PROPHÈTE 7.

VII La prophétie messianique, «Pour une part le yahvisme a préparé la ruine des petits États oùYahvé était adoré; on peut faire valoir à sa décharge que ces petitsroyaumes ne pouvaient manquer de périr, comme leurs voisins de Damas,de Hamath et de Sidon, et que les prophètes ont assuré la perpétuitéd'Israël par sa religion» (Loisy, Relig. Isr., p. 147). Voilà quiest fort justement observé. Mais le fait de cette perpétuité uniquene peut être expliqué par la critique rationaliste dont Loisy est lechampion français le plus autorisé. Il faut en chercher l'explicationdans les textes eux-mêmes. Un trait caractéristique de la littérature prophétique depuis leIX e et suivant. jusqu'à l'ère nouvelle inaugurée par le Messie,c'est que, de façon constante, lorsqu'elle a raconté une déception,une catastrophe, elle annonce une bénédiction, un relèvement. Lafatalité, chez elle, ne joue aucun rôle, non plus que les hasardsparmi lesquels les autres peuples accomplissent leur destin. Commeces prophéties messianiques, marquant chez les tribus de Jacob laferme assurance que Dieu poursuit par elles un plan qui se développe,aboutissent à la vie de Jésus, qui fut, dans la réalité des faits, laplus grande infortune humaine suivie de la plus grande bénédictiondont ait bénéficié l'humanité, on ne saurait les considérer comme ungenre littéraire ni comme une forme de l'illuminisme. Elles nousmettent en présence d'un phénomène à la fois historique etpsychologique qui demande à être étudié en lui-même. Il est vrai quela critique la plus en vogue aujourd'hui s'applique à réduire leurimportance et propose pour chacune d'elles une explication quis'efforce de les accommoder l'une après l'autre et séparément aucadre naturel des événements. Mais l'ingéniosité, dans plus d'un cas,l'emporte sur la vraisemblance, et l'on ne voit pas ce que la sciencegagne à cette dislocation. Que l'on aborde l'étude critique d'unepage de la Bible avec l'a priori de la libre intervention de Dieudans l'histoire ou avec l'a priori du déterminisme historique, c'esttoujours l'a priori. Les découvertes de la science humaine ne peuventnous dire si Dieu est absent de l'histoire ou s'il y est présent. Dèslors, la meilleure explication dans le domaine biblique comme danstous les autres, sera celle qui répond au plus grand nombre dequestions posées et qui rend le mieux compte de l'évolutionhistorique dans l'harmonie de son développement. Or, s'il est unechose évidente, c'est que la marche de l'histoire biblique estdominée par le fait spirituel. Partout il y est invoqué; à mesure queles temps progressent, il s'y précise; dans la personne de Jésus ilse personnalise; dans l'histoire des chrétiens authentiques, il porteses conséquences. Essayez d'imaginer ce que serait le monde si ceschrétiens-là depuis deux mille ans n'avaient pas existé, et vousserez épouvanté du vide que vous aurez creusé dans l'histoire duprogrès humain. Nous sommes donc bien ici sur le terrain des réalitésexpérimentales avec ses matérialités historiques, avec le jeu desforces qui mènent le monde au sein d'une société déterminée. Lessavants qui, pour expliquer cette société, s'interdisent de prendreen considération le fait spirituel, de faire entrer en part l'actionde l'esprit, contredisent le témoignage constant des textes etfaussent le caractère du développement religieux qui, d'un prophète àl'autre, prépare Israël à la mission du Messie. Quand le Christparaît, ils se trouvent devant une énigme et se montrent dansl'incapacité de rendre justice au phénomène de la Pentecôte. Voilàpourquoi nous estimons que la manière de voir traditionnelle quant àla prophétie messianique, qui ne bride en rien notre indépendancedans la recherche historique ou philologique, n'est pas seulementl'attitude la plus respectueuse de l'expérience spirituelle deschrétiens--un fait d'histoire elle aussi--, mais qu'elle estpareillement l'attitude la plus scientifique pour pénétrer le sens detoute la série des textes que nous avons à examiner. Si l'on voulait définir d'un mot la prophétie messianique àlaquelle ces textes appartiennent, on pourrait dire qu'elle marque lepoint culminant de l'inspiration prophétique; le point où, dépassantl'horizon terrestre limité par le passé et le présent, la vision duprophète aborde les étapes du plan divin encore masquées aux regardsbornés des humains. Par elle, le prophète, échappant aux entravesqu'imposent à son génie les contingences de l'histoire, affirmequ'au-dessus de l'histoire, Dieu règne, poursuit un dessein etatteindra son but pour le salut de ceux qui auront mis en lui leurconfiance. La prophétie messianique de l'A.T. est ce qui, parexcellence, différencie la religion biblique des religionsnaturelles. Le second Ésaïe le rappelle quand il dit: «Les dieux despaïens ne méritent pas le nom de dieux, ils ne savent pas annoncerl'avenir» (Esa 41:21,28 42:6). J. Darmesteter, transportéd'admiration pour l'Histoire d'Israël de Renan, écrivait en 1892:A la conception biblique, «elle substitue l'histoire, non moinsmerveilleuse, d'une révélation progressive sortie du coeur del'homme, sortie des méditations ardentes de quelques voyants,lentement couvée, transformée, agrandie à la taille de l'humanité; etIsraël, au lieu d'être l'élu de Dieu, a fait Dieu même à la sueur deson front.» Darmesteter était un Israélite. Quant à l' Histoire de Renan, elle date aujourd'hui. Sous le ciel de la critiquebiblique, aussi, les morts vont vite. D'autant plus vite qu'ilsattribuent avec plus de complaisance au seul génie d'Israël despensées qui ne sont montées au coeur d'aucun autre peuple. Laprophétie messianique, avec son fondement: la justice, et soncouronnement: le salut, est au premier chef une de ces pensées-là.Ceux qui s'imaginent l'expliquer sans en chercher la raison dans lavenue du Christ au temps d'Auguste, font ce que ferait un physicienqui chercherait à expliquer l'embrasement des nuages à l'aurore sansle rattacher à l'astre invisible qui monte lentement vers l'horizon. La philosophie contemporaine, en découvrant à nouveau le monde del'esprit et son influence sur tous les domaines de la vie, a consomméla défaite du matérialisme et démontré l'impuissance du rationalismepour expliquer l'histoire humaine. Du même coup, le Dieu qui estEsprit a été rétabli dans les moyens d'action que l'orgueil d'unsavoir trop borné lui avait déniés. Désormais, ce n'est plus auxcroyants à justifier leur foi en l'intervention de Dieu dans lesaffaires d'Israël, mais à leurs adversaires de nous dire de queldroit ils tiennent cette intervention pour impossible. Les motsinspiration, révélation, évolution dirigée, sont bien plus proches denotre génération que de la précédente. Pourquoi? -Parce que la science, qui avait orienté la pensée vers ledéterminisme purement mécanique, se voit contrainte, par sesdécouvertes, de la replacer devant le mystère du dynamisme vital dontle problème reste entier et maintient toute sa souveraineté àl'action directrice de l'Esprit. Qu'il s'agisse du domainephysiologique ou du domaine psychologique, la constatation ici est lamême. Parmi les manifestations de cette action directrice, il n'enest pas de plus originale et de plus frappante que l'illuminationaccordée à Israël dans la prophétie messianique. On dit volontiers que la prophétie messianique fait sonapparition au VIII e siècle et qu'elle date d'Ésaïe. Il est certainque le fils d'Amots la représente avec éclat, mais il n'en est pointle père. Nous ne trouvons en lui que le développement des principesrenfermés dans les traditions hébraïques que, cent ans avant Esaïe,l'historien jéhoviste a rassemblées dans son livre. Là naîtl'espérance que la prophétie messianique va préciser de siècle ensiècle. Notre historien place aux origines, dans le cadre du récit de laChute--par laquelle il nous explique comment l'injustice est entréedans l'humanité avec l'ingratitude de la créature à l'égard duCréateur -cette déclaration de Dieu au séducteur du premier couple humain: Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité etsa postérité; celle-ci t'atteindra à la tête, et toi tu l'atteindrasau talon (Ge 3:15). Pour le Jéhoviste, au fait de la Chute a répondu aussitôtl'annonce de la délivrance. L'homme a failli, mais non de soninitiative. Il est perdu, mais non irréparablement. Il engagera lalutte avec la personnalité rebelle qui l'a asservi. Il souffrira,mais le suggesteur mauvais sera vaincu. La victoire voulue de Dieu etannoncée par lui s'accomplira au sein de l'humanité. Le récit du déluge ne renferme pas de parole directementprophétique, mais il est lui-même tout imprégné de l'espritmessianique. Comparez-le aux traditions suméro-babyloniennes d'où ilest sorti. Là, tout est caprice, arbitraire, rivalité entre lesdieux, crainte, rancune, colère. Ici, un Dieu juste. La justicedonnée comme principe à la philosophie de l'histoire. L'homme justepossède en lui une puissance de vie indestructible. C'estl'obéissance d'un juste qui sauve l'humanité et toute la créationterrestre. Cette délivrance de Noé n'est-elle pas une prophétie?Cette arche qui flotte au-dessus de toutes les catastrophes et quitriomphe de toutes les puissances de l'abîme annonce-t-elle seulementla pérennité de la religion d'Israël alors que les autres cultesauxquels elle a fait des emprunts auront disparu? (Bertholet).L'allusion de Jésus aux «jours de Noé» dans son discours sur la findu monde (Mt 24:38 et suivants), la comparaison établie parsaint Pierre entre l'arche «dans laquelle huit personnes furentsauvées à travers l'eau» et «le baptême qui maintenant voussauve» (1Pi 3:20 et suivants), la déclaration explicite del'auteur de l'épître aux Hébreux: «C'est par la foi que Noé, divinementaverti..., bâtit l'arche pour sauver sa famille, par elle condamna lemonde et devint héritier de la justice qui s'obtient par la foi»(Heb 11:7, cf. Sir 44:17 et suivant), nejustifient-elles pas les Pères qui, dans leur typologie, virentpréfigurée en l'action de Noé l'oeuvre salvatrice du Juste qui devaitun jour sauver les croyants dans la barque de son Église? Fluctuâtnec mergitur. Comment cette prophétie est entrée en Israël et cequ'en comprirent les Hébreux d'alors, nous l'ignorons. Mais n'est-ilpas impressionnant de trouver dans les antiques traditions d'Israël,placée au seuil de l'histoire, une direction si haute et si sûrequ'en aucun siècle la théologie de l'Esprit ne devait dévier de laligne qu'elle lui avait donnée? Ce sauvetage, quelle race en devait assurer l'initiative? Dieu dit à Abraham: Quitte ton pays, ta parenté et la maison deton père, et va dans le pays que je t'indiquerai. Je ferai de toi unegrande nation. Je te bénirai. Je rendrai ton nom grand: deviensbénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront et je maudirai ceux quite maudiront. Toutes les familles de la terre seront bénies entoi (Ge 12:1,3). Malgré ce qu'en disent quelques traducteurs modernes qui écartentla prédiction messianique en traduisant: «Toutes les tribus de laterre se souhaiteront ton bonheur» (Reuss), «se souhaiteront l'une àl'autre d'être bénies comme toi» (Bbl. Cent.), nous ne croyons pasnécessaire de recourir à ces périphrases, estimant que l'hébreu bekâ peut fort légitimement être rendu par «en toi» (ou «à causede toi», Ge 28:14), comme le font d'ailleurs les LXX: ensoï, et la Vulgate: in te. Quelle que soit, d'ailleurs, latraduction adoptée, le fait demeure: la bénédiction accordée àAbraham sera souhaitée par tous les peuples de la terre. C'est assezdire qu'elle ne concerne ni une race, ni un temps, mais qu'elleexauce le voeu de toute l'humanité. «Abraham eut confiance enJéhovah, qui le lui compta comme justice» (Ge 15:6). Parolesymptomatique, par où l'on voit que ce qui rend un homme juste et cequi lui assure la bénédiction divine, ce n'est pas le mérite de sesactes, mais la confiance qu'il témoigne à Dieu. La révélationcontenue dans cette parole de l'Écrit prophétique (source E) a étémise en valeur par saint Paul, qui fonde sur elle sa doctrine de lajustification par la foi (Ro 4:13,25). Dans quelle tribu, fille d'Abraham, doit naître celui quiexaucera le voeu de toute l'humanité? Négligeant le droit d'aînessepourtant mis en honneur par les chronologies hébraïques, la prophétiemessianique (dans un texte de J) désigne le troisième fils de Jacob: Juda, tu recevras l'hommage de tes frères...Le sceptren'échappera pas à Juda ni le bâton de commandement d'entre ses pieds,jusqu'à la venue du pacificateur et jusqu'à ce que les peuples luiobéissent...(Ge 49:8-10) Le mot le plus important est ici le plus obscur. On peut le lirede façons différentes: sellô, celui à qui [le sceptreappartient]; sâlèv, le pacificateur; môselô, son dominateur; se'ïlô, son désiré. Quelle que soit la leçon que l'on adopte, ils'agit toujours d'un personnage auquel est destinée la souverainetéuniverselle. L'allusion messianique est ici évidente. Et dans la tribu de Juda, quelle sera la famille à laquellereviendra l'honneur de donner au monde le Roi-Messie? 2Sa 7 nousapprend que Jéhovah donnera à un descendant de David le Judaïte untrône stable pour l'éternité. David, dont on connaît les fautes etles repentirs, devait, par son génie et par sa foi, léguer àl'humanité la double expression de la religion universelle:l'expression historique, Jérusalem; l'expression morale, le Psautier.Il aurait voulu bâtir à Jéhovah une maison matérielle. Jéhovah avaitrefusé (2Sa 7:6 et suivant). Mais il avait en retour promis àson serviteur de lui bâtir une maison vivante, une dynastieéternelle (2Sa 7:12,16,27). David, à la fin de sa vieglorieuse et tourmentée, rappelle la promesse de Jéhovah:

Un juste dominant sur les hommes,Dominant dans la crainte de Dieu,Est semblable à la splendeur du matinQuand le soleil se lève sans nuages.Comme le soleil après la pluieFait germer de terre la verdure,N'en est-il pas ainsi de ma maison,Puisqu'il a fait avec motUne alliance éternelle,Bien réglée de tous points,Et bien gardée?Oui, il fera éclore le germe de tout mon salutEt tout son (ou mon) bon plaisir (2Sa 23:1 et suivant).
La teneur messianique de cet ancien oracle est en ces troisexpressions: un juste qui règne, une alliance éternelle, un germe desalut. Ces trois expressions s'uniront dans la suite des textesprophétiques pour constituer la figure du Messie, germe juste,descendant de David, ange de l'alliance que les hommes désirent etqui sera inscrite dans les coeurs. (cf. Esa 4:2,Jer 23:5 333:15,Mal 3:1,Jer 31:33) Deux petits psaumes, le Ps 2,attribué à David (Ac 4:25), et le Ps 110, qui porte lasuscription: de David (le terme hébreu ledavid ne signifie pas«composé par David», mais «appartenant au recueil qui porte sonnom»), reprennent la question de ce «fils» auquel Dieu avait promisle règne éternel. Ils expriment les sentiments des temps quisuivirent le règne du grand monarque, temps où la royauté avaitattiré sur le peuple élu les humiliations politiques et les guerresmalheureuses. On y voit l'espérance jéhovique dévier vers les rêvesde revanche et de gloire.
Pourquoi ce tumulte des peuples,Ces vains complots des nationsContre Jéhovah et contre son Messie?Je redirai le décret de Jéhovah:Il m'a dit: Tu es mon fils,Je t'ai engendré aujourd'hui.Demande, et je te donneraiLes nations pour héritage,Et pour domaine les extrémités de la terre...(Ps 2)
Jéhovah a dit à mon seigneur: Assieds-toi à ma droite Jusqu'à ceque j'aie fait de tes ennemis L'escabeau de tes pieds... (Ps 110:1, cf. Mt 22:41-46,Heb 1:13,1Co 15:25). Les prophètes du VIII e siècle allaient opérer le redressementnécessaire. Nous avons vu, au parag. V, la vigueur de ceredressement. Amos n'a pas plus tôt dénoncé à Israël son péché etprophétisé la catastrophe qu' Osée annonce le relèvement, mais à unecondition: le repentir et le retour à la fidélité jéhovique: Après cela, les enfants d'Israël reviendront; ils chercherontl'Éternel leur Dieu et David leur roi (Os 3:5). Cette allusion à David, faite par un prophète du royaume du Nordparlant à un peuple qui servait une dynastie rivale, montre combienl'espérance messianique tenait à l'âme de tous les ferventsjéhovistes, de Samarie ou de Jérusalem. Le Deutéronome qui, dans sa teneur actuelle, est né du ministèred'Ésaïe (voir ci-dessus, p. 475) met dans la bouche de Moïse unedéclaration que nous avons d'autant moins de raisons d'enlever aulégislateur des Hébreux qu'elle ne se comprendrait plus guère dansles temps postérieurs où le prophétisme avait eu déjà de nombreuxreprésentants: Jéhovah, ton Dieu, suscitera du milieu de toi, d'entre tesfrères, un prophète comme moi: vous l'écouterez...(De 18:15,16,19). Ce n'est pas en la personne de Josué, ce n'est pas au temps desJuges qu'il faut chercher ce successeur qui devait être «commeMoïse», c'est-à-dire révélateur, pétrisseur d'âmes, fondateurd'alliance. Jésus s'est reconnu lui-même dans ce prophète (Jn5:46). L'identification de ce prophète avec le Christ a été faitepar Pierre et par Etienne, dans deux discours fort différentsd'esprit (Ac 3:22,23 7:37). Esaïe connaissait certainement l'ensemble des textes que nousvenons de citer quand il fixa définitivement la prophétie messianiquedans le type d'Emmanuel, Dieu avec nous. Les textes relatifs àcet oracle capital sont répartis dans les chap. 7 à 12, chapitresdont les critiques ont souvent fait ressortir l'incohérence. Leshypothèses contradictoires qui ont été émises au sujet d'Emmanuel etqui se réfutent les unes les autres nous ont amené à penser qu'uneconfusion s'était glissée dans ces discours messianiques, confusiontoute pareille à celle que l'on constate dans le discourseschatologique de Jésus (Mt 24). Les disciples de Jésus qui ontrédigé ce discours y ont mélangé deux sujets: la ruine de Jérusalemet la fin des temps. De même les disciples d'Ésaïe ont mélangé icideux sujets: la ruine de Samarie et de Damas avec, pour signe, lesenfants d'Ésaïe, et le règne messianique avec, pour signe, Emmanuel.La première série des textes mélangés a pour objets les événementshistoriques contemporains. Achaz, au lieu de se confier en Jéhovah,veut appeler l'Assyrien pour le délivrer de la menace des coalisés deSyrie et d'Israël. Ésaïe lui est envoyé avec son fils aînéSéar-Jasub (Esa 7:3), et lui dit de la part de Jéhovah: Prendsgarde, demeure tranquille...;(Esa 7:4,9) avant que Séar-Jasubait l'âge légal (=12 ans) de discerner entre le mal et le bien(Esa 7:15 et suivant, se rattache à Esa 7:3,9), avant quele nouveau-né (Maher-Salal-Has-Baz) sache dire papa etmaman (Esa 8:3 et suivant), les pays des coalisés, Damas etSamarie, seront dévastés (Esa 8:1,4, continue Esa 7:16).Ainsi Ésaïe et ses fils sont «des signes et des présages en Israël dela part de Jéhovah» (Esa 8:17 et suivant). Voir Séar-Jasub. La deuxième série des textes a pour objet les temps à venir.Ésaïe a été envoyé de nouveau vers Achaz pour lui proposer un signepar lequel Jéhovah lui confirmera sa protection toute-puissante.Achaz refuse (Esa 7:10,12). Il préfère s'adresser àTiglath-Piléser et il achète sa protection par de l'or pris dans letemple et dans les trésors de la maison du roi (2Ro 16:7,9).Alors Ésaïe annonce au monarque infidèle que Jéhovah enverra le signetout de même: un libérateur, Emmanuel =Dieu avec nous (Esa7:14). L'enfant qui va être appelé à jouer ce rôle naîtra non de lafemme d'Ésaïe ni de l'épouse du roi, mais d'une alemâh. Le terme alemâh n'est employé que huit fois dans l'A.T. Dans Ge24:43, il désigne Rébecca avant ses fiançailles avec Isaac. DansEx 2:8, Marie, la soeur de Moïse. Dans Ps 68:26. les jeunesfilles de la fête du Temple. Dans Ca 1:3 6:8, les jeunes fillesservantes ou choristes du harem royal, expressément distinguées desconcubines. Enfin, dans Pr 30:19, alemâh est employé àpropos de l'acte qui fait d'une jeune fille une femme (LXX, hodousandros en néotêti; Vulgate, viam viri in adolescentia). Dansaucun cas il n'est question d'une femme mariée. C'est donc à justetitre que la tradition a vu dans la façon dont la naissanced'Emmanuel est présentée par Ésaïe une allusion manifeste àl'intervention de la puissance divine. Le fait qu'il existe un autremot, bethoûla (gr. parthénos), pour exprimer l'idée devirginité, ne change rien à la chose. Cet enfant, qui n'aura pas ladestinée des autres enfants, n'est pas venu au monde dans lesconditions ordinaires: de toute façon, il vient de Dieu. Les LXX traduisent Esa 7:14: Le Seigneur lui-même donnera un signe. Voici: la vierge (parthénos) deviendra enceinte, elle enfantera un fils, et tul'appelleras Emmanuel. Portant son regard au delà des circonstances présentes, Ésaïeannonce que l'Assyrien, une fois introduit dans les affaires dePalestine, ruinera Juda après Samarie (Esa 7:17,25). Pour punir le peuplerebelle qui a ce méprisé les eaux de Siloé» (=la sollicitude divine,(Esa 8:6), Jéhovah «fera monter le roi d'Assyrie». Il remplira l'étendue de ton pays, ô Emmanuel! (Esa 8:8). Mais que les nations ne s'imaginent pas triompher pour toujoursdu peuple de Dieu;
Grondez, peuples: vous serez brisés!Ecoutez bien, régions lointaines...Ceignez vos armes: vous serez brisées!Tramez des complots, ils seront déjoués!Formez des projets, ils seront anéantis...Car: Emmanuel [=Dieu est avec nous]! (Esa 8:10)
Luther traduit Denn hier ist Immanuel, car ici est Emmanuel.En effet:
Les ténèbres ne régneront pas toujours...Le peuple qui marchait dans l'obscuritéVoit une grande lueur...C'est qu'un enfant nous est né,Un fils nous a été donné;La souveraineté repose sur son épaule,On l'appellera Conseiller admirable, Héros divin,Père éternel, Prince de la paix.Etendre l'empire, assurer une paix sans finAu trône de David et à sa royauté;L'établir et l'affermir par le droit et par la justice,Dès maintenant, et à toujours:Voilà ce qu'il fera...(Esa 9:1-7)
Après le châtiment de l'Assyrien (Esa 10:5 et suivants), le«reste d'Israël)) se repentira, reviendra à Jéhovah (Esa 10:21).Alors viendra le règne de l'enfant divin:
Un rameau sortira du tronc d'Isaï,Un rejeton naîtra de ses racines.L'esprit de Jéhovah reposera sur lui,Esprit de sagesse et d'intelligence,Esprit de conseil et de force,Esprit de connaissance et de crainte de Jéhovah.,.Il ne jugera pas selon l'apparence,II ne prononcera pas sur un ouï-dire.Mais il jugera les pauvres avec équité...La justice sera la ceinture de ses flancs...(Esa 11:1,5)
Tous ces traits, rappelant les visions messianiques des sièclesprécédents: fils de David, germe salvateur, roi établissant lajustice, dépeignent un Messie qui déborde infiniment les cadres del'histoire et qui viendra établir le Royaume de Dieu sur la terre. Par lui, suivant l'antique prophétie, le serpent seramortellement atteint à la tête, et toutes les conséquences de lachute seront remplacées par une ère de paix.
Le loup habitera avec l'agneau,La panthère se couchera avec le chevreau;Le veau, le lion et le bétail...seront ensemble,Et un petit enfant les conduira.La vache et l'ourse auront même pâturage...Il ne se fera ni tort ni dommageSur toute ma montagne sainte...Car la terre sera remplieDe la connaissance de Jéhovah,Comme le fond de la merEst couvert par les eaux.En ce jour-là, le rejeton d'IsaïSera comme un étendard pour tous les peuples;Les nations se tourneront vers lui,Et la gloire sera sa demeure (Esa 11:6,9).
La prophétie d'Emmanuel se termine par un magnificat où lesjéhovistes exaltent leur reconnaissance:
Louez l'Éternel, invoquez son nom,Publiez ses oeuvres parmi les peuples!Célébrez Jéhovah,Car il a fait des choses magnifiques:Qu'elles soient connues par toute la terre!Pousse des cris, éclate de joie,Habitante de Sion!Car il est grand au milieu de toi,Le Saint d'Israël! (Esa 12:4-6)
Ce «il est grand au milieu de toi» achève la prophétie d'Emmanueldans une expression qui est la réplique de «Dieu avec nous». Par cette vision d'ensemble qui lui assure la première placeparmi les prophètes messianiques, Ésaïe oppose au davidique infidèle:Achaz, le davidique fidèle: Emmanuel, qui viendra par l'interventionmiraculeuse de Jéhovah pour consoler le peuple élu de ses déboires,délivrera le reste demeuré fidèle et réalisera en sa faveur, et parlà en faveur de l'humanité tout entière et de toute la création, lespromesses faites à David. Michée, l'émule d'Ésaïe, se meut dans les mêmes pensées (Mic 5). Il précise le lieu où le Messie devra naître.
Et toi, Bethléhem Ephratha,Petite entre les milliers de Juda,De toi sortira pour moiCelui qui dominera sur IsraëlEt dont l'origine remonte aux temps anciens,Aux jours de l'éternité (Mic 5:1).
On voit que, pour Michée comme pour Ésaïe, le Messie, tout enétant fils de David, domine les contingences temporelles. Voici maintenant Jérémie, le prophète de l'alliance nouvelle;
Voici, les jours viennent, dît Jéhovah,Où je susciterai à DavidUn germe juste.Il régnera, il prospérera;Sous son règne, Juda sera sauvé...On l'appellera: «Jéhovah notre justice» (Jer 33:15).
Ézéchiel compare le peuple de Dieu au troupeau du Messie qu'ildépeint sous les traits du bon Berger:
Je porterai secours à mes brebis...J'établirai sur elles un seul bergerQui les fera paître:Mon serviteur David...Moi, Jéhovah, je serai leur Dieu,Je ferai avec elles une alliance de paix (Eze 34:20 22-25).
Le livre d'Abdias n'est fait que d'une page, incertaine de date etpeut-être inspirée par un prophète antérieur, que cite aussiJérémie (Jer 49:15). Mais une chose est claire, c'est l'oraclemessianique, que Joël reproduira et commentera: (cf. Joe 2:31)
Le jour de Jéhovah est proche,Le salut sera sur la montagne de Sion,Elle sera sainte...Et la royauté appartiendra à Jéhovah (Ab 1:15).
C'est en vain qu'on voudrait distinguer le serviteur de Jéhovahdu 2 e Ésaïe d'avec l'Emmanuel davidique du fils d'Amots, le germedavidique de Jérémie, le bon berger davidique d'Ézéchiel; ce«serviteur», d'après Esa 55:4, n'a pas d'autre mission que derendre durable la faveur de Jéhovah envers David et d'exaucer lapromesse qui lui a été faite:
Prêtez l'oreille et venez à moi;Ecoutez, et que votre âme vive.Par un pacte éternel, je vous accorderaiLes grâces assurées à David.Je l'ai établi témoin auprès des peuples,Chef et dominateur des nations (Esa 55:3).
La pensée du 2 e Ésaïe est si bien imprégnée des textesmessianiques du passé qu'il cite presque textuellement la déclarationfondamentale formulée par David dans 2Sa 23:
Comme la terre fait pousser ses germes,Comme un jardin fait croître ses semences,Ainsi le Seigneur JéhovahFera germer le salut et la gloireEn présence de toutes les nations (Esa 61:11).
Il était réservé à ce disciple de Jérémie, au prophète qui avaitvu son maître souffrir et mourir sous les coups de ses compatriotes,de faire un tableau de ce qu'il en coûterait au Messie d'entreprendreparmi les siens l'oeuvre rédemptrice. Pauvre germe de David, quidevait venir dans la splendeur et dans la gloire! Pauvre rejetond'Isaï (Esa 11:1), qui devait instaurer la paix glorieuse! levoilà devenu faible pousse et rejeton qui sort d'une terredesséchée (Esa 53). Comme il est dur, le coeur de l'homme! Pourmuer en chair ce coeur pétrifié, il ne suffira pas d'ordonner par leverbe ni de donner un exemple: il faudra se donner, se solidariseravec les coupables, supporter l'opposition sans faiblir, la vaincrepar une passion divinement patiente, offrir à Dieu et aux hommes, parune vie expiatoire, le spectacle de l'obéissance absolue dans lasouffrance absolue:
Je n'ai point résisté,Je ne me suis pas rejeté en arrière;J'ai livré mon dosA qui le frappait,Mes joues à qui m'arrachait la barbe.Je n'ai pas dérobé mon visageAux outrages et aux crachats...Mais Jéhovah me viendra en aide (Esa 50:5,7).
Et le prophète annonce avant de décrire la passion duMessie--appelé ici «le Serviteur juste»--que le secours de Jéhovahassurera la victoire à celui qui, ne voulant dans son amour filial etfraternel lâcher ni Dieu ni l'homme, les unit en mourant:
Mon serviteur prospérera,Il grandira, il sera exalté, souverainement élevé.De même que beaucoupOnt été dans la stupeur en le voyant,Tant il était défiguré,Son aspect n'étant plus celui d'un homme,Ni son visage celui des enfants des hommes,De même il fera tressaillir des nations nombreuses.Devant lui, les rois fermeront la bouche;Car ils verrontCe qui ne leur avait pas été raconté;Ils apprendrontCe qu'ils n'avaient pas entendu (Esa 52:13-15).
Mais ce mystère rédempteur--humiliation etélévation--s'accomplira au sein de l'incompréhension de tous, mêmedes meilleurs:
Qui a cru à ce qui nous était annoncé?Qui a su discerner le bras de Jéhovah? (Esa 53:1)
Esaïe II fait ici allusion à l'aveuglement, non seulement de lamasse du peuple, mais aussi du serviteur collectif en présence del'oeuvre accomplie par le serviteur individuel. (Il ne faut pasoublier qu'Ésaïe II ne s'est élevé que peu à peu à la notion duMessie personnel. Voir Esa 41:8 et suivants Esa 44:1,21.49:1-3 etcomparer avec Esa 42:1 49:5 Esa 50 52:13 Esa 53 Esa 61:1-3,10).Le prophète lui-même se range par son «nous» (Esa 53:3) dans lacatégorie de ceux que «l'homme de douleur» qualifiera un jour de«gens sans intelligence et lents à croire ce que les prophètes ontdit»: (Lu 24:25)
Il s'est élevé devant JéhovahComme une faible pousse,Comme un rejeton qui sort d'une terre desséchée;Il n'avait ni beauté, ni éclatPour attirer nos regards,Ni rien dans son aspectQui fût fait pour nous plaire.Méprisé et abandonné des hommes,Homme de douleur et fait à la souffrance,Semblable à un objet dont on détourne le visage,Nous l'avons dédaigné,Nous n'avons fait aucun cas de lui.Cependant, c'étaient nos maladies qu'il portait,C'étaient nos douleurs dont il s'était chargé,Alors que nous le prenionsPour un misérable, puni,Frappé par Dieu, humilié.Mais c'est pour nos péchés qu'il a été meurtri,Pour nos iniquités qu'il a été brisé.Il a supporté le châtiment qui fait notre salut:Ce sont ses meurtrissuresQui nous ont valu la guérison.Nous étions tous comme des brebis errantes,Chacun suivait sa propre voie,Et Jéhovah a fait retomber sur luiNotre crime à tous.Maltraité, insulté, il n'ouvre pas la bouche.
Ici, le second Esaïe voit le Messie à travers Jérémie et luiemprunte les paroles que ce prophète s'applique à lui-même: (Jer11:19)
Pareil à l'agneau qu'on traîne à la boucherie,Pareil à la brebis silencieuseDevant ceux qui la tondent,Il n'a pas ouvert la bouche.Faute de protection et de justice,Il a été enlevé.Parmi ses contemporains, qui eût penséQu'il était retranché du pays des vivantsEt que le coup le frappaitA cause des péchés de mon peuple?On lui avait assigné sa sépultureAvec les méchants,Mais dans sa mortIl a été avec le riche,Car il n'avait fait aucun malEt il n'y avait jamais eu de fraude dans sa bouche.Il a plu à Jéhovah de le briser par la souffrance,Voulant, s'il s'offrait lui-mêmeComme victime expiatoire,Qu'il vît une postéritéDestinée à se perpétuer,Et que l'oeuvre de JéhovahProspérât dans sa main.A cause du travail de son âme,Il verra, il sera rassasié de joie.Par la connaissance qu'ils auront de lui,Mon serviteur juste justifieraUn grand nombre d'hommes,Car lui-même se chargeraDe leurs iniquités.C'est pourquoi je lui donnerai son lotParmi les grands;Il partagera le butinAvec les puissants,Parce qu'il s'est livré lui-même à la mortEt s'est laissé confondreAvec les malfaiteurs,Lui qui n'a fait que porterLes péchés d'un grand nombre,Et qui a intercédéEn faveur des coupables (Esa 53:2,12).
Après une page comme celle-ci, tout est dit. Par elle resplenditl'unité de la pensée messianique entre l'A.T, et le N.T. Il n'estpas, dans l'Évangile même, de description qui ramasse dans unraccourci aussi impressionnant la vie et l'oeuvre de Jésus-Christ(voir Serviteur de l'Éternel). Il ne restait plus à la prophétie qu'à donner la parole au Messielui-même pour l'exposé de son programme, programme dont la teneurachève de démontrer l'identité des trois héros de la prophétiemessianique: le rejeton d'Isaï, le serviteur de Jéhovah et l'oint deJéhovah (Esa 11:1 42:1 61:1 et suivants).
L'Esprit du Seigneur est sur moi,Parce que Jéhovah m'a oint (=m'a fait messie)Pour porter la bonne nouvelle aux malheureux;Il m'a envoyé pour panserCeux qui ont le coeur brisé;Pour annoncer aux captifs la liberté,Et aux prisonniers le retour à la lumière;Pour publier une année de grâce de Jéhovah...(Esa 61:1)
«Aujourd'hui, dira un jour Jésus dans la synagogue de Nazareth,s'accomplit ce passage de l'Écriture que vous venezd'entendre» (Lu 4:17-21). Après l'exil, quelques voix messianiques encore. Malachie, au V e siècle, annonce la venue du précurseur, Élie leprophète, puis:
Soudain entrera dans son templeLe Seigneur que vous cherchez,L'Ange de l'alliance que vous désirez.Voici, il vient, dît Jéhovah des armées.Qui pourra soutenir le jour de sa venue?Mais pour vous qui craignez mon nomSe lèvera le Soleil de justiceQui porte la guérison dans ses rayons (Mal 3:1 4:2).
Le premier Zacharie, son contemporain, reprend, dans ses visionsobscures, la formule du Germe de Jéhovah: Voici, je fais venir mon serviteur, le Germe...En ce jour-là,vous vous inviterez Sous la vigne et sous le figuier... Voici un homme dont le nom est «Germe»; il germera à la placemême où il est, pour bâtir le temple de Jéhovah...Il recevra lamajesté royale...Il trônera aussi comme sacrificateur, il exercerales deux fonctions dans une paix parfaite (Za 3:8-10 6:13 etsuivant). Le 2e Zacharie et Joël, qui vécurent sans doute au IV°siècle, donnent aux derniers accents de la prophétie messianique unesuprême magnificence. Zacharie annonce l'humilité du Messie et sa gloire:
Réjouis-toi, fille de Sion!Exulte de joie, fille de Jérusalem!Voici ton roi qui vient à toi;Il est juste et victorieux,Humble et monté sur un âne,Le poulain d'une ânesse!Il dictera la paix aux nations,Sa domination s'étendra d'une mer à l'autre,De l'Euphrate aux extrémités de la terre.(Za 9:9 Matthieu 21:2).
Joël s'appuie sur la prédiction d'Emmanuel, du I er Ésaïe,proclame l'unité de Dieu dans une formule que le 2 e Esaïe reprendra,annonce l'effusion de l'Esprit, les prodiges qui se produiront à lafin du monde, et le salut gratuit.
Après cela,Je répandrai mon Esprit sur toutes créatures.Vos fils et vos filles prophétiseront,Vos vieillards songeront des songes,Vos jeunes gens verront des visions;Même sur les esclaves et sur les servantesJe répandrai en ces jours mon Esprit.Je ferai paraître des prodiges...Le soleil se changera en ténèbresEt la lune en sang...Alors quiconque invoquera le nom de Jéhovah sera sauvé.Le salut sera sur la montagne de SionEt à Jérusalem comme l'a dit Jéhovah,Et parmi les rachetés que Jéhovah appellera.
(Joe 2:28-32, cf. Esa 12:6 45:6,18,Ac 2:17,Mt 24:29 et suivant, Ro 10:13). L'apocalypse de Daniel--dont le chap. 2, avec sa vision de lastatue géante qu'une petite pierre détachée «sans le secours d'aucunemain» suffit à renverser et sa prédiction du royaume éternel que Dieususcitera sur les ruines des empires terrestres, est tout imprégnéd'esprit messianique--renferme au chap. 7 le dernier des textes danslesquels l'A.T, annonce la venue du Messie. Je regardai encore...et je vis un personnage pareil à un filsd'homme, qui venait sur les nuées du ciel. Il s'avança jusqu'à unvieillard. (Da 7:13.--Ici comme au verset 9, la trad. Vers.Syn., suivant l'erreur traditionnelle qui parle à l'imaginationmystique, maintient «l'Ancien des jours» (voir art.); mais l'hébreun'a pas d'article défini et dit simplement; «un ancien en jours»,c-à-d, un vieillard, lequel est ici la représentation de Dieu.) Il lui fut donné domination, gloire et règne...Les saints duTrès-Haut recevront le royaume et ils posséderont le royaume ajamais, d'éternité en éternité (Da 7:14,18). L'expression «fils d'homme» n'avait pour but, en principe, qued'opposer les qualités nobles et spirituelles du royaume céleste deJéhovah au caractère de puissance charnelle du royaume céleste desautres peuples, représenté généralement par des figures d'animaux.Cette expression, devenue le fils de l'homme dans le langageapocalyptique, fut adoptée par Jésus-Christ pour désigner sa proprepersonne. Bien que moins précise que le terme «Messie», elle devaittout de même amener ses auditeurs à voir en lui celui qui reviendraitun jour «sur les nuées du ciel» pour gouverner «le royaume» que «lessaints» doivent posséder «d'éternité en éternité». Il est à remarquerque Jésus n'écarte pas le prodige annoncé par cette vision, maisqu'il le place simplement à l'époque de son retour (Mt 24:27-3025:31). Quand l'inspiration prophétique eut cessé, le messianisme sedébattit, stérile, dans l'apocalypse juive (voir Messie); puis:«Chose remarquable, le messianisme aussi tombe comme épuisé, dans lesdernières convulsions du nationalisme juif au temps d'Adrien. Bientôtle thème du Messie ne sera plus guère qu'un sujet de discussions pourles rabbins, comme tel autre chapitre de la doctrine biblique...Lareligion qui se réclamait de Moïse tendait à se perdre dans unecasuistique stérile ou dans un fanatisme extravagant, à moins qu'ellene se réfugiât dans l'ascétisme en se retirant de la vie commune.»(Loisy, Relig. Isr., pp. 310, 320). Pourquoi? Loisy ne le ditpas, mais les chrétiens le savent: c'est que la marée de l'Espritavait, avec Jésus, passé du judaïsme au christianisme, lequel avaitreçu en charge les destinées spirituelles de l'humanité (cf. Mt21:33 et suivants, Jn 12:32,Ro 9-11). Jean-Baptiste paraît, sentinelle avancée de l'ancienne alliance,annonciateur de la nouvelle; héraut de transition, sur plus d'unpoint énigmatique, dont on ne saurait dire sans dépasser les textesni qu'il se joignit à Jésus, ni qu'il s'en sépara. Des siècles sesont écoulés depuis que la voix des grands prophètes s'est éteinte;la littérature apocalyptique s'est emparée des esprits et les aenfiévrés; l'essénisme a développé son genre de piété antilégaliste,avec le bain lustral quotidien; le messianisme politique entretientdans les provinces et jusque parmi les pharisiens de la capitale uneagitation constante. Jean n'appartient à aucun de ces milieux. Ilest, et Jésus le confirme (Mt 11:9), de la lignée des prophètes,de ceux qui se mettent en route parce que l'Esprit de Jéhovah les asaisis, et qui prêchent la repentance et le jugement sans se mettreen peine des conséquences que cette hardiesse, cette possessiondivine peuvent avoir pour leur propre vie. On retrouve dans saprédication. enflammée les éléments cardinaux de toute l'ancienneprophétie: l'appel à la conversion, l'annonce du Messie, le jugement,l'envoi de l'Esprit, l'Agneau divin: Je suis la voix de celui qui crie dans le désert; «Aplanissez lechemin du Seigneur,» comme l'a dit le prophète Ésaïe... Race de vipères, qui vous a appris à fuir la colère à venir?Produisez donc du fruit digne de la repentance...Pour moi, je vousbaptise d'eau; mais il vient, celui qui est plus puissant que moi,lui vous baptisera d'Esprit saint et de feu. Il a son van dans sa main, il nettoiera parfaitement son aire, ilamassera son froment dans son grenier; mais il brûlera la balle aufeu qui ne s'éteint point. Voici l'Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde. (Jn 12:3,Mt 3:7,Lu 3:16,Jn 1:29, cf. Esa 53:7). Dans cet Agneau, Jean a-t-il entrevu la victime du Calvaire? Ilfaut reconnaître que nous ne trouvons pas dans les brèves paroles quinous ont été conservées de Jean la note de miséricorde, d'amour et desacrifice donnée par Osée, Jérémie, le 2 e Esaïe, et qui l'eûtorienté vers une notion plus complète de ce que devait être le Messiede la «nouvelle alliance» (Jer 31:31 et suivant). Ce quiconstitue l'originalité et la valeur unique de sa carrière, ce quil'élève au-dessus des prophètes antérieurs (Mt 11:9), c'estqu'il se sait le précurseur du Messie dont les anciens prophètesavaient parlé à Israël; il l'attend, il l'annonce, il le baptise, ille désigne aux foules après avoir institué pour elles le baptêmed'eau: initiation au Royaume qui vient. On comprend que cettecréation de génie, où se réalisait dans un symbole plastique l'acteque réclamaient les exhortations vigoureuses de Jean, ait attiré àlui les masses et lui ait valu de nombreux disciples: quiconque étaitdécidé à renoncer au péché et à entrer dans la voie conforme à lavolonté de Dieu était, devant tous, immergé par Jean dans les eaux duJourdain. Il disparaissait à la vue...c'était la mort à la vieancienne. Puis il émergeait des ondes et remontait sur laberge...c'était la vie nouvelle qui commençait. Jusqu'à quel point Jean s'est-il rendu compte que cerecommencement de vie n'était possible qu'après le baptême d'Espritdont il disait lui-même que le Messie seul pourrait l'administrer? Son attitude après le baptêmede Jésus ne permet pas de le dire. Ce qu'il y a de certain, c'estqu'il ne se joint pas à la troupe qui se détache de lui pour suivreJésus, qu'il maintient son baptême après que les disciples de Jésusont commencé à baptiser sur l'ordre de leur Maître, qu'il continue àformer et à constituer à part le groupe de ses disciples qui semontrent parfois jaloux du succès du Messie (Lu 5:33 11:1,Jn 3:264:1) et qui resteront fidèles à leurs communautés baptistes mêmeaprès la disparition de Jean et les débuts de l'Églisechrétienne. (cf. Ac 19:3) Évidemment, Jean, qui porte à sonpoint culminant la prédication de ses devanciers les prophètes, etqui a l'honneur d'introduire lui-même le Messie qu'il a de peuprécédé, ne conçoit pas le Messie sous la forme du Maître doux ethumble de coeur, né pour servir, ni l'Esprit du baptême messianiquesous la forme du Paraclet (voir ce mot) dont Jésus, d'après le 4 eévangile, entretint ses apôtres dans la chambre haute (Jn14-16). Le Royaume qu'il prêche est encore le Royaume juif, leRoyaume extérieur, fait pour les justes de son peuple. Ce n'est pasencore le Royaume intérieur fait pour les rachetés qui «viendrontd'Orient et d'Occident». Aussi, après avoir été décontenancé par lavolonté de Jésus de recevoir le baptême, c'est-à-dire de sesolidariser moralement avec l'humanité pécheresse, Jean s'y opposait en disant: C'est moi qui ai besoin d'êtrebaptisé par toi, et tu viens à moi!est-il (Mt 3:14) scandalisépar l'attitude de Jésus qui va de lieu en lieu faisant le bien, enprodiguant les miracles de sa miséricorde, mais qui refuse de semanifester le Messie justicier, et qui le laisse, lui Jean, sonprécurseur et son ami, languir sur la paille d'un cachot. Es-tu celui qui devait venir, ou devons-nous en attendre unautre? (Lu 7:19) Jésus répond en accomplissant, devant les émissaires de Jean, desactes où se révélait la véritable nature du règne de l'Esprit; puisil ajoute à ses oeuvres de grâce une parole grave, qui doit aller àJean comme un coup droit et l'exhorter au redressement: Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion dechute! (Lu 7:23) Enfin, voyant l'émotion de la foule qui garde pour Jeanl'admiration que son patriotique courage et sa vie austère luiavaient méritée, Jésus prononce au sujet de son précurseur un hommageoù il montre qu'il ne le méconnaît point: Qu'êtes-vous allés voir au désert? Un prophète? Oui, vous dis-je,et plus qu'un prophète...entre ceux qui sont nés de femme, il n'y ena point de plus grand que Jean-Baptiste...(Lu 7:26) Et un jugement qui le met à son véritable rang: précurseur, maisnon collaborateur; prophète, c'est-à-dire homme de l'Esprit, mais nonapôtre, c'est-à-dire homme spirituel; héraut du Royaume, mais nonmembre du Royaume. Seul parmi les prophètes il est arrivé jusqu'à laporte du monde nouveau, mais il n'a pas franchi son seuil. Celui qui est le plus petit dans le Royaume de Dieu est plusgrand que lui (Lu 7:28). Quand on voit combien le précurseur, «plus qu'unprophète» (Mt 11:9), saisit imparfaitement ce que Jésusapportait à la terre (Lu 7:18,23), on peut s'imaginer qu'à plusforte raison les hérauts inspirés qui devaient, au sein d'Israël,siècle après siècle, aplanir le sentier du Messie furent loin d'êtreéclairés eux-mêmes par toute la lumière que leur intuition divineprojetait sur l'avenir. Aussi bien, n'est-ce pas pour glorifierl'homme que nous avons rassemblé ici les textes de la prophétiemessianique et que nous en avons montré l'enchaînement progressif etla valeur révélatrice, tels que nous pouvons les apercevoir avec lerecul de l'histoire et la leçon des faits accomplis. Notre propos aété de mettre en évidence l'action continue de Dieu au sein d'unpeuple qui fut dépendant de tous les autres au point de vue de lacivilisation, mais que Jéhovah, au point de vue religieux, sut tenirindépendant par ses prophètes et, malgré toutes ses chutes, acheminerpatiemment jusqu'aux jours du Christ. Il faut avoir présent à l'esprit l'ensemble de ces textesmessianiques pour pouvoir porter sur le milieu auquel les prophètesappartinrent un jugement de valeur. Nous ne possédons en leurs pagesbrèves que le haut-relief littéraire de toute une action poursuiviedans la nuit d'un passé lointain par les jéhovistes, chaîne d'ombreoù luit par instants un anneau: le prophète. Mais ces pages nouslivrent les idées maîtresses qui leur permirent de former une éliteet de réussir, génération après génération, son entraînement. C'estdans leur tradition qu'Israël, au point de vue moral et religieux, apuisé sa solide armature; c'est dans la direction qui lui étaitdonnée par cette tradition ininterrompue qu'Israël a trouvé le secretde son développement sans analogue; c'est à elle qu'il doit d'avoirpu maintenir si irrésistible, malgré les vents contraires, sa maréede l'Esprit, que celle-ci, franchissant sans s'y perdre les sablesarides du légalisme juif, a pu déferler sur le seuil de l'èrechrétienne. Grâce à la prophétie messianique, Jésus a trouvé unmilieu propre à le recevoir. Sa reconnaissance envers ses précurseurstransverbère les béatitudes: Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice...Heureux ceuxqui procurent la paix...Heureux ceux qui sont persécutés pour lajustice, car le Royaume des cieux est à eux...(cf. Mt 5:12 etAc 7:52).