PROPHÈTE 8.
VIII Comment Jésus a accompli les prophètes. Le caractère original, l'inspiration essentielle del'enseignement des prophètes, par rapport aux doctrines desphilosophes et des initiateurs religieux du monde païen, c'est queleur morale est avant tout sociale. L'idéal de vie humaine qu'ilsprêchent n'est pas en fonction de l'individu seulement, mais enfonction d'un milieu. La loi de Moïse s'adresse non à l'Israélite,mais à Israël: «Ecoute, Israël. » Si l'Hébreu doit se courber sousle commandement de Jéhovah, s'il doit être pieux et moral, c'est afinque son Dieu satisfait de lui puisse bénir la nation dont il est undes membres et la conduire vers sa glorieuse destinée. Le butpoursuivi par l'action divine et par le ministère des hommes de Dieuest de constituer au sein de la masse humaine, ignorante etpervertie, un milieu social où la vérité soit connue, où le vrai Dieusoit adoré, où sa loi soit obéie, et qui puisse, par ses moeurs etpar sa foi, devenir l'embryon du Royaume de Dieu parmi les hommes. Quand la royauté israélite et le sacerdoce eurent trahi lavolonté de Jéhovah et ramené le peuple aux errements moraux etcultuels des autres nations, les prophètes proclamèrent la déchéancedes royaumes d'Israël et de Juda, ils annoncèrent qu'un reste seulement serait sauvé, et que l'envoyé de Dieu, un Emmanuel (Esa7-12), un Messie dont la venue coïnciderait avec un évangile degrâce (Esa 61) et une nouvelle effusion de l'Esprit (Joe 2)fonderait par une alliance nouvelle (Jer 31) un nouvel Israël,purifié, sanctifié, au sein duquel l'humanité, en quête de sonorigine divine, verrait enfin des créatures en qui serait rétabliel'image du créateur. C'est ce nouveau milieu idéal, régénéré, que lesprophètes à partir du VIII e siècle dépeignent sous les images lesplus diverses, depuis Osée qui esquisse l'ère messianique (Os14:4,8), Abdias qui parle de la montagne sainte où «la royautéappartiendra à Jéhovah» (Ab 1:15), jusqu'au livre de Daniel oùon lit: «Les saints du Très-Haut recevront le royaume, ilsposséderont le royaume à jamais, d'éternité en éternité» (Da 7). Les fervents jéhovistes crurent que le retour de l'Exil marquaitl'inauguration de ce royaume. La sélection qui venait de s'opérer àce moment-là parmi les exilés, l'ardeur réformatrice des fondateursdu judaïsme purent d'abord le faire croire, mais l'illusion, pour lesclairvoyants, fut de courte durée. Il est aisé de voir par laprédication de Jean-Baptiste que la nation juive, quand Jésus parut,était, à sa manière, revenue à l'endurcissement que manifestaitIsraël au temps des anciens prophètes. Le Royaume de Dieu étaitencore à fonder. Pour la troisième fois, après Moïse, après les prophètes, Jésusreprend la tâche. Il confirme le ministère de Jean-Baptiste; commelui, il prêche la repentance et le baptême. Il prêche la venue duRoyaume et s'affirme comme le Messie. En guérissant les malades, ilse manifeste le chef divin d'un nouveau milieu social où Dieu règne.En chassant les démons, il démontre que le Royaume de Dieu «s'estapproché» (Lu 10:9), que le pouvoir de Satan, qu'il a vaincudans sa vie morale et démasqué dans sa prédication publique, estdésormais dominé par une autre puissance venue d'en haut. Dans sonespoir de rassembler les enfants d'Israël «comme une poule rassembleses poussins sous ses ailes» (Mt 23:37), Jésus s'est écrié: Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair (Lu 10:18). Hélas, ce n'est pas jusqu'en enfer que Satan a été précipité; ila été retenu sur la terre. Il a ameuté contre Jésus non seulement lespervers et les incrédules, les grands et le sacerdoce, mais même lespharisiens, les fervents de la Thora dont Jésus avait escomptél'appui: En ne se faisant pas baptiser par Jean, ils ont annulé le desseinde Dieu à leur égard (Lu 7:30). Puisque l'Israël selon la chair se dérobe--«vous ne l'avez pasvoulu!» (Mt 23:37) --, Jésus entre résolument dans la voiecrucifiante et fonde l'Israël selon l'Esprit. Il choisit pour celases douze apôtres. Cette compagnie des Douze, en qui Jésus crée lapremière cellule du Royaume de Dieu, est à ses yeux le véritable«reste», le «faible reste» qu'avaient entrevu les prophètes (Esa10 et 1,Jer 33:3,6, etc.). Il met ces Douze à part; il lesconsacre dans son sermon sur la montagne (voir art.), dont la loi,impraticable à la lettre pour l'individu isolé dans le monde hostileà Dieu (Mt 5), est toute conçue en vue d'un milieu spécial, dunouvel Israël qui réalisera, qui réalise déjà maintenant dans lapersonne des apôtres le Royaume de Dieu sur la terre. C'est parce queJésus voit dans le collège des apôtres auxquels bientôt se joint uncercle intime, le «reste» sauvé, régénéré, en qui Dieu vientd'établir son règne sur la terre, qu'il répond à Jean-Baptiste quel'activité du Royaume de Dieu ici-bas a déjà commencé et qu'il portedéjà ses fruits (Mt 11). C'est aussi pour cela qu'il répond auxpharisiens qui lui demandent quand viendra le Royaume de Dieu: «LeRoyaume de Dieu est au milieu de vous» (Lu 17:20). A mesurequ'approche l'heure rédemptrice qui permettra l'extension du Royaumepar l'effusion de l'Esprit, Jésus se consacre toujours plus auxentretiens intimes avec ses disciples. Il les isole, il les éclaire,il leur explique «le mystère du Royaume de Dieu» (Mr 4:10,34 Mt13:10,Lu 8:9, cf. Lu 6:20 9:18 16:1,Mr 7:24-31 8:27, etc.). Ledernier soir, il les unit dans la sainte Cène; ressuscité, il en faitles missionnaires du monde. Allez! Enseignez toutes les nations (Mt 28:19). Notre Père qui es aux cieux, que ton règne vienne! (Mt 6) Après avoir montré comment Jésus est resté fidèle au prophétismedans la façon dont il a conçu et réalisé la fondation de son Royaume,il reste à indiquer avec quelle sûreté l'intuition inspirée desprophètes les avait amenés à entrevoir et à caractériser en desprédictions éparses le chemin par lequel le Messie à venir devaitpasser pour établir son Royaume parmi les hommes. Comme il traversait Jérico pour la dernière fois, Jésus a dit àses disciples: Voici, nous montons à Jérusalem. Eh bien! toutes les choses quiont été écrites par les prophètes au sujet du Fils de l'homme vontrecevoir leur accomplissement (Lu 18:31). Sur le chemin d'Emmaüs, il reproche à deux disciples qu'il venaitd'aborder d'avoir: -un coeur lent à croire tout ce que les prophètes ont dit! Puis,commençant par Moïse et continuant par tous les prophètes, il leurexpliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait (Lu24:25-27). Ainsi Jésus a eu le clair sentiment d'être venu en ce monde pourservir d'aboutissement à la prophétie messianique. «Je suis venu,a-t-il dit, accomplir les prophètes» (Mt 5:17). L'a-t-ilfait? Que signifie le mot «accomplir»? Dans Plutarque: réaliser Dans Hérodote: porter à la perfection. Dans Aristote: féconder. Examinons ce triple sens. Comme un prisme triangulairedécompose le rayon du soleil, le mot «accomplir», avec son triplesens, va nous permettre de voir comment Jésus a exaucé la prophétiemessianique. 1° «Je suis venu réaliser les prophètes.» Jésus a-t-il été le prophète incarnant dans sa personne lescaractères que ses précurseurs lui avaient à l'avance attribués? Oui. De la première page de la Bible hébraïque, annonçant que«la postérité de la femme écraserait la tête du serpent» (Ge 3:15, cf. Lu 10:18), jusqu'au dernier oracle annonçant à Jérusalem: «Voici ton Roi qui vient à toi » (Zac 9:9,Jn 12:15),tous les traits marqués par les prophètes: Pacificateur portant le sceptre de Juda (Ge 49:10,Lu 19:42,Mt 5:9), Successeur de Moïse (De 18:15,Jn 14:5 5:46), Fils de David au trône éternel (2Sa 7:16,Mr 11:10), Emmanuel (Esa 7:14,Mt 1:23). Prince de la Paix (Esa 9:5,Lu 1:79 2:14 19:42,Jn 16:33), Enfant de Bethléhem (Mic 5:1,Lu 2:4-7), Germe de justice (Jer 23:5 et suivant, Mt 5:6,16,20), bon Berger (Eze 34:23 et suivant, Jn 10:1,16), Messie porteur de l'Évangile (Esa 61:1,Jn 4:25,Mr 1:14). Homme de douleur (Esa 53:3 et suivant, Mt 20:28,Lu 24:26), Soleil de justice apportant la guérison dans ses rayons (Mal 4:2,Lu 1:78 Mt 11:5), Roi humble monté sur le poulain d'une ânesse (Za 9:9,Mr 11:7), Dieu au milieu d'Israël, répandant son Esprit sur toute chair , (cf. Joe 2:28,29,Jn 14:16,Mt 28:19) Pierre lancée d'en haut, sans le secours d'aucune main, et renversant la puissance des empires du paganisme , (cf. Da 2:34,Lu 20:18) Fils de l'homme au règne impérissable (Da 7:14,Mr 13:26,Lu 1:33), Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde (Jn 1:29-37 Esa 53:7),
ont été accomplis à la lettre dans l'apparition du Fils de Dieu surla terre. Ces caractères, et bien d'autres encore, donnant à l'avance laphysionomie du Christ, nous mettent en présence d'un phénomène sansanalogue dans la littérature des hommes; phénomène que les loisordinaires de l'histoire n'expliquent pas, mais dans lequel onretrouve la marque du dessein de Dieu dans l'évolution de la penséed'Israël et la preuve de l'inspiration de l'A.T. 2° «Je suis venu porter à la perfection les prophètes.» Nourri des saints livres depuis son enfance, Jésus, engrandissant, s'est pénétré de la pensée des prophètes; son âme a étéenflammée par leurs appels, orientée par leurs oracles, et c'est pourentreprendre la carrière du Messie annoncé qu'il se rend au baptêmeoù il reçoit la maîtrise de l'Esprit (Mt 3:13-17,Mr 1:9-11,Lu3:2 et suivant, Jn 1:32-34). Dès l'entrée de son ministère,Jésus déclare qu'il vient apporter un témoignage (Jn 3:1133). Il accepte pour lui le titre de prophète (Jn 3:2,Mt21:11). Il se montre prophète par le discernement miraculeux, le donde seconde vue qu'il possède (Jn 1 et 4) et par son pouvoir surla nature. Il atteste qu'en tant que prophète il est venu reprendre,compléter, fondre en un Evangile, incarner dans sa personnel'enseignement des prophètes et en étendre à l'infini la portée. Etc'est ce qu'il fait. Dans son activité révélatrice, qui n'est pas unenseignement systématique, mais, sous les formes les plus variéesdans ses paroles et dans ses actes, un appel constant à laconscience, Jésus part des principes de Moïse: Dieu est unique,Dieu est vivant, la morale est fondée sur la religion (Ex 20).Puis il confirme les oracles d'Amos, prédicateur de la justice; d'Osée, prédicateur de l'amour; d'Esaïe, prédicateur de la sainteté; de Michée, prédicateur du culte en esprit (Mic6); de Jérémie, qui annonce la nouvelle alliance inscrite dansles coeurs (Jer 31); d'Ezéchiel, prédicateur de la responsabilité individuelle (Eze 18); du second Esaïe,annonciateur des souffrances expiatoires du Messie (Esa 53);du livre de Daniel, révélant la venue du royaume de Dieu (ch. 7) etla récompense céleste des justes (Da 12, cf. Mt 13:43).Jésus ne se contente pas de reprendre les traits épars del'enseignement des prophètes. Il les unit, les complète, les présenteen un Evangile avec autorité. La puissance d'en haut, qui s'emparaitdes prophètes aux heures de révélation, les élevait à une inspirationqui les faisait qualifier de Voyants et d'Hommes de l'Esprit Mais cette inspiration était intermittente, emportée, inégale. Ilsentrevoyaient les oracles de Jéhovah. C'est assez de les lire pour serendre compte du caractère partiel de leur révélation: Esaïe prêcheEmmanuel et la victoire finale du Messie, mais il ne voit pas leMessie souffrant, rédempteur; son regard sur l'histoire ne porte pasau delà de la destruction de l'Assyrie; Jérémie annonce la nouvellealliance, celle du coeur, mais il ne parle pas de l'expiationnécessaire et s'arrête moins à la personne du Messie qu'à l'oeuvremessianique elle-même; Ezéchiel conditionne la venue du règnemessianique par l'organisation rituelle; Zacharie croit que le Messieest Zorobabel; le 2 e Esaïe arrive avec peine à individualiser leServiteur souffrant et ne parle pas de l'effusion de l'Esprit; Joeannonce que l'Esprit sera répandu sur toute chair, mais il passe soussilence l'oeuvre rédemptrice qui permettra la Pentecôte, etc. Ainsi, chaque prophète apporte, si j'ose dire, une couleur dusoleil, mais aucun la lumière intégrale; Jésus seul la réunit en unfaisceau. Les prophètes, déterminés par le temps et l'espace, nevoient que les vérités perceptibles sur leur chemin; Jésus, qui vientde Dieu, est au carrefour de tous -les chemins; il en voit l'harmonieet l'aboutissement. Les autres avaient des visions sur Dieu, lui a lavision de Dieu: de là la plénitude et l'autorité de son verbe. Lesautres apportaient des messages partiels et des révélationsrelatives; toujours maître de lui et sûr de sa parole, Jésus déclare:«Nu! ne connaît le Père que le Fils, et celui à qui le Fils veut lerévéler» (Mt 11:27); comme Fils unique du Père, il surpasse lesautres prophètes de toute son autorité divine: «Moïse et les anciensont dit...; mais moi, je vous dis...» (Mt 5). Ce qui fait lasouveraine et définitive maîtrise de son message évangélique, c'estque cet Evangile embrasse tout l'ensemble des dispensations du Dieude qui, lui-même, il procède. Mais Jésus fait plus que porter à sa perfection l'enseignementprophétique: il l'incarne, il le démontre, il le montre réalisé danssa propre vie. Certes, les prophètes d'Israël ont dominé leursiècle, mais l'oracle qu'ils apportaient les a, à son tour,dominés. Leur personnalité en était subjuguée, non transformée. Laforce divine qui était en eux les conduisait plutôt qu'elle ne lespénétrait. Ils étaient les hommes de l'Esprit, non des hommesspirituels. Les actes étranges accomplis par Osée, par Esaïe, lescontradictions de l'âme de Jérémie, les maladies, les découragements,les mutismes extatiques du visionnaire Ezéchiel, les mouvements deviolence que nous relevons chez d'autres et l'intermittence de leuraction, nous montrent assez que les prophètes étaient, comme ditJacques, «des hommes de la même nature que nous». Le fait que l'A.T,n'a gardé de la plupart d'entre eux que les discours et non les actesprouve qu'ils se distinguèrent de leurs contemporains et agirent sureux davantage par l'inspiration de leur parole que par l'ascendant deleur vie. Le cas de Jésus est tout autre. Il n'est pas seulement, à lasuite des prophètes et plus haut que les prophètes, l'annonciateur demessages révélés: il se présente lui-même comme une révélationcontinue. Les autres étaient mus par l'Esprit; lui, il estl'Esprit (2Co 3:17). Les autres étaient les hommes de Dieu; lui,il est l'Homme-Dieu. Sa personne est l'expression parfaite del'enseignement prophétique porté à sa perfection; et parce que cettepersonne sainte est l'expression parfaite de la filialité par rapportà Dieu, Jésus prophète révèle tout à la fois ce que doit être l'hommedans sa stature intégrale et ce qu'est Dieu. Ce qu'est Dieu...Envain, les docteurs de la théologie ont essayé de nous représenterDieu en le qualifiant de grands mots: Infini, Eternel, Parfait,Tout-présent, Tout-scient, Tout-puissant, etc., mots qui ne nousrendent Dieu ni intelligible ni sensible parce qu'ils arrivent,froids, de la sphère lointaine de l'absolu, vers nous qui vivons dansla sphère du relatif. Le Dieu qui nous échappe dans son essenceintime, mais qui nous est connaissable par voie morale, nous devientaccessible et objet d'expérience dans la personne de Jésus: «Qui m'avu a vu le Père...Celui qui m'aime sera aimé de mon Père, nousviendrons à lui et nous ferons notre demeure chez lui» (Jn14:9,23). Ainsi, par la communion avec le Christ, l'essence de Dieului-même se communique à la nature humaine pour l'éclairer,l'inspirer, la sauver. Voilà la bonne nouvelle: l'Évangile. Désormais, les prophètes sont exaucés: «Vivre, c'est Christ.» Débordant les besoins de l'âme individuelle et les voeux de lareligion particulariste des Juifs, la parole révélatrice du Christs'étend à la période à venir sur laquelle les prophètes n'avaient pudonner que quelques indications générales. Elle prescrit decommuniquer son Evangile rédempteur à toute créature, dans tousles temps, et fixe les conditions dans lesquelles le règne de Dieus'étendra sur toute la terre. Quand Jésus a achevé de parler, laconscience humaine a achevé d'interroger. Tout est dit. Sousl'effusion de l'Esprit du Christ, la voie est ouverte par le progrèsindéfini vers l'idéal auquel l'humanité aspire: «Dieu tout entous. » C'est ainsi que Jésus, portant à la perfection la révélationdes voyants d'Israël, se manifeste celui en qui les disciplesd'Emmaüs ont salué «le prophète puissant en oeuvres et enparoles» (Lu 24:19). 3° «Je suis venu pour féconder les prophètes»,c'est-à-dire «pour faire porter son fruit à l'oeuvre de mesdevanciers». Comment Jésus a-t-il accompli cette tâche? En reprenant lavocation des prophètes et en la sublimant par une absolue sainteté. Comme les prophètes, en tant que représentant du Dieu de justiceet d'amour, et voulant les hommes pour Dieu, Jésus fait face àl'humanité, il la trouble, il lui reproche sa vie mauvaise, et, aprèsles prophètes, il porte les conséquences de cette attitude héroïque. Comme Moïse, il ordonne, il exhorte, il supplie, il se jette enmédiateur entre son peuple coupable et la colère divine qui menace defrapper. Comme Amos, il parle en justicier, ameute contre lui lesforces conjurées de l'orgueil et de la propre justice et se voitchassé par les chefs attitrés du peuple élu. Comme Jérémie, quivoulait inscrire la nouvelle alliance dans les coeurs, il estméconnu, méprisé, trahi, emprisonné, martyrisé. Mais c'est iciqu'éclate la différence entre l'oeuvre des prophètes et l'oeuvre deJésus-Christ: les voyants d'Israël étaient des médiateurs humains, ettout leur héroïsme n'empêchait pas qu'ils fussent «de la terre» commeles autres hommes et pécheurs au même titre que les foules auxquelless'adressait par eux le Verbe divin. Ils ont réussi par leur fidélitémagnifique à se passer de main en main le flambeau de la vérité et àformer le petit noyau de fidèles qui devait un jour constituer leberceau du Messie; mais leur martyre n'a pu que provoquer, parmi lecercle étroit de leurs disciples, une stimulante pitié. Jésus aucontraire, second Adam, pur de la tare originelle, vainqueur de latentation au désert et rempli de l'Esprit qui lui donnait la maîtrisesur la nature, Jésus s'était mis, par sa sainteté absolue, dans unecondition morale sur laquelle le mal et la mort n'ont plus deprise--car la mort est le salaire du péché. «Je mets devant toi lavie et le bien, la mort et le mal. Choisis la vie...afin que tu soisheureux...dans le pays que Jéhovah, ton Dieu, te donne» (De30:15,19 4:40), avait dit le premier des prophètes. Avons-nous biencompris, dans notre théologie chrétienne, que le bien et la vie sont indissolublement liés et constituent avec le bonheur la trinité spirituelle où s'exprime la personne même de Dieu?J'imagine que si Satan avait compris cela, il n'aurait pas risqué lasuprême partie qui fit monter Jésus au Calvaire. Le Christ, étantpur, avait le droit de ne pas souffrir, le pouvoir de ne pas mourir.Un moment, le divin prophète a espéré gagner son peuple par sa paroleet par ses oeuvres: «Jérusalem, que de fois j'ai voulu rassembler tesenfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, etvous ne l'avez pas voulu!» (Mt 23:37). Mais quand il a vu lespuissances infernales entraîner contre lui les Juifs pour le combatmortel, Jésus, maintenant jusqu'au bout la vocation médiatrice desprophètes, comme il avait volontairement accepté de souffrir, avolontairement accepté de mourir (Mr 14:36,Jn 12:27 10:18).C'est là la coupe qui lui fit, en Gethsémané, suer une sueur de sang.Il se rend à Jérusalem, «tueuse de prophètes» (Lu 13:34),dévoile les intentions homicides de ses adversaires dans la paraboledes vignerons (Mr 12:1,12), se compare lui-même au «grain» quidoit «mourir» pour que le fruit qu'il porte en lui éclose (Jn12:24) et, couronné d'épines, donne sa vie sur la croix. Mais lemartyre accepté par Jésus provoque dans la nature, dans l'humanité,dans le ciel même une contradiction telle, que le tombeau a rendu soncadavre, que les pécheurs ont eu l'âme brisée de repentance, et quel'Esprit de Dieu, répondant au dernier soupir de Golgotha, est venule jour de la Pentecôte fonder l'humanité nouvelle, sauvée,régénérée, victorieuse. «Tu ne permettras pas que ton bien-aimé voiela corruption», avait dit la prophétie antique (Ps 16:10). C'estbien cela. Et Pierre a bien traduit quand il a dit: «Tu ne permettraspas que ton saint voie la corruption» (Ac 2:27). Amour divin et vie, sainteté et vie sont inséparables. C'est pourquoi lapuissance de Satan s'épuise au Calvaire, tandis que la saintetésalutaire du Christ triomphe dans sa résurrection. Ainsi Jésus deNazareth, expiant dans sa chair sainte les péchés de tous les hommes,y compris ceux des voyants d'Israël (Jn 12:33), a exaucé lesvoeux de ses précurseurs, couronné leur labeur et instauré sur laterre le Royaume de Dieu, en semant la vie éternelle dans le sillonsur lequel les prophètes hébreux étaient tombés sans même savoir quelserait leur lendemain. La résurrection de Jésus ressuscitel'humanité. Prophète accomplissant les prophètes, il a lancé dans lemonde une nouvelle lignée de prophètes, les éveilleurs spirituelsqui, depuis dix-neuf siècles, surgissent un peu partout dansl'Église, l'obligent à tenir les yeux levés vers le Vivant, yprovoquent les floraisons de l'Esprit. Sainte filiation des voyantsde la Nouvelle Alliance, ils préparent, de résurrection enrésurrection, l'avènement du Christ glorifié, comme les voyants del'Ancienne Alliance avaient préparé son berceau. BIBLIOGRAPHIE.--Les prophètes d'Israël ont suscité dans lalittérature théologique un si grand nombre d'ouvrages, demonographies, d'articles et de commentaires, qu'on ne saurait donnerici la liste de ces publications sans encombrer inutilement lescolonnes du Dictionnaire. En outre, les problèmes d'histoire etde religion soulevés par les écrits des prophètes, lesquelss'étendent sur plusieurs siècles, présentent une telle complexitéqu'on ne saurait répartir strictement les auteurs en écoles sanscourir le risque de classifications arbitraires. Les publicationsindiquées ci-dessous dans leur ordre chronologique n'ont d'autreintention que d'esquisser la marche de la science biblique dansl'étude du prophétisme hébreu au cours du siècle écoulé (1833-1934).On y trouvera des ouvrages qui ont marqué dans l'histoire de lacritique, et les livres qui, parce qu'ils ont été composés outraduits en français, sont à la portée de tous nos lecteurs.G.F. OEhler, Théol. de l'A.T, (traduction de H. de Rougemont), 1876;Ed. Reuss, La Bible: les Prophètes, 1876;Ch. Bruston, Hist, de la litt, proph. des Hébr., 1881;A. Kuenen, Relig. nation, et relig. univ. (trad. M. Vernes), 1884;C. Piepenbrino, Théol. de l'A.T., 1886;Renan, Hist, du peuple d'Isr., t. II et III, 1889-1892;E. Archinard, Isr. et ses voisins asiatiques, 1890;J. Darmesteter, Les proph. d'Isr., 1891;L. Gautier, La mission d'Ézéchiel, 1891;A. Westphal, Les Sources du Pentateuque, t. II, 1892;Kirkpatrick, The Doctrine of the Prophets, 1892;W. Roeertson Smith, The Prophets of Israël, 2 B éd., 1895;C. Piepenbring, Hist, du peuple d'Isr., 1898;JJ.P. Valeton Les Israélites (dans la traduction du Manuel d'Hist, des rel de Chantepie de la Saussaye), 1904;Cheyne, Jeremiah, his Life and Time, 1904;Ch.Bruston, Vraie et fausse crit. bibl, 1905; B. Stade, Bibl.Theol. d. A.T., 1905.L. Gautier, Introd. A.T., 1906; Gunkel, Elias, 1906.Ed. Bruston, Le proph. Jérémie, 1906.Ch. Mercier, Les proph. d'Israël, 1908.E. McFadyen, Introd, to the O.T., 1909.A. Causse, Les proph. d'Israël et les relig. de l'Orient, 1913.Th. Reinach, Le judaïsme prophétique et les espérances actuelles de l'humanité, 1920.J. Skinner, Prophecy and Religion, 1922.A. Westphal, Jéhovah, 1903, 4° éd., 1922.A. Causse, Les pauvres d'Israël, 1922.Ch. Jean, Le milieu biblique av. J.-C, 1923.Th. Robinson, Prophecy and the Prophets in ancient Israël, 1923.A. Westphal, Les Prophètes, 1924.A. Causse,Israël et la vision de l'humanité, 1924.L. Gautier, Etudes (ouvr.posthume), 1927.A. Bertholet, Hist. Civ. Isr., 1920 (trad.Marty, 1929).L. BAECK, Le judaïsme (dans Clemen: Les religions du monde, trad. Marty), 1930.L. Desnoyers, Hist, du peuple hébreu des Juges à la captivité, 1930.Chaîne, Introd, à la lecture des Prophètes, 1932; A. Loisy, La Relig.d'Israël 3°éd., 1933.A. Parrot, Villes enfouies, 1934.La bibliographie complète du Deutéronome dans son rapport avec lesprophètes est fournie par A.R. Siebens dans: L'origine duDeutéronome, 1929. ALEX W.