Le livre des Psaumes est le monument le plus important de la poésiehébraïque. Non seulement il renferme quelques-uns des plus beauxpoèmes lyriques de toute la Bible, mais on y trouve réunis tous lesgenres de poésie dispersés dans les divers livres de l'A.T. Ilconstitue en outre le recueil des chants sacrés d'Israël, dont ungrand nombre présentent un caractère liturgique indéniable. Le Psautier est rangé par le Canon hébreu dans la troisièmepartie de la Bible (Ketoubim, Ecrits, ou Hagiographies) et vientgénéralement dans les manuscrits en tête de cette catégorie de livressacrés. Il se divise en cinq livres.(Ps 1-41,42-72,73-89,90-106,107-150)La fin de chaque livre est marquée par une doxologie ajoutée audernier psaume; seule la doxologie du cinquième livre est formée parun psaume entier, le 150 e.Ces cinq livres sont mis en parallèle par le Talmud avec lescinq livres du Pentateuque (voir Canon de l'A.T.). Nombre des Psaumes. Le texte hébreu offre 150 psaumes. Un 151 eest fourni par la version des LXX, mais expressément classé par elle«hors du nombre»; attribué à Daniel, il est probablement latraduction d'un original hébreu, mais qui n'a jamais fait partie duPsautier. Le texte hébreu et le texte grec, d'accord sur le total,diffèrent dans les détails de la numération. Le texte grec unit lesPsaumes 9-10, et 114-115; en revanche, il sépare en deux les Ps116 et Ps 147. De là vient que le texte grec soit en retardd'une unité sur le texte hébreu dans la majeure partie du Psautier.Les versions protestantes suivent le texte hébreu; la Vulgate et lesversions catholiques le texte grec. Il est certain que plusieurs compositions poétiques sontarbitrairement coupées en deux psaumes dans le texte hébreu (ex.:Ps 9 et Ps 10, restes mutilés d'un seul psaume alphabétiquerestitué par le texte grec; Ps 42 et Ps 43 qu'unit un mêmerefrain). D'autre part, d'assez nombreux psaumes se décomposentfacilement en plusieurs morceaux qui diffèrent par leur genrepoétique et par leur sujet (ex.: Ps 19:1,7 la gloire de Dieu manifestéedans la nature, et Ps 19:8,14 la loi de Yahvé et sesbienfaits;-- Ps 27:1-6 chant de victoire, et Ps 27:7,14 prièreintime introduite par la formule: Yahvé, écoute ma voix!-- Ps 107:1,32 psaume de louanges avec refrain, et Ps 107:33-43 paroles d'unsage:-- Ps 115:1, 8 discours prophétique, et Ps 115:9,10bénédictions liturgiques; Ps 144:1,11 prière pour obtenir ladélivrance, et Ps 144 12-15 actions de grâces pour une périodede prospérité). Au reste, le nombre de 150 n'est pas absolument exact, plusieurspsaumes étant identiques ou ne présentant entre eux que de légèresdivergences (Ps 14 =Ps 53 Ps 70 =Ps 40:14 Ps 108 =Ps 57:8-11 et Ps 60:5,12). Le Ps 18 reproduit lecantique de David (2Sa 22).Genres des Psaumes. Le Psautier porte dans les éditions de la Bible hébraïque le nom de séphèr tehillim (livre de louanges), d'après la majorité desmanuscrits. La Massore emploie le pluriel féminin tehilloth, plusconforme à l'hébreu tehillah, qui est le titre du Ps 145. Cenom paraît être inspiré d'une des dernières collections de psaumes,qui débutent par l'expression halelou-Yah (=louez l'Éternel).Les LXX et le N.T. nomment ce livre Psalmoï ou BiblosPsalmôn (Vulgate, Liber Psaltno-rum), d'après la traductiongrecque habituelle de l'hébreu mizmor. Ce dernier titre étantgénéralement appliqué à des psaumes de David, le Psautier est assezsouvent appelé ta toû Daveid (2Ma 2:13) ou simplement Daveid (Ac 2:25 4:25 etc.). Quant au terme psalterion (nom grec d'un instrument de musique), il est fourni par le codexAlex, des LXX, où il désigne assez improprement le Psautier. Nosversions se conforment à l'usage grec et non à l'usage juif. Ces deux noms: louanges, psaumes, rapportent le Psautier dans sonensemble à la poésie lyrique. Et en effet, les psaumes appartiennentpour la plupart à ce genre poétique, surtout ceux des premierslivres. Cependant on distingue dans le Psautier des genres trèsdifférents. Un assez grand nombre de psaumes se rapprochent du genreprophétique, ce qui n'a rien de surprenant, la prophétie ayant été àses débuts accompagnée de chants et de musique (1Sa 10:5). Leschefs musiciens de David: Asaph, Héman, Jedoutoun sont appelés«voyants du roi», et ils prophétisent avec la harpe (1Ch25:1,5). Au temps d'Ezéchias, Asaph est appelé un prophète (2Ch29:30). Les psalmistes revêtent souvent leurs paroles d'une autoritéprophétique. Certains psaumes, quoique du genre lyrique, contiennentde courts oracles. (ex.: Ps 2:5,9 46:11 50:7 110:1) D'autresconstituent tout entiers des discours prophétiques, consistant, commeles prophéties habituelles, en reproches, avertissements et menaces.Ces discours sont dirigés contre l'impiété (14 =53, 50), contrel'idolâtrie (Ps 115:1-8), contre un méchant (52 contre Doëg; cf. Esa22:15 contre Shebna, Jer 20:3 contre Pashkour). A ce genreappartiennent les psaumes messianiques (promesses faites à ladynastie davidique: 2, 72, 89, 110, 132, ou à Jérusalem: 87). Le genre didactique est représenté par les Ps 37 (sentencesmorales conformes au type des Proverbes), 49 (appelé par l'auteur:paroles de sagesse, v. 4; mâchai-- sentence, et khidâh =énigme, v. 5), 73, 119. Le genre historique fournit les Ps 78(histoire d'Israël jusqu'à David, psaume également rattaché par sontitre au genre didactique, mâchai et khidoth, v. 2), 105 et106, 136 (curieux mélange du genre historique et de la litanie), 89(les v. 20, 38 complètent remarquablement le Ps 78). Le genreliturgique offre des litanies (Ps 136, Ps 118:1,4,25-29 Ps 148), desbénédictions (Ps 115:9-18) et des malédictions (Ps109:6,19).Titres des Psaumes. La plupart des psaumes ont un ou plusieurs titres se rapportant soitau caractère du poème, soit à son usage musical et liturgique, soit àson auteur. Les principaux titres relatifs au caractère du poème sont: 1° Mizmor-- psaume (poésie accompagnée demusique), terme dérivé d'une racine zâmar, appliqué à la musiqueinstrumentale par opposition à la musique vocale (57 psaumes). Cetitre est presque toujours accompagné d'un nom d'auteur,ordinairement du nom de David. 2° Chîr =cantique (gr., ôdê), poésiechantée (30 psaumes), titre assez souvent précédé ou suivi de mizmor pour indiquer que le chant est soutenu par la musiqueinstrumentale (cf. 30, 65-68, etc.). 3° Maskil (gr., eïs sunésin: lat., ad intellectum ;Jérôme, eruditio), titre de 13 psaumes appartenantprincipalement au recueil des Fils de Coré (Ps 42) et augenre didactique (Ps 32,Ps 78), ce qui justifie le sens d'instruction (cf. Ps 2:10: et nunc erudimini ) ou plutôtde méditation , (cf. Ps 41:1) sens dérivé de la racine sâkal. Le sens de poème habilement ou artistiquement composé(angl., skilfulpsalm), adopté par quelques-uns, ne convientguère, l'intelligence étant dans l'A.T, rarement synonyme d'habiletéet désignant plutôt la piété; d'où: psaume destiné à l'édificationreligieuse. 4° Mictam =poème précieux (terme dérivé de kétem =joyau, or), est le titre des Ps 16 et Ps 56-60 (6psaumes) qui portent le nom de David et justifient cette appellationpar la distinction de leur style et de leur pensée (gr., stèlographia; lat., inscriptio, confondant mictam et mictab). C'est aussi le titre du cantique d'Ézéchias (Esa38:9). 5° Chiggaïon (Ps 7), dont le sens estincertain, peut désigner non une complainte (Sg.), mais un poème surun mode irrégulier ou dithyrambique. La prière d'Habacuc (Ps 3:1et suivants) est composée selon ce mode (al-chigionoth) 6° Tephillah =prière, est le titre de 5psaumes, et tehillah =louange, du Ps 145. Les instruments d'accompagnement sont parfois désignés dans letitre: neguinoth, instruments à cordes (6 fois); nekhiloth, instruments à vent, flûtes (Ps 5); guittith, laGuittienne (Ps 8, Ps 81, Ps 84), peut-être la harpe de Gath importéede Crète par les Philistins et empruntée à l'antique civilisationégéenne. Il est à remarquer que les principaux instruments de musiqueservant pour le culte n'apparaissent jamais dans un titre,savoir: (d'après Ps 81:3) kinnor-- harpe, nébèl =luth, toph =tambourin, chophar-- trompette. La voix desoprano était probablement désignée par alamoth (Ost., Halamoth) =jeunes femmes (Ps 46), et la voix de basse par cheminith =octave inférieure (Ps 6 et Ps 12). Le titre offre aussi fréquemment les premiers mots de chantspopulaires sur la mélodie desquels le psaume devait être chanté; onécarterait difficilement cette explication, qu'appuie la préposition al (=sur, ou selon), quelquefois el. Sur: «Ne détruis pas!»(Ps 57-59, mictam de David; 75, Ps d'Asaph). Sur: «Lis dutémoignage» (Ps 45, Ps 60, Ps 69, Ps 80). Sur: «Colombe muette parmi lesexilés» (Ps 56, mictam de David); grec: «Pour le peuple exiléloin du sanctuaire» (Vers. Syn.: «Colombe des Térébinthes lointains»,substitue Élim à Élem). Sur: «Biche de l'aurore» (Ps 22).Sur: «Meurs pour le fils» (Ps 9). Sur: «Blessure» (Ps 53; v.5.: «Sur un mode triste»; lire mahéleth ; Ps 88, «Blessurepour l'humiliation»). La plupart de ces formules sont obscures et letexte peut avoir été altéré. La préposition al, qui accompagne lenom du musicien Jeditoun ou Jedoutoun dans Ps 62 et Ps 77,est rectifiée par la préposition le dans Ps 39 (=de ou selon Jeditoun). D'autres formules se rapportent à l'usage liturgique. Pour lesabbat (Ps 92), pour la dédicace du temple (Ps 30), pour lacommémoration (Ps 38,Ps 70), pour la louange (Ps 100, Pschanté lors des sacrifices d'actions de grâces), pourl'enseignement (Ps 60). Dans les LXX, d'autres psaumes sontrapportés aux divers jours de la semaine. C'est sans doute aussi à unusage liturgique que s'applique le titre: Cantique pour les mahaloth (=montées), qui est celui d'une collection de 15psaumes (Ps 120-134). L'ancienne version: «Cantique des degrés»paraît devoir être abandonnée. Ces psaumes étaient sans doute chantéslors des pèlerinages montant au temple de Jérusalem à l'occasion desgrandes fêtes religieuses. (cf. Ps 122:4 125:2 Ps 133 Ps 134) Cesdiverses formules sont caractérisées par la préposition le (=pour). On peut attribuer à l'usage musical et liturgique le mot Sélah, qui revient fréquemment dans le texte des psaumes (71 foisen 39 psaumes, et trois fois dans la prière d'Habacuc: Ps3:3, Ps 9, Ps 13). Il ne se trouve que dans les psaumes appartenant auxplus anciennes collections et accompagnés d'indications musicales. Le sens est assez obscur (gr., diapsalma; Talmud, ad ôlam =à toujours; Jérôme, semper). La version diapsalma peutdésigner soit un interlude, soit une élévation du son (rinforzando). Ce dernier sens est le plus conforme àl'étymologie (sélah, impératif: élève...la mélodie). La versiontalmudique a suggéré au Hébr. and Engl. Lexicon d'Oxford (p. 699)une hypothèse destinée à concilier les deux traditions; Sélahsignifierait: «Élevez vos voix», et, par cette indication liturgique,le clergé serait invité à interrompre le psaume pour prononcer laformule de bénédiction, qui se termine par l'expression adôlam (Ne 9:5: Bénissez Yahvé d'éternité en éternité). Quant à Higgaïon, joint à Sélah dans Ps 9:17, il doit avoir commecelui-ci quelque analogie avec l'usage musical, mais son sens estaussi difficile à déterminer (LXX, ôdè diapsalmatos). Mis enparallèle dans Ps 92:4 avec le luth et associé à la harpe, ilparaît devoir désigner soit un jeu d'instruments de musique (Sg.,Bbl. Cent.: en sourdine), soit plutôt, d'après son étymologie, unemélodie destinée à favoriser la méditation (c'est le sens du mothébreu dans Ps 19:14,La 3:62). On n'attribue guère aujourd'hui à la même catégorie l'expression: lamenatséakh , relative au Maître-chantre, prise jadis en ce sensque les indications musicales, dont elle est généralementaccompagnée, étaient destinées au Maître-chantre (ex.: Ps 4, auMaître-chantre, sur des instruments à cordes; 5, sur des flûtes; 9,sur: «Meurs pour le fils», etc.). Cette explication ne peut servirpour les cas assez nombreux où lamenatséakh n'est ni précédé nisuivi d'aucune indication d'ordre musical ou liturgique (ex.: 11 ou14). Au reste, la préposition le établit une analogieindiscutable avec les épithètes: le-David, le-Asaph, etc., quise rangent naturellement dans la catégorie des noms d'auteurs. Rienn'empêche que le chef de la musique instrumentale du temple ait eucomme eux, ou comme la corporation des Fils de Coré, sa proprecollection de psaumes. Un grand nombre de psaumes nous fournissent en effet des nomsd'auteurs, surtout dans les premiers livres: Moïse (1 Ps.); David (73Ps.); Asaph (12 Ps.); les Fils de Coré (11 Ps.); Salomon (2 Ps.);Héman et Éthan, Ezrahites (sages mentionnés dans 1Ro 4:31),auteurs des Ps 88 et 89; Jeditoun (39, 77) ou Jedoutoun (62),nommé à côté d'Asaph et de Héman comme un des trois chefs musiciensde David (1Ch 16:40-42). Il faut ajouter sans doute à cetteliste le Maître-chantre. La préposition le, qui accompagne tous ces noms propres,semble attribuer à ces personnages, soit la composition poétique,soit la composition musicale des psaumes en question. Cependant, lepluriel: «Des fils de Coré» et l'attribution d'un même psaume à deuxpersonnages différents laissent entrevoir une autre interprétation.Or ces doubles attributions de psaumes ne sont pas rares; elles sontmême assez fréquentes, si on y fait rentrer tous les psaumes qui seréclament à la fois du Maître-chantre et de David ou des Fils deCoré. Le Ps 88 se réclame des Fils de Coré, du Maître-chantre etde Héman l'Ezrahite. Dans le cas des doubles attributions, l'un desnoms pourrait désigner l'auteur du poème, l'autre l'auteur de lamusique, mais cette interprétation n'est pas valable pour les triplesattributions. On est ainsi conduit à penser que ces noms désignent descollections de psaumes et qu'un certain nombre de psaumes étaientcommuns à plusieurs collections avant d'entrer dans le Psautier.Cette opinion est fortement appuyée par le fait que des psaumes missous deux noms différents sont aussi désignés comme appartenant àdeux genres différents (Ps 65: Du Maître-chantre psaume, deDavid cantique; Ps 68, id.; Ps 88, mizmor des Fils de Coré,maskil de Héman l'Ezrahite). L'exemple du Ps 88 montre qu'unmême psaume pouvait être emprunté à plusieurs recueils différents, àun recueil de Mizmorim (psaumes) et à un recueil de Maskilim(méditations), lorsque son genre n'était pas particulièrementaccentué. La plupart des noms figurant dans les titres s'appliquent àdes musiciens connus ou à des corporations de choristes, de sorte queles formules: Des Fils de Coré, d'Asaph..., désignent des psaumesrecueillis et conservés dans la famille ou dans la corporationmusicale d'Asaph ou des Fils de Coré.Formation du Psautier. Le Psautier s'est formé graduellement par la juxtaposition ou même lemélange de plusieurs collections de psaumes. Cette conception estconfirmée par la notice qui clôt le deuxième livre: «Fin des prièresde David, fils d'Isaï» (72:20). Un même rédacteur, sachant qu'ilavait encore d'autres psaumes davidiques à utiliser, n'aurait pasclos ici les oeuvres de David. En outre, la présence dans le Psautierde poèmes semblables ou identiques ne s'explique pas autrement quepar une formation graduelle. Enfin, ce qui vient à la fois étayercette conception et entraîner des complications, c'est l'influenceélohistique qui s'est exercée à une certaine époque sur toute unepartie du Psautier (voir Dieu [les noms de]). Le nom de Yahvé est employé presque exclusivement dans le livre I(Yahvé 278 fois, Élohim 15), à la fin du livre III (Ps 84 à 89:Y. 31, E. 7), exclusivement dans le livre IV et dans le livre V (saufPs 108, qui est formé de deux psaumes du groupe élohistique) Laportion élohistique du Psautier comprend le livre II (E. 164, Y. 30)et la majeure partie du livre III (Ps 73 à 83; E. 36, Y. 13),soit tout le bloc des Ps 42 à 83. Or ces psaumes élohistes nesont pas tels du fait de leurs auteurs; le nom d'Élohim y a étésubstitué au nom de Yahvé qui était primitif. Et, en effet, nouspossédons au moins deux psaumes élohistes qui se retrouvent ailleursdans le Psautier sous la forme yahviste (Ps 53 =Ps 14 Ps70 =Ps 40:14 et suivants). La preuve que leurs auteursemployaient le nom de Yahvé, c'est que l'expression «Yahvé mon Dieu»ou «Yahvé ton Dieu», si fréquente dans tout l'A.T, et si naturelle,est devenue dans ces psaumes: «Dieu, mon Dieu» (Ps 43:4), ou«Dieu, ton Dieu» (Ps 45:8 50:7). Les psaumes élohistes,provenant eux-mêmes de plusieurs collections, ont appartenu à unrecueil qui est entré en bloc dans le Psautier, après avoir subicette transformation du nom de Dieu, transformation qui ne s'est pasétendue à l'ensemble du livre. La division actuelle du livre n'est pas purement artificielle etmanifeste assez bien, même au point de vue chronologique, leprocessus de sa formation. D'une part le livre I renferme à lui seulune collection spéciale de psaumes de David qui paraît bien la plusancienne, le noyau primitif; d'autre part, les deux derniers livresnous fournissent assurément les psaumes les plus récents. Mais ladivision en cinq livres ne saurait servir de base à l'étude de laformation du Psautier. Il s'agit d'établir une division réelle quitienne compte des divers recueils dont il se compose. On peutdistinguer trois parties: 1° le noyau primitif des psaumes de David, livre I; 2° les psaumes élohistes (42-83), suivis d'uncomplément à ce recueil (84-89), livres II et III; 3° les collections récentes, d'un caractèreliturgique plus prononcé, livres IV et VLe noyau primitif a été transmis par le Maître-chantre, dont le nomfigure en tête de presque tous les psaumes de David. Plusieurs descollections suivantes doivent provenir de la même source. On encompte quatre dans la 2 e partie: 1re de Coré (42-49), 2° de David(51-72), Asaph (50 et 73-83), 2 e de Coré (84-89). La 3e partiecomprend un assez grand nombre de collections dispersées: psaumesdits théocratiques (90-100); 3 e collection de David, divisée enplusieurs groupes (101-103, 108-110, 138-145);1re collection de psaumes de louanges, avec la formule Halelou-Yah,en deux groupes (104-107, 111-118), à laquelle peut se rattacher lePs 119; psaumes des Mahaloth =degrés ou montées (120-134)2° collection de psaumes de louanges en deux groupes (135-136,146-150). Le Ps 137 peut être rattaché à la collection desMahaloth, avec lesquels il offre quelque analogie. La date des psaumes, ou des diverses collections de psaumes, nesaurait être déterminée d'une façon précise, en l'absenced'informations sûres fournies par le texte. Les noms de personnagesconnus désignent des recueils que la tradition taisait remonterjusqu'à eux, mais dont la formation s'est étendue sur plusieurssiècles. Treize psaumes offrent des notices relatives à l'événementhistorique ayant donné lieu à leur composition. Ces notices serapportent toutes à la vie de David, soit à l'époque de sapersécution par Saül (ordre chronologique: Ps 7,Ps 59,Ps 56,Ps34,Ps 52,Ps 57,Ps 142,Ps 54), soit à ses victoires (Ps 18,Ps60), à sa pénitence (Ps 51), à sa fuite devant Absalom (Ps3,Ps 63). Seulement, ces notices sont rarement confirmées par lecontenu des psaumes auxquels elles sont affectées. Titres et noticesdoivent être sérieusement contrôlés par l'étude exégétique du texte. Le style des psaumes peut donner d'utiles indications. Il estcertain que les derniers livres se distinguent, sauf exception, parun style moins classique, exempt d'archaïsmes, semé de réminiscenceset rempli de phrases conventionnelles, dénotant une époquepostérieure. Mais ces indications sont trop générales, les psaumes dela plus belle facture poétique pouvant provenir de la période entièrequi s'étend de David à Jérémie ou à la captivité. Les notionsreligieuses exprimées ne sont pas davantage un critère infaillible,la limite étant souvent délicate à fixer pour l'éclosion ou le déclinde telle ou telle conception et les psaumes se répartissant entre lesdiverses tendances qui ont eu cours en Israël. Le critère le meilleurpourrait être trouvé dans les allusions historiques; mais peunombreux sont les psaumes qui en renferment, et les allusionss'appliquent en bien des cas indifféremment à des événementshistoriques très distants les uns des autres. La fixation de la dated'un psaume ne peut s'énoncer qu'avec une extrême prudence et enutilisant les divers critères selon l'ordre de leur valeur. Au reste, toute une école estime que ces méthodes d'investigationne peuvent donner pour les psaumes aucun résultat, les titres etnotices qui se réfèrent à des noms d'auteurs anciens n'ayant aucunevaleur et le Psautier ayant été composé tout entier durant la périodepost-exilique pour servir de livre de cantiques dans les cérémoniesdu Temple restauré. Il est vrai que l'opinion récente descommentateurs se détourne de cette exagération, et l'on reconnaît quele premier temple a dû posséder un ou plusieurs recueils de psaumes,dont un certain nombre peuvent avoir été conservés. Le Ps 137montre avec évidence que les Israélites avaient emporté en Babylonieleurs hymnes religieux et que les «Cantiques de Sion» étaientcélèbres. Ésaïe II fait nettement allusion aux chants de louangesantérieurs à l'exil (Esa 64:10). Bien plus, Jérémie, prédisantla restauration du temple démoli, cite comme étant déjà en usage deson temps une doxologie chantée, que fournissent également, bien quelégèrement modifiée, les psaumes des derniers livres (Jer 33:11,cf. Ps 106:1, etc.). Déjà auparavant Ésaïe (Esa 30:29) etAmos (5:23 8:10) font allusion tant aux cantiques du royaume de Judaqu'à ceux du royaume de Samarie. Et de fait, les particularités decertains psaumes s'expliquent mieux si l'on admet qu'ils proviennentdes sanctuaires du royaume du Nord. Les questions de date et d'auteurrestent libres de tout a priori et soumises aux règleshabituelles de la critique. A cette première difficulté s'en est ajoutée une autre, aussigrave. Selon une opinion courante, la plupart des psaumes despremiers livres expriment non les sentiments ou les pensées d'unauteur individuel, qui pourtant emploie la première personne dusingulier, mais de la communauté israélite. Celui qui parle, seplaint, se repent et prie, c'est Israël, soit dans son ensemble, soitdans sa partie fidèle, c'est le serviteur collectif de Dieu.Assurément Israël est souvent personnifié dans l'A.T., spécialementchez les prophètes, et il en est de même dans un grand nombre depsaumes, par exemple au Ps 129, où le peuple s'exprime comme unindividu: «Ils m'ont assez opprimé dès ma jeunesse...» Les LXX et leTargum ont appliqué à la nation entière des psaumes qui apparaissentcomme fortement individuels (Ps 23 Ps 56 etc.). Cependant il neparaît pas possible d'appliquer cette théorie à tout le Psautier, etil suffit d'admettre que des poésies anciennes, émanant depersonnalités religieuses et composées dans des circonstancesdéterminées, ont été plus tard utilisées pour l'édification de lacommunauté et adaptées, avec ou sans modifications importantes, auculte israélite. L'attention a été attirée d'une manière toute spéciale sur lesplaintes des psalmistes et sur le grand nombre de psaumes oùs'exhalent des lamentations soit collectives soit personnelles. Lesujet de ces plaintes paraît souvent difficile à définir. Leslamentations collectives ont le plus souvent pour sujet les péchés dupeuple qui ont attiré sur lui la colère divine et sur Jérusaleml'opprobre et la ruine. Mais les lamentations individuelles soulèventplus de difficultés. Quels sont les maux dont se plaint le psalmiste?Qui sont les oppresseurs qui l'accablent, les ennemis qui lepersécutent, les adversaires qui le calomnient, le raillent et luitendent des pièges? On a cru trouver la clef du mystère dans lasituation des Anavim (=humbles), dont il est fait fréquemmentmention. Ces humbles sont les «pauvres d'Israël», opprimés de touttemps par les grands, méprisés par les hautes classes et dont le sortmisérable avait déjà rempli d'indignation les prophètes préoccupés dejustice sociale. Toutefois ces plaintes refléteraient spécialement la situationdes Anavim à une époque récente, soit pendant la période perse,lorsque se formèrent des partis séparés par de graves dissensions,soit pendant la période grecque, quand s'éleva la lutte entre lespartisans du vieil hébraïsme et les hellénisants qui pactisaient surle terrain philosophique et social avec l'étranger. Nul doutequ'alors les humbles, fidèlement attachés aux traditions yahvistes etadversaires de la civilisation nouvelle, n'aient eu à souffrirsocialement et religieusement du mépris et de l'oppression desgrands, spécialement du parti Sadducéen, enrôlé sous la bannière del'hellénisme. Mais ici encore une discrimination s'impose; lespsaumes où cette théorie trouve sa complète application sont trop peunombreux pour qu'on puisse en faire la clef de toutes leslamentations rangées dans la même catégorie. Au reste le terme Anavim désigne rarement une classe de pauvres, auxquels lesépithètes Ebionim, Dallim sont mieux appropriées; il s'appliqueplus habituellement aux humbles de coeur, qui s'humilient non devantles hommes mais devant Dieu. Or les souffrances des piétistes,exposés aux railleries et aux persécutions, n'ont pas attendu lespériodes grecque ou perse pour s'exhaler en plaintes amères, et ilpeut s'en trouver dans le Psautier comme chez Jérémie ou dansd'autres ouvrages antérieurs à l'exil. Une explication plus récente a été fournie qui fait l'objet devifs débats. Elle transpose le problème du point de vue moral audomaine des superstitions populaires. Le mot avèn, traduitordinairement par méchanceté ou malice et mis en parallèle avec rechaïm =les méchants ou impies, est interprété dans le sens desortilège, pouvoir magique; l'expression poalé-avèn (=ouvriersde méchanceté) désignerait ceux qui se livrent aux pratiquesmagiques. Comme dans plusieurs psaumes babyloniens, avec lesquels onles compare, les lamentations individuelles exprimeraient lesplaintes de malheureux exposés aux entreprises et aux représaillesdes sorciers ou d'ennemis particuliers, usant contre eux d'un pouvoirmagique par les incantations ou par les gestes rituels. Ces plaintesauraient pour complément nécessaire les rites de purification; ellesauraient été prononcées en vue d'obtenir par la purification ladélivrance de l'ensorcellement. Voir Prière, I Notons que dans cette hypothèse les psaumes envisagés devraientêtre reportés à une assez haute antiquité, à une époque où le mondereligieux était encore dominé par les superstitions de la religionpopulaire et où le sacerdoce ne craignait pas de prêter son concoursà des pratiques d'exorcisme. De fait, l'opinion se répand de plus enplus qu'en Israël comme ailleurs le rite est primitif, qu'il aprécédé les conceptions morales introduites ou appuyées spécialementpar le prophétisme, et que certaines cérémonies rituelles fourniespar le Pentateuque offrent un cachet d'archaïsme inobservé jusqu'ici. Cela dit, on ne peut nier que certains psaumes, en particulierles psaumes de malédictions, présentent quelque analogie avec lesformules magiques. (cf. Ps 140:10-12 109:6-16 83:14-18)Toutefois des malédictions du même genre se lisent assez souvent aucours de psaumes où elles n'ont aucun caractère rituel (cf. Ps79:12 125:5 137:8 et suivant) et voisinent avec des appels directsà la délivrance de Dieu. Ce sont plutôt les cris d'une âme tourmentéeet qui se plaint d'être aux prises avec la calomnie ou l'injustice.Le mot avèn est trop souvent en parallélisme avec chèqèr =mensonge, mirmah =fraude, khamas =violence, toutesexpressions de l'ordre moral, pour qu'on soit autorisé à lui donnerpartout un sens magique. Dans bien des cas avèn désigne des actescoupables formellement mentionnés dans le psaume ou qui en ressortentclairement et qui n'ont rien à voir avec les sortilèges. Quant auxrites purificateurs destinés à détourner l'action magique, il n'y estfait aucune allusion. Ici encore, il serait vain de chercher uneclef, une explication globale, d'où s'évaderaient trop de casparticuliers.Date des diverses collections. Les investigations quant à la date des psaumes sont donc libres detout a priori . Seulement, nos observations précédentes nousengagent à procéder par collections, à rechercher pour chacuned'entre elles ses origines et la date de sa clôture, plutôt qu'àsuivre chaque nom d'auteur à travers tout le Psautier. De fait,chaque collection est assez facile à délimiter et porte son cachetspécial. Des rapprochements peuvent cependant s'opérer entreplusieurs d'entre elles, en particulier entre la 1re collection deDavid (liv. I) et la 2 e (Ps 51 à 72). Ces deux collectionsoffrent de telles ressemblances de style et de pensée qu'il estdifficile de les étudier séparément. Elles présentent ensemble tousles psaumes pourvus d'une notice historique relative à la vie deDavid, à l'exception d'une seule qui se trouve en tête du Ps 142de la 3 e collection, mais doit y avoir été ajoutée postérieurement(cf. l'expression récente biheïôtô =quand il était...dans lacaverne) et paraît provenir de l'analogie entre ce psaume et le Ps57 (quand il s'enfuit loin de Saül dans la caverne). La seuledifférence à noter, c'est le caractère élohistique de la 2 ecollection. On peut en conclure qu'elle faisait primitivement suite àla 1re et ne formait qu'un seul recueil terminé par la notice: «Findes prières de David» (Ps 72:20). Le rédacteur élohiste l'auraséparée de la 1re pour la faire entrer dans son recueil, où elle estmalencontreusement placée entre le I er psaume d'Asaph (50) et lasuite de la collection d'Asaph (Ps 73 SS). S'il en est ainsi, iln'y a qu'avantage à reconstituer ce recueil de David pour en faireune étude spéciale. Le recueil de David qui forme le noyau primitif du Psautierdébute avec le Ps 3, les Ps 1 et Ps 2 servant depréface à l'ouvrage tout entier, ou tout au moins aux trois premierslivres, qui semblent se distinguer assez nettement des deux derniers.Peut-on faire remonter les débuts de ce recueil à l'époque du roiDavid? Aucune objection de principe ne l'interdit. Bien descritiques, qui l'admettent, ne diffèrent que par le nombre plus oumoins étendu de psaumes considérés par eux comme davidiques. Si l'onétudie les 12 psaumes avec notices biographiques, on se convainc quela plupart sont anciens et assez bien adaptés à la vie de David, à sasituation et à l'état d'âme que lui assignent les sources del'histoire sainte. Cependant plusieurs se rapporteraient mieux à uneautre période de l'histoire de David qu'à celle fournie par la notice(Ps 3 ne paraît pas inspiré par la révolte d'Absalom, mais parune invasion étrangère; Ps 34 ne fait aucune allusion austratagème de David contrefaisant l'insensé à la cour d'Abimélec).Dans l'ensemble du recueil, bien des psaumes se présentent avec lemême cachet d'antiquité et s'adaptent sans effort au règne de David. De cette disparité entre les notices et le contenu des psaumes onpourrait donner l'explication suivante. Il aurait existé à l'origineune biographie de David faite à la fois de récits et de poèmes. Lorsde la formation du recueil de psaumes davidiques, ces poèmes auraientété empruntés à la biographie et dispersés sans ordre chronologiquedans le recueil, les récits étant réduits à de sommaires indications.Dans la biographie primitive, le rédacteur avait utilisé ces poèmesattribués à David par la tradition, et quelques erreurs se seraientglissées dans son choix; mais d'une manière générale, comme dans lereste du recueil, ces poèmes nous donnent par leur style et leursnotions religieuses une image assez juste de la poésie davidique. Il faut remarquer seulement que plusieurs psaumes contrel'authenticité desquels aucune objection grave ne peut être élevée,ne sont pas nécessairement pour cette raison l'oeuvre personnelle duroi David. C'est le cas par exemple pour le Ps 18, identique aucantique de David (2Sa 22). En outre, quelques-uns des psaumesles plus anciens ont subi des modifications et des adjonctions, quirendent difficile la reconstitution du texte primitif. Enfin despsaumes davidiques ont passé dans d'autres recueils: le Ps 110,dont le noyau est formé d'un oracle adressé à David, a passé dans unecollection postérieure à la faveur d'une interprétation messianiqueet a subi des adjonctions; le Ps 132, relatant le transfert del'arche à Jérusalem, a passé dans la collection des Mahaloth. L'ensemble du recueil présente une masse intéressante de psaumesà caractère archaïque prononcé, où Dieu est présenté comme donnant àun roi la victoire sur ses ennemis, où abondent les allusions à desguerres contre les peuplades voisines d'Israël, dont le rôle a étébien réduit dans la suite, et où se remarquent des théophanies queleur genre assigne sans conteste au yahvisme primitif. Mais à côté du noyau central, qui reflète le langage et les idéesde l'antique hébraïsme, le recueil renferme des psaumes dirigéscontre l'idolâtrie ou contre la corruption des moeurs, qui se placentdans la période prophétique (14-17), des psaumes du temps d'Ézéchias(65-68), toute la série des psaumes dits de Jérémie, qui sontinspirés par les souffrances de ce prophète ou de quelque autreprophète persécuté, et qui se distinguent par le styledeutéronomique (Ps 29,Ps 31,Ps 35,Ps 40,Ps 69 Ps 70 Ps 71). Ce recueiln'a donc pas été clos avant la ruine de Jérusalem, mais ne paraîtrien renfermer d'important qui lui soit postérieur. Les psaumes des Fils de Coré sont également divisés dans le texteactuel en deux collections (Ps 42-49 et Ps 84-89). Dans la 1 re, leplus ancien paraît être le Ps 45, qui célèbre le mariage deSalomon avec une princesse phénicienne. Si les deux psaumes portantle nom de Salomon ne remontent pas jusqu'à lui, en revanche le Ps45 ne peut se rapporter qu'à ce roi. Les Ps 42 et Ps 43(un seul poème) sont l'oeuvre d'un lévite emmené en captivité dans larégion de l'Hermon, à une époque où le temple était dans toute sasplendeur et le clergé puissant, mais où Israël avait subi unedéfaite de la part des Araméens (probablement vers 810, 2Ro 12).Les autres psaumes (dont le 46, qui a inspiré le cantique de Luther)reflètent le temps d'Ézéchias. Dans la 2 e collection, le 84 offreles plus grandes ressemblances avec les 42 et 43 et pourrait avoir lemême auteur, ce lévite du temps de Joas qui, après avoir gémi sur laterre étrangère, se réjouit de fouler à nouveau les parvis (verset 3:«Mon âme avait langui...»). Le 87 s'associe aux conceptionsprophétiques du VIII e siècle, selon lesquelles Jérusalem deviendrala métropole religieuse du monde, les 88 et 89 s'appliquent à laruine de Jérusalem, les 85 et 86 remercient Dieu pour le retour del'exil. Dans l'ensemble, les psaumes des Fils de Coré offrent uncaractère moins populaire que ceux de David, et plus sacerdotal;c'est bien un recueil fait par des lévites, les sentiments y sontplus profonds et les pensées plus élevées. Il n'a été clos qu'autemps de la restauration. Les psaumes d'Asaph (Ps 50,Ps 73 à 83) forment unetransition au genre des psaumes post-exiliques. Plusieurs, dont lestyle est de la bonne époque, se rapportent à la périodeassyrienne (Ps 83), reproduisent les reproches d'Ésaïe dans sonchap. I er (Ps 50, Ps 82), célèbrent la délivrance de Jérusalemau temps d'Ézéchias (Ps 75 Ps 76) à peu près comme les Ps46 Ps 47 Ps 48 de Coré et Ps 65-67 de David. Mais une époque postérieureest indiquée par le Ps 73 et par les lamentations sur la ruinede Jérusalem (Ps 74,Ps 77,Ps 79). Les psaumes appelés théocratiques (Ps 90-100) peuvent se diviseren deux groupes: Ps 90-92 qui réclament la délivrance de Dieu (Ps90:13: «Jusques à quand, Seigneur?»), et Ps 93-100 qui célèbrent lerègne de Dieu et sa victoire. Seul le Ps 94, appel au Dieu desvengeances, offre un caractère assez différent. La 3 e collection de David (Ps 101-103, Ps 108-110, Ps138-145) semble avoir été intentionnellement dispersée dans cettepartie du recueil pour justifier l'appellation de Psaumes de Daviddonnée par la tradition à l'ensemble du Psautier. Mais, si l'on ysent une utilisation des psaumes davidiques, aucun d'eux ne peut êtreantérieur à l'exil sous sa forme actuelle, et ils offrent desrapports indéniables avec leur contexte. Le Ps 101 débute commeles psaumes théocratiques qui le précèdent, et le Ps 103 commele groupe de psaumes de louanges qui le suit; le Ps 102(anonyme) exprime les mêmes pensées que le Ps 90 (prière deMoïse). Tous trois sont d'ailleurs dans la note théocratique etaffirment que Yahvé règne (Ps 102:13 103:19). Les Ps 138-145sont essentiellement des psaumes d'imitation. Il faut excepter letrès beau Ps 139, où l'auteur s'élève jusqu'à la notion de latoute-présence de Dieu. Les Mahaloth constituent une collection d'une assez grande valeurlittéraire et religieuse. Les allusions au retour de la captivité, àla reconstruction des remparts et des palais (Ps 122:3-7) noustransportent à l'époque de Néhémie (Ne 6:15). Les psaumes de louanges, divisés en plusieurs groupes, nedevaient aussi former qu'un seul recueil, le plus récent. La coupureentre les livres IV et V est si artificielle qu'elle sépare deuxpsaumes de louanges appartenant au 1 er groupe (Ps 106 et Ps107). Malgré l'uniformité de l'exclamation Halelou-Yah, ilsappartiennent à des genres assez différents et sont d'une valeurreligieuse très inégale. (le Ps 107 est d'une grande beauté; lesderniers psaumes sont parmi les plus faibles: tout y est sacrifié àl'usage liturgique et à l'idéal sacerdotal)Clôture du Psautier. La date à fixer pour la clôture des dernières collections et del'ensemble du Psautier est sujette à controverse. La préface duPsautier (Ps 1 et Ps 2), composée de deux psaumes àcaractère davidique interprétés dans le sens messianique, et lesdoxologies ajoutées lors de la division en cinq livres, semblentindiquer une époque antérieure aux grandes épreuves des périodesgrecque et romaine. Cependant bien des critiques en trouvent deséchos dans certaines portions du Psautier. La controverse porte surun assez grand nombre de psaumes qui reflètent les préoccupationsexclusivement ecclésiastiques d'une époque très récente (dernierlivre) et sur plusieurs psaumes appartenant à la 2 e partie duPsautier qui exposeraient les souffrances d'Israël durant la périodemacchabéenne. La persécution d'Antiochus Épiphane (voir art.) auraitinspiré particulièrement les Ps 44,Ps 60,Ps 74,Ps 79,Ps 83. Remarquons-le d'emblée, le Psautier s'étant formé graduellement,il serait surprenant que la collection d'Asaph eût été déjà rangéedans la 2 e division, si elle n'avait été close qu'à cette époquetardive. Sans doute, il se pourrait que des psaumes plus ancienseussent été remaniés à l'époque macchabéenne pour les adapter auxcirconstances spéciales et à l'état d'âme des Israélites persécutés.Toutefois, il ne paraît pas qu'il en soit ainsi, ces psaumess'expliquant fort bien par les désastres militaires et la ruine duroyaume de Juda, tandis qu'il n'y est fait aucune allusion certaineaux événements caractéristiques de l'époque macchabéenne, auxfunestes dissensions des Juifs, au culte idolâtrique et à lacivilisation que les Grecs prétendaient leur imposer. On constate enoutre que ces psaumes appartiennent pour la plupart à la catégoriedes psaumes élohistes; or, le Ps 108 étant une compilation dedeux psaumes élohistes, il en résulte que ces derniers sontnécessairement plus anciens. Au reste, l'hébreu de la secondedivision du Psautier n'indique nullement une période de décadencelittéraire. En réalité, la question ne peut être tranchée que par desarguments empruntés à l'histoire du texte et du canon de l'A.T.L'auteur du livre des Chroniques, qui vivait vers l'époqued'Alexandre le Grand, a dû connaître le Psautier sous sa formeactuelle. Il a inséré, en effet, à la suite du récit du transport del'arche à Jérusalem un cantique qui aurait été chanté par «Asaph etses frères» dans cette circonstance (1Ch 16:8,36). Ce cantiqueest en réalité une compilation de morceaux empruntés à des psaumes dela 3 e division (Ps 105:1,15 Ps 96 106:1,47), preuve que cespsaumes étaient relativement anciens à son époque. En outre cecantique se termine par la doxologie du livre IV, d'où il résulte quele Psautier était déjà muni de ses doxologies et divisé en cinqlivres. Le chroniqueur cite plus loin deux psaumes du dernier livre;dans 2Ch 6:40,42, il mêle à la prière de Salomon des phrasesempruntées aux Ps 130 et Ps 132 (Ps 130:2 et Ps132:8,10). Plusieurs autres livres antérieurs aux Macchabées offrent desallusions aux psaumes les plus récents comme aux plus anciens. Lelivre de Jonas fourmille de citations et offre, en particulier dansla prière de Jonas (Jon 2:3,10), un tissu de réminiscences detrois psaumes récents, appartenant à trois groupes ou recueilsdifférents: Ps 116 (louanges), Ps 120 (Mahaloth), Ps142 (David). Les livres apocryphes Baruch, Tobit, Ecclésiastiquesont dans le même cas. Le I er livre des Macchabées, à propos dumassacre des Juifs par Alcimus et Bacchidès (en l'an 162), cite Ps79:2 et suivant: preuve que ce psaume n'était pas contemporain desévénements. La version des LXX assigne un certain nombre de psaumes,qui dans le texte hébreu sont anonymes, à Jérémie, Aggée, Zacharie;aucun n'est assigné à l'époque macchabéenne. La préface du 2 e livredes Macchabées, qui date de l'an 144, désigne déjà l'ensemble duPsautier sous l'appellation «oeuvres de David». Enfin, les Psaumes deSalomon, qui ne datent guère (d'après les évaluations les plusavancées) que d'une cinquantaine d'années après la périodemacchabéenne, offrent un contraste si frappant avec le Psautier etmarquent un tel progrès sur ses conceptions religieuses qu'il n'estpas permis de passer sous silence un semblable argument. Dans le prologue de l'Ecclésiastique, le traducteur grec del'ouvrage, qui écrivait en Egypte vers l'an 130, assure que son aïeull'avait composé après avoir soigneusement étudié «la loi, lesprophètes et les autres livres nationaux». On doit en conclure queJésus ben-Sirach (écrivant soit en l'an 180, soit plus probablementdéjà en 250) possédait un texte de l'A.T. renfermant les troisparties du canon hébreu. Ce texte était traduit en grec avant 130,preuve qu'il possédait déjà depuis de longues années une grandeautorité dans le monde judéo-alexandrin.Caractère poétique des Psaumes. Les Psaumes présentent en abondance les diverses variétés de lapoésie hébraïque (voir art.). Les règles poétiques anciennes etrécentes qui ont été découvertes ou préconisées trouvent dans lesPsaumes leur application la plus riche et leur justification la plussûre. Nulle part, sauf dans les Proverbes, on ne trouve mieuxdéveloppés les divers genres de parallélisme reconnus jadis comme lefondement de la poésie des Hébreux, en l'absence presque totale de laprosodie classique et de la rime. Mais aussi nulle part on ne trouveune meilleure adaptation du système récemment proposé et qui consisteà scander les vers hébreux selon le nombre de syllabes accentuéescontenues dans chaque hémistiche. Le calcul des brèves et des longuesn'a rien donné, mais le calcul des syllabes toniques paraît aboutir àdes résultats satisfaisants et fournir, au moins pour un grand nombrede psaumes, la solution tant cherchée. Les uns, en effet, présententdes vers à deux membres symétriques: savoir 2 et surtout 3 syllabestoniques dans chaque hémistiche. (ex.: Ps 3) D'autres présententdes vers à deux membres asymétriques: principalement à 3 syllabestoniques pour le I er hémistiche et 2 pour le 2 e; c'est le mode dela complainte. D'autres enfin des vers à trois membres symétriques(ex.: Ps 23, tristiques à 3 syllabes accentuées). Bien despsaumes varient leurs versets ou leurs strophes suivant ces diversmodes (ex.: Ps 121,5:1 [3 + 3], v. 2 [3 + 3], v. 3 [3 + 2], v. 4[3 + 2], etc.). On le voit, les vers asymétriques ne sont pasexclusivement réservés au mode élégiaque; toutefois leur place dansle Psautier se justifie par les plaintes que tant de psalmistes fontmonter vers Dieu. Au reste, l'inspiration poétique des Hébreux usaitde trop de liberté pour s'astreindre à l'application rigoureuse d'unsystème. A noter encore les strophes à refrains, qui donnent si nobleallure à plusieurs des plus beaux psaumes (Ps 42 Ps 43,Ps 107,voir aussi Ps 46,Ps 49,Ps 57,Ps 80), et la structurealphabétique (acrostiche), qui est celle, plus ou moins déformée, de8 ou 9 psaumes (Ps 9 et Ps 10,Ps 25,Ps 34,Ps 37,Ps 111,Ps112,Ps 119,Ps 145); ce dernier mode de composition, qui se retrouvedans d'autres littératures anciennes, ne saurait être un indice d'unedate tardive (voir Alphabétique [poème]). Quant à la valeur poétique des psaumes, elle est diversementappréciée. Les uns dénient aux Hébreux un tempérament poétique, quisemble pourtant l'apanage des peuples orientaux. Ces poèmes leurparaissent trop dépourvus d'envolées imaginatives ou encore troppauvres en descriptions de la nature pour supporter la comparaisonavec la poésie grecque et latine. D'autres situent la valeur despsaumes dans la profondeur des sentiments exprimés et dansl'élévation de la pensée, qui souvent touche au sublime. On faitseulement remarquer le petit nombre des sujets abordés et lamonotonie des plaintes toujours les mêmes qui se succèdent d'unpsaume à l'autre. En réalité les psaumes sont le reflet trèsauthentique de l'état d'âme de l'Israélite, toujours épris de libertéet de justice, gémissant sous l'oppression, implorant de l'Éternelune délivrance que sa faiblesse et ses principes lui interdisent derechercher par lui-même, ployé sous l'adoration d'un Dieu souverainqui tient en ses mains la destinée des hommes et des nations, lesyeux tournés vers le ciel, ouvrage du Créateur, vers cette «porte descieux» d'où descendra avec le Messie la révélation de tous lesmystères. N'y a-t-il pas dans ces aspirations du coeur et dans cetteattitude spirituelle un fonds poétique auquel sont sensibles toutesles âmes qui unissent la poésie et l'idéal?La piété des psalmistes. Les Psaumes reflètent aussi la pensée hébraïque dans sa complexité etdans son évolution. La religion populaire y domine dans les premierslivres et la religion sacerdotale dans les derniers. Les conceptionsmorales du vieil hébraïsme n'y sont nulle part dépassées et lesvisions apocalyptiques n'y ont pas encore leur place. L'évolutions'arrête au seuil du judaïsme pharisaïque et Sadducéen. Voir aussiPsalmistes [message des]. Le Yahvé des psalmistes, comme de la religion populaire, estavant tout le Dieu libérateur, dont les délivrances se marquent pardes prodiges et dont «l'ange campe autour de ceux qui le craignent»;le Dieu miséricordieux, qui «prête l'oreille» aux gémissements de sesfidèles; le Dieu juste, qui fait «droit et justice» aux opprimés deson peuple et auquel l'innocent n'a jamais recours en vain. Lespsaumes dits «pénitentiaux» expriment en termes inégalables leprofond repentir de l'homme et le pardon de Dieu, à l'occasion d'unefaute grave (Ps 32, Ps 51 etc.); mais le psalmiste distinguenettement entre les méchants (ou impies) à qui Dieu réserve sacolère, qu'il disperse «par le souffle de sa bouche», et les justes àqui il accorde sa grâce (sa faveur), vers lesquels il «tourne saface». De là la confiance absolue du juste (du hasid, hommepieux) en la faveur constante de l'Éternel (voir Hasidim). Avec le yahvisme primitif, les psaumes nous offrent aussi l'échode la prédication prophétique à son apogée: l'absolue souveraineté deDieu, sa royauté (Yahvé, le roi de gloire: Ps 24), son triomphesur les ennemis d'Israël, l'inviolabilité de Sion, la montagnesainte. C'est ensuite le Dieu créateur (Ps 8,Ps 19,Ps 104),omniscient ou omniprésent (Ps 139), le Dieu unique dont le règneva faire disparaître le culte des idoles. Les épreuves de l'exilinspirent aux psalmistes des pensées nouvelles d'humiliation, posentdevant eux le grand problème de la destinée du peuple élu et du plandivin, comme aussi le problème de la justice de Dieu. Le principehébraïque de la rémunération s'ébranle, et le Ps 73 expose letrouble où le malheur des justes, contrastant avec la prospérité desméchants, jette les âmes jusque-là confiantes. La liaison s'établitentre les psaumes et le livre de Job. La conclusion est la même: Dieuseul possède la sagesse, l'homme ne saurait percer les mystèresdivins, la seule voie qui subsiste est celle de la foi. Mais des perspectives nouvelles sont ouvertes en Israël: Jobréfléchit à la destinée future de l'âme humaine, il entrevoit lapossibilité pour elle de sortir du Cheol (voir ce mot), àl'expiration d'un terme fixé par Dieu (Job 14:13 et suivants),et c'est l'aube qui se lève sur la conception de l'immortalité. Aucunpsaume ne paraît présenter cette espérance d'une résurrection del'âme; mais au moins deux d'entre eux nous révèlent le secret espoirqui soutenait quelques hommes de Dieu, l'espérance d'obtenir à leurtour le privilège qui fut celui d'un Hénoc, d'un Moïse et d'un Élie.De même que Hénoc «ne fut plus parce que Dieu le prit » (hébreu lâqakh), l'auteur du Ps 49 (verset 16: Seulement Dieurachètera mon âme de l'emprise du Cheol, car il me prendra) etcelui du Ps 73 (verset 23: Je serai toujours avec toi, tu m'assaisi par la droite, tu me conduis par ton conseil, après quoi tu me prendras en gloire) emploient le même terme pour exprimerl'espoir d'obtenir le même sort. Ceux que Dieu a «saisis» échappentau Cheol; il les «prend» auprès de lui. Cette récompense accordée auxhommes de Dieu dont l'histoire fait mention peut se renouveler pourquelques privilégiés. Mais à cette conception du psalmiste, lejudaïsme a substitué celle de la résurrection des corps. L'espérance messianique trouve enfin dans le Psautier sonexpression la plus fervente. Les psaumes messianiques sont répartisdans les diverses collections; ils appartiennent à tous les temps età tous les milieux. La foi populaire a saisi, comme une ancre desalut, la promesse d'une alliance éternelle faite à David et à sadynastie; elle a vu, dans cette immutabilité du trône de David, lasauvegarde de Jérusalem et la perspective d'un avenir glorieux pourle peuple élu. Ni l'infidélité de ses rois, ni les désastresnationaux, ni les épreuves de l'exil n'ont pu ébranler cette foi, quise retrouve identique dans les psaumes les plus récents. Leparallélisme est frappant avec les développements donnés par lesprophètes à l'espérance messianique. Les psalmistes appliquent auMessie futur, qui rétablira le trône de David, les prédictionsprophétiques du VIII e siècle. Le Ps 2 est un écho de laprédication d'Ésaïe: «J'ai établi mon roi sur Sion, ma montagnesainte. L'Éternel a dit: Tu es mon fils!» (Ps 2:6). Le Messieexercera, au nom de l'Éternel, comme fils du roi des cieux, ladomination sur Israël, et prononcera le jugement des nations; ilétendra son règne jusqu'aux extrémités de la terre. Plus tard, lePs 110, en accord avec la prophétie de Zacharie, ajoute à laroyauté glorieuse du Messie la prérogative d'un sacerdoce perpétuel. Mais plus encore que dans cette espérance d'une gloire futureJésus s'est retrouvé dans bien des traits où les psalmistes ontdécrit les souffrances des justes et leur inébranlable fidélité. Afinque fût accompli ce qui est annoncé dans les prophètes et dans lespsaumes (Lu 24:44), Jésus a fait passer dans sa vie et dans samort les expériences des psalmistes opprimés, comme les douleurs duServiteur de l'Éternel dépeintes dans l'hymne immortel d'Ésaïe 53. Lascène de la crucifixion relate plusieurs faits, dont l'équivalentfigure dans le Psautier, spécialement au Ps 22:9,18,19.Sur la croix, Ps 22:2 et Ps 31:6 ont inspiré au Sauveurdeux de ses sept paroles; son cri d'angoisse devant l'abandon de Dieuet l'ultime appel par lequel il a remis son esprit entre les mains deson Père. Par là se justifie la prédilection des chrétiens de tousles temps pour ces chants d'Israël, devenus le principal livre decantiques de l'Église. Ed. B.