, d'un corps? On le croirait dans certains cas, mais dansquelques autres la souillure semble être morale; et, dans ces cas-làen effet, aucun rite de purification ne suffit pour effacer lasouillure: il faut enlever celui qui a péché. (voir Le 18:24,30)Impureté semble bien alors un synonyme d'immoralité. A propos del'impureté du lépreux, on peut saisir facilement cette ambiguïté:l'impureté dure jusqu'à la guérison, ce qui nous invite à luiattribuer un caractère physique; cependant la purification exigeencore un acte cultuel, de caractère moral et religieux. Pour conclure, disons que l'impureté est une notion d'originereligieuse mais dont l'usage a fatalement étendu le sens et altéré lecaractère religieux. Ce qui offrait quelque caractère défectueux,désagréable ou repoussant, était attribué aux esprits mauvais,considéré comme leur oeuvre, et pour cette raison repoussé avechorreur et méfiance. On s'explique donc aisément le choix du termeque les Hébreux employèrent pour exprimer l'idée d'impureté: tâmé, qui signifie «trouble, altéré, sali». Tout naturellement,l'impureté fut considérée comme une circonstance inconciliable avecle culte au cours duquel on s'approche de Dieu. D'une part, iln'était pas possible de s'approcher d'une divinité lorsqu'on étaitconsidéré comme sous la puissance d'une divinité contraire, hostile.D'autre part, il n'était pas bienséant de croire que la divinitépourrait prendre plaisir à ce que l'homme avait en horreur. Parextension de l'idée primitive, furent considérés comme impurs ceuxqui avaient eu une conduite «abominable». Eux non plus ne pouvaientparticiper au culte; on considéra même qu'ils ne devaient plus fairepartie du peuple. Etudions maintenant les cas d'impureté, en prenant les faitscomme l'A.T, les donne. Les Hébreux, comme presque tous les peuples, à un moment de leurdéveloppement, ont considéré avec une crainte extrême le mystère donts'enveloppent les fonctions créatrices de l'homme. Il n'est pascertain que les relations sexuelles aient été considérées commesource d'impureté; Le 15:18 et suivantemble seulement indiquerqu'il y avait impureté dans certains cas. Quoi qu'il en soit,l'impureté menaçait de telles relations; aussi le guerrier qui parten campagne doit-il s'abstenir des femmes, afin de conserver pour laguerre, qui est un acte de nature religieuse; l'état que requierttout acte cultuel (1Sa 21:5). Pour cette raison, sans doute,était-on exempt du service militaire pendant une année à partir dumariage (De 24:5). Les caprices des organes génitaux de l'homme et de la femmedéterminaient aussi l'impureté (voir Le 15 et No 5:2 pourl'homme; Le 15:19-24 pour la femme). De mêmel'accouchement (Le 12); mais ici, selon Le 12:2, c'estprobablement l'effusion du sang qui en est cause, au moins autant quele mystère en soi. Le sang (voir ce mot) était considéré comme le siège de lavie (De 12:23); les Hébreux le respectaient pour cette raison.Sa présence dans le corps d'un animal mort accidentellement, et nondûment saigné, avait pour effet de souiller celui qui en consommaitla chair (Le 17:10-15 22:8, cf. 1Sa 14:32 et suivants). Ilest intéressant de relever que, dans ce cas, la souillure provenaitd'un objet qui n'a jamais été considéré comme impur. Le sang, eneffet, était ce qu'on pouvait offrir de plus précieux à Dieu; ilétait en quelque sorte le principe des sacrifices. L'impureté prenaitdonc ici un caractère moral, elle était le résultat d'une faute, elleaffectait un agent moral. D'après Le 17:10, il n'y aurait pas eude purification à laquelle pût recourir l'homme coupable d'avoirmangé du sang; il devait être retranché du peuple. Les Juifs ont attribué à la plus haute antiquité la distinctiondes animaux purs et des animaux impurs. D'après Ge 7:2 8:20,déjà Noé la connaissait. Les raisons de cette répartition n'en sont pas plus claires pournous aujourd'hui. Dans Le 11 et De 14:4 et suivants setrouvent une liste détaillée et quelques renseignements sur lesanimaux purs et impurs. On a parfois voulu faire remonter l'impuretédes animaux à des croyances totémiques; les tribus, croyant à desliens de parenté avec certains animaux, s'abstenaient de manger leurchair, et même de les tuer. Après la disparition du totémisme, laségrégation de plusieurs espèces animales aurait subsisté, sous lecouvert du tabou de l'impureté. Ou bien, une diffamation aurait pesésur ces bêtes parce qu'elles avaient été vénérées en un tempsd'idolâtrie. On ne peut repousser absolument toute influence desidées totémiques; mais les vestiges en sont si rares qu'il estincroyable qu'elles justifient tant de cas d'impureté. Il n'est pas impossible que telles bêtes rapaces aient étérangées parmi les animaux impurs parce qu'elles se nourrissaient decadavres, et mangeaient ainsi beaucoup de sang. D'autres ont puparaître impures parce que leurs qualités comestibles étaient simédiocres, qu'elles ne devaient pas plus servir aux sacrificesofferts à Dieu qu'à la consommation courante. D'autres encore ont étéconsidérées comme impures parce qu'elles ressemblaient à des bêtesparticulièrement détestées, et que les Juifs tenaient pour impurespar suite de l'horreur qu'elles leur inspiraient; ainsi les poissonssans écailles et sans nageoires, explicitement distingués des autres,à cause de leur ressemblance avec «ce qui rampe» (Le 11:9). Il n'est pas nécessaire de multiplier les explications avec lesexemples. Le lecteur se rend compte que des hypothèses explicativestrès diverses sont également acceptables, ce qui jette sur toutes unvoile d'incertitude. Tout cadavre souillait, qu'il fût humain (Le 21:1,No 19:11)ou animal (Le 11:8,25,28,39 No 19:22). Comme nous l'avons dit,c'est la présence du sang dans un cadavre qui en faisait une occasionde souillure (Le 22:8). Lorsqu'il s'agit de la dépouillemortelle de l'homme, l'impureté s'étend à la tente dans laquelle elleest déposée, à ceux qui y pénètrent et aux vases sans couvercle quis'y trouvent (No 19:14). On remarquera la puissance expansive decette impureté, qui ne paraît pas sans relation avec la crainte desmauvais esprits que la mort a toujours engendrée chez l'homme. Uncadavre humain en plein air, même de simples ossements, un sépulcreseulement, suffisent à souiller pour sept jours celui qui les touche.Voilà pourquoi, sans doute, les sépulcres étaient blanchis (onpouvait plus aisément les éviter; voir l'allusion que Jésus fait àcela: Mt 23:27; cf. fig. 283). Voilà aussi ce qui imposait auguerrier, après le combat, la purification dont parle No 31:19.Voilà enfin pourquoi l'auteur d'un homicide involontaire souillait lepays (No 35; le meurtrier «avec préméditation» était passiblede la mort), devait fuir dans une ville de refuge (voir art.) et yattendre la mort du grand-prêtre (on ne s'explique pas cette dernièreprescription). Il y a lieu de croire que l'impureté du butin de guerre tient àcelle du champ de bataille lui-même (No 31:23). La dernière catégorie d'êtres impurs à signaler groupe les cas demaladies de la peau, notamment ce que l'on appelait lèpre (voir cemot), en réalité l'éléphantiasis (Le 13,14,No 5:2). Tels sont les principaux cas d'impureté. Disons quelques mots desrites de purification qui permettaient à la personne souillée dereprendre sa place dans la vie, et qui rendaient les objetsutilisables à nouveau. L'impureté avait des degrés de gravité. Lamoins grave se purifiait par un lavage et prenait fin au soir du jouroù elle avait été contractée (Le 15:5,11). L'impuretéqu'entraînaient les pertes cataméniales durait sept jours etexigeait, outre le lavage du corps et des vêtements, le sacrifice dedeux tourterelles ou pigeons (Le 15:19-30). L'impuretéqu'entraînait une naissance s'étendait à quarante jours pour ungarçon, à quatre-vingts pour une fille, et exigeait un sacrifice plusimportant: un jeune agneau et un pigeon ou une tourterelle (Le12). L'impureté du lépreux demandait un rite de purification pluscompliqué, et celle qu'imposait le contact avec un cadavre ne luicède pas en complication (No 19). On trouvera dans No6:6,12 la purification d'un naziréen souillé par un mort. L'impureté étant un empêchement radical à la participation auculte, et même, dans certains cas, une raison pour l'homme d'être«retranché» de son peuple, on ne peut s'étonner de voir le mot«impur» devenir une qualification générale de tout ce qui ne relèvepas directement d'Israël. Les étrangers sont les impurs (Esa35:8), la terre étrangère est impure (Am 7:17). Les antonymes d'impureté ne sont pas, en hébreu, de la mêmeracine et contiennent des idées nouvelles, d'ordre moral. La pureté est, avant tout, la droiture, la simplicité, l'absencede mélange, de fausseté, de duplicité, de fraude (Job 11:4,Ps18:27 51:6). Les termes qui expriment ces idées-là ne sont pasemployés quand il s'agit de pureté cultuelle. Nous avons dit que lapureté cultuelle était un état neutre, commun, sans intérêt sommetoute, sans qualification particulière. Au contraire, la puretémorale est un état positif; elle est même un état rare (Job15:14). Et l'on peut dire que l'état commun, l'état naturel, dupoint de vue moral, est en ce sens l'impureté (Job 25:4). La racine tâmé (impur) a pu elle aussi prendre parfois unsens moral, comme il est permis de le croire d'après Le 18:24,où la souillure provient de l'accomplissement d'actes moralementcondamnables (toutefois, les versets 27-30 fournissent une autreraison de leur impureté). Quoi qu'il en soit, la pureté morale est estimée à l'égal desplus grandes vertus, des biens les plus élevés. L'homme n'est, devantDieu, ni juste, ni pur (Job 4:17), il ne peut, sans le secoursde la parole de Dieu, parvenir par le chemin de la pureté jusqu'àDieu (Ps 119:9 24:4). Dans le N.T., la préoccupation de la pureté rituelle passe àl'arrière-plan. A l'occasion, Jésus combat le formalisme desablutions, met l'accent sur la pureté intérieure (Mr1-11:15-20) et soulève l'indignation des pharisiens par cetteréaction morale. Dans les passages cités, il définit explicitement lasouillure par les termes suivants: fornications, vols, homicides,adultères, rapines, méchancetés, tromperie, impudicité, envie,calomnie, orgueil, déraison. «Tout cela, qui est mauvais, sort dudedans de l'homme (de son coeur) et rend l'homme impur.» Toutefois,Jésus ne s'est pas toujours opposé aux règles en usage pour lapurification, qu'il ne tenait pour mauvaises que si ellesdétournaient l'attention de la pureté du coeur. C'est ainsi qu'ilenvoie le lépreux guéri en Galilée accomplir fidèlement «ce que Moïsea prescrit» (Mr 1:40-45). a son exemple, l'apôtre Paul nebrusque pas la conscience de ses compatriotes et demande le respectde toutes convictions (Ac 21:26,Ro 14:20). Mais il estparfaitement au clair sur le fond: rien n'est impur en soi; une chosen'est impure que pour celui qui la croit impure (Ro 14:15,1Co6:13,Col 2:16,20,22,Tit 1:15). Ainsi, l'impureté rituelle fait figure de survivance dans le N.T.L'enseignement de Jésus a définitivement fixé le caractère moral dela pureté et indiqué sa valeur religieuse. Il a montré ce qu'étaientles pensées d'un coeur pur, et il a solennellement proclamé labéatitude des coeurs purs, qui verront Dieu.--Voir (Mt 5:8)Saint. F.-J. L.