I L'Eglise de Philippes. L'apôtre Paul, arrivé à Philippes vers le milieu de l'an 50 (ou 49)avec Silas, Timothée et Luc, commença par annoncer l'Évangile aupetit groupe de Juifs et de prosélytes qui se réunissait sur lesbords du Gangitès (voir art. précéd.). La première personne convertiefut une marchande de pourpre, originaire de la ville de Thyatire, enLydie (d'où sans doute son nom, Lydia =la Lydienne), quis'empressa d'offrir aux missionnaires l'hospitalité dans samaison (Ac 16:11,15). Le livre des Actes ne précise pas la duréedu séjour de l'apôtre à Philippes; il nous apprend qu'à la suite dela guérison d'une jeune esclave possédée d'un «esprit de python» etexploitée par ses maîtres, Paul et Silas furent frappés de verges etjetés en prison; le lendemain les préteurs «les prièrent de quitterla ville». Avant leur départ ils purent se rendre chez Lydie etprendre congé des frères, auxquels venait de se joindre le geôlierlui-même avec toute sa famille (Ac 16:16,40). La petitecommunauté fut d'abord confiée probablement à la direction de Luc(voir ce mot); elle devint nombreuse. L'épître nomme quelques-uns deses membres: Épaphrodite (Php 2:25); Clément; deux femmes,excellentes collaboratrices de l'apôtre, Evodie et Syntyche, entrelesquelles un dissentiment fâcheux a éclaté; un certain Synzygos(=collègue, «compagnon de joug»), qui est prié de les mettred'accord (Php 4:3 et suivant). Dès le début, l'élément fémininsemble avoir été considérable et très influent dans l'Église dePhilippes (de même à Thessalonique et à Bérée, Ac 17:4,12); celapeut contribuer à expliquer les soins particulièrement affectueuxdont les Philippiens entourèrent l'apôtre. Celui-ci ne revit plus son Église bien-aimée jusqu'à la fin duséjour à Éphèse (2Co 2:12 et suivant, Ac 20:1); il passasans doute par Philippes et, selon toute vraisemblance, s'y arrêtaquelque temps en 57, lorsqu'il organisait la collecte pour les frèresde Jérusalem; en cette occasion, la générosité des Églises deMacédoine, pourtant pauvres et éprouvées par de grandes tribulations,dépassa les espérances de l'apôtre (2Co 8:1,5). Enfin, auprintemps de l'an 58, lors de son dernier voyage à Jérusalem, ilpassa à Philippes la semaine de Pâques (Ac 20:6). «Durant lesintervalles plus ou moins longs qui séparèrent ces séjours àPhilippes, les relations de l'apôtre avec l'Église ne paraissent pasavoir jamais complètement cessé. Les Philippiens avaient à coeur dele soulager dans sa vie si laborieuse; ils le soutenaient de temps entemps par des envois d'argent (Php 4:15 et suivant, 2Co11:9), et Paul, qui connaissait leurs sentiments élevés, necraignait pas d'accepter d'eux un service qu'il aurait refusé de lapart d'autres Églises» (F. Godet, Les Ép. de saint Paul, p. 589).Il avait en effet déclaré catégoriquement aux Corinthiens qu'ilaimerait mieux mourir que de se laisser enlever ce sujet de gloire:offrir l'Évangile gratuitement (1Co 9:15,18); s'il consentait àrecevoir des subsides de la part des frères de Philippes, c'était làune preuve spéciale de sa tendre affection pour eux. Il leur écrivaitsans doute chaque fois pour les remercier; la remarque: «je ne melasse point de vous écrire les mêmes choses» (Php 3:1) semblefaire allusion à une correspondance active, et d'ailleurs Polycarpe,dans sa lettre aux Philippiens (Php 3:2), parle des «épîtres»que saint Paul leur aurait adressées. C'était donc le sentiment qui prédominait chez les chrétiens dePhilippes; plus pratiques qu'intellectuels, ils ne s'inquiétaientguère des spéculations philosophiques et des questions doctrinalesque l'on discutait à Corinthe, Éphèse ou Colosses. La plus grandepartie d'entre eux étaient d'origine gréco-romaine; c'est pourquoiles Juifs et les chrétiens judaïsants n'avaient jamais réussi àprendre pied dans l'Église: ils la menaçaient du dehors (3:2).Celle-ci était d'ailleurs bien constituée et organisée, avec deuxcatégories de fonctionnaires, les évêques et les diacres, quiapparaissent ici ensemble pour la première fois dans le N.T. (1:1).Leurs tâches respectives pouvaient n'être pas encore bien délimitées;cependant les évêques, qu'il faut identifier avec lespresbytres (Ac 20:17,28), semblent avoir été chargés surtout dela direction spirituelle de la communauté, tandis que les diacresétaient préposés aux oeuvres de miséricorde.II Contenu de l'épître. On peut l'analyser ainsi qu'il suit. 1. L'ADRESSE (Php 1:1).Paul et Timothée, serviteurs de Jésus-Christ, s'adressent «à tous lessaints en Jésus-Christ qui sont à Philippes, ainsi qu'aux évêques etaux diacres». 2. ACTIONS DE GRACES (Php 1:3-11).L'apôtre rend grâces à Dieu toutes les fois qu'il pense à ses chersPhilippiens, pour la solidarité qui les unit à lui dans le service del'Évangile. Il les porte dans son coeur; il est convaincu qu'ilsferont de nouveaux progrès, car Celui qui a commencé en eux cettebonne oeuvre ne peut qu'en poursuivre l'achèvement. Aussidemande-t-il à Dieu que leur amour abonde de plus en plus et soitaccompagné de connaissance et de discernement, afin qu'ils soientpurs et irréprochables pour le jour de Christ. 3. SITUATION PRESENTE DE L'APOTRE (Php 1:12-26).Paul, avec une extrême simplicité, donne des nouvelles sur lescirconstances dans lesquelles il se trouve et confie à ses amis sessentiments intimes. Sa captivité, loin de nuire à la cause de Christ,a contribué au progrès de l'Evangile. Plusieurs frères le prêchenthardiment; quelques-uns, il est vrai, le font dans un mauvais espritd'envïe et de parti, pour attrister sa captivité. N'importe! De toutefaçon, le Christ est annoncé. C'est là l'essentiel; le serviteur duChrist ne peut que s'en réjouir. Tout cela tournera à son salut,grâce aux prières des Philippiens et au secours de l'Esprit deJésus-Christ; il a la ferme assurance que le Christ sera magnifié ensa personne, soit par la vie, soit par la mort. Pour lui, vivre,c'est Christ! Malgré les raisons qu'il a de souhaiter la mort(«partir et être avec Christ!»), il pense que pour ses chers lecteurssa vie serait plus nécessaire; c'est pourquoi il espère que l'avenirlui apportera, ici-bas, de nouvelles occasions de travailler pourleur progrès et leur joie dans la foi. 4. EXHORTATIONS A L'UNION ET A LA FIDELITE (Php 1:27-2:18).Sans se laisser effrayer par leurs adversaires, les chrétiens doiventdemeurer fermes dans un même esprit et bannir à tout prix lesrivalités, les jalousies, les divisions personnelles. L'apôtresupplie les Philippiens de rendre sa joie parfaite en ayant un mêmeamour et une seule pensée; il les exhorte à l'humilité et àl'abnégation, en leur rappelant l'exemple de Jésus-Christ qui, étanten forme de Dieu, loin de s'en prévaloir pour s'égaler à Dieu, s'estdépouillé, s'est humilié en prenant la forme d'un esclave et, commetel, s'est abaissé encore, poussant son obéissance jusqu'àl'immolation sur la croix. C'est pourquoi Dieu lui a donné la plushaute dignité, la souveraineté universelle, la participation à latoute-puissance divine et à l'hommage de toutes les créatures. Voilàle sacrifice suprême qui aboutit à la suprême glorification! Que leslecteurs bien-aimés suivent cet exemple magnifique d'obéissance,qu'ils travaillent avec crainte et tremblement à leur salut; que, parleur vie irrépréhensible, ils brillent au milieu d'une sociétédépravée comme les astres dans l'univers! Ce sera là, pour l'apôtre,son titre de gloire au jour du Christ et la preuve qu'il ne s'est pasdonné' de la peine en vain. 5. NOUVELLES DE TIMOTHEE ET D'EPAPHRODITE (Php 2:19-3:1).Paul revient aux nouvelles. D'abord, il donne des détails surTimothée, qu'il espère envoyer bientôt à Philippes, mais qui seraprécédé par Épaphrodite, que les Philippiens avaient délégué auprèsde l'apôtre pour subvenir à ses besoins et qui était tombé gravementmalade. Paul sait que son retour sera une joie pour eux et lerecommande avec une grande affection, comme un frère qui a exposé savie pour lui. Au reste, et en toute circonstance, qu'ils seréjouissent dans le Seigneur! 6. LE PROGRES VERS LA PERFECTION CHRETIENNE (Php 3:2-4:1).Brusquement et sans aucune transition, l'apôtre met ses lecteurs engarde contre les Juifs ou les judaïsants qui rôdent autour d'eux; laviolence soudaine de ses paroles trahit l'agitation qui s'empare delui à la pensée du danger qui menace sa chère Église. Lui aussi, etplus que tout autre, aurait le droit de se glorifier de sesprivilèges de race et de sa justice selon la loi; mais maintenant, ily a renoncé. Bien plus: I1 les considère comme un désavantage, afinde connaître et de gagner Christ, d'être trouvé en lui, de posséderla véritable justice qui s'obtient par la foi, d'éprouver lapuissance de sa résurrection, d'avoir part à ses souffrances et à samort, et de parvenir enfin à la résurrection. Toutefois, Paul n'a pasencore remporté le prix qui est la perfection, mais il a été saisipar Christ et il fait une seule chose: oubliant ce qui est derrièrelui, i! court vers le but où Dieu l'appelle en Jésus-Christ. Que lesPhilippiens imitent son exemple et se détournent de ceux qui, seconduisant en ennemis de la croix du Christ, marchent vers laperdition. Les chrétiens fidèles, au contraire, montrent par leurconduite qu'ils sont citoyens des cieux, d'où ils attendent leSauveur, qui transformera notre corps de misère en un corps semblableà son corps glorieux! Oh! que les bien-aimés frères, joie et couronnede l'apôtre, demeurent fermes dans le Seigneur! 7. RECOMMANDATIONS PARTICULIERES (Php 4:2-9).Paul s'adresse individuellement à quelques membres de l'Église, lespriant de se mettre d'accord sous l'inspiration du Seigneur; il lesexhorte tous avec insistance à être toujours joyeux (c'est leleit-motiv qui traverse toute l'épître: la joie chrétienne!), àcombattre les inquiétudes par la prière, à garder la paix, àrechercher tout ce qui est vrai, juste honorable, pur...en un mot: àfaire ce qu'ils ont appris, reçu, entendu de l'apôtre et ce qu'ilsont vu en lui. Et le Dieu de paix sera avec eux. 8. REMERCIEMENTS (Php 4:10-20).Paul avait déjà fait allusion aux secours que les Philippiens luiavaient envoyés (Php 1:5 2:25,30); maintenant, à la fin de salettre, il les remercie expressément en quelques phrases pleines dedélicatesse et de dignité. Il ne veut pas parler de ses besoins, caril a appris à se suffire dans quelque situation qu'il se trouve, dansl'abondance comme dans la pauvreté; il a été initié à tout, il peuttout par celui qui le fortifie. Cependant, ils ont bien fait deprendre part encore une fois à ses difficultés; leurs dons sont unparfum, un sacrifice que Dieu accepte et qui Lui est agréable. Enfin, viennent les salutations et la bénédiction:(Php 4:21,23) «Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ soit avec votre esprit!»III Circonstances de la composition. 1. BUT ET CARACTERE DE L'EPITRE. Épaphrodite, après avoir remis à l'apôtre le secours en argentdes Philippiens (Php 4:18 2:25), était tombé malade; il a été«tout près de la mort» (Php 2:27); maintenant qu'il est rétabli,son désir est de retourner au plus tôt à Philippes pour rassurer sesfrères à son sujet (Php 2:26). Paul va lui confier sa lettre,dont le but est évident: c'est une lettre de remerciements. Si lesremerciements n'arrivent qu'à la fin, il faut y reconnaître unedélicatesse de plus. Il ne manque pas de saisir l'occasion pour leurdonner de ses nouvelles et s'entretenir avec eux comme un père avecses enfants qu'il chérit. C'est une lettre intime et familière. Legrand apôtre éprouve le besoin d'épancher le trop-plein de son coeur,et il le fait avec une simplicité touchante; oubliant fatigue,souffrances, prison, il leur dit toute sa confiance en Dieu, toute sajoie chrétienne. «Je me réjouis, réjouissez-vous! Voilà le résumé del'épître» (Bengel). Jamais il ne s'est exprimé avec un si entierabandon. Il nous permet de pénétrer dans le secret de son âme; cen'est pas le théologien qui enseigne, c'est simplement le chrétienqui laisse parler ses expériences les plus intimes (cf. par ex.Php 1:21-23 3:8-13 4:10-13), On a fort bien dit que la meilleuremanière de comprendre le magnifique passage christologique de Php2:5,11, tourné et retourné dans tous les sens par les théologiens,n'est pas de l'examiner au point de vue doctrinal, mais simplement detâcher de le comprendre par le coeur (E. de Faye, St Paul, p.130). 2. LIEU ET DATE DE COMPOSITION.Paul est en prison (Php 1:7,13,17). L'opinion générale,s'appuyant principalement sur la mention du «prétoire» (Php1:13) et sur celle de «la maison de César» (Php 4:22), atoujours affirmé qu'il s'agissait de la captivité romaine. Le«prétoire» serait le camp des prétoriens (castra proetorianorum) près de la porte Viminalis, ou bien le corps de la garde impériale;«ceux de la maison de César» seraient, non pas les membres de lafamille impériale, dont la conversion n'aurait point passé inaperçue,mais les serviteurs (esclaves et affranchis) du palais de l'empereur.Il faut toutefois avouer que cet argument, à lui seul, ne sauraitêtre décisif, parce que le sens du terme «prétoire» s'était élargi,pouvant désigner soit le palais d'un gouverneur (par ex. à Jérusalem:Mr 15:16,Jn 18:28,33 19:9. à Césarée: Ac 23:35), soit undes détachements des prétoriens qui stationnaient dans les grandesvilles de province; quant aux esclaves et affranchis de l'empereur(«ceux de la maison de César»), il y en avait hors de Rome, partoutoù la maison impériale avait des propriétés et des intérêts. Il estdonc vrai que la mention du prétoire et des esclaves impériaux nesuffit pas à prouver d'une façon péremptoire que l'épître ait étéécrite à Rome. Aussi a-t-on envisagé tout récemment l'hypothèse d'unecaptivité éphésienne: pendant le séjour de Paul à Éphèse, qui a duréenviron trois ans et dont nous savons bien peu de choses, l'apôtre aété exposé à de graves dangers (1Co 15:32); il aurait été enprison et sur le point d'être jugé et condamné à mort (2Co1:8-10); c'est à ce moment-là, en 54 ou 55, que cette lettre auxPhilippiens aurait été rédigée, avant les épîtres aux Corinthiens etaux Galates. Cependant, l'opinion traditionnelle, qui place à la fin de lacaptivité romaine (vers l'an 62) la composition de notre lettre,semble être mieux fondée; elle s'accorde davantage avec la situationdans laquelle l'apôtre se trouvait à Rome et surtout avec l'étatd'esprit qu'il manifeste ici. La captivité romaine durait depuis deuxans environ et n'avait pas empêché l'Évangile de progresser; leprisonnier attendait avec patience mais aussi avec confiance (Php2:24) l'issue de son procès; Luc et Aristarque, arrivés avec Paul àRome, en étaient repartis, puisqu'ils ne sont pas mentionnés(Aristarque était macédonien, et Luc connaissait de près les frèresde Philippes). Quant aux sentiments que l'apôtre exprime dans cettelettre, ils ne s'expliquent guère à l'époque d'Éphèse, lorsque leformidable conquérant se trouvait au fort de son activité militante.Le vieux lutteur est maintenant apaisé; il est encore capable de sedresser et de lancer contre ses anciens adversaires une apostropheviolente qui rappelle, comme un écho lointain, les pages les plusenflammées écrites aux Corinthiens et aux Galates. Mais cela ne durepas. Il commence à se détacher des choses d'ici-bas; fatigué, cassépar l'âge, accablé d'infirmités, incompris, délaissé, il se tournevers l'au-delà, il pense à la mort, il la désire comme on désire lerepos près du Sauveur. La présence de Christ remplit son âme desérénité et de joie; le but de la perfection n'est pas encoreatteint, mais il a le pressentiment que le terme de sa carrièreterrestre n'est pas loin. L'apôtre est au soir de sa vie. On peutdonc continuer à considérer l'épître aux Philippiens comme «le chantdu cygne»: la dernière lettre à une Église que nous ayons de l'apôtrePaul.IV Authenticité et intégrité. Cette épître est certainement paulinienne; l'antiquité chrétienne n'ajamais connu de doutes à cet égard, et l'on peut dire qu'elle estuniversellement reconnue aujourd'hui comme authentique. La question de son intégrité a été soulevée par quelquescritiques qui ont cru voir dans la brusque transition de Php 3:1à Php 3:2 l'indice d'une lettre indépendante, intercalée entredeux: «Réjouissez-vous!» (3:1 4:4). Mais cette interruption peuts'expliquer aisément, quand on tient compte de la nature ardente dePaul et du genre familier de cette lettre, qui n'est pas un exposédidactique; il faut se rappeler aussi que l'apôtre avait l'habitudede dicter ses lettres: une interruption dans la dictée entraînefacilement un défaut de liaison, une solution de continuité. Il estvrai que, vers l'an 118, Polycarpe fait allusion aux lettres dePaul aux Philippiens; mais cela confirme simplement la suppositiontrès vraisemblable que l'apôtre leur aurait écrit plusieurs fois, etne peut être invoqué à l'appui de l'hypothèse selon laquelle nousaurions ici deux ou même trois lettres de Paul réunies en une seule.L'unité de l'épître aux Philippiens ne nous paraît pas moinsincontestable que son authenticité. Ern. C.