Le paupérisme a exercé ses ravages au sein du peuple juif comme danstoutes les civilisations humaines. En Israël comme ailleurs, lecontraste entre la richesse et la pauvreté a frappé l'imagination desécrivains sacrés (Pr 22:7) et suscité leur pitié; de bonne heurele législateur s'est efforcé de combattre ce fléau, sans jamaisréussir à le faire disparaître (Mt 26:11). Toutefois, selon lesépoques, le mal a pris une intensité plus ou moins grande, la luttecontre le paupérisme s'est développée ou ralentie, et il importe denoter les différentes étapes du mal et de la lutte. A l'origine, la civilisation nomade et patriarcale ne laisse pasbeaucoup de place à ce que nous appelons le pauvre. Tous les hommesgroupés en famille, clan ou tribu participaient comme enfants,serviteurs ou esclaves aux ressources communes en même temps qu'aulabeur commun. Il n'y avait pas alors, à proprement parler, desriches et des pauvres, mais des maîtres plus ou moins généreux et desserviteurs plus ou moins bien traités; tous les membres du clanpartageaient la bonne et la mauvaise fortune, et la pauvreté seconfond alors avec une sorte de crise économique due à quelquecatastrophe s'abattant sur le pays et ruinant la tribu. Ces causes deperturbation de la vie normale entraînant la misère et les privationssont en général: la sécheresse, compromettant les récoltes etdécimant les troupeaux (Ge 12:10,Ru 1:1,2Ro 4:38), c'était alorsla famine; l'invasion redoutable des sauterelles (Joe 1); lagrêle (Ps 78:27,48,Esa 28:2); les épidémies sur lebétail (Eze 32:13); enfin la guerre passant sur le pays et yexerçant ses dévastations. Le pauvre, alors, c'était le malheureux exilé, que le clanrejetait de son sein et qui, en dehors de la communauté, proscrit,sans ressources, n'avait plus qu'à mourir (Ge 21:14,16). Être«étranger et voyageur» (Heb 11:13) a toujours été chez les Juifsune marque de pauvreté et de profond dénuement. Mais la Palestine allait bientôt devenir pays de petitespropriétés: la terre se morcelle, puis sous l'influence étrangèrel'Hébreu s'initie au commerce; d'un côté la richesse s'accroît, del'autre les pauvres se multiplient. Leur situation précaire etmisérable s'explique par diverses raisons. La maladie tout d'abord,qui, empêchant l'homme de travailler, tarit ses ressources et leréduit, lui et les siens, à la mendicité; presque tous les miséreuxque croisa le Christ sur les routes de la Palestine et dont laplainte ne cessa de retentir à son oreille étaient des infirmes,aveugles comme Bartimée (Mr 10:46,Lu 18:35,Mt 20:29 et suivant),estropié et boiteux (Lu 14:21), lépreux (Lu 17:12); Lazarele pauvre est représenté couvert d'ulcères (Lu 16:20). La mort,en enlevant le père de famille, fait tomber dans la pauvreté la veuveet les orphelins privés de soutien (De 14:29); la Bible a tracédeux portraits célèbres de veuves I pauvres et généreuses (1Ro17:12,Mr 12:42). La paresse et l'incapacité conduisent l'homme à laruine (Pr 24:30,34,Eccl,10:18); mais ce qui, devant la gênemomentanée, va bientôt pousser le malheureux à la détresse complète,c'est la rapacité de l'usurier qui, profitant des circonstances,dépouillera ses frères et échafaudera sa fortune sur les ruinesd'autrui (Pr 22:7,Hab 2:6). Notons aussi le fardeau écrasant decertains impôts ou tributs imposés au peuple soit par leur roi, soitpar l'étranger, qui ruinent les humbles, et qui les poussent à serévolter (1Ro 12:7-18) ou à s'endetter (Ne 5:4). De lànaîtra le mépris, puis la haine des contemporains de Jésus pour lespéagers, avides percepteurs d'impôts accablants. N'oublions pas enfinde rappeler que certaines classes de citoyens semblent êtreconsidérées par la loi comme pauvres du fait même de leur conditionsociale: ce sont les étrangers (voir ce mot), privés du droit deposséder des terres en Israël (Le 23:22), et surtout les Léviteschargés du service du temple, qui n'ont pas eu leur part dans lepartage du pays et ne peuvent compter, pour vivre, que sur l'aumônedes fidèles;voir (Le 5:7 19:9,15) Prêtres et lévites. En face de la pauvreté le peuple d'Israël va essayer de réagirpar toute une série de lois, admirables de sagesse et de prévoyancemais qui ne furent, hélas! que bien rarement et bien incomplètementappliquées. Voici les principales: 1. Lois accordant aux pauvres chaque année le droitde glane et de grappillage dans les champs après moisson, dans lesvignes après vendange, dans les oliveraies ou les jardins fruitiersaprès cueillette (Le 19:9,De 24:19 et suivant, Ru 2:2). 2. Lois autorisant celui qui a faim à prendre dansun champ de quoi se rassasier, sous condition de ne rienemporter (De 23:21 et suivant). Si Jésus est blâmé d'avoirlaissé ses disciples cueillir des épis de blé dans un champ, c'estuniquement parce qu'ils l'ont fait un jour de sabbat, car l'acte enlui-même était autorisé par la loi (Mt 12:1,8). 3. Lois instituant l'année sabbatique, pendantlaquelle tous avaient libre participation aux fruits de la terre,champs, vignes et jardins (Le 25:5). 4. Lois instituant les «repas des dîmes» etdemandant aux propriétaires d'inviter tous les trois ans les Lévites,les pauvres et les étrangers à un grand repas (De 14:28 26:12). 5. Lois fixant la célébration de l'année jubilaire,qui faisait rentrer en possession de leurs biens les propriétairesqui avaient dû les aliéner (Le 25:10). 6. Lois facilitant à tous le droit de rachat dupatrimoine aliéné (Le 25:23-29). Tout cela ne pouvait au reste servir que de palliatifs; lespauvres n'en restaient pas moins pauvres; aussi l'Écriture sainte necessera-t-elle de plaider leur cause, d'implorer pour eux la pitié,et de recommander l'aumône (De 15:7,Job 31:16-20,Ps 41:2,Esa58:6,10-12,Eze 18:7-16). L'apocryphe Siracide revient souvent sur ledevoir de bienfaisance envers le pauvre (Sir 4:1-10 7:32Sir 29 etc.). On sait combien, au temps de Jésus, l'aumône était devenue unemarque de la piété juive: une des pratiques de la «justice», avec laprière et le jeûne (Mt 6:2, voir verset 5.et v. 16); elle sefaisait soit directement dans la rue, soit dans les troncspublics (Mr 12:41), soit aux collectes faites à la synagogue enfaveur des pauvres du village. L'apôtre Paul conseille cette pratiqueà ses amis (1Co 16:2). Jésus, sans condamner le principe del'aumône (Lu 11:41 12:33 18:21), censure l'ostentation et lavanité de ceux qui font étalage de leurs libéralités (Mt 6:2 etsuivants). L'Église chrétienne primitive pratiquera généreusement lessecours aux pauvres (Ac 4:34-37 9:36 10:2-4); de bonne heure,par l'institution des diacres, elle apporta de l'ordre et de laméthode dans leur distribution. La Bible ne se contente pas d'inspirer aux hommes la compassionenvers les pauvres et de donner des directives pour la lutte contrele paupérisme; elle ennoblit et exalte aussi la pauvreté. En face dela corruption que la richesse traîne à sa suite, des passions qu'elledéveloppe, la Bible nous montre les trésors de piété et de vertu quela pauvreté bien souvent a manifestés. Il semble qu'en Israël lespures traditions de la piété juive se soient conservées surtout chezles pauvres. L'exemple des Récabites est connu (Jer 35:6). Lesrevendications sociales sont aussi des protestations religieuses.Élie, Amos, Habacuc sont à la fois les défenseurs des droits de Dieuet des pauvres (Am 8:4,6,Mic 2:2 3:2 et suivant, Esa3:13,15). Le Psautier, a-t-on pu dire (A. Causse, Les Pauvres d'Israël),a été «écrit par les pauvres et pour les pauvres...LesPsaumes et les Évangiles, deux livres populaires par excellence».C'est pour les pauvres que sera annoncée la bonne nouvelle.(Esa 61:1,3,Lu 4:18 7:22) C'est aux heures de détresse que l'Israélite se tournera vers ceDieu qui seul peut l'entendre et le sauver (Ps 18:7), c'est dufond de l'abîme que montera sa prière la plus ardente (Ps 130),et c'est de ses plus douloureuses expériences que jaillira son crisublime d'espérance messianique, faisant succéder à la période desrevendications celle de l'espoir invincible au lever prochain d'uneaurore. Ce sont les pauvres qui, comme Siméon, après avoir attendu lavenue du Christ, l'ont accueilli et reçu (Lu 2:25 et suivants,etc.). Voir Luc (évangile), pp. 61, 62. Le N.T. nous montre Jésus vivant lui-même dans la pauvreté,pauvreté volontaire, car «étant riche il s'est fait pauvre» (2Co8:9), et c'est à la pauvreté qu'il donnera la première place dansl'énoncé des Béatitudes (Lu 6:20,Mt 5:3). P. B.-M.