PROPHÈTE 6.

VI Les trois grands siècles de la prophétie. Nous avons vu ce qu'était le milieu d'où le prophétisme est sorti etles deux mobiles de l'action des prophètes jéhovistes: la vocation etle patriotisme. Il nous faut maintenant examiner cette actionelle-même dans le développement synthétique que nous présentent leursécrits. Avec les VIII e, VII e et VI e siècle av. J.-C, nous entrons dansune nouvelle période de l'activité des prophètes. Plus de massacres,plus de miracles. L'homme de Dieu se mêle sans doute encore à la viepolitique de son peuple, mais c'est en exerçant sur lui une actionpurement morale et religieuse. Il parle et il écrit. Le rôle desprophètes comme écrivains a certainement été plus considérable qu'onne le pense généralement. Déjà l'histoire sainte jéhoviste rédigée auIX e siècle appartenait au milieu des prophètes. La littératuredeutéronomistique porte aussi le cachet de l'esprit prophétique. Lefait que les Chroniques nomment toute une série de prophètes commeayant contribué aux annales d'Israël doit être pris aussi enconsidération. On ne prête qu'aux riches. L'important, pour ce quinous concerne ici, c'est que le ministère des principaux hommes del'Esprit a été consigné dans des ouvrages qu'ils écrivirenteux-mêmes, ou qu'ils firent rédiger par leurs disciples. Ce point estde grande conséquence pour nous, parce qu'il nous permet de prendredirectement contact avec la pensée et l'action des chefs spirituelsd'Israël. L'équivoque n'est plus possible, parce que nous ne sommesplus réduits à nous en remettre, pour eux, à la représentationd'historiens dont nous ignorerions les sources et la mentalité. Cesprophètes écrivains sont à eux-mêmes leurs témoins. Ce qui fait lavaleur capitale de ces résumés de discours que l'on peut comparerpour leur composition aux sourates du Coran, c'est qu'ils sontl'héritage d'individualités comme le monde antique n'en connut nidans l'Orient, ni en Grèce, ni à Rome, et qui se sont pressées dansl'espace de deux siècles, animées d'une même passion, éclairées d'unmême esprit, se succédant les unes aux autres, apprenant les unes desautres et portant, par une évolution d'une rapidité foudroyante, lareligion de l'élite d'Israël à une hauteur où elle atteignit à laclarté définitive de l'Évangile. Par leurs ouvrages, écrits par eux ou par leurs disciplesimmédiats, nous pouvons savoir avec la plus grande précision cequ'ils demandaient à leurs auditeurs, ce qu'ils supposaient connu desadorateurs de Jéhovah, quel fut le développement de leur théologie etcomment ils se représentaient l'avenir religieux d'Israël. On tient volontiers aujourd'hui pour démontré dans les milieux dela critique avancée que les prophètes des VIII e, VII° et VI esiècles--siècles classiques du prophétisme--furent les initiateurs dujéhovisme dans ses principes fondamentaux: moralisme, monothéisme,spiritualisme, universalisme. Cette conclusion répond admirablementaux prémisses de critiques qui conçoivent Jéhovah comme une diviniténaturiste et qui pensent pouvoir expliquer l'histoire la moinsnaturelle du monde, celle d'Israël, avec les seules ressourcesordinaires de l'évolution humaine. Mais la question est de savoir sicette conclusion correspond à l'attitude des prophètes qui nous ontlaissé des écrits et dont nous avons, d'après ces écrits, àcaractériser l'initiative. 1. L'ACCUSATION.Les quatre grands prophètes du VIII° siècle, Amos, Osée, Ésaïe etMichée, entrent en scène de la même façon. Ils se présentent, non enrévélateurs, mais en accusateurs. Leurs discours sont desréquisitoires. Que reprochaient-ils à Israël? D'avoir violé lajustice. La justice! On en parlait quelquefois dans les sociétésprimitives, mais on ne l'apercevait que partiellement; elle y étaitfacultative et dépendait, dans le principe, du bon plaisir des rois.Plus tard, en Grèce et à Rome, on disserta sur la justice, on dit àson sujet des choses admirables. Mais tout cela était théorique etprésenté parfois comme un idéal irréalisable; le philosophe quil'exaltait n'exigeait pas qu'elle fût accomplie au prix de n'importequel sacrifice. Il y avait toujours des accommodements. Quandl'intérêt de la patrie était en jeu, son salut ou sa grandeur,c'était l'injustice que l'on glorifiait. Les Stoïciens eux-mêmes, quiproclamaient la fraternité de tous les hommes et voulaient que leSage fût citoyen du monde, n'ont jamais, pas même lorsqu'ils tenaientle sceptre avec Marc-Aurèle, essayé d'établir une justice unique pourl'esclave et pour l'homme libre, pour le barbare et pour le civisromanus. Et voici que, soudain, dans les milieux gréco-romains, unesociété nouvelle parut, qui étonna le monde parce qu'elle avait pourloi la justice impérieuse, la même justice pour tous (Mt23:8,12,Lu 22:25,Col 3:11), la justice du sermon sur lamontagne (Mt 5-7). «Que s'est-il donc passé?», écrit à ce sujetH. Bergson (Les deux sources de la Morale et de la Religion, p.75). «Comment la justice a-t-elle émergé de la vie sociale à laquelleelle était vaguement intérieure, pour planer au-dessus d'elle et plushaut que tout, catégorique et transcendante? Rappelons-nous le ton etl'accent des prophètes d'Israël. C'est leur voix même que nousentendons quand une grande injustice a été commise ou admise. Du fonddes siècles, ils élèvent leur protestation.» Amos: De Sion, Jéhovah rugit...Ainsi parle Jéhovah: A cause de trois crimes de Juda, même de quatre, Je ne révoquepas mon arrêt...J'enverrai le feu dans Juda...A cause de trois crimesd'Israël, même de quatre, Je ne révoque pas mon arrêt...Voici, jevous écraserai, Comme écrase un chariot rempli de gerbes.(Am 1:2 2:4,5,6,13) Osée: Écoutez Jéhovah, enfants d'Israël, Car Jéhovah a un procèsAvec les habitants du pays...Puisque tu as oublié la loi de ton Dieu,Je te rejetterai (Os 4:1-6). Esaïe: Cieux, écoutez; terre, prête l'oreille, Car Jéhovah parle:J'ai nourri, j'ai élevé des enfants. Mais ils se sont révoltés contremoi...Cessez de faire le mal...Puis, venez et plaidons, ditJéhovah (Esa 1:2,16,18). Michée:

Ecoutez ce que dit Jéhovah,Lève-toi, plaidons devant les montagnes!Écoutez, montagnes, le procès de Jéhovah,Car Jéhovah a un procès avec son peuple...Ses habitants profèrent le mensonge...C'est pourquoi je te frapperai par la souffrance,Je te ravagerai à cause de tes péchés (Mic 6:1,2,12,13).
Toute cause au tribunal, même dans la chétive justice humaine,suppose que l'inculpé connaît le plaignant et sait quelle est laviolation de contrat individuel ou social qui lui vaut sa peine.Quand il s'agit du procès de Dieu mené par les personnalités moralesdont les siècles rediront la grandeur unique dans l'ordre de lajustice, on peut considérer que cette condition d'équité a étérespectée. 2. LE CONTRAT VIOLÉ.Quel est donc le contrat qu'Israël a connu et transgressé? l'alliancequ'il a violée? (Os 6:7 8:1,12) Cette loi, Amos en parleexplicitement (Am 2:4) dans une strophe que la critique avancéetient pour une interpolation parce qu'elle ne cadre pas avec saconception religieuse du jéhovisme, mais que rien n'oblige àsupprimer, que tout, au contraire, invite à maintenir, pour la bonneraison qu'il serait fort étrange qu'Amos le Judéen, qui vient dedéclarer que Jéhovah rugit de Sion, passe sous silence les fautesde sa patrie, dépositaire de la Loi, et les menaces contre Jérusalem.Osée s'y réfère aussi (Os 4:1 6:6 8:1) dans son premier discours,où il met en avant une formule qu'il affectionne: la «connaissance deJéhovah» ou, ailleurs, «connaître Jéhovah», formules qui, dans sabouche, n'ont pas trait seulement à la science intellectuelle, maisen premier lieu à l'expérience religieuse, à la moralepratique (Os 4:1-6 5:4 6:3-6 8:2 13:4). Cette loi, qu'Israëlconnaît, serait-ce le décalogue de Ex 34 rapporté par l'écrivainjéhoviste--le seul dont la critique avancée admette l'existence avantle VIII e siècle? Mais s'imagine-t-on que la révolution opérée parMoïse se serait contentée d'un tel fondement, d'une brève liste deprescriptions cultuelles, qui sont précisément ce que le mosaïsme ade plus commun avec les religions des autres peuples? Y avait-il làde quoi surprendre, émouvoir, retourner le peuple d'Israël, etengager le combat moral où il va se débattre pendant des siècles,porteur de la religion du vrai Dieu? Était-ce là ce qui pouvait luidonner la «connaissance de Jéhovah» et justifier les diatribesenflammées d'Amos et d'Osée? Aussi bien, il suffit de relireattentivement ces deux prophètes pour se rendre compte qu'ils ne fontaucune allusion à ce décalogue-là; il ne les intéresse pas, étantprécisément l'élément du culte jéhovique par lequel celui-ci voisinele plus dangereusement avec les cultes idolâtres: fêtes de moissons,sacrifices de bétail, offrande des prémices des récoltes, autant deformes d'adoration qui pouvaient indifféremment servir pour honorerJéhovah ou les Baals primitifs de la terre cananéenne. Les pratiquesextérieures et les formes rituelles ont déjà fait tant de mal àIsraël, l'ont déjà si souvent induit à éluder les exigencesvéritables de la religion de Jéhovah, qu'Amos et Osée vont jusqu'às'emporter contre elles: Amos:
Je hais, je méprise vos fêtes,Je ne puis sentir vos assemblées.Quand vous me présentez des holocaustes et des offrandes,Je n'y prends aucun plaisir. (Am 5:21,22, cf. Esa 1).
Osée: Ephraïm a multiplié ses autels pour pécher, Et ses autelsl'ont fait tomber dans le péché. Que j'écrive pour lui toutes lesordonnances de ma loi, Elles sont regardées comme une choseétrangère. Ils immolent des victimes qu'ils m'offrent...Jéhovah n'yprend point de plaisir (Os 8:11,13). Amos va jusqu'à dire que tout ce cérémonial ne faisait pas partiedu mosaïsme authentique: M'avez-vous fait des sacrifices et des offrandes Pendant lesquarante ans du désert, Maison d'Israël? (Am 5:25, cf. Esa 1:11-15,Mic 6:8,Ps 50:7-15,Jer 7:22). Quel est donc, pour Amos et Osée, le contrat dont la violationdans la suite des générations passées va entraîner maintenant lechâtiment et la ruine d'Israël? L'alliance morale. En même tempsqu'il déclare vain et d'institution humaine le culte rituel, Amoss'écrie:
Que la droiture soit comme un courant d'eauEt la justice comme un torrent intarissable! (Am 5:24)Et cette déclaration est le leit-motiv de toute sa prédication.Il n'y a que parjure et mensonge,Assassinat, vol, adultère;On use de violence...(Os 4:2)
Dans ce passage qui introduit le ministère d'Osée, chaque termevise un des commandements moraux du Décalogue de Ex 20 et deDe 5. S'il y a une thora (=loi) dont l'existence et lavaleur fondamentale pour la religion de Jéhovah soient démontrées parles allusions des deux premiers prophètes écrivains, c'est à coup sûrcette thora du Sinaï dont on nous dit aujourd'hui qu'elle ne fut quel'écho affaibli de la voix des prophètes des VIII° et VII e siècles. Osée, qui suit Amos, va plus profond que lui. Après avoir dénoncécomme lui l'immoralité d'Israël, sa transgression du Décalogue, commemotif de sa condamnation et source de sa ruine, il fouille dans l'âmede l'Israélite et découvre la raison profonde de cette infidélité:une transgression intime, le mépris d'un commandement sur lequel tousles autres commandements s'appuient et sans lequel tous perdent leurforce et s'écroulent: le commandement de l'amour. Trahi par safemme (Os 1-3), dont les débordements sont venus de ce qu'ellen'aimait plus son mari, Osée dénonce à la nation élue son infidélitéinitiale:
Mon peuple consulte son idole de bois,Et son bâton lui donne des avis!Car l'esprit de prostitution les égare,Et ils se prostituent loin de leur Dieu...Insensé, le peuple court à sa perte!Que te ferai-je, Ephraïm?Que te ferai-je, Juda?Votre amour est comme le brouillard du matin,Comme la rosée qui bientôt se dissipe!Malheur à eux,Parce qu'ils m'ont fui!Ruine sur eux,Parce qu'ils m'ont trahi! (Os 4:12-14 6:4 7:13)
Comparant la nation infidèle à une épouse adultère, à une mèredénaturée, Jéhovah dit par la bouche d' Osée: Je la châtierai pour les jours où elle encensait les Baals, oùelle allait après ses amants et m'oubliait! Je veux l'attirer et laconduire au désert et je parlerai à son coeur...Et elle chanteracomme au temps de sa jeunesse (Os 2:13,15). Quand donc, et par le moyen de qui, le contrat d'amour entreJéhovah et la nation élue avait-il été conclu? Osée le rappelle avecprécision à ses contemporains: ce fut le jour où Jéhovah fit sortirIsraël du pays d'Egypte, maison de servitude (Os 11:1 2:17 13:4,cf. De 5:6), et le confia à Moïse. Par un prophète, Jéhovah Fit monter Israël hors d'Egypte; Et par un prophète, Israël fut gardé (Os 12:14). Osée vient de rappeler que Jacob était berger (Os 12:13). Iltransporte l'image sur Moïse, qu'il présente ici comme le bergerenvoyé par Jéhovah à Israël pour le protéger et le conduire aupâturage. Une étude objective des discours d'Amos et d' Osée--nous n'appelonsici en cause que ces deux premiers porte-parole de Jéhovah au VIII°siècle, parce que, de leur temps, notre livre actuel du Deutéronomen'existait pas--amène irrésistiblement à la conclusion que nonseulement le Décalogue d' Ex 20 et de De 5 existait déjàsous sa forme primitive, mais aussi que le commandement «Tu aimerasl'Éternel ton Dieu...» (De 6:5), donné plus tard par Jésus commele principe de toute la législation jéhovique, faisait partie de larévélation mosaïque. Un siècle avant Osée, Israël, en rupture de contrat, couraitaprès ses amants les Baals, divinités cananéennes auxquelles ilattribuait le pouvoir de féconder le sol et de donner des récoltesabondantes. Élie se dresse au nom de l'alliance violée et obtient deJéhovah le pouvoir de faire un exemple: à la parole de l'homme deDieu, la sécheresse s'étend sur le pays et le désole par la famine. Asa parole, la pluie tombe de nouveau et la terre est fécondée (1Ro17 et 18). Terrible leçon et révélation inattendue pour lescontemporains du prophète qui avaient bien cru jusque-là que Jéhovahétait leur dieu national, le dieu de leurs guerres et de leursvictoires, mais qui n'avaient pas cessé d'attribuer aux Baals deCanaan, politiquement dépossédés par Jéhovah, le pouvoir de féconderle sol qui leur appartenait dès les temps antiques. Le triomphed'Elie et le massacre des prophètes du Baal phénicien introduits enIsraël par Jézabel ne suffisent pas à ramener la nation élue à lafidélité à Jéhovah. Elle continue, par son adultère, de marcher à saperte. C'est là ce que le prophète Osée rappelle dans son discoursinaugural. Parlant des générations qui l'entourent, il dit: Leur mère s'est prostituée, déshonorée, car elle a dit: J'iraiaprès mes amants, qui me donneront mon pain et mon eau, ma laine etmon lin, mon huile et mon breuvage. Elle n'a pas reconnu que c'étaitmoi qui lui donnais le blé, le moût et l'huile; et l'on a consacré auservice de Baal l'argent et l'or que je lui prodiguais (Os2:5,8). Osée, en nous expliquant l'acte d'Elie, témoigne que déjà, pourle prophète du IX e siècle, la faute de la nation élue était d'avoirtrahi l'amour conjugal qui la liait à Jéhovah, le Dieu du Sinaï, leDieu jaloux de la jalousie qu'éprouve un époux à l'égard de celle quilui a engagé sa foi. C'est aussi le contrat moral du Sinaï quiexplique l'attitude intransigeante d'Élie vis-à-vis d'Achab àl'occasion de la vigne de Naboth. Les confiscations, les meurtres,les compromissions judiciaires étaient d'usage courant chez lespotentats dans le milieu où vivait Israël. En tout autre pays, lamenace d'un censeur comme Elie à l'égard d'un monarque heureux,puissant et énergique comme Achab, eût paru simplement un crime delèse-majesté; on l'eût puni de mort. Mais ici, nous n'avons ni unmonarque, ni un censeur ordinaires. Le monarque est l'oint deJéhovah, le censeur est le prophète de Jéhovah; l'un et l'autreconnaissent les exigences du contrat sinaïtique; ils savent' que touteffort moral aidant la justice est à l'honneur du Dieu qui a choisiIsraël pour peuple. Comme Élie fait pressentir Michée de Jimla (1Ro 22:1,28) etAmos de Thékoa, dans sa notion de la justice, il continue latradition de son prédécesseur Ahija de Silo, qui provoque le schismepour venger l'honneur de Jéhovah trahi par Salomon (1Ro11:29,33), et Ahija continue Nathan reprochant à David d'avoir faitmourir son serviteur Urie pour pouvoir posséder sa femme (2Sa12). Partout ailleurs qu'en Israël, un enlèvement comme celui-làn'aurait soulevé aucune surprise. Quidquid délirant reges..., mais ici il y a le contrat du Sinaï, la foi jurée; c'est tout lepassé contractuel qui se lève en témoignage dans cette parole parlaquelle Jéhovah caractérise l'acte de David: «Tu m'asméprisé» (2Sa 12:10). Le vieux récit nous fait assister à unescène qui en dit long au sujet de l'emprise morale que Jéhovah avaitsur son peuple à cette époque: l'illustre monarque chargé de gloireet parvenu au faîte de la puissance s'humilie devant le prophète ets'abîme dans le plus profond des repentirs. Nous rejoignons ici le XIe siècle où nous avons rencontré Samuel le prophète qui disait:«L'obéissance vaut mieux que les sacrifices...Jéhovah regarde aucoeur» (1Sa 15:22 16:7). Avant lui, un homme de Dieu s'étaitlevé pour déclarer au prêtre Héli de Silo: «J'honore qui m'honore, etcelui qui me méprise sera méprisé» (1Sa 2:30). Le prophète,homme de réaction contre la religion relâchée où le culte n'exprimeplus le contrat moral avec Jéhovah, apparaît ici pour la premièrefois (1Sa 2:22,25), aux derniers jours du temps des Juges. Du temps des Juges, qui dura de 100 à 130 ans, nous ne savons quepeu de chose, sinon que «la parole de Jéhovah était rare» (1Sa3:1). Les événements qui se déroulent à cette époque montrent assezque ce fut un temps d'anarchie qui ne justifia que trop lesappréhensions du vieillard Josué (Jos 24). La critique avancéene fait pas une bonne presse à Josué et à ses conquêtes. Il estcertain que la comparaison du livre de Josué (voir Josué) avec lespremiers chapitres du livre suivant commande les plus grandesréserves sur la façon dont certains des documents qui le composentprésentent l'établissement des Israélites dans la Terre Promise. Maisce livre renferme des pages qui proviennent des plus vieilles annaleshébraïques. Celles-là, du moins, devraient épargner à Josué lesoupçon qu'il n'a peut-être jamais existé. De ces traditionsanciennes rapportées par l'Écrit prophétique JE, et qui ne sontantérieures aux auteurs de JE que de deux siècles et demi à troissiècles, nous ne retiendrons ici que le renouvellement de l'allianceà Sichem. Josué, que JE nous présente comme le lieutenant de Moïse,le jeune homme qui, attaché au service de la Tente des rendez-vous deJéhovah, vécut avec son maître les grandes heures du jéhovismependant le séjour au désert, a eu la lourde charge de succéder àMoïse. Il a entrepris l'installation des premières tribus sur laterre de Canaan, terre de vieille civilisation, toute pervertie parle culte sensuel de ses Baals. Au désert, il s'était rendu compte desexigences morales de Jéhovah et du terrible jugement que celui-ciexerçait contre les Israélites infidèles. En Canaan, il mesure lestentations que son peuple encore tout débandé va rencontrer sur uneterre riche et peuplée de divinités naturistes. Il sait que lesIsraélites qui n'ont connu Jéhovah qu'au désert--et que Jéhovahramènera au désert s'ils le trahissent et s'ils ont besoin de seretrouver face à face avec lui loin de toute séduction de prospéritépour rétablir avec lui l'alliance primitive (cf. Os 2:16 12:1013:4) --vont avoir comme instructeurs, dans la culture du sol etdans le commerce, des populations qui leur transmettront les usagesséculaires de leur agriculture, tous rattachés à l'adoration desBaals régionaux ou locaux, dont la protection immémoriale assure lafécondité du sol. Il prévoit que les Hébreux seront amenésimmanquablement à faire deux parts dans leur culte, à unir deuxreligions: celle du Jéhovah national, le Dieu des arméesvictorieuses, et celle des Baals cananéens, pourvoyeurs des biens dela campagne. Cette dualité serait leur perte, car Jéhovah est un«Dieu jaloux» qui a dit: «Tu n'auras point d'autres dieux devant maface.» Avant de déposer le pouvoir qu'il tient de Jéhovah, Josué veutplacer Israël en présence de la situation tragique où lescirconstances le mettent, et il convoque une grande assemblée àSichem. Là, sous l'arbre rendu sacré par les autels d'Abraham et deJacob (Ge 12:6 35:4, cf. De 11:26-32 27:1-14), il demandeaux tribus d'Israël si elles se sentent la force et si elles ont levouloir de confirmer le contrat du Sinaï et de maintenir pour leurseul Dieu: Jéhovah. L'importance de cette scène et de l'alternativequ'elle comporte n'a pas été assez aperçue. Quels que soient lesremaniements deutéronomiques que l'on veut voir dans ce récit, onn'en saurait supprimer la question: Quel Dieu voulez-vous servir?Cette question fait du jéhovisme un drame de liberté. Instruit parles premières épreuves de son commerce avec Jéhovah, Israël, àSichem, renouvelle volontairement son alliance avec lui. Il s'offrelibrement à son Dieu qui fera sur lui l'expérience humaine de larégénération. Il n'a pas été pris en traître; conscient de ce quecoûte la désobéissance aux ordres de Jéhovah, il s'avance avec uneconfiance tenace vers les grands coups que le «divin sculpteur del'âme» devra donner pour ciseler dans l'humanité de la chute uneimage à la ressemblance de Dieu. Il bronchera, il tombera, maisl'oeuvre s'accomplira. Par une série d'éliminations successives sedégagera peu à peu de la masse charnelle l'homme spirituel,l'Homme-Dieu. Cette nouvelle création a pour point de départ lecontrat du Sinaï ratifié à Sichem, et pour ouvriers les prophètes.Sans ce contrat, Israël n'eût eu aucune raison de connaître un autredestin que celui des peuples de sa race, Édom ou Moab. Sans cecontrat, la réaction des voyants jéhovistes, de Samuel à Amos, ne secomprendrait pas. Si les premiers prophètes du VIII° sièclen'avaient pu s'en référer à lui, justifier par lui la sévérité deleur verdict, ce verdict, au lieu d'être drastique pour l'élite dupeuple, n'eût pas manifesté plus d'équité que tant de verdicts où lajustice humaine demande du coupable plus qu'elle ne serait en droitd'exiger de lui. Et les fervents jéhovistes groupés autour desprophètes, au lieu de considérer les malheurs de leur race comme lesalutaire châtiment du Père céleste, n'auraient vu dans leur nationruinée et déportée qu'une victime de l'arbitraire divin, semblable àcelles dont Homère dans l'Iliade nous fournit d'abondants exemples.Le jéhovisme rédempteur inauguré par Amos et Osée eût été écrasé dansl'oeuf. 3. LE DIEU OFFENSÉ. (a) LES ORIGINES DE SON CULTE. Les prophètes nese contentent pas de nommer Jéhovah comme la divinité offensée par laviolation du contrat. Ils tiennent dans leurs discours pour un faitétabli, une réalité hors de discussion, que Jéhovah avait le droitmoral de punir Israël à cause de la violation du contrat. D'où luivenait ce droit? Les plus vieux documents de la Bible nousl'expliquent en mettant en avant deux noms: Abraham et Moïse. Dans lepremier cas, il s'agit d'un homme qui a dû quitter sa patrie et sesdivinités patronales. Nous pouvons nous le représenter démoralisé,désorienté, mais de personnalité assez puissante et assez haute pourne pas prendre son parti de sa destinée, et capable, si une voies'ouvre devant lui, d'y entrer résolument et de refaire sa vie. Dieul'appelle, se propose à sa foi sous la forme de l'élohim protecteurqui l'accompagnera et le bénira s'il se fie à lui avec intégrité.Abraham entreprend la marche par la foi; les bénédictions de sonélohim l'affermissent dans la certitude que son Dieu est puissant etbon. Il forme sa famille dans l'adoration du dieu puissant,El-Chaddaï. Par la grâce d'El-Chaddaï, la tribu des Abrahamides estsauvée de la famine et séjourne en Egypte dans une terre favorable. Au bout de quelques siècles, Israël est de nouveau menacé dedisparaître, non par la famine, mais par le massacre systématiqueordonné par un pharaon. Et voici Moïse sauvé des eaux, élevé à lacour, compromis par son patriotisme, forcé de chercher son salut dansl'exil. Le voilà, comme Abraham, jeté hors de sa voie et méditantdans le désert madianite sur l'énigme de sa destinée. Il a dugénie--la suite le prouvera--, il a des connaissances et un couragequi désignent en lui un chef. El-Chaddaï l'appelle et se révèle à luicomme le Dieu vivant--Jéhovah--capable de libérer ses tribus esclaveset d'en faire une grande nation si elles acceptent de marcher par lafoi dans le désert et de constituer à sa voix un peuple de franchevolonté. Moïse recule d'abord devant la tâche, puis accepte. Il eûtpu dire alors comme plus tard Jérémie: «Jéhovah, tu m'as saisi, tum'as vaincu!» Le peuple est subjugué par l'ascendant du chef qui luiparle au nom du dieu des pères; il tressaille à l'espoir que lespromesses faites à Abraham vont enfin s'accomplir; la délivrance aupassage de la mer Rouge achève de le mettre dans les dispositionsvoulues pour accepter le contrat du Sinaï. Quand Jéhovah donne àMoïse les ordres qui devaient moraliser son peuple, et par ce peuplel'humanité, il a acquis par des grâces accordées de génération engénération le droit moral de commander à des hommes libres. Au Sinaï,la religion du vrai Dieu s'impose à la conscience humaine et entredans l'histoire. La façon dont le plus vieux document biblique raconte lesorigines du culte de Jéhovah présente des caractères qui lerecommandent à toute notre attention, (1) Le témoignage primitif qu'ilapporte est confirmé par tous les récits, par ailleurs fort divers,de l'histoire hébraïque. Les écrivains deuté-ronomistes, quidéveloppent les anciens textes et leur donnent un caractèreparénétique, les écrivains sacerdotaux, dont les conceptions surd'autres points diffèrent absolument de la conception de JE, sontunanimes pour déclarer que la religion d'Israël a eu commeinitiateurs deux hommes appelés de Dieu: Abraham l'ancêtre, Moïse lelégislateur. (2) Le mouvement religieux qui, dans ces deux étapes, ainauguré la reprise des rapports de Dieu avec l'homme, s'est produit,d'après le récit de JE, dans des conditions psychologiquesauxquelles, certes, nos écrivains antiques étaient loin de songer,mais qui se trouvent être précisément les conditions par lesquelles,d'après la pensée chrétienne de notre temps, s'est constammentdéveloppé à travers les siècles le progrès spirituel de la sociétédes croyants. A l'origine de tous les réveils de la pensée ou del'action: un homme, une personnalité donnant l'impulsion, non de soninitiative, mais parce que, de son propre aveu, Dieu l'a arrêtée surle chemin, illuminée, convertie et contrainte de tout quitter pourentrer par la foi dans une voie nouvelle et délivrer à son entourageun message nouveau. «Dieu ne se révèle pas par des choses, par desobjets sacrés, mais par des hommes, par des âmes consacrées» (Wilf.Monod). Tous ceux qui firent, en quelque temps que ce soit et à un degréquelconque, l'expérience divine, font partie de cette chaîne vivante desporte-flambeaux de Dieu. Ils sont légion et conduisent l'évolutionspirituelle du monde. Parmi eux, Vinet, Wesley, Calvin, Luther,François d'Assise, Augustin, Paul, Jérémie, Moïse et, tout au fond,tel un sommet trop éloigné pour que les regards puissent en discernerles contours, mais dont une lueur montre la cime: Abraham, le pèredes croyants. Que les auteurs de nos premiers récits bibliques, aulieu de placer la théophanie originelle dans des circonstancesextérieures, prodiges physiques frappant les foules et les courbantdans l'adoration, l'aient énoncée comme un drame intérieur dans uneconscience d'homme, un acte d'obéissance, voilà qui montre qu'ilsavaient bien vu et qui leur donne du crédit. Cent ans au moins avantla grande époque du prophétisme, dans le milieu cananéen où lepaganisme étalait ce qu'il a de plus grossier et de plus sensuel,n'ayant à l'horizon que les cultes des grands empires qui imposaientpar leurs temples, leurs statues, leur sacerdoce et leurs devins, lesécrivains de JE savaient que la religion jéhoviste n'avait pas prissa source dans les superstitions naturistes ni dans les opérationsmagiques, mais qu'elle avait été une initiative de Dieu et qu'elleavait pris conscience d'elle-même dans les rapports moraux de lapersonne divine avec la personne humaine; rapports où se forma dansl'humanité de la Chute un premier germe de vie spirituelle. Quelqu'ait été le caractère rudimentaire des connaissances de ces Hébreuxqui fixèrent la tradition primitive de leur peuple, et quelque naïvesque puissent nous paraître leurs conceptions, les constatations quenous venons de faire suffisent pour interdire qu'on les confonde avecla foule des chroniqueurs antiques. Par leur orientation, ilsappartiennent à une autre humanité: l'humanité qui a intégré larévélation dans l'histoire. La science moderne, avec son merveilleux apport de connaissancesnouvelles d'ordre archéologique, ethnique et géographique, ne pouvaitpas ne pas exercer une influence profonde sur l'étude de l'AncienTestament. Elle a pensé pouvoir expliquer par ses découvertes, nonseulement l'histoire politique d'Israël, mais aussi son histoirereligieuse. Toute une école de critiques s'est constituée, dont lepropos est de situer «la Bible elle-même» sur le plan de l'histoireuniverselle (S.A. Cook). A bien des égards, nous n'avons qu'à nous louer de son effort. Larésurrection des anciens peuples du moyen Orient nous a appris àmieux connaître le milieu de la Bible, à mieux apprécier la valeurdocumentaire de l'Ancien Testament. L'étude des cultes primitifs,magiques ou naturistes, des religions sumérienne, babylonienne,assyrienne, égyptienne, égéenne, hittite et autres nous a donné unecompréhension plus grande de ce que durent être les croyancespré-mosaïques des Hébreux, ainsi que de ce que la religion d'Israëlavait en commun avec celles des nations voisines. Nous avons pu ainsinous rendre mieux compte de ce qui appartenait en propre à son génieou à la révélation. Les connaissances que l'on a acquises sur Canaanet sur le conflit qui s'y est rencontré entre la vie nomade et la viesédentaire ont jeté beaucoup de lumière sur les moeurs d'Israël etles contrastes de son histoire qui s'expriment, d'une part dans leformalisme du temple et le luxe des rois, d'autre part dans lesrevendications des prophètes, les coutumes des naziréens et desrécabites. Où la question se complique, c'est quand la nouvelle écolecritique veut nous expliquer l'origine du jéhovisme. Trèsimpressionnée par le caractère ethnique de certains récits del'époque patriarcale, elle estime que l'ensemble de ces récits estavant tout d'ordre explicatif (récits composés pour expliquer lenom des lieux, l'état présent du peuple, ses rapports avec sesvoisins), en sorte que les personnages qu'ils mettent en scène n'ontqu'une attache très vague avec l'histoire. Il n'est pas impossible,nous dit-on, qu'Abraham ait existé...Dans ces conditions nul n'estautorisé à faire fond sur des récits racontant la vocation d'Abraham,le sacrifice d'Isaac, les promesses aux patriarches; et quand Jéhovahse proposera à l'adoration des Israélites, il n'aura aucune qualitépour s'intituler le dieu de leurs pères. Pour la période de Moïse, la théorie des récits explicatifs joueégalement un grand rôle. C'est ainsi que des épisodes comme lacirconcision (Ex 4:24,26), la Pâque (Ex 12), laconstitution des anciens (Ex 18) et peut-être le buissonardent (Ex 3:1,6), les plaies d'Egypte (Ex 7-11 12:29,34),les promesses relatives à Canaan, l'intention de Moïse d'introduireson peuple dans une terre promise, passent de l'ordre des faitshistoriques dans celui des explications populaires ou sacerdotalesdestinées à légitimer des institutions postérieures ou des phénomènesobservés dans la nature. D'autres épisodes, comme celui de Moïsesauvé des eaux, relèvent du folklore. 11 ne s'ensuit pasnécessairement que Moïse soit un être fictif, mais nous n'avons guèreque sa légende. En tout cas, si les tribus israélites arrivèrent à sefixer en Canaan, ce n'est pas parce que Canaan était la terre queJéhovah lui avait promise, mais simplement en vertu de la loi quipousse les nomades à s'emparer des terres fécondes et cultivées.Israël arrive en Canaan comme avaient fait avant lui les Édomites etcomme feront après lui les Araméens (cf. Ad. Lods, Israël, t.I, p. 205). Une fois que le cadre historique donné par la Bible aux originesdu jéhovisme a été ainsi supprimé, il reste un problème capital àrésoudre: comment le Jéhovah des prophètes est-il entré dans la viedes Hébreux? Car on ne saurait nier que, du temps de Débora, dont lecantique marque une date (Jug 5), Jéhovah est le Dieu d'Israël,l'élohim puissant qui conduit les guerres de son peuple et qui brisequiconque s'oppose aux destinées glorieuses de ses adorateurs.«Jéhovah et Israël sont indissolublement unis comme âme et corps»(Wellhausen). D'où vient Jéhovah? Après Tiele et Stade, Budde en1900, Valeton dans le Manuel de Chantepie de la Saussaye (traductionfranc. 1904), plusieurs champions de la critique moderne ont proposéde voir dans Jéhovah le dieu des Kéniens nomades qui habitaient lapresqu'île du Sinaï et avec qui Moïse s'allia par mariage. Au dire de la tradition, Moïse séjourne parmi les tribusmadianites avant d'entreprendre son oeuvre libératrice. Il devient legendre d'un «prêtre de Madian», Hobab le Kénien, d'après J (Jug4:11); ce beau-père, qui d'après une autre tradition (E) s'appelleJéthro (Ex 3:1), vient visiter Moïse après la sortie d'Egypte etoffrir à Jéhovah un sacrifice suivi d'un repas auquel prennent partMoïse, Aaron et les notables du peuple (Ex 18). Puis ilconseille à Moïse de se faire aider dans sa tâche en mettant desanciens à la tête du peuple (Ex 18:14,26). Après quoi, Hobab(J), sur les instances de son gendre, accepte de prendre la tête dela colonne et de diriger la marche des tribus fugitives à travers ledésert qu'il connaît bien (No 10:29,33). De ce fait, la tribukénienne de Hobab accompagne Israël et partage son destin lors de laprise de Canaan (Jug 1:16,4:11-17 5:24,27) Les Hébreux gardèrentaux Kéniens une reconnaissance qui se manifesta lorsque Saüldétruisit les Amalécites (1Sa 15:5 et suivant). S'il faut encroire le texte, très postérieur et du reste altéré: 1Ch 2:55,la famille de Récab, à laquelle appartenait le fameux Jonadab quis'associa à l'équipée sanglante de Jéhu (2Ro 10:15, cf. Jer35), était de la tribu des Kéniens. Voilà tout ce que nous savonssur une peuplade à qui tout à coup se trouve attribué un rôle depremier plan dans l'histoire de la religion biblique. On peut s'étonner d'abord de voir les textes de JE relatifs auxKéniens investis d'une valeur documentaire refusée à l'ensemble destémoignages qui, dans les mêmes sources, nous rapportent lestraditions sur Moïse; traditions que le reste de la Bible confirme,tandis qu'il n'est nulle part question, dans les prophètes niailleurs, d'une origine kénienne du jéhovisme. Ce jéhovisme kénienn'est du reste pas non plus dans les textes qui nous parlent desKéniens. On l'infère du fait que Jéhovah aurait été le dieu du Sinaï,le dieu de la montagne près de laquelle, comme d'autres tribus, lesKéniens faisaient paître leurs troupeaux. Que Jéhovah se soitmanifesté sur le mont Sinaï, c'est certain; mais il ne faut pasoublier que les traditions, unanimes pour situer cette théophanie auSinaï, sont unanimes aussi pour déclarer que Jéhovah n'était autreque l'Elohim des pères, le Dieu d'Abraham. Or, Dieu était apparu àAbraham dans la plaine de la Mésopotamie. Quant au sacrifice queJéthro est censé avoir offert à Jéhovah, le texte hébreu ditsimplement «il prit» et non «il offrit»; peut-être devons-nousconsidérer que Jéthro se contenta de s'associer à un sacrifice. Queprouverait, d'ailleurs, relativement à sa religion personnelle, lefait qu'étant venu au bruit des merveilles accomplies par le dieud'Israël, Jéthro ait offert en reconnaissance un sacrifice à ce dieubienfaiteur, le dieu de la famille de son gendre? Des actes dedéférence de cet ordre ne sont-ils pas dans l'usage courant desreligions de l'époque? L'exclusivisme du dieu jaloux, tel que l'ontcompris Moïse et les prophètes, n'avait aucune prise sur lesadorateurs des Baals et autres dieux naturistes. Constatons encoreque, dans le récit où il est question du sacrifice, il est ditexplicitement que Jéthro était venu pour voir ce que Jéhovah avaitfait en faveur de Moïse et d'Israël son peuple. Pour Jéthro, dans letexte, Jéhovah est le dieu d'Israël, et nullement celui des Kéniens.Et cette vérité nous paraît ressortir avec évidence du fait que,lorsque Moïse presse son beau-père de lui servir de guide à traversle désert, il emploie comme argument le fait que Hobab deviendraainsi le bénéficiaire des faveurs que Jéhovah accordera à son peuple,conformément à ses promesses. Si Jéhovah avait été le dieu de Hobabavant d'être celui de Moïse, si c'étaient les Kéniens qui avaientprocuré Jéhovah à Israël, Moïse parlerait-il ainsi à son beau-père?Dans la pensée de Hobab comme dans celle des gens de son époque, lavérité n'eût-elle pas été, au contraire, que plus il s'éloignerait duSinaï, séjour de son dieu ancestral, et plus s'affaiblirait laprotection de ce dieu? Enfin, si le trait de génie de Moïse a consisté à choisir pourIsraël le dieu de son beau-père, reste à expliquer comment Israëls'est laissé faire. La loi du point d'appui joue en histoire comme enmécanique. Pour manier le levier qui devait lui permettre d'éleverIsraël à une religion plus haute, il fallait à Moïse le point d'appuid'une tradition; avec les Kéniens, il n'y en avait aucune. L'histoirene fournit pas d'exemple de peuple ayant de plein gré abandonné sareligion pour adopter une religion étrangère. Les partisans del'origine kénienne de Jéhovah ont bien senti la force de cetargument; aussi suggèrent-ils l'idée que Jéhovah pouvait être déjà,outre le dieu des Kéniens, celui de quelques tribus hébraïques. Maisici, tout indice manque. Et ce n'est pas le fait qu'on peut retrouverdans des documents cunéiformes prémosaïques des noms renfermant aucommencement ou à la fin la syllabe ya qui nous apportera lalumière; car le verbe d'où le nom Jéhovah dérive peut être entré dansla composition d'une foule de vocables qui n'ont rien à faire avec ladivinité des Hébreux. Ne nous assure-t-on pas aujourd'hui danscertains milieux d'assyriologues que ya, à la fin des noms, estune désinence d'origine mitannite? Aussi ne sommes-nous pas surprisde lire, dans l'Histoire de la Civilisation d'Israël d'Alf.Bertholet: «L'hypothèse des Kénites, très souvent invoquée, ne meparaît admissible qu'en reconnaissant que Yahvé fut aussi le dieudes Kénites; mais qu'il ait été à l'origine le dieu des Kénitesseuls, soulève à mon avis de fortes objections» (p. 154, n. 3). A la question: Quelle est l'origine de Jéhovah, le Dieu d'Israël?la seule réponse appuyée par des textes demeure celle des historienset des prophètes de l'Ancien Testament: Jéhovah est l'élohimd'Abraham, le Dieu des ancêtres d'Israël, qui s'est révélé à Moïsesous son nom: «Je suis» (Ex 3:14 et suivant), nom par lequell'élohim d'Abraham donne à entendre que ce qui le distingue desautres élohim, c'est le fait qu'il existe. De là l'expressiond'un vieux texte de Josué: «Jéhovah, le Dieu vivant, est au milieu devous» (3:10), et l'exclamation de Gédéon: «Jéhovah estvivant!» (Jug 8:19) formule qui se trouve vingt fois dans l'A.T.De là aussi l'expression: «Je suis vivant!» (No 14:28),expression par laquelle Jéhovah en appelle au trait le plusdistinctif et le plus décisif de sa nature; de là enfin ladéclaration explicite de Jérémie: «C'est Jéhovah qui est le vraiElohim, le Dieu vivant, le Roi éternel» (Jer 10:10). Voir Yahvé. Les circonstances de cette révélation du Sinaï ne peuvent êtreexpliquées par le cours naturel de l'histoire, mais elles sejustifient au point de vue historique et psychologique par le faitqu'en donnant à Jéhovah le double caractère de Dieu des pères et deDieu vivant, elles fournissent la seule explication qui sauve lalégalité du contrat sinaïtique et la moralité de la condamnationd'Israël prononcée au nom du Dieu offensé par les prophètes du VIII esiècle. Voir Exclusivisme. (b) LES TYPES RELIGIEUX EN ISRAËL. Faut-ilconclure de tout cela qu'à partir du premier des prophètes, Moïse,les Hébreux ont été une nation monothéiste? Evidemment non. Aussibien est-ce une façon simpliste de traiter l'histoire que de parlerd'Israël en bloc et de dire: Israël était ceci ou était cela. Israël,comme toute société humaine, comme les Juifs du temps de Jésus, commeles chrétiens de notre temps, était constitué de groupes religieuxaux types divers, types qu'il faut connaître si l'on veut se faireune idée exacte des circonstances dans lesquelles les prophètes duVIII e siècle ont été appelés à entreprendre leur croisade jéhoviste. La masse d'Israël n'a su voir dans le Jéhovah du Sinaï que leprotecteur de son exode et de la confédération de ses tribus. Elle acontinué à le servir par les pratiques communes à tous les peuplesqui l'entouraient. Jéhovah est pour elle un élohim de montagnes(c'était sur les montagnes que, d'après la cosmogonie antique,reposait la voûte du ciel) et, pour elle comme chez la plupart desSémites occidentaux, (cf. De 12:2,3) les hauts-lieux sont lespoints de rencontre entre les adorateurs et le dieu qui dispose desphénomènes naturels pour détruire ou pour bénir: le tremblement deterre, les flammes dévorantes, les tonnerres, les ténèbres, latempête (Ex 20,Jug 5 etc.). Par une alliance indissoluble etqui remonte à une antiquité immémoriale (Ge 15:18), Jéhovah estdevenu le protecteur du peuple, celui qui mène ses batailles et quidisperse ses ennemis (Ex 15). Son arche est le palladium dela victoire (No 10:33). Pour collaborer à sa force, il fautaffamer les autres élohim en les privant de sacrifices et, pour cela,détruire sans pitié leurs adorateurs: d'où le khérem, ouextermination par l'interdit. Son culte, comme celui des élohimvoisins, sera champêtre et naturiste: autels, sacrifices, offrandes,libations, pierres plantées, éphod divinatoire, taureau d'or, achéraset bamoth (voir Colonne); il comportera même des sacrifices humains,qui étaient d'un usage courant chez les Cananéens, sacrifices defondations ou sacrifices d'enfants, constatés par le Deutéronome etcondamnés par lui (12:31, cf. Jug 11:31,1Ro 16:34, lire Ge22). Les Israélites, d'une façon générale, croyaient fermement àl'existence des autres élohim, des Baals qui fécondent la terre et,plus souvent qu'on ne le croit, ils ont associé au culte de Jéhovahcelui des autres nations. Salomon a élevé des sanctuaires à Moloch età Kamos (1Ro 11:4-8). Astarté avait en Israël ses prêtres et sescourtisanes (1Ro 15:12,Am 2:7,Os 4:13,14). Sans cesser de tenirJéhovah pour le Dieu officiel de leur peuple, la plupart des roisd'Israël ont adopté, à côté de lui, les divinités orientales dont ilsrecherchaient les faveurs. Puis il y avait le culte domestique, oùl'ancien animisme se maintenait avec ses rites et ses théraphim. Lesinstitutions de Moïse et les châtiments de Jéhovah ne parvinrent pasà purger l'ensemble d'Israël de toute cette idolâtrie. Il suffit pours'en rendre compte de voir ce que comportèrent la réforme d'Ézéchiaset celle de Josias, tout à la fin de l'histoire du royaume deJuda (2Ro 23). Même parmi les Israélites qui pratiquaientfidèlement la monolâtrie et ne servaient que Jéhovah seul, la notiondu Dieu national était au point de vue moral bien rudimentaire etdénuée de toute spiritualité. Ils croyaient, certes, que Jéhovahétait le plus puissant des dieux, mais sa sainteté ne leurapparaissait guère que sous l'angle de la terreur, car le pouvoir deJéhovah était tout environné de mystère. La présence de l'arche,qu'ils considéraient comme la demeure de Jéhovah, les remplissaitd'effroi (1Sa 6:20). Envisagé sous l'angle national, Jéhovah estun Dieu qui protège per fas et nefas, sans trop se soucier de lamorale. Leurs historiens trouvent naturel que la faveur de Jéhovahsoit accordée aux patriarches, même menteurs (Ge 12:10-2020:1,18), et qu'il ait incité les Israélites à voler leursvoisins en Egypte au moment de l'exode (Ex 3:21-22). Pour eux,tout est dû et tout est permis au peuple élu. Tout est dû et tout estpermis aussi à Jéhovah, qui n'a de compte à rendre à personne. Ilpunit les enfants pour les fautes des pères (No 16:32,2Sa 12:13et suivant), frappe le peuple pour la transgression de sonroi (2Sa 24). Comme les autres élohim, que les sacrificesrestaurent, Jéhovah est favorablement impressionné et subitementapaisé par l'odeur des holocaustes (Ge 8:20 et suivant). Il ades sympathies et il met en disgrâce, sans que l'homme puissereconnaître à ses manières d'être un motif moral. Il agit selon sonbon plaisir (Ex 33:19) et les hommes n'ont pas d'autre jugementà porter sur ses actes que les compagnons de Jonas lorsqu'ilsjetèrent celui-ci à la mer: «Ne nous charge pas du sang innocent, cartoi, Jéhovah, tu fais ce que tu veux!» (Jon 1:14). Ceux-ciavaient l'impression de commettre une mauvaise action pour gagner lafaveur de Jéhovah. Tel annaliste hébreu n'hésite pas à aller plusloin et à attribuer à Jéhovah des actes moralement répréhensibles:une initiative où, plus tard, on reconnaîtra l'esprit de Satan, estattribuée à Jéhovah. (cf. 2Sa 24:1,1Ch 21:1) Quand Jéhovah veutperdre quelqu'un, il l'incite au péché (Jug 9:23,Ex 10:2011:9,1Sa 2:25,1Ro 12:15,2Ro 24:19-20). Il dispose de l'esprit dumensonge comme de l'esprit de vérité (1Ro 22:19-23). «Avec lespurs, dit David dans 2Sa 22:27, tu te montres pur, mais avec lesfourbes, tu te montres fourbe» (trad. litt.). Cette notion du divinpédagogue auquel est attribué tout le mal et tout le bien qui seproduisent dans le cours de l'éducation d'Israël ne manque pas degrandeur, mais elle est ruineuse pour la moralité. Associée aupatriotisme du monolâtre farouche, elle lui représente que tout cequi vit existe pour Jéhovah, et que la gloire de Jéhovah et ladestinée d'Israël sont liées pour toujours; en sorte qu'aucunecatastrophe, ni politique ni morale, ne pourra entraîner la ruined'Israël. Telle était la doctrine de l'ensemble du sacerdoce.L'arbitraire divin n'était pas rassurant pour l'Israélite; il luirappelait trop l'humeur ombrageuse des monarques; aussi ne devait-ilrien négliger pour connaître par des oracles les célestes décrets,pour s'assurer par des présents la faveur divine et pour effacer pardes actes expiatoires l'impression fâcheuse que tel ou telmanquement, même involontaire, pouvait avoir faite sur Jéhovah. De làl'influence grandissante du clergé, intermédiaire entre Dieu etl'homme, de là le développement incessant des rites du temple et ducérémonial des sacrifices. D'autre part, cette notion du dieunational qui n'a pas de comptes à rendre à la morale et qui a lié sagrandeur à la prospérité de son peuple, faisait aussi la fortune desfaux prophètes, toujours prêts à affirmer à la cour des rois queJéhovah donnerait son appui aux desseins du monarque, assurerait lavictoire de ses armes et tirerait bientôt vengeance des ennemisd'Israël en les vouant aux pires catastrophes. Entretenus dans leurorgueil et leurs illusions par leurs prêtres et leurs prophètescourtisans, ces monolâtres jéhovistes avaient, eux, des prétentionsreligieuses, des ambitions politiques; ils se savaient, se voulaientle peuple de Jéhovah; grisés par leur histoire, ils se considéraientcomme les clients du plus puissant patron divin. Impatientés par lalenteur que mettait Jéhovah à confondre les nations hostiles, ilsdonnaient au jour qui devait exaucer leurs rancunes nationales etconsommer leur félicité le nom caractéristique de «jour de Jéhovah»(voir Jour de l'Éternel). A côté de ces monolâtres, jéhovistes de seconde zone, et enopposition avec eux, nous trouvons dès l'origine les hommes de Dieu,ceux qui sont en Israël comme le levain dans la pâte et qui peu à peul'acheminent vers la théologie morale et spirituelle des grandssiècles du prophétisme.Ceux-ci représentent, dès Moïse, lemonothéisme. Jéhovah est le Dieu qui existe (Ex 3:14). Lesautres, de ce chef, ne sauraient lui être associés (De 5:7); pointde place non plus dans le culte pour les images taillées (De5:8; cf. les passages relatifs au «péché de Jéroboam», 1Ro12:25,33 15:34 16:2,2Ro 3:3, etc.), car Jéhovah estinvisible (Ex 33:18,23) et ne se manifeste que dans sapersonnalité morale. Il s'affirme en proclamant le bien (De5:16,21). Si Israël veut entrer dans l'alliance de Jéhovah, il fautqu'il engage sa conscience par un contrat, une berîth. S'ilobserve la thora (De 5:6,21 6:1,9), il vivra et prospérerasans avoir à craindre personne, car Jéhovah est le Dieu vivant. Mais,s'il transgresse la thora, s'il fait le mal, il souffrira et ilmourra. A aucun moment et sous aucun prétexte, la désobéissance et laprospérité ne peuvent marcher ensemble. Cette doctrine que l'ontrouve explicitement enseignée dans la partie du Deutéronome où sontcommentés les derniers discours de Moïse (cf. surtout De30:15-20) se retrouve en général dans les plus vieilles traditionsdu temps mosaïque, lorsque Moïse se débat contre Jéhovah qui veutdétruire son peuple infidèle. L'homme qui incarne avec le plus derelief l'austérité du jéhovisme intégral pour qui tout est secondaireet périssable sauf l'honneur de Jéhovah, c'est le prophète Élie. Sonapparence, son verbe, son action sont autant de protestations contreles accommodements auxquels conduit la prospérité matérielle, autantde revendications passionnées des exigences morales de Jéhovah. Lepatriote, chez lui, s'efface devant le jéhoviste. Qu'importe qu'Achabait sauvé Israël des mains des Moabites et des Araméens? Il a violéla morale jéhoviste, il doit périr (1Ro 21); et, s'il le faut,Israël tout entier périra par la famine s'il reste attaché auxBaals (1Ro 17:1-7). Les considérations politiques, lestraditions cultuelles, le salut national ne comptent pour rien. Letout est de savoir si l'on est pour Baal ou pour Jéhovah. Dans salutte contre l'idolâtrie et contre le jéhovisme corrompu dont lamonolâtrie se défend mal de l'immoralisme baaliste, Élie se dressecomme le champion du Dieu unique dont la justice ne fléchit nullepart ni devant personne. «Le monothéisme universaliste a commencé là»(A. Causse, Les Prophètes..., p. 62). Quand Amos traitera demalédiction le luxe et l'incrédulité des grands, quand il défendra ledroit des petits, il bâtira sur les fondements posés par Élie. QuandOsée présentera le désert comme le lieu le plus favorable à lacommunion entre Jéhovah et son peuple (Os 2:14), il parlera dansl'esprit d'Élie et dans l'esprit du groupe des fervents qui, depuisle temps de Moïse, n'ont cessé de considérer que la vie pastorale,avec ses moeurs simples, ses habitudes frugales et son appel constantaux directions et à la protection de Jéhovah, est la vie qui répondle mieux à ce que Jéhovah demandait à son peuple par la thora duSinaï. Dans cette horreur de la civilisation et de ses entraînements,il y a déjà des éléments du culte spirituel, dont le rustique autelde pierres brutes, sur lequel on ne devait pas porter le ciseau depeur de le profaner (Ex 20:4), fait remonter l'origine aux tempsmosaïques, et que les prophètes des VIII e, VIII° et VI° siècle neferont, après Samuel et Élie, que développer et caractériser. Il fautmentionner ici, au point de, vue de la spiritualité, la pageadmirable où nous est contée la rencontre d'Elisée avec le généralsyrien Naaman. Son historicité nous est garantie par la notion del'élohim géographique que l'on y retrouve (2Ro 5:17). Naaman,gagné à Jéhovah, pose devant Elisée un cas de conscience. Lorsque leroi son maître s'appuiera sur sa main au moment de se prosterner dansle temple devant la statue de son dieu Rimmon, lui, Naaman, se verraobligé par ses fonctions de s'incliner aussi. Sera-ce un péché auxyeux de Jéhovah? Elisée lui répond: «Va en paix!» (2Ro 5:18 etsuivant). Impossible de caractériser plus nettement la spiritualité dela religion de Jéhovah, «L'homme, disait Samuel, regarde à ce quifrappe les yeux, mais Jéhovah regarde au coeur» (1Sa 16:7).Est-il besoin, après ces exemples, de dire que, dans le milieu desprophètes jéhovistes, le nom de Jéhovah est synonyme de justice?Toute la thora de Moïse était destinée à instaurer cette justiceparmi les hommes et à fixer les rapports de Jéhovah avec son peupleen prenant pour base le respect ou la violation de cette justice parses adorateurs. Une page recueillie par le narrateur J prouve qu'auIX e siècle cette notion de justice est bien celle qui réglait lapiété de l'élite en Israël: la page qui présente Abraham priant enfaveur de Sodome. C'est un rappel aux principes de justice qu'Abrahamose risquer en s'adressant à Jéhovah: «Faire mourir le juste avec leméchant, en sorte qu'il en soit du juste comme du méchant? Loin detoi cette manière d'agir, loin de toi! Celui qui juge toute la terren'exercerait-il pas la justice?» (Ge 18:25). Il n'y a pasjusqu'à cette expression: «celui qui juge toute la terre» qui nedoive nous retenir. Elle prouve qu'au IX e siècle c'était bien dansle sens du monothéisme que les jéhovistes authentiques tranchaient laquestion de l'autorité de leur Dieu. Ils trouvaient naturel que leDieu qui avait créé l'homme (Ge 2) exerçât ses jugements surtoute la terre, qu'il eût accompagne le patriarche Abraham sur leterritoire d'autres dieux sans faire de ceux-ci aucun cas (Ge12), accompagné Moïse en Egypte et triomphé des magiciens du pharaon(Ex 7 à 9), renversé chez les Philistins la statue du dieu Dagonde son piédestal (1Sa 5:3,5). C'est en vertu de ce mêmemonothéisme que nous voyons, dans 1Ro 17:10,16, Jéhovah nourrirÉlie dans la région de Sarepta, sur terre sidonienne, et, dans 2Ro8:7 et suivants, le Dieu d'Israël mener les affaires dans le palaisde Damas. Nous croyons en avoir assez dit pour montrer que les notions demonothéisme, de moralité, de spiritualité et même d'universalismeexistaient, tout au moins dans leurs éléments, avant le VIII esiècle, et que les prophètes Amos, Osée, Ésaïe, Michée, tout enfaisant progresser la théologie jéhoviste que leurs successeursdevaient développer encore, ont pu faire allusion à ces notionsfondamentales comme à des vérités déjà connues au sein de leurpeuple. S'ils ont fait oeuvre de réformateurs religieux au sein de lanation élue, c'est précisément parce que leur accusation a trouvédans les traditions d'Israël un point d'appui incontesté. Il faut reconnaître cependant que, dans le milieu de ferventsauquel ils appartenaient, la théologie présentait des lacunesgraves.--1) Dans le jéhovisme primitif, la religion était toutetournée vers la collectivité. L'individu ne comptait que comme moyend'assurer la faveur de Jéhovah à sa race. La loi du Sinaï ne disaitpas: «Écoute, Israélite », mais: «Écoute, Israël ». Elles'adressait au peuple en tant que peuple; ainsi le service de Dieu seconfondait avec un patriotisme bien entendu. Élie a vu le danger,mais son successeur Elisée n'a pas su maintenir l'action prophétiqueau-dessus de la confusion qui mêle à la religion la politique. Cetteconception nationale du jéhovisme pouvait être au début de grandeutilité pédagogique (cf. Westphal, Jéhovah, 4 e éd., pp.198-203); mais, à durer, elle n'aurait pu qu'entraver ledéveloppement de la spiritualité naissante.--2) Le jéhovisme primitifn'avait aucune idée qu'une puissance mauvaise, une volonté infernaleétait agissante dans le monde et y contrecarrait les desseins deDieu. Comme, d'autre part, les jéhovistes authentiques se refusaientà admettre qu'il y eût la moindre injustice en Dieu, ils en étaientréduits, devant le déploiement du mal, à une solution intermédiairequi les troublait: le mal a pour cause, soit un être créé par Dieu etplacé par lui dans l'entourage de l'homme, mais dont Dieu a réprouvél'acte (le serpent, dans le récit de la Chute rapporté par J au IX esiècle), soit un fils de Dieu vivant dans l'entourage de Dieu, filssceptique, accusateur, qui tend un piège au croyant intègre dansl'intention de le faire pécher. Dieu récompense finalement le croyantfidèle, mais il a permis ses injustes malheurs...(cadre en prose dulivre de Job: Job 1 et Job 2, et Job 42:7,17; récitantérieur au poème philosophique en vers, Job 3-42:6, lequel estplacé par les critiques, soit au VIII° siècle, soit après les tempsde Jérémie et d'Ézéchiel). Cette notion ne pouvait qu'énerver lesentiment de la responsabilité individuelle.--3) Le jéhovismeprimitif ignorait enfin la vie future et les rétributions del'au-delà. Force lui était donc d'attribuer à la vie terrestre lesrécompenses des bons et les punitions des méchants (Ps 1). Maiscette notion simpliste ne le satisfaisait pas non plus, démentiequ'elle est chaque jour par les événements. Le croyant jéhoviste sedébattait ainsi à cause de la souffrance des innocents dans descontradictions dont le poème de Job nous fait une descriptionpathétique (cf. 3, 9:21 - 24) et dont Jérémie nous apporte encore unécho poignant lorsque, exaspéré par les persécutions dont il estvictime, il accuse Jéhovah de l'avoir «séduit» (Jer 20:7; mêmeverbe que dans Ge 3:13)... Serais-tu pour moi comme une source trompeuse, Comme une eau donton n'est pas sûr? (Jer 15:18) Les difficultés que rencontrait leur pensée religieuse,quelquefois même leur conscience de croyants, comme aussi lesconstatations qu'ils faisaient autour d'eux relativement aurelâchement moral et aux illusions politiques de la masse de leurpeuple, étaient bien propres à nourrir en eux le trouble à l'égard del'avenir d'Israël et la jalousie pour Jéhovah dont leur âme était pleine. Avec leur austérité demoeurs, leurs indignations sociales et leur sainte inquiétude,ceux-là constituaient le milieu étroit où se recrutaient lesprophètes. Il faut voir en eux les ancêtres des anavîm, des ébionîm, des tsaddikîm, ces piétistes d'Israël par qui lesoracles s'accompliront et qui exhaleront les aspirations de leur foidans les Psaumes (cf. Westphal, Jéhovah, 4 e éd., pp. 440-446).C'est au sein de tout ce mouvement d'idées qui tantôt s'opposaient ettantôt s'enchevêtraient, que s'exerça le ministère des prophètesécrivains. Les divers types religieux que nous avons caractérisésnous permettent de mieux comprendre les difficultés que ces prophètesdevaient rencontrer et les oppositions qu'ils allaient soulever. Nousserons mieux à même aussi de nous expliquer l'influence qu'ils eurentsur le groupe des jéhovistes fervents et d'apprécier comment,instruits par les circonstances, par leur génie et par l'inspirationdivine, ils surent élever progressivement, non point le peupled'Israël, (cf. Mt 5:12 13:57 23:37 etc.) mais son élite: les7.000 qui n'avaient pas fléchi le genou devant Baal (1Ro 19:18),les fragments arrachés «à la gueule du lion» (Am 3:12), le«reste» destiné au salut (Esa 10:22 11:11, etc., cf. Jer 6:950:20, etc.), à une religion morale et spirituelle, capabled'accueillir le Messie et d'offrir un berceau au christianismenaissant. 4. LA MARÉE DE L'ESPRIT.A partir du VIII° siècle, l' ich harouakh, l'homme de l'Esprit,occupe dans l'histoire d'Israël le devant de la scène. C'est par luique nous connaissons le mieux l'histoire du temps ou, pour mieuxdire, le double drame qui mit fin aux destinées politiques du peupleélu. Pendant ce drame, qui dura un peu moins de deux siècles, neufprophètes dont les écrits ont été conservés nous racontent comment,sous la contrainte divine, ils ont, dans la hardiesse de leur verbe,annoncé au peuple de Dieu la ruine des espérances temporelles et lesprincipes au nom desquels il allait être châtié. Si nous parlons icide marée, c'est que les révélations des principaux parmi ces hommesde l'Esprit se sont succédé dans une progression constante, faisantmonter, monter toujours le niveau spirituel du groupe de croyantsjusqu'au moment où il atteint, avec le 2 e Ésaïe, la hauteur desvérités morales et religieuses où devait baigner l'Évangile. Ontrouvera ailleurs, dans des articles à leurs noms, la biographie deces prophètes et l'étude critique de leurs livres. Nous ne voulonscaractériser ici que l'originalité de leur prédication et montrerl'enchaînement progressif qui les relie les uns aux autres. Amos. Le premier de la pléiade, Amos, homme de la campagne, prispar Jéhovah «derrière le troupeau», déblaie le terrain. Il faitoeuvre de justicier. Par son attitude, il rappelle Élie et annonceJean-Baptiste. C'est un réformateur qui tient du révolutionnaire.
Malheur à ceux qui souhaitentLe «jour de Jéhovah»!Qu'attendez-vous du jour de Jéhovah?Il sera ténèbres et non lumière.Vous serez comme un hommeQui fuit devant le lionEt qui rencontre un ours,Qui gagne sa demeure,Appuie la main sur la murailleEt que mord un serpent! (Am 5:18)
Pourquoi? Parce qu'Israël, en tant que peuple, a trompé l'attentede Jéhovah et que les jugements de Jéhovah vont l'atteindre. Israël,que les victoires de Jéroboam II avaient élevé au plus haut point dela puissance mondaine, a renversé les fondements de la justice. OrDieu est justice. Il avait librement élu Israël et ne doit pas plus àIsraël qu'aux autres peuples dont il dirige aussi les destinées: N'êtes-vous pas pour moi Comme les enfants des Ethiopiens?N'ai-je pas tiré Israël d'Egypte, Comme les Philistins de Caphtor, Etles Syriens de Kir? (Am 9:7) S'il est résolu à châtier les crimes des voisins d'Israël, lesSyriens (Am 1:3,5), les Philistins (Am 1:6,8), Tyr (Am1:9-10), et de ses parents: Édom (Am 1:11-12), Ammon (Am1:13,15), Moab (Am 2:1-3), et cela pour des crimes delèse-humanité, à plus forte raison tirera-t-il vengeance du peupleauquel il avait accordé sa faveur et ses lumières. Le peuple de Dieu,par sa vie immorale, a commis un crime de lèse-divinité:
Vous seuls je vous ai choisisParmi toutes les races de la terre;C'est pour cela que je vous châtierai! (Am 3:2)
Quels sont donc les péchés d'Israël? D'abord un matérialismejouisseur, une mondanité effrénée:Étendus sur des lits d'ivoire,Vautrés sur leurs divans,Ils mangent les agneaux du troupeau,Les veaux gras de l'étable!Chantonnant au son du nebel.. Ils boivent le vin aux lèvres des amphores,Se parfument d'huiles de choix,Insouciants de la plaie de Joseph!C'est pourquoi ils iront en tête des captifs,Alors la clameur de leurs orgies cessera! (Am 6:4-7) Ensuite une iniquité criante à l'égard du juste, du pauvre, deshumbles qui vivent dans la piété jéhoviste:
Ils vendent le tsaddîk pour de l'argent,L'ébion pour une paire de sandales,Volent le droit des anavîm Le fils et le père courentVers la même prostituée...Ils dorment à côté des autelsSur des vêtements pris à gage (Am 2:6-8).Ecoutez-moi, mangeurs de pauvres,Grugeurs des faibles du pays!Quand [dites-vous] aura fini la nouvelle lunePour que nous reprenions les affaires sur le blé?Quand sera passé le sabbatPour que nous ouvrions nos magasinsOù nous ferons l'épha aussi petitEt le sicle aussi grand que possible?Grâce à nos fausses balances,Nous achèterons les pauvres...Et nous arriverons à vendreJusqu'à la criblure de notre blé (Am 8:4).
Enfin, l'impudence de croire qu'on peut avec des cultes, dessacrifices, des offrandes et des litanies s'assurer l'indulgenceplénière du Dieu juste:
Allez à Béthel, ce sera un péché de plus,A Guilgal, un péché de plus encore!Offrez chaque matin un sacrifice,Tous les trois jours, venez payer vos dîmes...Faites sonner bien haut vos dons volontaires;C'est là ce que vous aimez, enfants d'Israël!Et moi..., je hais, j'ai en dégoût vos fêtes,Je ne puis souffrir vos panégyres.Quand vous m'immolez des holocaustes,Je ne prends pas plaisir à vos offrandes;Je ne regarde pas vos boeufs gras.Epargnez-moi le bruit de vos cantiques! (Am 4:4 5:21,23)
Ainsi parlait le berger de Thékoa. Et cette parole était si neuvequ'elle résonnait aux oreilles des classes dirigeantes de son époquecomme autant de blasphèmes: blasphème, que de prêter à un Dieunational la volonté d'anéantir son peuple; blasphème, pour un hommede Dieu, que de se dresser contre la maison de Dieu et de déclareraux dévots tout occupés d'exactitude rituelle: Vos cultes, voilàvotre péché! Et pourtant, ces blasphèmes étaient en réalité lesvérités les plus hautes. Ils formulaient des doctrines qui nedevaient plus désormais quitter l'horizon des réformes religieuses,morales et sociales de tous les temps: devant la justice de Jéhovah,il n'y a ni race ni frontière; les vrais adorateurs sont ceux quifondent la religion, non sur les pratiques d'un culte, mais sur unemorale vécue. Pour avoir écrit la première page humaine en faveur desopprimés, pour avoir flagellé dans des discours enflammés l'orgueil,la vénalité, l'hypocrisie, Amos s'est placé en tête de tous lesprophètes de la conscience et, parce que son livre a été écrit septcents ans av. J.-C, il se trouve qu'Amos est dans la littérature deshommes le premier prédicateur de la justice sociale en même temps quele premier héraut des droits de Dieu. L'unité du livre d'Amos, qui prophétise contre le royaume duNord, est toute dans le thème divin: «Je ne révoquerai pas monarrêt.» On ne saurait donc être surpris que la plupart des savantsattribuent à une main postérieure les cinq derniers versets du chap.9 où il est parlé d'un rétablissement de «la maison de David»,rétablissement que rien, dans le livre, n'annonce ni ne justifie. Cetoracle inattendu, dont la langue n'est pas tout à fait dans lamanière du prophète, n'aurait pu que briser la pointe del'argumentation d'Amos; et ceci d'autant plus que c'est au royaume deJéroboam II qu'il s'en prend. Aussi bien, l'histoire montre que ledécret proclamé en Israël n'a pas été révoqué, puisque les deuxroyaumes ont disparu sans retour et que les revenants de l'exil, «lereste» qui devait être sauvé, n'ont pu que se constituer encommunauté judéenne.OSEE.Dans le sol déchiré par le soc dur d'Amos, Osée jette unesemence qui portera sa fleur dans l'Évangile. Les prophètesd'ordinaire sont sobres sur ce qui les concerne. C'est sur Dieu, nonsur eux, qu'ils attirent les regards. Quand ils parlent de leursexpériences, c'est pour qu'on tire enseignement de leur état d'âme.L'état d'âme d' Osée sera générateur de révélation. Au moment où il entreprend son ministère, la pression del'Assyrie est aux frontières d'Israël. Mais Israël, qui a rejetéAmos, ne comprend pas. Son éphémère prospérité l'aveugle. Éphraïmite,Osée connaît mieux que personne le crime de la maison de Jéhu. Ilannonce sa ruine comme son prédécesseur. Il tonne contre la luxure,contre toutes les formes de la corruption et de l'anarchiereligieuse (Os 4:11,14 6:8 7:1,7 etc.), contre la transgressionde l'alliance (Os 4:6-10 6:7); avec la même violence qu'Amos, ilannonce à tous ceux qui, sans renier Jéhovah, servent les Baals, etqui cherchent leur appui en Egypte ou en Assyrie (Os 7:8 8:10,etc.), les terribles rétributions de Jéhovah:
Je serai pour eux comme un lion;Comme une panthère,Je les épierai sur la route;Je les attaquerai comme une ourseA laquelle on a dérobé ses petits (Os 13:7).Comme Amos, il s'en prend aux prêtres qui égarent le peuple:Ils se repaissent des péchés de mon peuple,Ils sont avides de ses iniquités;Il en sera du prêtre comme du peuple:Je le châtierai selon ses voies,Je lui rendrai selon ses oeuvres...Ecoutez ceci, prêtres:Par leurs sacrificesLes infidèles s'enfoncent dans le crime,Mais je les châtierai tous.Avec leurs brebis et leurs boeufs,Ils iront chercher Jéhovah,Mais ils ne le trouveront pas.Il s'est retiré du milieu d'eux. (Os 4:8 5:1,6, etc.).
Cependant, non content de maudire ceux qui trafiquent des autels,Osée s'en prend maintenant aux autels eux-mêmes. Amos admettait encoreles autels révérés par Élie (1Ro 19:14), les bamoth jéhovistes élevés pour contrebalancer les hauts-lieux cananéenset pour introniser Jéhovah comme le vrai baal du pays, le seuldispensateur des dons de la terre. (cf. Os 2:18) Osée--c'est unprogrès très grand dans le sens de la spiritualité du culte--ne veutplus rien savoir des sanctuaires locaux. Béthel, avec son veau d'orreprésentant Jéhovah (Os 4:5-15 6:10), Sichem (Os 6:9) etpar-dessus tout Guilgal (Os 9:15 12:12) lui font horreur. Leprophète voit dans ces autels un piège pour la religion véritable,une occasion de formalisme et d'idolâtrie:
Jéhovah a rejeté ton veau, Samarie!Un ouvrier l'a fabriqué.Ce n'est pas un dieu;Il sera mis en pièces...Puisqu'ils ont semé le vent,Ils moissonneront la tempête (Os 8:5,7).Comme Salman détruisit Beth-Arbel,Aux jours de la guerreOù la mère fut écrasée sur les enfants,Voilà ce que vous attirera Beth-El (Os 10:14).N'allez pas à Guilgal!Ne montez pas à Beth-Aven (Béthel)...Les hauts-lieux de Beth-Aven,Où Israël a péché,Seront détruits.Ils diront aux montagnes: Couvrez-nous!Et aux collines: Tombez sur nous! (Os 4:15 10:8)
Quand Jésus voudra parler des malheurs attirés sur les Juifs parle fait que leur culte avait transformé la maison de son Père en une«caverne de voleurs», il empruntera l'image d' Osée (Lu 19:46, cf.Ap 6:16). Après avoir prophétisé contre les deux premiers types religieuxque nous avons caractérisés au sein du peuple élu, Osée a aussi unerévélation pour les jéhovistes intègres qui ont tremblé aux accentsd'Amos. Malheureux par un de ces amours profonds qui, s'étant donnéstout entiers, ne peuvent se donner qu'une fois, monogame ne prenantpas son parti de l'abandon de l'infidèle, Osée n'hésite pas à déclarerque Dieu l'a fait passer par cette expérience pour lui montrer, dumême coup, et la nature intime du péché de la nation élue, et laraison de la fidélité que Jéhovah lui garde et lui gardera toujoursmalgré tout (Os 1 à 3). Jéhovah a aimé la nation élue, il estson époux. Le péché d'Israël est le plus grand qui se puissecommettre: un adultère. Ce terme, employé pour la première foispar Osée, reviendra dans les prophètes qui suivront. Jésus lereprendra aussi (Mt 12:39). Constant dans sa foi à celle qu'ilaime, l'époux trahi, le père outragé des enfants d'Israël ne songe enchâtiant qu'à ramener à lui l'objet de son inaltérable amour. Ainsic'est un drame de salut qui s'agite dans l'âme hautement humaine duprophète. A peine a-t-il fait dire à Jéhovah indigné: (Os 11:5et suivant)
Parce qu'ils ont refusé de revenir à moiL'épée fondra sur leurs villes,Anéantira, dévorera leurs soutiens!qu'il met dans sa bouche: (Os 11:8 et suivant)Que te ferai-je, Ephraïm?Dois-je te livrer, Israël?Te traiterai-je comme Adma?Te rendrai-je semblable à Tseboïm?Mon coeur s'agite au dedans de moi;Toutes mes compassions sont émues.Je n'agirai pas selon mon ardente fureur;Je renonce à détruire Ephraïm,Car je suis Dieu et non pas homme.
Il y a toute une révolution théologique et téléologique dans ledénouement du débat pathétique auquel Osée nous fait assister au fonddu coeur même de Dieu. On a remarqué qu' Osée s'en réfère constamment àl'histoire du passé. Les ouvrages J, E et le noyau primitif de Davaient éveillé en lui le sentiment que Jéhovah est l'animateur del'histoire d'Israël et que tout le long de cette histoire Jéhovah a fait éclater sa bonté, déployé son amour, amourincompris, bafoué. Ses successeurs s'empareront de cette doctrine, ladévelopperont, y trouveront le principe moral de l'histoireuniverselle. Sa gloire à lui, c'est, à une époque où le jéhovismefervent s'entendait mieux à craindre Jéhovah et à haïr sesadversaires qu'à l'aimer, d'avoir proclamé que ce qui différencie lapersonne divine de la manière d'être de l'homme, c'est la qualité ducoeur. On ne triomphe point par des ruines; l'amour seul estconstructif: «Je renonce à détruire!» C'est dans ce passage--on leverra plus loin--que le prophétisme messianique a pris sa source. Comme Amos faisait penser à Jean-Baptiste, Osée fait penser à saintJean. Le premier, il a entrevu la valeur rédemptrice de lamiséricorde, qui sera le thème de l'Évangile johannique et dont Jésusmanifestera la vertu souveraine en se laissant clouer sur une croix.ÉSAÏE.Tandis que l'on bâtissait Rome, qui devait devenir dans lemonde le symbole de la force fondée sur la politique humaine, unprophète naissait, qui allait dénoncer le néant de la puissancehumaine et donner pour fondement à l'histoire la politique de Dieu.Prince des prophètes par l'éclat de son style et l'envergure de soninspiration, Ésaïe remplit un demi-siècle de son activité. Il assisteà la ruine de Samarie annoncée par Amos et, par son influence surÉzéchias, retarde la ruine de Jérusalem. Par les multiples ressourcesde son génie, il s'apparente aux plus illustres de ses prédécesseurs:à Élie, par l'attrait qu'exerçaient sur lui les phénomènes de lanature et par son courage devant les rois (cf. Esa 2:12); àAmos, par ses revendications sociales (Esa 1:21,23 3:14 5:8 10:1 28:1). àOsée, par la tendresse de ses accents (Esa 5:1,4 26:1); et il lesdomine tous. «Il fut le plus grand d'une série de géants» (Renan). Sans doute, Ésaïe reprend après d'autres la lutte contre lesélohistes idolâtres (Esa 1:24,28,31)
Oui, j'aurai ma revanche sur mes adversaires;Je me vengerai de mes ennemis!Ceux qui ont abandonné Jéhovah périront...Les riches seront comme l'étoupe,Les idoles comme l'étincelle;Hommes et dieux périront ensemble,Et personne ne sera là pour éteindre...
contre le formalisme et le ritualisme des prêtres et toutes lesobservances cultuelles par lesquelles on s'imagine éluder la religionde la conscience: (Esa 1:11-14)
Qu'ai-je à faireDe la multitude de vos sacrifices?Dit Jéhovah.Je suis rassasié des holocaustes des béliersEt de la graisse des veaux.Je ne prends point de plaisirAu sang des taureaux, des brebis et des boucs...Qui vous demande de souiller mes parvis?Cessez d'apporter de vaines offrandes!Vos lunaisons et vos solennités,Mon âme les hait,Elles me sont à charge;Je suis las de les supporter.
Mais sa vocation (Esa 6) lui a révélé que le jéhoviste mêmele plus sincère est un pécheur, un «homme aux lèvres impures», qui nesait pas par lui-même faire le bien et réaliser une oeuvre de justiceacceptable par Jéhovah. Ce qu'il faut à tous, c'est le contactpurificateur de la «pierre ardente», c'est l'absolution du séraphin:«Ton iniquité est enlevée et ton péché expié» (Esa 6:1,7). Jéhovah, qui avait dit par Osée: «Je renonce à détruire», ditmaintenant par Ésaïe: (Esa 1:18) Quand tes péchés seraient comme le cramoisi, Ils deviendrontblancs comme la neige; Quand ils seraient rouges comme la pourpre,Ils deviendront comme la laine. La portée des événements politiques qui mettent Juda à deux doigts de sa perte doit faire comprendre à la nationélue qu'elle est appelée tout entière, depuis le roi jusqu'au plushumble Israélite, à s'humilier et à se repentir devant Dieu: (Esa22:12)
Ce à quoi le SeigneurVous appelle en ce jour,C'est à pleurer,A vous frapper la poitrine,A vous raser la têteEt à ceindre le sac.
Car Jéhovah n'est pas seulement le juge et le père de son peuple,il est le Dieu saint, saint, saint dont la gloire remplit toute laterre. «Le Saint d'Israël», voilà le terme de prédilection qu'Ésaïeemploie pour désigner Jéhovah; on le compte douze fois dans sesdiscours (Esa 1:4 5:19-24 10:20 12:6 17:7 29:19 30:11,12-15 31:137:23); voir aussi les expressions: le Saint (Esa 5:16), sonSaint (Esa 10:17), le Saint de Jacob (Esa 29:23). Le mot«Saint» n'indique pas seulement ici les notions de pureté et de vie(tout ce qui a trait à la mort et aux cadavres est impur), ou ce quitouche au culte (à ses objets, à son personnel, aux actes rituels);il ne vise pas seulement Jéhovah en tant qu'Être suprême (sa majesté,son immatérialité, son invisibilité, son inaccessibilité); il vadroit au domaine éthique et désigne la perfection morale comme lecaractère propre du Dieu d'Israël. Ceci, du coup, met un abîme entreDieu et l'homme, un abîme entre Jéhovah et toutes les prétenduesdivinités. Jéhovah est saint, c'est pour cela qu'il n'y a de placepour aucun dieu à côté de lui, pour cela que sa gloire remplit toutela terre (Esa 6:3).
Qu'il se lève pour effrayer la terre, et:Toutes les idoles disparaîtront.On entrera dans les fentes des rochersEt dans les creux des pierres,Pour éviter la terreur de JéhovahEt l'éclat de sa majesté (Esa 2:18,21).
Toutes ces pensées, qui font monter toujours plus haut le niveauspirituel de la prophétie, aboutissent logiquement à cette doctrineprêchée avec force par Esaïe, que Jéhovah est maître souverain del'histoire et qu'il mène la destinée des hommes comme il lui plaît:
Ceux qui cachent leurs desseinsEt disent: «Qui nous voit? Qui nous connaît?»Quelle folie!Le potier serait-il donc tenuPour de l'argile?L'oeuvre dira-t-elle de l'ouvrier:Il ne m'a pas faite?Et le vase dira-t-il du potier:Il n'y entend rien? (Esa 29:15)
Déjà, les annales de JE et les premiers prophètes avaient préparéle terrain en présentant Jéhovah comme le Dieu créateur qui protègeses élus sans être incommodé par les élohim qu'on lui oppose. MaisÉsaïe s'élève à un degré supérieur, il voit plus avant. Jéhovah règnesur toutes les nations et règle leurs rapports avec son peuple, commeleurs rapports entre elles, suivant les lois de sa justicesouveraine. Il décide des événements, les accomplit au moment choisipar sa sagesse. Et les hommes vont, viennent, luttent sur le cheminqu'il leur a d'avance fixé. Il amène l'Assyrien, «verge de macolère» (Esa 10:5), et le châtie ensuite de son orgueil par leCaldéen (Hab 1:6), «mon serviteur» (Jer 25:9), qui tomberaà son tour sous les coups de Cyrus, «mon pasteur» (Esa 44:28),et si Juda se met en travers des vues du Tout-Puissant, lui aussi, ilsera balayé comme Israël.
Ils ont méprisé la paroleDu Saint d'Israël.C'est pourquoi la colère de JéhovahS'enflamme contre son peuple.Il étend la main sur lui,Il le frappe...Les cadavres sont comme des balayuresAu milieu des rues (Esa 5:24).
Une seule chose importe: le triomphe du «Saint» dont la gloire«remplit toute la terre». Mes yeux ont vu le Roi! dit Ésaïe en parlant de lui (Esa 6:5); et, comme un roi, ila un empire, le monde qu'il a seul créé, où il règne souverainement.Ce n'est pas un dieu myope ou soumis au destin comme les Olympiens,il connaît tout et il peut tout; il est le maître de l'histoire, àlaquelle il assigne marche et but; sa vue et sa puissance sont à lamesure de l'univers et de l'éternité, car, ainsi que l'amagnifiquement exprimé Ésaïe, il prépare les choses «de loin» etdirige l'histoire «de toute éternité» (Esa 22:11 37:26).«Échappant aux voluptueux embrassements du mysticisme, auxincertitudes des audacieuses spéculations métaphysiques, aux risquesmême de l'expérience morale, la foi d'Israël a situé Dieu en pleinehistoire, donnant à celle-ci un caractère nettement téléologique.»(P. Humbert.) Ainsi, par Ésaïe, s'affirme dans la prédication des prophètes ladoctrine que l'histoire universelle est un vaste poème de vie, demoralité et de salut, dont Dieu est le poète, et l'homme le héros.Héros tantôt voyant et tantôt aveugle, tantôt bénévole et tantôtrécalcitrant, mais toujours ramené aux fins du drame par le divinmetteur en scène. On a dit que la religion d'Ésaïe était insuffisamment dégagée dusentiment patriotique et que, pour lui, Jérusalem demeureraittoujours l'intangible centre du monde. Ceci ne serait pas pourdiminuer la valeur de ses oracles puisque effectivement c'est àJérusalem que Jésus devait mourir sur la croix, vers laquelleconvergent depuis les regards de toute la terre; (cf. Jn 12:32)mais rien n'autorise à inférer des écrits d'Ésaïe qu'à la suite de ladélivrance miraculeuse qu'il avait obtenue pour Jérusalem au tempsd'Ézéchias, il avait enseigné que Sion ne devait jamais être prise niruinée. Le préjugé né de son exploit et contre lequel se heurterontJérémie et Ézéchiel n'engage en rien sa responsabilité. Une des faiblesses de la reconstruction de l'histoire d'Israëlpar la critique moderne, c'est qu'elle ne tient pas un comptesuffisant de l'impression produite dans les deux royaumes par laprédication et par l'action des prophètes du VIII e siècle. Leréquisitoire d'Amos, la prédication de l'amour par Osée, la doctrinede sainteté développée par Ésaïe, et surtout son grand oraclemessianique ne pouvaient pas ne pas donner à la politique religieuseet sociale des Hébreux plus qu'une secousse: une orientation nouvelle.LES DISCIPLES D'ÉSAÏE ET LE DEUTERONOME.Il est certain que le rôle d'Ésaïe, lors du siège de Jérusalem parSanchérib, suppose qu'il obtint à ce moment critique une de cesunités de direction qui s'opèrent aux heures les plus fécondes del'histoire et que nous appelons l'union sacrée. C'est non seulementla cour et ses conseillers, mais aussi le temple et son clergé quidurent lui prêter appui, se surpassant ainsi au point de vuespirituel. Que les dirigeants du sacerdoce acceptèrent alors deprendre une attitude qui faisait d'eux les collaborateurs du milieudes prophètes jéhovistes, c'est ce qui ressort de la réformereligieuse opérée par Ézéchias, réforme dont l'acte principal fut lasuppression du nehustan, le serpent d'airain (voir art.) que lesIsraélites pieux révéraient comme l'antique symbole de la guérisonpar la foi et qui était la principale attraction du temple où l'onavait pris l'habitude de l'encenser comme une idole (2Ro 18:4). En ce temps-là, le Dies iroe d'Amos et d'Osée, confirmé parles ruines fumantes de Samarie, avait impressionné profondément tousles coeurs qui avaient quelque, souci de l'avenir de Juda. Une pageinsérée dans le livre d'Ésaïe peut nous donner une idée de laconsternation générale:
La malédiction dévore le pays,Ses habitants expient leur crime...La joie des tambourins a cessé,La gaieté bruyante a pris fin...On ne boit plus de vin en chantant...L'allégresse est bannie du pays! (Esa 24:6,9,11)
Que faire pour arrêter le glissement fatal qui mène toute lanation élue à sa ruine? Par quelles mesures arrêter le jugement enmarche? La levée du siège de Jérusalem apparaît comme un délai degrâce au cours duquel s'agitent et se consultent tous ceux quiveulent relever la religion de Jéhovah. Un morceau de caractère intime et de style obscur qui coupe endeux la sourate d'Emmanuel nous révèle que l'effervescence étaitgrande dans l'entourage d'Ésaïe et qu'un travail de redressement sepréparait autour de lui, plus ou moins en secret, loin de la masse dupeuple qui manquait de vision religieuse et redoutait tout acte defoi jéhovique comme un danger pour la patrie.
Ainsi m'a parlé Jéhovah,Quand sa main me saisit,Et qu'il m'avertît de ne pas marcherDans la voie de ce peuple:N'appelez pas conjurationTout ce qu'il appelle conjuration!Ne craignez pas ce qu'il craint.Car c'est Jéhovah TsebaothQue vous devez sanctifier,Lui que vous devez craindre et redouter.Alors, il sera un sanctuaire...Lie le témoignage,Scelle la thoraDans mes disciples!A la loi et au témoignage!Si l'on ne parle pas ainsi,Il n'y aura point d'aurore pour le peuple! (Esa 8:11-14,16,20)
L'interprétation courante qui rattache «lie le témoignage» et«scelle la thora» au tableau dont il est question dans Esa 8:1réduit singulièrement la portée de tout ce passage d'Ésaïe et lui ôteson mordant spirituel. Qu'on entende par «lier et sceller» le devoird'imprimer fortement le témoignage (c-à-d, le Décalogue; voir Esa8:20, cf. Ex 25:21) et la thora (c-à-d, l'enseignementjéhoviste; cf. Esa 1:10) dans le coeur des disciples d'Ésaïe queJéhovah appelle ses propres disciples,--ou qu'on traduise «lie» par:mets ensemble tout ce qui concerne le témoignage, et «scelle» par:mets le sceau à la thora (c-à-d.: donne-lui son couronnement; cf.Eze 28:12) avec le concours de mes disciples,--dans un cas commedans l'autre, le texte ramène à l'entourage d'Ésaïe, par lequel leprophète voulait provoquer un redressement religieux en Israël.«Comme le Deutéronome, les écrits d'Ésaïe semblent être le résultatd'un désir irrésistible de faire pénétrer dans Israël un nouvelidéal» (Siebens). L'idéal d'un culte spirituel d'où les images, lesfigures plaquées de métal et toutes les pratiques apparentées auxrites idolâtres auront disparu (Esa 30:22) ne pouvait quetravailler l'ambition du milieu prophétique qui venait de se montrerassez fort pour obtenir la destruction du serpent d'airain, et queses succès poussaient à de nouvelles réformes. Amos a ébranlé l'autorité des hauts-lieux; Osée les a condamnés;Ésaïe proclame en Jéhovah le Dieu saint et en Jérusalem le sanctuairede sa gloire, le lieu de sa résidence: (Esa 4:3 8:18 28:1631:4,5,9) nous avons ici tout le processus des idées qui, à lafaveur des événements, devaient aboutir à la composition duDeutéronome, c'est-à-dire d'une thora qui, en ramenant Juda autémoignage mosaïque, lui ferait entendre à nouveau la voix encoreamplifiée du fondateur de la nation. En même temps qu'elle serattachera au passé le plus sacré pour les coeurs israélites, cettethora devra tenir compte des habitudes prises durant les sièclesécoulés et des expériences faites, et s'adapter aux circonstances,formulant en un code les obligations auxquelles le peuple judéendevra se conformer s'il veut conjurer les effets du jugement qui adéjà causé la ruine de Samarie. Tandis que Manassé, vassal digne des férocités de son suzeraind'Assyrie, remplissait Jérusalem de sang innocent (2Ro 24:4, cf.Jer 15:4), le parti des prophètes préparait dans l'ombre larevanche de Jéhovah. Il connaissait le Décalogue et le code del'Alliance (Ex 20 à 23), les lois de Sainteté (Le 18 à 20et 24) et les dernières recommandations de Moïse que la traditionrattachait aux plaines de Moab. Il en reprit les principes:monothéisme intransigeant, alliance jéhovique fondée sur la morale,promesses et menaces conditionnées par l'attitude du peuple, unité dusanctuaire, fêtes religieuses, humanité, charité. Sur plus d'unpoint, il étendit; pour répondre aux besoins nouveaux, il fit passerdans la loi les enseignements des récents prophètes: d'abord lecommandement de l'amour développé par Osée et dans lequels'accomplit, bien mieux que dans l'observance extérieure, le serviceagréable à Dieu: Parce que Dieu t'aime tu dois l'aimer (De6:5,11:13 4:37 10:15 7:8, 13 23:5 30:6,16 7:9 10:12, etc.);puis, d'après Ésaïe, l'humilité (De 8:11,14 17:18-20 9:4),la foi mystique en la victoire donnée non par la supériorité del'armée, mais par la protection agissante de Jéhovah (De 20:1 etsuivants, cf. Esa 8:6 31:1 et suivants); enfin, de façongénérale, les lois d'humanité . (cf. Am 5:11 6:4 7:10 etsuivants, etc.) Le souci que le Deutéronome (ch. 10, 14, 16) prend del'orphelin et de la veuve vient directement de Esa 1:17. Lacharte nouvelle ramenait les institutions de l'avenir autant quepossible à la théocratie. Tout, jusqu'aux statuts de la propriété,qui donnaient le sol à Dieu, y était dominé par la notion de lamajesté de Jéhovah qu'Ésaïe avait mise au premier plan et suivantlaquelle ses disciples voulaient modeler Israël. Les critiques qui veulent que le Deutéronome soit une fraudepieuse et qu'il ait pour origine une intrigue de sacristie du tempsde Josias (Renan, Stade, Loisy, etc.) méconnaissent l'importance destraits que nous venons de signaler et le sérieux de l'A.T. Ilscommettent en outre une grave faute de psychologie. S'imagine-t-onque si les éléments jéhovistes de Juda n'avaient pas retrouvé dans lestatut qui leur était proposé les exhortations et le développementdes doctrines que leurs traditions faisaient remonter au père de leurpeuple, la découverte du Deutéronome et sa lecture auraient secoué leroi, les grands, le peuple au point de provoquer une nouvelle réformeet d'inspirer la prédication de Jérémie? La fiction n'a jamais faitoeuvre de vie dans l'histoire, et c'est sous-estimer la dignité del'homme que de supposer que le mensonge peut entrer parmi ses moyensde progrès. La situation se présente tout différemment si l'on voit dans leDeutéronome, comme nous y invite Esa 8:16,20, l'oeuvre desdisciples du fils d'Amots, exaltés dans leur zèle par la persécutionet décidés à préparer, pour le moment où elle prendrait fin, unecharte conçue dans l'esprit des prophètes, une constitutionorganisant le peuple suivant ce que leur maître avait appelé de lapart de Dieu: le témoignage et la thora. Le danger de laisser trop deliberté aux pratiques cultuelles s'était manifesté par le baalismepopulaire et le formalisme. Prêtres et prophètes venaient, au tempsd'Ézéchias, d'accomplir ensemble une oeuvre courageuse deredressement, et d'obtenir par une commune foi le salut de Jérusalem.Le moment était bien choisi pour rétablir par des concessionsmutuelles le statut religieux de Juda. Partant ensemble desinstitutions de Moïse, les prophètes s'accommodèrent aux pratiquesd'un culte centralisé et surveillé; les prêtres, de leur côté,renoncèrent aux autels jéhovistes de la province et concentrèrent lesactes cultuels autour du temple de Jérusalem. Le droit au sacrificeretiré aux laïques n'est même plus accordé à l'ensemble de la tribude Lévi: les prêtres de Jérusalem auront désormais tout le sacerdoce,ils veilleront aux exigences légales. Et ce sera le commencement dulégalisme, dans l'atmosphère prophétique. Pour le moment,l'entreprise de concentration et de spiritualisation que résume leDeutéronome montre que la prédication d'Amos, d' Osée et d'Ésaïe aporté. Bien que cette entreprise réformatrice ait été dans sa formeune occasion d'éloigner Dieu de la terre et de séparer l'officesacerdotal des institutions patriarcales--ce qui aura pour résultatd'établir deux parts dans la vie: le sacré et le profane--, on peutvoir dans le Deutéronome le dénouement du grand effort accompli parles prophètes au VIII e siècle avant notre ère. Sans Manassé, dont lelong règne fit crouler toutes les espérances, on aurait peut-êtreassisté à un vrai renouveau de la vie spirituelle dans le sensantiritualiste. Et pourtant, les conditions mêmes dans lesquelles leDeutéronome était conçu annonçaient déjà la défaite du spiritualisme.Le parti des prêtres, entrés dans la coalition pour le redressementde la foi, avait marqué de légalisme la réforme à venir, en mettanttout ce qui concernait le réveil et la piété israélites sous le signedes statuts, des lois et des ordonnances. Le pont était ainsi jetéentre la thora de Jéhovah et la législation des scribes. En vain leparti des prophètes faisait-il inscrire dans la loi réformatrice desparoles de haute portée morale (De 20: et suivants 30:15 etsuivants), la voie était ouverte au prêtre qui voudrait matérialiserla parole vivante de Jéhovah et réduire le jéhovisme en formules eten actes ritualistes. Les prophètes qui vont venir sauront signaler le danger, mais ilsn'auront pas la force de le conjurer.MICHEE.C'est à proclamer les droits de l'Esprit que s'emploie Michée dansune page (ch. 6) que la critique moderne lui conteste, mais qu'ilpeut fort bien avoir écrite s'il a prolongé son ministère durant lespremières années de Manassé. Michée, provincial comme Amos et Judéencomme lui, avait repris l'âpre combat de son compatriote. Après avoirfulminé contre le royaume du Nord dont l'exemple pernicieux avaitcontaminé Juda (19), il s'en prend aux iniquités sociales deJérusalem avec une violence qui va jusqu'à prédire la ruine de laville sainte: Sion sera labourée comme un champ; Jérusalem deviendra un monceaude pierres, Et la montagne du temple Une sommité boisée. (Mic3:12, cf. Jer 26:11-19). Cette prophétie, portée courageusement par Michée devant lepeuple au temps du roi Ézéchias, provoqua un tel émoi qu'on enparlait encore au temps de Jérémie. Certains critiques modernes ontconclu de la prédication de Michée que celui-ci avait combattul'optimisme de son contemporain Ésaïe relativement à l'inviolabilitéde Sion. C'est aller un peu loin. Mais il est assez probable que leprophète campagnard ne partagea pas les espérances que fondait leprophète citadin sur la trêve obtenue entre les prophètes et leclergé de la capitale. L'intransigeance spiritualiste qui sedégageait de ses violentes paroles sur la ruine de Jérusalem ameutacontre Michée le parti des prophètes nationalistes qui n'avaientpoint trouvé leur compte aux catastrophes du royaume de Samarie etauxquels l'union sacrée de leurs alliés habituels les prêtres avecleurs constants adversaires, les prophètes jéhovistes, ne disait riende bon. Déjà, au temps de Josaphat, un autre Michée, le fils deJimla, avait eu affaire à eux (1Ro 22). Ils s'opposent de toutesleurs forces à Michée de Moréseth qui, dans sa lutte avec eux, nousrévèle le néant de leurs entreprises et le secret de sa proprevigueur:
Ne prophétise pas! disent-ils.Mais qu'un homme de rien,Qu'un prédicateur de mensonge[Dise]: «Je vais prophétiserExalté par le vinOu par les boissons enivrantes»,Celui-là sera pour ce peuple un prophète!Ainsi parle JéhovahSur ces prophètes d'égarement:Vous aurez la nuit,Plus de visions;Vous aurez les ténèbres,Plus d'oracles!Le soleil se couchera sur ces prophètes...Les voyants seront confus,Les devins rougiront...Car Dieu ne répondra pas.Tandis que moi, je suis rempli de force,De l'Esprit de Jéhovah (Mic 2:6,11 3:5-8).
Voilà le grand mot lancé: le prophète authentique, c'est l'hommede l'Esprit. Devons-nous conclure que, lorsque les disciplesd'Ésaïe se mirent à l'oeuvre avec les chefs du sacerdoce pour établirle statut du Deutéronome, Michée entrevit le danger que cette unionpourrait faire courir au jéhovisme des temps futurs? Sa lutte contrela fausse prophétie, les devins et les voyants établit une solidaritéincontestable entre sa pensée et les préoccupations d'où leDeutéronome est sorti. (cf. De 18:10,22) Mais que, pour lui,dans la religion dont il appelle la restauration, le culte ne soitrien et que la morale soit tout, c'est ce que nous voyons non moinsclairement par la sourate relative au temps de Manassé. Ce tyran,dont le règne fut aussi long que néfaste (698-643), avait ouvert letemple de Jérusalem à toutes les influences assyro-babyloniennes; ladéchéance morale avait suivi la déchéance religieuse:
On observe les coutumes d'Omri,Toutes les moeurs de la maison d'Achab,L'homme de bien a disparu du pays (Mic 6:16 7:2).
Tandis que le milieu réformateur, dont la persécution avait serréles rangs, prépare dans l'ombre la charte des temps nouveaux, lesformalistes, qui cherchent la sécurité dans la stricte observance, sedemandent tout éperdus:
Avec quoi me présenterai-jeDevant Jéhovah,Pour m'humilier devant le Très-Haut?Me présenterai-je avec des holocaustes,Avec des veaux âgés d'un an?Jéhovah agréera-t-il des milliers de béliers,Des myriades de torrents d'huile?Donnerai-je pour mes transgressionsMon premier-né?Pour mon péchéLe fruit de mes entrailles?Michée répond: -On t'a fait connaître,-ô homme,Ce qui est bien,Et ce que Jéhovah demande de toi,C'est que tu pratiques la justice,Que tu aimes la miséricorde,Et que tu marches humblementAvec ton Dieu (Mic 6:6-8).
Le prophète auquel nous devons ce bref dialogue a surpassé tousceux qui étaient venus avant lui: il a fixé la formule de la religionjéhovique dont Jésus dira un jour à la Samaritaine: «L'heure estvenue où vous n'adorerez plus le Père, ni sur cette montagne, ni àJérusalem...Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l'adorent,l'adorent en esprit et en vérité» (Jn 4:21,24).SOPHONIE.Mais pour le moment, il faut en rabattre. Le long règnedu monarque impie et persécuteur a ramené partout l'idolâtrie.Pendant un demi-siècle, la prophétie se tait. Sous Manassévieillissant ou durant l'éphémère royauté de son fils Ammon,vers 640, elle rentre en scène avec Sophonie, prince du sang,prophète de la grande lignée des Amos, des Osée, des Ésaïe et desMichée. Dans ses brefs discours, la reprise de contact des nabis avecJuda démoralisé est terrible:
Je détruirai tout! dit Jéhovah,Les objets de scandale et les impies avec;J'exterminerai de ce lieu les restes de Baal...Et ceux qui se prosternent sur les toitsDevant l'armée des cieux...Je châtierai les princesEt les fils du roi (Sop 1:2,8).
Josias venait de monter sur le trône à huit ans, et l'autoritéétait entre les mains des princes de la famille royale. Cent ans après Amos qui parlait à Israël, Sophonie parle à Judade ce que sera «le jour de Jéhovah»:
Il approche, il se hâte,On l'entend venir, le jour de Jéhovah!Jour de fureur, celui-là,Jour de détresse et d'angoisse,Jour de désolation et de ruines,Jour de ténèbres et d'obscurité...Au jour de la fureur de Jéhovah,Par le feu de sa jalousie,Toute la terre sera dévorée (Sop 1:14,18).
Solvet soeclutn in favilla... Tout le Moyen âge a frémi auxaccents de Sophonie. L'effet sur Juda dut être foudroyant. Nul douteque le jeune roi, Josias, et le futur prophète, Jérémie, n'aient reçude ces imprécations une secousse qui les mit sur la voie de laréforme.HABACUC ET NAHUM.Mais pour les jéhovistes, il y a encore un autre compte à régler.L'Assyrien, dont le joug détesté pesait sur Jérusalem depuis lacampagne de Sanchérib, vers l'an 700, a reçu des Mèdes et des Scythesdes coups qui menacent sa vie. Juda frémit d'impatience, et c'estHabacuc qui exprime en un style étincelant ses farouches espoirs.Habacuc est un révolté à la façon de Job:
Jusques à quand, ô Jéhovah?J'ai crié vers toi à la violence,Et tu ne secours pas...O Jéhovah, tu as établi ce peuplePour exercer tes jugements.
(Il s'agit de l'Assyrien, que Jéhovah avait appelé «verge de macolère») (Esa 10:5).
Tu l'as suscité pour infliger tes châtiments...Tes yeux sont trop purs pour voir le mal:Pourquoi regarderais-tu les perfides,Et te tairais-tu,Quand le méchant dévoreUn plus juste que lui? (Hab 1:1,2,12,13)
A cette sommation, Jéhovah répond qu'il enverra les Caldéens pourchâtier les Assyriens (Hab 1:5,11, qui doit nécessairement êtretransposé après 2:3, à cause de 1:5 et de 2:3), mais en même temps ilexhorte Habacuc à la patience:
Ecris la prophétie,Grave-la sur des tables;Son temps est déjà fixé...Si elle tarde, attends-la,Car elle s'accomplira (Hab 2:2).
Et il lui inspire une parole qui, pas plus que cette autre: «Tuas les yeux trop purs pour voir le mal», ne devait s'effacer de lamémoire des hommes: «Le juste vivra par sa foi» (Hab 2:4; cf.Ro 1:17,Ga 3:11,Heb 10:38). Quand «la prophétie» sera réalisée, en 612, Nahum, dans un ardentécrit--où l'on doit sans doute retrouver une composition liturgiquecélébrant à Jérusalem l'exaucement accordé (P. Humbert, «Le problèmedu Livre de Nahum», Rev. Strasb., janv.-fév. 1932) plutôt qu'unoracle antérieur à la chute de Ninive--, exalte en Jéhovah celui quia annoncé, préparé et accompli la destruction du colosse assyrien:
Jéhovah est bon;II a détruit la ville,Il a poursuivi ses ennemis.L'oppression ne s'appesantira pas deux fois;Ils ont été consumés comme la paille,Entièrement (Na 1:7-10).Voici sur les montagnesLes pieds du messager qui annonce la paix.Célèbre tes fêtes, ô Juda!Accomplis tes voeux!Le méchant ne te foulera plus;Il a été entièrement exterminé. (Na 1:15).Tous ceux qui ouïssent la nouvelleApplaudissent,Car sur qui ne s'est pas acharnéeTa méchanceté? (Na 3:19)
La valeur religieuse du livre de Nahum, que ceux qui leconsidèrent comme une prophétie ont tendance à diminuer, à réduirepresque à rien, est toute remise en lumière si on la considère commeune composition à intention cultuelle, une sorte de péan liturgique,où toutes les voix jéhovistes, celle de l'inspiration prophétique,celle du patriotisme sacerdotal et celle des «humbles du pays»s'unissent (comme on voit parfois dans les psaumes) pour célébrer àl'occasion de la catastrophe ninivite, qui libéra d'un joug odieuxtout le moyen Orient, la toute-puissance de Jéhovah, sa fidélité dansles promesses et sa maîtrise sur l'histoire.JEREMIE.Dans les temps troublés qui s'écoulèrent entre Habacuc et Nahum, ungrand événement religieux s'était accompli, celui que les disciplesd'Ésaïe avaient souhaité, préparé, et auquel Jérémie, dans lespremières années de son ministère, prêta l'appui de sa parole et deson action: la réforme deutéronomique Nous avons vu qu'après le temps d'Ézéchias et d'Ésaïe, on avait,d'un commun effort, en gardant l'essentiel des traditionsprophétiques et des traditions sacerdotales, rétabli et développé letestament de Moïse dans les exhortations du «Livre du Pacte», le Sepher habberith (2Ro 23,2Ch 34; allusion au pacte, berith, de De 5:2 29:1), appelé aussi le «Livre de laLoi» ou «de la doctrine», le Sepher hatthora (De 31:26,2Ro22:8, cf. De 31:9,24). Ce livre devait être déposé dans letemple à côté de l'Arche d'alliance de Jéhovah (De 31:26). Maisqu'était devenue l'Arche de l'alliance au cours du règne de Manassé,le roi impie et sanguinaire qui, après avoir rebâti les hauts-lieux,avait livré le temple de Jéhovah aux cultes idolâtres? (2Ro 21)On peut penser que les jéhovistes l'avaient mise à l'abri de laprofanation dans quelque coin ignoré du sanctuaire et qu'on avaitaussi caché le Livre de la Loi. Quand les temps d'obscurité et depersécution eurent disparu, la remise en état du temple fut sansdoute commencée, d'abord timide, dans les premières années deJosias...Ainsi vint le jour (621) où Hilkija, le grand-prêtre, putdonner au secrétaire Saphan la grande nouvelle: «J'ai trouvé le Livrede la Loi dans la maison de Jéhovah!» (2Ro 22:8). C'est à tort que certains critiques ont attribué à Jérémie unepart dans la composition du Deutéronome et dans l'initiative de laréforme qui suivit sa découverte. Jérémie n'habitait pas Jérusalem.Il appartenait à une famille sacerdotale depuis longtemps éloignée dela cour. Or, tout semble prouver que la réforme de Josias, différenteen ceci de celle d'Ézéchias, fut avant tout une entreprise desfonctionnaires qui entouraient le roi, tandis que Jérémie, par lestermes mêmes de sa vocation (Jer 1:18), paraît avoir été envoyépar Dieu à Jérusalem pour représenter dans la réforme et au besoinpour défendre devant le roi l'intention première du Deutéronome:l'inspiration prophétique de la charte retrouvée. Aussi leverrons-nous fort sévère, non certes à l'égard du «Pacte», qu'ilrecommande de toutes ses forces, mais à l'égard des prêtres et desscribes qui, sans se soucier du côté moral et spirituel de laréforme, ne voient en elle qu'une occasion d'imposer une législationsacerdotale au nom de Jéhovah et d'acquérir par elle un accroissementd'autorité (Jer 8:7,5:1 6:6 7:25 9), Jérémie avait été appelépar Jéhovah en 626 (Jer 1:4,19). Dès ce moment, laissant toutpour obéir (Jer 17:16), il entreprit dans les bourgs et lesvilles des tournées de prédication. Il le fit dans l'esprit desprophètes du VIII° siècle, surtout dans celui d' Osée: Par sa criante impudicité, Israël a souillé le pays; elle acommis adultère avec la pierre et le bois. Malgré tout cela, laperfide Juda, sa soeur, n'est pas revenue à moi de tout son coeur, etc'est avec fausseté qu'elle l'a fait, dit Jéhovah. L'infidèle Israël paraît innocente Auprès de la perfide Juda...(Jer 3:9 et suivant) Quand, en 621, la réforme éclata, Jérémie se donna à elle avectoute la flamme qui dévorait son âme sensible. Nous en avons lapreuve, non seulement dans ses discours (ch. 4-6), mais dansl'influence que la langue même du Deutéronome exerça sur lui. Commegénie réformateur, il fut donc le continuateur d'Ésaïe. Cependant,tout est contraste entre ces deux hommes. L'un se donne joyeusement àl'apostolat, l'autre est contraint d'y entrer malgré sa résistance;l'un commande aux événements, l'autre est victime des circonstances;celui-là s'impose aux foules et à la cour, celui-ci reste incomprisdes masses et subit la disgrâce des rois; Esaïe est entouré dedisciples, Jérémie a Baruc, que l'isolement décourage. Le premiercontemple la majesté divine et affermit l'ancienne alliance; lesecond «découvre le coeur humain» et annonce la nouvelle alliance. Enun sens, il la préfigure. Déjà, sa vocation lui apprend qu'il sera«une occasion de chute et de relèvement, un signe de contradiction»(rapprocher Jer 1:10 et Lu 2:34). Autre trait qui marque non pas un déclin, comme on l'a dit, maisau contraire un progrès vers la compréhension de la pensée divine:Jérémie, chez qui l'inspiration, l'illumination intérieure ne sontpas moindres que chez son devancier Ésaïe (Jer 4:13 5:13 6:118:16 10:22 23:9), ne se présente pas comme lui avec l'impétuositédu prophète qui, subjugué par la possession divine, parle sans sesoucier d'autre chose que d'annoncer les décrets du Dieu qui a faitirruption dans sa vie. L'origine du mandat ne lui suffit plus, ilfaut que le mandat soit légitimé par l'accomplissement de laprophétie (Jer 28:9, cf. De 18:21 et suivant). La réflexionrejoint l'inspiration et parfois la contrôle. En outre, le sentimentse fait jour, et la sympathie pour l'homme pénètre les paroles deDieu et celles de son mandataire (Jer 8:18 9:1 13:17 21:1013:9,14:17). Enfin les actes symboliques jouent un rôle plusaccentué (Jer 27:2 28:10 32:6 43:9). D'un mot, la prophéties'humanise, la religion s'individualise: Jérémie fraie la voie àl'Évangile (Jer 31:31) au point que les compatriotes de Jésusprendront celui-ci pour Jérémie ressuscité (Mt 16:14). Hölscher (Propheten, pp. 294-297) a bien entrevu les caractèresdistinctifs de Jérémie, mais le radicalisme de sa critique qui refuseau prophète d'Anathoth plusieurs chapitres essentiels Jer 7:1511:1-14 31:31-37 le met dans l'impossibilité de pousser le portraitde Jérémie jusqu'à l'entière ressemblance. Jéhovah avait, par Ésaïe, offert le pardon à Israël.(Esa 1:18) Le Deutéronome, continuant dans la même ligne, mettait commecondition à tout culte jéhovique: la circoncision du coeur.(De 10:16 30:6) Mais on sait que cela doit être entendu dans un senscollectif. Comme la loi avait dit: «Écoute, Israël », le repentirattendu, le pardon promis concernent Israël, la nation à qui,seule, est destiné un avenir glorieux, «Comme le dit Wellhausen: Ilsuffit que le peuple vive éternellement. Sur l'individu passe la rouede l'histoire; pour lui, il ne reste que le sacrifice, mais pointd'espérance. Sa seule récompense est dans la prospérité de lanation.» (A. Causse). Jérémie a commencé son ministère dans cetteattitude héroïque; c'est Israël, Juda, en tant que peuple élu, qu'ila traités d'adultères; c'est à Juda maintenant qu'il demande lacirconcision du coeur, condition du pacte deutéronomique:
Écoutez les paroles de ce Pacte...Maudit soit qui n'écoute pointLes paroles de ce PacteQue j'ai prescrit à vos pères,Le jour où je les fis sortirDu pays d'Egypte,De la fournaise de fer...(Jer 11:1-4, cf. De 29:1).Jéhovah me dit:Publie toutes ces parolesDans les villes de JudaEt dans les rues de Jérusalem,Et dis:Ecoutez les paroles de ce PacteEt mettez-les en pratique! (Jer 11:6)Défrichez-vous un champ nouveau,Et ne semez plus parmi les épines;Circoncisez vos coeurs,De peur que ma colèreN'éclate comme un feu,Et ne s'enflammeSans qu'on puisse l'éteindre! (Jer 4:3 et suivant)
Mais il s'aperçut bientôt que le milieu qui avait lancé laréforme voyait les choses autrement. Le lien entre les prêtres et lesprophètes nationalistes s'était renoué. (cf. Jer 26:7 etsuivant) La masse du peuple, les castes sacerdotale et militaire, lesfaux prophètes, préoccupés par les événements politiques,supportaient malaisément l'intransigeance et les principes austèresdu prédicateur d'Anathoth. Ils le regardaient comme un patriotesuspect...Tout à coup, la catastrophe de Méguiddo (609) achève de luiretirer tout crédit. Le roi réformateur est tué au cours d'une actionde fidélité, puisqu'il tente d'arrêter le pharaon Néco qui vole ausecours de l'Assyrien exécré (cf. Josèphe, Ant., X, 6). Quevalent donc les promesses du Deutéronome? Les parties prophétiques duPacte furent rejetées dans l'ombre et l'on ne s'occupa plus que d'enrenforcer la partie cultuelle, qui n'empêchait point la politique desalliances étrangères et des conjurations de suivre son cours. Alors Jérémie rompt avec prêtres et prophètes et prononce devantles portes du temple son grand discours (Jer 7 à Jer 9, etJer 10:17-25).
Ne vous livrez pas à des espérances trompeusesEn disant: C'est ici le temple de Jéhovah,Le temple de Jéhovah, le temple de Jéhovah! (Jer 7:4)Mon peuple ne connaît pasLa thora de Jéhovah.Comment pouvez-vous dire:Nous sommes sages,La thora de Jéhovah est avec nous?En vain s'est mise à l'oeuvreLa plume mensongère des scribes...Ils ont méprisé la parole de Jéhovah.Depuis le prophète jusqu'au prêtre,Tous usent de tromperie...Les prophètes prophétisent le mensonge...Je ne les ai pas envoyés...Je ne leur ai point parlé!Fausses visions, vaines divinations,Tromperies de leur propre esprit:Voilà ce qu'ils vous prophétisent! (Jer 8:7-10 14:14).
Jérémie reprend l'argument d'Amos: Jéhovah ne vous a jamaisdemandé de l'adorer par les cérémonies d'un culte. Ajoutez holocaustes à sacrifices, Et mangez-en la chair! Car je n'ai point parlé à vos pères Et je ne leur ai point donnéd'ordres, Lorsque je les ai tirés d'Egypte, Au sujet d'holocaustes etde sacrifices. Voici l'ordre que je leur ai donné: Écoutez ma voix etje serai votre Dieu, Et vous serez mon peuple (Jer 7:21-23). Ces dernières paroles sont le pendant de la déclaration deMic 6. Le cadre historique de ce discours capital se trouve dansJer 26. On y voit en toute clarté la collusion entre les prêtres et lesprophètes nationalistes et la preuve qu'ils étaient ensemble lespires ennemis des prophètes jéhovistes (Jer 26:11). Sans lepeuple et les chefs politiques, Jérémie aurait payé de sa tête lahardiesse de ses propos. (cf. Jer 7:14) Il fut heureux que cejour-là le roi se trouvât absent, car Jéhojakim, sur l'insistance desprêtres et des prophètes, eût sans doute traité Jérémie comme leprophète Urie qu'il avait fait extrader d'Egypte et mis à mort, parcequ'il avait prédit, lui aussi, la ruine de Jérusalem (Jer26:20-23). Espérant encore sauver son peuple, Jérémie, seul,entreprend une lutte de titan contre toutes les forces conjurées.Quand il tonne contre le formalisme religieux, prêtres et prophètesse liguent pour le perdre. Quand il recommande l'observation de lafoi jurée au suzerain, les chefs politiques l'accusent d'être traîtreà la patrie. Quand il annonce à Sédécias que la justice de Jéhovahs'accomplira, non par des victoires sur le champ de bataille, maispar la ruine de Jérusalem punie pour ses péchés, on le jette dans uncachot. Sa conscience prophétique est mise en passion. Avec son roisans force, sa politique sans parole et sa religion sans morale, lepeuple de Dieu se précipite dans une impasse au fond de laquelle ilva briser son destin. Mais Jéhovah ne peut être acculé à une impasse.Ne plus parler de lui serait avouer sa défaite. Jérémie ne le peut.Et c'est ainsi que par ses combats, par ses déceptions, par lesobstacles accumulés devant lui, il est amené par Dieu au grand viragequi le détournera de la route suivie par l'Israël selon la chair etlui découvrira les horizons de l'Israël selon l'Esprit.
Un Éthiopien peut-il changer sa peauEt un léopard ses taches?Alors, comment pourriez-vous faire le bien,Vous qui n'avez appris qu'à mal faire? (Jer 13:23)
On ne peut changer sa nature...Peut-être le récit de la Chutea-t-il éclairé à ce moment-là la conscience de Jérémie. Et, si lePs 51 existait de son temps, du moins sous sa forme première entrois strophes (Ps 51:3,19), il a pu voir dans les versets 7et8la vérité qu'il vient d'exprimer et la nécessité qui lui inspirera laprophétie par laquelle il couronne sa théologie. Puisque l'Israélite,comme tous les autres hommes, a été conçu dans le péché et puisqueJéhovah, qui l'aime «d'un amour éternel» (Jer 31:3), veutl'amener au salut, il faut que, par une initiative nouvelle, Dieuintervienne dans l'histoire et qu'il obtienne de l'individu ce qu'iln'a pu obtenir de la collectivité.
Voici, le jour vient,Dit Jéhovah,Où je ferai avec la maison d'IsraëlEt avec la maison de JudaUne alliance nouvelle,Non comme l'allianceQue je traitai avec leurs pères...Alliance qu'ils ont violée,Quoique je fusse leur maître, dit Jéhovah;Mais voici l'alliance que je ferai:Je mettrai ma loi au dedans d'eux,Je l'écrirai dans leur coeur.Alors je serai leur Dieu,Et ils seront mon peuple.Celui-ci n'enseignera plus son prochain,Ni celui-là son frère,En disant: Connaissez Jéhovah!Tous me connaîtront,Depuis le plus petit jusqu'au plus grand,Car je pardonnerai leur iniquité (Jer 31:31-34).
Jérémie s'est-il représenté ce que serait cette alliance? Ena-t-il entrevu le drame historique? Mystère. Et pourtant larévélation est là. Avant d'être entraîné de force en Egypte où, ditla tradition, ses compatriotes le lapidèrent pour se venger de sesprédictions, le vieux prophète a donné au inonde le principe même del'Évangile: par l'initiative de la miséricorde divine, une nouvellealliance, non plus une alliance extérieure, collective, envisagéesous l'angle de la solidarité nationale et conditionnée par un statutsocial, mais une alliance intérieure, individuelle, réalisant par lalibre adhésion du coeur la communion spirituelle avec Dieu.EZECHIEL.Jeune prêtre appartenant sans doute à la famille aristocratique desTsadokides, vouée depuis des siècles au service du temple, Ézéchiel aconnu Jérémie, il l'a entendu. Son âme droite et croyante a dû enêtre troublée. Quand vinrent la prise de Jérusalem et l'exil quisanctionnaient les prédictions du terrible censeur d'Anathoth,Ézéchiel, certainement, emporta en Caldée le sentiment que la causedu prophète était juste. Mais il ne devint lui-même prophète que surterre étrangère, au milieu des dispersés de Juda. Plus de temple,plus de sacrifices; une élite éplorée qui «suspend ses harpes auxsaules de Babylone» et qui supplée à l'absence de culte par laferveur de la pensée. Le milieu était propice au développement del'individualisme inauguré par Jérémie. Ézéchiel ne sera plus unprophète qui s'oppose à un peuple, mais un apôtre qui fait de la cured'âme: Fils de l'homme, fils de l'homme, je t'établis commesentinelle...Quand je dirai au méchant: «Tu mourras!» si tu nel'avertis pas, si tu ne parles pas pour détourner le méchant de samauvaise voie et pour lui sauver la vie, ce méchant mourra dans soniniquité, et je te redemanderai son sang. Mais si tu avertis leméchant et qu'il ne se détourne pas..., il mourra dans son iniquité,et toi, tu sauveras ton âme. (Eze 3:17,19 33:15). Développant une parole de Jérémie (Jer 31:29), il polémisecontre la vieille notion de solidarité nationale qui faisait porteraux innocents la peine des coupables. Ézéchiel est le prophète de laresponsabilité individuelle et des conséquences qui en découlent: Pourquoi dites-vous ce proverbe: «Les pères ont mangé des raisinsverts et les dents des enfants en ont été agacées»? Je suis vivant!dit le Seigneur Jéhovah, vous n'aurez plus lieu de le dire. Voici,toutes les âmes sont à moi, l'âme du fils comme l'âme du père; l'uneet l'autre m'appartiennent; l'âme qui pèche, c'est celle quimourra...Si un homme a un fils qui voie tous les péchés que commetson père, qui les voie et n'agisse pas de la même façon..., celui-cine mourra pas pour l'iniquité de son père, il vivra. L'âme qui pèche,c'est celle qui mourra. (Eze 18:1,4,14,17,20, cf. chap. 5). Il ne s'agit plus, avec Ézéchiel, du salut d'Israël en tant quenation, mais du salut de l'Israélite en tant que pécheur repentant: Si le méchant revient de tous les péchés qu'il a commis,...toutesles transgressions qu'il a commises seront oubliées, il vivra...Ceque je désire, est-ce que le méchant meure? dit le Seigneur Jéhovah.N'est-ce pas qu'il change de conduite et qu'il vive? Revenez,détournez-vous de vos transgressions, afin que l'iniquité ne causepas votre ruine...Faites-vous un coeur nouveau et un espritnouveau...Je ne désire pas la mort de celui qui meurt, dit leSeigneur Jéhovah. Convertissez-vous et vous vivrez. (Eze18:21,23,30-32 voir verset 10-20). Israël ne vivra que par la fidélité d'individualités attachées decoeur à Jéhovah; en ce sens, Ézéchiel continue le Deutéronome sans lenommer. (cf. De 30:15-20) Mais, où il le dépasse, c'est quand,reprenant l'idée de la nouvelle alliance lancée par Jérémie, il enprécise la condition dans sa vision des ossements desséchés. L'Israëlselon la chair est mort. Mais les desseins d'amour de Jéhovah ne sontpas anéantis pour cela. La puissance créatrice de l'Esprit quivivifia jadis le chaos et qui, depuis, anima les hommes de Dieu,peut, sur l'initiative de Jéhovah, rendre la vie aux ossementsdesséchés: La main de l'Éternel fut sur moi, il me transporta en esprit etme déposa dans le milieu d'une vallée remplie d'ossements...Ilsétaient fort nombreux à la surface de la vallée et ils étaientcomplètement secs. Il me dit; «Fils de l'homme, ces os pourront-ilsrevivre?» Je répondis: «Seigneur Jéhovah, tu le sais.» Il me dit: «Prophétise et parle à l'Esprit. Prophétise, fils del'homme, et dis à l'Esprit: Ainsi parle le Seigneur, l'Éternel:Esprit, viens des quatre vents, souffle sur ces morts et qu'ilsrevivent!» Je prophétisai selon l'ordre donné. L'Esprit entra en eus,ils reprirent vie et se tinrent sur leurs pieds. C'était une armée,une grande armée. Il me dit: «Fils de l'homme, ces os sont toute la maisond'Israël...Je mettrai mon Esprit en vous, et vous vivrez.» (Eze37:1-14). Mais ici s'avère entre Ézéchiel et ses prédécesseurs unedifférence qu'il faut noter et caractériser. Quand les prophètesparlaient de renaissance dans les jours mauvais d'Israël, ilsfaisaient dépendre cette résurrection d'un changement dans lesdispositions du peuple: «Repentez-vous, et alors...» Tandis que lepasteur des exilés annonce cette résurrection comme une initiativecommandée à Dieu par son honneur. La gloire de Jéhovah est liée à lavie de son peuple. Il faut donc qu'il sauve celle-ci pour exaltercelle-là. La grâce de Jéhovah aura pour effet et non pour cause lerepentir d'Israël (Eze 36:22-38). Israël sera restauré;Jérusalem, qui vient d'être détruite, sera relevée, et la nouvellecapitale, autour de laquelle les douze tribus seront groupées,s'appellera «Jéhovah est ici» (Eze 48:35). Cette prédicationramena à Ézéchiel la faveur des exilés. Le «faiseur deparaboles» (Eze 21:5) est devenu «le chanteur agréable» (Eze33:32), et la critique moderne a raison de voir en Ézéchiel leprécurseur du judaïsme. Mais il en est du Juif Ézéchiel comme duchrétien Augustin que protestants et catholiques revendiquent à bondroit, mais pour des raisons différentes, comme leur docteur. Entaisant l'universalisme jéhovique, en développant le culte et lathora, en donnant une valeur aux sacrifices, Ézéchiel a ouvert lavoie au particularisme, au légalisme, au ritualisme juifs; mais enproclamant la miséricorde de Jéhovah, en réclamant de l'Israëlnouveau des coeurs humiliés, convertis, pleins d'amour pour Jéhovah,en mettant comme condition à la vie future d'Israël la résurrectionpar l'Esprit, Ézéchiel ne s'est-il pas tenu dans la ligne desprophètes, ne l'a-t-il pas prolongée dans le sens de l'Évangile? Carenfin, si les grâces du royaume de Christ sont conditionnées par lerepentir et la conversion, la venue de Christ n'a pas dépendu d'unchangement dans le coeur des hommes, Christ est venu à l'heuremarquée par Dieu, et le changement des coeurs a été la conséquence,non la condition préalable de son incarnation sur la terre. Or, c'estbien cette réalité-là qui a été entrevue par Ézéchiel. C'est verscette réalité où s'unissent la souveraine liberté de Dieu et samiséricorde rédemptrice que nous orientent ensemble les paraboles,les prédications et les visions apocalyptiques du prophète deTel-Abib. Certes, il avait été prêtre à Jérusalem, et son amour pourle temple, que remplissait à ses yeux la présence divine, a dominétoute sa vie...N'oublions pas, pour être justes, que la religionjéhovique, jusqu'à la Pentecôte, ne pouvait être conçue par le peuplede Dieu ni vécue par la masse des adorateurs en dehors des pratiquesdu culte; tant que l'Esprit a été extérieur à l'homme, l'adoration nepouvait, sauf en quelques individualités privilégiées, s'exprimerqu'avec le secours des pratiques extérieures--et c'est là ce qui faitencore aujourd'hui, en plein christianisme, la force du catholicisme.Ce qu'il y a d'admirable, ce qui fait que, tout bien considéré, on nepeut regarder Ézéchiel comme un prophète en qui la prophétie arétrogradé ou s'est égarée, c'est que, malgré sa formationsacerdotale, il a compris que la restauration d'Israël n'aurait devaleur, que temple et culte n'auraient à l'avenir d'efficace, que siJéhovah remplissait la cité nouvelle de sa grâce et si, du sanctuairerenouvelé par l'Esprit, découlait une source fertilisante,purifiante, vivifiante, destinée à muer la patrie juive enparadis (Eze 47:1-12). Que cette source n'ait été pour Ézéchielqu'un symbole, ou qu'il ait vu en elle la transfiguration du filetd'eau qui s'échappait effectivement des murs de l'ancien sanctuaire: fons perennis aquoe (Tacite), nous ne pouvons autrement que d'yvoir une lointaine mais claire prédiction de la «source d'eau vive»(cf. Jn 4:14 7:37, cf. Esa 58:11,Za 14:8).ÉSAÏE II L'homme à qui il devait être donné de couronner l'oeuvre des grandsprophètes et de faire monter la marée de l'Esprit jusqu'au niveau del'Évangile, vivait au temps de l'exil. Mais rien, dans ses écrits, neparle des événements de Babylonie ni ne fait allusion auxcirconstances des dispersés qui vivaient dans l'entourage d'Ézéchiel.C'est un vrai contresens que de placer dans les plaines de lalointaine Caldée le prophète qui écrit: «Qu'ils sont beaux sur lesmontagnes, les pieds de celui qui apporte de bonnes nouvelles!»(Esa 52:7 cf. Na 2:1), qui se sert couramment du verbe«ramener» (Esa 49:22 43:5 et suivant, etc). pour désigner le retour desJuifs dans leur patrie «à travers le désert» (Esa 40:3 43:9),fait des allusions constantes à la mer et auxîles (Esa 41, Esa 42, Esa 49, Esa 51) et nomme l'Egypte, Couch (Cus)et les Sabéens contre lesquels il fulmine (Esa 43:3 45:14 et suivants).A ne considérer que ses écrits, dans lesquels nous voyons qu'il avaitdes horizons beaucoup plus étendus que ses prédécesseurs, et sathéologie, qui culmine dans l'Homme de douleur, il nous paraîtqu'Ésaïe II dut faire partie tout enfant de la fuite enEgypte (Jer 43), avoir connu là le vieillard Jérémie et assistéà son martyre. Après quoi, il sera revenu sur les ruines de Sion poursoutenir le peuple désemparé par ses infortunes et par la misère oùl'avait laissé l'élite des Juifs transplantée au pays euphratique: Consolez, consolez mon peuple, Dit votre Dieu...(Esa 40:1) Une preuve encore qu'Ézéchiel et Ésaïe II n'exerçaient pas sur lemême terrain, c'est le contraste de leurs attitudes. Tandisqu'Ézéchiel, dans son milieu d'exil que l'éloignement rendinoffensif, va à visage découvert, prêche, se raconte et se mêle à lavie des déportés qui l'entourent, Ésaïe II ne paraît pas; ses écritsne livrent rien de ce qui le concerne. On dirait qu'il se tientvolontairement en dehors des circonstances qui pourraient trahir saprésence. C'est qu'il se trouve au foyer des anciennes révoltes. Lamain du tyran caldéen pesait lourdement sur Juda. Les complotssuccessifs l'avaient rendu ombrageux. Il ne s'agissait plus, enPalestine, de propagande ouverte, mais seulement d'appels etd'encouragements plus ou moins clandestins, rédigés sous forme desourates (voir ce mot) que les fidèles se passaient l'un à l'autre etenvoyaient avec précaution dans les colonies de Juifs déportés. Cessourates d'Ésaïe II ont été réunies après coup; l'ordre en a souffertet, de-ci, de-là, des adjonctions post-exiliques ont pu y introduirequelque flottement dans le détail. Mais la pensée générale quiinspirait le ministère d'Ésaïe II ne s'en dégage pas moins del'ensemble avec une netteté souveraine. La connaissance qu'il a de la politique contemporaine révèle enÉsaïe II l'homme instruit, informé et génialement doué pour laphilosophie de l'histoire. Jéhoviste fervent, il constate que lesdieux des grandes nations, de celles qui passent et repassent sur lespetits peuples du moyen Orient comme la, meule écrase les gerbes surl'aire, les divinités égyptiennes et hittites, surtout les dieux deNinive et de Babylone, Ashour, Bel, Nébo, dieux de sang et d'orgie, ontéchoué dans leur oeuvre de force; et voici maintenant que le plusgrand de tous, la divinité des vieux Akkadiens qui, depuis 2.000 ans,réussissait toujours à ramener sa souveraineté sur les peuplesconquis et les divinités rivales, Mardouk, est menacé. Il tombe,renversé par qui? par un prince achéménide Cyrus, qui ne croit qu'àun Dieu unique et vivant, adoré sans image, un dieu qui interdit lemeurtre, le vol, le mensonge. Ne nous laissons pas tromper par lecylindre de Cyrus, aux expressions hyperboliques, quand il nousprésente Mardouk comme introduisant lui-même le conquérant perse àBabylone. Le but de cette inscription est de nous apprendre queCyrus, à l'encontre des vainqueurs sémites, massacreurs de peuples etbriseurs de dieux, entendait se présenter en bienfaiteur, enlibérateur, respectueux des biens, des moeurs et des croyances despeuples qu'il annexait à son empire. Qu'est-ce à dire, sinon que l'onretrouve en lui les qualités d'un adorateur du Dieu juste et bon,soucieux de mettre partout la vie: le «dieu des cieux» ou dieusuprême des Achéménides (Esd 1:2 7:12), Ahura-Mazda, prêché parle prophète aryen Zoroastre. «...Alors vint le second Ésaïe, quimarque l'apogée de la religion d'Israël; il appartient à cette époquemerveilleuse qu'ont rendue célèbre Zoroastre, Mahavira, le fondateurdu djaïnisme, Bouddha, Lao-Tse, Confucius et les cultes orphiques»(S.A. Cook; cf. Moore, Hist, of Relig., I, p. IX). Si, ainsiqu'il ressort des perspectives de son livre, le second Ésaïe n'a pasété confiné comme les prophètes du VIII e siècle dans les montagnesde la Palestine (Duhm pense même qu'il habitait les côtes de laPhénicie), rien ne s'oppose à ce qu'il ait connu au moins les plusproches éléments des grands courants religieux que l'Orient vitnaître à son époque, et dont la propagande s'étendait jusqu'aux îlesde la Méditerranée (par ex. le renouvellement de touteschoses, (Esa 65:17) et suivants, rappelle de façon frappantela frashôkéréti mazdéenne). On comprend dès lors qu'il ait saluéde loin les premiers triomphes de l'Achéménide et proclamé en Cyrusl'exécuteur des volontés, le «pasteur», le «messie» de Jéhovah. Cen'est plus ici l' imperator farouche qui sert à son insu lacolère de Jéhovah irrité contre son peuple, c'est le princebienfaiteur qui apporte la délivrance aux fidèles jéhovistes et qui aconscience, en brisant les chaînes d'Israël, d'exécuter la volontédivine (Esa 45:1,6 41:25). Apportée aux populations juives qui végétaient abandonnées parmiles ruines de Sion, cette nouvelle était propre à ranimer leurespérance, mais aussi à l'alarmer: Cyrus aurait-il supplanté David?Les tribus de Jacob ne seraient-elles plus le peuple élu? Jéhovahaurait-il oublié le destin d'Israël et le droit qu'il tenait ducontrat d'Abraham?
Par son prophète, Jéhovah, d'abord, les rassure:Pourquoi dis-tu, Jacob,Pourquoi dis-tu, Israël:Mon destin est caché devant Jéhovah,Mon droit passe inaperçu devant Dieu?Israël mon serviteur,Jacob, que j'ai choisi,A qui j'ai dit: «Tu es mon serviteur;Je t'ai choisi et ne te rejette point,»Ne crains rien, car je suis avec toi (Esa 40:27 41:25).
S'il a appelé Cyrus, s'il l'a provoqué à l'action, c'est pourdémontrer à tous le néant des idoles et pour consommer la ruine desfaux dieux auxquels Israël a tant sacrifié.
Je l'ai suscité du septentrion,Et il est venu.De l'orient, il invoque mon nom,Il foule les puissants comme de la boue,Comme l'argile que foule un potier (Esa 41:25).Ils sont tous honteux et confus,Ils s'en vont tous avec ignominie,Les fabricants d'idoles...Leurs oeuvres ne sont que néant,Leurs idoles ne sont qu'un vain souffle (Esa 45:16 41:29).
Bel s'écroule, Nébo tombe; Leurs idoles que vous portiez enprocession Sont chargées sur des bêtes de somme, Deviennent unfardeau pour l'animal fatigué. Ils tombent, ils s'écroulent ensemble, [Bel, Nébo] n'ont pu sauver le fardeau, [Les idoles qui les représentent,] Et ils s'en vont eux-mêmes encaptivité (Esa 46: 1). Dans son enthousiasme, Ésaïe II compare les victoires de Jéhovahsur les divinités qui avaient usurpé sa gloire à la victoire qu'ilremporta jadis sur les monstres du chaos (Esa 51:9 et suivant;voirCosmogonie):
Réveille-toi, réveille-toi,Revêts-toi de force, bras de Jéhovah!Réveille-toi, comme aux jours d'autrefois,Dans les anciens âges!N'est-ce pas toi qui taillas en pièces Rahab,Qui perças le monstre marin?N'est-ce pas toi qui desséchas la mer,Les eaux de la grande Tehom?
Comme il avait, ensuite de son triomphe sur les puissances dedésordre, organisé par l'Esprit qui planait sur l'abîme l'harmonielumineuse de la création matérielle, Dieu va maintenant, par Israël,grâce à l'anéantissement des fausses divinités, entreprendre au seinde l'humanité la création spirituelle:
Je suis Jéhovah, ton Dieu,Qui soulève la mer et fais mugir les flots...Je mets mes paroles dans ta bouche,Je te couvre de l'ombre de ma main,Pour étendre de nouveaux cieuxEt fonder une nouvelle terre,Et pour dire à Sion: «Tu es mon peuple!» (Esa 51:15).
Mais revenons au «serviteur» de Jéhovah (Esa 41:8). Dans lapremière sourate qui y fait allusion, apparaît l'idée, déjà émise parÉsaïe I, que le secours de Jéhovah ne pourra atteindre qu'une partiedu peuple élu:
Ne crains rien, vermisseau de Jacob,Faible reste d'Israël!Je viens à ton secours, dit Jéhovah,Le Saint d'Israël est ton Sauveur (Esa 41:14),.Pourquoi? A cause de l'aveuglement de la masse, qui a trahi l'alliance:Sourds, écoutez! Aveugles, regardez et voyez!Qui est aveugle, sinon mon serviteur,Et sourd, comme mon messager que j'envoie?Qui est aveugle comme l'ami de Dieu,Aveugle comme le serviteur de Jéhovah?Tu as vu beaucoup de choses,Mais tu n'y as point pris garde...Jéhovah a voulu pour le bonheur d'IsraëlPublier une loi grande et magnifique.Ils n'ont point écouté sa loi;Aussi a-t-il versé sur IsraëlL'ardeur de sa colère (Esa 42:18-21,24,25).
Quant à la partie restée fidèle à l'élection, les anavîm, les ébionîm, les tsaddiqîm, disciples des prophètes, elle n'arien à craindre de ses ennemis malgré sa faiblesse:
Ne crains rien, car je te rachète,Je t'appelle par ton nom: tu es à moi.Si tu traverses les eaux, je serai avec toi,Et les fleuves ne te submergeront pas;Si tu marches dans le feu...,La flamme ne t'embrasera pas.Car je suis Jéhovah, ton Dieu,Le Saint d'Israël, ton Sauveur (Esa 43:1,3).Je répandrai des eaux sur le sol altéré,Des ruisseaux sur la terre desséchée,Je répandrai mon Esprit sur ta race (Esa 44:3).
Sa première tâche--tâche splendide et périlleuse-- sera d'agir comme un levain dans la pâte; il devra évangéliser lamasse--«maison de rebelles» (Eze 17:12) --, il devra prêcher dela part de Jéhovah:
Souviens-toi de ces choses, ô Jacob:Je t'ai formé, tu es mon serviteur...Reviens à moi, car je t'ai racheté! (Esa 44:21 et suivant)Je confirme la parole de mon serviteur,J'accomplis ce que prédisent mes envoyés (Esa 44:26).
Ce serviteur, envoyé à la masse avec la force de l'Esprit pourréduire à néant les faux miracles des prophètes de mensonge (Esa 44:25)et pour prêcher la conversion avec la force de l'Esprit (Esa 48:13,16)sera appelé à souffrir de la part de ses compatriotes.
Jéhovah m'a parlé dès ma naissance,Il m'a nommé dès la sortieDes entrailles maternelles.Il a rendu ma boucheSemblable à un glaive tranchant...Il m'a dit: «Tu es mon serviteur,Israël en qui je me glorifierai.»Et moi, j'ai dit:«C'est en vain que j'ai travaillé,C'est pour le vide et le néantQue j'ai consumé ma force.»Mais mon droit est auprès de Jéhovah (Esa 49:1,4).
Ne dirait-on pas qu'en écrivant ces lignes, Ésaïe II pense àJérémie, évoque ses désillusions et ses débats avec son Dieu? (cf.Jer 1:4,6 20:7,13) Et pourtant, c'est bien encore le noyau desfidèles jéhovistes groupés autour des prophètes que Fauteur envisageici, et c'est à lui qu'il assigne maintenant une tâche magnifique:non seulement il est appelé à évangéliser son peuple, mais, par sonrôle de médiateur dans la souffrance, il sera élevé à la dignité demissionnaire au sein de tous les peuples:
Maintenant, Jéhovah parle,Lui qui m'a forme dès ma naissancePour être son serviteur,Pour ramener à lui Jacob...Car je suis honoré aux yeux de JéhovahEt mon Dieu est ma force.Il dit: «C'est peu que tu sois mon serviteurPour relever les tribus de Jacob...Je t'établis pour être la lumière des nations,Pour porter mon salut jusqu'aux extrémités de la terre.»Ainsi parle Jéhovah...A celui qu'on mépriseEt qui est en horreur au peuple (Esa 49:5,7).
Ces dernières lignes, qui rappellent le sort de Jérémie,introduisent les discours missionnaires de Jésus: «Allez etévangélisez toutes les nations...Vous serez mes témoins jusqu'auxextrémités de la terre.» Elles fixent à jamais le rôle glorieuxd'Israël dans l'histoire de l'humanité; elles marquent lecouronnement de son élection. Mais la tâche de «porter le salut»pourra-t-elle vraiment être accomplie par une collectivité? Nerenferme-t-elle pas un élément expiatoire qui demeurera un mystèreincompréhensible aux hommes, même les meilleurs, jusqu'à ce qu'unepersonnalité divino-humaine ait pris sur elle de l'incarner dans lemonde, de souffrir et de mourir pour le salut de tous? Ésaïe II acompris cette nécessité. Il en a entrevu la révélation; mais sarévélation de 1' «Homme de douleur» appartient à la prophétiemessianique, qui sera étudiée plus loin dans son ensemble. Arrivons donc immédiatement aux conséquences de cet acterédempteur dont le héros incarnera les privilèges, les vertus et lamission de sa race. Israël par lui aura appelé tous les peuples ausalut:
Vous tous qui avez soif,Venez, voici de l'eau.Venez, achetez et mangez...Sans argent, sans rien payer.Écoutez, et votre âme vivra (Esa 55:1,3).
L'alliance avec David sera étendue à tous les hommes de bonnevolonté:
Je traiterai avec vous une alliance éternellePour rendre durables mes faveurs envers David.Voici, je t'ai établiComme témoin auprès des peuples...Tu appelleras des nations que tu ne connais pas,Et les nations qui ne te connaissent pasAccourront vers toi,A cause de l'Éternel, ton Dieu...Qui ne se lasse pas de pardonner...(Esa 55:3,5,7)Les étrangers qui s'attacheront à Jéhovah...Pour aimer le nom de l'Éternel,Pour être ses serviteurs...,Je les amènerai sur ma montagne sainte,Je les réjouirai dans ma maison de prière...(Esa 56:6)
Jérusalem demeure bien le centre de l'humanité renouvelée, maiscombien moral et spirituel sera le culte qu'on y célébrera! Voici unpassage qui suffirait à lui seul pour prouver que l'ensemble dessourates Esa 60 à 66, à part les adjonctions dont nous avonsparlé (les critiques qui attribuent Esa 56 à 66 à l'époqued'Esdras considèrent souvent que ces chapitres appartiennent à desauteurs différents, disciples d'Ésaïe II), ne saurait appartenir àl'époque des scribes et porte le plus authentique cachet des tempsprophétiques:
Que nous sert de jeûner,Si tu ne le vois pas?De mortifier notre âme,Si tu n'y as point égard? -Vous ne jeûnez pas comme le veut ce jour...Courber la tête comme un jonc,Se coucher sur le sac et la cendre,Est-ce là ce que tu appelleras un jeûne,Un jour agréable à Jéhovah?Détache les chaînes de la méchanceté,Dénoue les liens de la servitude,Renvoie libres les opprimés,Partage ton pain avec celui qui a faim,Fais entrer chez toi le malheureux sans asile,Si tu vois un homme nu, couvre-le,Et ne te détourne pas de ton semblable.Alors ta lumière poindra comme l'aurore...Tu appelleras, et Jéhovah répondra,Tu crieras, et il dira: «Me voici!» (Esa 58:3,8).
Le règne de Jéhovah glorifié par un culte spirituel rayonnera dela cité de lumière que le prophète aperçoit maintenant bien au-dessusde la Jérusalem qu'il chantait d'abord comme le sanctuaire d'Israëlreconstitué. L'horizon deutéronomique, avec ses perspectivesnationales, est dépassé. La ville apocalyptique d'Ézéchiel: Jéhovah-Chammah, voit aussi ses cadres éclater et doit reporterses limites jusqu'aux extrémités du monde afin de pouvoir engloberdans la gloire de Jéhovah des représentants de l'humanité toutentière. Les portes de cette cité, qui s'appellera «ville deJéhovah», seront toujours ouvertes afin que de toutes parts et entout temps les peuples réconciliés puissent venir y célébrer toutensemble l'accomplissement des promesses faites à Jacob et le salutde toutes les nations.
Lève-toi, sois illuminée,La gloire de Jéhovah se lève sur toi...Je glorifierai la maison de ma gloire.Qui sont ceux-là, qui volent comme des nuées,Comme des colombes vers leur colombier?Car les îles espèrent en moi...Tes portes seront toujours ouvertes,Elles ne seront fermées ni jour, ni nuit,Afin de laisser entrer chez toiLes trésors des nations,Les rois avec leur suite...Les fils de tes oppresseursViendront s'humilier devant toi;Ils t'appelleront «ville de Jéhovah»,«Sion du Saint d'Israël» -..Tu donneras à tes murs le nom de «Salut»,A tes portes celui de «gloire».Ce ne sera plus le soleilQui t'éclairera pendant le jour;De sa lueur, la lune ne t'éclairera plus,Car Jéhovah sera ta lumière à jamais,Ton Dieu sera ta gloire. (Esa 60, cf. Ap 21).
Une dernière fois, l'horizon s'élargit à l'infini. Le triomphe deJéhovah «dont le ciel est le trône et la terre le marchepied» (Esa66:1) exige plus que la régénération des âmes: il lui faut latransfiguration de la nature tout entière, afin que l'hymne universelglorifie le Créateur (Esa 65:17,25). Ici le prophète rejoint lesespérances du premier Ésaïe (Esa 11) et la doctrine mazdéennesur le renouvellement du monde:
Voici, je vais créer de nouveaux cieuxEt une nouvelle terre.On ne se rappellera plus les choses passées...Soyez à toujours dans l'allégresseA cause de ce que je vais créer...Mes élus jouiront de l'oeuvre de leurs mains...Ils n'auront pas des enfantsPour les voir périr...Avant qu'ils m'invoquent, j'exaucerai...Le loup et l'agneau paîtront ensemble,Le lion comme le boeuf mangera de la paille,Le serpent aura la poussière pour nourriture.Il ne se fera ni tort ni dommageSur toute ma montagne sainte,Dit Jéhovah. (Esa 65:17,22,25, cf. Eze 47).