Adresse. Cet écrit, qui ressemble davantage à une exhortation munie d'un cadreépistolaire qu'à une lettre proprement dite, n'est pas adressée à unecommunauté particulière ni même à un petit groupe de communautés,mais «aux élus qui vivent en étrangers dans la Dispersion, dans lePont, la Galatie, la Cappadoce, l'Asie et la Bithynie». Ce terme de«Dispersion» (voir Diaspora) a fait croire que les lecteurs, visésétaient des Juifs convertis (ainsi Origène, Jérôme, Calvin, Bèze, B.Weiss, etc.), et les nombreuses citations de l'A.T, paraissentconfirmer cette supposition. La Diaspora juive était, certes, trèsvivante à cette époque en Asie Mineure, mais l'histoire de la missionchrétienne incline à penser que ces communautés comprenaient surtoutd'anciens païens. C'est ce qu'indiquent aussi plusieurspassages (1Pi 1:14,18 2:10 3:6 4:3 etc.). Quant à ceux quiparaissent viser d'anciens Juifs (l'adresse par exemple), ilss'expliquent facilement par l'accomplissement des prophéties. Leschrétiens sont devenus le peuple de Dieu, et les privilèges du peuplejuif appartiennent maintenant aux chrétiens. Toutefois il ne faut pasaller jusqu'à prétendre qu'il ne s'agit dans l'épître que d'ancienspaïens, car il est fort probable qu'il y avait au sein de cescommunautés d'anciens Juifs convertis. Ces Églises ne semblent pasrenfermer beaucoup de riches, mais plutôt des gens pauvres, desesclaves. D'autre part, on peut douter que l'auteur connaisse seslecteurs. Rien, en effet, n'indique des rapports personnels. Notreépître est adressée à l'Église en général et ne vise aucunecommunauté particulière. Elle s'adresse à tous les chrétiens et non àdes individus. C'est bien une épître «catholique» (voir ce mot).Contenu. A l'encontre des lettres de Paul, notre ép. ne présente aucun plansystématique. Le but de l'auteur c'est l'exhortation: exhortation àla sainteté et à l'amour en vue de la fin prochaine. Dieu a donné auxhommes une espérance de vie par la résurrection de son Fils (1Pi1:3-12). C'est pourquoi il importe d'aspirer à la sainteté (1Pi1:13-25) en renonçant au mal et en communiant avec le Christ,pierre angulaire de la maison spirituelle (1Pi 2:1,10). Suiventune série d'exhortations concernant la soumission auxautorités (1Pi 2:13,17), l'obéissance des esclaves à leursmaîtres (1Pi 2:18,25), les devoirs des époux (1Pi 3:1,7),les devoirs envers les frères (1Pi 3:8,12), la fidélité dans lasouffrance (1Pi 3:13,17) en imitation du Christ qui, bien quejuste, a souffert pour les péchés des autres (1Pi 3:18-4:6,avec une digression sur la prédication aux morts). L'auteur exhorteensuite les fidèles à l'amour fraternel (1Pi 4:7,11) et à lapatience dans l'épreuve des persécutions présentes (1Pi4:12,19). Il termine en indiquant les devoirs réciproques desanciens et des fidèles (1Pi 5:1,7) et en exhortant les lecteursà la fermeté et à la vigilance (1Pi 5:8,11). La lettre s'achèvepar des indications personnelles (1Pi 5:12) et lasalutation (1Pi 5:13 et suivant). L'auteur n'est pas un théologien, c'est un chrétien qui exprimela voix du peuple. Sa théologie est simple et dégagée de toutcaractère spéculatif et métaphysique. Dieu est avant tout le Père:père de Jésus-Christ (1Pi 1:3) et père des croyants (1Pi1:17); mais il est aussi le juge impartial et juste (1Pi 4:51:17). Christ se présente comme le Rédempteur, et toute lachristologie part de cette conviction: rédemption par le sacrifice dela croix (1Pi 1:19 2:24 3:18). Ce sacrifice est salutaire nonseulement pour les vivants, pour ceux qui ont suivi le Christ, mais,et sur ce point l'épître donne la solution d'un problème que d'autresont déjà fait entrevoir (Ro 10:6,7,Eph 4:8,10), pour ceux quisont morts avant l'accomplissement de la rédemption par la croix.C'est à cet effet que Christ est descendu au séjour des morts (voirDescente aux enfers) afin d'y prêcher l'évangile du salut et derendre les morts à la vie par l'Esprit (1Pi 3:19 4:6). --La morale est fortement développée à l'intérieur de l'ép., avecde nombreux conseils. Elle découle de la mort même du Christ qui nousamène à rompre avec le mal. Et l'auteur exhorte ses lecteurs à lasainteté (1Pi 1:15) et à l'amour fraternel (1Pi 4:8); ilplace devant eux une table de devoirs sociaux et familiaux. Maiscette morale porte un caractère particulier. Elle est orientée versl'avenir, elle est conditionnée par la parousie prochaine (1Pi4:7 et suivants). L'eschatologie de notre auteur ne ressemble pas àcelle des apocalypses. Elle porte, elle aussi, un cachet desimplicité qui la rapproche de celle des évangiles. Sauf sur un point, comme on l'a vu, notre épître ne porte aucuncachet d'originalité. Partout elle présuppose Paul et sa doctrine, etelle lui emprunte ses conceptions fondamentales. C'est Paul que l'onretrouve dans la façon dont notre auteur conçoit le Christ, le salutpar la mort du Christ, la foi. Il emploie même des formules quisemblent prises dans les lettres pauliniennes (ainsi: «rendu vivant»1Pi 3:18, «révéler» et «révélation» 1Pi 1:5,12,13,etc.). Par endroits même, on a l'impression que l'auteur copie ouimite un passage de Paul. Les analogies sont surtout frappantes avecRomains et Ephésiens (ainsi: 1Pi 2:4,8 et Ro 9:32 4:10 et Ro 12:6,82:13,17 et Ro 13:1,7 3:22 et Eph 1:20 3:18 et Eph 2:183:12, etc.). Enfin les formules du début et de la fin de la lettrese concevraient très bien sous la plume de Paul.--La littératurepaulinienne n'est pas la seule qui ait des analogies avec notreécrit. Il y a aussi des points de contact avec l'épître de Jacques(ainsi: 1Pi 1:23 et Jas 1:18 2:11 et Jas 4:1 4:8 etJas 5:20, etc.); et la priorité paraît être plutôt du côté deJacques, plus bref et abrupt que Pierre qui développe et atténue. Endehors de ces influences plus ou moins directes, l'auteur subit plusque tout autre l'influence de l'A.T. Les citations abondent en mêmetemps que les réminiscences. L'auteur se sert des anciennes imagesd'Israël pour les adapter aux notions chrétiennes. Il connaîtparfaitement les Proverbes, les Psaumes et les écrits des prophètes(ainsi 1Pi 1:24 et suivant et Esa 40:6-8 1Pi 2:22,24 etEsa 53:9,12 3:10-12 et Ps 34:13-17, etc.). Toutes lescitations sont faites d'après le texte grec des LXX, et nulle part,quand il y a des divergences entre les deux textes, on ne sentl'influence de l'hébreu. L'auteur possède bien les LXX et en reprendle vocabulaire; parfois même des versets entiers sont composés demots des LXX mais sans qu'on puisse parler de citation (1Pi2:3,10). Toutefois, si l'auteur utilise la langue de la Biblegrecque, ce n'est jamais d'une façon servile, il ne la copie pas etsouvent même il lui prête un autre sens.Auteur. L'épître se donne comme étant de Pierre. Mais en admettant avec B.Weiss, l'école d'Erlangen, Schleiermacher, Renan l'authenticité decet écrit, on rencontre de sérieuses difficultés. La langue en estexcellente et le vocabulaire très riche (60 mots ne se retrouventnulle part ailleurs dans le N.T. et les LXX). Pierre n'était certespas une personnalité de second ordre, et le rôle qu'il a joué dans laprimitive communauté prouve nettement sa valeur. Il connaissait trèscertainement le grec, qui était fort courant dans les petites villesde Galilée à cette époque; mais il est difficile de croire qu'il aitpu s'exprimer d'une façon aussi limpide et dans un grec aussi pur.D'autres arguments ont été invoqués par la critique contre lacomposition par Pierre. Tout d'abord, c'est l'absence de souvenirsdirects du ministère et de l'enseignement de Jésus. On comprend malqu'un témoin oculaire des souffrances du Christ n'ait pas d'autrestermes plus précis et personnels pour dépeindre ces souffrances.Enfin les concepts particuliers de l'Évangile: Fils de l'homme,Royaume des cieux, Vie éternelle, manquent complètement. On insisteégalement sur le manque d'originalité de l'épître, en particulier ladépendance de notre auteur à l'égard de Paul. Se fondant sur cesdifférents arguments, Jülicher et d'autres concluent que l'auteur estun chrétien de la fin du I er siècle, qui écrit à ses compagnonspersécutés une lettre de consolation qu'il place sous l'égide d'undes piliers de l'Eglise, victime lui aussi de persécutions. Toutefois on peut se demander si tous les arguments mentionnéscontre l'authenticité ont bien la valeur qu'on leur attribue.L'absence complète d'allusions personnelles à la vie de Jésus sembleprouver plutôt en faveur de l'authenticité. Un auteur écrivant sousle nom de Pierre n'aurait pas manqué de faire allusion à dessouvenirs historiques sur la personne du Christ. L'exemple del'auteur de la 2 e ép. de Pierre le prouve assez clairement par lesnombreuses allusions au ministère de Jésus.--D'autre part, ladépendance que montre notre épître vis-à-vis du paulinisme n'est pasun critère absolu. Pierre s'est montré, en plus d'une occasion, d'uncaractère versatile. N'est-il pas l'homme du reniement? Et àAntioche, alors qu'il approuvait la façon d'agir de Paul, n'a-t-ilpas renié brusquement son point de vue par crainte desjudéo-chrétiens? Aussi ne serait-il pas très étonnant que sur la finde sa vie, alors qu'il se trouvait dans le voisinage de Paul, il eûtadopté les conceptions et les doctrines du grand apôtre. Pierre àRome n'était plus sous la tutelle de Jacques, mais sous celle dePaul, et l'apôtre qui était un homme du peuple ne pouvait manquer dese laisser influencer et guider par la puissante personnalité de Paul. La clef du problème pourrait nous être donnée par un passage dela lettre: «Je vous écris par Silvain» (1Pi 5:12). Silvain, quin'est autre que le Silas des Actes (Ac 15:22), était un anciencompagnon de Paul (Ac 15:40) pendant le deuxième voyagemissionnaire. Il est auprès de Paul quand celui-ci écrit auxThessaloniciens (1Th 1:1 2Th 1:1). Peut-être même luiservit-il de secrétaire, s'assimilant les conceptions de l'apôtre.Ancien Juif de la Diaspora, pénétré de culture hellénistique, ildevient un membre influent de la communauté de Jérusalem. Devenucompagnon de Pierre, il n'est pas impossible qu'il ait écrit notreépître au nom et sur les conseils de l'apôtre. Dès lors il est facilede s'expliquer les tournures et le caractère pauliniens de notreécrit. Cette hypothèse d'une composition par Silvain se trouveconfirmée, ainsi que le remarque Rademacher, par le caractèreextérieur de l'écrit. Plusieurs formules, l'emploi fréquent du motgrec homoïôs qui correspond au latin item, montrent quel'auteur est un scribe de profession, ce qu'était très certainementSilvain.Date et lieu de composition. La date que l'on attribue à cette ép. varie suivant les hypothèsessur l'auteur de l'écrit. Les partisans de l'authenticité absolue laplacent à des moments divers de la vie de l'apôtre, moments qui vontde 45 à 66. Les adversaires de l'authenticité descendent beaucoupplus bas, certains jusque vers 140. De toutes les Hypothèses, la plusprobable, si l'on admet la composition de l'écrit par Silvain au nomde l'apôtre, est celle qui la situe dans les années 62 à 66. Notreépître connaît Paul et utilise même certaines de ses lettres, commeon l'a vu; il est donc impossible de remonter au delà de 59 ou 60,date approximative de la composition de l'épître aux Éphésiens. D'autrepart Clément, en écrivant aux Corinthiens, paraît avoir connu 1 P.,et il est impossible dès lors de descendre au delà de 95. Le contenude l'épître semble parler en faveur d'une date ancienne. On a affaireà la première génération des chrétiens, car les allusions aupaganisme qu'ils ont quitté sont nombreuses (1:14 4:3 et suivant,etc.). L'attente de la parousie est vive, et son arrivée estconsidérée comme proche. L'épiscopat n'existe pas encore (1Pi5:1 et suivants). C'est un temps de tribulations pour les Eglises,mais les persécutions n'ont pas encore le caractère officiel qu'ellesprendront plus tard. Il est donc probable que cette lettre précède lapersécution de Néron dans laquelle l'apôtre trouva la mort, etqu'elle date d'environ 64. Les critiques qui contestent l'existencede tout lien, même indirect, entre l'apôtre et notre écrit, pensentplutôt à la persécution survenue sous Domitien, certains même àl'époque de Trajan. Mais dans ce dernier cas, on se heurterait autémoignage de Clément. La lettre est datée de Babylone (1Pi 5:13). Il est difficilede croire qu'il s'agisse ici de Babylone en Caldée. A l'époque oùl'épître fut écrite, cette ville n'était plus guère qu'un souvenir. Ilne peut s'agir non plus de la Babylonie, car la mission chrétiennen'y avait pas encore fondé d'Église, et la tradition n'a pas, gardéle souvenir d'un séjour de Pierre en cette région. Bien au contraire,les traditions orientales envoient notre apôtre à Rome. Une autrehypothèse (Ed. Naville), qui à première vue paraît très séduisante, avoulu voir en Babylone une ville d'Egypte qui portait ce nom. Situéesur l'emplacement du Vieux-Caire, cette ville semble avoir eu uneimportance relativement grande. Un évêché y est établi au V e siècle,et Joinville la mentionne dans ses Mémoires comme étant la principaleville d'Egypte. De plus, la tradition de l'Église copte voit sonfondateur et premier évêque en Marc, qui est le compagnon de Pierrelors de la rédaction de l'épître. Toutefois nulle part il n'estquestion d'un séjour de Pierre en Egypte, et l'Eglise copte qui agardé le souvenir de Marc n'aurait pas oublié Pierre. L'hypothèse laplus vraisemblable est celle qui voit en Babylone la ville de Rome.Pierre est très probablement mort à Rome (voir Simon Pierre, Marc);d'autre part, cette métaphore n'est pas inconnue du monde chrétien,puisque l'Apocalypse l'emploie comme une désignation courante. Ainsidonc, il semble bien que notre écrit, authentique ou non, soitoriginaire de Rome. BIBLIOGRAPHIE.--Il existe en français un excellent commentairesur I P., celui de J. MonnieR: La 1re épître de l'apôtrePierre (1900). Parmi les autres, nous recommandons ceux de: R.Kkopf dans la collection Meyer, et H. Windisch dans la collectionLietzmann. O. C.