PHÉNICIE

I Géographie. La Phénicie occupait le littoral de la Syrie, depuis la Méditerranéejusqu'à la chaîne du Liban, s'étendant depuis la ville d'Arvad aunord jusqu'au mont Carmel au sud. Les villes suivantes, au bord de lamer, du N. au Sud, sont nommées dans l'A.T, et dans la correspondancecunéiforme de Tell el-Amarna (vers 1400 av. J.-C.): Arvad, Simyra,Arka, Byblos (Guébal), Sidon, Tyr, Kana, Acco. Les suivantes ont jouéun rôle secondaire dans l'antiquité (du S. au Nord): Aczib, Mahalliba(Jos 19:29; cf. Helba, Jug 1:31), Sarepta (1Ro 17:9),Béryte (Beyrouth).II Sources historiques. Les chroniques officielles des villes phéniciennes sont toutesperdues, mais elles furent utilisées par Ménandre d'Éphèse (II esiècle av. J.-C); quelques fragments de son histoire phénicienne etdes fragments d'histoires semblables de Dios et de Philostrate nousont été conservés par Josèphe (Contre Apion, I, 17, 18, 21; Ant., VIII, 5:3; IX, 14:2), qui, du reste, connaît ces auteurspar l'intermédiaire d'Alexandre Polyhistor. Les autres sources (outreles historiens grecs et romains) sont l'A.T., les tablettes de Tellel-Amarna et les annales égyptiennes et assyriennes. On ne connaîtqu'une seule inscription de l'époque plus ancienne, celle d'Ithobaalfils d'Ahiram, roi de Byblos (trouvée par P. Montet en 1923), quidate de 1250 av. J.-C. Les autres inscriptions datent des V e et IV esiècle av. J.-C, (sauf une du VIII e siècle).III Aperçu historique. 1. Les origines. Les récits mythologiques deSanchuniathon (personnage légendaire cité par Philon de Byblos; cf.Eusèbe, Proep. Evang., I, 9, 10) attribuent à Tyr une originesurnaturelle. Dès une époque très reculée, la côte de la Phénicieétait habitée, mais la migration des Phéniciens de race sémitiquesemble dater des environs de 2750, date donnée par Hérodote (II, 44)pour la fondation de Tyr. 2. Époque de la domination égyptienne (jusqu'au XI esiècle). Les fouilles de Montet à Byblos ont mis à jour des objetségyptiens antérieurs au XXV e siècle, mais ce n'est qu'un millénaireplus tard que les Pharaons conquirent la Phénicie: nous avons desrenseignements sur les campagnes que firent en Phénicie Ahmès I er(vers 1570), Thoutmès ler (vers 1525) et, en particulier, ThoutmèsIII (1501-1447), qui reçut la soumission de la plupart des villesphéniciennes, mais qui dut prendre d'assaut Simyra et Arvad. Lacorrespondance de Tell el-Amarna, datant du temps d'Aménophis III(1415-1380) et d'Aménophis IV [Knaton] (1380-1362), nous montre lespossessions syriennes de l'Egypte menacées par l'invasion des Habiru(Hébreux), des Amoréens et des Hittites: Arvad, Simyra et Sidon sontprêtes à secouer le joug égyptien; Tyr et, en particulier, Byblosrestent fidèles. Le prince amoréen Aziru, fils de Abd-Ashirta, reçoitl'aide de Arvad; le prince de Sidon, Zimrida, malgré ses déclarationsde fidélité à l'Egypte, s'allie secrètement avec Aziru; Surata d'Accoen fait de même avec les adversaires de l'Egypte; Rib-Addi roi deByblos resta fidèle aux Pharaons jusqu'à la fin: il organisa larésistance de Simyra, mais ne put la sauver d'une destruction totale;Abi-Milki de Tyr paya de sa vie sa fidélité à l'Egypte. Bref, toutela Phénicie fut perdue pour l'Egypte; Séti I er (vers 1320) et RamsèsII (1292-1225) firent des campagnes en Syrie, sans pourtant soumettreles Hittites (le traité de paix entre Ramsès et les Hittites fixe lafrontière des deux empires au Nahr el-Kelb, au Nord de Beyrouth).L'invasion des «Peuples de la Mer», sous Ramsès III (1198-1167), quieut pour résultat l'occupation de la côte de la Palestine par lesPhilistins, si elle semble avoir eu comme résultat le ravage dequelques villes phéniciennes (ç'aurait été le cas, en particulier,pour Tyr et Sidon), marque la fin de la domination égyptienne et lecommencement de l'époque la plus glorieuse dans l'histoire de laPhénicie. Deux romans égyptiens, racontant les aventures de Sinuhe(vers 1780) et les péripéties de Wen-Amon (vers 1100), ont un grandintérêt pour l'histoire de la Palestine et de la Phénicie. 3. Période d'indépendance (1100-880). Depuis 1200 Tyrdevient la ville principale de la Phénicie; déjà en 1100 ses navirestraversent le détroit de Gibraltar. Après Abi-Milki (XIV° siècle),nos connaissances sur Tyr font défaut jusqu'à Abi-Baal, le père deHiram I er (969-936), l'ami de Salomon (1Ro 5:1,18 9:10,1410:11-22). Hiram restaura la ville, bâtit deux ports, rebâtit letemple de Melqart (qu'il rendit accessible en comblant le bras de merqui le séparait de la ville) et celui d'Astarté. Ses successeursfurent: Baal-utsur (935-919), Abd-Ashtart (918-910) et, après unepériode d'anarchie, Ashtart (900-889), Ashtarymos (888-880), Phelès(879). 4. Période assyrienne (880-612). Tèglath-Phalasar Ier, vers 1100, avait reçu le tribut de Byblos, Sidon et Arvad, maissa conquête ne fut pas durable. Ashour-natsir-pal II (884-860) fitune campagne en Syrie, au cours de laquelle il reçut la soumission deTyr, Sidon, Byblos, Mahallat et Arvad. Salmanasar III (859-824) etAdad-nirari III (810-782) soumirent de même la Phénicie, sanspourtant en consolider la conquête de façon définitive. A TyrItho-Baal I er (878-866), «roi des Sidoniens» (1Ro 16:31) --dansl'A.T, comme dans Homère, «Sidonien» signifie souvent «Phénicien»--,donna sa fille Jézabel en mariage à Achab roi d'Israël. Sessuccesseurs sur le trône de Tyr furent: Balezoros [ou Badezoros](865-849), Metténos (848-821) et Pygmalion (820-774). La traditionfait dater la fondation de Carthage du règne de ce dernier.Téglath-Phalasar III (745-727) nomme parmi ses tributaires Hiram IIde Tyr, dont l'autorité s'étendait à Chypre (on y a trouvé uneinscription d'un de ses gouverneurs), Sibitti-Baal de Byblos etMattan-Baal I er de Arvad. Plus tard le roi assyrien reçut 150talents en or de Mattan de Tyr. Il semble, que Sidon, à cette époque,faisait partie du royaume de Tyr: Luli de Tyr (725-690) est appeléroi de Sidon, par Sennachérib. Salmanasar V (727-722) assiégea Tyrsans succès, de même que son successeur Sargon (722-705); maisSennachérib (705-681) força Luli à s'enfuir à Chypre et proclama à saplace Itho-Baal II comme roi de Tyr et Sidon. Les autres princesphéniciens soumis à Sennachérib sont Ménahem de Samsimuruna, Abd-elotde Arvad, Uru-Milki de Byblos. Assarhaddon (681-668) coupa la tête deAbd-Milkut roi de Sidon et détruisit sa ville; Baal I er de Tyr,Milki-asaph de Byblos, Mattan-Baal II de Arvad, Abi-Baal deSamsimuruna sont tributaires de l'Assyrie. Assourbanipal (669-626) neréussit pas à prendre Tyr, mais reçut la soumission de son roi Baal 1er et aussi de lakin-lu roi de Arvad (dont le successeur fut son filsAzi-Baal). 5. Période néo-babylonienne (612-538). De 626 à 585Tyr jouit de l'autonomie et développa son commerce maritime d'unefaçon remarquable, comme l'atteste Ézéchiel au ch. 27. Mais, de 585 à572, Nébucadnetsar assiégea cette ville (Eze 26:7,14 27:27) sansla prendre (29:18 et suivant); en 574 il remplaça Itho-Baal II parBaal II, qui régna jusqu'en 564. Pendant sept ans Tyr fut sous legouvernement de «suffètes» (juges); puis Mer-Baal régna de 557 à 553et Hiram III de 553 à 533. 6. Période perse (538-333). La suprématie passemaintenant de Tyr, affaiblie par le long siège de Nébucadnetsar, àSidon; les deux autres États dont se compose la Phénicie à cetteépoque sont Byblos et Arvad. Au cours des guerres dites médiques, laflotte phénicienne, sous le commandement du roi de Sidon, joua unrôle important; mais après la défaite des Perses on note unrapprochement amical de la Phénicie, soit avec la Grèce (coloniesphéniciennes en Attique, les Sidoniens exemptés de taxes à Athènes,révolte manquée de Straton I er de Sidon contre la Perse en 362),soit avec l'Egypte; en 346, à la suite d'une révolte de Sidon, dontle roi était Tennès, la ville fut entièrement détruite. Grâce à desinscriptions, nous connaissons les noms de Yehav-Milk de Byblos et detrois rois Sidoniens, Tabnit, Eshmoun-azar, Bod-Ashtart, qu'on datedes environs de 450. 7. Période hellénistique (333-64). Arvad, Byblos et Sidon sesoumirent de bonne grâce à Alexandre (333); mais Tyr lui ferma sesportes et fut prise d'assaut, au moyen d'une digue qui mit fin pourtoujours à l'isolement de la ville. Après 323 la Phénicie fut l'objetde disputes entre les Ptolémées et les Séleucides; de 197 a 164 elleappartint à ces derniers; enfin, après un siècle d'anarchie, elle futconquise par Pompée (64) et devint une partie de la province romainede Syrie.IV Religion. La religion phénicienne est très rapprochée de celle de Canaan. Lesdieux (alônim, baalim, mèlèk, âdôn) sont en général anonymes etjouissent d'une juridiction locale. Le Baal de Tyr s'appelait Melqart(=Roi de la ville); celui de Sidon, Eshmoun. La déesse de Bybloss'appelait Ashtart (cf. Ashtoret, Astaroth, dans l'A.T.), déesse del'amour et de la maternité, qu'on retrouve dans les imageségyptiennes de Hathor ou d'Isis; le culte de la déesse de Byblos estintimement lié à celui d'Adonis (le dieu babylonien Thammuz).V Civilisation. Les Phéniciens ne se distinguent pas par un génie créateur; ils ontdéveloppé les inventions d'autres peuples. Les Grecs leur ontattribué l'invention de l'alphabet, qu'ils avaient reçu d'eux; cetteorigine est aujourd'hui contestée (cf. Lods, Israël, pp. 85-92).Dans l'art ils ont imité les Égyptiens et les Babyloniens. Ce n'estque dans la navigation et dans le commerce international que lesPhéniciens ont joué un rôle de premier ordre au cours de l'antiquité:par leurs voyages et par leurs colonies, ils sont devenus lesintermédiaires entre les grandes nations anciennes et ont répandu lesproduits et les idées des anciennes civilisations.--Voir Tyr, Sidon. BIBLIOGRAPHIE.--G. Contenau, La Civilis. phénic, Paris 1926(contient une bonne bibliographie); W.B. Fleming, The Hist, ofTyre, New York 1915; J.M. Lagrange, Et. sur les relig. sémit.,2- éd., Paris 1905. R.H. Pf.